Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE III

 

 

Touraniens et Iraniens. - Les Kurdes. - L’Arménien. - Le Géorgien. - Tcherkesses et Lesghiens. - L’Abreck. - Les Circassiens. - Les Guèbres. - Les Ghilanais. - Les Yezidis, adorateurs du mal. - Les Baktiaris.- Les Barabras.- Brahouis et Bélouchis. - Afghans. - Bactriens. - Les Scythes. - Kachgariens et Yarkandais. - Tourkis, Turcs, Turkomans. - Turkmènes. - Uzbeks. - Nogaïs et Kirghiz. - Tekkés. - Les Koushites. - Les Persans. - Les Mèdes.

 

IL en est des hommes, en Iran, comme des autres animaux, grands ou petits : des races diverses y vivent très mélangées. Le désert central de Khaver, sorte de méditerranée sèche, de grand lac évaporé, n’a pas permis aux hommes qui l’entourent de s’amalgamer suffisamment, de se confondre, de s’unifier ; il n’y a donc pas de race persane proprement dite. Le grand brassement des peuples en Asie a souvent frappé les anthropologistes, qui doivent aller jusqu’aux zones polaires pour y rencontrer un type réellement caractérisé. Or, parmi les peuples de l’Asie, quel fut plus brassé que l’Iranien ? Parmi tant de races diverses se partageant la Perse actuelle, parmi tant de types, tant de traits différents du même type, quel est le trait, quel est le type, quelle est la race dont le caractère pourrait être dit dominant ?

S’il était possible de découvrir, en Perse, l’individu qui, suivant Darwin, aurait évidemment conservé cette supériorité procurant un avantage quelconque dans la lutte quotidienne pour la vie, il faudrait, avec Lamarck, dégager ce type des modifications que les milieux extérieurs et les besoins ont imposées à sa nutrition et à la structure de ses organes ; se demander, avec Hœckel, quelle part a eue l’adaptation directe, quelle l’adaptation indirecte dans ces modifications, et reconstituer ainsi le type pur du grand plateau d’Iran. Mais, où le trouver, cet individu de choix ? Un voyageur attentif disait des Persans, après avoir étudié leur longue histoire : Pourquoi le même sol a-t-il produit tantôt des générations d’élite, tantôt des hommes faibles et pusillanimes ? Sans doute, parce que des races diverses se sont toujours partagé l’Iran et que ce furent tantôt des races fortes, tantôt des races faibles qui tinrent le pays. Peut-être, aussi, la cessation de la fonction faisant la cessation de l’organe, telle race brave et active pendant le combat, devint-elle lourde et lâche pendant une paix nécessaire. On chercherait en vain, historiquement, une époque où le grand empire iranien se pût surprendre en travail d’unité. Alors que les Persans racontaient leurs légendes excessives, on les entendait dire naïvement : Le roi du Mazenderan a fait des tentatives pour secouer le joug des Iraniens. Pour ces bardes, les Iraniens n’étaient que des vainqueurs. De nos jours encore, l’esprit ne conçoit que difficilement une nation persane. Les quelques types qui se distinguent de l’ensemble, et que l’on trouve cantonnés sur divers points de l’Iran actuel, sont eux-mêmes très mélangés.

Les Kurdes, à l’ouest, vivent et parlent différemment, suivant qu’ils habitent le nord ou le sud de leur territoire ; ils ne donnent pas, vus en masse, l’impression d’une race homogène ; ils ne se ressemblent pas entre eux. On remarque et l’on cite leurs costumes riches et variés, le sens artistique qui les anime, la sûreté de leur caractère, la libre allure de leur esprit, la petitesse de leur taille, l’énergie de leur attitude et la solidité de leurs membres trapus ; mais on trouve chez eux, et en nombre, des Bédouins, des Arabes, venus du côté de l’Euphrate, grands, robustes, au nez fortement aquilin, aux yeux profondément enfoncés sous l’orbite ; des Arméniens aux lignes anguleuses ; des Indiens, des Israélites et des Turcs.

