La Grèce (de 1300 à 480 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXVIII

 

 

DE 500 A 490 Av. J.-C. - L’Europe et l’Asie d’Hécatée. - Darius. - Querelles helléniques. - Troubles à Naxos. - Athènes et Érétrie contre les Perses.- Destruction de Sardes. - Darius soumet l’Ionie. - Le Phocéen Dionysios. - Expédition et échec de Mardonius. - Nouveaux préparatifs des Mèdes. - Trahison d’Égine. - Hypocrisie de Sparte. - Prise d’Érétrie. - Victoire des Athéniens et des Platéens à Marathon. - Miltiade.

 

HÉCATÉE, de Milet, l’historien, vit avec netteté, dans l’avenir, les conséquences de la chute de Troie et de la formation de l’Hellénie. Il entendait gronder l’orage, du côté de l’Asie, s’approchant un peu plus chaque jour, et il pressentait, avec une sensibilité extraordinaire, les malheurs qui allaient fondre sur les Hellènes et les Grecs. Et il eut cette idée, juste et simple, d’enseigner ses compatriotes au moyen de l’histoire, mais en substituant le vrai au faux, la précision au vague, la science à la fantaisie.

Les premières lignes du livre de l’historien sont caractéristiques : Ceci est le récit d’Hécatée de Milet. J’écris ces choses comme elles me paraissent vraies, car les récits aux Grecs sont à mon avis nombreux et ridicules.

Les temps où l’héroïsme fou d’un guerrier, où l’entraînante parole d’un poète, suffisaient au succès d’une campagne, ne sont plus. La tactique a remplacé la fougue ; il faut calculer la force de l’adversaire, s’assurer froidement, avant l’action, un avantage, une supériorité. La poésie, la grande et sainte poésie, déshonorée, mise au service des vaniteux, livrée au peuple à titre d’amusement, a perdu son influence. Lorsque, toute l’Ionie s’étant levée contre les Perses, Aristagore ira à Sparte réclamer un secours, il n’emportera, pour le roi Cléomène, qu’une table d’airain, un plan, une carte géographique sur laquelle est gravée la circonférence entière de la terre, avec tous les fleuves et la mer. Les domaines se délimitent, les occupants affirment leur propriété, le partage des territoires se consacre, les Peuples se confondent, les Nations se forment.

En Médie et en Perse, autant qu’en Hellénie, le mélange des races, évident, ne permettait plus de dire avec certitude, dans beaucoup de circonstances, où se trouvaient les Asiatiques, où étaient les Européens. Mais tout homme, à ce moment, pressentait la chose inévitable, la grande dispute de l’avenir, le choc de l’Europe et de l’Asie. Hécatée, précisément, voit cette nécessité, et il sépare les ennemis irréconciliables, chacun dans son camp, sur son terrain.

L’Europe d’Hécatée, septentrionale, commence au Caucase et comprend la plus grande partie des îles de la mer Égée ; son Asie, au sud des monts Caucasiens, a en elle toute l’Asie-Mineure, avec les îles proches, et va jusqu’au Nil, prenant tout le delta. Il distingue la Libye, dont il fait une sorte de terre exceptionnelle, hors de l’Europe et hors de l’Asie.

La décision avec laquelle Hécatée procède au partage géographique, ce besoin qu’il a de diviser le monde connu en deux parties, — Europe et Asie, — et ses hésitations de langage lorsqu’il parle des Grecs de l’Hellénie, montrent bien le trouble de son esprit à la veille des catastrophes. Les angoisses des Ioniens étaient grandes, parce qu’ils se trouvaient placés entre les Perses, ces Aryens jadis parfaits, devenus des Asiatiques, et les Hellènes inconsistants, querelleurs, divisés, tantôt plus Asiatiques que les Perso-Mèdes, et tantôt Doriens, c’est-à-dire plus redoutables en leurs excès que les hordes d’Asie. Les lentes réformes, les sages conseils, les insinuantes critiques, ne peuvent plus rien ; le choc entre l’Europe et l’Asie ne saurait être retardé.

La confusion ethnique dont souffre le monde vivant, de l’Indus au Danube, tourmente les hommes, leur interdit tout repos. Un plus grand mélange, nécessaire, se fera dans les larmes et dans le sang, afin qu’une épouvantable lassitude s’empare des êtres, et que, l’élection définitive ayant lieu, les hommes, meurtris, rompus, désabusés, secouant les unions fatales, renonçant aux curiosités malsaines, silencieux, revenant à leur race, préparent, fassent l’Europe aryenne, vraie.

