Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE VI

 

 

L’exode des Aryas. - Ormuzd et Ahriman. - Itinéraires divers. - Eerïené Véedjo, le premier lieu. - Fléaux. - Les seize stations. - Point de départ. - Division des Aryas. - Villes iraniennes : Soghdô, Bakhdî, Harôïou, Véekéréânté, Verené. - Royaume de Gustasp. – Eerïeno, Airiana, Iraniana, Iran, pays des Iraniens. - Date de l’exode et de la séparation. - Époque de Zoroastre (2500 av. J-C.). - Balkh, Bactra, centre de la réforme.

 

ZOROASTRE légiféra pour un groupe d’hommes qui vivaient en Iran sous l’autorité d’un monarque, et qui n’occupaient vraisemblablement qu’un espace de territoire relativement restreint. Où étaient ces premiers Iraniens ? D’où venaient-ils ? Devant ces deux questions l’histoire hésite encore.

L’Avesta donne un récit des vicissitudes qui précédèrent l’installation du petit peuple que Zoroastre organisa ; mais ce texte est comme hérissé de problèmes Le dieu Ormuzd voulait le bonheur des Iraniens ; mais Ahriman, le génie du mal, combattait la volonté d’Ormuzd, et les Iraniens en souffrirent. Le premier fargard, ou paragraphe du Vendidad raconte ce qu’il faut bien appeler le grand exode des Iraniens ; il donne l’itinéraire des quatorze stations que firent les émigrants pour se rendre du territoire primitif qu’ils occupaient, au territoire définitif où Zoroastre vint leur donner sa loi. Forcés de quitter le premier lieu semblable au paradis qu’ils habitaient ; obligés, par un froid excessif, de quitter Eerïené Véedjo, les Eerïenéens, ou Eïrénéens, ou Irénéens, ou Iraniens, s’arrêtèrent seize fois, bâtirent des villes, s’organisèrent en groupe national, et seize fois d’insupportables avanies les obligèrent à déserter le lieu nouveau pour chercher de plus saines ou de plus paisibles demeures. Les fléaux par lesquels l’esprit du mal, le Péetiaré Ahriman, tourmente les Iraniens sont incessants : hivers rigoureux, animaux nuisibles et pullulants, mauvaises pratiques sociales, corruptions morales et physiques, Ahriman ne néglige rien de ce qui peut harceler le petit peuple aimé d’Ormuzd.

L’énumération des seize lieux, villes, ou stations du grand exode iranien a mis en jeu beaucoup d’érudition. Reconnaître les villes dénommées, leur assigner une place sur le territoire iranien, c’était tracer l’itinéraire de l’exode. La première opinion nettement formulée fut que le premier lieu, le point de départ, Eerïené Véedjo, était en Arménie. On argumentait d’un passage du Boundéhesch qui parle de l’Iran-Vedj situé du côté de l’Aderpadegan », qui serait l’Aderbeidjan actuel.

Chassés, par le froid, des environs du lac Ouroumiyeh, les Iraniens contournent le sud de la mer Caspienne, se dirigent vers le nord-est, traversent la Turkomanie, franchissent le fleuve Oxus, vont jusqu’en Sogdiane, au sud de Samarcande à peu près, descendent en Khorassan, remontent vers l’Oxus oriental qu’ils ne franchissent pas cette fois, se déplacent légèrement vers l’ouest, du côté d’Hérat, qu’ils dépassent, s’engagent dans l’Hindou-Koush en suivant la vallée de Caboul, pénètrent dans l’Inde, passent l’Indus, touchent à Lahore, reviennent en Kandahar, s’arrêtent un instant aux environs du lac Hamoun, reprennent leur exode vers l’ouest, s’installent en Irak-Adjemi, reviennent à l’est jusqu’en Khorassan, retournent en Aderbeidjan, à l’ouest de la mer Caspienne, c’est-à-dire à leur point de départ, et de là, traversant l’Iran dans toute sa largeur, de l’ouest à l’est, reviennent en Indoustan pour rétrograder encore et s’arrêter enfin à Renghéïâo, que Moïse de Khorène semble indiquer comme étant un point de l’Assyrie qui confinait à l’Arménie, mais que les prêtres Parsis placent en Khorassan.

