Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE VII

 

 

Les Iraniens en Bactriane. - Inauguration de la réforme Zoroastrienne. - But de Zoroastre. - Les croyances antérieures au réformateur. - Le Behescht, ou paradis. - Lutte d’Ormuzd contre Ahriman. - Magiciens, jongleurs et prêtres. - Divisions du pays. - Agriculture. - Troupeaux. - La loi nouvelle. - Sanctification du travail. - Le chien, très important. - Divinisation de l’eau. - Epuration des eaux souillées. - La famille iranienne. - Les femelles.

 

EN Bactriane, 2500 ans avant notre ère, vivaient des hommes qui se disaient Iraniens parce que la tradition leur apprenait que leurs ancêtres avaient vécu dans une partie de l’Iran-Vedj, Eerïené-Véedjo, où le dieu capable de création, Ormuzd, avait bâti pour eux, en un lieu plein de délices, une ville qui était un paradis. L’esprit du mal, le démon Ahriman, avait chassé les Iraniens de ce paradis, en y faisant un insupportable hiver, et les Iraniens, après avoir erré de toutes parts, constamment servis par leur dieu bienfaisant, mais toujours poursuivis par le dieu détestable, avaient enfin trouvé le repos en Bactriane, pays limité au nord par l’Oxus, au sud et à l’est par l’Hindou-Kousch, à l’ouest par la Margiane. Ce n’est pas que les Iraniens des temps antiques fussent absolument cantonnés dans ce territoire restreint : l’Iran s’étendait à l’ouest jusqu’à Caboul, au sud jusqu’au lac Hamoun peut-être, à l’ouest jusqu’en Hyrcanie et en Carmanie ; au nord, les Iraniens n’avaient pour frontière que la crainte inspirée par les hordes scythiques, touraniennes ou turkomanes qui les pressaient.

L’extension de l’Iran, la modification de ses limites, est continuelle au regard de celui qui veut voir nettement le champ vrai des évènements iraniens successifs ; mais pour qui lit l’Avesta, en le dépouillant de tout ce qui le surcharge ou le dénature, des interpolations qui y sont insérées et qui le déshonorent, le théâtre de la réforme zoroastrienne se rapetisse, s’isole, jusqu’à ne plus donner que l’impression d’une sorte de village où le réformateur aurait inauguré modestement son action. L’œuvre de Zoroastre, très réfléchie, très travaillée, très pure, très complète, appliquée, essayée, expérimentée sur un groupe d’hommes peu nombreux, se répandra par sa propre valeur d’expansion, charmera, séduira, par le seul exemple de ses effets dans un cadre restreint. Un roi, résolument, deviendra le sujet très soumis et très dévoué du législateur triomphant.

Zoroastre donc, en Bactriane, commence par donner sa loi à quelques hommes seulement. Voulant créer une société modèle, il se garde bien des excès d’une révolution. D’abord, il moralisera, il réglementera quelques familles, une tribu, un village, si l’on veut ; s’il y réussit, sa démonstration sera faite.

Par ce qu’il défendit, on sait ce que Zoroastre voulut détruire et par conséquent ce qui existait ; parce qu’il ordonna, on sait ce qui n’existait pas et ce qu’il voulait. Lorsqu’il légifère, lorsqu’il formule la sanction de ses lois, l’importance des peines qu’il édicte donne la mesure de la profondeur du anal qu’il combat. Ce ne sont pas des brutes qu’il veut élever à la dignité d’hommes, ces Iraniens qu’il vient prêcher ; ce sont des hommes déjà, mais des hommes corrompus et tristes qu’il va moraliser et réjouir.