L’Arménien, intelligent et laborieux, mais servile, incapable de commander, est cependant énergique et fort ; son ignorance fut une merveille. Moïse de Khoréne constate que les Arméniens, chasseurs et pasteurs, ignorèrent pendant longtemps l’agriculture, le labourage, l’art de bâtir des ponts, de construire des barques pour naviguer sur leurs lacs et même de fabriquer des filets pour prendre les poissons dont ces lacs étaient remplis. Les Arméniennes ont une beauté dure, de fortes mâchoires, un nez très accentué. La longue servitude des Arméniens a fait de leurs craintes perpétuelles, de leurs prudences viles, une tradition de ruse dont ils sont fiers. Les antiques Ibériens étaient célèbres par leur communisme radical et leur indifférence religieuse. Ils cultivaient des terres appartenant à tous, se groupaient sans discipline pour la bataille, s’avançaient bravement, et se dérobaient après avoir lancé leurs flèches.

Le Géorgien, lent et chevaleresque, vaniteux et grand buveur, d’une générosité prodigue, fier de ses armes très ornées, comme de la froide et blanche beauté de ses femmes, a d’ardentes colères et de profonds découragements.

Le Caucase est actuellement peuplé de Tchetchens et de Lesghiens à l’ouest, de Tcherkesses à l’est ; l’Abreck implacable tient les hauteurs. Rien n’égale le patriotisme du Circassien, sa bravoure, sa turbulence, ses amours. Aux pieds des montagnes, cependant, vivent des tribus ordonnées, aimables et hospitalières.

A l’extrémité orientale du Khirvan géorgien, sur un cap qui pointe dans la mer Caspienne, à Bakou, vivent les Guèbres, agriculteurs et artisans, petits, bruns, sales, sans dignité ; mais bons, essentiellement charitables, pacifiques jusqu’à l’horreur du bruit.

Les Persans du nord-extrême, surtout en Ghilan et en Mazendéran, sont d’une taille moyenne, bien prise, avec une poitrine et des épaules remarquablement développées, un teint olivâtre ou cuivré, des cheveux bruns ou roux, le nez aquilin, l’ovale de la tête allongé. Les Ghilanaises, très blanches, sont laborieuses et gaies. Le pâtre montagnard, — le Galyche, — que l’on croit être le type pur de la race, très brave, très agile, est grand chasseur de fauves. Dans les plaines, triste, morose, poltron, sobre, mais gourmand, plus rusé qu’habile, amolli, le Ghilanais a les allures et les goûts des paysans du Malabar indien. Dans certaines parties du Ghilan se rencontrent des types absolument disparates. Au sud-ouest par exemple, le Ghilanais, grand et bien fait, est excessivement superstitieux ; ses femmes, très belles, très blanches, s’enorgueillissent de la séduction de leur démarche et de leur regard. Au sud, la femme n’est plus qu’un instrument de plaisir ou de travail.

Dans l’Irak-Adjemi, se coudoient, se confondent, s’annulent mille types divers. On y remarque les Yezidis, adorateurs du principe mauvais, par cette raison avouée, que le culte religieux n’a pas d’autre objet que de fléchir la puissance divine, et que le principe du bien étant excellemment bon, indulgent et clément, n’a pas besoin d’être fléchi.

Il fut un moment où les territoires iraniens qui sont à l’ouest du désert du Khaver, depuis l’Arménie jusqu’à la Susiane, en y comprenant, en conséquence, toute la Médie, formaient un royaume indépendant. L’auteur du Koush-Nameh divisait les habitants de ce royaume en quatre races distinctes : les Zohakys ou Tazys, les Pyl-Goushans noirs aux oreilles d’éléphants, les Tjynys et les Iraniens. Les premiers désigneraient des Assyriens ; les seconds, des Ethiopiens ; les troisièmes seraient les Perses et les Mèdes, unis, se trouvant chez eux ; les Iraniens, venus de l’orient, étaient certainement un type spécial et distingué. La population actuelle de l’ouest persan permettrait une division semblable, approximative. Cependant en Farsistan, aux environs de Chiraz, vit une autre race, les Baktiaris, presque nomades, cavaliers superbes portant haut la lance et se jouant de leurs armes nombreuses, très lourdes, comme de fétus. On voit aussi, de ce côté, des nègres avides de plaisirs grossiers, envieux et médiocres ; des métis noir-blanc, à la peau bronzée, au menton fuyant sous de grosses lèvres, au poil rare, aux cheveux plutôt fusés que crépus ; ce sont ces Barabras ou Kenous, de la basse Nubie, dont les monuments de l’ancienne Egypte ont conservé le type très nettement. Ces hommes à la peau sombre, ou brun-rouge, ou noire même, produit métissé du nègre d’Afrique et de l’Iranien en contact, furent considérés comme une race à laquelle le nom d’Égypto-Berbère fut donné. Il y eut, alors, une théorie qui fit de ce groupe spécial les Chamites de la genèse biblique dont les rameaux se répandirent, dés les premiers âges de l’humanité, dans les contrées que les Sémites occupèrent ensuite. Un de ces rameaux aurait peuplé l’Assyrie, l’Ethiopie, une partie de l’Arabie ?