D’ingénieuses légendes donneront au conflit indispensable, des origines et des causes diverses. Hérodote, étonné de tant de haines, allant au delà d’Homère, gravit l’Olympe et se perd dans les nuages de la mythologie : C’est Hélène et Io, ravies par les Asiatiques et vengées par les Grecs ; c’est Médée et Europe, enlevées par les Grecs que les Asiatiques châtient ; c’est Darius, que Démocédès de Crotone, son médecin, a abandonné pour retourner dans sa patrie et que le roi des rois va réclamer ; ou le caprice d’Atossa, dont le grand désir était d’avoir des femmes d’Athènes et de Sparte parmi ses esclaves.

Malheureusement pour les Hellènes, la situation difficile de Darius fit retentir trop tôt l’inévitable provocation. Le roi des rois n’était plus le maître de son peuple, que les mages tenaient ; mais il avait encore, à ses ordres, une armée que l’inaction pouvait détruire, une intrigue tourner contre son chef. Or, l’empire de Darius était trop vaste pour qu’il pût l’avoir dans sa main, et trop petit pour les guerriers, horde remuante dont les exigences étaient parfois violentes.

Les querelles helléniques servaient les vues ambitieuses de Darius. Être Aryen, et vivre en Asie ; avoir subi le contact de toutes les corruptions en Chaldée, et n’avoir conservé, de ces jouissances, qu’un mélange de dégoût, de honte, peut-être de remords ; voir, avec cette clairvoyance que l’énervement procure, les grandes fautes commises, c’est-à-dire le renvoi des Juifs à Jérusalem et la soumission des Perses aux mages ; n’être plus, en Médie, que le roi d’une horde de Touraniens et d’Asiatiques armés ; et penser qu’avec ces Anaryens, on pourrait peut-être s’emparer de l’Europe, de l’Hellénie, régner sur des Aryens... Quelle tentation ! et quel rêve !

Le lieutenant de Darius, — Mégabyse, — avec ses quatre-vingt mille guerriers, maîtrisait la Thrace et la Macédoine (508). L’Hellénie, en proie aux jalousies, voyait Naxos, l’île centrale des Cyclades, en pleine révolte, faire appel à l’étranger.

Naxos, très puissante, pouvait mettre en rang huit mille hoplites bien instruits. Le peuple, maître du pouvoir, avait chassé de l’île les aristocrates, les riches. Ceux-ci, venus à Milet, avaient demandé secours à Aristagore, le gendre du roi Histiée, et qui gouvernait en l’absence du maître, alors prisonnier de Darius. Aristagore, s’adressant au satrape de Sardes, Artapherne, obtint deux cents voiles, qui partirent commandées par le perse Mégabate, se dirigeant vers Naxos.

Trahissant Aristagore, le perse Mégabate fit avertir les Naxiens. Le gendre d’Histiée, après quatre mois d’efforts inutiles, dut revenir en Ionie, furieux, soulevant les villes contre leurs tyrans, établissant partout des démocraties. Puis, il se rendit à Sparte, désirant s’allier au roi Cléomène. Les Spartiates ayant déclaré que les Perses étaient trop loin, Aristagore s’en fut à Athènes, vantant les richesses des Asiatiques, bonnes à prendre, signalant l’incapacité des guerriers médo-perses qui, disait-il, ignoraient l’art de manier la pique et ne se protégeaient pas de boucliers.

Les Athéniens qui se souvenaient d’Hippias soutenu par les Perses, et qui avaient le sentiment juste de l’ambition de Darius, croyant toutefois qu’il ne s’agissait que d’une querelle entre Aristagore de Milet et le satrape de Sardes, donnèrent vingt vaisseaux. Érétrie ajouta cinq trirèmes, en reconnaissance d’un service rendu jadis. Les marins débarquèrent à Éphèse, prirent Sardes qui fut pillée et incendiée, sauf la citadelle où le satrape Artapherne se maintint. Les troupes qui assiégeaient Milet, appelées par Artapherne, accourant pour le délivrer, les Athéniens abandonnèrent les ruines de Sardes, reprirent la route d’Éphèse, mais poursuivis par les Perses qui les atteignirent près de la mer. Battus, les Athéniens retournèrent en Hellénie.

