HISTOIRE DE CHARLES VII

LIVRE VI. — CHARLES VII PENDANT SES DERNIÈRES ANNÉES. - 1454-1461.

 

CHAPITRE PREMIER. — LA RÉHABILITATION DE JEANNE D'ARC.

 

 

1450-1456

 

Accusations formulées contre Charles VII au sujet de la réhabilitation de Jeanne d'Arc. A peine en possession de Rouen, le Roi charge Guillaume Bouillé d'instruire la cause ; Premières dépositions recueillies ; résultats de cette enquête. — Intervention du cardinal d'Estouteville : information canonique à Rouen ; consultations demandées aux plus célèbres docteurs. — Charles VII fait intervenir la mère et les frères de Jeanne d'Arc : supplique adressée au Pape ; Calixte III autorise l'instruction de la cause et désigne trois commissaires pour y procéder. — Isabelle Roméo comparaît devant les délégués apostoliques ; constitution du tribunal ; citations aux personnes intéressées dans la cause ; réquisitoire du promoteur ; l'enquête est ordonnée. Audition de nombreux témoins ; résultats de l'enquête. — Reprise des audiences du tribunal ; examen des documents de la procédure ; recollection de Jean Brehal, inquisiteur de la foi ; fin du procès de révision ; sentence de réhabilitation. — Conclusion.

 

Aucune histoire, plus que celle de Charles VII, n'a été l'objet de cette conspiration contre la vérité dénoncée par Joseph de Maistre, au début de ce siècle, et qui dure encore.

La réhabilitation de Jeanne d'Arc, qui aurait dû, ce semble, être portée à l'actif de Charles VII, comme un des actes qui l'honorent le plus, a été mise à son passif par certains écrivains empressés à flétrir une mémoire sacrifiée d'avance. Elle a servi de thème à des accusations qui ne sauraient être passées sous silence, car elles tendent à la fois à dénaturer le caractère de la réhabilitation, et à rabaisser la figure de notre immortelle Pucelle.

En entreprenant de réviser la sentence des juges de Rouen, on se serait proposé un triple but :

1° Établir que le procès avait été imaginé uniquement par haine contre le roi de France et pour déprécier son honneur, et faire oublier que la haine contre le roi de France avait eu pour auxiliaire la haine contre l'inspiration religieuse de Jeanne ; en d'autres termes, faire ressortir exclusivement le côté anglais et politique de l'affaire, et effacer le côté clérical ;

2° Montrer que Jeanne avait été soumise en toute chose au Pape et à l'Église, afin qu'il n'y eût plus à imputer au Roi d'avoir été conduit au sacre par une hérétique ;

3° Rétablir officiellement la renommée prophétique de Jeanne, quant aux faits d'Orléans et de Reims, en y ajoutant une vague promesse que les Anglais seraient chassés de France, en étouffant le souvenir des prédictions suivant lesquelles cette expulsion eût dû être l'ouvrage de Jeanne elle-même, et en couvrant d'un voile épais tout ce qui s'est passé entre le sacre et la catastrophe de Compiègne, surtout la rupture de Jeanne avec le Roi[1].

Tel est le plan qui a été suivi sans déviation jusqu'au bout. Pour cela, on a fait subir aux témoins l'influence de la direction des enquêtes. Les uns ont été dispensés de comparaître ; d'autres, qui auraient eu des choses très importantes à dire, ont été écartés systématiquement ; on a mutilé, supprimé même des dépositions ; on a restreint ce qui regardait l'enquête de Poitiers et évité tout interrogatoire sur les événements de la fin de 1429 et sur ceux de 1430 ; enfin on a accumulé les ombres sur la question de savoir si Jeanne entendait soumettre à une autorité humaine quelconque l'autorité de sa révélation, l'authenticité de sa mission[2]. — Si nous savons la vérité sur l'opinion que Jeanne elle-même avait de sa mission, si aucune partie essentielle de sa vie ne nous échappe plus aujourd'hui, ce n'est point grâce au procès de réhabilitation ; c'est malgré le procès[3].

D'autres n'ont pas été aussi loin, mais, au fond, leur pensée était la même. Tout en reconnaissant que la réhabilitation de la Pucelle fut une bonne action de Charles VII, et qu'il en poursuivit l'accomplissement avec cette ténacité qu'il mettait à exécuter les décisions de sa conscience ; tout en constatant que les juges de la réhabilitation étaient la probité même, et que ceux qui eurent l'honneur de prononcer la sentence étaient trois hommes de bien, M. Jules Quicherat, l'éminent éditeur des deux Procès de Jeanne d'Arc, ne différait guère, dans ses conclusions, de M. Henri Martin. Nous en avons pour preuve, outre ses Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, deux lettres qu'il nous fit l'honneur de nous adresser quand, au début de notre carrière, nous prîmes en main, contre l'écrivain qu'on n'a pas craint de qualifier d'historien national, la défense de la vérité historique[4].

Dans le cas particulier sur lequel vous me demandez de m'expliquer, écrivait M. J. Quicherat, je ne puis pas me plaindre qu'il (M. H. Martin) ait travesti ma pensée. Il, a paraphrasé, dans une forme qu'il était le maître de choisir, ce que j'avais dit froidement, sèchement, ainsi qu'il convenait à une exposition purement critique. C'est bien mon opinion que des retranchements ont été faits dans plusieurs dépositions ; que l'instruction a été incomplète en ce sens qu'il n'y a pas eu d'enquêtes à Reims, à Lagny, à Saint-Denis, à Compiègne, et dans tant d'autres lieux où l'acte d'accusation prétendait que Jeanne avait failli ; c'est mon opinion encore que l'absence du formulaire d'après lequel ont été interrogés les témoins 'constitue un vice de forme dans l'instrument du procès. J'ai expliqué ces irrégularités par la raison d'état qui s'opposait à ce que la réhabilitation de Jeanne portât préjudice à d'autres réputations, et j'ai ajouté qu'elles ne devaient pas empêcher de considérer les juges comme d'honnêtes gens, parce qu'ayant pour mandat de rechercher seulement la pureté et l'orthodoxie de la Pucelle, ils ont pu croire leur jugement suffisamment fondé du moment qu'ils livraient au public des preuves déjà surabondantes de l'une et de l'autre. De tout cela que résulte-t-il ? Que la réhabilitation de Jeanne a été complète au point de vue judiciaire, mais qu'elle ne l'a pas été au point de vue historique, et qu'après le procès de 1456 un voile épais est resté effectivement étendu sur toute la partie de sa vie comprise entre le sacre et l'événement de Compiègne[5].

Et dans une seconde lettre :

Quand je dis que l'honneur de tout le monde devait être sauf, j'ai commencé par établir avec la plus grande insistance combien la conduite de Charles VII me paraissait blâmable et j'ai amené la série de mes déductions à ce point que, les choses étant comme je les conçois, l'honneur du roi était celui qui avait le plus besoin d'être couvert ; j'entends que le roi fait partie de ce tout le monde que j'ai allégué..... Mon opinion est bien que le procès de réhabilitation a été dirigé et arrangé de manière à cacher les torts commis envers la Pucelle et par le roi, et par ses confidents, et par tous les personnages attachés ou ralliés à son gouvernement[6].

Pour achever de mettre en lumière la pensée de M. Quicherat, il faut citer un passage de ses Aperçus nouveaux :

Les juges de la réhabilitation étaient la probité même. Mais, parce que c'est là un fait constant, il ne faut pas que la critique s'abdique devant leur procès, ni que tout ce qui est dedans soit accepté sans observation.

Les dépositions des témoins, qui en forment la partie capitale, ont l'air d'avoir subi la plupart de nombreux retranchements. Il n'y en a qu'une, par exemple, où soit relaté un seul trait, le seul fourni par la réhabilitation, de toute la partie si ignorée de la vie de Jeanne qui s'écoula entre le retour de Paris et sa captivité. Pour tout ce que Gaucourt a dit de la délivrance d'Orléans et du voyage de Reims, on met seulement qu'il concorde avec le sire de Dunois. La déposition de Manchon en 1456 ne contient plus certaines choses qu'il avait avouées en 1450, etc., etc. Quant au formulaire d'après lequel eurent lieu les interrogatoires, tant à Orléans qu'à Paris et à Rouen, il manque au procès.

Je vois là autant de suppressions commandées par les circonstances. Le principe de la prescription en matière criminelle n'était pas consacré au XVe siècle ; mais entre 1431 et 1455 avaient été accordées des amnisties qui équivalaient à la prescription. L'honneur de tout le monde devait être sauf, de sorte que les juges, bornant le devoir des témoins à articuler sur l'innocence de la Pucelle, purent, ou retrancher de leurs dépositions les passages qui auraient compromis d'autres personnes, ou leur laisser la faculté d'éluder les questions, lorsque la réponse leur eût été préjudiciable à eux-mêmes.

La même raison expliquera pourquoi il n'y eut d'enquêtes ni à Compiègne, ni à Senlis, ni à Lagny, lieux que l'accusation avait désignés comme le théâtre principal des soi-disant méfaits de la Pucelle ; pourquoi on n'appela point à déposer certaines personnes dont le témoignage aurait été d'un grand poids, comme par exemple l'évêque de Digne, Pierre Turelure, qui avait été de la commission de Poitiers ; le duc de Bourbon, Poton de Xaintrailles et d'autres encore ; pourquoi des témoins cités tant en 1452 qu'en 1456, ne comparurent pas ou du moins ne furent pas mentionnés comme ayant comparu ; pourquoi d'anciens assesseurs de Pierre Cauchon figurèrent au tribunal de la réhabilitation comme témoins de ses actes, et cependant ne déposèrent point[7].

Ainsi, si nous comprenons bien les reproches adressés à Charles VII, en travaillant à la réhabilitation de Jeanne d'Arc le Roi aurait obéi à une pensée toute personnelle. Faire casser le procès inspiré par la haine contre lui ; se laver du reproche d'avoir été conduit au sacre par une hérétique ; jeter un voile épais sur ce qu'on a osé appeler ses trahisons envers la Pucelle[8], tel est le but qu'il aurait poursuivi.

D'autres ont reproché à Charles VII de n'avoir pas, à Rouen même, aussitôt après l'occupation de cette ville, anéanti sur l'heure la sentence monstrueuse de 1431, et d'avoir montré trop de respect pour une œuvre de colère que la politique seule avait inspirée. Au lieu de cela, a-t-on dit, au bout de quatre mois, il manifeste timidement une velléité de révision dans une commission adressée par lui, de Rouen, le 15 février 1450, à Bouillé, universitaire de Paris, un des membres de son grand Conseil. Et l'on fait honneur de la réhabilitation au cardinal d'Estouteville, qui en aurait été le véritable promoteur[9].

Il nous faut donc étudier avec soin le procès de réhabilitation pour en déterminer le caractère et montrer si les reproches adressés à Charles VII ont un sérieux fondement.

Aussi bien, après avoir raconté l'achèvement de l'œuvre si miraculeusement commencée par Jeanne d'Arc et montré comment s'accomplit la prophétie faite par elle, en termes si expressifs, en face de ses juges[10], sommes-nous heureux de revenir à la libératrice du royaume et de lui rendre un nouvel hommage en exposant comment fut vengée sa mémoire, comment les impérissables traits de cette merveilleuse figure ont été conservés à la postérité dans une solennelle enquête, la plus vaste et la plus consciencieuse dont un personnage historique ait été l'objet. Le procès de réhabilitation, c'est en quelque sorte la cause de béatification qui s'ouvre en présence des contemporains de la Pucelle, qui, tour à tour, viennent témoigner de son orthodoxie, de sa sainteté, de son irrésistible ascendant, de ses miraculeux exploits.