Le système le plus récent ne donne le nom d’Iraniens aux émigrants qu’au moment de l’exode ; il les nomme Aryas tant qu’ils sont en Eerïené-Véedjo. Il y aurait eu un peuple Arya primitif, parlant une langue originelle, — la langue dite indo-européenne-mère, — et qui, se séparant un jour, se divisa en trois grandes masses humaines, dont l’une s’en fut en Indoustan, l’autre en Europe, la troisième en Iran. Cette théorie place le berceau des Aryas près du plateau de Pamire. D’après ce système, les Iraniens partis des environs du plateau de Pamire passent l’Oxus, et, en sept stations, descendent jusqu’au lac Hamoun ; ils marchent ensuite vers l’Orient, jusqu’à Balkh, et là, se séparant, une partie des émigrants se dirige vers l’Inde, pendant que les autres continuent leur exode vers l’ouest. Ces derniers, en trois stations, reviennent au sud du lac Hamoun, remontent ensuite vers le nord, en droite ligne, jusqu’à l’El-Bourz qu’ils gravissent et dépassent, ne s’arrêtant qu’au bord méridional de la mer Caspienne. Ils reviennent sur leurs pas, franchissent une seconde fois l’El-Bourz, de nord à sud, fondent ou peuplent l’antique Rey, s’éloignent à l’est, un instant, pour revenir à l’ouest et monter en Aderbeidjan : c’est la quatorzième station de l’Avesta. Dans ce système, la quinzième et la seizième station du livre sacré ne seraient pas à leur place logique ; l’itinéraire aurait été interverti ; bien que placés à la fin de l’énumération, les lieux Hapté-Héando et Renghéïâo auraient été touchés par les Iraniens pendant l’exode.

Les divers systèmes émis s’accordent dans le fait principal de l’exode prolongé d’un peuple ; ils se divisent lorsqu’il s’agit de déterminer le point de départ des émigrants, que les uns placent en Eerïené-Véedjo, près du plateau de Pamire, et les autres en Aderbeidjan ou en Arménie.

D’après une autre théorie, les Aryas primitifs se seraient divisés après avoir quitté le plateau de Pamire, et cette division serait précisément due à la réforme de Zoroastre froissant les religieuses susceptibilités de nombreuses consciences aryennes. Le roi s’étant prononcé pour la réforme, les insubordonnés se seraient dirigés vers l’Indoustan. D’après ce système, Zoroastre aurait légiféré avant le grand exode des Aryas primitifs ? La première page du Vendidad, en ce cas, ne serait pas une œuvre purement zoroastrienne, puisqu’elle donnerait le récit d’un fait résultant de la réforme imposée ?

Les environs du plateau de Pamire, et le plateau de Pamire lui-même, ont toujours été considérés par les Orientaux comme un point sacré, un centre, un lieu de début. On a souvent placé là, et en termes expressifs, le nombril du monde, le berceau de l’humanité. Une légende des nomades du Turkestan raconte que l’humanité vécut, jadis, tout entière, au fond d’une vallée de l’Altaï entourée de hautes roches, inaccessibles. Le feu délivra l’humanité prisonnière en fondant les roches, et la race humaine se répandit par quatre issues. Cette légende s’appuie de considérations géographiques remarquables. On voit descendre, en effet, du massif montagneux, quatre grands fleuves, l’Indus, l’Helmend, l’Oxus et l’Yaxartés, qui sont bien les quatre issues de la tradition. Mais ce qui est contraire à la légende, c’est la désolante, l’irrémédiable pauvreté de ce pays que les livres sacrés désignent comme un lieu de délices, un paradis, un éden.

Aucun doute ne saurait subsister quant à la situation septentrionale du premier lieu cité par le Vendidad. L’Airyana, d’après les termes mêmes du Zend-Avesta, est une contrée septentrionale. Il n’existe de difficultés, ou tout au moins de divergences, que quant à la situation longitudinale précise de l’Eerïené-Véedjo.

