Arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon ; perplexité à la Cour ; Charles VII se décide à la recevoir. — Entrevue du Roi et de la Pucelle ; le fameux secret ; bienveillance témoignée à Jeanne. — Enquête préalable : examen fait à Chinon et à Poitiers ; on se décide à employer la Pucelle ; elle est reconnue comme chef de guerre et part pour Orléans. — Charles Vii apprend les nouvelles de ses succès et les communique à ses bonnes villes ; il s'avance vers Tours, où Jeanne fait son entrée en sa compagnie. — Résistances que rencontre la Pucelle pour le voyage du sacre ; son désespoir ; ses nouvelles instances pendant le séjour à Loches. — Charles VII donne enfin l'ordre de départ ; rendez-vous à Gien ; tableau de la Cour tracé par Guy et André de Laval. — Brillante campagne de Jeanne ; le Roi est retenu à Sully par La Trémoille ; il anoblit un compagnon de la Pucelle. — La Pucelle à Sully ; elle insiste vainement pour que le Roi reçoive le connétable. — Pouvoir absolu de Le Trémoille ; nouvelles difficultés soulevées pour le voyage du sacre. — Jeanne part seule, suivie deux jours après par le Roi. — Occupation de Troyes et de Chalone ; entrée à Reims ; sacre du Roi. — La mission de la Pucelle accomplie ; erreurs à ce sujet ; accusation de trahison formulée contre Charles VII. — Situation au lendemain du sacre. — Campagne de Paris ; dispositions de la Pucelle ; ses tristesses ; marques de sympathie que lui donne le Roi ; on échoue devant Paria. — La Pucelle jusqu'à sa prise. — Attitude de Charles VII ; examen des reproches d'abandon et d'ingratitude. — Que pouvait faire Charles VII ? C'est à son intervention personnelle qu'est due la réhabilitation de Jeanne d'Arc. Pendant longtemps, il n'y a eu qu'un thème dans le blâme adressé à Charles VII pour sa conduite envers Jeanne d'Arc : le reproche d'ingratitude a été formulé de toutes parts. Il est peu d'historiens, peu de panégyristes de la Pucelle qui n'aient cru devoir flétrir le lâche abandon dont elle fut victime[1]. De nos jours, une autre accusation a été produite : on a prétendu que Jeanne rencontra à la Cour des hostilités si violentes, un si odieux acharnement, qu'elle ne put aller jusqu'au bout dans l'accomplissement de sa mission, et l'on a osé accuser Charles VII de trahison à l'égard de la Pucelle[2]. Le devoir de l'historien est de s'arrêter à cette double accusation, et d'examiner sur quel fondement elle repose. Pour cela, nous allons étudier, à la lueur de tous les documents, l'histoire de Charles VII et de Jeanne d'Arc, depuis le moment où la Pucelle apparut à la Cour de Chinon jusqu'au jour fatal où elle tomba aux mains des ennemis de la France. Les affaires de France sont au plus petit point. Pour sauver l'héroïque cité qui, depuis six mois, tient en échec toutes les forces anglaises, Charles VII à donné son dernier homme et dépensé son dernier écu. Tout a été tenté, tout a été inutile. La situation est regardée comme désespérée. Mais celui qui communique sa puissance aux princes ou ne leur laisse que leur propre faiblesse n'abandonne jamais quiconque place en lui sa confiance. Comme l'a dit éloquemment Bossuet, quand il veut faire voir qu'un ouvrage est tout de sa main, il réduit tout à l'impuissance et au désespoir ; puis il agit[3]. Et pour mieux faire sentir son bras, Dieu se sert parfois des plus fragiles instruments : car il veut que l'on reconnaisse que ce n'est ni par l'épée ni par la lance qu'il sauve les peuples, et qu'il est l'arbitre de la guerre[4]. Quand sonna pour la France l'heure de la miséricorde, pour délivrer de l'oppression ce royaume si rudement châtié, Dieu ne suscita ni un Josué, ni un Gédéon ; mais, — selon la remarque d'un auteur contemporain, — voulant montrer que toute force vient de lui, et qu'il fait toutes ses œuvres merveilleusement et miraculeusement, il anima et enhardit un faible et tendre corps de femme, ayant vécu sans reproche dans l'exercice d'une angélique pureté[5] : c'est par une simple fille des champs que devait se manifester l'intervention divine. Le 6 mars 1429, vers midi, on apprenait au château de Chinon, où résidait Charles VII, qu'une jeune tille des marches de Lorraine venait d'arriver, conduite par deux jouvenceaux de petite condition[6], et avec une faible escorte[7]. De Sainte-Catherine-de-Fierbois, cette fille avait écrit au Roi pour lui demander la permission de se rendre auprès de lui, disant que, pour cela, elle avait fait cent cinquante lieues, qu'elle venait à son secours, et qu'elle savait plusieurs bonnes choses touchant son fait. La lettre portait encore qu'à son arrivée elle saurait bien reconnaître le Roi entre tous[8]. Grande fut la perplexité à la Cour. Cette Pucelle, qui arrivait avec des habits d'homme, escortée par six jeunes compagnons, n'était-elle point une aventurière ? Venait-elle de par Dieu ou de par le diable ? N'y avait-il pas dans son fait de la supercherie ou du sortilège ? Enfin, en admettant que l'on ne fût pas dupe de quelque imposture, ne courait-on point risque de s'exposer au ridicule et de compromettre la dignité royale si l'on ajoutait foi à ses assurances ? Charles VII avait une inébranlable confiance dans la Providence, et son esprit, nourri des souvenirs de l'antiquité chrétienne, ne mettait point en oubli les merveilles que Dieu avait jadis opéré par des femmes[9]. Il ne voulut donc pas repousser celle qui se présentait à lui comme l'envoyée du Ciel ; mais, avec une réserve aussi naturelle que légitime[10], il tint à la soumettre à un sérieux examen et à ne rien décider sans l'avis de son Conseil[11]. Lui-même procéda aussitôt à une sorte d'enquête : les deux principaux compagnons de Jeanne d'Arc, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, furent interrogés en sa présence ; ils racontèrent tout ce qu'ils savaient : l'enthousiasme que Jeanne leur avait inspiré, le religieux respect qu'ils éprouvaient en sa présence, la façon merveilleuse dont, après avoir triomphé de toutes les résistances, elle avait su faire sa route pour arriver à Chinon, à travers mille obstacles[12]. Sur ces entrefaites, la nouvelle s'était répandue à Orléans qu'une bergerette, dite la Pucelle, avait, en passant par Gien, déclaré qu'elle se rendait près du noble Dauphin pour faire lever le siège d'Orléans et pour le conduire à Reims afin d'y être sacré, ainsi qu'elle en avait mandat de la part de Dieu[13]. A cette nouvelle, le bâtard d'Orléans, qui commandait dans la ville assiégée, s'empressa d'envoyer à Chinon deux de ses capitaines, avec charge de s'informer de la réalité du fait[14]. Deux jours s'étaient écoulés au milieu des examens et des interrogatoires[15]. A toutes les questions qu'on lui adressait, Jeanne gardait le silence, disant qu'elle ne s'expliquerait que devant le Roi. Enfin, pressée vivement et sommée, au nom du Roi, de faire connaître l'objet de sa mission, elle finit par dire : J'ai deux choses en mandat de par le Roi du ciel : l'une de faire lever le siège d'Orléans ; l'autre de conduire le noble Dauphin à Reims pour y être sacré[16]. Cependant on discutait toujours dans le Conseil : les uns disant que le Roi ne devait avoir aucune confiance en Jeanne ; d'autres soutenant que, puisqu'elle se disait envoyée de Dieu et qu'elle avait quelque chose à communiquer au Roi, il convenait au moins de l'entendre[17]. C'est à ce dernier parti que Charles s'arrêta, après avoir pris l'avis de ses plus graves conseillers[18], et malgré l'opposition persistante de plusieurs d'entre eux[19]. Jeanne attendait, anxieuse, dans l'humble hôtellerie où elle était descendue[20], ne cessant de prier, a-t-elle raconté dans le cours de son procès, afin que Dieu envoyât le signe du Roi[21]. Déjà on venait la chercher pour la conduire à l'audience royale, quand de nouvelles objections, soulevées évidemment par La Trémoille et ses partisans[22], firent encore hésiter Charles VII. Chose étrange, et qui prouve combien grande était l'hostilité à l'égard de Jeanne, on avait laissé ignorer au Roi qu'elle était munie d'une lettre de créance de Robert de Baudricourt, prévôt de Vaucouleurs, et on lui avait caché les circonstances merveilleuses où s'était accompli son voyage, à travers des obstacles et des périls de tout genre[23]. Des gens bien intentionnés pour la Pucelle, en révélant ces faits au Roi, dissipèrent ses dernières hésitations : il ordonna de lui amener la Pucelle[24]. Elle fut reçue dans la grande salle du château. Il était haulte heure, ainsi que Jeanne l'a elle-même
rapporté[25],
et c'est à la lueur des torches[26] que la Pucelle
s'avança, conduite par le comte de Vendôme, à travers la foule des chevaliers
et des hommes d'armes[27]. Elle était en
habit d'homme, et portait ce costume décrit par le greffier de la Rochelle
dans la curieuse relation récemment publiée : pourpoint noir, chausses
longues fixées au pourpoint, robe courte de gros gris-noir, chaperon noir
recouvrant ses cheveux, qui étaient noirs et coupés en rond, suivant la mode
du temps[28].
Chacun admirait sa simplicité et s'étonnait de son aisance. Charles VII
s'était dissimulé dans les rangs des seigneurs de sa cour[29], dont plusieurs
étaient plus pompeusement vêtus que lui[30] ; mais Jeanne,
guidée par ses voix et comme si un ange l'eût tenue par la main[31], alla droit au
Roi, et s'arrêtant à la longueur d'une lance[32], ôta son
chaperon[33]
et fit les salutations accoutumées, aussi bien, raconte un contemporain, que
si elle eût été nourrie en la cour[34]. — Dieu vous doint bonne vie, gentil prince ! dit-elle.
— Ce n'est pas moi qui suis le Roi, répondit
Charles ; et montrant un des seigneurs[35] : Voilà le Roi ! — En
nom Dieu, gentil prince, reprit Jeanne, c'est
vous qui l'êtes, et non un autre[36]. Et elle ajouta
: Je suis venue avec mission, de par Dieu, de donner
secours à vous et au royaume[37] ; et vous mande le Roi des cieux, par moi, que vous serez
sacré et couronné à Reims, et que vous serez lieutenant du Roi des cieux qui
est Roi de France[38]. La Pucelle ayant témoigné le désir d'entretenir le Roi eu particulier, celui-ci conversa en secret quelque temps avec elle[39]. On remarqua qu'il sortit tout rayonnant de joie de cet entretien[40]. En retrouvant ses familiers, il leur dit que Jeanne lui avait parlé de choses tellement secrètes que Dieu seul pouvait eu avoir connaissance, et qu'il se sentait plein de confiance en elle[41]. Que s'était-il donc passé ? Quelle était la nature de ce secret qui intrigua si vivement les Anglais, au cours du procès, et qui est longtemps demeuré une énigme pour l'histoire ? On raconte que, dans la nuit de la Toussaint de l'année 1428, Charles VII, voyant son royaume lui échapper et incertain du sort qui lui était réservé, entra dans son oratoire : là abîmé de douleur, il adressa à Dieu une prière mentale par laquelle il le suppliait que s'il était bien le véritable héritier de la couronne, issu de la noble maison de France, et que le royaume lui dût justement appartenir, il lui plût de le protéger et défendre, ou tout au moins de lui permettre d'échapper à ses ennemis sans mort ni prison[42]. C'est à cette prière mentale, à ce secret enseveli dans le cœur du Roi et dont il ne s'était ouvert à aucune créature vivante, que la Pucelle avait fait allusion. Et l'on comprend quelle fut l'émotion du Roi quand il lui entendit prononcer solennellement ces paroles : JE TE DIS, DE LA PART DE MESSIRE, QUE TU ES VRAI HÉRITIER DE FRANCE ET FILS DU ROI[43]. Ainsi s'était accomplie la promesse faite à Jeanne par ses voix : Va hardiment ! Quand tu seras devers le Roi, il aura bon signe de te recevoir et croire[44]. Dès ce moment, Charles VII paraît conquis et témoigne à la Pucelle beaucoup de bienveillance. Il l'installe dans une tour de la troisième enceinte du château, nommée le donjon du Coudray, sous la garde du capitaine Guillaume Bellier, dont la femme, Anne de Maillé, était de grande dévotion et bonne renommée[45]. Il l'admet fréquemment au château : le duc d'Alençon — ce jeune prince qui, pendant que la France était aux abois, chassait tranquillement aux cailles près de Saumur[46] — accourt à Chinon à la nouvelle de l'arrivée de la Pucelle ; il la trouve en compagnie du Roi : Vous soyez le très bien venu, lui dit Jeanne. Plus il y aura du sang de France ensemble, mieux cela vaudra. Le lendemain, la Pucelle est à la messe du Roi, et, à la sortie, en présence du duc d'Alençon et de La Trémoille[47], elle a un long entretien avec Charles VII, qu'elle presse de plus en plus vivement d'avoir foi en elle : Gentil Dauphin — c'est ainsi qu'elle appela le Roi jusqu'au sacre[48] — Gentil Dauphin, lui dit-elle, pourquoi ne me croyez vous ? Je vous dis que Dieu a pitié de vous, de votre royaume et de votre peuple, car saint Louis et Charlemagne sont à genoux devant lui, faisant prière pour vous. Et, ajouta-t-elle, je vous dirai, s'il vous plaît, telle chose qui vous donnera à connaître que vous me devez croire. Le confesseur du Roi, Gérard Machet[49], était présent, ainsi que Robert Le Maçon et Christophe d'Harcourt. Elle lui demanda de faire jurer à tous de garder le secret sur ce qu'elle allait dire. Et quand le serinent fut prêté, elle se mit à raconter cette chose de grande conséquence à laquelle, dès le premier jour, elle avait fait allusion, à savoir la prière mentale du Roi en un jour de désespoir et d'angoisse[50]. C'est sans doute dans le même entretien que la Pucelle fit promettre au Roi trois choses : 1° de se démettre de son royaume et de le placer dans les mains du Roi du ciel, de qui il le tenait, et qui le lui rendrait dans son état primitif ; 2° de pardonner à tous ceux de son sang qui s'étaient révoltés coutre lui et l'avaient ainsi contristé ; 3° de s'humilier de telle sorte que tous ceux, pauvres ou riches, amis ou ennemis, qui viendraient à lui en demandant pardon, fussent reçus en sa faveur[51]. Cette conversation dura jusqu'au dîner, après lequel le Roi se rendit dans la prairie, et prit grand plaisir à voir Jeanne courir la lance[52], s'émerveillant de sa bonne grâce et de la façon dont elle parlait des choses de la guerre[53]. Mais Charles VII ne voulait rien faire sans l'avis des
gens d'église : quatre prélats, auxquels on adjoignit plusieurs docteurs, furent
désignés pour l'interroger[54]. Puis il fallut
que la Pucelle se rendit à Poitiers, où siégeaient le Parlement et
l'Université, pour être soumise à un nouvel et minutieux examen. En nom Dieu, disait elle, je
sçay que je y auray bien à faire ; mais Messire me aydera[55]. La Pucelle
partit donc avec le Roi pour Poitiers[56]. Elle fut logée
chez la femme de maître Jean Rabateau, conseiller au Parlement, et fit
l'admiration de chacun par son intelligence, son charme, sa douceur et sa
piété. Elle se confessoit bien souvent, dit
le greffier de La Rochelle, et recevoit corpus
Domini ; et aussi le faisoit faire au Roy et à tous les chefs de guerre, et à
leurs gens[57]. De la longue et solennelle enquête poursuivie, pendant plus de trois semaines[58], soit à Chinon, soit à Poitiers, résulta cette déclaration : qu'on n'avait rien trouvé de mal en la Pucelle, mais seulement bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse, et que, sur sa naissance et sa vie, plusieurs choses merveilleuses étaient dites comme vraies[59]. Jeanne sortait donc victorieuse de cette épreuve, et l'on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, ou de l'inébranlable assurance dont elle fit preuve durant les interrogatoires, ou de l'irrésistible ascendant qu'elle exerça sur ses examinateurs. Elle sut triompher de toutes les Objections et s'imposer au Roi et à son Conseil. C'est là peut-être, comme on l'a remarqué avec justesse, un fait plus frappant que les prodiges accomplis depuis le siège d'Orléans jusqu'au sacre de Reims[60]. Dès le 22 mars, la Pucelle était reconnue comme chef de guerre, et c'est à ce titre qu'elle adressa aux Anglais cette lettre célèbre, datée du mardi de la grande semaine, où elle les sommait de par Dieu de lui faire raison et de s'en aller en leur pays[61]. Au retour de Poitiers, Jeanne ne fit que passer par Chinon. Le Roi, qui lui témoignait la plus grande révérence[62], l'envoya aussitôt à Tours pour s'équiper et former sa maison. Il lui fit faire une armure complète[63] ; il envoya, sur sa requête, à Sainte-Catherine-de-Fierbois, pour y chercher l'épée miraculeuse dont elle devait se servir, et qui fut trouvée à grand peine, sous l'autel, dans un coffre qu'on n'avait point ouvert depuis vingt ans[64] ; il ordonna de lui fournir tout ce qu'elle demanderait ; il lui donna une maison militaire ; il lui fit présent de plusieurs chevaux pour elle et sa suite. Le 25 avril, Jeanne était à Blois[65], avec le rang de capitaine, toute prête à partir pour aller délivrer Orléans. Mais l'argent manquait pour payer les gens de guerre, et aussi pour acheter les vivres, qu'on refusait de livrer à crédit. Il fallut que le duc d'Alençon revint trouver le Roi, et ce fut sur l'ordre formel de Charles VII qu'on reçut la somme nécessaire[66]. Avant de partir, Jeanne, qui n'avait cessé d'affirmer qu'elle ferait lever le siège d'Orléans[67], prédit au Roi qu'elle y serait blessée, mais qu'elle ne mourrait pas de sa blessure[68]. Le 29 avril, elle pénétrait dans Orléans. Le Roi, resté à Chinon, attendait, plein d'anxiété, le résultat de son entreprise. L'attente ne fut pas longue : une lettre de Jeanne vint lui annoncer les premiers succès obtenus[69]. Plein de joie, il s'empressa de communiquer les nouvelles à ses bonnes villes, au fur et à mesure qu'elles lui parvenaient[70]. Vous savez, disait-il, les continuelles diligences par nous faites pour donner tous secours possibles à la ville d'Orléans, et le devoir en quoi nous nous sommes mis par diverses fois, ayant toujours bonne espérance en Notre Seigneur, que finalement il y étendrait sa grâce, et ne permettrait pas qu'une si noble cité et un si loyal peuple périssent ou tombent en la subjection et tyrannie des ennemis. La ville d'Orléans a été, en une seule semaine, ravitaillée à deux reprises, sans que les Anglais aient pu s'y opposer. La bastille de Saint-Loup a été prise, après un assaut qui a duré quatre ou cinq heures et où deux des nôtres seulement ont été tués. Nous avons pleine confiance en la miséricorde de Notre Seigneur que nos affaires viendront à une heureuse issue, moyennant aussi la diligence que nous entendons mettre à poursuivre notre bonne fortune. Nous vous prions donc et exhortons bien cordialement que, en reconnaissance. de toutes ces choses, vous veuilliez, par de notables processions, prières et oraisons, louer et rendre grâces à notre Créateur, en le suppliant toujours de nous être en aide et de conduire nos affaires, car nous avons bien grand espoir en vos bonnes prières[71]. Dans un post-scriptum, le Roi annonçait qu'à une heure
