HISTOIRE DE CHARLES VII

LIVRE III. — CHARLES VII DEPUIS LE TRAITÉ D'ARRAS JUSQU'À LA TRÊVE AVEC L'ANGLETERRE - 1435-1444.

 

CHAPITRE XIV. — RELATIONS AVEC ROME ET BÂLE (suite). 1438-1444.

 

 

Le conciliabule de Bâle, malgré les représentations de Charles VII, prononce la déposition d'Eugène IV. — Correspondance de Charles VII-avec le Pape ; celui-ci se plaint de l'absence des prélats français au Concile de Florence et exhorte le Roi à rompre ouvertement avec le conciliabule de Bâle. — Décret d'union avec l'Église grecque, rendu à Florence. — Difficulté avec le Pape relativement au siège épiscopal d'Angers ; lettre véhémente d'Eugène IV à ce sujet. — Nouvelle ambassade de Charles VII au Pape ; réponse du Pape. — Nomination de l'antipape Félix V ; le Roi refuse de le reconnaître ; convocation d'une assemblée du clergé. — Assemblée de Bourges, tenue 'en présence des envoyés du Pape et du conciliabule de Bâle ; le Roi déclare demeurer dans l'obédience d'Eugène IV ; il poursuit la tenue d'un nouveau Concile général, et maintient la Pragmatique sanction. — Réponse du Pape à la notification des résolutions de l'Assemblée de Bourges ; il réclame hautement l'abrogation de la Pragmatique. — Difficultés que rencontre le Roi de la part de l'université de Paris ; on vent donner à la Pragmatique un effet rétroactif ; Charles VII s'y refuse. — Nouvelle ambassade au Pape ; discours de l'évêque de Meaux. — L'évêque de Brescia est envoyé comme nonce en France ; instructions qu'il reçoit. — Projet d'un Concordat entre le Saint-Siège et la France ayant pour base l'abolition de la Pragmatique sanction ; teneur de ce Concordat ; réponse de la chancellerie royale aux propositions du Pape. — Charles VII renonce à demander la réunion d'un nouveau Concile ; fin du conciliabule de Bâle ; Eugène IV rentre à Rome.

 

Tandis que le clergé de France se faisait l'exécuteur des décrets du Concile de Bâle et que Charles VII, se conformant aux décisions de l'assemblée de Bourges, poursuivait sa politique de conciliation entre le Pape et le conciliabule en révolte, le gouvernement de Henri VI rompait ouvertement avec Bâle. Dès le 9 janvier 1438, le roi d'Angleterre avait pris l'initiative ; au mois de mars suivant, une assemblée du clergé, tenue à Rouen, s'était prononcée en faveur d'Eugène IV[1].

Une ambassade française ne tarda pas à partir pour Bâle. Elle avait mission de faire approuver les modifications que la Pragmatique apportait aux décrets du Concile, et d'inviter les Pères à suspendre toute procédure contre le Pape[2]. De Bâle, les ambassadeurs se rendirent à la diète de Nuremberg, où, d'accord avec l'empereur Albert et les princes électeurs, qui venaient de se déclarer pour la neutralité entre le Pape et le Concile (17 mars 1438), une proposition d'arrangement fut formulée. On s'en rapporterait à la médiation du roi des Romains et du roi de France ; une mise en demeure serait adressée au Pape et au Concile pour la tenue d'un synode universel, qui se réunirait dans l'une de ces trois villes, Strasbourg, Constance ou Mayence, en vue d'arriver à l'union[3]. Cette proposition, communiquée aux Pères de Bâle, fut éludée. En vain Charles VII, dans une lettre qui parait avoir été écrite au mois de mai 1439[4], fit auprès d'eux une dernière tentative, exprimant son étonnement de ce qu'ils montraient moins de zèle que les princes pour la paix de l'Église, et les conjurant de ne point passer outre à l'égard du Souverain Pontife. Sourde à toutes les représentations, l'assemblée de Bâle, qu'un auteur peu suspect a justement appelée une troupe de factieux[5], ne craignit point de consommer la série de ses attentats contre le Siège apostolique : dans sa trente-quatrième session (25 juin 1439), elle prononça la déposition formelle d'Eugène IV, comme désobéissant, opiniâtre, rebelle, violateur des canons, perturbateur de l'unité ecclésiastique, scandaleux, simoniaque, parjure, incorrigible, schismatique, hérétique endurci, dissipateur des biens de l'Église, pernicieux et damnable, et défendit à tous de le reconnaître, déclarant ceux qui n'obéiraient point à ce décret déchus par le seul fait de leurs dignités, fussent-ils évêques, archevêques, patriarches, cardinaux, rois ou empereurs[6].

Telle est la décision qu'osait prendre une assemblée où l'on ne comptait plus que vingt prélats, dont sept seulement étaient évêques, tous ennemis jurés du Pape, la plupart décriés pour leur mauvaise conduite[7] ! Elle souleva d'unanimes protestations parmi les princes chrétiens.

Cependant un revirement commençait à s'opérer au sein de l'Église de France. Aux États de Languedoc, tenus au mois d'avril 1439, il fut décidé qu'on enverrait vers le Roi pour le prier de protéger la dignité du Siège apostolique et de ne point permettre que le Concile de Bêle mit la division dans l'Église[8]. Le Pape, à cette occasion, écrivit aux États une lettre de remerciement[9].

Charles VII, voyant à quelles extrémités allaient se porter les Pères de Bâle, leur écrivit la lettre dont nous venons de parler. En même temps il remit à Thomas de Narduccio, qui retournait vers le Pape, une lettre pour celui-ci. Nous avons la réponse d'Eugène IV. Elle vise à la fois la missive en question et une autre communication, faite un peu auparavant par le sire de Gaucourt, l'évêque de Conserans, Tanguy du Chastel, et plusieurs autres conseillers du Roi, dont la mission avait principalement pour objet les affaires du roi René.