E y avait une société toute formée là où Zoroastre intervint. Le premier fargard du Vendidad, très simple, quasi puéril, avec son énumération des villes, des « lieux» où vécurent les premiers Iraniens, ne donne que de l’histoire antérieure à Zoroastre. Il existait un dieu nommé Ormuzd, un démon nommé Ahriman, un paradis nommé Behescht. L’idée d’immortalité était dans tous les cerveaux, mais vaguement. La superstition prêtait aux œuvres d’Ahriman des manifestations matérielles, fantastiques ; c’est sous la forme d’une couleuvre que ce dieu du mal venait au monde détruire les créations d’Ormuzd. Il y avait, sans doute, un culte régulier quelconque, puisque Zoroastre dénonce le faux culte des démons femelles, et qu’il s’élève violemment contre les prêtres, les magiciens et les jongleurs. Le pays était divisé en villages, villes et districts ; dans des forteresses bâties pour la protection des villes, il y avait des guerriers groupés autour d’un drapeau ; dans les plaines, couraient des cavaliers protecteurs.

Il semble que l’agriculture fut l’occupation dominante des premiers Iraniens. Leurs troupeaux étaient certainement nombreux. — Il y avait une foi, une croyance religieuse ou philosophique, et une morale dont on discutait les bases avec passion ; de là ces disputes, ces mauvais discours, ces doutes criminels dont parle l’Avesta. — Une corruption particulière, générale, monstrueuse, nuisible au développement du groupe Iranien, est l’un des fléaux d’Ahriman attaquant Ormuzd, le dieu bon, dans son chef-d’œuvre même : l’homme.

L’ancien Iran, l’Iran primitif, l’Eerïené-Véedjo, avait été célèbre par ses productions et ses félicités. Une haute prière à la divinité de l’abondance, à l’ized Aschtad, rappelle l’éclat de l’Iran abondant en troupeaux, en peuple et plein de choses désirables. Zoroastre voulant, avant tout, que son peuple de prédilection rende à l’Iran son ancien éclat, fait aimer la terre aux Iraniens. C’est à la douce terre, à l’esprit céleste qui veille spécialement sur les troupeaux, que Zoroastre adresse l’une de ses premières invocations : Je fais izeschné à Goschoroum, qui a soin des troupeaux, par qui je vis, moi et tous les êtres. Soigner les troupeaux, c’est gagner le ciel. Il faut procurer aux bêtes attroupées une vie facile, agréable, et des pâturages abondants ; il faut nourrir les troupeaux qui ne trouvent pas de nourriture sous leurs pieds, leur donner un chef qui les conduise. C’est par le ravage des troupeaux que le châtiment de Dieu s’exerce. Le génie des troupeaux, le bon Goschoroum, pleure quand les hommes s’égarent ; car il sait, lui, que les pauvres bêtes souffrent, qu’Ormuzd refuse aux troupeaux la pluie aimable et les herbes vertes lorsque les hommes manquent d’intelligence, cessent d’être stables dans la vérité. La terre elle-même est frappée de stérilité lorsque Ormuzd est mécontent des hommes. Ormuzd a dit aux laboureurs : Ô vous qui êtes la source des biens, si les hommes ne recherchent pas le bien, vos travaux seront inutiles.

L’œuvre de Zoroastre commence ainsi, et ses moyens d’action sont énoncés dans ses premières paroles. Il entend que par le labour et par les pâturages l’Iran nouveau surpasse l’Iran primitif ; il signale, pour la continuation, pour la splendeur de la vie humaine, la nécessité de grands troupeaux paissant de grands prés. En même temps, songeant à moraliser, sachant que les maladies qui déciment les troupeaux sont le désespoir des pasteurs, il n’hésite pas à déclarer que c’est pour punir les hommes qu’Ormuzd frappe les bêtes. Le moyen frauduleux est amplement racheté par la saine grandeur du but.

Cette importance donnée aux troupeaux par Zoroastre, la formule même des soins que l’on doit aux animaux, deviendront, plus tard, de la part des prêtres, le sujet de pratiques où l’Indou jaune des bords du Gange, excessif et minutieux, se complaira. Zoroastre, par exemple, ordonne que l’on enlève des lieux où paissent les troupeaux, tout cadavre d’homme ou de chien qui s’y rencontre ; les prêtres déclareront impur tout être qui aura touché le cadavre rencontré et fixeront une durée d’impureté.

