DISSERTATION SUR LA MARCHE D'ANNIBAL DEPUIS NÎMES JUSQU'À TURIN

 

L'AN 218 AVANT NOTRE ÈRE

DISSERTATION SUR LA MARCHE D'ANNIBAL, DEPUIS NÎMES JUSQU'À TURIN, L'AN 218 AVANT NOTRE ÈRE.

 

 

I. C'était une grande entreprise pour un général carthaginois, que de traverser la Gaule et l'Italie, de passer les Pyrénées, le Rhône et les Alpes, à la tête d'une armée nombreuse, pour venir attaquer les Romains sur leur propre territoire. Elle est d'autant plus digne de notre attention, qu'elle a été exécutée dans notre pays, à une époque à laquelle nous n'avons pas d'histoire.

En général, le passage des rivières et des montagnes est une opération militaire difficile et dangereuse sous deux rapports. D'abord, en elle-même, par les obstacles que l'art et la nature peuvent y opposer ; ensuite, parce qu'elle vous place sur un terrain nouveau, au milieu d'ennemis qu'il faut combattre à chaque instant, et qui parviennent aisément à détruire vos troupes par le simple effet de la constance et du temps.

L'antiquité nous présente plusieurs grands exemples de ces sortes d'entreprises dont elle nous fait voir clairement les funestes inconvénients, même après les plus brillants succès.

L'histoire d'Hérodote est presqu'entièrement consacrée à nous raconter l'invasion des Perses dans la Grèce. Le célèbre passage des Thermopyles entraîna la destruction d'Athènes, et les vainqueurs n'en furent pas moins chassés honteusement, et forcés à retourner dans leur pays, après avoir perdu un nombre prodigieux de vaisseaux et de soldats.

Les Grecs envahirent la Perse à leur tour, sous la conduite d'Alexandre, à qui cette conquête a valu beaucoup de gloire. Le passage du Granique et des défilés de la Cilicie, entraîna la ruine de Darius, qui périt misérablement, et dont la dynastie cessa d'exister. Mais Alexandre mourut à la fleur de son âge, et ses successeurs déchirèrent son empire. Les Grecs, affaiblis par ces divisions, furent bientôt subjugués à leur tour par les Romains.

L'entreprise d'Annibal est l'une des plus gigantesques, et en même tems des plus savantes. On peut dire que l'art militaire s'est élevé, sous lui, à une perfection qu'il n'avait pas encore atteinte. Avec très-peu de Carthaginois, il parvint à discipliner des Espagnols et quelques Africains ; il traversa les Gaules avec trente-sept éléphants, animaux qu'on n'avait vraisemblablement jamais vus auparavant dans ces contrées. Il passa le Rhône, malgré les Celtes, alliés des Phocéens Marseillais, amis des Romains, l'an 218 avant notre ère ; il traversa les Alpes à Briançon au commencement du mois de novembre[1], gagna Turin, où il fut secondé par les Gaulois Cisalpins, et répandit la terreur jusqu'aux portes de Rome. Mais les victoires qu'il remporta ne le garantirent pas de l'effet naturel des invasions lointaines. Obligé de retourner dans son pays, il y fut battu par ces mêmes Romains qu'il était venu chercher par une route si nouvelle, et dont la grandeur colossale date véritablement du triomphe qu'ils remportèrent sur lui.

Polybe et Tite-Live nous ont transmis les détails du passage du Rhône et de celui des Alpes. Les noms des rivières et des lieux ont tellement changé dans un si long intervalle, que ce qui était clair pour ces deux historiens, est devenu obscur pour les nôtres, et trois difficultés se sont élevées sur leur récit. Nous entrerons ici dans quelques détails sur ce sujet, qu'il nous est plus facile d'éclaircir que les deux expéditions dont nous avons déjà parlé, puisque notre patrie en a été en quelque sorte le théâtre.

Première question. Où Annibal a-t-il passé le Rhône ?

Seconde question. Quel est ce Delta, ou cette Île qu'Annibal a rencontré après le passage du Rhône ?

Troisième question. Où Annibal a-t-il traversé les Alpes ?

 

 

 



[1] Voyez le journal de ce voyage, dans l'Art de vérifier les Dates avant l'ère chrétienne. Paris, 1819, t. 4, p. 496, de l'édition in-8°. L'Histoire Romaine, dans cet ouvrage, a mérité, par son exactitude, les éloges de M. Daunou, dans le Journal des Savants. Il dit qu'Annibal arriva sur les bords du Rhône le 14 octobre, passa ce fleuve le 18, campa sur ses bords le 19, combattit les Romains le 20, marcha vers les Alpes le 21, arriva au pied des montagnes le 31, parvînt au sommet en neuf jours le 9 novembre, et y prit deux jours de repos le 10 et le 11, ce qui est prouvé astronomiquement par le texte de Polybe, et fixe ainsi toutes les dates antérieures.