Le Pape avait éprouvé une grande consolation en recevant la communication du Roi, car il avait reconnu la droiture de

son cœur et l'excellence de ses sentiments envers le Saint-Siège. Il le félicitait du soin et de l'empressement qu'il mettait

à empêcher que l'Église de Dieu ne fût déchirée par le schisme et à maintenir la dignité et l'honneur du Siège apostolique. Votre piété et votre courage, disait-il, sont nécessaires à l'Église de Dieu, pour qu'elle ne soit plus exposée au danger d'être déchirée par la main des impies, mais qu'elle soit délivrée de tant de troubles et de tempêtes- soulevées depuis longtemps dans son sein par la perversité des Pères de Bâle. Ce doit être pour vous comme pour nous, très cher fils, un sujet de profonde affliction de voir à notre époque Satan, l'ennemi de notre salut, déchaîner à un tel point sa fureur parmi ces fils de l'iniquité, assemblés dans un esprit de division et devenus un foyer de scandale. Après avoir montré que l'intervention des princes chrétiens avait seule arrêté l'assemblée de Bâle dans ses témérités, il ajoutait : Mais si grand est votre dévouement à notre personne et à ce Saint-Siège, si grands sont le soin et le zèle que vous apportez à préserver l'Église de tout schisme, que jusqu'ici vous avez été et nous ne doutons pas que vous ne soyez toujours un obstacle insurmontable aux funestes tentatives de nos adversaires, qui sont en même temps ceux de la foi de Jésus-Christ et de sa sainte Église. Aussi quoique, sous prétexte d'un bien à faire, certains esprits pervers (aliqui reprobi) aient essayé peut-être de vous pousser à quelque entreprise contre l'autorité de ce Saint-Siège, nous n'hésitons pas à croire que Votre Sérénité, marchant sur les traces de ses ancêtres, conservera dignement ce beau, ce magnifique nom de Rois très chrétiens que portent les rois de France et qu'ont jusqu'ici rendu célèbre leurs bienfaits envers l'Église.

Le Pape s'élevait ensuite avec vigueur contre l'appellation de Concile dont se servait encore le Roi. Une telle expression ne peut être employée en parlant d'une assemblée qui est plutôt un conciliabule de gens pleins de méchanceté, une synagogue perfide de pharisiens livrant le Christ, et dont les œuvres perverses ont tendu durant tant d'années à fouler aux pieds l'autorité des Souverains Pontifes, à troubler la paix et la foi du peuple chrétien. Que désormais Votre Sérénité n'appelle plus Concile la réunion de ces séditieux, de ces réprouvés, retranchés de l'Église de Dieu, et rejetés comme le rebut du monde, puisqu'aucun Concile légitime n'a jamais existé ni ne peut exister sans être appuyé sur l'autorité du Siège apostolique.

Le Pape dénonçait en même temps la fin à laquelle tendait le conciliabule de Bâle. Ce conciliabule dit une chose, et c'est une autre chose qu'il pense ; il veut l'union avec les Grecs, et il ne cherche qu'à diviser les esprits : Ce n'est pas le triomphe de la foi orthodoxe a à cœur, c'est le schisme et la division... Comment exhorter les autres à rentrer dans le sein de l'Église catholique, quand on s'en est séparé soi-même par orgueil ?... Les Grecs sont près de nous depuis plus de quinze mois ; c'est avec la tête, et non avec les membres corrompus et séparés du' corps qu'ils ont voulu traiter de la concorde et de l'union. Ici venait un reproche direct sur l'absence des prélats du royaume au Concile de Florence[10] : Nous nous étonnons un peu, lorsque le concours de votre autorité eût été si utile à la rentrée des Grecs dans l'unité catholique en même temps que si honorable pour vous, de ce que, en vue d'un si grand bien, vous n'ayez envoyé personne à ce Concile œcuménique pour participer, vous aussi, aux mérites résultant d'un tel acte, comme vous l'aviez promis dans des lettres adressées par vous, soit à notre personne, soit aux Grecs. Les ambassadeurs annoncés par le Roi comme devant prendre part à l'affaire de l'union des deux Églises, ne sont point encore venus, plus occupés qu'ils ont été, disait le Pape, à ébranler notre pouvoir qu'à traiter de la paix. En effet, dans les lieux où ils se sont trouvés, rien n'a été imaginé à notre préjudice qu'ils n'y aient donné en votre nom leur assentiment ; bien plus, ils ont excité les autres à faire comme eux, au mépris de votre volonté et des instructions reçues de vous. Ici le Pape désignait nominativement l'archevêque de Tours (Philippe de Coëtquis). Rappelé de Bâle par le Roi, ce prélat avait promis de s'amender ; et maintenant il se montrait plus ardent que jamais dans ses attaques contre le Souverain Pontife, au mépris des bienfaits qu'il avait reçus et des serments prêtés par lui. Le Pape demandait qu'il fût rappelé de nouveau, afin qu'il ne vînt pas auprès de sa personne ; car, disait-il, celui qui a semé la zizanie n'est en aucune façon propre à traiter de la concorde et de la paix.

Le Pape finissait par un éloquent appel au Roi. C'est à vous surtout qu'il appartient, si vous désirez conserver le nom glorieux de Roi très chrétien, de vous présenter comme un bouclier pour la défense du Siège apostolique et pour la nôtre. Vous devez donner à tous le bon exemple et faire que, si d'autres préfèrent être les fils d'une marâtre plutôt que les fils de l'Église, vous reconnaissiez, vous, en vrai fils, votre véritable mère, lui conservant son honneur dans toute son intégrité. Rappelez donc les députés que vous auriez à Bâle, et ordonnez à vos sujets qu'ils aient à s'éloigner incontinent de ce conciliabule, afin que sa contagion ne souille point votre honneur, et ne vienne point, — non par votre faute, mais par la malignité des autres,ternir l'éclatante dignité et la splendeur d'une si noble Couronne[11].

Au moment où Eugène IV écrivait cette belle lettre, où il exprimait le 'regret que la France ne fût point représentée au Concile de Florence, un grand événement était à la veille de s'accomplir. Après de longues discussions, à travers des difficultés qui avaient pu paraître insurmontables, l'accord s'était établi entre le Concile et les représentants de l'Église grecque. Le 9 juin 1439, le Pape constatait le fait ; le 6 juillet suivant était publié le décret d'Union : Que les Cieux se réjouissent et que la terre tressaille, disait le Pape, car le mur qui séparait l'Église d'Occident et l'Église d'Orient a été détruit, et la paix est revenue avec la concorde ! Paix fondée sur une pierre angulaire, le Christ, qui des deux Églises n'en. a fait qu'une, qui les a unies par le lien indissoluble de la charité, et qui conservera cette union par le bienfait d'une perpétuelle unité.... Le 26 août suivant, l'empereur Jean Paléologue quittait Florence pour retourner à Constantinople[12].