Ce qui n’est pas douteux, c’est que la terre d’Iran fut toujours couverte d’une multitude de races diverses, venues de toutes parts, et que de nos jours encore, peut-être ne trouverait-on pas un champ du monde où le mélange des types humains fût plus compliqué. Il est remarquable que jamais aucun de ceux qui parlèrent de l’Iran, ou qui gravèrent ses actes historiques sur la pierre, ne put définir un type spécial dominant. Les sculpteurs de Persépolis et de Béhistoun eux-mêmes, artistes indécis, ne nous ont laissé que les images de héros semi-caucasiens, semi-arabes, avec des ajouts empruntés aux nègres venus du sud. La Perse actuelle, quant à cela, continue l’Iran.

En Bélouchistan, deux types principaux : les habitants des montagnes, ou Bralhouis, très laborieux, courts, trapus, gros, à la face ronde et aplatie ; les habitants des plaines, ou Béloutchis, aux traits accentués, grands, robustes et que la paresse semble tenir. Là encore le sang nègre s’est infusé, de nombreux émigrants d’Afrique se sont répandus.

En Afghanistan, le mélange des types fait réfléchir Dans la population brune se rencontrent des Afghans ayant des cheveux rouges, des yeux bleus, le teint clair et fleuri. A la jonction des Himalayas et de l’Hindou-Kousli, les chevelures chatain-clair dominent ; les yeux y sont gris, parfois bleus, avec des sourcils courbes et des paupières allongées.

Le type iranien par excellence, celui qui, sans contestation, a conservé sa supériorité, s’impose, par la puissance des traditions, à l’examen grave de l’observateur, c’est le Bactrien ; non point, peut-être, comme individu absolument pur, mais comme groupe historique. L’antiquité consacre la bravoure des Bactriens, leur patriotisme, la pureté de leur race, la grandeur de leur rôle, la noblesse de leur origine.

Ainsi, du nord à l’ouest, de l’ouest au sud, du sud à l’est, les territoires iraniens, autour du désert central, donnent des Arméniens, des Géorgiens, des Ghilanais, des Kurdes, des Méridionaux métissés, des Béloutchis, des Afghans, des Bactriens, ayant entre eux des affinités évidentes, mais offrant à l’ethnographe plus de caractères inconciliables que de traits identiques.

L’ethnologie compliquée de l’Iran n’est plus que de la confusion au nord de l’El-Bourz, en Asie centrale, en Touran. On a longtemps, d’une manière fort commode, englobé tous les habitants de cette indécise région sous la dénomination générale de Scythes. On fit Scythes, et ce fut bientôt dit, les êtres humains les plus opposés ; l’on agrandit ou diminua l’aire de ce groupe suivant les nécessités de l’histoire ou les volontés de l’historien. Trouva-t-on, dans quelque ruine de l’Asie centrale, les traces de chevelures arrachées à des vaincus, aussitôt de dire que les anciens Scythes scalpaient leurs prisonniers ; furent Scythes, les rares habitants des bords polaires que le hasard rejeta vers le sud, qui vinrent montrer leurs faces plates sur les rivages de la Caspienne, aux pieds de l’El-Bourz, ou dans les environs du lac Hamoun ; Scythes encore ces Ougro-Sibériens, ces Mongols, ces Chinois, ces Indiens que l’on vit s’établir et vivre en pleine Turkomanie, et qui y sont demeurés d’ailleurs en nombre ; Scythes enfin, en un seul mot, et décidément, toutes les peuplades informes, incomprises, innommées, qui pullulèrent de tous temps dans cette partie de l’Asie qui va de la mer Caspienne à la Chine, du pôle nord à l’ El-Bourz, espace immense, illimité.