On trouve deux Iran dans les documents historiques ; l’Iran bactrien, à l’est de la mer Caspienne, et l’Iran géorgien à l’ouest. De nombreux arguments ont été émis en faveur de l’Eerïené-Véedjo géorgien, l’Aderbeidjan actuel : Strabon y fait vivre les peuples carpiens disparus ; la syllabe zend asp est iranienne ; l’El-Bourz, qui ne porte bien son nom qu’à l’ouest et au sud immédiats de la mer Caspienne, c’est l’Al-Bordj, continuellement cité dans les livres zoroastriens des premiers temps ; enfin le fléau d’un hiver rigoureux venant chasser les hommes, est un phénomène plus spécialement applicable à l’Aderbeidjan. On sait la douceur habituelle des hivers en Ghilan, la splendeur de la végétation qui s’y développe, les merveilles de cet éden, et, en même temps, l’effroyable dévastation des tourmentes glaciales qui y sévissent parfois. Il est certainement plus facile d’établir une concordance entre le lieu plein de délices que fut l’Eerïené-Véedjo, et l’Aderbeidjan, qu’entre la première création d’Ormuzd et la Bactriane, ou le plateau de Pamire. Les cyclones de froid qui ravagent le tiède Aderbeidjan ont été souvent remarqués ; ils ne sont guère qu’un évènement possible dans le bassin oriental de l’Oxus.

Quel que soit le point de départ de l’exode iranien, que l’on place l’Eerïené-Véedjo à l’ouest immédiat de la mer Caspienne, autour du lac Ouroumiyeh, ou qu’on l’admette au nord-est extrême de l’Iran, l’itinéraire du Vendidad offre, pour ainsi dire, autant de difficultés que de stations. Certaines de ces stations, très nettement désignées, semblent ne provoquer aucun doute, aucun désaccord ; tous les systèmes d’exode, même les plus divergents, se rencontrent fatalement sur quelques points spéciaux. Il est presque incontestable, par exemple, que le Hapté-Héando c’est le Sapta-Sindhou, le Pendjab indien, puisque le texte du Vendidad, comme si la désignation très claire elle-même ne suffisait pas, ajoute : l’Inde est plus grande et plus étendue que les autres lieux.

Le texte rigoureusement traduit dit : Le quinzième lieu, le quinzième pays excellent que j’ai créé, moi qui suis Ormuzd, ce sont les sept Indes, depuis l’Inde orientale jusqu’à l’Inde occidentale. Une montagne iranienne portant encore le nom d’Hindou-Kousch, n’est-ce pas chose simple, venant naturellement à l’esprit, que l’idée de chercher les sept Indes, les sept lieux qualifiés d’indiens, en deçà plutôt qu’au delà de l’Indus ? Du succès de cette recherche résulterait déjà une très grande simplification, mais elle ne serait pas suffisante ; il faudrait toujours, tellement précises sont certaines indications de l’itinéraire suivi, voir courir les émigrants de l’est à l’ouest, du nord au sud, du sud au nord, de l’ouest à l’est, revenant sur leurs pas, se séparant pour se réunir ensuite, et se séparer encore, et se réunir de nouveau, traçant comme de grandes diagonales s’enchevêtrant sur le territoire iranien.

Est-ce bien véritablement un exode que raconte le Vendidad ? N’y pourrait-on pas lire simplement l’énumération de villes, de lieux iraniens que des fléaux divers auraient frappés, et que Zoroastre énumère comme des exemples de destruction ? Il est remarquable que les stations indiquées sont très différentes entre elles au point de vue de leur importance géographique : Soghdô, abondant en troupeaux, est évidemment un grand pâturage ; Bakhdî, pur et connu par ses grands drapeaux, est quelque chose comme un camp militaire ; Harôïou, considérable par le nombre de ses habitants, où Ahriman produit une pauvreté absolue, était, semble-t-il, un pays trop couvert de peuple ; Véekéréânté, aux villages nombreux, n’était ce pas une province ? Verené, bâti à quatre coins, n’était qu’une forteresse sans doute ? Ce mélange obscurcit singulièrement l’idée d’un exode suivi, d’un itinéraire. Tout devient simple dans le premier farguard du Vendidad, si l’on n’y cherche que l’énumération, sans ordre déterminé, de lieux, villes et villages qui avaient existé, ou qui existaient encore à l’époque de Zoroastre, en Iran.