De l’agriculture dépend le bonheur des peuples : Lorsque Ormuzd fait aller en avant le laboureur source de biens, tout vient en abondance ; lorsque Ormuzd ne donne pas le laboureur, les démons sans nombre se multiplient. La prière par excellence est celle de l’agriculture. La charrue et la herse, faites avec soin, d’un bois dur, étaient traînées par des bœufs. Dans l’énumération des peines à appliquer à certains criminels, Zoroastre prévoit une série d’objets que le condamné doit abandonner à la communauté, sorte d’amende imposée, de rachat ; un crime est énoncé pour le rachat duquel le coupable doit livrer deux bœufs à un laboureur.

Zoroastre indique les meilleures règles de labourage. La terre par excellence, qui marque à l’homme sa satisfaction en le favorisant de ses œuvres, est celle que l’homme unit bien et à laquelle, après l’avoir ainsi préparée, il donne des grains, de l’herbe, des arbres fruitiers surtout ; qu’il arrose quand elle manque d’eau, et qu’il assèche quand elle est trop humide. Il faut se hâter de rendre à la fertilité, par un labour soigneux, par le jet d’une pure semence, la terre délaissée. Si l’on a le soin, dit Zoroastre, de remuer la terre de gauche à droite, de droite à gauche, elle sera abondante en toutes choses. Comme un homme qui sert son ami lorsqu’il le voit, et de même que les enfants sont les fruits des embrassements qui s’échangent sur le lit fait de tapis, ainsi la terre donnera ses fruits de toutes sortes.

Le législateur iranien mélange son code de leçons sévères et de conseils paternels. Il voudrait tout prévoir, tout régler ; non seulement dicter des lois, mais encore formuler des préceptes, décrire les mille détails de la meilleure vie. Les leçons de morale, très nombreuses dans l’Avesta, y sont d’une énergie qu’accuse davantage la fermeté positive de l’intention. La loi des mazdéens complète, universelle, doit, si elle est respectée, ennoblir et enrichir sûrement le groupe humain qui l’aura adoptée. De tout ce que la loi nouvelle contient, ce qui y est dit du travail des champs est le principal. Surexciter la terre, nourrir la douce Sapandomad, l’aimer comme on aime une vierge, la violenter pieusement, lui imposer les germes, l’obliger à la maternité, est l’œuvre par excellence, l’acte qui suffit pour sanctifier un mortel. — Juste juge, dit Zoroastre à Ormuzd, quel est le point le plus pur de la loi des mazdéens ? Ormuzd répond : C’est de semer sur la terre de forts grains. Celui qui sème des grains et le fait avec pureté, remplit toute l’étendue de la loi des mazdéens. Celui qui pratique cette loi des mazdéens est ainsi que s’il avait donné l’être à cent créatures, à mille productions, ou célébré dix mille prières.

Il serait, certes, impossible de mieux sanctifier le travail que ne le fait le Vendidad. L’Izeschné, ce deuxième livre de la loi, confirme absolument, en cela, le premier. Dans un passage, qui n’est d’ailleurs qu’une interpolation, est déclaré Saint celui qui s’est construit une maison dans laquelle il entretient le feu, du bétail, sa femme, ses enfants et de bons troupeaux. Celui qui fait produire du blé à la terre, celui qui cultive les fruits des champs, celui-là cultive la pureté ; il avance la loi d’Ormuzd autant que s’il offrait cent sacrifices. Semer, c’est détruire le mal, certainement. Celui qui donne du grain, brise les démons. Lorsqu’on en donne selon le besoin, les démons sont atterrés. Donnez-en encore davantage et les démons pleureront de dépit. Quelque peu de grain que l’homme donne, il frappe et détruit le anal dans le lieu où il donne ce peu. Lorsque le grain est donné en abondance, la vaste gueule et l’énorme poitrine des démons sont comme détruites par le feu.

Après avoir dit sa leçon de labourage, Zoroastre se préoccupe de la reproduction des troupeaux. Il entend que les couples choisis soient entourés de soins ; que l’accouplement ait lieu d’une certaine façon, de telle sorte que les bêtes ne soient ni molestées, ni épeurées, ni même distraites. Une chambre basse doit être creusée dans la terre, au milieu du parc, et c’est là que doivent être conduits l’animal qui a des mamelles et son mâle. C’est une Iranienne, jeune, vierge, qui prépare ce sanctuaire : Avant, une vierge aura affermi la terre de ce trou, et elle aura mérité, en faisant cela, autant que si elle gardait le feu d’Ormuzd.

