Tome I
Une croyance commune aux doctes et aux ignorants attachait des vertus singulières à l’état de virginité. Ces idées remontaient jusqu’à une antiquité vaste et profonde : l’origine s’en perdait dans un passé qui n’était point chrétien ; c’était un legs immémorial, dont une part venait des Gaulois et des Germains, une autre part des Romains et des Grecs. Sur cette terre des Gaules, les blanches prêtresses des forêts avaient laissé quelque souvenir de leur beauté sacrée ; et l’on voyait parfois encore flotter dans l’île de Sein, le long des bords brumeux de l’Océan, l’ombre pâle des neuf sœurs qui, aux jours passés, endormaient à leur volonté ou éveillaient la tempête. Selon ces croyances, écloses dans la jeunesse des peuples, le don de prophétie est réservé aux vierges. C’est le partage d’une Cassandre et d’une Velléda. Les Sibylles passaient pour avoir prophétisé la venue de Jésus-Christ ; on les tenait, dans l’Église, pour les gardiennes de la révélation première au milieu des Gentils, et on les vénérait comme les sœurs augustes des prophètes d’Israël. La prose des Morts atteste l’une d’elles en même temps que le roi David. Quelles fraudes pieuses établirent leur gloire prophétique, c’est ce que nous devons ignorer ici autant que l’ignorait un Jean Gerson ou un Gérard Machet. Il nous faut voir, au contraire, arec les docteurs du XVe siècle, ces vierges annonçant la vérité aux nations qui les vénéraient sans les comprendre. Telle était l’antique tradition de l’Église chrétienne. Les Pères les plus anciens, Justin, Origène, Clément d’Alexandrie faisaient grand usage des oracles sibyllins, et les païens ne savaient trop que répondre quand Lactance leur opposait le témoignage de ces prophétesses des nations. Saint Jérôme, sur la foi de Varron, croyait fermement à leur existence. Saint Augustin met dans la Cité de Dieu la Sibylle Erythrée qui, dit-il, annonça sans mélange d’erreurs la vie du Sauveur. Dès le XIIIe siècle, ces vierges antiques avaient pris place dans les cathédrales au coté des patriarches et des prophètes. Mais c’est au XVe que leurs images se montrent en foule, sculptées au portail des églises, taillées dans les stalles du chœur, feintes sur les murs des chapelles ou sur les verrières lumineuses. Chacune a son attribut distinctif. La Persique tient cette lanterne et la Libyque cette torche, qui percèrent les ténèbres de la gentilité. L’Agrippe, l’Européenne et l’Érythrée sont armées du glaive ; la Phrygienne porte la croit pascale ; l’Hellespontine présente un rosier fleuri ; les autres montrent les signes visibles du mystère qu’elles ont annoncé : la Cumane, une crèche ; la Delphique, la Samienne, la Tiburtine, la Cimmérienne, une couronne d’épines, un sceptre de roseau, des verges, une croix[1]. L’économie même de la religion chrétienne, l’ordre de ses mystères où l’on voit l’humanité perdue par une femme et sauvée par une vierge, et toute chair enveloppée, dans la malédiction d’Ève, conduisait au triomphe de la virginité et à l’exaltation d’un état qui, pour parler comme un Père de l’Église, est dans la chair sans être charnel. C’est la virginité, dit saint Grégoire de Nysse, qui fait que Dieu ne refuse pas de vivre avec les hommes. C’est elle qui donne aux hommes des ailes pour prendre leur vol vers le ciel. La virginité élève l’apôtre Jean au-dessus même du prince des apôtres. Lors des funérailles de Marie, Pierre remit à Jean la branche de palmier et dit : Il convient à celui qui est vierge de porter la palme de la Vierge[2]. La vierge Marie, la Vierge par excellence, était, dans l’occident chrétien, depuis le XIIe siècle, l’objet d’un culte ardent et tendre[3]. Les grandes cathédrales du nord de la France, placées sous le vocable de Notre-Dame, célébraient leur fête patronale le jour de l’Assomption. Contre le pilier symbolique du grand portail s’élevait l’image de la Vierge avec son divin Enfant et le lis virginal. Parfois Ève figurait au-dessous, afin qu’on vit en même temps la faute et la rédemption, la seconde Ève rachetant la