Au milieu de ces échanges de communications entre Eugène IV et Charles VII, où le Pape se montrait si plein de déférence envers la couronne de France, surgit une difficulté qui faillit amener un changement dans ces relations.

Le siège d'Angers était devenu vacant par la mort d'Hardouin de Bueil (18 janvier 1439). Aussitôt, le chapitre de Saint-Maurice, conformément à la Pragmatique, avait demandé au Roi l'autorisation de procéder à la nomination d'un nouvel évêque, et cette autorisation avait été donnée[13]. Le 20 février 1439, le chapitre nommait à la dignité épiscopale Jean Michel, secrétaire de la reine Yolande[14]. Les vicaires généraux du siège archiépiscopal de Tours, en l'absence du métropolitain, alors à Bâle, furent sollicités de confirmer l'élection ; cette formalité fut accomplie par acte du 21 mars 1439. Mais, sur ces entrefaites, Guillaume d'Estouteville, fort avant dans les bonnes grâces du Pape, obtint de lui d'être promu à l'évêché d'Angers : le 24 avril 1439, il présenta au chapitre la bulle de nomination. Après deux jours d'examen, les chanoines rejetèrent cette bulle et en appelèrent au Concile de Bâle. Les Pères déclarèrent que le chapitre d'Angers n'avait fait qu'user de son droit. De son côté, Charles VII, auquel Jean Michel avait déjà prêté serment de fidélité, soutint énergiquement le nouvel évêque. Le Pape, maintenant les droits de Guillaume d'Estouteville, excommunia son concurrent. La sentence d'excommunication fut annulée par les Pères de Bâle (décret du 14 juin). Cependant Jean Michel n'avait pu trouver, dans la province ecclésiastique, aucun évêque qui voulût le consacrer ; il fallut une circonstance fortuite — la présence à Angers de trois prélats venant de Bâle — pour que cette cérémonie pût s'accomplir ; elle le fut à la date du 3 mai 1439.

Jean Michel était d'une piété exemplaire. Tout d'abord, dans son humilité, il avait décliné le fardeau de l'épiscopat, et n'avait cédé que sur les instances du clergé et du peuple. Par la sainteté de sa vie, l'intégrité de ses mœurs, la profondeur de sa science, il était à la hauteur de la dignité qui lui était conférée. Guillaume d'Estouteville avait lui-même, comme archidiacre d'Outre-Loire dans l'église d'Angers, coopéré à son élection ; mais une fois en possession de l'investiture du Pape, il disputa vivement le siège épiscopal à Jean Michel.

Eugène IV ayant reçu une communication du Roi au sujet de cette compétition, se montra très offensé des termes employés dans la missive royale. Il lui écrivit pour se plaindre du ton plein d'irrévérence, des expressions insolentes dont avait usé le secrétaire ignorant que seul il voulait rendre responsable ; il affirma hautement son droit, allant jusqu'à qualifier Jean Michel d'homme sans mérite et incapable ; il s'éleva contre le maintien des ordonnances iniques dressées à Bourges, au mépris des avis donnés au Roi par des hommes remplis de science et de vertu, ordonnances qui entraîneraient la perte de son âme, et qu'il voulait croire écrites contre sa volonté et contre ses intentions[15].

Cependant le Pape ne tarda pas à abandonner la lutte. Jean Michel resta paisible possesseur du siège d'Angers[16] ; dans le courant de 1439, Eugène IV donna à Guillaume d'Estouteville le siège de Digne, et, le 18 décembre, il le promut à la dignité de cardinal.

Cet incident n'altéra point les bons rapports entre le Roi et le Souverain Pontife. Au mois d'août 1439, Charles VII fit partir une nouvelle ambassade ; elle se composait de Robert Ciboule, docteur en théologie, et de quatre autres conseillers, et apportait de nouvelles assurances de filial dévouement à l'Église romaine et d'attachement à la personne du Pape. Eugène IV répondit par un bref exprimant la gratitude et la consolation que lui faisaient éprouver les incessants efforts du Roi pour conserver l'unité de l'Église, détruire les scandales, protéger la dignité des pontifes romains et défendre l'autorité du Siège apostolique.

Vous voyez, disait-il, jusqu'où a pu aller l'aveugle fureur de ce conciliabule de Bâle ; vous reconnaissez maintenant ce que tant de fois nous vous avons écritquels complots trame cette synagogue diabolique : ce n'est plus en secret, c'est ouvertement qu'elle travaille à mettre le schisme dans l'Église catholique, à diviser la robe sans couture du Christ. Le venin, conçu depuis si longtemps dans son sein, en sort et s'élance pour perdre les âmes et jeter le trouble dans la Société chrétienne... Mais votre prudence doit prendre les précautions nécessaires pour empêcher cette contagion sacrilège de souiller aucunement votre royaume. C'est le devoir d'un roi catholique et très chrétien ; c'est ce qu'exige un royaume si grand par sa puissance, c'est ce que réclament la grandeur et la vertu de vos ancêtres.

Faisant allusion à la conduite de Charles VII à la nouvelle du décret de déposition rendu par les Pères de Bâle en date du 23 juin, Eugène IV félicitait le Roi de la sainte détermination prise par lui d'ordonner qu'on obéit au Pape cornait auparavant ; mais il fallait davantage : il fallait rappeler au devoir, par des peines sévères, ceux de ses sujets gui demeuraient dans cette fange empestée en la favorisant de leurs conseils et de leur crédit ; il ne fallait plus donner le nom de Concile à une telle réunion d'hommes pervers et rebelles. Le duc de Bourgogne, qui vient de défendre d'obéir à leurs décrets, se borne à leur conserver le nom de Pères, par respect pour leur caractère. Si tous les princes en faisaient autant, leur audace en serait refroidie, et ils songeraient phis à se sauver eux-mêmes qu'à perdre les autres. Cependant aucun roi, aucun prince fidèle ne lui a refusé l'obéissance qu'on a coutume de lui rendre. Le Pape espère donc que le Roi, dont le principal soin parait être de conserver l'unité de l'Église et de défendre l'autorité du Siège apostolique, prendra ouvertement en main la défense de la foi et réprimera les tentatives de ceux qui n'ont aucune autorité ni divine ni humaine.

Le Pape annonçait au Roi, en terminant, qu'il venait de rendre un décret, dont il lui envoyait copie, condamnant les Pères de Bâle[17].