après minuit, un héraut était arrivé, porteur de la nouvelle de l'attaque et
de la prise du fort des Tourelles : Vous devez donc
encore plus, ajoutait-il, remercier notre
Créateur, qui, de sa divine clémence, ne nous a voulu mettre en oubli ; et
vous ne sauriez assez honorer les vertueux faits et choses merveilleuses que
le héraut, témoin oculaire de tout cela, nous a rapporté, et en particulier
de la Pucelle, qui a toujours été en personne à l'accomplissement de toutes
ces choses[72]. Une dernière
note faisait connaître la retraite précipitée des Anglais, abandonnant leur artillerie
et la plus grande partie des vivres et bagages. Le jour même où cette lettre était écrite, Jeanne, ne pouvant, faute d'argent et de vivres, entretenir l'armée[73], quittait Orléans, et après avoir passé deux jours à Blois, se rendait à Tours. De son côté, le Roi s'avança pour la joindre, et partit de Chinon le 13 mai. La Pucelle se porta à sa rencontre : elle chevauchait, son blanc étendard à la main. Dès qu'elle aperçut le Roi, sans descendre de cheval, elle découvrit sa tête, et s'inclina aussi profondément qu'elle le put. Charles, ôtant son chaperon, la fit se relever et l'embrassa avec effusion. Et, ajoute une relation contemporaine, comme il sembla à plusieurs, la eust baisée de la joie qu'il avoit. Le Roi et la Pucelle prirent ensuite le chemin de la ville, où ils furent reçus au milieu des acclamations populaires[74]. Jeanne avait donné son signe. Elle avait, par un exploit merveilleux et qui défiait toutes les prévisions humaines, convaincu le Roi de la réalité de son inspiration. Après avoir accompli miraculeusement le premier point de sa mission, il semblait qu'elle ne dût plus éprouver d'obstacles, et que les conseils de la prudence humaine n'eussent qu'à s'incliner devant l'éclatante manifestation de la puissance d'en haut. Il n'en fut point ainsi. Jeanne montrait la ville du sacre comme le but à atteindre, et chacun regardait ce qu'elle proposait comme impossible[75]. Certains mettaient en avant le projet d'une expédition en Normandie[76]. Le Roi avait beau lui faire moult grande chère[77], on perdait en vaines discussions le temps qu'on aurait dû employer à agir. Après dix jours passés à Tours, la Cour se rendit à Loches. Le 22 mai, le Roi écrivait de cette ville aux habitants de Tournai, pour les mettre au courant des événements : Et pour poursuivre notre bonne fortune, ajoutait-il, nous mettons sus à toute puissance, en espérance, Dieu devant, de recouvrer les passages qu'occupent encore nos ennemis et de faire au surplus ce que Dieu nous conseillera[78]. Et il leur parlait de la Pucelle, qui avait présidé à tous les exploits accomplis jusque-là Mais les actes ne répondaient point aux paroles. Dure épreuve pour Jeanne qui, pressée par ses voix, et sachant, comme elle le disait au Roi, qu'elle ne durerait guère qu'un an, était impatiente qu'on l'employât[79], et ne cessait de répéter : C'est à Reims qu'il faut aller pour faire couronner le noble Dauphin, car quand il sera couronné et sacré, la puissance de ses adversaires ira toujours en diminuant, et ils ne pourront plus nuire ni à lui ni au royaume[80]. Un jour, elle se rendit au château de Loches, en compagnie du bâtard d'Orléans, dont elle avait gagné la confiance. Le Roi était dans sa chambre de retrait, avec son confesseur Gérard Machet, Robert Le Maçon et Christophe d'Harcourt. Elle frappa à la porte. Sitôt qu'elle l'eut franchie, se jetant aux pieds du Roi et embrassant ses genoux, elle lui dit : Gentil Dauphin, ne tenez point tant et de si longs conseils, mais venez prendre votre noble sacre à Reims. Je suis fort aiguillonnée que vous y alliez. Ne faites doute que vous y recevrez votre digne sacre[81]. Le Roi se laissait facilement toucher par les prières de Jeanne ; il parut disposé à entrer dans ses vues et à renoncer à la marche sur la Normandie, pour laquelle son Conseil insistait. Mais une pensée agitait son esprit : il se demandait intérieurement si Jeanne ne serait point mécontente qu'on l'interrogeât sur ce que ses voix lui avaient dit à cet égard. Christophe d'Harcourt, prenant la parole, lui posa la question. La Pucelle répondit qu'elle était, en effet, fort pressée à ce sujet. Voudriez-vous, reprit Harcourt, nous dire ici, en présence du Roi, comment font vos voix quand elles vous parlent ? — En nom Dieu, reprit Jeanne en rougissant, je sais bien ce que vous pensez et voulez dire de la voix que j'ai ouïe touchant votre sacre, et je vous le dirai volontiers. Le Roi, la voyant toute émue, l'interrompit : Jeanne, dit-il, vous plaît-il bien de répondre ainsi en public à ce qu'il vous demande ? — Oui, répondit-elle, je le dirai. Je me suis mise en oraison en ma manière accoutumée. Je me complaignais pour ce qu'on ne me voulait point croire de ce que disais, et alors la voix me dit : Fille de Dieu, va, va, va ! Je serai à ton aide, va ! Et quand j'entends la voix, je suis tant réjouie que merveille, et je voudrais toujours être en cet état. En prononçant ces paroles, Jeanne avait les yeux levés vers le ciel, et était comme illuminée d'une joie céleste[82]. Une chose paraît dès lors évidente : c'est que, si Charles VII écoutait volontiers la Pucelle et se montrait touché de ce qu'elle lui disait, la majorité du Conseil demeurait systématiquement hostile. Les politiques, et même certains capitaines, ne comprenaient guère qu'une campagne comme celle de Reims pût être improvisée, et qu'on se mit en route sans les ressources nécessaires en hommes et en argent. Or, l'effort fait pour sauver Orléans avait achevé de vider le trésor, qui, depuis longtemps, n'était alimenté qu'au moyen d'expédients[83]. Au milieu de ce conflit d'opinions, que devait faire Charles VII ? Il devait, — comme le lui conseillait à ce moment même un éminent prélat, Jacques Gelu, qui siégeait dans son Conseil dès le temps de sa régence, — s'abandonner entièrement aux inspirations de Jeanne ; conférer chaque jour avec elle, en toute humilité et dévotion, sur ce qui devait faciliter l'accomplissement de la volonté divine ; prendre son avis en toutes choses et le suivre, comme venant de Dieu, même sur les points douteux, de crainte que si, croyant mieux faire en cédant aux conseils d'une prudence humaine, il omettait de faire ce que Jeanne conseillait, il ne fût abandonné de Dieu et ne manquât le but qu'il poursuivait[84]. Ces sages conseils, inspirés par l'esprit d'en haut, avaient prise sur l'âme religieuse du Roi ; mais sa faiblesse ne le portait que trop à subir l'influence de conseillers moins éclairés et surtout moins désintéressés. Et pourtant, comment résister à l'impulsion de Jeanne ? Qu'on le voulût ou non, il fallait la suivre. Charles VII, malgré toutes les résistances de son entourage, finit par se ranger à son avis[85]. Le rendez-vous des troupes fut fixé à Gien. En attendant que tout fût prêt, on décida qu'on s'occuperait à chasser les Anglais des positions qu'ils tenaient encore sur la Loire. Le duc d'Alençon eut le commandement en chef de l'expédition, et le Roi lui ordonna- de ne rien faire que par les conseils de la Pucelle, à laquelle il déclarait vouloir s'en rapporter en toutes choses[86]. Quittant Chinon où, à la date du 2 juin, il avait donné des armoiries à Jeanne[87], Charles VII s'avança avec elle jusqu'à Saint-Aignan. Un document en date du 8 juin nous donne un tableau si naïf et en même temps si vivant de la situation, que nous n'hésitons pas à le reproduire presque en entier[88]. GUY ET ANDRÉ DE LAVAL AUX DAMES DE LAVAL, LEURS MÈRE ET AÏEULE. Mes
très redoutées dames et mères, Depuis
que je vous écrivis de Sainte-Catherine de Fierbois, vendredi dernier,
j'arrivai le samedi à Loches... Le dimanche, j'arrivai à Saint-Aignan, où
était le Roi, et je fis prier le seigneur de Trèves de venir me voir en mon
logis. Il s'en alla ensuite au château avec mon oncle (un des seigneurs de
Montfort) pour annoncer au Roi que j'étais venu, et pour savoir quand il lui
plairait de me recevoir. Le Roi me fit répondre d'y aller aussitôt qu'il me
plairait ; il me fit très bonne chère, et me dit moult de bonnes paroles. Et
quand il avait fait le tour de la chambre ou causé avec quelque autre, il se
retournait chaque fois de mon côté pour me parler de choses et d'autres. Il
me dit que j'étais venu quand il avait besoin de moi, sans attendre qu'il me
mandât, et qu'il m'en savait d'autant meilleur gré. Et comme je m'excusais de
n'avoir pas amené avec moi autant de gens que je l'aurais désiré, il me
répondit que ce que j'avais amené suffisait, et que quelque jour je pourrais
lui en fournir un plus grand nombre. De retour à sa maison, le seigneur de
Trèves dit au seigneur de la Chapelle que le Roi et ceux qui se trouvaient en
sa compagnie avaient été bien contents de mon frère et de moi, et que nous
leur revenions bien. Il jura bien fort qu'il n'avait souvenance que à pas un
de ses parents ou amis, le Roi eût fait jamais si bon accueil ni si bon
visage. Et cependant, disait-il, il n'est pas avare de bon accueil ni de bon
visage. Le
lundi, je quittai le Roi pour venir à Selles, en Berry, à quatre lieues de
Saint-Aignan. Le Roi fit venir au devant de lui la Pucelle, qui était
auparavant à Selles ; aucuns disaient que c'était en ma faveur, pour que je
la visse. Ladite Pucelle me fit très bon visage, à mon frère et à moi. Elle
était armée de toutes pièces, sauf la tète, et tenait sa lance en main. Et
après que nous fûmes arrivés à Selles, j'allai à son logis pour la revoir ;
elle fit venir du vin, et me dit qu'elle m'en ferait bientôt boire à Paris.
Ce semble chose toute divine de son fait, de la voir et de l'ouïr. Ce lundi
soir, elle est partie de Selles pour aller à Romorantin, à trois lieues en
avant, et approcher des grandes routes. Le maréchal de Boussac et un grand
nombre de gens armés et de la commune étaient avec elle. Je la vis monter à
cheval, armée tout en blanc, sauf la tète, une petite hache en sa main, sur
un grand coursier noir, qui à la porte de son logis se démenait très fort, et
ne souffrait qu'elle montât. Elle me dit alors : Menez-le
à la croix. Cette croix était devant l'église, tout auprès, sur le
chemin. Et alors elle monta, sans que le coursier bougeât, comme s'il eût été
lié. Puis, se tournant vers la porte de l'église, qui était bien proche, elle
dit d'une assez douce voix de femme : Vous, les
prêtres et gens d'Église, faites procession et prières à Dieu ! Et
alors elle se mit en chemin, disant : Tirez avant !
tirez avant ! son étendard ployé que portait un gracieux page, et
elle avait sa hache petite en la main. Un de ses frères qui est venu depuis
huit jours, partait aussi avec elle, tout armé en blanc... Aujourd'hui,
Monseigneur d'Alençon, le bâtard d'Orléans et Gaucourt doivent partir de ce
lieu et aller rejoindre la Pucelle. Vous avez envoyé je ne sais quelles
lettres à mon cousin de la Trémoille et au seigneur de Trèves, à raison
desquelles le Roi' s'efforce de me retenir avec lui, jusqu'à ce que la
Pucelle ait été devant les places anglaises des environs d'Orléans, où l'on
va mettre le siège. L'artillerie est déjà prête, et la Pucelle ne doute point
qu'elle n'ait bientôt rejoint le Roi. Elle m'a dit que quand il prendra le
chemin de Reims, j'irai avec lui ; mais à Dieu ne plaise que j'attende
jusque-là et que je n'aille d'abord où l'on va se battre ! Mon frère en
dit autant, ainsi que Monseigneur d'Alençon, tant serait abandonné celui qui demeurerait en pareille
circonstance. Je pense que le Roi partira d'ici demain jeudi, pour se
rapprocher de l'armée, et chaque jour arrivent des gens de guerre de toutes
parts. Aussitôt qu'on aura besoigné quelque chose, je vous le ferai savoir.
On espère qu'avant dix jours, la chose sera bien avancée, d'un côté ou de
l'autre. Mais tous ont si bonne espérance en Dieu, que je crois qu'il nous aidera..... Écrit
à Selles, ce mercredi huitième de juin. Vos
humbles fils, GUY ET ANDRÉ DE LAVAL. Les prévisions de Guy et André de Laval ne tardèrent pas à se réaliser : le 12, Jargeau était pris d'assaut le pont de Meung était emporté le 15 ; Beaugency, assiégé le 18, ouvrait ses portes le lendemain ; et ce même jour 19, la Pucelle gagnait la bataille de Patay. Pendant cette courte et brillante campagne, le Roi était
au château de Sully, chez le sire de la Trémoille, qui cherchait toujours à
le retenir loin des champs de bataille. Nous avons la mention d'une lettre
écrite par lui, vers le 15 juin, aux habitants de Tours, pour les remercier
de la bonne diligence qu'ils mettaient à
faire des processions et des prières pour la prospérité de ses affaires, les
engageant à persévérer : Car, disait-il, nous avons ferme croyance que, à cause des prières et
dévotes oraisons que les gens d'Église, bourgeois et habitants, et autres nos
loyaux sujets, ont fait et feront pour nous à Dieu notre Créateur, il nous a
moult aidé et il nous aidera, tant pour le fait d'Orléans, de Jargeau, pris
d'assaut en cette semaine sur les Anglois, que autrement[89]. — Le 19, le
Roi, par une circulaire à ses bonnes villes, annonçait la victoire de Patay :
Ces choses vous écrivons, disait-il, pour vous
réjouir, et aussi afin que pareillement les notifiez et faites savoir aux
gens d'Église, nobles et autres de notre pays du Daulphiné, en les exhortant
des prières, processions et oraisons envers Dieu, afin qu'il lui plaise
suspendre sa vengeance et relever notre peuple de la misère et captivité que
longuement il a souffert, afin que nous le puissions maintenir et gouverner
en bonne paix, union, justice et tranquillité[90]. Durant son séjour au château de Sully, Charles VII accorda à l'un des compagnons de la Pucelle des lettres d'anoblissement[91]. Les services du récipiendaire, longuement spécifiés ; ceux de la Pucelle, qui l'a recommandé au Roi, relatés d'une manière encore plus pompeuse ; le ton d'allégresse et d'enthousiasme qui règne d'un bout à l'autre de la pièce, sont — c'est M. Quicherat qui le constate — autant d'exceptions au style ordinaire des annoblissements [92] qui donnent à cet acte un caractère tout spécial. On doit encore noter la particularité relative à une révélation, commune à Jeanne et à Guy de Cailly, dont le souvenir se trouve consacré par le blason donné à celui-ci. Au lendemain de la victoire de Patay, la Pucelle ne fit que traverser Orléans, où l'on s'attendait à voir arriver le Roi[93], et accourut à Sully[94]. Charles accueillit avec affabilité les prisonniers anglais, faits dans la bataille, qu'ou lui présenta ; il félicita la Pucelle et les capitaines, en leur faisant grande fête et grande joie, et rendit grâces à Dieu, qui donnait courage à une femme d'entreprendre de telles choses[95]. Jeanne avait une requête à présenter : le connétable de Richemont était venu joindre l'armée et avait pris part à la bataille de Patay. Sachant qu'il était dans l'indignation du Roi, et à cette cause tenu pour suspect, il avait supplié la Pucelle que, puisque le Roi lui avait donné pouvoir de pardonner et de remettre toutes offenses contre lui et son autorité, et que, à cause de certains sinistres rapports faits au Roi, celui-ci avait conçu contre lui haine et mal talent, en telle manière qu'il avait fait défense, par lettres patentes, qu'aucun recueil, faveur ou passage ne lui fussent donnés pour venir en son armée, la Pucelle le voulût, de sa grâce, recevoir pour le Roi au service de sa couronne. Jeanne y avait consenti, et avait reçu le serment du connétable[96]. Elle insista sur le bon vouloir qu'il témoignait, sur les nobles seigneurs et les vaillants combattants qu'il amenait en grand nombre, et supplia le Roi de lui pardonner son mal talent. Charles VII accorda volontiers le pardon ; mais, nous dit un auteur contemporain, pour l'amour du seigneur de la Trémoille, qui avait la plus grande autorité autour de lui[97], il refusa de laisser venir le connétable au voyage du sacre. Les chroniqueurs remarquent que le comte de Pardiae partagea le sort de Richemont[98], parce que, dit Berry, le sire de la Trémoille craignoit qu'ils ne voulussent entreprendre à avoir le gouvernement du Roy, ou lui faire desplaisir de sa personne, ou le bouter hors[99]. C'était là le nœud de la question. La Trémoille voyait
d'un œil jaloux toute influence rivale. Plus Jeanne grandissait dans la
confiance et dans l'affection du Roi, plus elle lui devenait suspecte, plus
il s'attachait à contrecarrer ses vues. Il craignait que le Roi ne finît par
lui échapper. Écoutons le chroniqueur officiel nous peindre la situation : Et pour celle heure estoit le sire de la Trimoulle avec le
Roy de France, et disoit-on qu'il avoit fort bien entreprins le gouvernement
du royaulme de France. Et pour celle cause grant question eurent icellui sire
de la Trimoulle et le conte de Richemont, connestable de France, pour quoy il
faillut que ledit connestable, qui avoit bien en sa compaignie douze cens
combattants, s'en retournast. Et aussi firent plusieurs autres seigneurs et
cappitaines desquels ledit sire de la Trimoulle se doutoit, dont ce fut très
grant dommage pour le Roy et son royaulme. Car par le moien d'icelle Jehanne
la Pucelle venoit tant de gens de toutes pars deve. rs le Roy pour le servir
à leurs despens, que on disoit que icellui de la Trimoulle et autres du
conseil du Roy estoient bien courrducez que tant y en venoit que pour la
doubte de leurs personnes[100]. Et disoient plusieurs que ledit sire de la Trimoulle et
autres du conseil du Roy[101] eussent voulu recueillir tous ceulx qui venoient au
service du Roy, qu'ilz eussent peu legièrement recouvrer tout ce que les
Angloiz tenoient en royaulme de France. Et n'osoit-on parler pour celle
guerre[102] contre ledit sire de la Trimoulle, combien que chascun