La sollicitude du législateur s’étend sur tous les animaux. Zoroastre relève d’abord le chien : Que celui à qui un chien est adressé le nourrisse, et il aura toutes sortes de fruits, de l’eau en abondance, et il ne sera point blessé. Il affectionne les coqs et les poules. Il proscrit, il maudit les souris dévastatrices, les chats qui voient mieux la nuit que le jour, les couleuvres qui sont de différentes espèces, et les loups.

Pour faire germer et croître le grain, pour maintenir verts les pacages, l’eau est nécessaire, indispensable. L’eau manquant en Iran, Zoroastre, d’un coup, divinise presque les sources. C’est par l’eau, dit Ormuzd, que je donne la force, la grandeur, l’abondance, au lieu, à la rue, à la ville, à la province ; en invoquant l’eau, on obtiendra l’objet de ses désirs. Et il n’y aura ni vie, ni nourriture, si on ne l’invoque pas bien. Sans eau, la terre d’Iran, partout, se dessèche, se couvre de sels stérilisants, se fait déserte. L’eau par excellence, idéale, divinisée, c’est la source Ardouisour, qui coule sous le trône d’Ormuzd, qui se distribue par dix mille canaux, de qui viennent toutes les ondes connues, excellentes, précieuses, se répandant en fleuves sur la terre, circulant en sève dans le bois des arbres verts, vivifiant le corps humain sous une couleur rouge, le sang. La source Ardouisour, le mazdéen la voit, parce que Zoroastre l’a dépeinte ; c’est une personnalité vivante, adorable, splendide, qui règne en haut solidement, et se liquéfie pour se donner, se répandre. Un mystère de bonté perpétuelle préside à sa naissance, à sa transformation, à ses bienfaisantes œuvres. C’est une vierge blonde, créée par Ormuzd, toute pure, toute brillante, toute puissante, et par qui, solidifiée en germe ou liquéfiée en sève, l’homme et les plantes naissent, croissent, vivent.

La déesse se prodigue ; elle étend ses bras de toutes parts, et ce sont des torrents, des rivières promptes et vives sans lesquelles l’Iran se mourrait. Toutes les eaux quelconques sont divines, aussi bien les eaux qui tombent des nuages que celles qui descendent des monts, se précipitant. Toutes les eaux participent à la divinité de la source Ardouisour ; les eaux des fleuves, les eaux jaillissantes, les eaux d’irrigation, les eaux sacrées, les eaux dormantes, les eaux vives et fraîches dans lesquelles l’homme se plonge pour dompter l’ardeur de sa chair.

La distribution des eaux par une canalisation savante est un labeur de premier ordre. Creuser des canaux d’irrigation, c’est accomplir un acte religieux ; il y faut apporter un soin particulier, une attention persévérante ; l’eau qui coule ne doit rien rencontrer qui la puisse troubler. Ceux qui ne respecteront pas la pureté de l’eau, ceux qui ne la délivreront pas des détritus qui la corrompent, seront battus avec des courroies de peau de cheval ou de chameau, ou ils payeront deux cents derems, dit la loi.

L’eau a toutes les gloires comme toutes les vertus. Par elle, le mazdéen aura, dans sa longue vie, des enfants distingués, ce qui est la suprême grandeur. L’eau est reine des cieux et fille d’Ormuzd. La semence des jeunes hommes, la fécondité des femmes, le lait des nourrices, qu’est-ce, sinon l’eau divine ?

Cependant l’eau, source de vie, élément de conservation, n’accomplit-elle pas parfois des œuvres de mort ? Ne voit-on pas, sur l’eau des fleuves, descendre les corps inertes des noyés ? Zoroastre pose nettement la question pour y répondre : L’eau tue-t-elle l’homme, ou non ? est-il écrit dans le cinquième fargard du Vendidad. Ormuzd répond : L’eau ne tue pas l’homme ; c’est celui qui sépare les os, c’est la mort qui frappe l’homme ; le courant emporte le cadavre, l’eau le soutient à la surface, l’entraîne en bas, le disjoint et les poissons le dévorent.