L’Eerïené-Véedjo pourrait n’être également que la désignation générale du pays qui avait été particulièrement habité par les mazdéens auxquels s’adressait Zoroastre, et qui s’étaient déplacés, du nord au sud, chassés par la rigueur d’un insupportable hiver. De nos jours encore, à l’ouest de la mer Caspienne, des ouragans de neige désolent le pays ; et de l’autre côté de l’Iran, en plein Hindou-Kousch, les habitants de Caboul, chaque année, quittant la ville, vont à Djellalabad passer les durs mois de l’hiver.

Eerïené-Véedjo aurait donc désigné, non seulement le premier lieu créé par Ormuzd, irais encore tout le territoire des mazdéens, tout le royaume du roi Gustasp. Le premier paragraphe du premier fargard du Vendidad débute par ces mots : J’ai donné, ô Sapetman Zoroastre, un lieu de délices et d’abondance, ce lieu est Eerïené-Véedjo ; ensuite, mais seulement ensuite, commence l’énumération proprement dite : Le premier lieu, la première ville que je construisis amplement, grandement, moi qui suis Ormuzd, fut Eerïené-Véedjo. Ce serait comme un royaume ayant pris son nom de sa capitale : La première ville énumérée, c’est Eerïené-Véedjo en Eerïené-Véedjo. La ville capitale est assise en un point déterminé, tandis que le royaume peut s’étendre ou se restreindre ; l’Eerïené, ou Eïrieno, ou Airiano, ou Iraniana, ou Iran, désignera le pays des Iraniens, quelle que soit son étendue. L’Yaçna donne le nom d’Aryana-Vaëja à l’Iran même.

L’Iran, c’est le beau pays, le pays par excellence ; lorsque, avec une langue nouvelle, on voudra le désigner, on ne traduira que le qualificatif. Modjmel et Tavarikh assure que les mots Iran et Vedj traduisirent une appellation antérieure. Depuis Hoschingh jusqu’à Feridoun, dit-il, l’Iran a été appelé Hanireh, c’est-à-dire Belle. Au troisième siècle de notre ère, le chef de la dynastie des Sassanides donne à l’Iran le nom de Zemin-Parsians, terre des Parsians ; cela, parce que les Sassanides étaient d’origine parsistane. Eerïené-Véedjo désignerait donc l’ensemble des terres, villes et villages qui formaient le royaume de Gustasp au temps de Zoroastre ; quelque chose comme l’antique Ariane, telle que la comprenait Strabon disant : La Bactriane est l’ornement de toute l’Ariane réunie, c’est-à-dire de la totalité des provinces aryennes. L’Ayriana, qui comprenait également la Bactriane, s’étendait jusques où vivaient des sujets du roi Gustasp, dits Iraniens.

Quelle que fut l’étendue de l’Eerïené-Véedjo, ou royaume iranien, et quel que soit le point géographique du royaume où la première ville d’Eerïené-Véedjo ait été bâtie, il est certain qu’à un moment historique absolu, les sujets d’un roi nommé Gustasp reçurent des lois nouvelles ; et que ce peuple, à ce moment-là, avait la tradition d’un premier séjour forcément abandonné. Qu’il s’agisse, en conséquence, dans le Vendidad, d’un exode ou d’une énumération de villes frappées, il n’est pas douteux qu’à la date où le Vendidad fut composé, les Iraniens pour qui la loi fut faite, étaient stables, avaient exécuté, avaient accompli leur déplacement. A quelle époque ces choses se passaient-elles ?