Dans ce grand mélange de races qui se partagent actuellement la vaste Scythie, — et il faut les interroger ces descendants des hordes qui troublèrent l’Asie, pendant les premiers siècles historiques, de leurs bruyantes convoitises, — on distingue certains types sinon demeurés purs, mais ayant conservé les marques distinctives d’un caractère spécial. Ce sont, au nord des Hymalavas, les Kachgariens industrieux, intelligents, énergiques, plus civilisés qu’ils ne devraient l’être relativement à l’aire géographique isolée qui fut leur constant habitat. Le Kachgarien a la prétention d’être de race supérieure.

On crut d’abord que les gens de Kachgar et de Yarkand étaient dés Aryens devenus Tatares ; de patientes observations modifièrent cette première pensée. Les Yarkandais, de haute taille, au visage allongé, au nez remarquablement dessiné, à la barbe épaisse, seraient purement et simplement des Aryens, c’est-à-dire des hommes issus de la première race pure dont l’Asie centrale aurait été peuplée ? Parmi les Kachgariens et les Yarkandais se rencontrent des Indiens venus du sud et des Tourkis venus de l’ouest. Ces deux types se distinguent l’un de l’autre, surtout par les manifestations de leur goût visuel. L’Indien s’habille d’étoffes blanches semées de dessins minutieux et élégants ; le Tourki recherche les grands ramages aux tons vifs, couvrant le tissu.

Les Mongols domineraient actuellement en Asie centrale, si le rameau turc était admis comme mongolique. En effet, la série descendante du type humain jaune est correctement logique. C’est d’abord, en tête, le Mongol, puis le Chinois, le Tibétain, le Dravidien, l’Indo-Chinois et enfin le Turc. Le Chinois et le Tibétain ne sont, en réalité, que des Mongols étiolés, dégénérés en eux-mêmes, tandis que les trois derniers types de la série sont entachés d’un métissage insistant. Le Dravidien de l’Inde ne serait, en ce cas, qu’un Mongol taché de Nègre ; l’Indo-Chinois ne serait qu’un Mongol compliqué de Polynésien ; le Turc, un Mongol jaune que les femmes blanches du Caucase, dé l’El-Bourz et de l’Hindou-Kousch ont amélioré.

Comme on disait jadis les Scythes, on dit, un jour, les Turcs, les Turkomans. La Turkomanie, ce fut l’antique Scythie, dans toute sa vague étendue, avec toute sa complaisante élasticité. Furent dits Turcs, plus spécialement, toutefois, tout Turkoman dont le type avait quelque chose de mongolique, tout Asiatique ayant dans ses veines une goutte de sang jaune. Les Turkomans, Turkmènes et Uzbeks, au teint brun-jaune, au nez très épaté, aux yeux allongés et couverts, aux arcades sourcilières accentuées, au front fuyant, à la barbe rare, au corps mou, furent de véritables Turcs primitifs, que les Circassiennes et les Géorgiennes n’avaient pas encore ennoblis. Les Turkomans, Tatares et Nogaïs, qui sont au nord de la Caspienne, entre Astrakan et Kouma, sont précisément des Mongols modifiés, aux nez droits, aux yeux horizontaux, à la bouche fine. Plusieurs familles de Nogaïs, vivant ensemble, constituent un groupe mobile nommé Aul, sorte de tribu restreinte indifférente aux autres. Chaque famille de Nogaïs a son chaudron ; ce sont les janissaires de Stamboul.