Attenter à la pureté de l’eau fut un grand crime dans cet Iran où les eaux pures étaient si rares. On trouve dans les paroles de Zoroastre, l’indice d’une idée qui ne reçut pas de lui, cependant, sa forme positive. Il eut la pensée d’un génie des eaux, d’une âme aquatique de laquelle seraient venus tous les êtres ; ce qui l’impressionna jusqu’à le faire hésiter, ce fut la quantité innombrable des êtres nuisibles ou laids qui hantent les eaux, les couleuvres qui se replient en elles-mêmes et marchent sur le ventre, les tortues, les grenouilles.

Les cérémonies d’épuration des eaux souillées, eaux de fleuves, de ruisseaux, d’étangs, de citernes, d’abreuvoirs ou de flaques laissées par la pluie, se sont très certainement compliquées de minuties ; mais l’idée en est bien zoroastrienne. Le législateur des Iraniens entendait que sa loi fût exécutée, et il employait tous les moyens qui lui paraissaient devoir servir son but. C’est une action honorable, dit le Vendidad, que de tirer le mort de l’eau, et de mettre le cadavre sur un terrain sec ; c’est se rendre criminel que laisser dans l’eau des cheveux, des ongles, de la peau ou du sang d’un cadavre. L’eau souillée par un corps mort corrompt le terrain qui l’entoure, jusqu’à une distance déterminée. Une eau courante touchée par des matières impures est corrompue jusqu’à trois gâms de profondeur, neuf en aval, en amont et sur les côtés. Zoroastre ordonne aux mazdéens de retirer le cadavre qui souille les eaux, en entrant pour cela dans le fleuve, la rivière, le ruisseau, l’étang ou la flaque, soit que l’eau couvre le pied, qu’elle aille aux genoux ou au milieu du corps, ou qu’elle soit plus haute que l’homme ; l’eau est pure lorsqu’il n’y reste absolument aucune partie du cadavre retiré. C’est donc une épuration simple et naturelle. Plus tard, ces épurations, ou purifications, se compliqueront au point de devenir impraticables, et la crainte de l’impureté sera le continuel épouvantement du mazdéen. Par exemple, s’il est reconnu que l’écuelle sacrée dont le prêtre se sert pour la libation a reçu de l’eau impure ou touché le cadavre d’un insecte, tout un rite purifiant est de rigueur : Si l’écuelle est d’or, on la lavera une fois avec de l’urine de bœuf, on la frottera une fois avec de la poussière tirée de la terre, on la lavera une fois avec de l’eau, et elle sera pure. La même cérémonie se répète deux fois si l’écuelle est d’argent ; trois fois si elle est de fer ; quatre fois si elle est de cuivre rouge ; six fois si elle est de pierre ; si elle est de terre ou faite de poussière d’arbre (de sciure de bois tassée, sans doute), ou de plomb, l’écuelle ne sera pure qu’à la fin des siècles.

Cette importance donnée à l’eau s’explique par la nature sèche du pays où Zoroastre légiférait. Il est probable qu’au moment où le législateur inaugurait sa réforme, les Iraniens perdaient le peu d’eau qui leur était donné en laissant s’y corrompre les cadavres des animaux qu’ils jetaient dans les fleuves, les étangs ou les puits.

Le douzième fargard du Vendidad fixe le nombre des prières qui doivent être dites après la mort d’un mazdéen, et par chacun de ceux que tenait à lui un lien de parenté. Cette énumération donne exactement la nomenclature de la famille iranienne. La haute famille comprenait le père, la mère, le fils et la fille ; venaient ensuite, le grand père et la grand’mère ; puis, les cousins et les cousines, germains. La servante et la fille de la servante était presque de la famille.