veoit clerement que la faulte venoit de luy[103]. La Pucelle fut très desplaisante du refus du Roi. Elle s'attristait des difficultés sans cesse renaissantes qu'elle rencontrait. Un jour — c'était le 21 juin, à Saint-Benoît-sur-Loire — le toi, la voyant tout agitée et prenant grand peine à mettre l'armée en branle, en fut ému, et, avec beaucoup de bonnes paroles ; l'engagea à se reposer. Mais Jeanne, plus affligée de l'inertie du Roi que touchée de l'intérêt qu'il lui témoignait, fondit en larmes : Pourquoi doutez-vous ? dit-elle. Vous aurez votre royaume et vous serez bientôt couronné[104]. Un curieux détail, auquel on n'a point fait attention, nous est révélé par son procès : pour achever de convaincre Charles VII, elle lui fit entendre et voir les êtres surnaturels par lesquels se manifestait en elle l'intervention divine[105]. Depuis le 24 on était à Gien, et le Conseil paraissait encore une fois vouloir tout remettre en question. On ne cessait de répéter à la Pucelle que le pays à parcourir jusqu'à Reims était rempli de villes et de places fortes occupées par les Anglais et les Bourguignons, et que c'était folie d'entreprendre un tel voyage. A toutes les objections, Jeanne répondait : Je le sais bien, et de tout cela je ne tiens compte. On alléguait aussi le manque d'argent ; mais ce prétexte tombait devant les faits : car, électrisés par la présence de la Pucelle, beaucoup ne refusaient point de marcher sans solde, disant qu'ils la suivraient partout où elle voudrait aller[106]. Enfin, Jeanne finit par triompher de l'hostilité des uns, de la timidité des autres, — et de l'apathie du Roi. Le 27 juin, n'y tenant plus, elle se mit aux champs[107]. Elle ne tarda pas à être suivie par le Roi, qui quitta Gien le 29, à la tête de son armée[108]. On se trouva presque aussitôt en pays ennemi, et les dispositions des villes qui se trouvaient sur le passage étaient loin d'être favorables[109]. Le 30 juin, on se présenta devant Auxerre qui, sommée de se rendre, fit demander au Roi de passer outre et de lui accorder une trêve. Les habitants avaient su mettre La Trémoille dans leurs intérêts, en lui faisant compter secrètement deux mille écus : on fit droit à leur requête, au grand déplaisir de la Pucelle, qui trouvait que la ville eût aisément été prise d'assaut[110]. Le 3 juillet, on prit le chemin de Troyes. Là l'hostilité fut encore plus vive : la ville avait une forte garnison ; ses habitants venaient de jurer un nouveau serment de fidélité à Henri VI ; aux lettres pressantes du Roi et de la Pucelle, ils opposèrent un silence absolu[111]. Quatre jours s'écoulèrent dans une attente infructueuse. Les vivres manquaient ; l'opinion presque unanime du Conseil fut qu'il n'y avait qu'à battre en retraite. Jeanne n'assistait point à la séance ; elle était au milieu des gens de guerre. Robert Le Maçon, appelé à donner son avis, fit observer qu'il convenait de l'envoyer chercher et que peut-être elle aurait à dire quelque chose de profitable au Roi et à sa compagnie. Quand le Roi est parti, ajouta-t-il, et qu'il a entrepris ce voyage, il ne l'a pas fait en considération de la grande puissance de ses gens d'armes, ni de l'argent qu'il pouvait avoir pour les payer, ni aussi parce que le voyage lui semblait bien possible, mais uniquement par l'admonestement de Jeanne la Pucelle, laquelle disait toujours qu'il tirât avant pour aller à Reims à son couronnement, et qu'il ne trouverait que bien peu de résistance, car c'était le plaisir et la volonté de Dieu. Le vieux conseiller était d'ailleurs tout prêt, si Jeanne ne suggérait aucun moyen nouveau, à se rallier à l'opinion commune, et à voter pour que le Roi et son ost revinssent d'où ils étaient venus. Tandis que Robert Le Maçon parlait de la sorte, on entendit heurter avec force à la porte de la salle : c'était Jeanne. On la fit entrer, et le chancelier lui exposa les perplexités du Conseil, en l'engageant à donner son avis. — Serai-je crue de ce que je dirai ? demanda la Pucelle en se tournant vers le Roi. — Oui, répondit Charles, selon ce que vous direz. — Gentil Dauphin, reprit-elle, cette cité est vôtre. Si vous voulez demeurer devant deux ou trois jours, elle sera en votre obéissance ou par amour ou par force ; et n'en faites aucun doute. — Jeanne, lui dit le chancelier, si l'on était certain de l'avoir dans six jours, on attendrait bien. Mais je ne sais si ce que vous dites est vrai. — N'en faites aucun doute, répéta la Pucelle, s'adressant toujours au Roi : vous serez demain maître de la ville. Cette assurance persuada le Roi et le Conseil : la Pucelle eut pleine liberté pour agir. Aussitôt, elle fait ses préparatifs pour donner l'assaut. A cette vue, comme frappés d'une terreur soudaine et presque surnaturelle, les habitants se décident à parlementer : le lendemain matin, à neuf heures, Charles VII faisait son entrée dans la ville, et recevait le serment de fidélité de ses sujets repentants[112]. Un incident, qui mérite d'être rapporté, signala la reddition de Troyes. La garnison avait stipulé qu'elle se retirerait avec ses biens, et elle y comprenait les prisonniers qui étaient en son pouvoir. Quand Jeanne apprit cela, elle fut indignée et déclara que les choses ne se passeraient point de la sorte : de sa propre autorité, elle retint les prisonniers. En nom Dieu ! s'écria-t-elle, ils ne partiront pas ! Mais le droit, parait-il, était eu faveur des Anglais, qui se récrièrent vivement. Le Roi, apprenant ce débat, s'en amusa beaucoup, et, pour calmer les plaintes, il paya de ses deniers toute la rançon. Les Anglais lui donnèrent pour cela de grandes louanges, l'appelant prince de façon[113]. Si Charles VII était l'objet des hommages de ses adversaires, il excitait en même temps l'enthousiasme des Français ramenés à l'obéissance. Les habitants de Troyes, en écrivant aux habitants de Reims pour les engager à lui ouvrir leurs portes, le proclamaient le prince de la plus grande discretion, entendement et vaillance qui issit de pieça de la noble maison de France[114]. L'exemple de Troyes entraîna l'adhésion spontanée de Chatons et bientôt celle de Reims. Deux lettres du Roi, en date des 4 et 11 juillet, adressées aux habitants de cette ville, lui avaient préparé la voie. Vous avez su, écrivait-il, la bonne fortune et victoire qu'il a plu à Dieu nous donner nouvellement sur les Anglais, nos anciens ennemis, tant devant la ville d'Orléans que depuis à Jargeau, Beaugency et Meung-sur-Loire. Après ces choses, advenues plus par grâce divine que par œuvre humaine, par l'advis et mûre délibération de ceux de notre sang et lignage, et de plusieurs notables prélats et autres de notre grand conseil, nous nous sommes mis en route pour aller à Reims, afin d'y prendre et recevoir, selon la bonne coutume de nos prédecesseurs, notre sacre et couronnement. Nous vous mandons, sommons et requerons, sur la loyauté et obéissance que nous devez, que, ainsi que tenus y êtes, vous vous disposiez à nous recevoir... Nous vous assurons que, si vous vous gouvernez comme vous le devez, nous vous traiteterons comme bons et loyaux sujets, et vous aurons toujours pour bien recommandés. Et si, pour être plus avant informés de notre intention, certains d'entre vous veulent venir vers nous, nous en serons bien contents, et vous pourrez venir sûrement, en tel nombre que bon vous semblera[115]. Malgré les hésitations des habitants de Reims et le silence qu'ils gardèrent tout d'abord, le langage du Roi trouva des cœurs disposés à l'entendre ; un parti français existait dans la ville et travaillait pour la cause royale. Mais, jusqu'au dernier moment, le Roi conserva des craintes pour le succès de son entreprise ; n'ayant ni artillerie ni machines de siège, il se demandait comment on ferait en cas de résistance. N'ayez doute, lui répétait la Pucelle, car les bourgeois viendront au-devant de vous et vous feront obéissance avant que vous n'arriviez aux portes de la ville. Et comme elle le voyait toujours préoccupé de l'absence de tout moyen d'attaque : Avancez hardiment, dit-elle, et ne craignez rien, car si vous voulez procéder virilement tout votre royaume est à vous[116]. Charles VII était un prince lettré, et il prouva plus tard qu'il était un habile politique ; mais il lui manquait une science : celle dont parlait la Pucelle quand, répondant à ceux qui s'étonnaient des merveilles qu'elle accomplissait et dont aucun livre n'avait offert d'exemple, elle leur disait : Mon Seigneur a un livre ou oncques aucun clerc ne lit, tant soit-il parfait en cléricature ![117] Après tant de prodiges réalisés, comment pouvait-il persister dans ses doutes ? Comment ne s'abandonnait-il point avec une absolue confiance à celle qu'il regardait pourtant comme l'envoyée de Dieu ?... Le 11 juillet, après avoir entendu la messe, le Roi partit, sans boire ni manger[118], pour se rendre à Châlons, où il fit son entrée le 15 ; le lendemain, après une courte halte à Sept-Saulx, il venait coucher à Reims. Il n'est pas dans notre histoire de scène plus grande et plus émouvante que celle dont fut témoin la cathédrale de Reims, le dimanche 17 juillet 1429. La cérémonie du sacre s'accomplit avec une grande pompe, au milieu d'une immense affluence et d'un enthousiasme universel[119]. Elle commence à neuf heures du matin et se prolonge jusqu'à deux heures. Le Roi est armé chevalier de la main du duc d'Alençon. La Pucelle est aux côtés du Roi, tenant à la main cette bannière qui, après avoir été à la peine, méritait bien d'être à l'honneur[120]. Aussitôt qu'il a reçu ronchon sainte — cette onction qui donnait à la royauté un caractère inviolable et sacré, et eu faisait comme un sacerdoce[121] — et que la couronne est posée sur sa tête, les cris : Noël, Noël ! retentissent, et le son des trompettes' remplit les voûtes de la Basilique[122]. A ce moment, Jeanne se jette aux genoux du Roi, qu'elle tient embrassés, et, pleurant à chaudes larmes : Gentil Roy, dit-elle, ores est executé le plaisir de Dieu qui vouloit que vinssiez à Reims recevoir vostre digne sacre, en monstrant que vous estes vray Roy, et celui auquel le Royaume doit appartenir[123]. Les deux points de la mission de Jeanne d'Arc — les seuls, quoiqu'on dise, qu'elle ait indiqués d'une manière constante et invariable quand elle avait à s'expliquer à cet égard[124] — sont désormais accomplis. Malgré tous les obstacles, et à travers bien des oppositions et des intrigues, elle a sauvé Orléans, au moment même où les Anglais s'en croyaient déjà maîtres ; elle a conduit le Roi à Reims pour y être sacré. L'histoire a longtemps cru que la Pucelle voulut se retirer après le sacre, et que, si elle resta, ce fut malgré l'ordre de ses voix, et en cédant aux instances du Roi. De nos jours, prenant le contre-pied de cette opinion, ou a prétendu que la mission de la Pucelle, loin de se terminer à Reims, comprenait l'expulsion totale des Anglais ; que Jeanne ne cessa d'être encouragée à poursuivre par ses voix, et que son inspiration ne lui fit jamais défaut. Système qui, par une conséquence logique, à abouti, chez certains écrivains, d'une part à la négation de l'inspiration divine, de l'autre à l'accusation de trahison contre le gouvernement de Charles VII, coupable d'avoir fait manquer la mission de la Pucelle. Sans revenir sur des discussions qui nous paraissent épuisées, et qui d'ailleurs ne seraient point ici à leur place[125], nous nous bornerons à faire observer que, si l'antique tradition était erronée quand elle donnait à l'accomplissement de la mission, comme conséquence naturelle, la retraite de Jeanne après le sacre, l'opinion moderne est à la, fois inconciliable avec les faits les mieux avérés et avec le caractère de la Pucelle. Rien n'est, moins historique que de soutenir que la mission de Jeanne fut manquée par la faute de Charles VII et de ses favoris, qu'il y eut des hommes qui conspirèrent pour faire mentir Dieu, et qu'il n'y a point, dans l'histoire moderne, de crime contre Dieu et contre la patrie comparable à celui-là[126]. De pareilles déclamations portent avec elles leur condamnation. La vérité est que, si la mission de Jeanne — celle, nous le répétons, que, depuis Vaucouleurs jusqu'à Reims, elle n'avait cessé d'indiquer comme le but qu'elle devait atteindre personnellement[127] — expirait au sacre de Reims, la Pucelle pouvait poursuivre sa carrière militaire, et travailler à cette expulsion totale des Anglais, annoncée par elle comme devant se réaliser tôt ou tard. Mais si ses voix la laissèrent libre de rester à l'armée, elles ne continuèrent point à l'assister comme lorsqu'il s'agissait de ce qui était de son fait, pour employer ses propres expressions. Les voix se taisent — c'est là un point qui, comme on l'a très justement fait observer, domine toute la question[128], — et Jeanne demeure livrée à ses seules forces ; souvent même, elle subit l'influence des hommes de guerre, que, jusqu'à Reims, elle avait guidés. En confondant l'ardeur de Jeanne avec son inspiration, et en ne distinguant pas assez nettement ce que la Pucelle avait mission de faire par elle-même, de ce qu'elle avait prédit comme devant un jour se réaliser, on est tombé dans de regrettables erreurs, et, sans le vouloir, on a dénaturé l'histoire[129]. Ceci dit sur la mission de Jeanne d'Arc, abordons l'accusation de trahison qu'on n'a pas craint de formuler. Deux points doivent être établis tout d'abord. 1° Il faut se rappeler — et cela n'a plus besoin d'être démontré après tout ce qui vient d'être dit — qu'à ce moment la royauté de Charles VII est une royauté nominale. Le véritable Roi, c'est La Trémoille qui, avec une habileté consommée, s'est emparé de la situation, et qui tient le Roi sous son joug. Charles VII a presque disparu de la scène : par un concours de circonstances plus facile à constater qu'à expliquer, il s'est résigné à un rôle purement passif. Le tout-puissant ministre, auquel le Roi vient de conférer le titre de comte[130], domine en maître, et quelques indices nous révèlent seuls qu'à côté de lui, il y a une personnalité royale qui n'a point complètement abdiqué. Si la Pucelle a pu entamer la lutte contre l'homme qui savait si bien faire le vide et le silence autour du Roi[131] ; si, de ce combat, elle est sortie victorieuse, grâce au secours d'en haut et à l'irrésistible ascendant de son inspiration divine, comment résistera-t-elle maintenant que, la miraculeuse tâche étant remplie, les voix célestes se taisent, et qu'elle en est réduite à ses seules lumières et à ses propres forces ? 2° Au lendemain du sacre, la situation politique ne tarda pas à être modifiée. On était, jusque-là tout entier à la lutte militaire, et l'on n'avait de ménagements à garder avec personne. Les ouvertures pacifiques faites par le duc de Bourgogne invité par la Pucelle, trois semaines auparavant, à se rendre au sacre, et supplié par elle, le 17 juillet, en termes si touchants, de faire la paix[132] — avaient porté la question sur le terrain diplomatique. Tout en poursuivant les opérations militaires, on devait éviter ce qui pouvait entraver la marche des négociations. De là dans le Conseil, deux courants qui se heurtent sans cesse, de là des fluctuations dans la direction de l'armée entre Reims et Paris. Que le duc Philippe ait été sincère ou non ; qu'il ait signé la trêve de quinze jours, conclue presque aussitôt, avec l'intention véritable d'arriver à un accord et de livrer Paris, ou simplement pour gagner du temps et sauver les Anglais, peu importe. Ce qui est indubitable — et ne permet pas, à moins de faire descendre l'histoire au rang d'un pamphlet, de parler de trahison, de chose abominable, d'actes odieux et ignominieux[133], — c'est que le problème qui s'était posé dès l'avènement de Charles VII, en janvier 1423, qui s'était agité de nouveau pendant le gouvernement du connétable de Richemont, et qui ne devait être résolu qu'en 1435 au congrès d'Arras — savoir la réconciliation du duc de Bourgogne avec le Roi — fut posé une fois de plus au mois de juillet 1429. Les choses allèrent assez loin — nous le verrons plus tard avec détail — pour qu'une ambassade solennelle, à la tête de laquelle était le chancelier de France, partit pour Arras, et pour qu'un traité préliminaire portant trêve pendant quatre mois fut signé à Compiègne le 28 août. Que ces négociations, demeurées infructueuses, aient été un malheur dans les circonstances où l'on se trouvait ; qu'elles aient paralysé une action militaire qui aurait peut-être été décisive[134] ; qu'elles aient empêché de profiter des bonnes dispositions qui se manifestaient de toutes parts[135], et qu'enfin on n'en ait tiré aucun des avantages qu'on se promettait, — nous nous garderons de le nier. Mais cela autorise-t-il à faire un crime à Charles VII de ce qui ne fut qu'une faute, et à prononcer ce gros mot de trahison contre lequel un historien, trop enclin à suivre l'opinion moderne sur la mission de la Pucelle, proteste lui-même, en le qualifiant d'odieuse pensée[136] ? C'est en tenant compte de ce double fait — d'une part l'absolu pouvoir de La Trémoille, d'autre part les négociations entamées avec le duc de Bourgogne — qu'il faut envisager les événements qui suivirent le sacre, de Reims : leur sens serait sans cela impossible à saisir. Le premier mot qu'on prononce après le sacre, c'est celui que Jeanne avait fait entendre à plusieurs reprises, celui qui est dans tous les cœurs comme dans toutes les bouches : Paris ! Dans l'enivrement de la joie et du triomphe, personne ne met en doute qu'on n'entre dans la capitale. Le Roi lui-même n'est préoccupé que d'une chose : faire son chemin, et il laisse tout de côté pour poursuivre la campagne[137]. Après avoir été faire ses dévotions et toucher les écrouelles à Saint-Marcou, il s'ébranle le 22[138]. Déjà Laon lui a fait connaître sa soumission ; Soissons ouvre ses portes ; Château-Thierry, Crécy, Coulommiers, Provins se déclarent Français. Si l'on s'avance vers le Nord, toute la Picardie est prête à donner son adhésion[139]. Mais tout à coup on s'arrête : au lieu de marcher sur Paris par Compiègne et Senlis, on se dirige vers Château-Thierry et Provins. C'est qu'on veut ménager le duc de Bourgogne, dont les dispositions se montrent favorables. A Provins, on apprend que le régent Bedford s'avance à la tête d'une armée que lui a amenée le cardinal de Winchester, et qui, au lieu d'être envoyée en Bohême contre les Hussites, vient combattre l'héroïne inspirée de Dieu en laquelle les Anglais voyaient un suppôt du diable[140]. On se porte à la rencontre des Anglais jusqu'à Nangis, où la Pucelle émerveille tout le monde par ses diligences, et où le Roi se tient un jour entier sur les champs, prêt à livrer bataille (4 août) ; mais Bedford ne paraît point : sur le mouvement offensif du Roi, il a repris la route de la capitale. Que faire ? Tandis que le parti de la guerre reprend-quelque espoir et pousse le Roi vers Paris, le parti opposé, qui domine dans le Conseil, persuade à Charles VII de se replier sur la Loire. On apprend que Bray est évacué et qu'on peut y traverser librement la Seine. Sur ces entrefaites dans la nuit du 4 au 5 août — Bray est de nouveau occupé par l'ennemi, et le passage est fermé. Alors, à la grande joie du duc d'Alençon, des comtes de Clermont, de Vendôme et de Laval, et de la Pucelle, on reprend la direction du nord, et l'armée revient sur ses pas par Provins, Coulommiers et Château-Thierry ; de là on s'avance enfin sur Paris par La Ferté-Milon et Crespy-en-Valois, où le Roi reçoit Un défi de Bedford, daté du 7 août, à Montereau. Là se place une scène touchante, qui nous fait connaître
les dispositions d'esprit de la Pucelle. Le peuple était accouru en foule sur
le passage du Roi, criant Noël, chantant le Te Deum, et pleurant de joie.