première, la vierge exaltée et la femme humiliée. Au tympan des portails se déroulent des scènes merveilleuses. La Vierge est agenouillée : près d’elle un lis fleurit dans un vase. L’ange, un lis à la main, lui dit AVE, retournant ainsi le nom d’EVA, mutans Evæ nomen. Ou bien encore, les pieds posés sur le croissant de la lune, elle s’élève au plus haut des cieux : Exaltata est super choros angelorum. Plus loin, elle reçoit de Jésus-Christ la couronne précieuse : Posuit in capite ejus coronam de lapide pretioso. Les vitraux représentaient en joyaux de lumière les figures de la virginité de Marie : la pierre vue par Daniel, détachée de la montagne sans la main d’aucun homme, la toison de Gédéon, le buisson ardent de Moïse et la verge fleurie d’Aaron. Célébrée en des hymnes, des séquences et des litanies, avec une inépuisable abondance d’images, elle était la Rose mystique, la Tour d’ivoire, l’Arche d’alliance, la Porte du ciel, l’Étoile du matin. Elle était le Puits des eaux vives, la Fontaine du jardin, le Verger clos, la Gemme lumineuse, la Fleur des vertus, la Palme de douceur, le Myrte de tempérance, le Nard odorant. L’idée qu’en la virginité résidaient la grâce et la puissance prenait, dans la légende dorée, les formes les plus riches et les plus charmantes. Les hagiographes comblent des plus douces louanges les épouses de Jésus-Christ, celles-là surtout qui mirent sur la robe blanche de la virginité les roses rouges du martyre, C’était pendant la passion des vierges que s’accomplissaient les miracles de la grâce la plus abondante. Les anges apportent à Dorothée les roses célestes qu’elle répand sur ses bourreaux. Les vierges martyres commandent aux animaux. Les lions de l’amphithéâtre lèchent les pieds de sainte Thècle ; les bêtes fauves du cirque se réunissent et nouent leurs queues ensemble pour préparer un trône à sainte Euphémie ; des aspics, dans une fosse profonde, forment autour du col de sainte Christine d’agréables colliers. Le divin Epoux pour lequel elles souffrent ne permet pas glu mollis qu’elles souffrent dans leur pudeur. Quand le bourreau arrache les vêtements d’Agnès, les cheveux de la sainte s’épaississent et lui font une robe miraculeuse ; avant qu’on promène sainte Barbe nue par les rues, un ange lui apporte une tunique blanche. Ces Agnès et ces Dorothée, ces Catherine et ces Marguerite, cette légion d’innocentes victorieuses disposaient les âmes à croire au miracle d’une vierge plus forte que les archers. Sainte Geneviève n’avait-elle pas détourné de Paris Attila et ses guerriers barbares ? Cette croyance en une vertu attachée à l’état de virginité se trouve vivement exprimée dans la fable, si répandue alors, de la Licorne et de la Pucelle. La licorne était un cheval-chèvre d’une blancheur immaculée ; elle portait au front une merveilleuse épée. Les veneurs qui la voyaient passer dans les clairières, n’avaient jamais pu l’atteindre, tant elle était rapide. Mais si une vierge, assise dans la forêt, appelait la licorne, la bête obéissait, inclinait sa tête sur le Biron de l’enfant, se laissait prendre, enchaîner par d’aussi faibles mains. Au contraire, il ne fallait pas qu’une fille corrompue et non pucelle l’approchât : la licorne la tuait aussitôt[4]. On disait même qu’une vierge avait le pouvoir de guérir les écrouelles en récitant à jeun et nue certaine formule magique, mais ce n’était pas parole d’Évangile[5]. Si les mystiques et les visionnaires exaltaient la virginité, l’Église, jalouse de gouverner les corps avec les âmes, condamnait les opinions contraires à la légitimité du mariage, dont elle avait fait un sacrement. Elle tenait pour des impies très détestables ceux qui réprouvaient absolument l’œuvre de chair. Une fille était louable de garder sa virginité ; encore fallait-il que ce ne fût pas pour des raisons pernicieuses et condamnables. Deux cents ans avant que régnât le roi Charles VII, une jeune fille de Reims éprouva qu’on peut pécher gravement contre l’Église de Dieu en refusant de forniquer avec un clerc dans une vigne. Voici