Max Müller, qui adopte la théorie par laquelle les Aryas primitifs, parlant une langue originelle, et venant sans doute du plateau de Pamire, se séparèrent en deux grands exodes, l’un allant vers l’Inde, l’autre se dirigeant vers l’Europe, dit : Nos véritables ancêtres reposent ensevelis dans cette patrie centrale de la race aryenne d’où émigrèrent, à une époque bien antérieure au quinzième siècle avant Jésus-Christ, ceux qui apportèrent à l’Inde la langue des Védas, et aux rivages de la mer Egée la langue des poèmes homériques. L’exode spécialement iranien ayant suivi la grande séparation des Aryas primitifs, ne pourrait pas s’être accompli plus de quatorze cents ans avant notre ère. Le livre de Zoroastre, écrit Em. Burnouf, répond tout au plus aux premiers temps du brahmanisme indien. Quelques parties de l’Avesta semblent plus anciennes que le reste du livre, sans toutefois dépasser, ou même égaler en antiquité les plus anciens hymnes indiens. L’œuvre de Zoroastre ayant nécessairement suivi le mouvement d’exode des Iraniens, savoir à quelle époque un seul mot en aurait été donné, ce serait connaître, sinon la date de l’achèvement de l’exode, au moins celle du commencement de la réforme zoroastrienne.

En faisant quelques parties de l’Avesta contemporaines du Rig-Véda, Em. Burnouf placerait l’œuvre personnelle de Zoroastre entre deux extrêmes : la date des premiers hymnes védiques et la date de l’avènement du brahmanisme, c’est-à-dire entre l’an 3000 et l’an 800 avant notre ère. La seconde de ces données est un maximum de rapprochement chronologique, puisque c’est au neuvième siècle avant notre ère que les Assyriens commencèrent à envahir l’Iran sans rencontrer les Iraniens : Sauf les Mata, écrit Maspero, Assour-Nazir-Habal ne trouve devant lui que des populations touraniennes. En conséquence, on peut dire qu’au neuvième siècle avant Jésus-Christ, les Iraniens étaient encore cantonnés à l’est de l’Iran, et que la nation iranienne n’était pas encore constituée.

Anquetil Duperron, s’appuyant sur les opinions concordantes de nombreux auteurs grecs, latins et orientaux, croyait pouvoir fixer au sixième siècle avant jésus l’époque de Zoroastre. Entre l’avis d’Anquetil Duperron et l’ancienneté fabuleuse qu’indiquent Hermippe et Eudoxe, Pline voit l’œuvre de Zoroastre s’accomplir aux environs du vingt-cinquième ou du vingt-sixième siècle. Eugène Burnouf, Oppert et Spiegel sont, avec Pline, contre Eudoxe, Hermippe et Anquetil Duperron. On ne connaît pas la date de la naissance de Zoroastre, a écrit P. Gaffarel. Le premier écrivain grec qui le mentionna est Platon, et il en parle comme d’un philosophe déjà ancien. Xanthus de Lydie plaçait sa naissance vers le douzième siècle de notre ère, Pline le dit de mille ans antérieur à Moïse ; Hermippos, qui traduisit ses livres en grec, le faisait remonter à cinquante, et Eudoxe à cinquante-six siècles avant la prise de Troie. Les érudits contemporains, tout en avouant leur impuissance à fixer une date précise, s’accordent néanmoins à trouver le témoignage de Pline fort vraisemblable. C’est donc vers le vingt-cinquième ou le vingt-sixième siècle avant le Christ qu’aurait vécu Zoroastre.

L’existence positive de Zoroastre n’a pas encore été prouvée. On a dit, et E. Schœbel l’a répété, que le législateur iranien ne serait qu’un mythe. Le second livre de l’Avesta, l’Izeschné, appelle Zoroastre dûta, c’est-à-dire messager de la divinité. Ce mot, écrit Schœbel, qui est le qualificatif védique d’Agni, joint à la signification du nom de Zoroastre, qui paraît signifier éclat brillant, puis la circonstance que l’Avesta le montre habituellement en rapport étroit avec le feu, nous autorisent presque à conclure que Zoroastre est un autre Agni, le feu personnifié.