Jeanne, qui chevauchait entre le chancelier et le bâtard d'Orléans, fut
vivement impressionnée de ce spectacle : En nom
Dieu, dit-elle, voici un bon peuple et dévot, et je n'en ai point encore vu
qui tant se réjouit de la venue d'un si noble Roi. Plût à Dieu, quand je
devrai mourir, que je fusse assez heureuse pour être ensevelie dans cette
terre. — Ô Jeanne, lui demanda l'archevêque,
en quel lieu espérez-vous finir vos jours ? — Où
il plaira à Dieu, répondit-elle, car je ne suis assurée ni du temps ni du
lieu, plus que vous ne l'êtes vous-même. J'ai accompli ce que Dieu m'a
commandé, de lever le siège d'Orléans, et de faire sacrer le gentil Roi. Je
voudrais qu'il plût à Dieu, mon créateur, que je pusse maintenant partir,
abandonnant les armes, et aller servir mon père et ma mère en gardant leurs brebis,
avec ma sœur et mes frères qui seraient bien joyeux de me voir[141]. Nous savons par le témoignage même de Jeanne que ses voix, depuis Reims, avaient cessé de se faire entendre[142]. Livrée à elle-même et suivant l'impulsion des gens d'armes et des gentilshommes ; ayant, comme on l'a dit éloquemment, la même vaillance indomptable, mais n'ayant plus la même joie[143], il n'est point étonnant qu'elle ait eu ses heures de mélancolie, et que de tristes pressentiments soient venus assombrir son âme. Elle n'ignorait pas quelles haines, quelles basses jalousies elle avait excitées dans des cœurs vils et corrompus. Dès son passage à Chalons, avant le sacre, elle avait laissé échapper cette parole devant un laboureur de Domrémy, accourir pour la saluer : Je ne crains qu'une chose, la trahison ![144] Charles VII, cependant, ne cessait de donner à Jeanne des marques de sympathie. A Reims et pendant le voyage, il lui avait fait de nombreux dons et avait pourvu largement à sa dépense[145] ; à Soissons, il lui avait donné un cheval[146] ; elle en reçut un autre à Senlis, avant l'attaque de Paris[147]. Le 31 juillet, à Château-Thierry, il avait rendu une ordonnance par laquelle, à la requête de sa bien aimée Jehanne la Pucelle, et considérant le grant, haut, notable et prouffitable service par elle fait au recouvrement de sa seigneurie, il exemptait de tous impôts les habitants du village, de. Cireux, dont dépendait le hameau de Domremy, lieu de naissance de la Pucelle[148]. A ce moment, un des secrétaires du Roi, le poète Main Chartier, célébrait en ces termes la gloire de celle que les bons Français avaient surnommée l'Angélique[149] : Ô fille vraiment extraordinaire ! Tu ne viens pas de la terre ; tu es descendue du ciel pour relever la France de sa ruine, pour ranimer son courage, en réprimant l'orgueil des Anglais. Tu es digne de toute louange et de tout hommage, tu es digne des honneurs divins ; tu es la lumière du royaume, l'éclat des fleurs de lis, le soutien non seulement de la France, mais de toute la chrétienté ![150] Cependant, le Roi, apprenant que le régent anglais se trouvait dans la direction de Senlis, s'était avancé jusqu'à Lagny-le-Sec et Dammartin, à la porte de la capitale (13 août). On se croyait à la veille d'une bataille, car Bedford protégeait Paris avec une armée. Charles VII, s'il en faut croire un auteur anglais du seizième siècle, montrait même quelque ardeur dans la poursuite de son adversaire : Ton maître aura peu de peine à me trouver, aurait-il répondu au héraut porteur d'un défi de Bedford ; c'est bien plutôt moi qui le cherche[151]. Par deux fois on offrit le combat ; par deux fois, le régent anglais refusa d'entamer l'action. Tout se borna à des escarmouches : le 16 août, au matin, Bedford se repliait sur Paris, tandis que l'armée royale prenait le chemin de Crespy. Les négociations avec le duc de Bourgogne ramenèrent le 18 Charles VII à Compiègne, qui, la veille, lui avait envoyé ses clés, et où il passa toute une semaine, au grand déplaisir de la Pucelle. Ballottée entre les partisans de la paix et les partisans de la guerre, mais cédant aux entraînements de ceux-ci[152], Jeanne voulait à toute force aller voir Paris[153]. Les villes de Beauvais et de Senlis s'étaient déclarées françaises. Après la signature du traité du 28 août, le Roi, traversant Senlis et Gonesse, vint prendre son logis à Saint-Denis, où la Pucelle l'avait précédé. On se décida à tenter la démonstration sur Paris[154] : si l'on n'avait point les ressources militaires nécessaires à l'entreprise, ou pouvait espérer qu'il se produirait, comme à Troyes, un mouvement favorable au sein de la population. Mais la faction dominante veillait : personne ne bougea. L'attaque, dirigée par Jeanne le 8 septembre, demeura infructueuse ; on dut l'arracher aux remparts, où elle avait été percée d'un trait, pour lui faire reprendre le chemin de Saint-Denis. Après son échec devant Paris, la Pucelle déposa son armure et son épée sur l'autel de la basilique ; ses voix lui disaient de rester à Saint-Denis elle ne demandait pas mieux que de suivre leur inspiration, et elle a déclaré plus tard que, si elle n'avait été blessée, on ne l'aurait point emmenée ; mais les capitaines insistèrent si vivement que Jeanne se décida à les suivre : elle ne le fit pas cependant sans avoir obtenu l'assentiment de ses voix[155]. Le 13 septembre, l'armée battait en retraite par Lagny, Provins et Bray : le 21, à Gien, elle était licenciée[156]. Que devint Jeanne pendant cette période de tristesse et d'angoisses qui précéda sa captivité ? Le duc d'Alençon avait demandé au Roi de l'emmener combattre les Anglais en Normandie, et Charles VII avait donné son assentiment ; mais La Trémoille décida qu'elle irait, eu compagnie du sire d'Albret (frère utérin du ministre) et du maréchal de Boussac, faire le siège de Saint-Pierre-le-Moutier[157]. La Pucelle se rendit à Bourges, où, pendant les préparatifs de l'expédition, elle fut logée chez Marguerite La Touroulde, femme du général des finances Regnier de Bouligny, laquelle était attachée à la personne de la Reine, Elle y séjourna' durant trois semaines, édifiant tout le monde par sa modestie et sa piété[158]. Après la prise de Saint-Pierre-le-Moutier (novembre), on alla attaquer La Charité, où l'on subit un échec, dû en grande partie au mauvais vouloir de La Trémoille[159]. Au retour, Jeanne se rendit à Mehun, près du Roi. C'est là qu'au mois de décembre, Charles VII, qui n'avait cessé de lui prodiguer ses dons, lui octroya, pour elle et pour ses frères, des lettres d'anoblissement : par une faveur unique dans notre histoire, le privilège de la noblesse fut étendu à toute la postérité, même féminine[160]. La Pucelle ne séjourna pas-longtemps près de Charles VII. Nous la trouvons le jour de Noël à Jargeau, où elle dit à Catherine de la Rochelle, qui voulait aller trouver le duc de Bourgogne pour hâter la paix : Il me semble qu'on ne trouvera pas de paix, sinon par le bout de la lance[161] ; en janvier elle est à Bourges, où demeurait la Reine ; de là elle se rend à Orléans, où les habitants lui font fête, et elle vient rejoindre le Roi à Sully. Son inaction lui pesait. On a des lettres du mois de mars, adressées par elle aux habitants de Reims, et où elle exprime l'espoir d'en sortir. Le 28, dans une lettre où elle parle en quelque sorte au nom du Roi, elle écrit : Vous aurez bientôt de nos bonnes nouvelles plus à plein[162]. La fin du mois n'était pas arrivée que, s'il faut en croire un auteur contemporain[163], elle s'échappait, sans prendre congé du Roi, et ne s'arrêtait qu'à Lagny, où l'on faisait alors bonne guerre aux Anglais. Moins de deux mois après, elle était prise devant Compiègne (23 mai 1430). C'était sa destinée : il fallait qu'elle souffrît ![164] Sa mission d'en bas se terminait à Reims, niais sa mission d'en haut devait s'accomplir à Rouen. Comme on l'a montré si éloquemment, le baptême de sang est inséparable de la mission divine'[165] : pour la Pucelle, la véritable immortalité n'est qu'à Rouen[166]. Une dernière question se pose. Quelle fut l'attitude de Charles VII après la prise de Jeanne d'Arc ? Fut-il aussi coupable que le prétend l'histoire, et mérite-t-il la flétrissure infligée à sa mémoire ? Un savant magistrat du dernier siècle, M. de l'Averdy, qui, le premier, a fait connaître au public les deux procès de condamnation et de réhabilitation, et permis ainsi aux historiens de contempler la figure de la Pucelle sous son véritable aspect, a consacré, dans le volume même où il analyse les actes de cette double procédure, une dissertation à l'examen de la conduite de Charles VII à l'égard de Jeanne[167]. M. Quicherat, qui pourtant traite l'auteur avec une juste estime et le nomme quelque part le judicieux de L'Averdy, se moque agréablement des efforts tentés par lui pour justifier le Roi : il appelle cela plaider les circonstances atténuantes de l'ingratitude'[168]. Mais un autre érudit très autorisé, M. Charles de Beaurepaire, ne traite pas cette défense avec le même dédain. Dans un savant mémoire sur le Procès de condamnation[169], il cite les judicieuses paroles de L'Averdy, et il déclare admettre pleinement ce système de défense. Arrêtons-nous donc un instant à l'argumentation de L'Averdy. On a, dit-il, reproché souvent à Charles VII d'avoir lâchement abandonné Jeanne d'Arc, aussitôt qu'elle fut tombée dans les mains des Anglois en 1430, pendant le siège qu'ils faisoient de la ville de Compiègne. On prétend que ce prince auroit dû la racheter à quelque prix que ce fût, en payant sa rançon à ceux qui étoient devenus maîtres de sa personne. On ajoute que s'il ne pouvoit pas
y parvenir, il devoit au moins déclarer, pour la sauver, qu'il feroit
éprouver aux prisonniers anglais qu'il avoit faits et qu'il feroit à l'avenir
le même traitement que celui que Jeanne auroit souffert. Enfin on finit en disant qu'il auroit dû employer du moins tous les moyens que la guerre pouvoit lui donner pour empêcher qu'on ne rendit et qu'on n'exécute contre elle les jugements iniques dont elle fut la triste victime. Ainsi : 1° le rachat ; 2° les représailles ; 3° la voie des armes, tels sont les moyens allégués, que L'Averdy examine, en se reportant aux circonstances dans lesquelles on se trouvoit, aux usages qui s'observoient, et aux préjugés qui régnoient dans presque tous les esprits. I. Il paroit naturel, au premier coup d'œil, de croire que Charles VII pouvoit délivrer Jeanne, soit par voie d'échange, spit par le payement d'une rançon, à quelque somme qu'on l'eût portée : s'il le pouvoit, il seroit impardonnable à ce monarque de ne l'avoir pas fait, et il seroit juste de le condamner sans hésiter. Mais il me parait que Charles VII n'a pas pu le faire, parce que ceux qui l'avoient prise n'avoient pas le pouvoir d'en disposer, parce qu'elle tomba inévitablement sous la puissance du roi d'Angleterre lui-même, et parce qu'enfin celui-ci ne vouloit pas et n'étoit même pas le maitre de la lui rendre.... L'Averdy entre dans le développement de ces trois propositions, et arrive à cette conclusion : que Charles VII étoit absolument hors d'état de racheter Jeanne, et que tout étoit réuni pour opposer une barrière insurmontable au désir qu'il en avoit et qu'il ne pouvoit pas n'en pas avoir. Il fait observer que d'ailleurs le silence des historiens sur les démarches, au moins de forme, que Charles VII auroit pu faire pour réclamer Jeanne, laisse la liberté de présumer qu'il a pu hasarder à cet égard quelques efforts sans succès. M. de Beaurepaire, à la suite de L'Averdy, constate que les négociations en vue d'un échange auraient été sans effet pour la délivrance de la Pucelle, et que même elles n'auraient pu que la compromettre, en attestant tout le prix que le gouvernement français attachait à sa liberté[170]. On peut ajouter, à l'appui de la conjecture de L'Averdy, que deux documents semblent indiquer qu'aussitôt après la prise de Jeanne, et tandis qu'elle était encore entre les mains du lieutenant du duc de Bourgogne, Jean de Luxembourg[171], une tentative de rachat fut faite. On lit en effet dans une des lettres adressées alors au duc de Bourgogne par l'Université de Paris : Doubtons moult que par la malice et subtilité des mauvaises personnes, vos ennemis et adversaires, qui mettent toute leur cure, comme l'en dit, à vouloir delivrer icelle femme par voyes exquises, elle soit mise hors de votre subjection par quelque manière[172]. Dans une autre lettre, adressée à Jean de Luxembourg, on lit encore : Comme on dit aucuns des adversaires soy vouloir efforcier de faire (délivrer la Pucelle) et appliquer à ce tous leurs entendemens par toutes voyes exquises, et qui pis est, par argent ou raencon[173]. II. Seroit-on plus fondé, continue L'Averdy, à prétendre que Charles VII auroit dû essayer de sauver la Pucelle en declarant qu'il feroit sair aux prisonniers anglois le même traitement qu'on lui feroit éprouver ? C'est une accusation récemment intentée contre ce prince et dont les contemporains n'ont pas même eu la pensée, parce qu'elle étoit impossible à mettre alors en avant. Et L'Averdy n'a pas de peine à réduire à sa juste valeur ce reproche, auquel il s'arrête longuement. III. L'Averdy examine ensuite si Charles VII pouvait recourir à la voie des armes, et constate que la situation politique et militaire du royaume interdisait l'emploi d'un pareil moyen. Concluons donc avec vérité, dit-il, que Charles VII étoit absolument hors d'état d'exécuter, de toutes les manières possibles, ce qu'on lui reproche aujourd'hui de n'avoir pas fait dans le temps. M. de Beaurepaire dit à ce propos : On a reproché à Charles VII de n'avoir point tenté de délivrer Jeanne par la force des armes, comme s'il en avait eu le moyen, comme si, en agissant de la sorte, il eût pu faire autre chose que de hâter le dénouement tragique qu'il s'agissait de prévenir[174]. Mais L'Averdy ne trouve point suffisant d'avoir constaté la triple impossibilité où était Charles VII d'avoir recours aux moyens indiqués. Quelque puissantes que soient les raisons que je viens de rapporter, dit-il ; quelque difficile qu'il me paraisse de pouvoir y répondre, il reste cependant au fond du cœur un mécontentement sourd contre l'inaction de Charles VII. Et il recherche les causes qui ont pu empêcher l'intervention du Roi. Il insiste sur l'esprit du temps, sur le but poursuivi par les Anglais en voulant faire condamner Jeanne comme sorcière par des juges français. Ce but apparait dans certains incidents du procès de condamnation ; il est mis en pleine lumière par les enquêtes du procès de réhabilitation : on voulait impliquer dans l'affaire l'honneur de Charles VII, qu'on ne pourvoit pas poursuivre en personne, et le perdre dans l'esprit de toute l'Europe ecclésiastique et séculière. C'est ici un point important, qu'il convient d'étudier attentivement, à notre tour, à la lueur de tous les documents. Du vivant même de Jeanne d'Arc, l'opinion était partagée sur son compte : Le nom de la Pucelle estoit si grant jà et si fameux, dit un chroniqueur bourguignon, que chascun la resongnoit comme une chose dont on ne savoit comment jugier ne en bien ne en mal[175]. Tandis que les partisans de Charles VII regardaient Jeanne comme envoyée de Dieu, tandis que la renommée de ses exploits se répandait dans toute l'Europe et qu'il n'était bruit que des miracles opérés par son intervention[176], ses ennemis ne voulaient voir en elle qu'une femme sans pudeur, usant de sortilèges et agissant d'après une inspiration diabolique[177]. Pourtant les faits parlaient assez haut, et il ne leur était pas possible de nier l'évidence : dès qu'elle apparaissait, on voyait tomber les murailles et s'ouvrir les portes ; l'opposition la plus vive faisait place à une entière soumission[178]. Les échecs successifs subis devant Paris en septembre 1429, à la Charité en novembre suivant, à Pont-l'Évêque en avril 1430, portèrent un coup terrible au prestige de la Pucelle ; sa prise acheva de jeter le trouble dans les esprits[179]. Dès le 23 mai, le jour même où Jeanne était tombée aux mains des Bourguignons, le duc de Bourgogne, de Codun, près Compiègne, écrivait aux bonnes villes pour leur annoncer l'événement, en se félicitant de ce qu'on allait reconnaître enfin l'erreur et foie creance de tous ceulx qui ès faiz d'icelle femme se sont rendus enclins et favorables[180]. Et, chose digne de remarque, ce ne sont point les Anglais qui prennent ici les devants : comme au lendemain du meurtre de Montereau, il se trouva des Français plus fanatiques que les ennemis pour poursuivre avec acharnement l'héroïque Pucelle venue au secours de celui qu'ils ne voulaient point reconnaître pour Roi. A la date du 16 mai 1430[181], l'Université
de Paris s'adresse au duc de Bourgogne, demandant que cette femme dicte la Pucelle, estant, la mercy Dieu, en vostre
subjection, fust mise ès mains de la justice de l'Église, pour lui faire son
procès deuement sur les ydolatries et autres matières touchans nostre saincte
foi et les escandes (scandales) reparer, à l'occasion d'elle survenus en ce royaume,