Les Turkomans, Turkmènes, Uzbeks et Kirghiz, non améliorés, tiennent le pays que limitent la mer Caspienne, les rives septentrionales de l’Oxus, Balkh et Hérat. Les Turkomans ont l’horreur de tout ce qui ressemble à une résidence, à un gouvernement. Presque mélangés de force aux Uzbeks, dont ils parlent le même idiome, ils affectent de ne leur point ressembler. Ces Turkomans nomades sont singuliers. A les voir, à les entendre, on devine que des sangs contradictoires, mais d’un despotisme égal, coulent en eux ; qu’une lutte est continuelle entre leurs esprits lourds et leurs chairs ardentes, leur instinct naturel et leurs goûts empruntés : la sève de leur tronc de race, fouettée par les appétences des greffes soudées à ce tronc, donne sans cesse des Turkomans abâtardis. C’est ainsi que l’on constate la fougue puissante de leurs allures guerrières, en même temps que la calme indolence de leur vie domestique. Ces pillards indomptables, sauvages, cruels, aiment à sourire aux contes de fées, ont des complaisances enfantines pour les troubadours ambulants, futiles, coquets et capricieux. Les Turkomanes, non voilées, sont actives, sincères, gaies et affables. Doux à leurs femmes, qui sont leur joie en même temps que leur plaisir, les Turkomans exigent d’elles, toutefois, une large part de travail, et c’est sans doute là le secret de l’humeur souriante et libre des Turkomanes.

Un coin de l’Iran recèle quelques tribus turbulentes, massées dans des villes, certainement turkomanes, affirmant leur indépendance jusqu’à concevoir un droit absolu d’insurrection. On dirait ces Parthes de Justin, dont la hauteur, la turbulence, la fourberie et l’insolence étaient le fond du caractère, tant les hommes se montraient violents et les femmes douces. Sur un autre point campent, des Turkomans que l’on a identifiés à ces bohémiens connus de l’Europe et que l’on croit originaires de l’Inde, les Tziganes.

En Khokand vit un type spécial, le Tajik, au front élevé, aux yeux bruns et expressifs, au nez mince, à la lèvre supérieure courte et rouge, aux cheveux d’un noir clair, aux muscles courts, à la barbe un peu rougeâtre ; ils sont remarquablement instruits et laborieux, mais ne savent pas commander. Le Kirghiz ferme et pesant, qui vit à côté d’eux, s’impose et parle haut.

L’Uzbek, qui peuple les Khanats de Khiva, de Bokhara et de Khokand, dont le nez large est presque plat à son extrémité, dont les yeux allongés se cachent sous de longues paupières tombantes, qui a le front du Mongol et la physionomie cependant agréable, serait l’œuvre du Kirghiz et de l’Iranien. Le Karo-Kirghiz, qui se sépare en cela du Kirghiz amendé très répandu, a l’horreur de la vie sédentaire, méprise l’habitant des villes ; il vit sous la yourte légère, couverte de feutre, mobile, et ne veut pas d’autre habitation.

Ce sont encore des Turkomans, ces Tekkès que l’on voit en grand nombre dans le Khorassan oriental, mais d’un type nouveau : grands, bien proportionnés, robustes, ils ont les pommettes saillantes, le front large, le crâne développé et se terminant en forme de crête ; leurs yeux, bridés, mal protégés d’ailleurs par de courtes paupières, ont un vif éclat ; leur nez est petit, retroussé ; leurs lèvres sont grosses, leur barbe est légère, clairsemée, et de leur face ronde et blanche se détachent de grandes oreilles. Les Tekkès, depuis Hérat jusqu’à Merw, vivent en tribus confédérées dont les territoires sont exactement définis ; ils se réunissent pour agir en commun au moindre cri de ralliement. Alors, massés, les Tekkès délibèrent, se prononcent et obéissent. Leurs femmes ont les traits caractéristiques de la race, accentués ; leur peau est très blanche.

On a pu diviser ces masses humaines, si mélangées, en trois grandes classes : les Turkomans, les Uzbeks et les Kirghiz. Au point de vue anthropologique, les Turkomans, les Uzbeks et les Kirghiz sont Mongols à divers degrés. La race jaune, dominante en Asie centrale, se serait modifiée au contact des races blanches et noires, et ainsi s’expliquerait toute la confusion des mœurs et des types turkomans. Cependant, une théorie scientifique voudrait qu’il eût existé, là, avant les Mongols, un type spécial, sans rapport aucun avec les Scythes ou Turkomans, ou Touraniens, et auquel il faudrait attribuer une influence remarquable : la race de Koush. Le Koushite a la taille petite, le corps élancé et bien fait, la chevelure abondante, souvent frisée, jamais crépue ; le teint foncé, variant du brun clair au noir ; les traits réguliers, parfois délicats ; le front droit, étroit, suffisamment élevé ; le nez long, mince, fin, d’une saillie moins accusée que le nez aryen ; la bouche défectueuse, aux lèvres épaisses et charnues. Ces hommes seraient originaires de la Bactriane, ou pays de Koush, qu’arrose le Gibon biblique, l’Yaxartès et le Sir-Daria.

