Les Iraniens, Zoroastre (de 2500 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

Aryas et Iraniens. - Les lois de Manou et le Zend-Avesta. - Les Brahmanes et Zoroastre. - La grande Perse. - Iran et Touran. - Les monts Zagros. - L’Arménie. - Le lac de Van. - Le Caucase. - Les ouragans. - Bakou et ses pétroles. - La mer Caspienne. - La mer d’Aral. - Le désert d’Oust-Ourt. - Le Gourgan et l’Attreck. - Sir Daria et Amou Daria. - L’El-Bourz. Le plateau de Pamire.

 

PENDANT que les Aryas du nord-ouest de l’Inde, menés par leurs prêtres, marchant vers l’est jusqu’au Gange, vainqueurs disséminés sur le territoire conquis, disparaissaient dans la foule des vaincus les corrompant, un autre groupe d’hommes s’organisait à l’occident de l’Indus, en Iran.

De l’Inde védique, de la civilisation originale du Sapta-Sindhou, il ne nous reste qu’un recueil d’hymnes, — le Rig-Véda, — œuvre essentiellement littéraire et charmante, vaste poème où la victime énuméra complaisamment ses lâchetés, donnant à l’historien, ainsi, en une confession très sincère, l’exemple attristant d’un peuple trop doux, trop confiant, certainement traître à son génie.

Les Iraniens, plus heureux, moins dociles, trempés aux angoisses d’une organisation sociale rapide et voulue, fiers, épurés, faisant la Perse, donneront au monde un homme et un livre, impérissables : Zoroastre et le Zend-Avesta.

L’Indoustan brahmanique, soumis aux désespérantes lois de Manou, sera la proie des conquérants. L’Iran, avec son code zoroastrien, luttera contre le Touran, contre l’Assyrie, contre l’Egypte, contre la Grèce, contre Rome, contre les Mongols, et ses vainqueurs auront, avec la crainte de ses armes, l’admiration de sa morale et de son énergie.

Dans l’Inde, la voix de Manou affirmera que le brahmane étant, par sa naissance, l’incarnation éternelle de la justice, doit en venant au monde recevoir le premier rang comme souverain-seigneur, comme maître et propriétaire de tout ce que l’univers peut renfermer. Mais le despote, incapable d’utiliser sa force, verra son esclave, insensible au joug qui l’étreint, se mourir continuellement, et finira par ne maîtriser que des ombres.

Or, sur les détritus de la nation védique, en plein Indoustan, là même où les brahmanes maladifs jouiront pendant trente siècles de l’anéantissement des Aryas, les Iraniens exilés, c’est-à-dire les Guèbres, les Parsis, fidèles au catholicisme du Zend-Avesta, continuant l’œuvre de Zoroastre, nous révèleront ce législateur qui, le premier, revendiquant les droits de la liberté humaine, osa formuler cette oraison : Je vous adresse ma prière, ô Hom qui faites que le pauvre est égal au grand.

 

S’il était admis que les limites géographiques naturelles des diverses parties du monde dussent s’entendre de lignes nettement séparatives de milieux différents, la Perse appartiendrait à l’Europe, par son climat et par ses œuvres. Dessinée largement, la grande Perse aurait pour frontières naturelles, l’Indus à l’est, le Tigre et l’Euphrate à l’ouest, le golfe Persique au sud. La limite nord, moins radicale, pourrait être cette longue chaîne de hautes montagnes qui, de l’ouest à l’est, a successivement les noms de Caucase, de monts Caspiens, d’El-Bourz et d’Hindou-Kousch. La Perse restreinte, vue dans son unité relative de production, doit avoir en elle-même les monts Caspiens et l’El-Bourz. Du Caucase et de l’Hindou-Kousch, quelques masses seulement sont persanes. La grande frontière septentrionale commencerait donc, à l’ouest, là où les monts Caucasiens se dressent ; couperait diagonalement, de nord-ouest en sud-est, la mer Caspienne ; irait ensuite directement vers l’est, avec une certaine tendance vers le nord toutefois, jusqu’à la rencontre du fleuve Oxus, entre Balkh et Bokhara ; couperait ce fleuve pour aller en contourner et en englober les sources, et redescendrait ensuite au sud, sans avoir touché le plateau de Pamire, pour se souder à la frontière orientale, c’est-à-dire à l’Indus.

La Perse géographique ainsi limitée a les qualités matérielles d’un territoire défini, avec des frontières suffisamment protectrices, mais non fermées. La mer Caspienne au nord, comme le golfe Persique au sud, ignorent presque les ouragans ; les monts Zagros, le Caucase, l’El-Bourz ne sont pas infranchissables ; les eaux de l’Oxus, remontées, mènent au Bolor-Tagh ; la rivière de Caboul, enfin, est une issue, presque une route ouverte et sollicitante, menant au Sapta-Sindhou vélique, au Pendjab actuel.

