L'AFFAIRE DU COLLIER

 

XXXV. — LA DOULEUR DE LA REINE.

 

 

Tandis qu'autour de Rohan et de Cagliostro tout. Paris faisait retentir des cris d’allégresse, cette joie bruyante avait un douloureux contre-coup à Versailles. Vaguement, elle comprenait, la pauvre reine, que ce n'était pas tant la victoire de Rohan que sa défaite et son humiliation à elle que le peuple célébrait. De combien était-elle tombée dans son affection depuis le jour où, dauphine, au bras de son mari, elle faisait sa première visite à ses chers Parisiens, dont les témoignages d’enthousiasme et de tendresse lui arrachaient la lettre si émue que nous avons citée !

N'y a-t-il donc personne, s'écrie Me Labori[1], pour crier à la foule implacable qu'il y a des crimes impossibles et que la reine de France ne se vend pas pour un bijou ?

Le roi entra, écrit Mme Campan, et me dit : Vous trouverez la reine bien affligée. Elle a de grands motifs de l'être ; mais quoi ! ils n'ont voulu voir dans cette affaire que le prince de l'Église et le prince de Rohan, tandis que ce n'est qu'un besogneux d’argent — je me sers de sa propre expression — et que tout ceci n'était qu'une ressource pour faire de la terre le fossé et dans laquelle le cardinal a été escroqué à son tour. Rien n'est plus aisé à juger et il ne faut pas être Alexandre pour couper ce nœud gordien. La douleur de la reine fut extrême. Elle était dans son cabinet et pleurait :

Venez, me dit-elle, venez plaindre votre reine outragée et victime de cabales et de l'injustice. Mais, à mou tour, je vous plaindrai comme Française. Si je n'ai pas trouvé de juges équitables dans une affaire qui portait atteinte à mon caractère, que pouvez-vous espérer si vous avez un procès qui touche à votre fortune et à votre honneur ?

Et, à son amie, la duchesse de Polignac, Marie-Antoinette écrivait :

Venez pleurer avec moi, venez consoler mon âme, ma chère Polignac. Le jugement qui vient d’être prononcé est une insulte affreuse. Je suis baignée de mes larmes, de douleur et de désespoir. On ne peut se flatter de rien quand la perversité semble prendre à lèche de rechercher tous les moyens de froisser mon âme. Quelle ingratitude ! Mais je triompherai des méchants en triplant le bien que j'ai toujours léché de faire. Il leur est plus aisé de m'affliger que de m'amener à me venger d’eux. Venez, mon cher cœur.

La reine, et le roi sous l'influence de la reine, n'avaient pu croire et ne croyaient pas encore que le cardinal fût innocent de l'escroquerie.

Il est vrai que le procès tout entier eût dû être envisagé d’un point de vue plus important. Le grand fait, dit très justement Beugnot, qui dominait toute l'affaire, était celui-ci : que M. et Mme de la Motte avaient eu l'audace de feindre la nuit, dans un des bosquets de Versailles, la reine de France. La femme du roi avait donné rendez-vous au cardinal de Rohan, lui avait parlé, lui avait remis une rose et avait souffert que le cardinal se jetât à ses pieds. De son côté le cardinal, grand-officier de la Couronne, avait osé croire que ce rendez-vous lui avait été donné par la reine de France, par la femme du roi, il s'y était rendu, en avait, reçu une rose et s'était jeté à ses pieds. C'était là qu'était le crime, dont le respect de la religion, de la majesté royale et des mœurs, au dernier point outragées, provoquaient à l'envi la punition.

 

 

 



[1] Discours à la Conférence des avocats, 26 nov. 1888.