 

Charles VII est maitre de Rouen. Sa première pensée se tourne vers la victime du procès de 1431. Nous l'avons dit[11], pour que la révision de l'odieuse sentence pût être entreprise, il fallait trois choses : la possession de Paris, où siégeait l'Université qui avait joué un rôle si important dans l'affaire ; la Possession de Rouen, théâtre de la condamnation et du supplice ; l'agrément du Saint-Siège, qui seul avait qualité pour réviser un jugement rendu par des juges ecclésiastiques. Deux des conditions sont remplies ; pour obtenir la troisième, il faut une information préalable. Le Roi ne perd pas un instant pour y faire procéder : le 15 février 1450, des lettres de commission sont données à Guillaume Bouillé pour instruire la cause. Un tel document doit être intégralement reproduit.

Charles, par la grace de Dieu, Roy de France, à nostre amé et feal conseiller maistre Guillaume Bouillé, docteur en theologie, salut et dilection.

Comme ja pieça Jehanne la Pucelle eust esté prinse et apPrehendée par nos anciens ennemis et adversaires les Anglois, et amenée en ceste ville de Rouen, contre laquelle ilz eussent fait faire tel quel procez par certaines personnes à ce commis et deputez par eulx ; en faisant lequel procez ilz eussent et ayent fait et commis plusieurs faultes et abbus, et tellement que, moyennant ledit procez et la grant haine que nos ditz ennemis avoient contre elle, la firent morir iniquement et contre raison, très cruellement. Et pour ce que nous voulons savoir la verité dudit procez, et la manière comment il a esté deduit et procedé, vous mandons et commandons, et expressement enjoignons, que vous vous enquerez et informez bien et, diligentement et sur ce que dit est, et l'information par vous sur ce faicte apportez ou envoyez finablement, close et seellée, par devers nous et les gens de nostre grand Conseil ; et avec ce tous ceulx que vous saurez qui auront aucunes escriptures, procez, ou autres choses touchant la matière, contraigriez les, par toutes voies deues et que verrez estre à faire, à les vous bailler pour les nous apporter ou envoyer, pour pourveoir sur ce ainsi que verrons estre à faire et qu'il appartiendra par raison ; car de ce faire vous donnons pouvoir, commission, et mandement especial par ces presentes. Si mandons et commandons à tous nos officiers, justiciers et subgetz que à vous et à vos commis et deputez, en ce faisant, ilz obeissent et entendent diligemment.

Donné à Rouen, le quinziesme jour de fevrier, l'an de grace mil quatre cens quarante neuf[12], et de nostre règne le vingt huitiesme.

Ainsi signé : Par le Roy, à la relation du grant conseil, DANIEL[13].

Guillaume Bouillé, d'abord proviseur du collège de Beauvais à Paris, procureur de la nation de France de 1434 à 1437, recteur de l'Université en 1439, devint doyen de la cathédrale de Noyon. Comme le montre le document que nous venons de reproduire, il était docteur en théologie et conseiller du Roi ; non qu'il fût, ainsi qu'on l'a dit, membre du grand conseil, où il ne siégea jamais ; mais il avait le titre de conseiller, dont Charles VII honorait les personnages de mérite. C'est donc un universitaire que le Roi désigne pour réviser l'œuvre inspirée et en bonne partie dirigée par des universitaires.

Le commissaire royal se mit aussitôt à l'œuvre. Les 4 et 5 mars 1450, il procéda à l'interrogation de sept témoins, savoir : Frère Jean Toutmouillé, de l'ordre des frères prêcheurs du couvent des Jacobins de Rouen, docteur en théologie, qui avait assisté au supplice ; frère Isambard de la Pierre, de l'ordre de Saint-Augustin, l'un des assesseurs du procès ; frère Martin Ladvenu, de l'ordre des frères prêcheurs du couvent de Saint-Jacques de Rouen, especial confesseur et conducteur de la Pucelle en ses derreniers jours ; frère Guillaume Duval, du même couvent, docteur en théologie, l'un des assesseurs ; Guillaume Manchon, curé de Saint-Nicolas le Painteur, notaire en la cour archiépiscopale, qui avait rempli les fonctions de greffier principal ; Jean Massieu, curé de Saint-Candes, jadis doyen de la chrétienté de Rouen, appariteur au procès ; enfin Jean Beaupère, chanoine de Rouen, docteur en théologie, l'un des assesseurs du procès, où il avait joué un rôle considérable.

On avait là des témoins d'une haute importance et dont les dépositions devaient être décisives pour la direction à donner à l'affaire. Remarquons que ces dépositions sont écrites en français et qu'elles ne sont point, comme nous le trouverons plus tard, la réponse à des articles rédigés d'avance. Ici toute latitude est laissée au témoin : il raconte ses souvenirs, il dit ce qu'il sait, ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu.

Or ces sept dépositions mettent en pleine lumière l'esprit de haine et de vengeance perverse qui animait les juges[14] ; leur intention de porter atteinte à l'honneur du Roi[15] ; les traitements barbares et les indignes outrages infligés à la victime[16] ; l'acharnement féroce de Pierre Cauchon, auquel Jeanne avait dit : Évêque, je meurs par vous ! et qui témoigna une joie brutale quand elle tomba dans le piège qu'il lui avait tendu[17] ; les menaces prodiguées aux juges qui laissaient voir un sentiment de justice ou de pitié[18] ; les moyens odieux employés pour surprendre des paroles ou des aveux dont on pût s'emparer[19] ; les irrégularités et les nullités de la procédure[20] ; la façon subtile et cauteleuse dont on dirigeait les interrogatoires[21] ; l'appel adressé par la Pucelle au Pape et au Concile[22] ; le défaut de participation du juge séculier à la sentence[23] ; la courageuse protestation de la Pucelle, en pleine place publique, quand elle entendit le prédicateur qualifier son Roi d'hérétique[24] ; les circonstances admirables de sa mort, dignes des martyrs de la foi[25] ; l'émotion de la multitude à la vue d'un tel spectacle[26] ; le repentir de certains juges ; enfin le miracle qui se produisit sur le bûcher, où le cœur de la victime fut respecté par les flammes[27].

On avait désormais en main les preuves nécessaires pour pouvoir obtenir la chose indispensable, sans laquelle toutes les enquêtes demeuraient vaines : l'assentiment et l'intervention du Saint-Siège. Jeanne d'Arc avait été jugée par un tribunal ecclésiastique ; un tribunal ecclésiastique pouvait seul réviser la sentence. Jeanne d'Arc avait été surtout condamnée pour de prétendues erreurs en matière de foi ; la justice royale était incompétente pour se prononcer sur son orthodoxie[28]. Mais ici grande était la difficulté. La cour de Rome, mal renseignée sur l'affaire, circonvenue de bonne heure par la diplomatie anglaise, si prompte et si habile à donner le change, dans toute l'Europe, à l'opinion, ne paraissait point disposée à entrer dans les vues du Roi[29]. Céderait-elle enfin ? Ce ne pouvait être là que le résultat de laborieux et persévérants efforts.

Ne nous étonnons donc pas, comme on a eu tort de le faire[30], de ce qu'aucune suite n'ait été donnée à l'information de Guillaume Bouillé : pour agir avec tous les éléments de succès, il fallait attendre le moment favorable.

Cette occasion parut se présenter. A la fin de 1451, on l'a vu, le cardinal d'Estouteville vint en France, en qualité de légat du Saint-Siège. Le cardinal n'était point bien vu du Roi, qui d'abord avait refusé de le recevoir. Que fit-il ? Deux choses qui étaient de nature à lui concilier la faveur royale : la réforme de cette Université qui s'était montrée, au temps de Jeanne d'Arc, l'adversaire si ardente de la royauté ; l'ouverture canonique des informations relatives au procès de Rouen. Le cardinal se rend à Rouen dans les derniers jours d'avril 1452. Là, agissant de sa propre autorité, comme légat du Pape, il ouvre, avec l'assistance de frère Jean Brehal, de l'ordre des frères prêcheurs, inquisiteur de la foi au royaume de France, et le concours de Guillaume Bouillé[31], une nouvelle information, préalable et préparatoire, en vue de la révision du procès de Jeanne d'Arc[32]. On procède comme si la première enquête, faite par la juridiction civile, n'avait pas eu lieu, et un certain nombre de témoins, ayant figuré au procès ou se trouvant alors à Rouen, sont assignés à comparaître devant le cardinal et l'inquisiteur, pour être interrogés sur les douze articles d'un questionnaire qui comprend les points suivants. Le procès a été fait par l'évêque de Beauvais en haine de Jeanne d'Arc et dans le dessein de la faire mourir, parce qu'elle avait porté les armes contre les Anglais ; l'évêque, mettant l'Église en seconde ligne, a requis le duc de Bourgogne et le comte de Ligny de livrer Jeanne au roi d'Angleterre, et a demandé qu'elle lui fût livrée à n'importe quel prix ; les Anglais avaient une telle terreur de la Pucelle, qu'ils cherchaient par tous les moyens à la faire mourir, afin de se débarrasser d'elle et d'être délivrés de leurs craintes ; l'évêque favorisait le parti anglais, et avant l'ouverture du procès, il permit que la Pucelle fût détenue au château de Rouen, dans une prison séculière, entre les mains de ses ennemis, bien qu'il y eût des prisons ecclésiastiques où l'on pouvait légitimement détenir ceux qui étaient inculpés de crimes contre la foi ; l'évêque n'était point le juge compétent et sa compétence a été contestée maintes fois par Jeanne ; Jeanne était une jeune fille simple, bonne et catholique, ayant la fréquente habitude de se confesser et d'entendre la messe, d'où l'on pouvait conclure qu'elle était fidèle et bonne chrétienne ; Jeanne a déclaré plusieurs fois, au cours de son procès, qu'elle se soumettait au jugement de l'Église et du Pape, et ce qu'elle disait paraissait procéder plutôt du bon que du mauvais esprit ; Jeanne ne comprenait pas ce qu'on entendait par l'Église quand on l'interrogeait sur sa soumission à l'Église : elle croyait qu'il s'agissait des ecclésiastiques qui l'entouraient, lesquels suivaient le parti des Anglais ; comment a-t-elle pu être condamnée comme relapse, alors qu'elle entendait se soumettre à l'Église ? après avoir été condamnée à porter l'habit de femme, Jeanne fut contrainte à reprendre le costume masculin : d'où il résulte qu'en la déclarant relapse pour ce fait, les juges cherchaient, non à obtenir sa soumission, mais à la faire mourir ; bien qu'il fût constant pour les juges que Jeanne s'était soumise à la sainte Église et qu'elle fût bonne catholique, néanmoins ces juges, soit en faveur des Anglais, soit cédant à la crainte, l'ont condamnée très injustement, comme hérétique, à la peine du feu ; tout ceci, savoir la condamnation de Jeanne par la haine et la partialité des juges, est attesté comme notoire par le bruit public et l'opinion populaire, soit dans la ville et le diocèse de Rouen, soit dans tout le royaume de France[33].