Après la négation vient la pluralité des Zoroastres. Il fut un Mède pour Berose, il fut un Perse pour Pythagore, qui parlait d’après Clément d’Alexandrie. Suidas concilie les deux opinions ; pour lui, Zoroastre était un Persomède. Justin, Moïse de Khorène et Ammien Marcellin le font roi de Bactriane. Max-Müller, Westergaard, Haug et Oppert attribuent précisément à la haute et ardente personnalité de Zoroastre la grande scission aryenne d’où l’exode résulta, les uns acceptant la réforme, les autres, courroucés, haineux, ayant préféré s’expatrier plutôt que de renoncer à leur foi. Haug, contrairement à Max-Müller sur ce point, retrouve le nom de Zoroastre dans le Rig-Véda. Schœbel, en admettant que Zoroastre ait existé, ne l’admettrait que comme moderne, parce qu’il n’est nommé ni dans les inscriptions des Achéménides, ni par Hérodote qui décrit cependant avec tant d’exactitude le culte des Perses. Lassen suppose que le nom de Zoroastre fut intercalé dans l’Avesta par les mages, alors qu’ils s’emparèrent des livres iraniens pour en exploiter le fond religieux. L’Avesta fut certainement rédigé, donné par quelqu’un ; et Anquetil Duperron qui établit la contemporanéité de Zoroastre et des livres zends, écrit, après avoir détaillé son argumentation : Si l’on trouve que mes raisons ne prouvent pas absolument que Zoroastre soit l’auteur des livres zends, il suffira aux personnes instruites de jeter les yeux sur les livres mêmes, pour reconnaître qu’ils sont aussi anciens que le législateur perse.

M. de Gobineau, enfin, qui fait Zoroastre contemporain de Darius Ier, admet que plusieurs autres Zoroastres aient existé avant lui. La question, écrit-il, n’est pas de rechercher si l’on connaît d’une façon exacte le nom propre et la position personnelle de chaque réformateur de l’Iran antique ; il suffit de savoir qu’une croyance a été présentée, pour apercevoir, peut-être obscurément, mais, en tout cas, certainement, l’ombre passante de la grande personnalité de son auteur. Ainsi donc, il y a eu sans conteste plusieurs astres-d’or, — Zaratousbtra, — qui ont traversé, en la changeant, la scène religieuse de l’ancien Iran, et de l’effet de leurs influences successives sont résultées les situations qui, au temps de Darius Ier, ont produit l’ascension du nouvel astre-d’or auquel on réserve plus particulièrement le nom de Zoroastre... Nulle affirmation chronologique ne saurait, conclut M. de Gobineau, se rapporter légitimement à un mot qui est moins un nom qu’un titre d’honneur, ou pour mieux dire, une caresse dévote.

Parmi les astres-d’or, il en fut au moins un qui commença la série des Zoroastres ; celui-là vécut à une époque certainement postérieure, mais de peu de temps, au mouvement d’exode qui s’accomplit plus de 3000 ans avant notre ère.

S’il existe quelque incertitude relativement au point géographique de l’Iran où Zoroastre inaugura sa réforme, s’il est encore permis de le voir ébauchant des lois sur divers points de l’Iran, et notamment à l’ouest de la mer Caspienne, aux environs du lac Ouroumiyeh, il semble que tout doute s’efface lorsqu’il s’agit de déterminer le lieu où sa réforme s’accomplit : C’est à Balkh que la réforme de Zoroastre triompha.

Balkh, ou Bactra, en tant que ville, est peu citée dans les livres zoroastriens. C’est le propre des réformateurs triomphants d’appeler à eux, en les invectivant d’ailleurs, tous les groupes d’hommes qui sont loin du centre de leur réforme, sans songer à maudire, ni à exalter le centre même où se passe l’action. Le nom de Balkh, dit Anquetil Duperron, paraît à peine dans les livres zends, tandis que l’Iran-Vedj, ses fleuves, ses montagnes y sont souvent rappelés ; c’est que ce dernier pays était le berceau de la monarchie, et que le règne de Feridoun et celui de Ké-Khosro l’avaient rendu célèbre, au lieu que la Bactriane ne devait qu’aux irruptions du Touran l’honneur d’être devenu le siège de l’empire.