La terre persane proprement dite, rongée de toutes parts, déformée, amoindrie, continuellement modifiée, ne se définit que vaguement. On la décrit volontiers comme un immense plateau ondulé, allant de l’Asie mineure et de l’Arménie à l’Afghanistan et au Bélouchistan. La Perse historique, mieux vue, a pour cadre l’Euphrate, le golfe Persique, l’Oxus et l’Indus ; c’était là l’Iran des Sassanides. Les limites modernes donnent aux Persans comme territoire limitrophe, l’Irak-Arabi, le Kurdistan, l’Arménie, la Géorgie, la mer Caspienne, la Turkomanie, le Khoxassan oriental, l’Afghanistan et le Bélouchistan. De ces limites, purement géographiques, celle du nord, qui, suivant le cours de l’Attreck, passe au nord de Mesched et descend ensuite au sud, pour laisser Hérat hors de Perse, est indécise. De longues querelles militaires n’ont pas suffi pour tracer une définitive démarcation. Les historiens persans racontent que, dans les temps antiques, un conquérant venu du nord avait pris Balkk, Merw et Mesched. Des maladies épouvantables décimant l’armée victorieuse, la paix s’imposant aux envahisseurs, il fallut désigner la ligne qui, désormais, séparerait les peuples du Nord des peuples du Sud. L’on convint qu’un archer, après avoir gravi le mont Damavand, qui est au sud de la mer Caspienne, lancerait une flèche vers le nord, et que là où le trait tomberait serait la frontière. L’archer perça de son arme un vautour qui vint mourir au bord de l’Oxus. Les bêtes ayant vite dévoré le cadavre de l’oiseau, la flèche de bois fut trouvée libre, et le fleuve devint ainsi la limite acceptée : au sud, il y eut l’Iran ; au nord, ce fut le Touran.

Iran et Touran Ces désignations sont précieuses en ce qu’elles sont historiques et s’adaptent, mieux que les désignations purement géographiques, à l’idée qu’il faut avoir de la Perse antique, diminuée, discutable, indécise et peut-être même mal nommée. La Perse et le Khorassan réunis forment l’Iran actuel ; le Touran comprend les royaumes ou principautés de Bokhara, de Khiva, de Khokand, de Tashkend, d’Hasrat-Sultan, de Maïmone, d’Ankhoy et d’Hérat. Iran est le vrai nom de cette partie du monde qui est connue sous le titre d’Empire persan. Ce furent les Romains qui se servirent du mot Fars, ou Pars, lequel désignait, alors, un coin du vaste quadrilatère ayant la mer Caspienne et la mer d’Aral au nord, l’Océan Indien au sud, la vallée de l’Indus à l’est, la Mésopotamie à l’ouest.

Les monts Zagros, qui séparent l’Iran de la Mésopotamie, sont de rudes montagnes ; elles étaient impénétrables jadis : Assourbanipal, ce monarque assyrien qui vint battre les Elamites plus de six siècles avant notre ère, a parlé des forêts sacrées des monts Zagros, à travers lesquelles personne n’avait encore pénétré, et que ses soldats incendièrent après les avoir admirées. Ces montagnes, riches en marbres, contenant du cuivre, du fer, du plomb, de l’argent et de l’or, ont d’épaisses futaies. Ce sont des pins et des chênes dans les hauteurs ; des noisetiers et des saules sur les coteaux, dans les vallées. Le lion, le tigre et le léopard hantaient ces lieux autrefois ; on y rencontre maintenant des ours, des ânes, des buffles, des chèvres et des chiens en état de franche sauvagerie. Les chevaux de ces régions étaient agiles, grands et forts.

L’Arménie, qui commence au nord des monts Zagros, a ses grands pics stériles, ses montagnes boisées, ses plaines fertiles, et son lac de Van. Les chênes arméniens portent, avec des glands énormes, des feuilles souvent aussi larges que celles du châtaignier ; des noyers y sont étonnants de grosseur. Le lac de Van, aux bords très découpés, est dans une situation charmante. Au nord se dresse le pic de Sipandagh, haut et isolé parmi d’autres montagnes, couronné de neiges, ayant à ses pieds Aklat, avec sa forêt d’arbres à fruits. Les eaux du lac, très lourdes en sels, sont inhabitables. Autour du lac, sur quelques rares plaques de terre, croissent le mûrier aux baies rouges et l’amandier.