l’histoire de cette jeune fille, telle qu’elle fut rapportée par le chanoine Gervais. Guillaume aux Blanches Mains, archevêque de Reims, oncle du roi Philippe de France, chevauchait un jour hors de sa ville pour se divertir. Un clerc de sa suite, nommé Gervais, qui était dans l’ardeur de la jeunesse, aperçut une balle jeune fille qui passait seule dan : une vigne. Il alla vers elle, la salua, et lui demanda : Qu’avez-vous donc à faire seule en si grande hâte ? Et, par propos congruents, il la sollicita courtoisement à l’amour. Sans même le regarder, elle lui répondit d’un maintien tranquille et d’une voix gave : — A Dieu ne plaise, ô bon jouvenceau, que je sois jamais l’amie de toi ou d’aucun autre homme, car si je perdais ma virginité et si ma chair était une fois corrompue, je serais vouée infailliblement et sans remède à la damnation éternelle. En entendant un tel langage il soupçonna la jeune tille d’appartenir à la secte impie des cathares que l’Église recherchait alors avec soin et punissait sévèrement. En effet, une des erreurs de ces hérétiques était de condamner tout commerce charnel. Impatient d’éclaircir ses doutes, Gervais provoqua aussitôt la jouvencelle à un débat sur l’enseignement de l’Église relativement à l’œuvre de chair. Cependant l’archevêque Guillaume aux Blanches Mains fit retourner sa monture et poussa, suivi de ses religieux, jusqu’à la vigne où la jeune fille et le clerc disputaient ensemble. Lorsqu’il eut appris le sujet de leur dispute, il ordonna qu’on saisît cette jeune fille et qu’on l’amenât dans la ville. Là, il l’exhorta et s’efforça charitablement de la convertir à la foi catholique. Pourtant elle ne se soumit point. — Je ne suis pas, lui dit-elle, assez instruite dans la doctrine pour me défendre. Mais j’ai en ville une maîtresse qui réfutera très facilement, par de bonnes raisons, tous vos arguments. C’est une telle qui loge en telle maison. L’archevêque Guillaume envoya aussitôt quérir cette femme et, l’ayant interrogée, il reconnut que la jeune fille avait parlé d’elle exactement. Dès le lendemain il convoqua une assemblée de clercs et de nobles pour juger les deux femmes. Elles furent l’une et l’autre condamnées au feu. La maîtresse parvint à s’échapper, niais la jeune fille, n’ayant pu être, par persuasion ni promesses, tirée de sa pernicieuse erreur, fut livrée au bourreau. Elle mourut sans verser une larme, sans murmurer une plainte[6]. On croyait communément alors que le diable prenait la virginité des filles qui se donnaient à lui et que c’était le premier acte par lequel il exerçait sa puissance sur ces malheureuses créatures[7]. Cette façon d’agir était conforme à ce qu’on savait de son tempérament libidineux. Il y goûtait un plaisir accommodé à sa condition souffrante ; il y obtenait de plus un avantage considérable, celui de désarmer sa victime, car la virginité est une cuirasse contre laquelle les traits de l’enfer se brisent comme paille. De la sorte on était presque assuré de ne point trouver dans un corps intact et pur une âme vouée au démon[8]. Il y avait donc un moyen, autant dire infaillible, de constater que la paysanne de Vaucouleurs n’était pas adonnée à la magie ni à la sorcellerie, qu’elle n’avait point fait de pacte avec le Malin. On y eut recours. Jeanne fut vue, visitée, secrètement regardée, amplement examinée par des sages femmes, mulieres doctas, des vierges expertes, peritas virgines, des veuves et des épouses, viduas et conjugatas. Au premier rang de ces matrones se trouvaient la reine de Sicile et de Jérusalem, duchesse d’Anjou ; la dame Jeanne de Preuilly, femme du sire de Gaucourt, gouverneur d’Orléans, laquelle était âgée de cinquante-sept ans environ, et la dame Jeanne de Mortenner, femme de messire Robert Le Maçon, seigneur de Trèves, homme d’un grand âge[9]. Celle-ci n’avait pas plus de dix-huit ans, et l’on eût cru qu’elle connaissait mieux le calendrier des vieillards que le formulaire des matrones. Ce qui semble étrange, c’est l’assurance avec laquelle les prudes femmes d’alors se