Le grand but de Zoroastre était de reconstituer le peuple iranien par le travail, d’imposer à l’Iran les meilleurs modes d’agriculture, d’assurer l’accroissement des troupeaux, la bonne garde des hommes et des bêtes. La loi nouvelle donne au chien, dans la société, une place exceptionnelle, très importante. Le chien émane du grand esprit conservateur des êtres et mérite le respect des mazdéens. Il y a plusieurs races ou types de chiens. Le chien Venghâperé, mystérieux, idéal, fantastique, qui lutte contre Ahriman pour Ormuzd, à minuit, et dont la gueule et la tête sont pointues ; le chien Orôpesch, qui a la dent aiguë ; le chien Oreôpesch, qui est fort ; le chien Pesoschoroun, qui parcourt avec soin le monde et attaque le voleur et le loup ; le chien Veschoroun, qui va dans les rues des grandes villes et attaque le voleur et le loup ; le chien Vohonegaz, errant, sans maître, qui ne demande que l’entretien de son corps. Le chien Pesoschoroun qui garde les champs, et le chien Veschoroun qui garde les villes, sont nécessaires à la conservation des mazdéens. L’âme de celui qui frappe ces chiens, dit Ormuzd, passera dans ce monde un temps plus dur et plus accablant, car la violence des loups augmentera ; et, lorsqu’il mourra, celui-là ne pourra affranchir son âme, le chien protecteur ne le délivrera pas, après sa mort, du monde dur et accablant. Des peines sévères sont édictées par Zoroastre contre celui qui blesse le chien, car, dit la loi, le voleur ou le loup qui verra cela, enlèvera des rues l’amitié et l’union, et les rues ne seront plus sûres. La peine de mort menace le mazdéen qui, frappant plusieurs fois un chien, lui fait une plaie. Et comme s’il n’avait pas suffi au législateur, pour assurer le respect de sa loi, d’ennoblir le chien après avoir signalé ses services, il le fait presque l’égal de l’homme, édictant contre le chien lui-même des peines spéciales et graduées : Si le chien blesse un animal domestique, ou un homme, on lui coupera l’oreille droite la première fois ; la seconde fois, on lui coupera l’oreille gauche ; la troisième fois, on le blessera au pied droit  ; la quatrième fois, on le blessera au pied gauche ; la cinquième fois, on lui coupera la queue ; s’il continue à blesser ou à déchirer il sera tué.

Le mazdéen doit s’approcher promptement du chien qui a faim pour le nourrir. Ce n’est pas seulement un acte de charité, c’est un acte de précaution : — Lorsqu’on ne lui donne rien, cela rend le chien plus violent ; il devient méchant et porte au loin les effets de sa rage. Alors, les mazdéens en souffrent, et ils en souffriront encore plus. Il faut choisir la nourriture du chien. Seront fustigés ceux qui commettront la faute de donner au chien affamé de la graisse fraîche et humide. De même que l’accouplement des bestiaux, considéré comme une chose sacrée, doit être entouré de soins, s’accomplir en un lieu qu’une vierge a préparé, ainsi les soins à donner aux jeunes chiens exigent une attention soutenue. Jusqu’à que le chien ait deux semaines, il faut veiller autour de lui. On doit ensuite en prendre soin pendant l’hiver et dans les chaleurs. Lorsqu’il a six mois, il faut qu’une vierge de sept ans le nourrisse. Cette jeune fille aura autant mérité que si elle avait bardé le feu d’Ormuzd.

Il est remarquable que le même chapitre de la législation zoroastrienne énumère les devoirs de la communauté iranienne envers les femmes grosses et les chiennes pleines, envers les enfants abandonnés et les petits chiens. On doit prendre soin de toutes les femelles, à deux ou quatre mamelles, fille ou chienne. Dans quelque lieu que les femelles portent leurs demandes de secours, les chefs doivent absolument les nourrir. Est passible du fouet, celui qui frappe une chienne ayant des petits, fait couler son lait, la fait maigrir, ou lui enlève ses petits. Sera damné, celui qui manque de respect à une personne revêtue d’un caractère sacré, celui qui donne aux chiennes de la nourriture trop chaude, ou qui les blesse dangereusement ; celui qui frappe une chienne-mère, qui l’effraie ou la pousse dans un trou ; celui qui a commerce d’amour avec une fille en état d’impureté.