Cinq témoins comparurent, les 2 et 3 mai, devant le cardinal et l'inquisiteur. C'étaient : Guillaume Manchon ; Pierre Miget, prieur de Longueville, l'un des assesseurs du procès ; Isambard de la Pierre ; Pierre Cusquel, bourgeois de Rouen ; Martin Ladvenu[34]. Trois d'entre eux avaient été entendus par Guillaume Bouillé en 1450. Le 6 mai, le cardinal quitta Rouen et donna une délégation à Philippe de la Rose, qui, les 8 et 9 mai, de concert avec l'inquisiteur Brehal, interrogea — d'après un nouveau questionnaire en vingt-sept articles qui n'était que le développement du précédent[35] — dix-sept témoins, savoir : Nicolas Taquel, curé de Bacqueville au diocèse de Rouen ; Pierre Bouchier, curé de Bourgeauville au diocèse de Lisieux ; Nicolas de Houppeville, bachelier en théologie ; Jean Massieu, l'huissier du procès ; Nicolas Caval, chanoine de Rouen, l'un des assesseurs ; Guillaume du Désert, chanoine de Rouen, l'un des assesseurs ; Guillaume Manchon, Pierre Cusquel et Isambart de la Pierre, tous trois déjà interrogés par le cardinal ; André Marguerie, chanoine de Rouen, l'un des assesseurs ; Richard de Grouchet, l'un des assesseurs ; Pierre Miget et Martin Ladvenu, déjà interrogés par le cardinal ; Jean Fabri ou Le Fèvre, de l'ordre de Saint-Augustin, l'un des assesseurs ; Thomas Marie, ancien prieur de Saint-Michel près Rouen, de l'Ordre de Saint-Benoit ; Jean Riquier, curé de Heudicourt ; enfin Jean Pave ou de Favé, maitre des requêtes de l'hôtel du Roi, demeurant à Rouen[36].

L'intervention du cardinal d'Estouteville et les informations faites à Rouen par ses soins[37] marquaient un pas en avant vers le but poursuivi, mais ce n'était point encore un pas décisif : il fallait décider la cour de Rome à se prononcer. Charles VII, de concert avec le cardinal, avait décidé que des consultations sur le procès seraient demandées aux canonistes, aux théologiens et aux légistes les plus renommés. Afin de faciliter la tâche des consulteurs, Guillaume Bouillé fut chargé de rédiger un mémoire[38] contenant l'exposé de la procédure suivie par les juges. Il le fit dans un long travail, resté inédit, pour la majeure partie, jusqu'à ces derniers temps[39]. L'ouvrage est plutôt de théologie que de droit, dit M. Quicherat[40] ; il a aussi un côté politique, en ce que l'auteur s'applique à démontrer à tout propos que le Roi était tout à fait résolu à provoquer la révision du procès de Rouen. Il s'ouvre, dans la rédaction primitive, par un hommage au Roi[41] qui disparut ensuite, pour un motif dont il est aisé de se rendre compte[42]. Le cardinal d'Estouteville, de retour à Rome, chargea deux habiles théologiens de prendre la plume : l'un, Paul Pontanus, avocat consistorial au tribunal de la Rote, qui avait été son secrétaire de légation en France, rédigea un avis et une consultation[43] ; l'autre, Théodore de Leliis, auditeur de Rote en cour de Rome, et l'un des plus savants canonistes du XVe siècle[44], est l'auteur d'un remarquable traité, trop peu connu et qui mériterait les honneurs d'une traduction intégrale[45].

Sur l'initiative de Charles VII, qui donna à cet effet des instructions spéciales à l'inquisiteur Jean Brehal et des commissions par lettres patentes[46], plusieurs mémoires furent demandés, soit en France, soit à l'étranger, à des hommes d'une science éprouvée[47]. Parmi les mémoires rédigés, nous pouvons citer ceux de Robert Ciboule, recteur de l'Université et chancelier de Notre-Dame à Paris[48] ; d'Élie de Bourdeille, évêque de Périgueux[49] ; de Thomas Basin, évêque de Lisieux[50] ; de Pierre Lhermite, sous-doyen de Saint-Martin de Tours[51] ; de Jean de Montigny, chanoine de Paris et conseiller au Parlement[52] ; de Guidon de Verseilles, chanoine de Saint-Gratien de Tours[53]. Enfin deux nouvelles consultations furent fournies un peu plus tard, au cours même du procès de réhabilitation, par Martin Berruyer, évêque du Mans[54], et par Jean Bochard, évêque d'Avranches, confesseur du Roi[55].

De tels mémoires, et spécialement les consultations rédigées, à Rome même, par Paul Pontanus et par Théodore de Leliis, étaient de nature à faire une vive et salutaire impression sur la Cour romaine. On n'était point parvenu cependant, malgré tous les efforts, à triompher de ses hésitations. Après de nombreuses démarches et des efforts laborieusement poursuivis[56], Charles VII résolut de s'effacer et de faire intervenir la famille de Jeanne d'Arc. L'affaire perdait ainsi son caractère politique pour prendre une apparence purement juridique. Une supplique, rédigée avec la plus grande réserve, fut envoyée à Rome. Elle était conçue en ces termes :

Bien que feue Jeanne d'Arc, sœur de Pierre et de Jean et fille d'Isabel, mère des susdits, eût, tandis qu'elle vivait en ce monde, détesté toute hérésie, et n'eût rien cru ou affirmé qui sentit l'hérésie, et se fût de plein gré conformée aux traditions de la foi catholique et de la sainte Église romaine, cependant feu Guillaume d'Estivet, ou tout autre en ce temps investi de la charge de promoteur des affaires criminelles de la cour épiscopale de Beauvais, à l'instigation, comme on le croit avec vraisemblance, de certains ennemis tant de ladite Jeanne que de ses mère et de ses frères susdits, rapporta faussement à feu de bonne mémoire Pierre, évêque de Beauvais, et aussi à feu Jean le Maistre, de l'ordre des Frères prêcheurs, professeur, remplissant alors les fonctions de vice-inquisiteur de l'hérésie en ces régions, qui vivait alois, que ladite Jeanne, laquelle se trouvait à cette époque dans le diocèse de Beauvais, s'était rendue coupable du crime d'hérésie, et avait commis d'autres crimes contraires à la foi, — sous ce prétexte et sur ce faux rapport, ledit évêque, en sa qualité d'ordinaire, et ledit Jean le Maitre, se disant muni pour cela d'un pouvoir suffisant, commencèrent une procédure d'inquisition contre ladite Jeanne, procédure qui fut continuée conformément aux poursuites du promoteur. Aussitôt, sans que l'évidence du fait, ni la véhémence des soupçons, ni la clameur de l'opinion publique l'exigeassent, ils enfermèrent l'accusée dans une prison. Et enfin, bien que par cette Procédure d'inquisition ils n'eussent pas acquis — et ils ne pouvaient pas l'acquérir — la certitude légale que ladite Jeanne se fût rendue coupable du crime d'hérésie ou qu'elle eût commis d'autres actes contraires à la foi, ni aucun crime ou excès de ce genre, ni qu'elle eût consenti à aucune erreur contraire à la foi ; bien que toutes ces accusations ne fussent pas notoires ni vraies, et que ladite Jeanne eût requis ledit évêque et ledit Jean le Maistre que, s'ils prétendaient qu'elle eût fait ou dit quelque chose qui sentit l'hérésie ou fût contraire à la foi, ils renvoyassent cela à l'examen du siège apostolique, dont elle était prête à subir le jugement : néanmoins, enlevant à ladite Jeanne toute possibilité de défendre son innocence et négligeant l'ordre régulier du droit, selon l'arbitraire de leur seule volonté, usant en cette inquisition d'une procédure entachée de nullité et purement de fait, ils prononcèrent contre ladite Jeanne, la déclarant convaincue d'hérésie et d'autres crimes et excès, une sentence définitive et inique. A la suite de cette sentence, ladite Jeanne fut méchamment livrée par la justice séculière au dernier supplice, au péril des âmes de ceux qui la condamnèrent, à l'ignominie et opprobre, charge, offense et injure de sa mère, de ses frères et de ses parents susdits. D'où la nullité de ce procès d'inquisition résulte clairement, par les actes de cette procédure et d'autres documents, ainsi que l'innocence de Jeanne ; car il est facile d'établir par des preuves légales que ladite Jeanne a été méchamment condamnée, sans qu'elle eût mérité cette condamnation par aucune faute.

La supplique se terminait par la demande de commettre à certaines personnes le soin d'entendre au procès de nullité de ladite sentence et de réhabilitation de ladite Jeanne, et de le conduire régulièrement à sa fin[57].

Sur ces entrefaites le pape Nicolas V vint à mourir (24 mars 1455). Son successeur, Alphonse Borgia, qui prit le nom de Calixte III (8 avril), était espagnol. Agé de soixante-dix-huit ans, il se distinguait par sa piété et par son austérité. On n'eut point de peine à obtenir de lui la décision vainement sollicitée jusque-là. Par un rescrit en date du 11 juin 1455, il donna l'autorisation d'instruire la cause. Voici la teneur de l'acte pontifical.

Calixte, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos vénérables frères l'archevêque de Reims et les évêques de Paris et de Coutances, salut et bénédiction apostolique.

Nous prêtons volontiers l'oreille aux humbles requêtes des suppliants et nous nous plaisons à leur accorder des grâces opportunes.

Il nous a été récemment présenté, de la part de nos chers fils Pierre et Jean appelés d'Arc, laïques, et de notre chère fille en Jésus-Christ Isabelle, mère desdits Pierre et Jean, et d'un certain nombre de leurs parents, du diocèse de Toul, une supplique contenant ce qui suit (ici la teneur de la supplique).....

Nous donc, accueillant favorablement ladite supplique, nous mandons à votre fraternité, par ce rescrit apostolique, que vous, ou deux ou l'un d'entre vous, après vous être adjoint un inquisiteur de l'hérésie résidant en France, et avoir fait citer le vice-inquisiteur actuel de l'hérésie au diocèse de Beauvais, et le promoteur actuel des affaires criminelles en ce diocèse, et tous autres qui seront à citer devant vous ; après avoir ouï tout ce qui sera, de part et d'autre, proposé devant vous sur les choses susdites, vous rendiez en dernier ressort une juste sentence, que vous ferez observer fermement au moyen des censures ecclésiastiques[58].

Le choix des commissaires désignés par le Pape était remarquable : nul doute qu'il n'ait été suggéré par Charles VII lui-même. L'archevêque de Reims était Jean Jouvenel des Ursins, qui naguère avait remplacé Pierre Cauchon sur le siège de Beauvais (24 avril 1432) ; il se trouvait être le métropolitain du siège épiscopal dont le titulaire était mis en cause. L'évêque de Paris était Guillaume Chartier, qui avait été, à l'université de Paris, l'escolier premier de Charles VII, alors dauphin[59], et qui probablement se trouvait à Poitiers lorsque la Pucelle y parut devant ses examinateurs. L'évêque de Coutances était Richard Olivier, ce même official du chapitre de la cathédrale de Rouen que nous avons vu activement mêlé aux négociations pour la reddition de Rouen. Enfin l'inquisiteur de la foi en France n'était autre que Jean Brehal, qui avait pris si chaleureusement en main l'affaire de la réhabilitation.

Le 7 novembre 1455, au matin, dans l'église Notre-Dame de Paris, les délégués du siège apostolique[60] et l'inquisiteur Jean Brehal prirent séance[61]. Isabelle Romée, mère de Jeanne d'Arc, comparut devant eux en habits de deuil, accompagnée de ses fils Jean et Pierre, et assistée d'un nombreux cortège d'ecclésiastiques et de laïques, d'un groupe d'habitants d'Orléans[62], et d'un certain nombre d'honnêtes femmes. Se prosternant humblement, elle leur présenta le rescrit apostolique, et d'une voix entrecoupée par les sanglots, dans l'attitude d'un profond désespoir[63], elle exposa et fit exposer par ceux qui l'entouraient l'objet de sa requête[64]. Après cette supplique, elle se jeta de nouveau aux pieds des délégués, avec de grands gémissements, ne cessant de tendre à tous et à chacun en particulier l'acte pontifical qu'elle tenait à la main, les suppliant de procéder sans délai à l'examen de la cause et de déclarer la nullité du procès, à la décharge de la Pucelle et des siens.