ensemble les dommages et inconveniens innumerables qui en sont ensuis[182]. Le vicaire général de l'inquisiteur écrit de Paris, à la même date, au duc, pour réclamer la réparation des grans lesions et escandes contre l'onneur divin dont la Pucelle s'était rendue coupable, à la perdicion des âmes de plusieurs simples chrestians, et solliciter qu'elle soit envoyée devant lui, comme soupçonnée vehementement de plusieurs crimes sentens heresie[183]. Enfin l'évêque de Beauvais intervient à son tour, et requiert que celle femme que l'on nomme communement Jehanne la Pucelle, prisonnière, soit envoyée au Roy (Henri VI) pour la délivrer à l'Église pour lui faire son procès, parce qu'elle est souspeçonnée et diffamée d'avoir commis plusieurs crimes, comme sortilèges, ydolatries, invocations d'ennemis, et pluseurs cas touchans nostre foy et contre icelle[184]. Les Anglais, de leur côté, répandirent sur Jeanne les bruits les plus odieux. L'accusation de magie fut semée d'abord mystérieusement, et comme une semence destinée à fructifier sous peu ; puis ouvertement, dans des sermons prononcés devant le peuple[185]. On eut même recours à des procédés violents : une pauvre bretonne, pour avoir dit que Dame Jehanne estoit bonne, et ce qu'elle faisoit estoit bien fait et selon Dieu, fut brûlée à Paris (3 septembre 1430)[186]. Dès que la Pucelle fut entre leurs mains, les lords émirent l'avis de la faire égorger ou noyer, sans forme de procès. Mais Warwick leur représenta qu'en la jugeant comme sorcière, on aurait le double avantage de la perdre et de déshonorer Charles VII[187]. Ce fut le procès du Roi, aussi bien que celui de la Pucelle, qui s'instruisit à Rouen[188], et Bedford attachait non moins de prix à dénoncer Charles VII comme hérétique et à le perdre dans l'opinion, qu'à poser son neveu en défenseur de la foi et en humble filz de sainte Église[189]. — Quel succès, a-t-on dit avec justesse, si l'on pouvait amener Jeanne à renier sa mission, à proclamer elle-même ses mensonges, et à impliquer dans sa chute l'honneur et le droit de Charles VII ![190] Ce fut là le but qu'on poursuivit durant cette longue procédure qui se déroula du 9 janvier au 31 mai 1431, et qu'on crut un moment avoir atteint par l'abjuration de Jeanne. Dans cette séance fameuse du cimetière Saint-Ouen (24 mai), avant la lecture de la sentence, Guillaume Erard prit la parole, au milieu d'une foule immense, en présence du cardinal de Winchester, des évêques de Beauvais, de Noyon et de Boulogne, du vice-inquisiteur et de trente-trois assesseurs. Après avoir montré combien sont coupables ceux qui se révoltent contre l'Église, et avoir jeté l'insulte et la menace à l'héroïque Pucelle, le prédicateur s'écria : Ha ! noble maison de France, qui as tousjours esté protectrice de la foy, as tu esté ainsi abusée de te adherer à une herectique et scismatique ![191] Puis, se tournant vers la Pucelle, il répéta à plusieurs reprises : C'est à toy, Jehanne, à qui je parle, et te dy que ton Roy est herectique et scismatique[192]. — Mais la généreuse et vaillante enfant, se redressant sous cette accusation contre son Roi, interrompt le dominicain : Ô predicateur, vous avez mal dit ! Parlez de moy ; ne parlez pas de mon Roy, il est bon crestien[193]. Et comme Erard continuait : Par ma foy, sire, reprend-elle, reverence gardée, car je vous ose bien dire et jurer, sur peine de ma vie, que c'est le plus noble crestien de tous les crestiens, et qui mieulx aime la foy et l'Eglise, et n'est point tel que vous dictes[194]. A cette vive répartie, Erard, tout déconcerté, et l'évêque Cauchon, plein de fureur, arrêtent à la fois la Pucelle, en criant à l'appariteur Massieu : Fais-la taire ![195] La même tactique se fait jour dans la sentence rendue après l'abjuration de Jeanne, et dans laquelle elle était déclarée convaincue d'avoir très gravement manqué, en feignant menteusement des révélations et apparitions divines, en séduisant autrui... et en errant contre la foi catholique[196] ; elle éclate surtout dans le manifeste adressé, au nom du gouvernement anglais, aux souverains de toute la chrétienté, pour leur faire connaître la juste punition qu'une mensongère divinatrice a subie pour ses démérites, après avoir été déclarée par ses juges superstitieuse, idolâtre, invocatrice de démons, blasphématrice envers Dieu, les saints et saintes, schismatique et pleine d'erreurs en la foi du Christ[197]. Après le supplice de la Pucelle, dans la lettre adressée, au nom de Henri VI, aux évêques de France (28 juin), on les engage à notiffier ces choses pour le bien et exaltation de nostre dicte foy et edificacion du peuple chrestien, qui, à l'occasion des euvres d'icelle femme, a esté longuement deçeu et abusé[198]. Enfin, pour mettre le comble à cette sorte de dénonciation publique contre Charles VII, l'Université écrivit au Pape pour lui faire connaître les faits, et lui vanter la soigneuse diligence déployée par l'évêque de Beauvais et le vicaire de l'inquisiteur, pour la défense de la religion chrétienne[199]. Sans adopter le système soutenu par M. Quicherat, quant à la régularité de la procédure, il est permis de constater avec lui que la gravité connue des juges, la considération dont jouissaient la plupart, et la nature du tribunal autour duquel ils étaient rassemblés, durent produire généralement une attente mêlée de confiance et de respect[200]. Dans l'entourage de Charles VII, et bien avant la prise de la Pucelle, on n'avait rien épargné pour lui enlever son prestige. Les chroniqueurs nous parlent, en même temps que de l'hostilité dont elle était l'objet de la part de La Trémoille, de la jalousie qu'elle inspirait aux capitaines[201]. Pour ceux qui dominaient à la Cour, Jeanne avait toujours été un obstacle à des vues intéressées et à de coupables intrigues. Depuis la fin de la campagne du sacre, elle était considérée comme un instrument inutile, et qui pouvait devenir compromettant. Quel dut être le sentiment des habitants de Reims, qui avaient vu Jeanne dans tout l'éclat de sa gloire, quand ils purent lire, dans une lettre où leur archevêque leur annonçait sa prise devant Compiègne, qu'elle ne vouloit plus croire conseil, mais faisoit tout à son plaisir ; que Dieu avoit souffert la prendre pour ce qu'elle s'estoit constituée en orgueil, et pour les riches habitz qu'elle avoit pris, et qu'elle n'avoit fait ce que Dieu lui avoit commandé, mais avoit fait sa volonté ; enfin qu'il estoit venu vers le Roy ung jeune pastour, gardeur de brebis des montagnes de Gevaudan, lequel disoit ne plus ne moings que avoit fait Jehanne la Pucelle ?[202] Et ce révoltant langage, à l'authenticité duquel on voudrait ne point ajouter foi[203], ce n'est pas un ennemi déclaré de Jeanne, comme La Trémoille, qui le tient, c'est Regnault de Chartres, un politique, qui, pour colorer l'échec que la cause royale vient de subir par la prise de la Pucelle, s'efforce de la déconsidérer, et ne craint pas de jeter sur elle un blâme public ! Qu'on s'étonne après cela que ces gens de legier entendement et creance volage dont parle un chroniqueur bourguignon, qui s'étaient boutés à croire que les faiz de la Pucelle estoient choses miraculeuses[204], en fussent à se demander si elle avait été réellement inspirée de Dieu ! Ajoutons que le silence gardé sur Jeanne d'Arc, soit par la chancellerie royale[205], soit par les contemporains — même les plus hauts placés[206], durant la période qui s'écoula entre le procès de Rouen et la réhabilitation, montre assez le revirement opéré dans les esprits : il semble qu'on eût craint de réveiller des souvenirs compromettants[207]. Tout conspirait donc contre la Pucelle, et l'héroïque jeune fille s'acheminait vers le martyre, sans que personne pût ou osât prendre sa cause en main. Les Anglais la guettaient comme une proie qu'ils allaient bientôt saisir. L'Université et l'inquisiteur de la foi la dénonçaient comme hérétique. L'évêque de Beauvais la réclamait pour lui faire son procès. Ceux-là même qui auraient dû prendre sa défense, se constituaient ses accusateurs[208]. Nous le demandons, sans avoir nullement — nous le déclarons très sincèrement — l'intention de plaider pour le Roi les circonstances atténuantes : que pouvait faire Charles VII, livré comme il l'était à d'indignes conseillers ? Alors même qu'il aurait eu la volonté de venir en aide à la Pucelle, en aurait-il eu le pouvoir ? Le vrai tort de Charles VII, ce n'est pas l'ingratitude dont on charge sa mémoire, c'est, encore une fois, l'impuissance politique ; et ce tort, est-ce à lui seul qu'il doit être imputé ? Un dernier moyen de porter secours à la Pucelle a été suggéré par deux écrivains qui, à la suite de L'Averdy, se sont constitués les défenseurs de Charles VII[209]. Pourquoi, se sont-ils demandés, dans une affaire où son honneur était si visiblement intéressé[210], Charles n'a-t-il pas fait appel au Souverain Pontife ? M. Lebrun de Charmettes, tout indulgent qu'il se montre pour le Roi, estime qu'on ne peut entièrement le justifier d'avoir négligé ce moyen[211]. M. de Beaurepaire, en posant la question, a donné en même temps la réponse. Ce moyen naturel et facile d'entraver d'injustes poursuites, dit-il, n'a pu manquer de se présenter à l'esprit de Charles VII. S'il a été écarté, c'est que ce prince a écouté des conseils trop timides, et qu'il a craint d'assumer sur sa tête, au préjudice de sa souveraineté renaissante, mais encore mal établie, cette suspicion d'hérésie que les Anglais n'oublièrent pas d'exploiter contre lui, alors même qu'il ne faisait rien pour la Pucelle, et qu'il semblait par son silence respecter l'autorité de l'Église dans la personne de juges qui étaient hostiles à son parti. Atteint du découragement qui gagna en un instant tous les anciens partisans du parti de Jeanne, peut-être douta-t-il lui-même de la réalité d'une inspiration qui causait un tel scandale, comme antérieurement il avait douté de ses droits et même de la légitimité de sa naissance, avant l'entrevue de Chinon et les prodiges du siège d'Orléans[212]. Nous n'irons pas aussi loin que M. de Beaurepaire. Nous n'admettrons pas que Charles VII ait pu concevoir des doutes sur la réalité de l'inspiration de Jeanne d'Arc : ce serait là à notre avis, une supposition plus injurieuse peut-être pour sa mémoire que l'accusation d'ingratitude. Pour s'expliquer les motifs de l'abstention du Roi à l'égard de la Cour de Rome, il suffit, croyons-nous, d'envisager la situation faite à l'autorité royale et de se rendre compte des ménagements commandés par la politique. Une dernière question se pose. Charles VII n'a-t-il donc rien fait en faveur de Jeanne d'Arc ? En cherchant dans les auteurs contemporains quelques lumières sur l'attitude du Roi à l'égard de la Pucelle, nous avons rencontré trois témoignages qui, sans avoir une grande valeur pour l'élucidation du problème, ne doivent pas cependant être passés sous silence. Le premier émane d'un auteur qui vivait sous François Ier, mais auquel ses rapports intimes avec Guillaume Gouffier, seigneur de Boisy, chambellan de Charles VII, donnent un crédit tout particulier[213]. C'est par lui que nous connaissons le fameux secret dont il a été parlé plus haut, et son autorité n'a jamais été contestée. Après avoir raconté ce qui est relatif au secret et aux exploits de la Pucelle, Pierre Sala ajoute : Depuis, ainsi comme il plaist à Dieu de ordonner des choses, ceste saincte Pucelle fut prinse et martirisée des Anglois : dont le Roy fut moult dolent, MAIS REMEDIER N'Y PEUT[214]. Le second témoignage est dû au pape Pie II, qui a laissé des Mémoires où il raconte l'histoire de Jeanne d'Arc. D'après M. Quicherat, ce morceau, comme récit et appréciation, peut passer pour ce qui a été écrit de meilleur, à l'étranger, au quinzième siècle. Or, nous trouvons également consigné dans cet ouvrage le sentiment de vive douleur que le supplice de Jeanne fit éprouver à Charles VII : Carolus virginis obitum acerbissime tulit[215]. Le troisième témoignage est de Valeran Varanius, auteur d'un poème latin sur Jeanne d'Arc, rédigé d'après les pièces des deux procès. A propos du procès de réhabilitation — nous laissons la parole à M. Quicherat, — il paraphrase ou feint une lettre écrite car le Roi au pape Calixte III, pour obtenir le rescrit qui servit de fondement à la cause. Toutes les particularités que contient cette lettre, il faut en convenir, sont de la plus grande vraisemblance. Mais l'auteur les a-t-il tirées de documents authentiques ou bien de son cerveau ? Dans le doute, on fera bien de s'abstenir ou au moins de ne citer jamais le De gestis puellæ Franciæ que comme une autorité secondaire[216]. Voici, sous cette réserve, les paroles que met le poète dans la bouche de Charles VII : Tout ce que nous avons pu faire, par les armes et l'épée, nous l'avons tenté[217]. Ce passage n'acquiert-il pas quelque importance, si on le rapproche d'un document cité par M. Vallet de Viriville, et où il est fait allusion à une entreprise mystérieuse tentée par ordre de Charles VII ? La Hire, qui fut le compagnon de Jeanne pendant une partie de sa carrière, s'était emparé, au mois de décembre 1429, de la ville de Louviers, située à sept lieues seulement de Rouen ; il y tenait garnison, faisant de fréquentes incursions dans le voisinage, et inquiétant fort le gouvernement anglais. Celui-ci, toutefois, n'osa rien tenter contre le hardi capitaine tant que Jeanne d'Arc fut vivante. Au mois de mars 1431, peu avant le supplice de la Pucelle, le bâtard d'Orléans, si glorieusement mêlé, lui aussi, à tous ses exploits, reçut l'ordre de se rendre à Louviers et dans les environs, avec un certain nombre de gens de guerre, pour resister aux Anglois qui lors y estoient assemblez en grant puissance ; et il fit alors deux entreprises secrètes contre les ennemis, pour le bien du Roi et de sa seigneurie[218]. Faut-il voir là une tentative de délivrance de la Pucelle ? Rien ne permet de l'affirmer, mais rien non plus n'interdit de le supposer[219]. Et, à vrai dire, ce n'était guère que par une tentative de ce genre qu'on pouvait espérer d'arracher Jeanne aux Anglais. Aucun des moyens qu'on a indiqués n'était praticable. Une entreprise secrète, un coup de main concerté avec des serviteurs éprouvés, avaient seuls quelque chance de succès. On a beaucoup parlé du long silence gardé par Charles VII après la prise de la Pucelle, et, au premier abord, on s'étonne de le voir entreprendre si tardivement l'œuvre de la réhabilitation. On oublie qu'avant de pouvoir songer à la révision de ce monstrueux procès qui, nous l'avons dit, frappait le Roi en même temps que la Pucelle, il fallait trois choses : la possession de Paris, où siégeait "Université qui avait fourni les assesseurs de la cause ; la possession de Rouen, théâtre du procès et du supplice ; enfin, l'assentiment du Saint-Siège. Nous allons voir que le Roi ne perdit pas un moment pour poursuivre la réhabilitation de celle à laquelle il devait son salut ; nous constaterons en même temps que, jusqu'au jour où il lui fut donné de l'entreprendre, il demeura constamment fidèle à la mémoire de Jeanne d'Arc. Le premier acte qui nous révèle une pensée de sympathie à l'égard de la Pucelle, c'est un, don à Pierre d'Arc, son frère, fait prisonnier en même temps qu'elle, don qui lui permit de se libérer presque aussitôt, moyennant finances[220]. En avril 1436, le connétable de Richemont occupe Paris. Un des premiers actes du Roi, maître de sa capitale, est de nommer Jean d'Arc, oncle de la Pucelle[221], arpenteur du Roi pour le département de France et Champagne[222]. En février 1441, le Roi entre en Champagne, à la tête de vingt mille hommes, pour achever la réduction de la province et y réprimer les excès des gens de guerre. Il traverse les lieux où s'était écoulée l'enfance de Jeanne. L'histoire ne nous dit pas s'il y lit un pieux pèlerinage ; mais, si l'on suit sur la carte l'itinéraire de Charles VII, on voit qu'en allant de Neufchâteau à Vaucouleurs, il dut nécessairement passer par Greux, ce village dont dépendait Domremy, et qu'il avait exempté d'impôts[223]. Trois ou quatre ans plus tard, le Roi se rend en Lorraine, où il séjourne pendant le siège de Metz. Un fragment manuscrit d'itinéraire indique qu'il fit une station à Goreux — c'est-à-dire à Greux[224]. En octobre 1448, Charles vient à Orléans ; il y séjourne, non dans l'hôtel ducal, mais dans la maison du trésorier Jean Boucher, où avait logé Jeanne d'Arc[225]. En mars 1449, Jean de Metz, l'un des compagnons de la Pucelle durant le voyage de Vaucouleurs à Chinon, reçoit des lettres d'anoblissement[226]. Cette préoccupation constante a été remarquée et signalée, à diverses reprises, par M. Vallet de Viriville, qui regarde le séjour d'Orléans, au moment où se préparait la campagne de Normandie, comme une veillée des armes[227]. Enfin, Rouen ouvre ses portes en novembre 1449 : par lettres du 15 février 1450, le Roi ordonne l'ouverture de la révision du procès, et donne commission pour poursuivre la cause à un éminent docteur, qu'il appelle à siéger dans son conseil[228]. Nous n'avons point ici à raconter comment s'accomplit la réhabilitation de Jeanne d'Arc ; mais nous devons constater que, sans l'initiative royale, sans la persévérante énergie déployée par Charles VII durant plusieurs années[229], le but n'aurait pas été atteint. Sans lui, le solennel hommage rendu si nécessaire par les obscurités et les calomnies du procès de Rouen, n'eût pas été rendu par l'Église à la Pucelle ; sans lui, cette grande et pure figure, aujourd'hui l'objet d'un concert d'une respectueuse admiration, n'eût pu recevoir l'éclairante lumière de la réhabilitation. L'arrêt du 7 juin 1456, en vengeant la Pucelle de l'inique jugement de 1431, doit, ce nous semble, servir d'excuse à Charles VII devant la postérité pour avoir imparfaitement répondu à la grâce divine pendant la mission de Jeanne, et pour avoir oublié ou méconnu un instant ses devoirs de Roi, au risque d'encourir le reproche d'ingratitude envers celle qui l'avait sauvé. |
[1] Le dernier et le plus complet des historiens de la Pucelle, M. Wallon, a, lui aussi (Jeanne d'Arc, 3e édit., t. II, p. 348), sévèrement blâmé l'inqualifiable abandon où Charles VII souffrit que la libératrice d'Orléans, l'ange du sacre de Reims, succombât devant Compiègne et mourût à Rouen.
[2] M. Jules Quicherat et M. Henri Martin, après lui, ont formulé cette grave accusation, le premier dans ses Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc (1850), et dans un article de la Revue de la Normandie (30 juin 1866) : Nouvelles preuves des trahisons essuyées par la Pucelle ; le second dans le 6e volume de la 4e édition de son Histoire de France (1855), et dans l'extrait qui en a été fait sous ce titre : Jeanne Darc (1857, in-12, et 1872, in-32).
[3]
Panégyrique de Saint-André, par Bossuet, dans les Œuvres, éd. Lebel, t. XVI, p. 533.
[4] Quia non in gladio nec in hasta salvat Domino : ipsius enim est bellum..... Reg., I, XVII, § 47.
[5] Et quand il pleut à Dieu oïr les prières tant du Roy de France comme de ceulx de Orliens et aultres villes dudit roiaulme, et que sa volunté fit les aidier et souccourir et jetter de l'opprobre ou ils estoient, il ne excita ne promeut les corages des hommes robustes et exercitez à la guerre à eulx oster le gheboriel, et fais de toute calamité et misère, adfin que ils ne estimassent la victoire venir de eulx, mais leur voeillant monstrer que toute force vient de lui, et que merveilleusement et miraculeusement il fait toutes ses œvres, il anima et enhardi ung fueble et tendre corps feminin aiant vescu tout son temps en purité et casteté, sans quelque reproche ni suspicion de maltait. Chronique de Tournai, dans le recueil des Chroniques de Flandre, t. III, p. 406.
[6] C'est à tort que la plupart des historiens de Jeanne d'Arc ont représenté Jean de Metz et Bertrand de Poulengy — les deux hommes de cœur qui, enflammés d'un saint enthousiasme, amenèrent la Pucelle à Chinon — comme des chevaliers. C'étaient simplement des hommes de condition libre. Voir les lettres d'annoblissement. Procès de Jeanne d'Arc, t. V, p. 363.
[7] Quatre hommes, outre les deux que nous venons de nommer. Voir sur ce voyage les dépositions de Jean de Novelonpont, dit de Metz, et de Bertrand de Poulengy. Procès de Jeanne d'Arc, t. II, p. 437 et 457.
[8] Interrogatoire de Jeanne : 27 févier 1431. Procès, t. I, p. 75-76.
[9] Le Roi... toujours esperant avoir aulcun soucours de la grace de Dieu et commemorant que anchiennement femmes avoient fait merveilles, comme Judith et autres... Chronique de Tournai, l. c., t. III, p. 406.