Les Ioniens ne pouvaient plus se soumettre. Le cri de révolte contre les Perses avait soulevé toutes les villes de la Propontide et de l’Hellespont, les Cariens et les Chypriotes. Darius envoya trois armées, chargées d’exécuter un plan audacieusement conçu. La première armée, dirigée vers le nord, prit quelques villes, qui furent très maltraitées à titre d’exemple, et descendit au sud battre les Cariens, deux fois. La deuxième armée, transportée par une flotte phénicienne, attaqua Chypre, qui sans la trahison d’un Chypriote aurait victorieusement résisté. Au centre, Artapherne et Otanès, menant la troisième armée, soumirent Clazomène, puis Cyme, et marchèrent sur Milet, devenue comme l’enjeu dernier de la campagne.

Aristagore ne gouvernait plus les Milésiens. Celui qui avait soulevé toute l’Ionie, désertant le champ de bataille, était allé mourir en Thrace, devant une ville assiégée. Le vrai roi de Milet, Histiée, rendu libre s’était présenté ; mais les Milésiens avisés, redoutant une intrigue, avaient refusé de le recevoir. Le prisonnier de Darius, déchu, renié, suivi de quelques Mityléniens, devenu pirate, était mort.

Le peuple de Milet, assemblé, décida que l’on attaquerait les Perses en mer. Chios donna cent vaisseaux ; Lesbos, soixante et dix ; Samos, soixante. Pendant trois jours, le Phocéen Dionysios instruisit les marins d’une flotte de trois cent cinquante-trois trirèmes. Le zèle patriotique de l’homme de Phocée ne put vaincre la mollesse des Ioniens, secouer leur indifférence ; et lorsque les six cents navires Perses apparurent, malgré la bravoure des marins de Chios, et l’héroïsme de Dionysios qui prit trois galères ennemies, les Ioniens, voyant leur faiblesse, se considérèrent comme vaincus. Les marins de Samos, plus Phéniciens que Grecs, avaient fui dés le commencement de la bataille.

Les Perses étant victorieux, le Phocéen Dionysios, indomptable, fit voile vers Tyr, coulant les navires qu’il rencontrait. Ensuite, il se dirigea vers la Sicile, consacrant sa vie à traquer, à poursuivre les navires phéniciens, carthaginois et tyrrhéniens, partout.

Milet fut prise (494), et ses habitants transportés à l’embouchure du Tigre, à Ampée. Après Milet, Chios, Lesbos et Ténédos succombèrent. L’incendie ruina de nombreuses villes de l’Hellespont. La terreur dispersa les habitants de Byzance et de Chalcédoine. Miltiade, épouvanté, quittant la Chersonèse, se rendit à Athènes. C’est alors qu’une amende de mille drachmes vint frapper le tragique Phrynichus, parce qu’il avait fait représenter la prise de Milet devant les Athéniens, et que ce spectacle était attristant.

Darius, heureux dés le début de sa vaste entreprise, chargea son gendre Mardonius de pénétrer en Europe, par la Thrace, tandis qu’une flotte, suivant le rivage, le soutiendrait. Mardonius, très habilement, se concilia les villes de l’Asie-Mineure, en se prêtant à l’organisation de leurs gouvernements démocratiques. Trahis par deux de leurs tyrans, et vaincus, les Ioniens, qui redoutaient un châtiment terrible, se réjouirent de la magnanimité de Darius. Les maîtres de l’Ionie, des villes du littoral surtout, agissaient en Aryens, se tenaient à l’écart, ne se mélangeaient pas au peuple, affectaient de conserver leur caractère national.

Cependant les Ioniens qui, lors de la première expédition de Darius, s’étaient bruyamment réjouis de la chute des deux colonies de Mégare, — Chalcédoine et Byzance, — et s’étaient montrés sympathiques au roi des rois, assez pour que l’expédition eût l’apparence d’une affaire ionienne, demeuraient neutres cette fois, et non sans dignité.

La générosité politique de Darius n’était pas son unique moyen d’intimidation ; il disposait aussi des Phéniciens, qui haïssaient considérablement les Grecs, arme sûre, redoutable, tournée du côté de l’Ionie.

Mégabyze avait affermi l’autorité de Darius jusqu’au Strymon, qui sépare la Thrace et la Macédoine. L’armée des Mèdes pouvait s’avancer hardiment. La horde étant composée en majorité de Touraniens médiques, la nationalité dominante des guerriers l’emporta, comme désignation, sur la nationalité des chefs, généralement Perses. Les Mèdes, donc, franchissant le Strymon, se dirigèrent vers la rive profonde du golfe Thermaïque, où la flotte devait se rendre. En longeant la côte de Thrace, les marins avaient pris l’île de Thasos.