Il y avait dans l'assistance des hommes doctes et lettrés, tant séculiers que religieux, qui avaient étudié le procès ; ils vinrent à leur tour témoigner de toutes les violences, rigueurs, fourberies, irrégularités et faux dont les juges avaient usé ; de tous les moyens captieux et insolites dont ils s'étaient servis ; et, célébrant les vertus de la Pucelle, ils joignirent leurs instances et leurs prières à celles de sa vieille mère.

A. cette intervention des docteurs se joignirent les manifestations de la foule. Durant ces longs discours, on entendait parfois les supplications, mêlées de gémissements, de la mère de Jeanne, et la multitude qui remplissait l'église faisait écho à sa voix[65].

Les délégués apostoliques, ne pouvant donner satisfaction immédiate à ces plaintes et voyant que la foule allait sans cesse en augmentant[66], se retirèrent dans la sacristie. Là ils firent appeler la suppliante avec ceux qui l'assistaient, et, après lui avoir prodigué leurs consolations, ils l'interrogèrent longuement sur elle-même et sur sa fille. Puis, après avoir lu à deux reprises, une fois en particulier, une fois en public, le rescrit pontifical, ils firent connaître leur réponse par l'organe de l'archevêque de Reims. Les délégués, se conformant aux ordres du Saint-Siège, retenaient la cause et promettaient de l'instruire conformément à la justice ; ils ne dissimulaient point toutefois à la suppliante les difficultés et les périls de la tâche[67], la peine qu'on aurait à annuler une condamnation prononcée par des juges dont la gravité, la science et le caractère prévenaient en leur faveur[68] ; la nécessité de s'entourer de conseils d'une science éprouvée et inaccessibles à tout entraînement. L'archevêque termina en donnant assignation à la mère de la Pucelle et aux siens pour le 17 novembre, en la cour épiscopale de l'évêque de Paris, afin d'opérer la présentation du rescrit pontifical en présence des notaires publics et des magistrats qu'on convoquerait à cet effet, et de procéder en la cause si, après avoir pris conseil, elle persistait dans sa demande.

Isabelle et ceux qui l'assistaient déclarèrent qu'ils n'entendaient rien dire ou faire qui pût préjudicier à la foi, à la vérité et à la justice, mais qu'ils se portaient garants de l'innocence de Jeanne, quant aux crimes dont elle était accusée sous le prétexte de la foi, et qu'ils feraient apparaître, en s'appuyant sur les actes et sur tous autres documents, l'iniquité, la violence et la nullité de la procédure. Confiants dans la justice de leur cause, ils étaient prêts à comparaître et à requérir un jugement public.

Le 17 novembre, Isabelle se présenta à Notre-Dame, dans la salle des audiences de l'évêché, avec ses deux fils, entourée de plusieurs notables bourgeois et habitants de Paris, d'honnêtes femmes de la ville d'Orléans, et assistée d'un avocat, maître Pierre Maugier, docteur en décrets de l'université de Paris. Autour des délégués apostoliques avaient pris place les abbés de Saint-Denis, de Saint-Germain des Prés et de Saint-Magloire, l'abbé de Saint-Lô au diocèse de Coutances, l'abbé de Saint-Crespin au diocèse de Soissons, l'abbé de Cormeilles au diocèse de Lisieux, et un grand nombre de religieux, de docteurs et d'hommes notables, parmi lesquels figurait Guillaume Bouillé, et une grande multitude d'ecclésiastiques et de gens du peuple[69]. Pierre Maugier présenta le rescrit pontifical, que les délégués du Saint-Siège reçurent et firent lire à haute et intelligible voix. Puis l'avocat prit la parole et prononça un long discours en français. Il déclara qu'il ne s'agissait point de mettre en cause tous ceux qui avaient eu part au procès, car ils avaient été trompés par les extraits erronés et mensongers des articles qui leur avaient été communiqués, mais uniquement d'attaquer Pierre Cauchon, jadis évêque de Beauvais ; Guillaume d'Estivet, promoteur, et Jean le Maître, vice-inquisiteur de la foi au diocèse de Beauvais, et ceux de leurs collègues ou complices dont les iniquités et les intentions frauduleuses seraient établies ; il justifia la Pucelle des imputations calomnieuses dont elle avait été flétrie et fit ressortir la pureté de ses mœurs, son humilité, la sincérité de sa foi, sa fervente dévotion ; il insista sur les fraudes, les vexations, les cruautés dont Jeanne avait été victime. Jeanne avait été condamnée sur la vue d'articles qui n'étaient qu'un tissu de faussetés. Elle n'avait point cessé de se soumettre, ainsi que tous ses faits, à l'autorité du pape. La sentence rendue contre elle était nulle, comme entachée d'erreur et de fausseté[70].

Les délégués constituèrent leur tribunal par l'adjonction de l'inquisiteur Jean Brehal et procédèrent à l'interrogatoire d'Isabelle, de Jean et Pierre d'Arc. Il décidèrent ensuite que citation serait donnée aux personnes intéressées dans la cause, ou à leurs représentants, pour comparaître par-devant eux, à Rouen, du 12 au 20 décembre suivant, afin de contredire s'il y avait lieu, d'abord au rescrit pontifical, puis au fond même de l'affaire ; on assigna notamment l'évêque de Beauvais, le promoteur et le vice-inquisiteur du diocèse[71].

Le 12 décembre les deux délégués apostoliques et l'inquisiteur siégeaient à Rouen, dans la grande salle du palais archiépiscopal. Sauf le représentant de la famille d'Arc, personne ne se présenta. L'audience fut renvoyée au 15 ; mais aucune des personnes assignées, ni l'évêque de Beauvais, ni le promoteur et le vice-inquisiteur, ni les descendants de Pierre Cauchon, ni ceux de Jean d'Estivet, promoteur du procès de Rouen, ne se firent représenter. Guillaume Prevosteau comparut comme procureur d'Isabelle Romée et de ses deux fils[72], assisté de leur avocat, Pierre Maugier. L'avocat Maugier proposa longuement, en français, en présence d'une nombreuse assistance[73]. Guillaume Prevosteau demanda ensuite qu'on déclarât les non-comparants contumaces. Mais, au préalable, le tribunal fut définitivement constitué par la nomination de deux notaires greffiers, Denis Le Comte et François Ferrebouc, et d'un promoteur, Simon Chapitault. Le procureur Prevosteau et le promoteur demandèrent ensuite si les greffiers du procès de Rouen, et spécialement maitre Guillaume Manchon, le principal d'entre. eux, avaient l'intention de se porter parties et d'entreprendre la justification du procès., Guillaume Manchon, présent à l'audience, s'en excusa. Sommé de remettre aux juges les documents qu'il pouvait avoir, il déposa séance tenante la minute française du procès, écrite de sa main. On lui présenta l'original latin, dont il reconnut l'authenticité. Sur la requête du promoteur et du procureur des demandeurs, il fut statué que les informations faites en 1452, tant par le cardinal d'Estouteville que par son délégué, avec le concours de Jean Brehal, seraient jointes au dossier de l'affaire. Enfin, Chapitault et Prevosteau requirent les juges de procéder sans délai, à Rouen et aux environs, à l'audition des témoins, dont plusieurs étaient fort âgés et pouvaient disparaitre d'un moment à l'autre. Il fut fait droit aussitôt à cette demande.

Le 18 décembre Prevosteau présenta la requête des demandeurs et développa longuement les moyens mis en avant pour établir l'innocence de la Pucelle et l'iniquité de la sentence rendue contre elle. Après avoir démontré, par les preuves les plus décisives, la nullité de la procédure, il conclut à la cassation du procès[74].

Le délai donné aux personnes assignées expirait le 20 décembre. Ce jour-là le procureur des héritiers de Pierre Cauchon se présenta. Il déclara qu'il n'entendait pas soutenir en leur nom la validité du procès : la famille de l'évêque de Beauvais repoussait toutes les conséquences qu'on en voudrait tirer contre elle ; elle invoquait l'amnistie proclamée par le Roi à la suite de la conquête de la Normandie.

Dans l'audience du même jour, le promoteur Chapitault prit la parole pour son réquisitoire.

Le procès de Jeanne d'Arc, dit-il en substance, est vicié : 1° dans ses instruments et dans ses actes, par l'interposition de faux greffiers, par la substitution à la procédure de douze articles soumis aux consulteurs et tenant lieu de tout le procès, par les additions ou omissions de procès-verbaux ; 2° dans ses préliminaires, par la partialité de l'évêque de Beauvais qui s'entremit pour que Jeanne fût vendue aux Anglais, qui la laissa dans la prison séculière aux mains de ceux-ci bien qu'elle eût été remise à l'Église, qui, après avoir fait faire des informations sur sa vie antérieure et avoir fait constater sa virginité, supprima les résultats de ces deux enquêtes comme favorables à l'accusée, qui procéda d'une façon si peu conforme au droit que, pour couvrir les irrégularités du procès, il se fit donner des lettres de garantie ; 30 dans son ensemble : par tout ce qui se passa au cours de la procédure, savoir le rejet de la demande de constitution d'un tribunal composé de clercs des deux parties, la récusation de l'évêque faite par Jeanne, l'intervention tardive du vice-inquisiteur ne siégeant au procès qu'à partir du 19 février, le changement de lieu pour les interrogatoires faits dans la prison même en présence d'un petit nombre d'assesseurs, les questions captieuses posées à l'accusée, la rédaction des douze articles extraits des soixante-dix et entachés d'omissions ou d'additions frauduleuses, les menaces à certains consulteurs, les faux conseillers envoyés à Jeanne, les manœuvres employées pour rendre suspecte sa soumission à l'Église, pour lui faire reprendre l'habit d'homme après une abjuration arrachée par la séduction et la contrainte, la condamnation de l'accusée comme relapse sans cause légitime, l'exécution sans jugement alors qu'elle fut livrée au bras séculier[75].

Tels étaient les points sur lesquels l'enquête devait porter. Le promoteur sollicita en particulier les juges de faire procéder dans le pays de la Pucelle à une information sur sa vie et sur ses mœurs.

Les délégués du Saint-Siège firent droit à la demande du promoteur et prescrivirent une enquête à Domremy et à Vaucouleurs[76].

Déjà, en vertu d'une commission en date du 16 décembre[77], on avait commencé à entendre les témoins résidant à Rouen : du 16 au 19 décembre onze témoins furent interrogés par l'archevêque de Reims, l'évêque de Paris et l'inquisiteur Jean Brehal[78].

Enfin par un acte rendu dans la même audience du 20 décembre, le tribunal se déclara compétent pour procéder à l'examen de la cause, réputa contumaces les non-comparants, et les cita à comparaître le 16 février pour contredire aux articles que les demandeurs venaient de déposer[79]. Ces articles, au nombre de cent un, contenaient l'exposé de tous les moyens invoqués à l'appui de la demande d'annulation du procès[80].

Près de deux mois devaient donc s'écouler avant que le tribunal siégeât de nouveau : ce temps fut mis à profit. Le 10 janvier 1456, des lettres de citation furent données à plusieurs témoins pour comparaître à Paris, en la cour épiscopale[81] : l'évêque de Noyon Jean de Mailly, Thomas de Courcelles et deux autres vinrent faire leur déposition, les 10, 14 et 15 janvier, devant les délégués apostoliques et l'inquisiteur[82]. Du 28 janvier au 11 février, trente-quatre témoins furent entendus, à Domremy et à Vaucouleurs, par Regnault de Chichery et Gautier Thierry, chargés de recueillir leurs dépositions[83].