Ce décret, rendu le 4 septembre 1439, prononçait l'excommunication et la déposition de tons ceux qui faisaient partie du conciliabule et annulait leurs décisions[18].

Le 5 novembre suivant, les Pères de Bâle nommaient un Pape, et leur choix se fixait sur le duc de Savoie, Amédée VIII. Charles VII fit aussitôt savoir par ses ambassadeurs que le Roi très chrétien, à l'exemple de ses ancêtres, voulait bien écouter l'Église lorsqu'elle était légitimement assemblée, mais qu'il ne reconnaissait point au Concile le droit de déposer le Pape et de lui nommer un successeur ; il entendait donc persister dans l'obédience d'Eugène IV, jusqu'à ce qu'il eût été instruit pins à fond sur la matière par un Concile œcuménique, ou par l'Église gallicane dont il entendait provoquer la réunion. Le Roi fit en même temps connaître au Pape sa décision[19].

Eugène IV n'entendait point laisser à une assemblée, quelle qu'elle fût, la faculté de décider entre lui et l'antipape ; pourtant il écrivit à Charles VII pour le remercier de ses bonnes dispositions et désigna des ambassadeurs pour se rendre à la réunion projetée. Dans la promotion de cardinaux faite le 18 décembre 1439, le chancelier de France Regnault de Chartres fut élevé à cette dignité[20].

L'assemblée du clergé de France avait été convoquée à Bourges pour le 15 octobre ; mais, absorbé par la tenue des États généraux, le Roi prorogea la réunion au 20 novembre[21]. Une ambassade du pape était à Angers, près du Roi, à la fin de cette année[22]. Une autre ambassade, à la tête de laquelle était l'archevêque de Crète, se rendit en France dans l'été de 1440 : elle avait pour mission d'inviter le Roi à poursuivre son œuvre de pacification, à rompre ouvertement avec le conciliabule de Bâle, et à rappeler ses ambassadeurs[23].

Retardée par la Praguerie, l'assemblée du clergé de France fut tenue à Bourges au mois d'août 1440. Elle s'ouvrit eu présence d'un grand nombre de prélats et de docteurs de l'université. L'archevêque de Crète représentait le Souverain Pontife ; Jean de Ségovie et Thomas de Courcelles avaient été députés par le conciliabule de Bâle.

On entendit d'abord le légat pontifical. Il demanda : 1° que le Roi réprouvât tout ce qui s'était fait à Bâle depuis la translation du Concile à Ferrare et donnât son approbation à ce qui y avait été fait ; 2° qu'il ne donnât en aucune manière son assentiment à la déposition du Pape et à l'élection du duc de Savoie ; 3° qu'il n'envoyât point de représentants à la diète de Mayence (provoquée par l'empereur Frédéric III), sans s'être entendu avec le Pape ; 4° qu'il révoquât la Pragmatique sanction : le Pape promettait d'entrer en arrangement à ce sujet avec le Roi.

Thomas de Courcelles prit le lendemain la parole, au nom des Pères de Bâle, et prononça un long discours[24].

Les délibérations de l'assemblée durèrent six jours. Elles se terminèrent le 2 septembre, par une déclaration que Jean d'Étampes, doyen de Poitiers, lut en assemblée générale, le Roi présent. Cette déclaration était conçue en ces termes : Le Roi, comme prince très chrétien, suivant les traces de ses ancêtres, proteste qu'il est prêt d'obéir à l'Église légitimement assemblée. Considérant en outre qu'un doute très sérieux s'est manifesté, parmi un grand nombre d'hommes probes et graves sur la question de savoir si la suspension et la déposition prononcées à Bâle et si l'élection qui s'en est suivie ont été faites conformément au droit et à la justice, d'une façon canonique et légitime ; que le même doute s'est produit sur la question de savoir si, au temps où ces décisions ont été discutées et prises, l'assemblée de Bâle représentait suffisamment l'Église universelle pour trancher des matières si importantes et si ardues, qui intéressent de si près toute l'Église, le Roi, n'étant point à ce sujet suffisamment informé, déclare persévérer et demeurer dans l'obédience du pape Eugène où il est présentement. Quand il sera dument éclairé à ce sujet, soit par un Concile œcuménique ou un autre Concile général, soit par une assemblée générale de l'Église gallicane, convoqués d'une manière plus solennelle et plus ample, avec les ducs et barons de son royaume, et avec ses alliés, ou dans une convention des princes chrétiens, alors, la chose une fois élucidée au moyen d'une discussion approfondie, le Roi se prononcera, et adhérera à la vérité proclamée par l'Église catholique[25].

Il résulte d'une lettre de Nicolas de Clamanges, en date du 9 septembre, que tout en déclarant vouloir demeurer dans l'obédience d'Eugène IV, le Roi manifesta l'intention de ne point reconnaître comme Concile l'assemblée de Ferrare, et de maintenir inviolablement la Pragmatique ; il continuait, d'ailleurs, à se prêter, d'accord avec le nouveau Concile général, à des modifications sur les points qui pouvaient paraître trop rigoureux[26]. Le Roi réclamait donc la convocation de ce Concile, et demandait qu'il eût lieu en France.

Tels étaient les résultats qui découlaient de l'assemblée du clergé : 1° l'Église gallicane entendait demeurer fidèle à Eugène IV et ne voulait reconnaître d'autre Pape que lui ; 2° elle demandait la réunion d'un nouveau Concile général pour porter remède au schisme. — Les envoyés de Bâle furent chargés de déclarer aux Pères qu'ils devaient suspendre leurs censures et leurs anathèmes, et s'appliquer à rétablir la paix dans l'Église. Enfin, l'assemblée autorisa la levée d'une décime destinée à faire face aux frais des ambassades qui travailleraient à pacifier le différend.

Conformément aux décisions de l'assemblée et à la déclaration faite eu congrégation générale, Charles VII donna (2 septembre) des lettres patentes, dans lesquelles il déclarait que, suivant l'exemple de ses prédécesseurs, qui toujours avaient eu les schismes en très grande déplaisance et s'étaient employés de tout leur pouvoir à les extirper, ester et tollir, il déclarait persister en la bonne et vraye obéissance du pape Eugène, et entendait que sa volonté fût publiée et denoncée à tous ses sujets, défendant que nul ne fut si hardy de dogmatiser ou de precher contrairement à sa décision, et d'obéir à aucunes lettres émanant de quelconque soy disant avoir droit au Papat ni d'autres quelconques sous le titre de Conseil de Bâle ; déclarant en outre qu'il demandait au Pape d'assembler, dans le délai d'un an, un nouveau Concile général, pour l'apaisement des opinions diverses estans ès matières dessusdites, sur lesquelles, avons tousjours esté, sommes et serons prests d'obeir à toute verité catholique[27].