Au moment où les vaisseaux de la flotte médique, naviguant de conserve, doublaient le cap du mont Athos, pour sortir du golfe Strymonique, un vent furieux, subit, jeta contre les rochers, brisa trois cents navires, que vingt mille hommes montaient.

Mardonius, qui traversait la péninsule Chalcidique, attaqué de nuit par des Thraces, — les Bryges, — blessé, ignorant sans doute le désastre de la flotte, réunit ses troupes très affaiblies, dont les boucliers tressés avaient été rompus, et reprit sa marche vers l’ouest, bravement. Mais la première campagne des lieutenants du roi des rois, ne devait être qu’une héroïque tentative. Darius donna l’ordre d’un nouvel armement (492).

Les préparatifs de Darius, formidables, et surtout l’insolente ostentation avec laquelle il envoya, de toutes parts, des hérauts exigeant la soumission des villes et le concours effectif des peuples, épouvantèrent les Hellènes. Égine se conduisit lâchement. Les Spartiates et les Athéniens rivalisèrent de patriotisme. Sparte fit jeter dans un puits les ambassadeurs de Darius ; Athènes vit précipiter dans le barathre les envoyés du grand roi.

Athènes commit une faute grave, en dénonçant à Sparte la trahison des Éginètes : toute l’Hellénie en put conclure, que les Lacédémoniens avaient la mission de frapper les Hellènes manquant au devoir commun. Cléomène, l’un des rois de Lacédémone, marcha sur Égine, tandis que son collègue, Démarate, jaloux, avertissait les Éginètes. Cléomène ayant échoué, se rendit à Delphes, où il obtint des prêtres, en les gagnant, une déclaration de la Pythie niant l’origine royale de Démarate. Cet oracle entraînait la déposition de Démarate, qui dut quitter Sparte ; il rejoignit Hippias en exil.

Cléomène et Léotychidas, — rois de Sparte, — châtiant Égine, prirent dix otages de marque qu’ils envoyèrent aux Athéniens. Tout à coup, Cléomène, frappé de folie, se suicida, et les Spartiates accusèrent Léotychidas de corruption. Les Éginètes, profitant des troubles qui affaiblissaient Sparte, réclamèrent hautement leurs otages et s’emparèrent de la galère sacrée des Athéniens, surprise pendant qu’elle transportait des citoyens au cap Sunion. Égine et Athènes inauguraient ainsi, au moment même où Darius menaçait l’Hellénie, des hostilités dont l’acharnement devait durer neuf années (492-481). Sept cents Éginètes bloqués dans la citadelle d’Athènes, y furent impitoyablement, lentement égorgés.

Les Mèdes, conduits par Datis et Artapherne, s’avançaient, avec l’ordre de s’emparer d’Athènes et d’Érétrie, d’en envoyer les habitants, captifs, au grand roi. La flotte venait, en coupant droit par le travers de la tuer Égée. Elle prit Naxos en passant, incendiant sa ville capitale, et Délos, dont le temple seul fut respecté, parce qu’il était dédié au Soleil, ce dieu magnifique des Perses.

Érétrie, en Eubée, attaquée avant Athènes, se défendit. Les Athéniens s’apprêtaient à secourir la ville assiégée, lorsque les grands de la cité, vendus aux Mèdes, trahissant le peuple qu’ils détestaient, livrèrent la ville aux envahisseurs. Le feu détruisit les maisons et les édifices ; les habitants, sans distinction aucune, nobles et peuple, traîtres et patriotes, amis ou ennemis, furent transportés. Cet exemple de rigueur étant donné aux Hellènes, la flotte descendit le canal de l’Euripe, jusqu’à la baie de Marathon. C’est Hippias, le roi banni d’Athènes, qui avait signalé le désavantage des Athéniens dans une rencontre à Marathon.

La plaine de Marathon, d’une longueur de dix-neuf kilomètres, était fermée au gord par les contreforts du Parnés (le mont Stavrokoraki) et des marécages ; au sud-ouest, par les contreforts du Brilessos (les monts Aphorismo et Argaliki) ; à l’est, par la baie que protège le cap Cynosoura, tordu comme une corne de bœuf. Hippias avait pensé que, sur ce champ de bataille, la cavalerie perse aurait facilement raison des Athéniens dépourvus de chevaux.