Le 16 février, le tribunal, composé de l'évêque de Paris et de l'inquisiteur Jean Brehal, reprit ses audiences à Rouen. Me Regnault Bredouille, promoteur du diocèse de Beauvais et procureur de l'évêque Guillaume de Hellande, et frère Jacques Chaussetier, prieur des dominicains d'Évreux, procureur du couvent des Frères prêcheurs de Beauvais, se présentèrent sur les assignations envoyées à l'évêque et à l'inquisiteur du diocèse. Le lendemain, en leur présence, on donna lecture des cent un articles, et la parole fut donnée à Regnault Bredouille pour y contredire. Il se borna à déclarer qu'il ne croyait pas fondées les accusations formulées contre feu Pierre Cauchon ; il niait donc, autant qu'il était tenu de le faire, les assertions des demandeurs, s'en référant, pour toute défense, au procès lui-même ; il ajouta que d'ailleurs il n'entendait plus comparaître, qu'il ne s'opposait point à l'audition des témoins et s'en rapportait à la conscience des juges. Jacques Chaussetier se borna à dire que les citations faites à plusieurs reprises dans le couvent de son ordre à Beauvais n'avaient point de raison d'être puisque depuis longtemps nul inquisiteur ou vice-inquisiteur n'y avait résidé. Les juges déclarèrent alors les cent un articles acquis aux débats, comme base des enquêtes à faire, et donnèrent assignation au 7 avril suivant pour en présenter le rapport[84].

Ce qui résulta de ces enquêtes, c'est ce qu'on peut lire dans toutes les histoires de notre immortelle Pucelle. Le procès de condamnation nous fournit le témoignage de Jeanne elle-même sur sa mission et sur ses actes[85] ; le procès de réhabilitation nous offre le témoignage unanime de ses compatriotes ; de ses compagnons d'armes, des capitaines mêlés à ses exploits, de tous ceux qui l'avaient suivie, ou contemplée, depuis Domremy et Vaucouleurs jusqu'à Chinon et Orléans, jusqu'à Patay et à Reims, de ses juges même, des témoins de son supplice : ce sont les actes de la vierge inspirée, de la guerrière incomparable, de la martyre, de la sainte. Jamais plus belle et plus touchante histoire ne fut appuyée sur des documents plus nombreux, plus sincères, plus authentiques. Cette évocation de Jeanne d'Arc est le plus bel hommage qui pût être rendu à la libératrice du royaume. Sur la jeunesse de la Pucelle, on entend son parrain, ses trois marraines, onze de ses compagnons d'enfance, les anciens de son village, les curés de Domremy et des paroisses voisines, son oncle Durand Laxart qui l'avait conduite à Vaucouleurs, les habitants de cette ville, les gentilshommes du pays, les deux hommes de condition libre, Jean de Novelompont et Bertrand de Poulengy, qui l'avaient escortée de Vaucouleurs à Chinon[86]. Sur son séjour à Chinon et à Poitiers, six témoins viennent déposer : ce sont des conseillers et écuyers du Roi, son chirurgien, le président de la Chambre des comptes, un avocat au Parlement, un des examinateurs de Poitiers. Trente-huit habitants d'Orléans viennent rendre témoignage à ses exploits, à ses vertus, au merveilleux ascendant qu'elle exerçait. Des chevaliers, des écuyers qui l'ont accompagnée dans ses expéditions, racontent les faits d'armes dont ils ont été les témoins. Marguerite la Touroudde, veuve du général des finances Regnier de Bouligny, chez laquelle Jeanne résida pendant son séjour à Bourges après le sacre, rend un solennel hommage à sa piété, à sa charité, à son charme irrésistible, à la pureté de ses mœurs. Enfin Dunois, le duc d'Alençon, Gaucourt, son chapelain Pasquerel, son écuyer Jean d'Aulon, son page Louis de Coutes, rapportent tous les détails de sa vie guerrière et mettent en pleine lumière ses miraculeux exploits. En tout cent quinze dépositions sont recueillies[87]. C'est comme l'a dit le judicieux de l'Averdy[88], l'enquête la plus impartiale et la plus complète[89].

Le procès de réhabilitation touchait à son terme[90]. Les audiences furent reprises à Rouen le 12 mai. Le 13, le tribunal prononça une déclaration de contumace contre les assignés défaillants, déclara les procès-verbaux des enquêtes admis aux débats, et en ordonna la communication à tous ceux qui la demanderaient pour y contredire. Le 2 juin, défaut fut donné contre les non-comparants avec déclaration qu'ils ne seraient plus admis à contester les témoignages recueillis. Le 5, les demandeurs déposèrent tous les documents relatifs à l'affaire. Le 10, l'ensemble de ces documents fut déclaré acquis à la cause et le tribunal s'ajourna au 1er juillet pour entendre les conclusions.

Le mois de juin fut employé par les délégués apostoliques à l'examen des pièces. Ils étudièrent tous ensemble et chacun séparément tant le procès de condamnation que tous les documents recueillis par leurs soins, et les mémoires rédigés par les docteurs, depuis le traité de Gerson, écrit du vivant de la Pucelle, jusqu'aux consultations des docteurs rédigées en vue du procès de réhabilitation. Les délégués recueillirent encore les opinions d'un très grand nombre de docteurs qu'ils convoquèrent à des conférences où les avis furent échangés et soumis à une discussion. Enfin, les délégués chargèrent l'inquisiteur Jean Brehal d'élucider la matière en récapitulant, dans un mémoire rédigé ex professo, toutes les questions agitées, soit au cours de la procédure, soit dans les mémoires des consulteurs[91]. C'est, dit un juge très compétent, un examen consciencieux et minutieux, d'après les principes de la théologie et du droit canon, des accusations portées contre Jeanne et de la procédure suivie contre elle... Il est divisé en deux parties, dont la première, qui comprend neuf chapitres, est consacrée à examiner la matière du procès de condamnation, c'est-à-dire l'innocence ou la culpabilité de Jeanne ; et la seconde, qui en comprend douze, à en examiner la forme. Les conclusions en sont entièrement favorables à la Pucelle, notamment, en ce qui concerne sou orthodoxie et son prétendu refus de se soumettre à l'Église[92].

La Recollection de Jean Brehal était comme le dernier mot de l'affaire : désormais la cause était entendue.

Le 1er juillet, l'archevêque de Reims, l'évêque de Paris, l'évêque de Coutances et Jean Brehal siégeaient à Rouen, en la cour archiépiscopale. Après avoir constaté qu'aucun des contradicteurs cités à l'audience de ce jour ne se présentait, ils renvoyèrent au lendemain pour procéder à la conclusion de l'affaire.

Le 2 juillet, le promoteur Chapitault résuma les documents de la procédure et déclara qu'il adhérait entièrement aux Conclusions des demandeurs[93]. Jean d'Arc était présent. Le procureur Prevosteau prit la parole à son tour et requit les juges de faire droit à la plainte de la mère de la Pucelle et de ses frères, en proclamant l'iniquité et la nullité du jugement et en prononçant la réhabilitation de la Pucelle[94]. Les juges, après avoir de nouveau déclaré contumaces les non-comparants, donnèrent leurs conclusions : les demandeurs étaient assignés au 7 juillet suivant pour le prononcé de la sentence définitive.

Dans l'intervalle, on procéda à une dernière révision des faits et des documents du procès, et l'on conféra encore une fois avec un certain nombre de docteurs de Rouen, appelés en consultation[95].

Le 7 juillet 1456, à huit heures du matin, dans la grande salle du palais archiépiscopal, les juges prirent séance, sous la présidence de l'archevêque de Reims[96]. On avait convoqué, en qualité de témoins jurés, quatorze docteurs ou professeurs de théologie, chanoines ou juristes. Sur la requête des demandeurs et des promoteurs, le tribunal prononça la dernière et irrévocable déclaration de contumace contre les défendeurs non comparants. Puis l'archevêque de Reims donna lecture de la sentence, conçue en ces termes :

Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, ainsi soit-il.

La providence de la Majesté éternelle, le Christ Sauveur, Seigneur, Dieu et homme, a institué le bienheureux Pierre et les papes ses successeurs chefs et principaux guides de son Église militante, afin que, découvrant à tous la lumière de la vérité, ils leur enseignassent à marcher dans les sentiers de la justice, qu'ils soutinssent tous les bons, secourussent les opprimés, et ramenassent à la voie droite par le jugement de la raison ceux qui s'égareraient dans les chemins de l'erreur.

Nous donc, revêtus en cette cause de l'autorité du Siège apostolique, Jean, etc., juges spécialement délégués par Notre Très Saint Père le Pape actuellement régnant ;

Vu le procès solennellement débattu devant nous, en vertu du mandat apostolique à nous adressé et humblement accepté par nous, de la part d'honnête veuve Isabelle d'Arc, mère, et de Pierre et Jean d'Arc, frères germains, naturels et légitimes de feue de bonne mémoire Jeanne d'Arc, communément appelée la Pucelle, et au nom de tous ses parents, demandeurs, contre le vice-inquisiteur de l'hérésie au diocèse de Beauvais, le promoteur des affaires criminelles de la cour épiscopale de Beauvais, et aussi contre révérend père en Jésus-Christ Guillaume de Hellande, évêque de Beauvais, et en général contre tous et chacun de ceux qui se croiraient intéressés en cette cause, respectivement, tant réunis que séparés, défendeurs ;

Vu la requête desdits demandeurs, et les faits, raisons et conclusions présentés par eux en des écritures rédigées en forme d'articles, tendant à la déclaration de nullité, iniquité et dol d'un prétendu procès en matière de foi, fait naguère dans cette ville de Rouen par le feu seigneur Pierre Cauchon, alors évêque de Beauvais, feu Jean le Maître, vice-inquisiteur prétendu dans le même diocèse de Beauvais, et feu Jean d'Estivet, promoteur ou agissant comme s'il était promoteur au même diocèse, tendant tout au moins à la cassation dudit procès, à l'annulation des adjurations et sentences et de toutes leurs conséquences, à la réhabilitation de ladite défunte, et autres fins exprimées dans les écritures ;

Vu, lu et examiné fréquemment les livres originaux, instruments, documents, et les actes, minutes et protocoles dudit procès, à nous produits et livrés par les notaires et autres en vertu de nos lettres compulsoires, et les seings et écritures desdits originaux reconnus en notre présence ; après une longue délibération sur lesdits livres, tant avec lesdits notaires et autres officiers qu'avec ceux d'entre les conseillers appelés audit procès dont nous avoine pu obtenir la présence ; après les collation et comparaison desdits livres et des minutes dudit procès ;

Vu aussi les informations préparatoires faites par très révérend père en Jésus-Christ le seigneur Guillaume, cardinal-prêtre du titre de Saint-Martin-aux-Monts, alors légat du Saint-Siège apostolique en France, avec adjonction de l'inquisiteur, après examen desdits livres et instruments à lui présentés, et celles faites par nous-mêmes et par nos commissaires au début du présent procès ;

Vu aussi et considéré les traités de divers prélats, docteurs et praticiens célèbres et autorisés, qui, après un long examen des livres et instruments dudit procès, se sont attachés à en élucider les points douteux ; traités composés tant par l'ordre dudit révérendissime seigneur que par le nôtre ;

Vu aussi les articles et questionnaires susdits, à nous présentés de la part des demandeurs et du promoteur, et admis à la preuve après plusieurs citations adressées aux défendeurs ; attendu les dépositions et attestations des témoins sur la vie de ladite Jeanne en son pays natal et sur son départ de ce pays ; sur l'examen subi par elle, à Poitiers et ailleurs, en des interrogatoires réitérés, en présence d'un grand nombre de prélats, docteurs et gens compétents, et notamment de très révérend père Regnault, naguère archevêque de Reims, métropolitain dudit évêque de Beauvais ; sur l'admirable délivrance de la cité d'Orléans, la marche vers la ville de Reims et le couronnement du Roi, et enfin sur les circonstances dudit procès, les qualités des juges et leur façon de procéder ;