[10] C'est ce qu'ont reconnu ses plus déclarés adversaires : Il ne serait pas juste de considérer comme des menées ennemies les longues hésitations qui précédèrent la mise à l'œuvre de Jeanne d'Arc. La prudence exigeait qu'on y regardât à deux fois avant d'employer un moyen aussi extraordinaire. Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, par M. J. Quicherat, p. 30.
[11] Dépositions de Guillaume de Ricarville, de Jean Barbin et de Simon Charles. Procès, t. III, p. 21, 82, 115. Il parait que, dès lors, deux frères mineurs furent envoyés secrètement pour prendre des informations dans le pays de Jeanne. Déposition de Jean Barbin, Procès, t. III, p. 82 ; dépositions du curé de Montier-sur-Saulx et de Béatrix Estellin, Id., t. II, p. 394 et 397.
[12] Chronique de Cousinot, p. 273.
[13] Déposition de Guillaume de Ricarville. Procès, t. III, p. 21. Cf. déposition de Dunois, p. 3, et Cousinot, p. 270.
[14] Déposition de Dunois. Procès, t. III, p. 3.
[15] 2, Procès, t. III, p. 4, et lettre de Perceval de Boulainvilliers. Procès, t. V, p, 118.
[16] Dépositions de Simon Charles et de Dunois. Procès, t. III, p. 115 et 4.
[17] Déposition de Simon Charles, Procès, t. III, p. 115.
[18] Clericos et ecclesiasticos. Procès, t. III, p. 115.
[19] Procès, t. III, p. 115.
[20] Se hospitavit in quodam hospitio, dit-elle dans son interrogatoire du 22 février (Procès, t. I, p. 56). Le 13 mars, elle déclara être descendue chieux une bonne femme près du château (Procès, t. I, p. 143). — C'est, à notre avis, par erreur, que M. Vallet de Viriville la fait loger, avant d'avoir été reçue par le Roi, dans la tour du Couldray. Voir Hist. de Charles VII, t. II, p. 56. Cf. Procès, l. c. Nous sommes heureux de nous rencontrer ici avec M. G. de Cougny qui, dans une récente brochure : Charles VII et Jeanne d'Arc à Chinon (1879, in-8° de 46 p.), insiste sur ce point.
[21] Procès, t. I, p. 143.
[22] De consilio majorum suæ curiæ. Déposition de Simon Charles. Procès, t. III, p. 115.
[23] Ce fait significatif nous est révélé par Simon Charles. Procès, l. c.
[24] Même source.
[25] Interrogatoire du 13 mars. Procès, t. I, p. 141.
[26] Cinquante torches, a dit la Pucelle. Interrogatoire du 27 février. Procès, t. I, p. 79.
[27] Ils étaient plus de trois cents, au témoignage de Jeanne elle-même. Procès, t. I, p. 79.
[28] Relation inédite sur Jeanne d'Arc, extraite du Livre noir de l'Hôtel de ville de La Rochelle, publiée par M. J. Quicherat. Orléans, Herluison, 1879, in-8° de 40 pages, p. 19. Ce document avait paru d'abord, en 1877, dans la Revue historique (t. IV, p. 327-344). — Avoit courts les cheveulx et un chapperon de layne sur la teste et portoit petits draps (braves, culottes) comme les hommes, de bien simple manière. Mathieu Thomassin, dans le recueil des Procès, t. IV, p. 304. Cf. Cousinot, t. IV, p. 206 ; Martin Le Franc, t. V, p. 48. — Voir Recherches iconographiques sur Jeanne Darc, par M. Vattel de Viriville (1855), p. 2.
[29] Déposition de Simon Charles. Procès, t. III, p. 115.
[30] Jean Chartier, t. I, p. 67.
[31] Jeanne d'Arc, par Marius Sepet, p. 60. — Nous aimons à mentionner ici ce travail, qui est à coup sûr l'un des plus consciencieux et des mieux écrits qui aient paru sur Jeanne d'Arc.
[32] Interrogatoire du 13 mars. Procès, t. I, p. 142.
[33] Interrogatoire du 10 mars. Procès, t. I, p. 122.
[34] Jean Chartier, t. I, p. 67.
[35] La Relation du greffier de La Rochelle dit (p. 20) que c'était le comte de Clermont.
[36] Jean Chartier, l. c. — M. l'abbé Augustin Lémann, dans un Panégyrique prononcé à Orléans le 8 mai 1874, a fait ici un touchant rapprochement avec Samuel, disant à la vue de David : Ipse est (p. 16).
[37] Déposition du sire de Gaucourt. Procès, t. II, p. 17.
[38] Déposition de frère Jean Pasquerel. Procès, t. III, p. 103. Cf. t. I, p. 139 et 239.
[39] C'est ce qui résulte de la déposition de Jean d'Anion (Procès, t. III, p. 209) et de la Relation du greffier de La Rochelle, p. 20 : Et dit-on qu'elle lui dit certaines choses en secret dont le Roy fut bien esmerveillé.
[40] Et ea audita, rex videbatur esse gaudens. Déposition de Simon Charles. Procès, t. III, p. 116.
[41] Déposition de Simon Charles et de Jean Pasquerel, lequel tenait ces détails de Jeanne elle-même. Procès, t. III, p. 116 et 103. Cf. Lettre d'Alain Chartier, t. V, p. 133.
[42] Récit de Pierre Sala. Procès, t. IV, p. 580. Cf. Mirouer des femmes vertueuses, p. 271 ; Abréviateur du Procès, p. 258, et Thomas Bazin, t. I, p. 70.
[43] Déposition de frère Jean Pasquerel, l. c.
[44] Interrogatoire du 22 février, t. I, p. 56. Interrogée, dans le cours de son procès, sur le signe qu'elle aurait donné au Roi pour prouver qu'elle venait de la part de Dieu, Jeanne répondit un jour : Quant à ce, je vous ai toujours dit que vous ne me le tireriez jamais de la bouche. Allez le lui demander ! Interrogatoire du 1er mars. Procès, t. I, p. 90.
[45] Dépositions de Gaucourt et de Louis de Contes. Procès, t. III, p. 17 et 66. Cf. la brochure de M. G. de Coligny, Charles VII et Jeanne d'Arc à Chinon, où l'auteur a très bien expliqué, avec sa parfaite connaissance des lieux, ce qui a trait au logis de Jeanne, et raconté avec autant de précision que de talent la réception de la Pucelle par Charles VII. M. Quicherat s'est mépris en identifiant (t. III, p. 66, note) le donjon du Coudray avec le Couldray Montpensier, à une lieue de Chinon.
[46] Voir sa propre déposition, t. III, p. 91.
[47] Déposition du duc d'Alençon, l. c.
[48] Déposition de Jean Gavirel, t. III, p. 20. Cf. t. IV, p. 300.
[49] M. Vallet le nomme, avec Philippe de Coetquis, archevêque de Tours, et Pierre de Saint-Valérien, célèbre astrologue du temps, parmi ceux qui se montrèrent favorables à la Pucelle.
[50] Cousinot, p. 274.
[51] Déposition du duc d'Alençon. Procès, t. III, p. 91-92 ; extrait d'Eberhard de Windecken. Id., t. IV, p. 486-87.
[52] Dépositions du duc d'Alençon, du sire de Gaucourt, de Simon Charles, etc. Procès, t. III, p. 92, 17, 116.
[53] Cousinot, p. 280 ; Perceval de Cagny, t. IV, p. 3.
[54] Dépositions de Simon Charles, du duc d'Alençon, de Jean Barbin, de Jean d'Aulon. Procès, t. III, p. 116, 92, 83, 209.
[55] Cousinot, p. 275.
[56] C'est ce qui résulte de la déposition de Gobert Thibaut (Procès, t. III, p. 73) et de celle de Jean d'Anion (t. III, p. 209), et des témoignages de Cousinot (p. 275 et 280) et du greffier de la Rochelle (p. 21).
[57] Relation du greffier, p. 21.
[58] Interrogatoire du 27 février. Procès, t. I, p. 75. Cf. t. III, p. 17 et 19.
[59] Résumé des conclusions : Procès, t. III, p. 391-92. Cf. Les témoins de la réhabilitation, t. III, pp. 17, 20, 75, 83, 205 ; Windecken, t. IV, p. 487-90 et le greffier de la Rochelle, p. 21.
[60] Ce qu'il faut admirer, bien plus que les combats qu'elle a rendus, que les victoires dont elle a semé sa route, c'est qu'elle soit parvenue à arracher au Roi et à son conseil la permission de combattre et l'autorisation de vaincre. Abel Desjardins, Vie de Jeanne d'Arc (Paris, 1854, in-12), p. 39.
[61] Procès, t. V, p. 96.
[62] Cousinot, p. 280.
[63] Relation du greffier de la Rochelle, p. 22. — Ce harnois conta cent livres tournois. Extraits de comptes : Procès, t. V, p. 218.
[64] Relation du greffier de la Rochelle, p. 22.
[65] Déposition de Simon Charles. Procès, t. III, p. 116. — Quatre jours avant, le Roi faisait compter 100 livres à Jean de Metz, le compagnon de Jeanne, qui devait la suivre à Orléans. Ms. nouv. acq. lat. I84, f. 153 ; cité par M. L. Delisle dans le Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, t. I, p. 44.
[66] Déposition du duc d'Alençon. Procès, t. III, p. 93.
[67] Perseverabat in ista responsione videlicet quod erat missa ex parte Dei cœli..... pro levando obsidione Aurelianensem..... Déposition de François Garivel. Procès, t. III, p. 20.
[68] Interrogatoire du 27 février. Procès, t. I, p. 79 ; lettre du seigneur de Rotslaer du 22 avril 1429, analysée par le greffier de Brabant, t. IV, p. 426.
[69] Chronique de Tournai, l. c., t. III, p. 412.
[70] Lettre, en date du 10 mai 1429, adressée aux habitants de Narbonne. L'original est aux archives municipales de Narbonne (deuxième caisson, cote 23) ; elle a été publiée par M. Quicherat dans son recueil, t. V, p. 101-104. — On a la trace de semblables lettres adressées, dans les jours suivants, aux habitants de la Rochelle (Relation du greffier, p. 31) et de Tournai (à la date du 22 mai ; texte dans Extraits des anciens Consaux, t. II, p. 329-30).
[71] Toutes les quelles choses bien considérées, avons bien fiance en la misericorde de Nostre Seigneur, moyennant aussi la bonne diligence que entendons faire à poursuivre nostre bonne fortune, que nos affaires vendront à bonne yssue. Ce que vous voulons bien communiquer, sachant que ainsi le vouldroyez et desirez ; vous prians et exortans bien cordialement que, en recognoissance de toutes ces choses, veuillez, par notables processions, prières et oroisons, bien loer et regracier nostre Createur, en le requérant tousjours de nous estre en ayde et de conduire noz affaires car en vos bonnes prières avons bien grant espoir.
[72] Pour ce, plus que devant, devez louer et regracier nostre dit Createur que de sa divine clemence ne nous a voulu mettre en oubly ; et ne pourriez assez honorer les vertueux faits et choses merveilleuses que le dit herault, qui a esté present, nous a tont rapporté, et autres aussi, de la Pucelle, laquelle a toujours esté en personne à l'execution de toutes ces choses.
[73] Cousinot, p. 298.
[74] Ces détails nous sont fournis à la fois par la Chronique de Tournai (l. c., t. III, p. 412) et par Eberhard de Windecken (Procès, t. IV, p. 497). Leur authenticité ne peut donc être contestée. Ils sont puisés évidemment dans un récit circonstancié et en quelque sorte officiel des faits, envoyé aux cours étrangères. Le premier de ces documents dit que le Roi arriva le vendredi après la Pentecôte (13 mai) ; le second que ce fut le mercredi (11). La première date nous parait être la bonne. Voici le texte de Windecken : Da sollte der Kœnig der Zeit kommen und die Magd war eher da als der Kœnig, und sie nabm ihr Banner in ihre Hand ; und ritt gegen dem Kœnig, und da sie zusammen kamen, da neigte die Magd ihr Haupt gegen den Kœnig, so sehr sie konnte, und der Kœnig machte sie sogleich aufstehen, und man meinte er batte sie gar geküsst vor Freuden die er hatte.
[75] Son conseil sembla très fort à executer à tout ceulx qui en ouyrent parler, et disoient que veue la puissance des Englois et Bourguignons, ennemys du Roy, et consideré, que le Roy n'avoit pas pans finances pour souldoyer son armée, il luy estoit impossible de parfaire le chemin. Chronique attribuée à Perceval de Gagny, t. IV, p. 11.
[76] Déposition de Dunois, t. III, p. 12.
[77] Journal du siège, t. IV, p. 163.
[78] Extraits analytiques des anciens Consaux, t. II, p. 329-30.
[79] Audivit que aliquando dictam Johannem dicentem regi quod ipsa Johanna duraret per annum et multum plus, et quod cogitarent illo anno de bene operando. Déposition du duc d'Alençon, t. III, p. 99.
[80] Déposition de Dunois, t. III, p. 12. — De cette assurance donnée par Jeanne au nom de Dieu, et si bien justifiée par les faits, il est intéressant de rapprocher l'extrait suivant du discours de Jean de Rely, prononcé en 1484, aux États de Tours. Jamais aussy, Sire, ne peust prosperer votre ayeul Charles VII devant son sacre ; et après icelluy commencement ne cessa ce royaume très crestien de flourir, accroistre et prosperer soubz luy, à son honneur et au bien de son peuple, à la recommandation et approbation du saint sacre de Reims, à la glorification, louange et magnification du nom de Dieu, auquel il attribuoit tous ses haulx fais et glorieuses victoires. Journal des États de Tours, p. 635. Cf. p. 661.
[81] Déposition de Dunois, t. III, p. 12 ; Cousinot, p. 299.
[82] Nous avons combiné le récit de Dunois et celui de Cousinot.
[83] A la date du 8 juin, l'argent faisait défaut. Lettre de Guy et André de Laval.
[84] Traité de Jacques Gelu, archevêque d'Embrun, écrit au mois de mai 1429. Procès, t. III, p. 408-409.
[85] C'est ce que constatent Eberhard de Windecken (t. IV, p. 497) et Cousinot (p. 312).
[86] Cousinot, p. 300 ; Journal du siège, t. IV, p. 169 ; et témoignage de Pierre Sala, t. IV, p. 278.
[87] Interrogée dans son procès sur son écu et ses armes, la Pucelle répondit qu'elle n'en eust oncques point ; mais son Roy donna à ses frères armes, c'est assavoir ung escu d'azur, deux fleurs de liz d'or et une espée parmy... Item dit que ce fut donné par son Roy à ses frères à la plaisance d'eulx, sans la requeste d'elle et sans revelacion. Interrogatoire du 10 mars. Procès, t. I, p. 118. — La question se trouve éclaircie par un passage de la Relation du grenier de la Rochelle (p. 23), qui constate qu'avant ce blason, qui fut donné à Jeanne comme à ses frères, mais dont elle ne parait pas avoir usé, elle avait un blason particulier, qui était d'azur à une colombe d'argent tenant en son bec une devise où on lisait : De par le Roy du Ciel. MM. de Bouteiller et de Braux ont donné pour la première fois la représentation iconographique des armes personnelles de la Pucelle dans leurs Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc (Paris, 1879, in-8°).
[88] Nous empruntons à l'excellent ouvrage de M. Marius Sepet le texte, rendu par lui plus intelligible pour tous, de ce curieux document, depuis longtemps connu d'ailleurs, et réédité par M. Quicherat (t. V, p. 106-111), lequel n'a pu retrouver l'original.
[89] Archives de Tours. Registres des comptes, XXIV, f. 106 v°. Extraits des archives de Tours, publiés par M. Vallet de Viriville dans le Cabinet historique, t. V, partie II, p. 108-109.
[90] Bulletin de l'Académie delphinale, t. II, p. 459, communication de M. Fauché-Prunello. L'auteur ajoute que l'envoi de cette lettre fut accompagné de celui d'une autre lettre, écrite huit jours plus tard, de Lyon, par Rebauteau, qui commandait dans cette ville. A la date du 27 juin, il met au courant des nouvelles et rapporte le propos suivant de Talbot : Quant Talebot fut pris, il dist que de ceste heure le Roy estoit le malaire du tout, et qu'il n'y avoit plus de remedde. Et croy qu'il dit vray, la mercy Dieu. On lit en post-scriptum : Le porteur de cest present dist que ceux de Paris sont en deroy et que en ont mis oure tous les Anglois, et ce y ont escript ou Roy.
[91] Lettres d'annoblissement pour Guy de Cailly, bourgeois d'Orléans, donnée à Sully en juin 1429. Procès, t. V, p. 343-46.
[92] Procès, t. V, p. 343.
[93] Ceulx d'Orléans, cuidans que le Roy deust venir, avoient fait tendre et parer la cité, mais il ne vint pas et en furent mal contens ; et le Roy se tenoit à Sully-sur-Loire. Journal du siège, t. IV, p. 178.
[94] C'est par erreur que la Chronique attribuée à Perceval de Cagny prétend que la Pucelle passa à Orléans du 19 au 24 juin ; car elle rejoignit à Sully le Roi, qui en partit le 20, et le 21 elle était avec lui à Saint-Benoît-sur-Loire.
[95] Cagny, t IV, p. 17 ; Chronique de Tournai, p. 414. — Et ceste bataille faite, dit à ce propos la Chronique, et les prisonniers emmenez avec toute la despouille, grand joie fut faite et loenges rendues à Dieu, congnoissans que toute victoire vient de lui. Et les prisonniers presentez au Roi, il les recupt très liement, en remerchiant ladite Pucelle et les cappitaines, et rendant grâces à Dieu qui donnoit corage à une femme de teles emprises.
[96] Cousinot, p. 304-305.
[97] Journal du siège. Procès, t. IV, p. 178.
[98] Gruel, p. 370 ; Berry, p. 378.
[99] Berry, p. 378.
[100] C'est-à-dire qu'ils étaient mécontents de cette affluence, craignant qu'on ne leur fit un mauvais parti.
[101] Lisez : que si ledit sire de La Trimoulle et autres...
[102] Il semble qu'on doive lire : pour celle heure.
[103] Jean Chartier, t. I, p. 89-90. Cf. Cousinot, p. 313 : En ce temps le seigneur de la Trimouille estoit en grand credit auprès du Roy, mais il se doubtoit tousjours d'estre mis hors du gouvernement, et craingnoit specialement le connestable et autres ses alliez et serviteurs.....
[104] Déposition de Simon Charles. Procès, t. III, p. 118.
[105] Ultra dixit quod rex suus et plures alii audiverunt et VIDERUNT voces venientes ad ipsam Johannem ; et ibi aderat Karolus de Borbonis et duo aut tres alii. Interrog. du 22 février, t. I, p. 57. Dans l'interrogatoire du 27 février (p. 75), elle dit encore : Et habuit Rex suus signum de factis suis, priusquam vellet ei credere.
[106] Déposition de Gobert Thibaut, Procès, t. III, p. 76. Cagny, Id., t. IV, p. 18 ; Jean Chartier, t. I, p. 88. — Il y avait même des gentilshommes qui, n'ayant de quoi s'armer et se monter, servaient comme de simples archers et coustillers, montez sur petits chevaulx. Cousinot, p. 312.
[107] Chronique dite de Perceval de Cagny. Procès, t. IV, p. 18. Cf. Cousinot, p. 313.
[108] Il avait été question d'emmener la Reine au voyage du sacre, et on l'avait fait venir, dans ce but, de Bourges à Gien ; mais finalement on y renonça. Voir Cousinot, p. 310.
[109] Jean Rogier. Procès, t. IV, p. 286.