livraient à une recherche que le roi Salomon, dans sa sagesse, estimait difficile. Jeanne de Domremy fut trouvée vraie et entière pucelle, sans apparence de corruption ni trace de violence[10]. En même temps qu’elle subissait les interrogatoires des docteurs et l’examen des matrones, plusieurs religieux, envoyés dans son pays natal, y poursuivaient une enquête sur sa naissance, sa vie et ses mœurs[11]. Ils avaient été choisis parmi ces moines mendiants qui, sans cesse par voies et par chemins, pouvaient se mouvoir en pays ennemi sans éveiller la défiance des Anglais et des Bourguignons. En effet, ils ne furent point inquiétés et ils rapportèrent de Domremy et de Vaucouleurs des témoignages certains qui attestaient l’humilité, la dévotion, l’honnêteté et la simplicité de Jeanne. Ils en rapportèrent surtout des contes pieux qu’ils n’avaient pas eu grand’peine à trouver, car c’était ceux dont on ornait communément l’enfance des saints. Il est juste de faire à ces moines une très grande part dans les légendes de la première heure qui devinrent si vite populaires. Ils contèrent, dès lors, selon toute apparence, que, lorsque Jeanne était dans sa septième année, les loups n’approchaient point, de ses moutons et que les oiseaux des bois, quand elle les appelait, venaient manger son pain dans son giron[12]. Ces fleurettes semblent bien d’origine franciscaine : on y retrouve le loup de Gubbio et les oiseaux prêchés par saint François. Peut-être ces mendiants fournirent-ils aussi quelques exemples du don de prophétie qui était en la Pucelle, et publièrent-ils que, se trouvant à Vaucouleurs, le jour des Harengs, elle avait su le grand dommage souffert par les Français à Rouvray[13]. La fortune de ces petits récits fut immense et soudaine. Après cet examen et ces enquêtes, les docteurs conclurent : Le roi, attendu la nécessité de lui et de son royaume, et considéré les continues prières de son pauvre peuple envers Dieu et tous autres aimant paix et justice, ne doit point débouter ni rejeter la Pucelle, qui se dit être envoyée de par Dieu pour lui donner secours, nonobstant que ces promesses soient seules[14] œuvres humaines ; ni aussi ne doit croire en elle tant tôt et légèrement. Mais en suivant la sainte Écriture, il la doit éprouver par deux manières : c’est assavoir par prudence humaine, en enquérant de sa vie, de ses mœurs et de son intention, comme dit saint Paul l’Apôtre : Probate spiritus, si ex Deo sunt ; et, par dévote oraison, requérir signe d’aucune œuvre et espérance divine, par quoi on puisse juger qu’elle est venue de la volonté de Dieu. Aussi commanda Dieu a Achaz, qu’il demandât signe, quand Dieu lui faisait promesse de victoire, en lui disant : Pete signum a Domino ; et semblablement fit Gédéon, qui demanda signe, et plusieurs autres, etc. Le roi, depuis la venue de ladite Pucelle, a observé et tenu les deux manières susdites : c’est assavoir probation par prudence humaine et par oraison, en demandant signe de Dieu. Quant à la première qui est par prudence humaine, il a fait éprouver ladite Pucelle de sa vie, de sa naissance, de ses mœurs, de son intention et l’a fait garder avec lui bien par l’espace de six semaines pour la montrer à toutes gens soit clercs, gens d’Église, gens de dévotion, gens d’armes, femmes, veuves et autres. Et publiquement et secrètement elle a conversé avec toutes gens. Mais en elle on ne trouve point de mal, et rien que bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse ; et de sa naissance et de sa vie plusieurs choses merveilleuses sont dites comme vraies. Quant à la seconde manière de probation, le roi lui demanda signe, à quoi elle répond que, devant la ville d’Orléans, elle le montrera, et non pas avant ni en autre lieu : car ainsi lui est ordonné de par Dieu. Le roi, attendu la probation faite, de ladite Pucelle, autant qu’il lui était possible, et nul mal ne trouvant en elle, et considéré sa réponse qui est de montrer signe divin devant Orléans ; vu sa constance et sa persévérance en son propos, et ses requêtes instantes