Le même jour, le Roi, voulant donner satisfaction à certaines requêtes présentées par les envoyés des Pères de Bâle, donna d'autres lettres défendant de recevoir ou de mettre à exécution dans son royaume aucunes lettres de citations, suspensions ou privations de bénéfices, ou autres censures, à l'occasion des divisions survenues entre le Pape et le Concile, non plus que de laisser prendre possession, par ces voies et moyens, des bénéfices, dignités, prélatures ou de tout autre office, déclarant vouloir maintenir dans son intégrité la teneur de sa Pragmatique sanction[28].

Ainsi, tout en demeurant dans l'obédience d'Eugène IV, Charles VII refusait de faire droit aux requêtes du Souverain Pontife, relativement à la Pragmatique.

Le Roi écrivit au Pape pour lui faire part de ses résolutions. Nous avons la réponse d'Eugène IV à cette communication. Au milieu de félicitations sur le Conseil dignement et saintement tenu, sur les sentiments exprimés par le Roi, qui témoignaient de sa vertu, de son dévouement, de sa sagesse, sur l'acte digne de toute louange et d'une gloire immortelle qu'il avait accompli et qui lui assurerait les bénédictions du Ciel ; tout en reconnaissant la pureté des intentions du Roi, la sincérité de son âme, il insistait sur la nécessité de révoquer la Pragmatique sanction, rédigée récemment à Bourges, au mépris de tout droit divin et humain, non par lui — comme on l'en avait assuré — mais par des hommes recherchant leur intérêt propre et non celui de Jésus-Christ, et en vue de diminuer l'obéissance qu'on avait toujours gardée dans le royaume de France à l'égard des Pontifes romains et d'affaiblir l'autorité du Siège apostolique. — Cette Sanction, ajoutait le Pape, doit être abrogée par vous, afin que tout le monde sache que vous voulez conserver le soin de défendre l'autorité suprême de ce Siège et la nôtre, soin que vous a pour ainsi dire légué le dévouement héréditaire de vos ancêtres[29].

Malgré les déclarations solennelles et les ordres formels de Charles VII, le clergé de France ne fut point unanime à suivre la ligne de conduite qui lui était tracée. L'université de Paris, qui avait eu une si grande part dans les délibérations du Concile de Bâle, prit ouvertement le parti de Félix V, et l'on vit paraître des mémoires, émanant de docteurs de l'université, pour justifier l'élection de l'antipape. C'est évidemment à l'occasion de ces dissidences que le Roi donna, à la date du 21 novembre 1440, de nouvelles lettres, par lesquelles il reproduisait sa déclaration du 2 septembre portant qu'il persistait dans l'obédience d'Eugène IV en attendant la réunion d'un Concile œcuménique[30]. En même temps, conformément aux décisions de l'assemblée de Bourges, il ordonna la levée d'une décime sur le clergé, afin de subvenir aux frais des ambassades qu'il se proposait d'envoyer en diverses régions pour travailler à l'extinction du schisme[31].

Charles VII se fit représenter à la diète de Mayence, tenue le 2 février 1441. C'est d'accord avec ses ambassadeurs qu'une résolution fut prise en faveur de la convocation d'un nouveau Concile général pour le ter avril 1442. Ce Concile devait se réunir, non à Bâle ou à Florence, mais dans une autre ville, pour travailler à la pacification de l'Église. Des ambassadeurs devaient être députés au Pape et aux Pères de Bâle pour les informer de cette résolution. S'ils se refusaient à désigner, parmi les lieux indiqués, celui où siégerait le Concile, il était déclaré que le roi des Romains prendrait sur lui de faire ce choix[32].

Cependant, les princes électeurs de l'empire persistaient à garder la neutralité entre Eugène IV et les Pères de Bâle. Bien plus, ils se montraient si peu disposés à abandonner ceux-ci, qu'ils voulaient que le Pape acceptât les décrets réformateurs des conciles de Constance et de Bâle et faisaient de cette acceptation une condition de leur déclaration d'obédience.

Charles VII se trouvait en présence d'exigences d'une autre nature, qui rendaient sa situation délicate. On voulait donner à la Pragmatique un effet rétroactif, et en faire l'application à partir de la date du décret du Concile de Bâle relatif aux élections. La conséquence était l'annulation des promotions faites depuis lors par le Pape, soit aux dignités ecclésiastiques, soit aux bénéfices. Le Roi dut réagir contre ces tendances. Par une ordonnance en date du 7 août 1441, il déclara que, puisque les réserves apostoliques avaient pu s'exercer jusqu'à la date de la Pragmatique, et que, conformément aux arrangements pris avec le Pape, celui-ci avait pu librement exercer son droit, il entendait que toutes les promotions faites par le Pape, depuis le moment où cet arrangement avait été passé jusqu'à la date de la Pragmatique, fussent regardées comme valables[33].

A la fin de cette année une ambassade, composée de Pierre de Versailles, évêque de Meaux, Alain de Coëtivy, évêque d'Avignon, et Robert Ciboule, docteur en théologie, partit pour aller trouver le Pape. Elle fut reçue dans le consistoire, du 16 décembre 1441. Pierre de Versailles prononça un long discours, dont le texte nous a été conservé[34] ; il insista sur la nécessité d'un nouveau Concile, le danger d'un refus du Pape à se prêter à sa convocation ; il condamna, d'ailleurs, en termes très vifs, les entreprises des Pères de Bâle, qu'il compara aux fureurs de l'Antéchrist. Il termina par ces paroles :

J'ai voulu dire ces choses publiquement, afin de faire briller aux yeux de tous les pieuses et saintes intentions de notre Roi très chrétien. Il ne suit point en cette affaire les inspirations de la chair et du sang, mais il s'attache uniquement à accomplir la volonté de Dieu le Père qui est dans les Cieux. Conformément à cette volonté, transmise par la doctrine des saints et de l'Église, il vous reconnaît et vous vénère, Très Saint-Père, comme le Souverain Pontife, le prince de l'Église, le vicaire de Jésus-Christ. Et comme il voit, par malheur, ces vérités s'obscurcir dans le cœur des hommes, par suite du funeste débat qui déchire l'Église, il sollicite à ce sujet la réunion d'un Concile général : demande entièrement conforme à. la piété et à la justice. Il a pour votre personne des sentiments qui dépassent l'amour que l'on rencontre habituellement chez un fils ; il parle toujours de vous avec éloge ; il ne souffre pas que d'autres se permettent le moindre blâme ; il n'attend de vous que des bienfaits : espérant qu'après avoir réussi, au prix de si grands sacrifices, à conjurer la ruine des Grecs et des Orientaux, vous ne dédaignerez pas de préserver l'Occident d'une ruine à laquelle il vous est facile de porter remède.