Les eaux venues des montagnes inondent souvent les environs et laissent, alors, de vastes marais où bavardent les grenouilles, abondent les tortues, vont et viennent, bizarres, les salamandres. Les vanneaux, les pluviers et les canards y pullulent. La ville de Van, très ombragée, admirant ses grands saules, fière de ses jardins qu’embaument les orangers, a des étés brûlants, malsains, meurtriers. Les montagnes qui entourent Van ont des ours, des loups, des chèvres et des lièvres. Au nord de Van, le froid s’accentue. Erzeroum, qui ne reçoit le printemps qu’en juillet, a des hivers de huit mois. Dès août, sur le plateau, se flétrissent les plantes. D’Erzeroum à Van coule, dans un ravin profond, l’une des sources de l’Araxe supérieur. Le fleuve, guéable en été, reçoit bientôt de nombreux affluents et devient rapide. A l’ouest d’Erzeroum commence l’Euphrate. L’Arménie, inhabitable au persan frileux, ferme donc l’Iran au nord-ouest. De là descendent vers le sud, ainsi que deux obstacles, l’Euphrate et les monts Zagros.

Entre l’Arménie et la mer Caspienne, les ramifications du Caucase protégeaient, jadis, des vallées très fertiles. La stérilité a frappé cet éden. Autour de Tiflis, pas un arbre, nulle végétation ; des plateaux sans verdure, des gorges désolées, une terre inculte, sèche. La guerre a saccagé ce sol béni qu’arrosait la Koura, le Cyrus des anciens, le Kur de nos géographes. Au nord, c’est le Caucase ; au sud, c’est le Khirvan, aux intolérables chaleurs, et que les serpents envahissent de juin à septembre. L’été fini, l’hiver vient avec rage ; des ouragans, des métels, soulevant et entraînant les neiges dans d’épouvantables tourbillons, fouettant jusqu’à la mort hommes et bêtes, détruisent les villages et les troupeaux. Ces cyclones acharnés persistent parfois pendant des semaines.

L’extrémité orientale du Caucase pénètre dans les eaux de la mer Caspienne, en forme de cap étroit, allongé. Là est Bakou, la ville sainte, bâtie sur un sol noirâtre, glutineux, imprégné de pétrole. Il suffit, là, de piquer un bâton en terre et, en le retirant, de jeter une étincelle dans le trou, pour voir aussitôt jaillir une flamme. Les marchands et les prêtres n’ont pas cessé d’exploiter ce terrain. Des Guèbres nombreux vivent de ces pétroles brûlants.

La mer Caspienne, ce grand lac plein des eaux du Caucase et de l’Oural, fut un problème longtemps mystérieux. Strabon, Pomponius Mela, Pline, n’y voyaient qu’un golfe du grand Océan boréal. Aristote, Alexandre, Arrien et Quinte Curce supposèrent que le lac Caspien était en communication avec la mer Noire. Alexandre voulut que l’on examinât si la mer Hyrcanienne appartenait au Pont Euxin ou au golfe Persique. Aristote disait : Le lac situé sous le Caucase et que ceux du pays appellent mer, est remarquable, car plusieurs grands fleuves y déversent leurs eaux et qu’il n’a point d’issue apparente. Il va se jeter par une voie souterraine dans un endroit du Pont appelé les profondeurs. Hérodote et Ptolémée constatèrent l’isolement du grand lac. Ebn-el-Ouardi, Rubruquis et Marco Polo surent le vrai. A. Jenkinson et C. Burrough dirent exactement la situation géographique du lac. On croyait encore, au XVIIe siècle de notre ère, à l’existence de gouffres dans lesquels allaient se perdre les eaux apportées par le Volga, l’Oural et la Kur. Au début du XVIIIe siècle, Jean Perry put démontrer qu’aucune communication n’existait entre la mer Caspienne et une autre mer ; que l’évaporation suffisait pour absorber les eaux apportées par les fleuves. Un certain nombre de petits lacs salés entourent les rives septentrionales du lac Caspien. La plupart de ces lacs, desséchés, étalant au soleil leurs miroitantes surfaces, qu’encadrent des bruyères d’un rouge pourpre, donnent aux voyageurs de décevantes illusions. Çà et là, tristement, s’étalent de longues traînées d’un sable jaune que déforment ou déplacent les vents.