[110] Cousinot, p. 313. Cf. p. 311 et Chartier, t. I, p. 90. — On manquait déjà de vivres : les habitants d'Auxerre en fournirent, moyennant finance, aux gens de l'ost du Roi, qui étaient en grande nécessité.
[111] Les lettres de Jeanne sont données par Jean Rogier. Procès, t. IV, p. 487.
[112] Tous ces détails sont empruntés à la Chronique de Cousinot (p. 315-19), que corroborent les dépositions de Simon Charles et de Dunois (Procès, t. III, p. 13 et 117), et que suivent Jean Chartier (t. I, p. 93-95) et le Journal du siège (Procès, t. IV, p. 181-83). — La soumission de Troyes, rendu incontinent sans cop ferir à la monicion et semonce d'icelle Pucelle, fit une vive impression ; c'est un fougueux bourguignon qui nous l'apprend : Dont toutes gens furent esbahis, et mesmement les princes et seigneurs tenant le dit party de Bourgongne, qui estoient en très grand doublante. Ms. fr. 23018, f. 484 v°-485. Il faut lire aussi les intéressants détails donnés par le greffier de La Rochelle sur l'intervention de l'évêque et du frère Richard (p. 33-34).
[113] Cousinot, p. 319. L'épisode est raconté tout au long par Martial d'Auvergne, dans ses Vigilles de Charles VII (t. I, p. 106-107) :
Le Roy qui en scout la nouvelle
Si commença à soy sourire
Du debut de la querelle
Et en fut joyeulx à vray dire.
Bref convint pour les prisonniers
Qu'il paiast aux Anglois content
Tout leur rançon de ses deniers :
Ainsi chascun si fut content.
Quand les Angloys, selon l'accord,
Eurent leur argent et rançon
Ils louérent le feu Roy fort
L'appelant prince de façon.
[114] Recueil de Jean Rogier : lettre du 11 juillet. Procès, t. IV, p. 296. — Les mêmes habitants de Troyes avaient écrit, le 5 juillet, aux mêmes habitants de Reims, qu'ils avaient fait les serments les plus solennels d'être fidèles jusqu'à la mort à Henri VI et au duc de Bourgogne, et qu'ils se défendraient à outrance contre l'ennemy et adversaire (p. 288).
[115] Lettre du 4 juillet. Nous abrégeons et nous modernisons le texte. — L'original signé est aux Archives municipales de Reims. Le texte a été publié par M. Louis Paris, dans le Cabinet historique, t. I (1855), p. 68. — La lettre du 11 juillet (Id., ibid., p. 77) est conçue à peu près dans les mêmes termes.
[116] Déposition de Simon Charles, t. III, p. 118.
[117] Déposition de frère Pasquerel, t. III, p. 111.
[118] Relation du greffier de la Rochelle, p. 35.
[119] Et a esté moult belle chose à veoir le bel mistere, car il a été aussi solempnel et a trouvé toutes ses choses appoinctées aussi bien et si convenablement pour faire la chose, tant comme abitz royaulx et autres choses à ce necessères, comme s'il l'eust mandé ung an devant ; et y a eu tant de gens que c'est chose infinie à escripre, et aussi la gant joye que chascun y avoit. Lettre de trois gentilshommes angevins à la Reine et à la reine de Sicile, dans le recueil des Procès, t. V. p. 128-130. Cf. Variante inédite d'un document sur le sacre de Charles VII, publiée par F. Boyer (Clermont et Orléans, 1881, in-8° de 8 p.), où le même texte est reproduit d'après une meilleure leçon, savoir une copie du temps conservée à Riom. — Il faut remarquer que le greffier de La Rochelle emprunte presque textuellement à cette lettre son récit du sacre (p. 36-37).
[120] Interroguée pour quoy il fut plus porté en l'église de Rains, au sacre, que ceulx des autres cappitaines, respond : Il avoit esté à la paine, c'estoit bien raison qu'il fut à l'onneur. Interrogatoire du 17 mars. Procès, t. I, p. 18. — Et durant ledit mistere, la Pucelle s'est toujours tenue joignant du Roy, tenant son estendart en sa main. Et estoit moult belle chose de seoir les belles manières que faisoit le Roy et aussi la Pucelle. Lettre des gentilshommes angevins.
[121] Il ne sera pas hors de propos de rappeler ici une belle page de M. Renan : A toute nationalité correspond une dynastie en laquelle s'incarnent le génie et les intérêts de la nation ; une conscience nationale n'est fixe et ferme que quand elle a contracté un mariage indissoluble avec une famille, qui s'engage par le contrat à n'avoir aucun intérêt distinct de celui de la nation. Jamais cette identification ne fut aussi parfaite qu'entre la maison Capétienne et la France. Ce fut plus qu'une royauté, ce fut un sacerdoce ; prêtre-roi comme David, le roi de France porte la chape et tient l'épée. Dieu l'éclaire en ses jugements... Le roi de France est juste. Entouré de ses prud'hommes et de ses clercs solennels, avec sa main de justice, il ressemble à un Salomon. Son sacre, imité des rois d'Israël, était quelque chose d'étrange et d'unique. La France avait créé un huitième sacrement, qui ne s'administrait qu'à Reims, le sacrement de la royauté. La Réforme intellectuelle et morale, p. 250-51 ; article paru dans la Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1869, et intitulé : la Monarchie constitutionnelle en France. — La grande affaire, a dit le P. Lacordaire, n'est pas la naissance du pouvoir, c'est le sacre. Voir Conférences, t. III, p. 173, 177, 178, et le Panégyrique de l'abbé Augustin Lémann, prononcé le 8 mai 1874, et publié sous ce titre : Jeanne d'Arc et Charles VII (Orléans, 1874, gr. in-8° de 40 p.).
[122] Et à l'eure que le Roy fit sacré, et aussi quand l'en lui assit la cotonne sur la teste, tout homme cria Noël ! et trompilles sonneront en teille maniere qu'il sembtoit que les soultes de l'église deussent fendre. Lettre citée. — On voit dans l'Histoire de Reims de D. Marlot (t. IV, p. 175), que Charles VII donna à l'église de Reims les lapis de satin vert qui avaient servi pour le sacre, et un ornement de velours rouge figuré.
[123] Cousinot, p. 322-23. Malgré l'éloignement et la difficulté des communications, la nouvelle du sacre se répandit avec une étonnante rapidité : elle arriva dès le lendemain à Poitiers. Voici ce qu'on lit dans les Registres du Parlement : Jeudi XVIIIe jour de juillet M CCCC XXIX : ce jour, ainsi que on vouloit appeller advocaz pour plaider, vindrent les nouvelles cornent le XVIIe jour de ce mois le Roy nostre sire Charles VIIe avoit esté sacrez et couronnez à Reims et pour [ce] a esté sursis de plaider ce jour, et les nouvelles notifiées à ceulx de la ville, on a esté assemblé à l'église cathedrale de Poictiers et fille (illec) a esté chanté Te Deum Laudamus et la messe du Saint-Esperit celebrée très solennellement à la louange de Nostre Seigneur. Archives, X1a 9199, f. 86.
[124] Dunois termine son importante déposition par cette déclaration : Denique inter cætera dicit dictus deponens, super hoc interrogatus, quod, licet dicta Johanna aliquotiens jocose loqueretur de facto armorum, pro animando armatos, de multis spectantibus ad guerram, quæ forte non fuerunt ad effectum deducta ; tamen, quando loquebatur seriose de guerra, de facto suo et sua vocatione, nunquam affirmative asserebat, nisi quod erat missa ad levandum obsidionem Aurelianensem ac succurrendum populo oppresso in ipsa civitate et locis circumjacentibus, et ad conducendum regem Remis, pro consecrando eum regem. Procès, t. III, p. 16.
[125] Voir : Le règne de Charles VII d'après M. Henri Martin et d'après les sources contemporaines, Paris, 1856, in-8° de 115 p. ; — Un dernier mot à H. Henri Martin, Paris, 1857, in-8° de 60 p. ; — La mission de Jeanne d'Arc d'après son dernier historien (M. Wallon). Paris, 1868, gr in-8° de 36 p. (extrait de la Revue des questions historiques, t. III, p. 383). — Cf. Des récentes études critiques sur Jeanne Darc, par M. Henri Martin, dans la Revue de Paris du 15 septembre 1856 ; article reproduit à la suite de la Jeanne Darc du même auteur (Paris, Furne, 1857, in-12, p. 327-376) ; et la 3e édition de la Jeanne d'Arc de M. H. Wallon (Paris, Hachette, 1815, 2 vol. in-12). M. le docteur Athanase Renard a traité cette question dans les commentaires de son drame historique : Jeanne d'Arc ou la Fille du peuple au quinzième siècle (1855, gr. in-18), et dans sa brochure : La mission de Jeanne d'Arc, examen d'une opinion de M. Jules Quicherat (1856, in-8° de 32 p.), travaux dont l'apparition précéda la polémique engagée avec M. Henri Martin.
[126] Henri Martin, Histoire de France, t. VI, p. 196, 201 et 215.
[127] Voir les textes rassemblés dans notre étude sur la mission de Jeanne d'Arc, p. 16-22.
[128] La mission de Jeanne d'Arc, par le R. P. Gazeau, de la Compagnie de Jésus. Études religieuses, etc., mars-avril 1862. — Les historiens contemporains, dit très bien (p. 178) le regrettable professeur à l'École de l'Immaculée Conception, sans apporter aucune preuve nouvelle et décisive, ne font, avouons-le, que développer en l'aggravant l'article 57 du réquisitoire écrit par le promoteur Jean d'Estivet, dicté par le juge Pierre Cauchon, et payé par les Anglais.
[129] Voir en particulier l'ouvrage de M. Wallon sur Jeanne d'Arc, d'ailleurs si complet et si consciencieux. Nous avons constaté avec satisfaction quelques atténuations aux premières appréciations de l'auteur, dans la seconde et dans la troisième édition.
[130] Lettre des gentilshommes angevins : addition donnée par M. F. Boyer, dans la brochure citée. Cf. du Puy, 416, f. 17.
[131] Si n'y avoit personne qui en eust osé parler contre iceluy de la Trimoulle. Cousinot, p. 313. — Et n'osoit-on parler contre le sire de la Trimoulle, répète Chartier, t. I, p. 90.
[132] Voir le texte de cette lettre. Procès, t. V, p. 128.
[133] Nouvelles preuves des trahisons essuyées par la Pucelle, par M. J. Quicherat. Communication faite en 1866 au Comité organisé à Rouen pour le rachat de la tour de Jeanne d'Arc, et insérée, par décision du Comité, dans la Revue de la Normandie du 30 juin 1866. — Au moment de l'apparition de cet article, nous lui avons consacré quelques pages de réfutation dans la Revue des questions historiques : Jeanne d'Arc trahie par Charles VII, livraison du 1er janvier 1867, t. II, p. 286-91 (et tirage à part, gr in-8° de 6 pages). Nous regrettons de trouver dans le dernier travail du regrettable érudit que la science vient de perdre, et qui parait au moment où ces pages s'impriment, des appréciations conformes à l'idée qu'il s'était faite à cet égard (Supplément aux témoignages contemporains sur Jeanne d'Arc, dans la Revue historique de mai-juin 1882, p. 50-83). — Pourtant cette idée n'eut point chez lui, tout d'abord, la portée et l'extension qu'elle matit plus tard. En 1841, M. Quicherat, rendant compte dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes (t III, p. 103) du tome V de l'Histoire de France de M. Michelet, s'exprimait en ces termes : Après lui, que reste-t-il à faire ? Peu de chose. Amplifier, revenir sur les circonstances particulières : par exemple, examiner de plus près la question des extases ; constater d'une manière plus positive les trahisons dont la Pucelle a été victime dans sa campagne sur la haute Loire et au siège de Compiègne. Et dans ses Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, publiés en 1850, il indique bien de quelle malveillance Jeanne d'Arc fut l'objet de la part de certains conseillers, mais il ne prononce le mot de trahison qu'en parlant de la prise de la Pucelle devant Compiègne. On voit qu'il n'était point question ici de la campagne de Paris.
[134] Se la chose eust esté bien conduicte, disait Jouvenel des Ursins dans son Épître de 1439, vous aviez sans difficulté recouvré toute vostre seignourie. Ms. fr. 5022, f. 5.
[135] Et soit à presuposer et estimer que se tousdis cuist procedé avant, euist reconquesté tout son roiaulme ; car les Englès et aultres ses adversaires estoient si esbahis et effeminez que à paines se osoient amonstrer en deffendre la pluspart de eulx, sans esperance de eviter la mort fors par fuir. Chronique de Tournai, l. c., t. III, p. 414.
[136] Jeanne d'Arc, par M. H. Wallon. 3e édition, t. I, p. 428.
[137] Par deca le Roy ne entend que à fere son chemin, et pour ce ne besoingne rien en autres choses. Passage inédit de la lettre des trois gentilshommes angevins, restitué par M. F. Boyer (p. 8), dans la brochure citée plus haut.
[138] Ce retard fut motivé par les négociations entamées, dès le lendemain du sacre, avec le duc de Bourgogne. Voir plus loin, chap. IX.
[139] Voir Monstrelet, t. IV, p. 354.
[140] A Disciple und Lyme of the Feende, called the Pucelle, that used fais Enchauntements and Sorcerie. Lettre du duc de Bedford à Henri VI. Rymer, t. IV, part. IV, p. 141.
[141] Déposition de Dunois. Procès, t. III, p. 14-15 ; Cousinot, p. 326.
[142] Voir les textes cités dans notre brochure Jeanne d'Arc et sa mission, p. 23-24.
[143] Panégyrique de Jeanne d'Arc, prononcé par Mgr Dupanloup le 8 mai 1855, p. 29.
[144] Déposition de Gérardin d'Épinal. Procès, t. II, p. 423.
[145] Paiement de 243 l. t., en forte monnaie, et de 30 ducats d'or (lettres du 22 septembre). Procès, t. V, p. 266. — Paiement de 500 l. t. pour harnais et chevaux donnés en diverses fois depuis quatre mois. Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, t. I, p. 44. — Don de 60 livres au père de Jeanne, à Reims. Procès, t. V, p. 267. — Jeanne avait un trésor, montant à 10 à 12.000 livres. Procès, t. I, p. 118.
[146] Paiement de 38 l. 10 s. t. Procès, t. V, p. 267.
[147] Paiement de 137 l. 10 s. t. id., ibid. — Dans son interrogatoire du 10 mars, Jeanne dit qu'elle avait cinq coursiers de l'argent du Roy, sans les trotiers où il y en avait plus de sept (t. I, p, 118).
[148] Le texte est dans le recueil cité, t. V, p. 138.
[149] Et l'appeloient parmy France les folles et simples gens l'Angélique... Le livre des trahisons de France envers la maison de Bourgogne, dans les Chroniques relatives a l'histoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne (textes français), publiés par le baron Kervyn de Lettenhove (Bruxelles, 1873, in-4°), p. 197.
[150] Procès, t. V, p. 135.
[151] But yet to
set a good countenance on the matter, he answered the Herald that he would
sooner seeke bis maister than his maister shonld need to pursue him. Holinshed, The Chronicles of Englande, etc., London,
1586-87, in-folio, t. II, p. 602.
[152] Jeanne elle-même l'a constaté à différentes reprises dans son Procès : A la requeste des gens d'armes fut faicte une vaillance d'armes. — Les gentilshommes m'ont entraîné malgré moi. Procès, t. I, p. 146, 168, 250, 57. Un auteur contemporain. Monstrelet, dit à ce propos (t. IV, p. 346) : Si y estoit Jehanne la Pucelle, tousjours ayant diverses oppinions, une fois vœllant combattre ses ennemis, et autres fois non.
[153] Chronique d'Alençon, attribuée à Perceval de Cagny. Procès, t. IV, p. 26.
[154] Le 23, avant le retour des ambassadeurs envoyés à Arras, la Pucelle se mettait en campagne ; le 26, elle occupait Saint-Denis ; le 1er septembre, le duc d'Alençon venait trouver le roi à Senlis pour le supplier de marcher sur Paris ; le 5, il revenait à la charge. Le Roi, se laissant persuader, arriva le 7, tandis que la Pucelle marchait sur La Chapelle et sur Paris, qu'elle attaqua le lendemain.
[155] Voir sur ce point l'appréciation du R. P. Gazeau, dans son remarquable article : Jeanne d'Arc a-t-elle rempli sa mission ? — Études religieuses, historiques et littéraires, mars 1866, p. 322.
[156] Après l'insuccès du coup de main sur Paris, la retraite était inévitable. Si le Roi fût resté au-delà de la Seine, occupant les contrées comprises dans la trêve, c'eût été, comme il l'écrivait le 13, septembre aux habitants de Reims, la totale destruction du pays par ses gens de guerre ; il n'avait pas de ressources pour poursuivre la campagne et se porter sur la Normandie, comme l'aurait désiré le duc d'Alençon. Cousinot le dit formellement : Si n'y avoit deniers de quoy il put entretenir son ost (p. 335). Le Roi se borna donc à placer des garnisons dans les villes et à laisser dans le pays un chef militaire, le comte de Clermont, avec plusieurs lieutenants (Culant, Brusac, Loré, Foucault, etc.), et une commission gouvernementale, composée, conjointement avec les comtes de Clermont et de Vendôme, de l'archevêque de Reims (chancelier), de Christophe d'Harcourt, de Jean Tudert, etc. (cette commission avait été instituée dès le 7 septembre ; voir ms. fr. 21405, f. 102). Le Roi annonçait hautement d'ailleurs l'intention de reprendre l'offensive à l'expiration de la trêve (lettre du 13 septembre).
[157] C'est ce qui résulte d'un passage de Martial d'Auvergne. Voir l'extrait donné dans le recueil des Procès, t. V, p. 71. Cf. la chronique attribuée à Perceval de Cagny, t. p. 30, et le héraut Berry, t. IV, p. 48.
[158] Déposition de Marguerite La Touroulde. Procès, t. III, p. 86.
[159] Voir Perceval de Cagny et Berry. Procès, t. IV, p. 31 et 49.
[160] Procès, t. V, p. 150. Voir De la noblesse de Jeanne d'Arc, dite du Lys, Pucelle d'Orléans, par Gilles-André de la Roque Orléans, Herluison, 1878 (opuscule publié par le baron de Braux) ; — La famille de Jeanne d'Arc, documents inédits, généalogie, etc., par E. de Bouteiller et G. de Braux. Paris, Claudin, 1878, in-8° ; — Nouvelles recherches sur la famille de Jeanne d'Arc, enquêtes inédites, généalogie, par E. de Bouteiller et G. de Brans. Paris, Claudin, 1879, in-8° ; — La famille de Jeanne d'Arc, son séjour dans l'Orléanais, par M. Boucher de Molandon. Orléans, Herluison, 1878, gr. in-8°. Cf. Revue des questions historiques, t. XXV, p. 666, article de M. A. de Barthélemy.
[161] Interrogatoire du 3 mars. Procès, t. I, p. 108. — Cette indication complète l'itinéraire (t. V, p. 381) et fixe la date de l'entrevue de Jeanne avec celle Catherine.
[162] Procès, t. V, p. 159-162.
[163] Perceval de Cagny. Procès, t. IV, p. 32.
[164] Michelet, Jeanne d'Arc, p. 98. Ce que Michelet disait en 1841, avec cette clairvoyance si remarquable qui n'était point encore troublée par ses fantaisies démocratiques, Mgr Dupanloup l'a dit éloquemment dans son second Panégyrique de Jeanne d'Arc (1869), p. 4547.
[165] Mgr Pie, Panégyrique de Jeanne d'Arc (1844), p. 7, 28, 30 et s.