L'ambassade avait également pour mission de s'occuper des affaires du roi René, qui devenaient de plus en plus critiques.

Eugène IV, qui n'avait jamais cessé de donner des marques de sa sympathie pour la cause du roi de Sicile[35], parut plus touché de la démarche en faveur de ce prince que de la requête présentée au nom du Roi relativement à la réunion d'uri. nouveau Concile. Il venait (26 avril 1441) de transférer à Rome le Concile de Florence ; après avoir opéré l'union avec le patriarche de Constantinople, puis avec les Arméniens (22 novembre 1439), il allait conclure la même union avec les Jacobites (4 février 1442). Ce n'était pas le cas de convoquer un autre Concile, alors que celui-ci obtenait d'aussi importants résultats. Pourtant trois cardinaux furent désignés pour conférer avec les ambassadeurs de Charles VII.

Le Pape, voulant témoigner de sa déférence pour le Roi et Poursuivre les négociations entamées à Florence avec ses ambassadeurs, donna, à la date du 22 mai 1442, des instructions à ses ambassadeurs, à la tète desquels se trouvait l'évêque de Brescia, désigné comme nonce en France. Les envoyés du Pape avaient mission de se rendre à la fois près de la reine de Sicile Isabelle et de Charles VII.

En passant par la Provence, les ambassadeurs devaient mettre la reine de Sicile au courant de tout ce que le Pape avait fait pour venir en aide à son mari, et lui faire connaître la situation des affaires dans le royaume de Naples. De là, passant par Avignon, où ils s'arrêteraient pour visiter le cardinal de Foix, ils devaient se rendre à la cour de France. Il leur était recommandé de se mettre dans les bonnes grâces de Charles d'Anjou, du cardinal de Reims (Regnault de Chartres), en qui le Pape avait une confiance particulière, de l'archevêque de Vienne (Geoffroy Vassal)[36] et de maître Pierre Beschebien, physicien du Roi, qui, sous prétexte de se rendre utile en leur donnant les secours de son art, les assisterait en toutes choses. Au jour et à l'heure de l'audience du Roi, après lui avoir donné, selon l'usage, la bénédiction de la part de Sa Sainteté, et lui avoir témoigné l'affection du Souverain Pontife pour sa personne et pour son royaume, et le désir qu'il avait de voir ses États prospérer et s'agrandir, comme l'attestait assez ce qu'il avait fait tant en vue de la paix qu'en faveur du roi René, ils devaient développer ce qui avait été dit de vive voix à ses ambassadeurs, et insister sur les graves inconvénients qui résulteraient de la convocation d'un troisième Concile. La seule voie à suivre était de procéder par les armes contre l'antipape, le conciliabule de Bâle et ses partisans, comme schismatiques et hérétiques opiniâtres. Les envoyés du Pape devaient ensuite aborder la question de la Pragmatique : la seule lecture de cet acte montrait combien il était blessant pour la plupart des droits et des libertés du Saint-Siège ; le Roi devait être sollicité de le révoquer, et de maintenir, comme il l'avait fait jusqu'ici, comme l'avaient fait avant lui tous ses ancêtres les Rois très chrétiens, fils dévoués de la sainte Église romaine, les droits et les libertés de l'Église et du Siège apostolique. Sa Sainteté ne pouvait croire qu'une chose si préjudiciable à l'âme du Roi et à son honneur eût été faite de son consentement ; s'il avait compris qu'elle est entièrement contraire au droit divin et humain, aux privilèges et aux libertés de l'Église romaine, il se fût abstenu. Chacun sait quel est l'auteur et le, promoteur de ce grand attentat. Dans le cas où le Roi, pour abolir la Pragmatique, voudrait entreprendre une réforme notable, on pourrait lui démontrer que cette réforme serait très profitable à son royaume ; si, au contraire, le Roi n'était disposé ni à abolir la Pragmatique, ni à entreprendre cette réforme, il conviendrait de la passer sous silence. D'autres points devaient être traités par les envoyés pontificaux : le procès relatif à la ville et au diocèse de Cambrai, la décime que le Roi voulait mettre sur le clergé, l'affaire de l'évêché d'Avignon, l'affaire de l'évêché d'Angers ; enfin ils devaient s'élever avec énergie contre la détention de l'évêque de Laon, que le Pape regardait comme un véritable scandale pour l'Église universelle, et réclamer la mise en liberté de ce prélat[37].

L'évêque de Brescia passa de longs mois en France, en qualité de nonce apostolique. Tout en s'occupant d'assurer le succès de la mission dont Eugène IV l'avait chargé, il s'efforça, nous l'avons vu, de procurer la paix entre la France et l'Angleterre[38].

C'est à ce moment qu'il faut, croyons-nous, placer une importante négociation entre la Cour de Rome et Charles VII, relative à l'abrogation de la Pragmatique sanction.

Le Pape, ayant égard à la singulière dévotion du Roi très chrétien et à ses sentiments d'obéissance et de respect envers sa personne et l'Église romaine, fit rédiger un projet de Concordat, en vingt-deux articles, contenant les conditions auxquelles il était disposé à souscrire si le Roi lui accordait l'abolition de la Pragmatique. Voici quelle était la substance de ce Concordat[39].