Vu aussi les autres lettres, instruments et documents, présentés et produits, au terme fixé, en outre desdites lettres, dépositions et témoignages et la forclusion prononcée contre les défenseurs au sujet desdites productions ; ouï ensuite notre promoteur, qui, sur le vu des productions et dits susmentionnés, s'est pleinement joint aux demandeurs, et en vertu de son office a de nouveau reproduit, pour son compte, toutes les productions ci-dessus, aux fins exprimées dans les écritures desdits demandeurs avec certaines déclarations ; vu les autres requêtes et. réserves, faites de sa part et de celle des demandeurs et par nous adressées, et tout ensemble certains motifs de droits, par nous reçus en de brèves écritures, et de nature à éclairer notre esprit ;

Après quoi, la conclusion de la cause ayant été prononcée et le présent jour fixé pour entendre notre sentence définitive ; vu et mûrement examiné et pesé toutes et chacunes des choses susdites, et aussi certains articles commençant par ces mots : Une certaine femme, qu'après ledit premier procès les juges prétendirent devoir être extraits des aveux de ladite défunte, et qu'ils transmirent à un très grand nombre de personnes autorisées pour avoir leur opinion ; articles que le promoteur susdit et les susdits demandeurs ont attaqués comme iniques, faux, différant desdits aveux, et forgés mensongèrement ;

Afin que notre présent jugement émane de la face même de Dieu, pondérateur des esprits, le seul parfaitement instruit et très véridique juge de ses révélations, qui fait aller son souffle où il veut, et quelquefois choisit les faibles pour confondre les puissants ; qui n'abandonne point ceux qui espèrent en lui, mais leur vient en aide dans la prospérité et dans la tribulation ; après une mûre délibération, tant sur les procédures préparatoires que sur la décision de la cause, avec des hommes aussi instruits qu'éprouvés et consciencieux ; vu leurs solennelles déterminations, contenues en des traités composés après une longue étude et la comparaison sagement pesée de nombre de points ; vu les opinions à nous exprimées, de vive voix et par écrit, tant sur la forme que sur la matière dudit Procès, d'où il résulte qu'aux yeux des docteurs par nous consultés les actes de ladite défunte sont plutôt dignes d'admiration que de Condamnation ; le jugement réprobatoire et catégorique porté contre elle considéré dans sa forme et dans sa matière, tout à fait extraordinaire, et qu'il est, selon eux, très difficile de formuler un jugement certain sur de tels faits, puisque saint Paul, parlant de ses propres révélations, a dit qu'il ignorait s'il les avait eues corporellement ou en esprit, et qu'il s'en rapportait à Dieu ;

En premier lieu, nous disons, et, comme la justice l'exige, nous déclarons que les articles susmentionnés commençant par ces mots : Une certaine femme, contenus dans le prétendu procès et dans la rédaction des prétendues sentences portées contre ladite défunte, ont été et sont un extrait corrompu, dolosif, calomnieux, frauduleux et plein de malice desdits prétendus procès et aveux de ladite défunte ; que la vérité y a été dissimulée, et qu'ony a énoncé des mensonges en plusieurs points essentiels qui, autrement exprimés, auraient pu conduire à une autre sentence l'esprit de ceux qui ont été consultés et qui ont émis un jugement sur cette cause ; qu'on y a indûment ajouté plusieurs circonstances aggravantes, non contenues dans lesdits procès et aveux ; qu'on y a omis plusieurs circonstances favorables et tendant à la justification de l'accusée, et qu'on y a altéré les termes, ce qui change la substance elle-même desdits aveux. En conséquence, lesdits articles, comme faux, extraits calomnieusement et avec dol, et non conformes aux aveux eux-mêmes, sont par nous cassés, annulés et supprimés, et nous décrétons que le texte desdits articles, que nous avons fait détacher dudit procès, sera lacéré judiciairement en notre présence.

En outre, après avoir diligemment examiné les autres parties dudit procès, et en particulier les deux autres prétendues sentences contenues en icelui que les juges appellent de laps et de relaps ; après avoir aussi pesé mûrement la qualité desdits juges et de ceux en la puissance et garde desquels ladite Jeanne était détenue ;

Vu les récusations, soumissions, appels et requêtes multiples par lesquels ladite Jeanne a demandé fréquemment et avec instance qu'elle même, ainsi que toutes ses paroles et actions, et le procès, fussent renvoyés au Saint-Siège apostolique et à Notre Très Saint Père le Pape, auquel elle se soumettait, elle et toutes les choses susdites :

Vu, en ce qui concerne la matière dudit procès, une certaine abjuration prétendue, fausse, dolosive, extorquée par crainte et terreur en présence du bourreau et sous la menace du feu, et nullement prévue ou comprise par ladite défunte ; considéré aussi les susdits traités et avis de prélats et, docteurs renommés, également versés dans le droit divin et humain, déclarant, que les crimes attribués à ladite Jeanne dans les susdites prétendues sentences ne résultent point et ne peuvent être déduits de la suite du procès, et établissant avec une grande perspicacité la nullité et l'injustice qui se trouvent audit procès et choses y appartenantes ;

Toutes et chacune des autres circonstances qui devaient être considérés et examinés en cette cause diligemment pesées par nous ;

Nous, constitués en tribunal, n'ayant que Dieu devant les yeux, par cette présente sentence définitive, que nous rendons du haut de notre tribunal, consignée au présent écrit,

Nous disons, prononçons, décrétons et déclarons que lesdits procès et sentences, entachés de dol, de calomnie, d'iniquité, de contradiction, d'erreur manifeste en fait et en droit, avec l'abjuration susdite, les exécutions, et toutes leurs conséquences, ont été, sont et seront nuls, invalides, sans valeur et sans autorité.

Et néanmoins, autant que besoin est, comme la raison l'ordonne, nous les cassons, supprimons, annulons et destituons de toute valeur ; nous déclarons que ladite Jeanne, ainsi que ses ayant cause et parents, demandeurs, n'ont contracté ni encouru, à l'occasion des sentences susdites, aucune note ou tache d'infamie, qu'elle est et demeure exempte et purgée desdites sentences, et, autant qu'il en est besoin, nous l'en délivrons totalement.

Nous ordonnons que l'exécution ou promulgation solennelle de notre présente sentence aura lieu sans délai dans celte cité, en deux endroits : à savoir, aujourd'hui même, en la place Saint-Ouen, après une procession générale et avec un sermon solennel ; et, en second lieu, demain, sur le Vieux Marché, c'est à savoir au lieu où ladite Jeanne a été mise à mort par l'horrible et cruel supplice du feu, avec une prédication solennelle qui sera faite en ce lieu même, où sera aussi plantée une croix, pour perpétuelle mémoire et pour demander à Dieu le salut de ladite Jeanne et celui des autres défunts.

Nous réservant d'ailleurs, selon que nous le jugerons convenable, d'ordonner l'exécution, promulgation et signification ultérieure, pour future mémoire, de notre dite sentence, dans les autres cités et, principaux lieux de ce royaume, et de prendre toutes autres mesures qui pourraient être encore jugées par nous nécessaires[97].

On lit dans la rédaction primitive du procès de réhabilitation : Après la sentence définitive rendue dans le palais archiépiscopal de Rouen, l'exécution publique suivit. Par les processions générales et les prédications qui eurent lieu, avec grande solennité et très dévotement, l'abomination et l'iniquité du premier procès fut révélée hautement au peuple tout entier[98]. Ces cérémonies eurent lieu, non seulement à Rouen, mais à Orléans, en présence de l'évêque de Coutances et de l'inquisiteur Jean Brehal, et dans plusieurs autres villes.

Et maintenant que reste-t-il des accusations formulées contre Charles VII au sujet de la réhabilitation de Jeanne d'Arc ? Devant la pleine lumière des faits, devant cette révision si généreusement entreprise, si laborieusement poursuivie, si magistralement conduite à son terme à travers tant d'obstacles, toutes les suppositions, toutes les assertions téméraires qu'on n'a pas craint de formuler, se sont évanouies, ce nous semble, comme ces légères vapeurs qui ne résistent pas aux rayons d'un soleil étincelant. Est-il besoin d'y revenir ? Faut-il s'arrêter à de pareilles arguties ? En deux mots, on peut les réduire à leur valeur : Les commissaires du Pape, nous dit le judicieux L'Averdy[99], n'avaient que le pouvoir de faire le procès au procès même de la condamnation, et non pas aux personnes ; et M. Quicherat a été forcé de reconnaître qu'ils purent, ou retrancher des dépositions des témoins les passages qui auraient compromis d'autres personnes, ou leur laisser la faculté d'éluder les questions lorsque la réponse leur eût été préjudiciable à eux-mêmes[100]. D'un autre côté, il ne faut pas oublier — cette remarque est de l'éminent historien de la Pucelle, M. Wallon — que les juges avaient pour objet, non d'amasser des matériaux pour l'histoire de Jeanne d'Arc, mais de réformer le premier procès[101]. Tout s'explique donc. Le procès de réhabilitation a été, de la part de Charles VII, une bonne action, un acte courageux — on ne le conteste pas[102], — et, de la part des juges, une œuvre de probité, — on le reconnaît également[103]. Cela doit suffire. Pourquoi prendre à tache d'incriminer les intentions, de semer des ombres là où tout est sincère, tout est clair, tout respire la soif de la vérité et de la justice ? Les savants les plus autorisés[104], les écrivains les moins suspects[105] ont rendu hommage aux juges de la réhabilitation. Cet hommage est mérité ; il est l'arrêt de l'impartiale et véridique histoire.

 

 

 



[1] Henri Martin, Histoire de France, t. VI, p. 455 ; Jeanne Darc (Paris, Fume, 1857, in-12), p. 295. — Dans cette nouvelle édition, on a effacé le mot prophétique au § 3.

[2] Henri Martin, Histoire de France, t. VI, pages 265, 459-60, 509, note 2 ; Des récentes études critiques sur Jeanne Darc (à la suite de Jeanne Darc), p. 356.

[3] Jules Quicherat, Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, pages 149, 150, 154.

[4] Voir t. I, Introduction, p. XLIII.

[5] Lettre en date du 11 novembre 1856. — M. Quicherat disait ensuite : J'ajoute que je n'ai pas lu l'article de M. Martin auquel vous faites allusion, et qu'en général je ne lis des innombrables écrits dont Jeanne d'Arc est à présent l'objet, que ceux qu'on me fait l'honneur de m'envoyer. Je donne mon avis à ceux qui me le demandent et je laisse chacun faire de nia publication l'usage qui lui plait... Je jouis maintenant de la récompense de mon travail ; elle n'est pas de chercher à avoir raison contre M. tel ou tel ; mais bien de voir tant d'esprits distingués s'exercer sur les textes que j'ai mis au jour. En vous réitérant l'assurance de l'intérêt qu'auront toujours pour moi vos ouvrages, je suis votre bien affectionné.

[6] Lettre du 17 novembre 1856.

[7] Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, p. 150-153.

[8] M. J. Quicherat intitulait un article publié par lui en 1866, dans la Revue de la Normandie : Nouvelles preuves des trahisons essuyées par la Pucelle (livraison du 30 juin 1866).

[9] O'Reilly, Les deux procès de condamnation, les enquêtes et la sentence de réhabilitation de Jeanne d'Arc (Paris, 1878, 2 vol. in-8°), t. I, p. LXXXIII-LXXXIV, XCV, XCVII, XCXIX.