[166] Mgr Dupanloup, Panégyrique de Jeanne d'Arc (1855), p. 35.
[167] Réflexions historiques et critiques sur la conduite qu'a tenue Charles VII à l'égard de Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans, après qu'elle eut été faite prisonnière par les Anglois au siège de Compiègne, dans le tome III, pages 156-170, des Notices et Extraits de la bibliothèque du Roi (Paris 1790, in-4°).
[168] Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, par M. Jules Quicherat (Paris, 1850), p. 22.
[169] Recherches sur le procès de condamnation de Jeanne d'Arc, par M. Charles de Robillard de Beaurepaire, Rouen, 1869, in-8° de 128 p. Je sais, dit le savant auteur (p. 92), tout ce que la France doit à ce prince, et je ne voudrais point m'associer à eux qui ont si sévèrement apprécié sa conduite sans tenir suffisamment compte de toutes les difficultés de la situation qui lui avait été faite.
[170] Recherches sur le procès de condamnation, p. 94.
[171] Combien que la prise d'icelle femme ne soit pareille à la prise de Roy, princes et autres gens de grant estat, lesquels toutes voies, se prins estoient, ou aucun de tel estat, le Roy le pourroit avoir en baillant au preneur dix mil frans, selon le droit, usaige et coustume de France. Sommation faite par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg. Procès, t. I, p. 14. — Finaliter eam obtinuit (Cauchon) mediante tamen summa mille librarum et tricentum librarum annui reditus, quam rex Angliæ tradidit cuidam homini armorum ducis Burgundiæ, qui eamdem Johannam cœperat. Déposition de Guill. Manchon. Procès, t. III, p. 134. — ... Dix mil livres tournois au paiement de Jehanne la Pucelle, etc. Répartition d'un dixième de l'impôt voté pour l'achat de la Pucelle et la continuation de la guerre. Ibid., t. V, p. 179.
[172] Lettre sans date. Procès, t. I, p. 9.
[173] Lettre du 14 juillet 1430. Procès, t. I, p. 10-11.
[174] Recherches sur le Procès de condamnation, p. 92.
[175] Georges Chastellain, t. IV, p. 442.
[176] Et fist tant finalement que renommée couru par tout jusques à Rome qu'elle faisoit miracles. Chronique anonyme : Ms. fr. 23018, f. 483 v°. — La partie relative à Jeanne d'Arc a été éditée tout récemment par M. Quicherat dans la Revue historique, livr. de mai-juin, p. 72-83.
[177] Ce fut pendant longtemps le thème des écrivains bourguignons. Le Bourgeois de Paris dit (p. 269) quelle était toute plaine de l'ennemy d'enfer.
[178] C'est ce que constate la Chronique anonyme. Continuons la citation : qu'elle faisoit miracles, et que, puis qu'elle venoit devant une place, les gens de dedans, quelle volonté qu'ils eussent par avant de non obeir audit Daulphin ne à elle, estoient tous muez et faliz et n'avoient nulle puissance de euh deffendre contre elle, et tantost se rendoient.
[179] De la prise de la Pucelle fu moult grant renommée partout, dit le bourguignon anonyme (Ms. 23018, f. 498 ; Quicherat, l. c., p. 82) ; en furent moult joyeux ceulx du party de Bourgongne et ceulx des autres moult dolans ; car les ungs avoient esperance et les aultres doubtance de son fait.
[180] Original, aux Archives de Saint-Quentin. Procès, t. V, p. 466-67.
[181] C'est ce qui ressort du procès de condamnation (voir Procès, t. I, p. 3) ; de la lettre postérieure de l'Université au duc (p. 9) ; et de celle du vicaire général de l'inquisiteur (p. 12), qui porte la date du 26 mai.
[182] Procès, t. I, p. 9.
[183] Procès, t. I, p. 12.
[184] Procès, t. I, p. 13. Cf. t. V, p. 194.
[185] Ces détails sont tirés du poème de Valeran Varanius, composé sur les pièces du procès, et qui acquiert par là une certaine valeur historique. Procès, t. V, p. 84.
[186] Journal d'un bourgeois de Paris, éd. Tuetey, p. 259.
[187] Valeran Varanius, l. c.
[188] C'est ce dont convinrent tous les témoins de la réhabilitation : Quare processus si contra eam [fuisse] ut infamerent regem Franciæ et tendebatur ad illum finem judicio suo. (Déposition d'Isambard de la Pierre, t. II, p. 353.) — Et erat vox communs quod omnia que fiebant contra eamdem Johannam, fuerunt sibi illata in odium regis Franciæ. (Déposition de Mauger Leparmentier, t. III, p. 186.) — Quærebant eam probare hæreticam ut infamarent ad hoc dominum regem Franciæ. (Déposition de P. Migier, t. II, p. 801.) — Et credit firmiter quod omnia quæ fuerunt facta, fuerunt facta in odium christianissimi regis Franciæ et ad eum diffamationem. (Déposition de Martin Ladvenu, t. III, p. 168.) — Et credit quod quidquid fuit actum contra eamdem Johannam fuit in odium regis Franciæ, et ad ipsius diffamationem. (Déposition de Nicolas de Huppeville, t. III, p. 173.) — Le même avait dit dans une précédente déposition : Et ita erat fama in hac civitate Rothomagensi, videlicet quod ipsi Anglici procedebant et odio et timore, ac etiam ad diffamandum regem Franciæ. (Procès, t. II, p. 328.)
[189] Nous qui, pour reverence et honneur du nom de Dieu, defense et exaltation de sa dicte saincte Eglise et foy catholique, voulons devotement obtemperer, comme vrais et humbles filz de Sainte Eglise, aux requestes et instances dudit reverend Père en Dieu (l'évêque de Beauvais) et exortacions des docteurs et maistres de nostre dicte fille l'Université de Paris. Lettres du 3 janvier 1431. Procès, t. I, p. 19.
[190] Les deux procès de condamnation, les enquêtes et la sentence de réhabilitation de Jeanne d'Arc, par M. O'Reilly, conseiller à la Cour de Rouen (Paris, 1868, 2 vol. in-8°), t. I, p. XLI.
[191] Déposition de Guillaume Manchon. Procès, t. II, p. 15.
[192] Déposition de Jean Massieu. Ibid., id., p. 17.
[193] Déposition de Martin Ladvenu et de Jean Riquier. Procès, t. III, p. 168 et 190.
[194] Déposition de Jean Massieu.
[195] Dépositions de J. Massieu et de Guill. Manchon. — Cette touchante sollicitude de la Pucelle pour le Roi éclata à plus d'une reprise dans son Procès. Dans l'interrogatoire du 24 février, elle déclare spontanément que, cette nuit, la voix lui a dit beaucoup de choses pour le bien de son Roi, et qu'elle ne boirait pas de vin jusqu'à Pâques ; de sorte que lui s'en trouverait plus joyeux à son diner (t. I, p. 64). Une autre fois, le 28 mars, la Pucelle avait rendu au Roi ce témoignage : Dit qu'elle scait bien que Dieu ayme mieulx son Roy qu'elle pour l'aise de son corps ; et dit qu'elle le scait par revelation. (Procès, t. I, p. 257-58 ; voir sur cette parole le commentaire de M. Marius Sepet : Jeanne d'Arc, p. 71). — Enfin, avant de mourir, la Pucelle devait encore rendre à Charles VII un solennel témoignage. C'était sur la place du Vieux marché, en face du bucher qui l'attendait. A travers les pieuses et devotes lamentations et les ferventes prières qu'elle ne cessait de faire entendre et qui arrachèrent des larmes à plusieurs des assistants et aux Anglais mêmes, la pensée de son Roi lui revint. Elle protesta qu'à l'égard de tout ce a qu'elle avait fait, soit en bien, soit en mal, elle n'avait jamais été induite par son Roi à le faire. (Procès, t. III, p. 56) ; établissant sa propre innocence, dit M. Wallon (t. II, p. 281), tout en ne songeant qu'à mettre hors de doute la sincérité du Roi.
[196] Procès, t. I, p. 451, et trad. Vallet, p. 231.
[197] Lettre en date du 8 juin 1431. Procès, t. I, p. 486 et 487, et trad. Vallet, p. 252-53. Les mêmes termes sont employés dans la lettre française du 28 juin aux prélats, ducs, comtes et autres nobles et aux cités du royaume de France (t. I, p. 491).
[198] Procès, t. I, p. 493.
[199] Procès, t. I, p. 497. Dans les lettres de garanties données aux juges de la Pucelle, le roi d'Angleterre prenait les devants sur les tentatives que pourrait faire le roi de France contre le jugement qui venait d'être rendu : Pour ce que, disait-il, par adventure, aucuns qui pourroient avoir eu les erreurs et malefices de ladicte Jehanne aggreables, et autres qui induement s'efforceroient ou se vouldroient efforcier, par hayne, vengeance ou aultrement, troubler les vrays jugements de notre mère saincte Eglise, de traire en cause par devant nostre saint Père le Pape, le saint concilie general ou autre part les dits reverend père en Dieu, vicaire... nous... promettons, etc. Procès, t. I, p. 485-93 et 496 ; t. III, p. 241-14.
[200] Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, p. 108. Cf. p. 148-149.
[201] Chronique de Tournai, dans la collection des chroniques belges, t. III, p. 417.
[202] Lettre analysée par Jean Rogier dans son Recueil des Chartres, titres et attests notables tirés des archives de Reims. Procès, t. V, p. 168-69.
[203] Ce document, disait M. Quicherat dans ses Aperçus nouveaux (p. 92), n'a été encore ni employé ni soumis à la critique. Comme il est d'une conséquence infinie, que d'un autre côté, il ne se présente pas sous sa forme originale, on pourra élever des doutes, sinon sur la bonne foi, au moins sur l'intelligence de celui qui nous l'a transmis. Je ne m'en sers donc qu'avec une certaine réserve, après m'y être pris de toutes les manières pour l'interpréter autrement que je ne fais, et désirant, tant la teneur est révoltante, que de nouveaux documents viennent modifier le sens que je lui donne.
[204] Le Fèvre de Saint-Remy, éd. Morand, t. II, p. 263.
[205] Voir la préface du tome XIII des Ordonnances, p. XV.
[206] Parmi ceux qui gardèrent ce silence significatif, il faut citer Alain Chartier (voir Étude sur Alain Chartier, par D. Delaunay (1876), p. 97-90), et Jean Jouvenel des Ursins, qui succéda à Pierre Cauchon sur le siège de Beauvais (voir Procès de Condamnation de Jeanne d'Arc, traduit du latin par M. Vallet de Viriville (1867), p. 168 note et 187 note ; Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, par M. Quicherat, p. 156 ; Jean Jouvenel des Ursins, par l'abbé Péchenard (1876), p. 162). — Un autre symptôme digne de remarque, c'est l'estime témoignée à certains des juges de la Pucelle par les personnages les plus marquants de l'entourage de Charles VII. Ainsi Gérard Machet, confesseur du Roi, qui était au nombre des examinateurs de Poitiers, traitait plus tard Guillaume Erard de Vir clarissimæ virtutis et cœlestis sapientiæ, et correspondait avec lui. Ajoutons que Thomas de Courcelles, après la réduction de Paris, fut employé dans plusieurs missions diplomatiques, et prononça plus tard l'oraison funèbre de Charles VII. Voir Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 104-105, et Procès, t. II, p. 300, note 3.
[207] Il faut lire les historiens bourguignons, même les plus impartiaux, pour avoir une idée de l'état de l'opinion sur Jeanne d'Arc. On sait comment Chastellain, à la suite de Monstrelet, traite la Pucelle. L'évêque de Verdun, Guillaume Fillastre, en racontant la merveilleuse délivrance du royaume, ne prononce même pas son nom (Ms. fr., 2621) L'évêque de Chilon, Jean Germain, un des Pères de Bale et de Ferrare, dans son Panégyrique de Philippe le Bon, la représente comme adonnée aux sortilèges et regarde son supplice comme mérité (Ludwig, Reliquiæ, t. XI, p. 24-25, et Chroniques belges, publiées par M. Kervyn de Lettenhove (1876), p. 28). L'auteur allemand du Magnum chronicon Belgicum, chanoine régulier de l'ordre de saint Augustin, qui écrivait après la réhabilitation, est encore sous l'impression du procès de Rouen (Pistorius, Rerum Germanicarum Scriptores, t. III, p. 401-402). Dans les rangs français même, nous l'avons dit, on garde le silence sur les exploita de Jeanne. On peut dire que, pendant de longs siècles, l'opinion publique fut égalée. Jamais mémoire de femme ne fut plus déchirée que la sienne ; disait Étienne Pasquier au seizième siècle : et après du Haillan devait venir Voltaire !
[208] Dans des contrées lointaines restées fidèles à la cause royale, on alla jusqu'à insinuer que Jeanne avait été livrée aux ennemis : Et depuis dirent et affirmerent pluiseurs que, par le envie des capitaines de France, avec la faveur que aulcuns du conseil du Roi avoient à Philippe duc de Bourgogne et audit messire Jehan de Lucenbourcq, on trouve couleur de faire morir ladite Pucelle par feu, en ladite ville de Rouen. Chronique de Tournai, l. c., p. 417.
[209] M. Lebrun de Charmettes, auteur d'une très estimable Histoire de Jeanne d'Arc, publiée en 1817 (4 vol. in-8°), et M. Ch. de Beaurepaire.
[210] Recherches sur le procès de condamnation, par Ch. de Beaurepaire, p. 94.
[211] Histoire de Jeanne d'Arc, t. IV, p. 251.
[212] M. de Beaurepaire, l. c., p. 94-95.
[213] Par leans je suyvoie ce bon chevalier monseigneur de Boisy, quant il s'esbatoit parmy le parc ; et tant l'aimoye pour ses grans vertus, que je ne pouvoye de luy partir ; car de sa bouche ne sortoit que beaulx exemples où j'apprenoye moult de bien. Celuy me compta entre aultres choses le secret qui avoit esté entre le Roy et la Pucelle ; et bien le pouvoit sçavoir, car il avoit été en sa jeunesse très aymé de ce Roy, tant qu'il ne voulut oncques souffrir coucher nul gentilhomme en son lit fors luy. En ceste grande privaulté que je vous dis, lui compta le Roy les parolles, etc. Hardiesses des grands Roys et Empereurs, par Pierre Sala. Procès de Jeanne d'Arc, t. IV, p. 279.
[214] Procès, t. IV, p. 281-2.
[215] Extrait publié par M. Quicherat. Procès, t. IV, p. 518.
[216] Procès, t. V, p. 84-85.
[217] Valeran Varanius, De gestis Joannæ virginis Franciæ egregiæ bellatricis libri quatuor, l. c., p. 85.
. . . . . Fieri quæcumque per arma.
Et fernun licuit, tentavimus.
Ce poème parut en 1516, et est dédié au cardinal d'Amboise. L'auteur était docteur en théologie. — Voir l'analyse faite par M. Ed. Cougny dans sa brochure : Jeanne Darc, épopée latine du seizième siècle, Paris, 1874, in-8° de 47 p.
[218] Le 14 mars 1431, le bâtard d'Orléans donnait quittance d'une somme de trois mille livres que le Roi avait ordonné, par lettres du 12 mars précédent, de lui bailler, savoir : 2.000 I. t. pour la dépense qu'il aurait à faire pour mener en sa compagnie certain nombre de gens d'armes et de trait au voyage qu'il fait présentement ès pais de par delà la rivière de Seine ; et 1.000 l. t. pour la provision du pont de Meulan. Original signé, Clairambault, 1122, n° 55. — Lettres de Charles VII en date du 2 avril 1431, ordonnant de payer au bâtard d'Orléans une somme de 1.200 l. t. ; Quittance du bâtard d'Orléans en date du 20 juin 1431. Fontainieu, 115-116.
[219] M. Vallet, en citant les deux documents en date du 2 avril (t. II, p. 244), repousse d'une façon trop absolue la pensée d'un lien possible entre ce fait avec la délivrance de la Pucelle, et il va bien loin en disant : La Hire et ses semblables combattaient pour combattre, et non pour délivrer la Normandie ni même la Pucelle.
[220] Le Roi lui donna le profit et revenu des hauts passages (droit sur les marchandises) au baillage de Chaumont. Lettre de rémission du 23 mai 1445. Procès, t. V, p. 210. Cf. Vallet, Histoire de Charles VII, t. II, p. 171 note 1.
[221] Vallet de Viriville, Nouvelles recherches sur la famille et sur le nom de Jeanne Darc, Paris, Dumoulin, 1854, p. 10 et 43-44.
[222] Mémorial de la Chambre des Comptes, I Bourges, aux Archives (PP 110, f. 238), cité par M. Vallet, Histoire de Charles VII, t. II, p. 366.
[223] Guill. Gruel, p. 216 ; D. Calmet, Histoire de Lorraine, III, p. 821. — Vallet, Procès de condamnation, p. 486-89.
[224] Vallet, Histoire de Charles VII, t. III, p. 33, note 3.
[225] Vallet, l. c., p. 144.
[226] Procès, t. V, p. 364.
[227] Vallet, l. c., p. 150. Voir ce que dit encore l'historien à la page 318. — M. Vallet de Viriville, dans les notes et développements qui accompagnent sa traduction du Procès de condamnation, dit, à propos de la conduite de Charles VII et de son odieux abandon de la Pucelle : On n'est pas ingrat, inhumain, contre son intérêt le plus palpable ; contre le sentiment le plus élémentaire de sa considération morale aux yeux de tous ses sujets ! Pour que Charles VII se comportât ainsi, il fallut encore que le gouvernement fût aux mains des politiques qui l'entouraient, qui le gouvernaient lui-même, et que l'histoire rangera sans hésiter parmi les plus roués et les plus pervers. Il fallut tout l'ascendant qu'exerçaient ces ministres sur un prince jeune, lent à se développer, soupçonneux et frivole, qui n'échappait à l'horreur de la détresse que par l'ivresse et l'expédient d'une vie de loisir, d'ignorance ou de voluptés, murée (p. 288). — En faisant la part des erreurs dans les appréciations et de la déclamation dans le style, cette conclusion ne diffère guère de la nôtre.
[228] Vallet, l. c., p. 170.
[229] C'est ce qu'a très bien mis en lumière M. Vattel de Viriville, Histoire de Charles VII, t. III, p. 348 et s. — M. Quicherat, si peu favorable à Charles VII, convient que la réhabilitation de la Pucelle fut une bonne action du Roi, un retour courageux quoique non pas tout à fait complet qu'il osa faire sur les préventions de sa jeunesse, et constate qu'il parait en avoir poursuivi l'accomplissement avec cette ténacité qu'il mettait à exécuter les décisions de sa conscience. Aperçus nouveaux sur l'histoire de Jeanne d'Arc, p. 149. — L'histoire, dit M. Vattel (p. 306), doit tenir compte à Charles VII de cet acte, si péniblement et si tardivement dû à ses négociations habiles, à sa persévérance opiniâtre. Cf. Procès de condamnation, notes et développements, p. 289. — M. Wallon a parfaitement établi (3, édition, t. II, p. 338 et s.) le caractère du procès de réhabilitation et fait justice des attaques sans fondement dont il a été l'objet. Lui aussi rend à Charles VII l'hommage qui lui est dû : Le Roi parle, il agit avec cette prudence mais en même temps avec cette suite et cette fermeté qui présidèrent à ses résolutions dans la seconde partie de son règne... Il est juste de lui faire honneur d'avoir su, au risque d'appeler l'attention sur les faits qui le condamnent lui-même, provoquer et mener à bonne fin le jugement qui réhabilita Jeanne (p 348).