Admirable de confiance en soi, Athènes n’attendit pas le débarquement des Perses, des barbares. Chaque tribu ayant donné mille hommes, dix mille guerriers, auxquels mille Platéens s’étaient joints, vinrent prendre position sur le terrain de la lutte. Sparte, prévenue, avait dit à l’envoyé des Athéniens, à Phidippide, de magnifiques paroles, tout promis, objectant toutefois une loi religieuse, qui ne permettait pas aux Spartiates d’intervenir matériellement dans la bataille avant la pleine lune. La jalousie de Sparte contre Athènes, — la cité indocile, dont la suffisance insolente croissait d’année en année, — ne voyait pas sans une secrète satisfaction, le danger qui menaçait les Athéniens ; et l’hypocrisie lacédémonienne avait su trouver le moyen, en trahissant la Hellade, de réserver l’avenir.

Plus de cent mille Perses, dit la tradition, débarqués, se développèrent sur le rivage. Parmi les dix généraux qui, suivant la loi, devaient commander l’armée athénienne chacun pendant une journée, se trouvait Miltiade, le fils de Cimon, dont les exploits étaient connus. Au conseil qui précéda l’action, cinq généraux demandèrent une armée plus nombreuse ; les cinq autres conseillèrent une action immédiate, parce qu’ils redoutaient les intrigues d’Hippias et l’or des Perses. Miltiade était un de ces derniers. Le polémarque Callimarque décida la bataille sans plus tarder.

Moins nombreux que les Perses rangés en ligne le long du rivage, les Athéniens combinèrent un plan d’attaque. Le polémarque, suivant la règle, commandait la droite de l’armée ; les mille Platéens venus étaient à la gauche. Les deux ailes, solides, massées, protégées contre la cavalerie par des obstacles faits d’arbres abattus, devaient être les points principaux de la résistance ; le gros de l’armée athénienne, le centre, se trouvant affaibli par la nécessité d’opposer aux Perses, dix fois plus nombreux, une ligne de front égale à la leur.

Les Athéniens n’avaient pas de cavalerie, parce que l’Attique ne possédait pas de pâturages. Les cavaliers Perses étant approvisionnés de fourrages, il y eut, l’année suivante, des champs de luzerne çà et là, et ce fut l’herbe de Médie dont parlent les auteurs.

Animés d’une belliqueuse énergie, les Athéniens commencèrent la bataille en courant vers les Perses, surpris, et d’abord décontenancés ; mais, la masse centrale des barbares, mélange de Perses et de Saces, ayant résisté au premier choc, s’ébranla à son tour, prit l’offensive, repoussa les Grecs, rompit leur ligne et les poursuivit. Les deux ailes grecques, inébranlables, immobiles, voyant les Perses s’acharner au refoulement du centre en retraite, se développèrent pour se rejoindre, afin de battre à revers les ennemis qui avaient imprudemment franchi la ligne. La victoire des Athéniens fut si rapide, si complète, qu’ils arrivèrent au rivage en même temps que les Perses reculant, et qu’ils continuèrent le combat en s’attaquant aux vaisseaux. Les Perses n’eurent pas le temps d’orienter leur flotte, qui s’éloigna du rivage à force de rames, le cap en arrière.

Cent quatre-vingt-douze Athéniens, parmi lesquels le polémarque et Stésileos, un des dix généraux, avaient été tués. Les Mèdes, dont le nom seul était un objet de terreur, laissèrent six mille quatre cents morts sur le champ de Marathon. Hippias, disparu, était probablement parmi les cadavres.

La journée appartint à Miltiade. Athènes le glorifia dignement, en plaçant son image, avec celle du polémarque Callimarque, tué, parmi les divinités et les héros représentés sur les murs du Pœcile. Plus tard, dans la plaine de Marathon, sur le lieu même du combat, prés des tombes où reposaient les restes des Athéniens et des Platéens morts pour la Hellade, Miltiade eut un tombeau. Et là, comme des sacrificateurs devant l’autel, invoquant les dieux, honorant leurs morts, les hérauts confondirent, dans leurs invocations fières et attendries, les Athéniens et les Platéens.

Deux jours après la victoire d’Athènes, des guerriers, envoyés par les rois de Sparte, arrivaient sur le champ de bataille de Marathon.