[10] Interrogatoire du 1er mars 1431 : Item dicit quod antequam sint septem and, Anglici dimittent majus vadium quam fecerint coram Aurelianis et quod totum perdent in Francia. Dicit etiam quod præfati Anglici habebunt majorem perditionem quant unquam habuerunt in Francia ; et hoc ait per magnam victoriam quam Deus mittet, Gallicis Dicit etiam quod illud per revelationem scit, asque bene sicut sciebat quod eramus tune ante ipsam.... Interrogata per quem scit istud futurum : respondit quod hoc scit per sanctas Katharinam et Margaritam. — Interrogatoire du 17 mars : Et verrés que les Françoys gaigneront bien test une grande besoingne que Dieu envoycroit aux Françoys ; et tant que il branlera presque tout le royaume de France. — Interroguée se Dieu hait les Angloys : respond que de l'amour ou haine que Dieu a aux Angloys ou que Dieu leur feit à leurs ames ne sçait rien ; mais sçait bien que ilz seront boutez hors de France, excepté ceulx qui y mourront, et que Dieu envoyera victoire aux Françoys et contre les Angloys. Procès, t. I, p. 84-85, 174, 178. Cf. p. 232, 252, 331-332.

[11] Voir t. II, chapitre V.

[12] Vieux style, c'est-à-dire 1450.

[13] Ce document a été donné par M. Quicherat (Procès, t. II, p. 1) d'après les manuscrits du procès de réhabilitation. M. Quicherat ajoute en note qu'Edmond Richer, qui avait reproduit les lettres de Charles VII dans son Histoire de la Pucelle, restée manuscrite (Fontanieu, Portefeuille 85), ajoute les indications suivantes : Avec paraphe, et scellé de cire jaune sur simple queue ; et sur ledit sceau, couvert de parchemin, est escrit : Mandatum Regis ad Guillelmum Bouillé, decanum Noviomensem super informacione facienda de processu alias facto, contra Johannam dictam la Pucelle. — On remarquera que la lettre émane de la chancellerie royale restée à Rouen. Le Roi était à ce moment à l'abbaye de Jumièges où, le 9 février, Agnès Sorel venait de mourir.

[14] Procès, t. II, p. 3, 7, 10, 15, 15.

[15] Procès, t. II, p. 10, 15.

[16] Procès, t. II, p. 4, 5, 7, 8, 18.

[17] Procès, t. II, p. 4, 8.

[18] Procès, t. II, p. 10-13, 16-21.

[19] Procès, t. II, p. 10-15.

[20] Procès, t. II, p. 11-13.

[21] Procès, t. II, p. 5, 8, 16.

[22] Procès, t. II, p. 4, 13.

[23] Procès, t. II, p. 6, 8, 20.

[24] Procès, t. II, p. 15, 17.

[25] Procès, t. II, p. 3, 6, 9, 14, 15, 19.

[26] Procès, t. II, p. 7, 19, 20.

[27] Procès, t. II, p. 7, 15.

[28] Cf. Marius Sepet, Jeanne d'Arc, édit. illustrée (Tours, 1885, gr. in-8°), p. 449. Ce remarquable ouvrage, où l'auteur a repris et développé ses précédentes études, est de ceux que tout le monde devrait avoir sous les yeux : il est écrit de main de maitre.

[29] Les négociations engagées par le Roi pour obtenir cette mesure n'étaient point sans difficultés. Le Saint-Siège, dont la sagesse et la prudence admirables s'appuient sur les maximes éprouvées d'une tradition séculaire, s'est toujours attaché à tenir, autant que possible, la balance égale entre les diverses nations chrétiennes. Cette ligne de conduite lui semblait à bon droit encore plus importante à maintenir après les déchirements du schisme d'Occident, à peine apaisé. Comme il n'est guère douteux que les sollicitations de Charles VII furent vivement combattues par la diplomatie anglaise, qui, dès le lendemain du supplice de Jeanne d'Arc, s'était attachée, en calomniant sa victime, à présenter au Pape sous un jour favorable l'odieux procès de Pierre Cauchon, le Souverain Pontife dut sans doute hésiter à blesser l'Angleterre par une décision à laquelle on aurait pu attribuer le caractère d'une faveur politique accordée au roi de France. Marius Sepet, l. c., p. 462.

[30] O'Reilly, l. c., t. I, p. LXXXIV ; t. II, p. 513.

[31] C'est ce qui résulte d'une lettre du cardinal, en date du 22 mai, citée plus loin.

[32] Propter famam currentem et multa quan quotidie, ejus legatione durante, super dicto processu contra dictam Johannam agitato, ferebantur, assumpto secum prædicto venerabiti patre magistro Johanno Brehal, inquisitore, nonnullas informationes præambutas et præparatorias fecit et fieri ordinavit. Procès de réhabilitation, dans Quicherat, t. II, p. 292.

[33] Voir ces douze articles, Procès, t. II, p. 293-295.

[34] Voir les dépositions de ces quatre témoins, Procès, t. II, p. 297-300.

[35] Voir ces vingt-sept articles, Procès, t. II, p. 311-316.

[36] Voir les dépositions de ces dix-sept témoins, Procès, t. II, p. 311-371. — On remarquera que Jean Massieu avait déjà été interrogé en 1450. Il y avait donc quatre de ces témoins qui tirent trois dépositions, et cinq qui en firent deux à quelques jours d'intervalle.

[37] Le 22 mai, le cardinal écrivait de Paris à Charles VII : Vous plaise scavoir que vers vous s'en vont presentement l'inquisiteur de la foy et maistre Guillaume Bouillé, doyen de Noyon, lesquelx vous refereront bien au plain tout ce qui a esté fait au procès de Jehanne la Pucelle. Et pour ce que je say que la chose touche grandement vostre honneur et estat, je m'y suys employé de tout mon povoir et m'y employeray tonsjours, ainsy que bon et féal serviteur doibt faire pour son seigneur, comme plus amplement serez informé par les dessusdiz. Original, collection de D. Grenier, 238 (Paquet 27, n° 2) ; publié par Quicherat, t. V, p. 366.

[38] M. Quicherat écrit (t. II, p. 1 note) : On verra d'après le préambule qu'il a dit être composé avant la délivrance des pouvoirs énoncés dans la présente commission (en date du 15 février 1450). Mais ce préambule dit (voir t. III, p. 327 et s.) que Bouillé a fait ses advisamenta sur le procès de Rouen, ut ex eis atiqualis præbeatur occasio utriusque juris divini pariter et humani peritissimis doctoribus, latius ac peramplius inquirendi veritatem... D'où il résulte que le mémoire a été composé seulement lorsqu'on résolut de consulter les docteurs, afin de faciliter leur tâche, c'est-à-dire dans le courant de 1452. C'est d'ailleurs ce que reconnaît plus loin (t. III, p. 322 note) le savant éditeur des Procès. M. Quicherat constate encore (t. V, p. 465 ; cf. t. III, p. 313) que Thomas Basin dit qu'il prit connaissance du fait de la Pucelle d'après un registre expédié à son adresse par Guillaume Bouillé et qui contenait, outre la copie des douze articles et celle de l'abjuration, le mémoire à consulter de Paul Pontanus.

[39] Il a été publié in extenso, en 1889, par M. Pierre Lanéry d'Arc, dans son livre intitulé : Mémoires et consultations en faveur de Jeanne d'Arc par les juges du Procès de réhabilitation (Paris, Alph. Picard, in-8°), p. 323-349. Le P. Ayroles en a donné, en 1890, une traduction partielle dani son ouvrage : La Pucelle devant l'Église et son temps (Paris, Gaume, gr. in-8°), p. 212-232.

[40] Quicherat, Procès, t. V, p. 467.

[41] Quicherat, Procès, t. V, p. 467. — Voir t. III, p. 322 : Ad honorera et gloriam Regis regum qui causas defendit innocentum, nec non ad exaltationem regis Francorum seu domus Franche, quæ numquam legitur hæreticis favorem præbuisse aut quovismodo adhæsisse.

[42] On verra plus loin que Charles VII s'effaça pour laisser intervenir la famille de la Pucelle.

[43] Le texte latin, dont M. Quicherat n'a donné (t. II, p. 59-67) qu'un fragment, a été publié par M. Lanéry d'Arc, l. c., p. 35-71. Cf. le P. Ayroles, l. c., p. 243-60, qui ne cite que l'Avis.

[44] Né d'une famille noble de Teramo, dit M. Quicherat (t. II, p. 22 note), il tenait à vingt-cinq ans les assises de la Rote. Pie II, qui l'appelait sa harpe à cause de son éloquence, le fit évêque de Feltre en 1462 ; en 1465, il fut transféré au siège de Trévise. Après avoir été sous trois papes la lumière du tribunal romain, après avoir fait abjurer Georges Podiebrad et rempli les missions les plus importantes, il mourut à l'âge de trente-huit ans. Son mémoire a été publié par M. Quicherat, t. II, p. 22-58. Cf. le Sommaire du Procès, dressé par lui et publié par M. Lanéry d'Arc, p. 17-33.

[45] M. Marius Sepet a été le premier à le faire connaître au grand public par la traduction d'un certain nombre de passages dans la nouvelle édition de sa Jeanne d'Arc parue en 1885 (voir p. 450 et suivantes). Cf. le P. Ayroles, p. 263-270.

[46] C'est ce qui résulte d'une lettre de l'inquisiteur Jean Brehal (Procès, t. II, p. 71), où il est dit : Commisit et injunxit quatenus sapientibus universis, ubicumque expedire viderem, legitima communicando super processu documenta fideliaque extracta, ipsorum sententias percunctarer et exigerem etiam, et ab exteris permaxinæ, ut favor onmis videatur in peculiari causa exclusus ; de la consultation d'Élie de Bourdeille (t. III, p. 306) ; enfin de l'Histoire de Thomas Basin, où on lit (t. I, p. 84) : Pulsis enim de Normannia Anglicis, idem Carolus per plures regni sui prælatos et divini atque humani juris doctos homines, diligenter processum prædictum examinari et discuti fecit ; et de ea materia plures ad eum libellos conscripserunt. Cf. t. IV, p. 93.

[47] Un mémoire fut demandé par Jean Brehal à frère Léonard, professeur de théologie, lecteur du couvent des frères prêcheurs à Vienne en Autriche, et inquisiteur de la foi pour la province de Salzbourg, dont on connaît dix traités ascétiques et moraux dédiés à l'empereur Frédéric III. Lettre datée de Lyon, le 31 décembre (s. d.), dans Quicherat, Procès, t. II, p. 70-71 ; cf. t. V, p. 431.

[48] Son mémoire porte la date du 2 janvier 1453 (Voir Procès, t. III, p. 326-327, et t. V, p. 467) ; il a été publié par M. Lanéry d'Arc, p. 351-93 ; cf. le P. Ayroles, p. 274-291.

[49] Procès, t. III, p. 306-308 ; t. V, p. 442 et 464. Le texte dans Lanéry d'Arc, p. 99-185 ; cf. le P. Ayroles ; p. 359-402.

[50] Procès, t. III, p. 309-314 ; t. IV, p. 355 ; t. V, p. 465 ; Œuvres de Thomas Basin, t, IV, p. 93 et suivantes ; Lanéry d'Arc, p. 187-235 ; cf. le P. Ayroles, p. 320-353.

[51] Procès, t. V, p. 215-217 et 431. Le texte dans Lanéry d'Arc, p. 73-81.

[52] Procès, t. III, p. 319-322, et t. V, p. 466. Le texte dans Lanéry d'Arc, p. 277-322 ; cf. le P. Ayroles, p. 294-310.

[53] Le texte, inconnu jusqu'ici, a été donné par M. Lanéry d'Arc, p. 83-90.

[54] Elle fut remise le 7 avril 1456. Procès, t. III, p. 319-322 ; t. V, p. 466. Le texte dans Lanéry d'Arc, p. 237-268 ; cf. le P. Ayroles, p. 104-136.

