L'AFFAIRE DU COLLIER

 

V. — MARIE-THÉRÈSE.

 

 

On peut dire que Marie-Antoinette a été victime de sa tendresse pour sa mère. Quel sentiment eût été plus légitime s'adressant à une mère comme Marie-Thérèse, de qui le génie était agrandi par le cœur ! A Marie-Antoinette, — venue en France à quinze ans, auprès d’un mari lourd, gauche, renfermé, qui ne pouvait alors la comprendre et qui ne la comprit d’ailleurs que peu à peu, à mesure que son esprit à lui-même se développa ; jetée à quinze ans dans cette Cour où le vice trônait, avec une hardiesse impudente en la personne de la Du Barry ; abandonnée en toute inexpérience aux passions ambitieuses qui s'arrachaient son influence, se disputaient son appui, point de mire des intrigues les plus basses, les plus méchantes souvent., — qui au monde pouvait servir d'appui et de guide ? Elle n'en avait et ne pouvait en avoir d’autre que sa mère. Son mari ne voit ni ne sent ; Louis XV est corrompu et indifférent ; ses tantes, Mesdames Adélaïde, Sophie et Victoire, sont des vieilles tilles au cœur sec, à la pensée étroite, aigries, désagréables, ennuyées. C'est la Du Barry qui désigne à la dauphine sa dame d’atours.

Marie-Thérèse en profita pour faire de sa fille un instrument. de sa politique. L'impératrice ne présageait pas, évidemment, combien cette complicité deviendrait funeste à la pauvre innocente reine, comme elle l'appelait parfois ; et celle-ci, de son côté, élevée dans la pensée que l'union indestructible de la France et de l'Autriche assurait le bonheur da monde, ne pouvait imaginer. en la bonté, simplicité et naïveté de son être, qu'en servant les intérêts de sa mère, elle s'exposerait un jour aux reproches d’avoir desservi ceux de sa nouvelle patrie.

Pour agir sur sa fille, Marie-Thérèse avait non seulement les lettres qu'elle lui écrivait d’une plume si forte et autorisée, elle entretenait auprès d’elle un agent. d’un tact et d’une adresse incomparables, le comte de Mercy-Argenteau. Sur le point de Rohan, écrit-elle à son représentant, je touche un mot à ma fille, en lui commettant de n'en parler qu'à vous. Sans porter des plaintes formelles, je souhaiterais et compte que le roi voudra me complaire en me délivrant de cet indigne représentant. Et Mercy répond : J'ai demandé à madame la dauphine, trois ou quatre jours de temps pour bien combiner la démarche que Son Altesse Royale aura à faire vis-à-vis du prince de Rohan. Je lui exposerai quels moyens elle pourra employer.

Pressée des deux parts, Marie-Antoinette se découvrit. Elle parla directement à Mme de Marsan, tante du prince Louis, et lui conseilla de faire demander par sa famille même le rappel du jeune ambassadeur. A ce moment Marie-Thérèse semble avoir entrevu le danger qu'elle faisait courir à sa fille : Comme les parents de Rohan sont nombreux et assez puissants, il y en a qui craignent qu'ils ne vengent sur nia fille les torts qu'ils prétendent leur avoir été faits par mes démarches. Ils le craignent d’autant plus qu'ils supposent que ma fille ne garde pas toute la réserve sur les lettres que je lui écris et qui concernent la personne de Rohan. Vous saurez au mieux juger de la valeur de ces suppositions. Je vous répète seulement que Rohan est toujours plus inconséquent et insolent. Je serais fichée si l'on voulait retarder ou éluder tout à fait son rappel, pour m'obliger à une démarche plus forte, pour être à la fin délivrée d’un homme aussi insupportable.

Une circonstance avait fait partager à Marie-Antoinette les plus vifs ressentiments de sa mère. Rohan, qui se savait vivement attaqué par l'impératrice, trouvait dans son esprit mordant les répliques nécessaires. C'étaient des traits cruels. Dans une lettre au ministre des affaires étrangères, d’Aiguillon, il écrivait, non sans justesse d’ailleurs : J'ai effectivement vu pleurer Marie-Thérèse sur les malheurs de la Pologne opprimée ; mais cette princesse, exercée dans l'art de ne se point laisser pénétrer, me paraît avoir les larmes à son commandement : d’une main elle a le mouchoir pour essuyer ses pleurs, el, de l'autre, elle saisit le glaive pour être la troisième partageante. Par étourderie ou par méchanceté peut-être, car d’Aiguillon détestait Marie-Antoinette, le ministre porta la lettre à la Du Barry, qui trouva plaisant d’en donner lecture à l'un de ses soupers. Et tous les courtisans d’applaudir, et l'un d’eux de redire, sans tarder, l'épigramme à Marie-Antoinette. On imagine l'irritation de la dauphine. Elle ne cloute plus que Rohan ne soit directement en correspondance avec la maîtresse du roi, avec la favorite aux mœurs honteuses, pour livrer à ses moqueries les vertus et l'honneur de sa mère[1].

Ce ne fut que deux mois après la mort de Louis XV, Louis XVI étant monté sur le trône et l'influence de Marie-Antoinette étant devenue prépondérante, que l'impératrice d’Autriche fut débarrassée de cette vilaine honteuse ambassade, pour reprendre ses expressions. La rancune de Marie-Thérèse était si forte que, lorsqu'il s'agit d’un retour momentané, — Rohan désirant revenir à Vienne pour y prendre congé de la Cour et de ses amis — elle en écrivit à Mercy : Je serais très fâchée de l'exécution de ce projet comme d’une insulte faite à ma personne. Rohan fut remplacé par le baron de Breteuil. Breteuil pourrait trouver à son premier début ici quelque embarras, observe Marie-Thérèse, tant on est prévenu en faveur de son prédécesseur. Ses partisans, cavaliers et dames, sans distinction d’âge, sont fort nombreux, sans mense excepter Kaunitz et l'empereur lui-même. A tous ses amis, Rohan envoya son portrait ciselé sur une mince plaquette d’ivoire, et tel était leur enthousiasme qu'ils firent monter l'ivoire en bague, le cerclant de perles et de brillants. Le chancelier Kaunitz, lui aussi, portait cette bague à son troisième doigt. J'aurais eu de la peine à le croire, dit Marie-Thérèse, si je n'en avais été convaincue par mes propres yeux.

Louis de Rohan vit dans son rappel un outrage. Il ne pardonna pas à Breteuil de lui avoir succédé et le soupçonna d’avoir contribué à sa disgrâce. Il le poursuivit à son tour de son esprit railleur. Breteuil, homme de tout autre trempe, ne lui répondit que par le silence et par une haine vigoureuse que, plus tard, en de terribles circonstances, il devait brutalement faire agir.

Dans son ressentiment, Rohan ne parvint cependant pas à comprendre la jolie petite souveraine qu'il avait naguère, à son entrée en France, accueillie en un jour de fête et d’espoir, sous le portail tendu de velours grenat de la haute cathédrale en pierres rouges.

 

 

 



[1] L'anecdote de la lettre au mouchoir est contestée par MM. d’Arneth et Geffroy (Correspondance entre Marie-Thérèse et Mercy-Argenteau, t. I, p. XXXIV) ; mais sans aucun argument. Le fait parait établi, d’une part, par le témoignage de Mme Campan, qui le tient de Marie-Antoinette ; de l'autre, par celui de l'abbé Georgel, qui le tient du cardinal.