Les grâces expectatives étaient supprimées ; elles cesseraient de plein droit quatre mois après la publication de la réforme consentie par le Pape ; les réserves étaient également supprimées, sauf en ce qui concernait les cardinaux, protonotaires apostoliques et autres officiers de la Cour romaine ; les élections pourraient se faire dans les églises métropolitaines et cathédrales, les monastères, etc., conformément aux formes du droit ; le Pape confirmerait ou annulerait ces élections en s'inspirant des règles de la justice ; les élus prêteraient serinent et s'acquitteraient de leurs obligations, conformément au droit et à la coutume ; en ce qui concernait les autres dignités, bénéfices et offices des séculiers et réguliers venant à vaquer, il y serait pourvu de la manière suivante : le Pape nommerait aux charges devenues vacantes pendant les mois impairs, les ordinaires aux charges devenues vacantes pendant les mois pairs ; le droit de patronage dés laïques était sauvegardé et maintenu intact ; les ordinaires règleraient comme bon leur semblerait ce qui était relatif aux offices claustraux et choraux ; un des six mois pairs serait réservé pour la présentation des suppôts de l'université ; toutes les causes, sauf celles concernant les prélats, les élections aux églises métropolitaines et cathédrales, aux abbayes, aux grandes dignités, seraient laissées à la connaissance des juges ordinaires ; quant à celles qui seraient portées devant le Saint-Siège, deux catégories devraient être établies : les causes dans lesquelles le revenu annuel de la chose en litige n'excéderait pas cinquante florins d'or, ou le capital deux cents florins, seraient renvoyées, jusqu'à la fin du procès, devant les juges ordinaires ; celles dont le revenu ou le capital dépasseraient les sommes susdites seraient jugées en troisième instance par le Siège apostolique ; les causes civiles, sauf dans les cas prévus par le droit commun, ne seraient jamais portées devant le Saint-Siège ; il serait interdit d'interjeter appel d'une sentence interlocutoire, soit devant la Cour romaine, soit, devant d'autres juges ; en ce qui concernait les subsides dus à la Cour romaine, le traitement des cardinaux et autres officiers de la Cour romaine, les charges et bénéfices pour lesquels, en cas de vacance, certaines sommes devaient être acquittées, les sommes dues seraient payées à la Chambre apostolique et au collège des cardinaux, moitié pendant le premier semestre, moitié pendant le semestre suivant ; si, dans une même église, la vacance se produisait deux fois dans l'année, le droit ne serait acquitté qu'une seule fois.

Ces statuts, provisions et ordonnances, lit-on à la suite des vingt-deux articles, notre saint Père le Pape veut bien les concéder à notre seigneur le Roi et à tous les particuliers de son royaume et de ses seigneuries. La situation hiérarchique des dignités et conditions demeurera telle pour ledit seigneur Roi et pour tous ses successeurs, avec plein pouvoir, en vertu de l'autorité apostolique, de les recevoir, observer et pratiquer, Moyennant que la Pragmatique sanction soit abolie, que son observation dans le royaume de France soit interdite à tous par mandement du Roi, à la gloire du Dieu tout-puissant, à l'honneur du Saint-Siège apostolique, à la paix et tranquillité de l'Église gallicane.

Viennent ensuite, article par article, les observations faites par la chancellerie royale. La plupart des stipulations étaient regardées comme acceptables. Les changements demandés étaient les suivants : on estimait que les grâces expectatives devraient être abolies sans réserve ; on demandait que les bénéfices, une fois donnés ou assignés en commande, ne pussent plus être conférés à tel ou tel cardinal hors du royaume, et que dans un diocèse, on ne pût assigner en commande plus de deux bénéfices ; on demandait qu'il fût déclaré que si l'élu confirmé ne recevait pas la consécration par l'ordinaire, il fût tenu de la recevoir par mandat de celui-ci, et que la Cour romaine ne pût l'en dispenser ; on demandait que la bulle de collation ne donnât pas lieu à un droit supérieur à huit ducats, et que si, après un délai de trois mois, le Siège apostolique n'avait pas pourvu à la vacance, l'ordinaire pût à son gré disposer du bénéfice ; on demandait que les causes majeures fussent laissées au Siège apostolique ; que les autres fussent portées eu première instance devant l'ordinaire, et qu'en deuxième et troisième instance nul ne fût autorisé à en appeler directement devant un juge supérieur, mais fût tenu de passer strictement par tous les degrés de juridiction ; on demandait, pour les églises et les abbayes dont la taxe dépasserait cinq cents livres, que le paiement fût effectué en deux termes d'une durée de huit mois au lieu de six, et que, si le revenu n'excédait pas vingt-quatre livres, rien ne fût exigé pour la vacance ; on demandait qu'il fût stipulé que rien ne serait exigé en dehors des droits déterminés et que les candidats devraient jurer qu'ils n'avaient ni payé ni promis de payer davantage.

En outre, on demandait qu'il fût bien entendu que toutes les provisions faites sous le régime de la. Pragmatique demeureraient telles, et qu'il fût fait mention de la pacification de l'Église universelle, l'intention du Roi étant d'agir diligemment dans ce but, à l'exemple de ses ancêtres.

Comment, en présence d'un accord établi, sur les points fondamentaux, d'une façon aussi complète, le Concordat d'Eugène IV ne devint-il pas la loi de l'État ? Nous ne savons rien à cet égard ; mais il n'en est pas moins intéressant de constater que, soixante-dix ans et plus avant le Concordat de François Ier, la paix entre l'Église gallicane et la Cour de Rome fut à la veille d'être conclue, sur des bases plus larges que celles consenties en 1516 par Léon X.

Charles VII ne tarda pas à renoncer au dessein chimérique qu'il avait si longtemps nourri, et que ne cessèrent de poursuivre le roi des Romains et les princes électeurs : la tenue d'un nouveau concile. A la diète de Francfort (juillet 1442), à la diète de Nuremberg (février 1443), la question fut agitée de nouveau. Les ambassadeurs de France, présents à cette dernière assemblée, mirent en avant le projet d'un congrès de princes. A la date du 1er juin 1443, Frédéric III s'adressa au Roi et lui demanda de se faire représenter à une nouvelle diète qui devait se réunir à Nuremberg[40]. Cette assemblée ne s'occupa même pas des affaires de l'Église.

Quant au conciliabule de Bâle, il tint, le 16 mai 1443, sa quarante-cinquième et dernière session, en l'absence de l'antipape Félix V, qui s'était établi à Lausanne[41]. Abandonné par Charles VII, délaissé par le roi d'Aragon et le duc de Milan qui, dans le cours de 1443, reconnurent Eugène IV, le conciliabule n'était plus que faiblement soutenu par l'empire. Le Pape, qui, on se le rappelle, avait transféré le Concile de Florence à Rome, rentra le 23 décembre dans la ville pontificale, avec le prestige d'une autorité fortifiée[42]. Le triomphe définitif du Saint-Siège n'était plus qu'une affaire de temps. Nous verrons plus loin comment il s'opéra, sous l'habile et puissante impulsion de Charles VII.