[55] Procès, t. III, p. 311-319 ; t. V, p. 466. Le texte dans Lanéry d'Arc, p. 269-276 ; cf. le P. Ayroles, p. 439-446.

[56] On a la trace de nombreux paiements faits, par ordre de Charles VII, Jean Brehal, pour soy aidier à vivre en besoingnant au fait de l'examen du procez de Jehanne la Pucelle. En 1452, il reçoit : 1° 100 l. ; 2° au mois d'août, 27 l. (Cabinet des titres, 685, f. 156 v°) ; 3° en décembre, 27 l. 10 s. (id., p. 164 v°, et Quicherat, t. V, p. 277, avec l'indication fautive de 37 l. 10 s. en 20 écus d'or). En 1454, Jean Brehal reçoit 197 l., pour aller à Rome devers Notre Saint Père le Pape touchant le procès de feue Jehanne la Pucelle, et pour aller à Rouen, devers le cardinal d'Estouteville, luy porter ledit procez (ms. 685, f. 176 v°). En 1456, Guillaume Bouillé et Jean Brehal reçoivent 350 l., pour leurs paines et salaires d'avoir voyagé et travaillé par plusieurs titis pour le fait du procez de feue Jehanne la Pucelle. Plusieurs autres paiements sont faits à cette occasion : un frère prêcheur, Pierre Polet, est envoyé à Rome ; un autre, Robert Roussel, va à Gannat vers le cardinal d'Avignon (id., f. 195). — En 1458 et 1459, le Roi fait encore payer à Jean Brehal : 1° 100 l. ; 2° 70 l. pour voyage par luy fait touchant le procez de feue Jehanne la Pucelle (id., f. 198 et 201 v°).

[57] Cette supplique est extraite du rescrit pontifical, où elle est textuellement reproduite ; nous avons suivi la traduction si bien faite par M. Marius Sepet, l. c., p. 463-465.

[58] Le texte est au Procès, t. II, p. 95-98. Cf. Marius Sepet, l. c.

[59] Martial d'Auvergne, les Vigilles de Charles VII, t. II, p. 27.

[60] L'évêque de Coutances n'était pas là ; il était alors en mission près du duc de Bourgogne.

[61] Bien que Pierre soit nommé seul dans les actes de la réhabilitation, il parait constant que Jean y était également. M. Joseph Fabre le fait justement observer (t. I, p. 21), en s'appuyant sur la rédaction primitive du procès. Voir Procès, t. III, p. 368 et 373.

[62] Ce détail, relevé également par M. J. Fabre, est emprunté à la même source.

[63] Humiliter accedens, et cum magnis gemitibus atque suspiriis eorum pedibus se prosternens... Lacrimabili insinuatione et lugubri deprecatione exposuit. Procès, t. II, p. 82-83. Cf. t. III, p. 368.

[64] Voir cet exposé, p. 83-85. Cf. t. III, p. 368-369.

[65] Dictaque vidua, vociferantibus cum ea assistentibus multis, preces suas geminavet atque repetaret. Procès, t. II, p. 87.

[66] Magna tunc multitudine ad voces eorum occurrente. Procès, t. II, p. 87.

[67] ... Ambiguos atque periculosos judiciorum progressus et exitus baberet debite prænotare. — Si facilis judiciorum egressus, difficilis tamen et periculosus egressus. Procès, t. II, p. 88 et 90.

[68] Cum enim prædicta Johanna... jam a longe tempore in causa fidei, quæ favorabilis est dicenda, judicialiter tracta extiterit, et per graves, doctos et solemnes judices condemnata, est verisimiliter pro sententia eorum præsumendum. Procès, t. II, p. 88.

[69] Procès, t. II, p. 92 ; t. III, p. 372-73. L'énumération que nous donnons ne se trouve que dans la rédaction primitive. On remarquera la présence de Guillaume Bouillé, qui ne cossa de prendre part à la révision du procès de Rouen. On le retrouve aux audiences des 18 novembre et 20 décembre. Ce fut lui qui, de concert avec Jean Patin, sous-inquisiteur, et Jean du Mesnil, fut chargé de l'audition des témoins à Orléans du 22 février au 16 mars 1456.

[70] Procès, t. II, p. 98-106.

[71] Voir la teneur des lettres de citation, en date du 17 novembre, t. II, p. 113 et 125.

[72] Isabelle et ses deux fils avaient donné, en date des 18 et 24 novembre, des lettres de procuration. Voir t. II, p. 108 et 112.

[73] Voir la traduction latine, t. II, p. 139-149.

[74] Voir le texte, Procès, t. II, p. 163-191.

[75] Voir Procès, t. II, p. 198-205 ; cf. Wallon, Jeanne d'Arc, t. II, p. 323-24.

[76] Lettres des délégués, en date du 20 décembre 1455, commettant Regnault de Chichery, doyen de Notre-Dame de Vaucouleurs, et Gautier Thierry, chanoine de l'église de Toul, pour procéder à celte information. Procès, t. II, p. 382 et suivantes.

[77] Lettres des délégués donnant ordre de citer dix-sept témoins, nominativement désignés. Procès, t. II, p. 159, et t. III, p. 40.

[78] Voir leurs dépositions, Procès, t. III, p. 129-185. C'étaient Pierre Migier, prieur de Longueville, Guillaume Manchon, Jean Massieu, Guillaume Colles, dit Bois-Guillaume, Martin Ladvenu, Nicolas de Houppeville, Jean l'abri ou Le Fèvre, évêque de Démétriade, Jean Lemaire, Nicolas Caval, Pierre Cusquel et André Marguerie. — Ces témoins furent interrogés sur les articles rédigés par le promoteur Chapitault et admis définitivement le 20 décembre suivant.

[79] Procès, t. II, p. 205 et 270.

[80] Voir Procès, t. II, p. 212-259. Cf. Wallon, t. II, p. 325-30 ; Fabre, t. I, p. 140-143 et 306-320. — On se demande comment M. Quicherat a pu dire (Aperçus nouveaux, p. 151) : Quant au formulaire d'après lequel eurent lieu les interrogatoires, tant à Orléans qu'à Paris et à Rouen, il manque au procès. — On possède, en effet, et M. Quicherat a publié : 1° les 12 et les 27 articles servant de formulaire pour l'enquête de 1452 (t. II, p. 293-299) ; 2° les 101 articles dont les 33 premiers servirent de formulaire pour l'enquête de 1455-56 (t. II, p. 213-259) ; 3° les 12 articles servant de formulaire pour l'enquête faite au pays de la Pucelle (t. II, p. 385-86).

[81] Procès, t. III, p. 43.

[82] Procès, t. III, p. 46-62.

[83] Procès, t. II, p. 387-463.

[84] Nous n'avons pas à aborder ici cette grave question de la mission de Jeanne d'Arc que le procès de réhabilitation mit en pleine lumière et qui a été si étrangement obscurcie de nos jours. Nous renverrons à nos brochures de 1856 et 1857, et à un article publié sous ce titre : Jeanne d'Arc et sa mission, dans la Revue des questions historiques du 1er octobre 1867 (t. III, p. 383-416).

[85] En tout trente-quatre témoins.

[86] Procès, t. II, p. 268.

[87] Sans compter les dépositions recueillies en 1450 et en 1452.

[88] L'exact et judicieux de l'Averdy. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 125.

[89] L'Averdy, L c., p. 531.

[90] Le 22 février 1456, on avait entendu le comte de Dunois ; le 25 février, le sire de Gaucourt ; le 7 mars, François Garivel, général sur le fait de la justice des aides ; le 8 mars, Guillaume de Ricarville et Regnault Thierry, chirurgien du Roi ; le 16 mars, Jean Luillier et les habitants d'Orléans ; le 3 avril, Jean Monnet, chanoine de Paris, ancien serviteur de Jean Beaupère, et Louis de Coutes, page de la Pucelle ; le 5, Gobert Thibault, écuyer d'écurie du Roi ; le 20, Simon Beaucroix ; le 30, Jean Barbin, avocat au Parlement, et Marguerite la Touroulde ; le 3 mai, le duc d'Alençon ; le I, Jean Pasquerel ; le '1, Simon Charles, Thibaud d'Armagnac dit de Termes, Haimanet de Macy ; le 11, Pierre Milet et sa femme, et Aignan Viole, avocat au Parlement ; du 10 au 12 on avait interrogé de nouveau à Rouen plusieurs témoins précédemment entendus ; le 14 mai, Jean Séguin fit sa déposition. Enfin, le 28 mai, à Lyon, deux notaires recueillirent la déposition de Jean d'Aulon, l'ancien maitre d'hôtel de la Pucelle.

[91] Procès, t. III, p. 334-349, et t. V, p. 429-430, 462, 470 ; texte complet dans Lanéry d'Arc, l. c., p. 395-563. Cf. le P. Ayroles, p. 453-598.

[92] Marius Sepet, l. c., p. 475-476.

[93] Procès, t. III, p. 265-275.

[94] Procès, t. III, p. 275-297.

[95] Procès, t. III, p. 350.

[96] On a la trace de dons faits aux délégués apostoliques par le Roi. L'évêque de Coutances reçut 275 l. pour ses paines et salaire de ce qu'il avait besongné avec et en la compagnie de maistre Guillaume Bouillé, et autres commissaires, au fait du procez de Jehanne la Pucelle ; l'archevêque de Reims reçut 200 l. ; l'évêque de Paris, 200 l. — Nous trouvons en outre des gratifications faites à Guillaume Bouillé, à Pierre Manger, à Simon Chapitault, à Denis le Comte, à François Fierrebourg, tous commissaires ordonnez par le Roy pour le fait du procez de feue Jehanne la Pucelle, pour leurs paines et salaires d'avoir vacqué et besongné audit procez en la ville et citté de Rouen, pour la justification de ladicte feue Jehanne la Pucelle à l'encontre des Anglois, anciens adversaires du royaume, et mesmement pour ledit procez faire notablement escrire et multiplier en six livres ou volumes desquels les deux seront pour le Roy et les autres quatre pour les juges. Cabinet des titres, 685, f. 198.

[97] Procès, t. III, p. 355-62. — Nous avons suivi, sauf de très légères modifications, l'excellente traduction de M. Marius Sepet, l. c., p. 478 et suivantes.

[98] Procès, t. III, p. 367.

[99] Notices et extraits des manuscrits, t. III, p. 208.

[100] Aperçus nouveaux, p. 152.

[101] Jeanne d'Arc, t. II, p. 339 note. De ce que la réhabilitation, œuvre judiciaire, est incomplète au point de vue historique, disions-nous en 1857, il ne s'en suit nullement qu'elle ne dise pas tout ce qu'elle devait dire. Un dernier mot à M. Henri Martin, p. 48. Voir dans cet opuscule la réfutation du système soutenu par M. Henri Martin, sur lequel il nous parait superflu de nous arrêter ici.

[102] Aperçus nouveaux, p. 149.

[103] Aperçus nouveaux, p. 150.

[104] Voir les pages remarquables où M. Wallon, prenant à partie le contradicteur que les juges commissaires ont tant de fois assigné sans le voir paraître, et qui s'est levé enfin de nos jours, établit, contre M. Quicherat, les illégalités et la flagrante iniquité du procès de condamnation, et par là même venge Charles VII et les juges de la réhabilitation des injustes soupçons qu'on n'a pas craint de formuler à leur égard.

[105] Voir la réfutation des erreurs où sont tombés MM. Quicherat et Henri Martin, dans l'Histoire  de Jeanne Darc et réfutation de diverses erreurs publiées jusqu'à ce jour, par M. Villiaumé (Paris, 1863, in-12), p. 369-77, et passim ; et dans Procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, par Joseph Fabre (1888), t. I, p. 66, note 1, 140, 320 note et passim.