Quelles soient nommées Scythes, Touraniennes ou Turkomanes, les masses ambulantes de l’Asie centrale n’auront jamais, dans l’histoire, ni le caractère, ni l’importance d’un peuple ; encore moins la valeur d’une nation. Ce ne sont que des quantités d’hommes de toutes races, et parmi lesquels la science ne trouvera pas le type indigène positif. L’aire géographique de ce conglomérat humain est également difficile à limiter, la tendance de ces masses ayant toujours été de descendre vers le sud, de déplacer constamment la frontière méridionale de leur territoire. On pourrait dire cependant qu’au sud des chaînes de l’El-Bourz les Turkomans de nos jours, comme les Scythes des temps anciens, se sentent en pays étranger.

Le type général diffère entre l’homme de Perse et l’homme de Turkomanie. Si l’on a pu dire des Turkomans qu’ils étaient tous Mongols, au fond, plus ou moins, on peut écrire des Persans, qu’ils sont tous plus ou moins Européens, dans le sens sculptural du mot.

Le type Touranien tenant le nord de l’El-Bourz, le nord de la Perse, le nord de l’Iran, le type opposé reçut le nom qualificatif d’Iranien, et l’on comprit dans ce type, non seulement les Persans actuels proprement dits, mais un bon nombre de tribus environnantes dont il était, en effet, difficile de dire si elles avaient conservé ou emprunté les caractères iraniens les distinguant : une grande stature, un profil long et vertical, un développement remarquable du système pileux. Les Parsis, les Arméniens, les Géorgiens, les Kurdes et les Afghans ont quelques-uns de ces caractères : les traits sont réguliers, le front est élevé, de noirs sourcils ombrent de grands yeux bien fendus ; le nez, proéminent et droit, ou recourbé, se dessine franchement ; la bouche est large, les lèvres sont fines ; les cheveux sont longs et noirs ; la barbe est fournie, bien plantée. Certes, cette esquisse n’a rien de mongol ; mais, de même qu’au nord de l’Iran le fond mongol des Scythes, des Touraniens, s’est assez profondément métissé pour permettre une sorte de sous classement ethnographique, de même, en Iran, le type iranien subit des divisions, dont quelques-unes s’écartent à ce point des lignes originales qu’il est difficile d’y retrouver le point de relation. C’est ainsi que des savants très exercés ont pu nier la présence des Iraniens au sud de la Perse.

Il a été dit que le type iranien pur viendrait du Seistan ; que les Iraniens par excellence, marchant de l’est à l’ouest, se seraient répandus du Seistan en Médie, en expulsant les hommes de race ougrienne qui l’habitaient, pour descendre ensuite en Perside. Les Iraniens en exode, d’après cette théorie, se seraient plus rapidement civilisés que les Iraniens demeurés en Iran, et ces deux branches d’un tronc commun, s’écartant de plus en plus l’une de l’autre, se seraient rapidement et profondément séparées. On conserva le titre d’Iraniens aux Mèdes et aux Perses ; quant aux Iraniens orientaux, ce ne furent plus que des Aryas. Il faut reconnaître que les habitants de la Perse orientale ne ressemblent pas à ceux de la Perse occidentale, et que les Persans du nord se distinguent nettement des Persans du sud.

C’est là l’œuvre naturelle du grand désert de Khaver, de cette méditerranée iranienne, autour de laquelle vivent, presque sans relations entre eux, des animaux de même origine empruntant à leurs voisins immédiats des caractères nouveaux, et s’éloignant en conséquence de plus en plus chaque jour du type primitif.

Les bords de la Méditerranée européenne présentent les mêmes phénomènes que les bords de la Méditerranée persane, de la mer iranienne évaporée, du désert de Khaver : Les végétaux dont les vents transportent les graines, les oiseaux qu’aucun obstacle n’arrête dans les airs, conservent sur tout le littoral méditerranéen une grande conformité de physionomie, tandis que les mammifères s’y divisent en plusieurs provinces très tranchées.