 

 

 



[1] Les États de Normandie sous la domination anglaise, par M. de Beaurepaire, p. 66-67. Voir les lettres de Henri VI, p. 185-188.

[2] Patrizi, Hist. conc. Basil., dans Hardouin, t. IX, col. 1148. On a une lettre de Chartes VII au Concile, en date du 20 juin, écrite dans ce but, et le texte des demandes présentées au nom du Roi. Archives, K 1711.

[3] Hardouin, t. IX, col. 1170 ; Histoire de l'Église gallicane, t. XX, p. 335 ; Héfélé, Histoire des Conciles, t. XI, p. 493, 494 et 500.

[4] Cette lettre parait avoir été écrite entre la 33e session (16 mai) et la 34e (25 juin) ; elle est citée par les auteurs de l'Histoire de l'Église gallicane, t. XX, p. 357.

[5] Le mot est de Voltaire. Si l'on considère le concile par cet acte (la déposition d'Eugène IV), on n'y voit qu'une troupe de factieux. Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, chap. LXXXVI.

[6] Hardouin, t. VIII, col. 1263.

[7] Voir Histoire de l'Église gallicane, t. XX, p. 356-57, et Héfélé, t. XI, p. 501.

[8] Histoire générale de Languedoc, t. IV, p. 490.

[9] Lettre datée de la veille des Calendes de juin. Raynaldi, année 1439, § 24.

[10] Le concile de Ferrare avait été transféré à Florence par une bulle du mois de janvier 1439.

[11] Raynaldi, année 1439, § 24.

[12] Héfélé, Histoire des Conciles, t. XI, p. 464-478.

[13] Lettres du 28 janvier 1439. Preuves des libertes de l'Église gallicane, 2e partie, p. 85.

[14] Acte de la nomination, dans Preuves des libertes de l'Église gallicane, 2e partie, p. 85.

[15] Voir le texte dans Raynaldi, année 1439, § 36.

[16] Il y a dans D. Housseau, vol. 9, n° 3901, des lettres de Charles VII ordonnant de faire défense de citer Jean Michel en Cour de Rome et d'ajourner tous opposants devant le Parlement. Ces lettres sont datées d'Angers, le XXVIIIe jour de decembre l'an de grace mil quatre cent quarante deux et de notre regne le Xe. Il y a là, évidemment, une double faute de transcription : 1442 pour 1439, et Xe pour XVIIIe.

[17] Raynaldi, année 1439, § 27.

[18] Hardouin, t. IX, col. 1004 ; Raynaldi, § 29.

[19] Sponde, Annales ecclesiastici, t. II, p. 392.

[20] Regnault de Chartres refusa le chapeau et ne prit jamais le titre de cardinal. Voir à ce sujet les instructions du Pape à l'évêque de Brescia, dans Lecoy de la Marche, le roi René, t. II, p. 247.

[21] Lettres du 18 novembre 1439. Archives, Y 4, f. 42 v° ; Mandement du sire de la Fayette, sénéchal de Beaucaire, en date du 10 décembre 1439. Ms. fr. 26066, n° 8907.

[22] Berry, p. 405.

[23] Voir le fragment de lettre donné par Raynaldi, sous le § 4 de l'année 1440.

[24] Le texte de ce discours se trouve dans les Preuves des libertes de l'Église gallicane, 1re partie, p. 19-48. On lit à ce sujet dans une lettre de Nicolas de Clamanges du 9 septembre (id., 2e partie, p. 199) : Et locutus fuit solennissime et com gratitudine omnium domines Thomas de Corsellis, qui per duas horas tenuit, et valdè Regi placuit. — On peut juger de l'exactitude de cette assertion par le fait suivant : l'orateur concluait à ce que Charles VII fit obédience au vrai pape Félix V.

[25] Le texte de cette déclaration est dans les Preuves des libertes de l'Église gallicane, 2e partie, p. 300 ; elle est reproduite dans l'ordonnance du 21 novembre 1440, citée ci-dessous.

[26] Cette lettre se trouve dans Raynaldi, année 1440, § 4. Cf. Preuves des libertes, 2e partie, p. 199.

[27] Ordonnances, t. XIII, p. 321.

[28] Ordonnances, t. XIII, p. 319.

[29] Raynaldi, année 1440, § 5.

[30] Ordonnances, t. XIII, p. 324 ; Preuves des Libelles, 2e partie, p. 200.

[31] Ordonnances, t. XIII, p. 326.

[32] Héfélé, Histoire des Conciles, t. XI, p. 515-16.

[33] Ordonnances, t. XIII, p. 332.

[34] Il est publié par Raynaldi, année 1441, §§ 9-12. Cf. Histoire de l'Église gallicane, t. XX, p. 378 et suivantes.

[35] Dans une lettre citée plus haut, le Pape disait qu'il avait envoyé à grands frais au roi René des secours sans lesquels la ville de Naples serait tombée au pouvoir de l'ennemi, et qu'il n'avait rien négligé en sa faveur, ce qui lui avait attiré les colères du roi d'Aragon, qui faisait tout ce qu'il pouvait pour nuire à l'Église et au Pape. Raynaldi, année 1440, § 4.

[36] Domini Vicennensis. Il faut lire sans doute Viennensis.

[37] Le texte de ces instructions a été publié par M. Lecoy de la Marche, le Roi René, t. II, p. 245-51. — Guillaume de Champeaux, révoqué le 31 décembre 1441, était sous le coup de graves accusations. Voir plus loin, chap. XVII.

[38] Voir chapitre X.

[39] Le document que nous allons analyser se trouve, en copie du temps, dans le vol. 594 de Du Puy, fol. 54 à 59. 11 est visé en ces termes dans l'inventaire de Pierre Sauvage, garde des sceaux du duc d'Orléans, qui se trouve conservé aux Archives nationales (K. 602) : Une feuille de papier escripte en latin, en lettre ytalienne, contenant copie de certains articles octroyez par Nostre Saint Père Eugene au Roy et à toute la seigneurie de France, mais que la Pramatique sancion et coustume y soit anullée et abbolie.

[40] Le texte de cette lettre est dans Amplissima collectio, t. VIII, col. 977.

[41] Héfélé, Histoire des Conciles, t. XI, p. 532.

[42] Héfélé, t. XI, p. 533.