d’aller à Orléans, pour y montrer le signe de divin secours, ne la doit point empêcher d’aller à Orléans avec ses gens d’armes ; mais la doit faire conduire honnêtement, en espérant en Dieu. Car avoir crainte d’elle ou la rejeter sans apparence de mal serait répugner au Saint-Esprit, et se rendre indigne de l’aide de Dieu, comme dit Gamaliel en un conseil des Juifs au regard des Apôtres[15]. En résumé, la conclusion des docteurs était que rien de divin ne paraissait, encore dans les promesses de la Pucelle, mais qu’elle avait été examinée et trouvée humble, vierge, dévote, honnête, simple et toute bonne et que, puisqu’elle avait promis de montrer un signe de Dieu devant Orléans, il fallait l’y conduire, de peur de repousser avec elle les grâces de l’Esprit-Saint. Ces conclusions furent copiées à un grand nombre d’exemplaires et envoyées aux villes du royaume ainsi qu’aux princes de la chrétienté. L’empereur Sigismond, notamment, en reçut une copie[16]. Si, par une enquête de six semaines, suivie d’une conclusion favorable et solennelle, les docteurs de Poitiers voulurent mettre en lumière et en honneur la Pucelle, préparer, annoncer la merveille qu’ils avaient sous la main, la montrer de manière à réconforter les Français, ils réussirent parfaitement dans leur entreprise[17]. Cette longue information, ces minutieux examens rassurèrent en France les esprits défiants qui craignaient qu’une fille habillée en homme ne fût une diablesse, éblouirent les imaginations par l’espoir du miracle, touchèrent les lueurs en faveur de cette jeune fille qui sortait du creuset radieuse et comme environnée d’une lumière céleste. La victoire remportée par elle dans cette dispute avec les docteurs la faisait paraître une autre sainte Catherine[18]. Et comme ce n’était pas assez pour la foule avide de prodiges qu’elle eût répondu sagement aux questions difficiles, on imagina qu’elle avait été soumise à des épreuves étranges et telles qu’elle n’avait pu les surmonter que par miracle. C’est ainsi qu’on raconta quelques semaines après l’enquête, en Bretagne et en Flandres, l’Histoire merveilleuse que voici : A Poitiers, comme elle se préparait à recevoir la communion, le prêtre avait une hostie consacrée et une autre qui ne l’était pas ; il voulut lui donner celle qui n’était pas consacrée ; elle la prit dans sa main et dit au prêtre que cette hostie n’était pas le corps du Christ son Rédempteur, mais que ce corps était dans l’hostie que le prêtre avait mise sous le corporal[19]. Comment douter après cela que Jeanne ne fût une grande sainte ? A la clôture des enquêtes, une occasion favorable survint, dans les premiers jours d’avril, de jeter la Pucelle dans Orléans. On l’envoya d’abord à Tours, pour qu’elle s’y fît équiper et armer[20]. Soixante-six ans plus tard, un habitant de Poitiers, presque centenaire, contait à un jeune concitoyen qu’il avait vu la Pucelle monter à cheval tout armée de blanc pour aller à Orléans[21]. Il montrait au coin de la rue Saint-Étienne la pierre de laquelle elle s’était aidée pour se mettre en selle. Jeanne, à Poitiers, n’était point armée. Mais la pierre avait reçu du peuple poitevin le nom de montoir de la Pucelle[22]. De quel pied alerte et joyeux la Sainte dut sauter de cette pierre sur le cheval qui l’emportait, loin des chats fourrés, vers les vaincus et les affligés qu’elle avait hâte de secourir ! |
[1] Jean-Philippe de Lignan, Rome, 1481 (non paginé), feuillets 10 et suiv. — Sur l’assimilation de Jeanne d’Arc à la Sibylle antique, voir le clerc de Spire. — Sibylla Francica, dans Procès, t. III, p. 422. — Christine de Pisan, dans Procès, t. V, p, 12. — Lanéry d’Arc, Mémoires et consultations en faveur de Jeanne d’Arc, pp. 8-10. — Barbier de Montault, Iconographie des Sibylles, dans Revue de l’Art Chrétien, XIII-XIV (1869-1870). — Barraud, Notice sur les attributs avec lesquels on représente les Sibylles aux XVe et XVIe siècles dans Bulletin archéologique de la commission hist. des Arts Mon., t. IV (1848). — Cf. Morosini, t. IV, annexe XIV, p. 319.