A l’orient de la mer Caspienne est la mer d’Aral. Ces deux lacs furent jadis réunis. Les eaux de l’Oxus et du Yaxartès, — Amou-Daria et Sir-Daria, — se jetaient, alors, dans l’unique mer intérieure ; maintenant, le désert d’Oust-Ourt met entre les deux lacs une haute couche de sable. La mer Caspienne, privée du tribut des deux grands fleuves qui s’arrêtent à la mer d’Aral, a relativement conservé son aire et son niveau ; la mer d’Aral, au contraire, se modifie continuellement. En même temps que le Sir-Daria et l’Amou-Daria livrent leurs eaux au lac d’Aral, les vents d’ouest, qui sont les vents quasi perpétuels de la région, refoulent vers les bouches des deux grands fleuves les lourdes écumes du désert que cimentent, ensuite, les détritus apportés par les fleuves eux-mêmes. Ces conglomérats s’alourdissent, se déposent, s’accumulent et relèvent les fonds. Ainsi, par l’apport des sables, le niveau du lac d’Aral s’élèverait toujours ; mais il faudrait qu’il s’exhaussât de plus de deux cents mètres pour que les eaux fussent capables de franchir les sables de l’Oust-Ourt.

La partie purement septentrionale de la mer Caspienne, tout le désert d’Oust-Ourt et la mer d’Aral n’appartiennent pas à l’Iran. Mais le Gourgan et l’Attreck qui se jettent dans la mer Caspienne, comme l’Oxus et le Yaxartès qui se jettent dans la mer d’Aral, ont, par les terrains qu’ils traversent, par les lignes qu’ils dessinent, par les voies qu’ils ouvrent, par les obstacles qu’ils furent aux hordes en mouvement, une valeur iranienne incontestable.

Les pluies du printemps grossissent le Gourgan jaune, dont les bouches sont obstruées ; alors, les eaux, malgré le lit profond de la rivière, débordantes, inondent le pays plat, y laissant de vastes marais. Au nord du Gourgan, parallèlement à lui, court dans la même direction, vers la Caspienne, le fleuve Attreck, rapide, profond, tortueux, grossi de nombreux affluents. Au nord de l’Attreck, et jusqu’aux bouches de l’Oxus, s’étend la désolante Turkomanie.

L’Oxus, ou Amou-Daria, entre par le sud dans la mer d’Aral ; à l’ouest de ses bouches actuelles, on voit encore les vestiges du canal par lequel le fleuve allait jadis au grand lac Caspien. Le fleuve, très large, donne ses eaux fertilisantes à qui veut arroser une oasis ; mais généralement le désert morne vient jusqu’aux falaises qui sont les parois de l’Oxus. La solitude épouvantable règne sur ce territoire jadis si peuplé pas une plante, pas une bête. De Khiva à Bokhara, rien ; Bokhara, la ville noble, persiste ; mais après Bokhara c’est encore le désert, jusqu’à Kerki. L’Oxus, qui vient des hauteurs de Pamire, fertilise les vallées du Badakchan, reçoit des affluents généreux, descend vers Balkh et s’aventure dans le désert. L’eau qu’il porte, rougeâtre, lourde, est considérable. L’hiver gèle ses sources et ses embouchures.

Le Syr-Daria, ou Yaxartès, formé de la jonction de deux rivières venues des monts Tian-Chan, se précipite aussitôt vers l’ouest, se frayant un passage difficile dans les rochers. Il traverse le khanat de Khokand, remonte au nord, laissant à sa gauche le désert rouge de Kizyl-Koum, et reprend ensuite son cours vers l’ouest, pour s’aller perdre dans la mer d’Aral. Le bas Yaxartès, obstrué de bancs sableux, répand ses eaux, lourdement, sur une terre aride, plutôt argileuse, imprégnée de sel, incapable de recevoir un grain de blé, et sous un brouillard perpétuel d’œstres, de moustiques et de taons. Des ruines nombreuses témoignent de l’ancienne fertilité de ces marécages. Les nomades racontent qu’il fut un temps où le bas Yaxartès était remarquablement peuplé ; alors, disent-ils, en sautant de toiture en toiture, un chat pouvait, sans toucher terre, aller de Tchemkend jusqu’au lac d’Aral.

Les bouches du fleuve subissent de rigoureux hivers, qui durent cinq mois, et les étés y sont intolérables. A l’infléchissement du fleuve, au sud, vers Tashkend, le climat se modifie jusqu’à devenir doux aux hommes vers Azret, en Turkestan. Plus au sud, l’air, échauffé par un été de huit mois sans pluie, laisse le thermomètre s’élever à 52 degrés Réaumur.