Autour du désert de Khaver, trois divisions humaines principales : Au nord-ouest, les Mèdes-Touraniens ; au sud, les Parses ou Perses ; au nord-est, les Aryas, avec des mélanges, des contradictions, des disparates abondants. Tel voyageur accorde aux Persans l’humeur querelleuse, la bravoure aveugle, la vantardise, l’impétuosité ; tel autre, signalant leur esprit militaire qui rend inutile tout système de recrutement forcé, l’explique par l’indolence et non l’ardeur, par la paresse qui se fait nourrir et non l’amour de la patrie. De Chardin à sir William Ouseley, il est peu de voyageur qui n’ait été frappé des œuvres de la superstition persane, minutieuse, excessive, ridicule ; et cependant, de Tavernier à Aucher Eloy, il n’est pas d’observateur, au contraire, qui n’ait remarqué le grand esprit de tolérance religieuse dominant en Iran. Schœbel rappelle, après Haug, que les Iraniens furent toujours considérés comme d’admirables agriculteurs, laborieux et sobres, robustes et durs ; hors de l’Iran, expatrié, le Persan a la réputation d’un négociant habile, souple et délié, très économe, peu scrupuleux, ambitieux de fortune, mais rebelle au travail. Le caractère fondamental des Persans, dit F. Von Hellwald, est une prédisposition aux occupations paisibles, ce qui les distingue des nomades qui se plaisent à rechercher les aventures périlleuses. L. Dubeux signale leur esprit querelleur : Il existe, dit-il, beaucoup de rivalités entre les différents quartiers d’une même ville. Aucher Eloy a écrit des femmes persanes, qu’elles sont d’une hardiesse inconcevable, qu’on les voit toujours à la tête des émeutes. Ces contradictions, ces inconséquences, ces heurts s’expliquent par le mélange des races. De même que l’on rencontre jusqu’aux extrémités de la Perse des groupes de Touraniens évidents, de même parmi les Touraniens, et cela jusqu’en Chine, trouve-t-on des Iraniens incontestables, très caractérisés, presque purs.

Il est un point de l’Iran où la plus grande confusion semble s’être produite d’abord, mais où le mélange des races a fini peut-être par aboutir à un type particulier, comme dans un creuset heureux plusieurs métaux donnent un bronze unique. Ce point, c’est la Médie, qui fut le royaume de Khaver. Là vivaient des hommes qui n’étaient ni Touraniens, ni Iraniens, ni Assyriens. Le Koush-Nameh affirme que lorsque les peuples de l’El-Bourz descendaient en Médie, ils se servaient d’interprètes pour exprimer leurs pensées, se faire traduire les paroles des Mèdes, et qu’il en était de même des Assyriens. Hérodote voulant donner une classification des Mèdes, est encore excessivement embarrassé : il y trouve des Mages ou prêtres, des Arizanthes ou guerriers, des Buses tenant au pays, des Struchates nomades, des Budiens asservis et des Parétacémiens insaisissables. Pas d’unité, pas de peuple, pas de nation surtout. Mais, dans ces types divers, quel fut l’ancien Mède, le premier Mède ? Est-ce le Touranien venu du nord ? On l’a cru, on l’a dit, et cela a été vivement discuté. Hérodote et Strabon tenaient les Mèdes pour aryens ; Spiegel a démontré que leurs noms propres et leurs noms géographiques s’expliquaient tous par les langues iraniennes et non par le finnois ou par le turc.

C’est en Médie, assurément, que toutes les races asiatiques se rencontrèrent, qu’elles se confondirent en alliances ardentes, irréfléchies, désordonnées. Il y eut en Médie, pendant des siècles, comme dans un fond, un amalgame de chairs diverses et d’esprits différents, amenés par le hasard, surexcités par les contacts nouveaux et peut-être par les désœuvrements d’une vie facile. Là se virent et se désirèrent, et se livrèrent les uns aux autres, les Mongols impudiques, les Koushites vigoureux, les Aryas pleins de séductions, les Dravidiens sauvages, les Arabes très chevaleresques et très beaux, les Nègres lubriques, les femmes de la Géorgie et de la Circassie, blanches et gaies, belles et bienveillantes.