[2] Voragine, La légende dorée Assomption de la Vierge.
[3] Le curé de Saint-Sulpice, Notre-Dame de France ou hist. du culte de la Sainte Vierge en France, Paris, 1862, 7 vol. in-8°. — Abbé Mignard, La Sainte Vierge, Paris, 1877, in-8°, pp. 382 et suiv.
[4] De l’Unicorne qu’une jeune fille séduit, dans le Bestiaire de R. de Fournival (Paulin Paris, Manuscrits français, t. IV, p. 25.) — Berger de Xivrey, Traditions tératologiques, p. 559. — J. Doublet, Histoire de l’abbaye de Saint-Denys, t. I, p. 320. — Vallet de Viriville, Nouvelles recherches sur Agnès Sorel, dans Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, t. VI, p. 621. — A. Maury, Croyances et légendes du moyen âge, pp. 262 et suiv.
[5] Leber, Des cérémonies du sacre, Paris, 1825, in-8°, p. 459.
[6] L. Tanon, Histoire des tribunaux de l’inquisition en France, Paris, 1893, in-8°, p. 293.
[7] Du Cange, Glossaire, au mot : Matrimonium.
[8] Pierre Le Loyer, Livre des spectres, 1586, in-4°, pp. 527, 551.
[9] Procès, t. III, p. 102. — Vallet de Viriville, article Le Maçon, dans Nouvelle Biographie générale.
[10] Procès, t. III, p. 210. — Eberhard Windecke, p. 157. — Morosini, p. 99.
[11] Procès, t. III, p. 82.
[12] Lettre de Perceval de Boulainvilliers au duc de Milan, dans Procès, t. V, pp. 115, 121. — Journal d’un bourgeois de Paris, p. 237.
[13] Journal du siège, p. 48. — Chronique de la Pucelle, p. 275.
[14] Seules est douteux dans le texte.
[15] Procès, t. III, pp. 391, 392 ; t. IV, pp. 306, 487, 488.
[16] Eberhard Windecke, pp. 32, 41.
[17] Les conclusions de la commission de Poitiers se répandirent partout. Les traces de cette diffusion se retrouvent : en Bretagne (Buchon et Chronique de Morosini) ; en Flandre (Chronique de Tournai et Chronique de Morosini) ; en Allemagne (Ed. Windecke) ; en Dauphiné (Buchon).
[18] Altra santa Catarina. (Morosini, t. III, p. 52.) — Sans aucun doute, c’est à sainte Catherine d’Alexandrie qu’elle est comparée en cet endroit, et non pas à sainte Catherine de Sienne.
[19] Morosini, t. III, p. 101.
[20] Procès, t. III, pp. 66 et 210.
[21] Jean Bouchet, Annales d’Aquitaine, dans Procès, t. IV, pp. 536-537.
[22] M. de la Fontenelle de Vaudoré écrivait en 1845 : Or, sous la Restauration, à une époque où l’on pavait cette rue (la rue Saint-Estienne), nous étant aperçu que cette pierre (celle dont parle Bouchet) appelée par le peuple le montoir de la Pucelle, et formant un beau fragment de granit vert, étranger au pays, venait d’être brisée par les paveurs, nous en recueillîmes religieusement les fragments, afin d’en déposer une partie au musée de la ville et de réserver l’autre pour nous et les autres amateurs de reliques historiques. (Guilbert, Histoire des villes de France, t. IV, Poitiers.)
La pierre dont parle ici M. de la Fontenelle de Vaudoré et qui a été transportée à la Bibliothèque publique en 1823 était placée au coin de la rue du Petit-Maure. Si c’est vraiment celle que Jean Bouchet vit au coin de la rue Saint-Étienne, il faut qu’elle ait été déplacée, ce qui ne s’explique pas. Il y avait des bornes semblables devant tous les hôtels. Cf. M. Ledain, La maison de Jeanne d’Arc à Poitiers, Saint-Maixent, 1892, in-8°. — L’hôtel de la Rose s’élevait, selon M. Ledain, sur l’emplacement occupé aujourd’hui par la maison n° 13 de la rue Notre-Dame-la-Petite.