Le désert de Kara-Koum, au nord du bas Yaxartès, est fait d’une argile noire creusée de puits nombreux aux eaux saumâtres. Les collines sablonneuses se meuvent insensiblement sur cette terre brune. Le désert de Kizyl-Koum, au sud du bas-fleuve, apparaît comme l’œuvre de l’abandon. Les steppes qui s’étendent de la mer Caspienne aux monts Altaï donnent, en été, de beaux pâturages qu’une couche de neige vient protéger de la fin de l’automne à la fin de l’hiver. Dès les premiers soleils du printemps, la terre satisfaite ferait germer de belles récoltes si l’homme avait pu semer le grain ; mais la terre n’a rien reçu, et ce ne sont que mousses épaisses, plantes inutiles, arbrisseaux fous, désordonnés.

La vie animale, de la Caspienne aux Himalayas, a des caractères divers. Les animaux de l’Europe vivent nombreux dans cette partie de l’Asie. Les oiseaux disparaissent à mesure que l’on s’approche du centre asiatique, tandis que les mammifères se multiplient. Quelques rapaces hantent seuls les déserts. Les rossignols abondent à Khiva ; Bhokara est plein de cigognes.

Pour descendre du nord au sud, du Touran à l’Iran, les hommes et les bêtes ont à traverser le désert noir de Kara-Koum, les marécages empestés du bas Yaxartés, le désert rouge de Kizyl-Koum, l’Oxus, la Turkomanie que couvrent les sables stériles, et le long El-Bourz.

Le versant de l’El-Bourz qui regarde le grand lac Caspien est une forêt de chênes, d’ormes, de frênes, de tilleuls, d’érables purement européens. Les passages y sont très difficiles, très dangereux ; c’est le mamelon des suaires, le val d’enfer, et mille autres dénominations analogues. Au sud de l’El-Bourz caspien règnent d’étouffantes chaleurs ; un hiver presque constant tient le centre ; le nord, sous une humidité chaude, torpide, frappe de rudes fièvres les voyageurs. Les températures extrêmes semblent s’y être distribué le temps.

La chaîne qui, se dirigeant vers l’est, sépare la Turkomanie de l’Iran, se présente comme une succession de montagnes parallèles à la direction ouest-est. Le versant sud, tantôt calcaire et tantôt schisteux ou trachitique, est relativement sain. Le vent de la mer et des rosées très abondantes y tempèrent les ardeurs d’un été qui devrait être affreux. L’hiver y est doux, presque sans neige. Aux sommets, une végétation très délicate ; puis, en descendant, c’est l’Europe qui apparaît, avec ses noyers et ses vignes, ses noisetiers et ses houblons.

A l’El-Bourz proprement dit, qui finirait à Hérat, succède, à l’est, le Caucase indien des Grecs, l’Hindou-Kousch actuel. Il appartient au système géographique qui comprendrait, sous le nom de Taurus, toute la longue chaîne des montagnes traversant l’Asie. Ce système d’ossature asiatique, largement tracé, d’une grande exactitude matérielle, ne résiste pas à la comparaison, même superficielle, de la vie propre de chacun des membres de ce colosse étendu : Les Hymalayas, évidemment réunis au Caucase par l’El-Bourz, ont une existence absolument contraire à la propre existence de l’El-Bourz et du Caucase ; on rencontre et on tue dans les gorges de l’El-Bourz, et même en plein Ghilan, des tigres indiens ; ceci prouve que la chaîne iranienne unit le Caucase géorgien au Caucase indien jusqu’à permettre aux fauves de s’aventurer de l’est à l’ouest, parfois, sans quitter les sommets ; mais Par sa végétation et par ses animaux, par sa vie propre, l’El-Bourz est iranien, tout iranien, seulement iranien.

Entre l’Hindou-Kousch et les monts Soliman, qui séparent l’Iran de la presqu’île indoustanique, la rivière de Caboul, courant à l’Indus, ouvre une voie de communication entre les deux pays. De Caboul, par la vallée torrentueuse de Kunar et le col de Chintral, on arrive au plateau de Pamire, immense nœud orographique où s’entrecroisent l’Himalaya, le Kuen-Luen, le Tian-Chan et l’Hindou-Kousch ; c’est la coupole du monde, Dacht-i-Pamir, ou le Bam-i-Dunia, toit du monde. Des lacs nombreux y miroitent sur un terrain très vert dès le printemps d’avril. Les neiges couvrent l’immense plateau d’octobre à mars ; les pluies de l’été elles-mêmes y tombent quelquefois congelées. Les fruits ne sauraient y mûrir, les grains n’y germent pas, les pâturages seuls y sont vastes et magnifiques. Les neiges du plateau de Pamire font les grands fleuves, tels que l’Oxus et l’Yaxartès qui vont à l’ouest, et le Kachgar-Daria qui va vers l’est.