La Grèce (de 1300 à 480 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XIV

 

 

Les rois. - Danaüs, Cadrans, Pélops, Cécrops. - Invasion des Hellènes. - Les Éthiopiens. - Prométhée. - Deucalion et Pyrrha. - Hellen. - Les héros. - Bellérophon, Persée, Hercule, Thésée. - Œdipe. - Argos contre Thèbes. - Les Épigones. - Chute et sac de Thèbes. - Conquête de la toison d’or. - Retour des Argonautes. - Jason et Médée.- Les Hellènes contre Troie. - Priam et Agamemnon. - Les Achéens.

 

ARGOS et Thèbes, qui vont entrer en lutte, et décider de l’avenir grec, villes réelles maintenant, ont chacune son chef, sinon son roi. Danaüs, frère d’un pharaon d’Égypte, dont il fuit la colère, est venu s’établir à Argos, avec ses cinquante filles (les Danaïdes), vers l’an 1250 avant notre ère, organisant les Pélasges qui y vivaient, leur donnant des lois, en respectant leurs privilèges et leurs coutumes. Convoqués par leur nouveau maître, les Aryens votaient sur les propositions du roi en levant la main droite.

Cadmus, venu de Phénicie, apportant aux Grecs l’art de l’écriture, errant en Béotie, vers 1300, à la recherche de sa sœur Europe, fille d’Agénor, s’arrêta pour bâtir la Cadmée, qui fut la fortification de Thèbes. Cinq familles d’hommes armés gardaient le roi. Les fils de l’Asiatique, du Phénicien Cadmus furent Penthée, Actéon et Sémélé. Le dieu Bacchus sera le petit-fils de Sémélé.

La Grèce proprement dite, la Grèce continentale, au nord de Corinthe, a pour ville principale la Thèbes guerrière, querelleuse, dont un Asiatique est le roi. La Grèce péninsulaire, la Grèce méditerranéenne, au sud de l’isthme corinthien, a comme ville capitale Argos, la pélasgique Argos, que gouverne un Égyptien. Sur cette terre d’Europe, l’Asie et l’Afrique se sont donc installées, et le premier combat sera le heurt d’un Asiatique et d’un Africain s’y disputant la prépondérance.

A l’extrémité ouest de la péninsule grecque, en Élide, règne Pélops (1284), fils de Tantale qui était roi en Phrygie. Du côté de l’orient, en Attique, Athènes avait été fondée vers 1580 par Cécrops, un sage chassé de Saïs, la ville remuante du delta égyptien. Cécrops avait apporté aux Pélasges de l’Attique, encore en anarchie, et probablement très misérables, avec l’olivier et l’art d’en extraire l’huile, la science des cultures, l’exercice du droit, l’institution du mariage, cette quiétude, et les rites funéraires, si consolants.

L’influence égypto-aryenne, excellente, se répandait en Grèce, lorsque l’invasion des Hellènes et l’immigration d’une quantité d’Égyptiens nouveaux vinrent tout compromettre. Ces Égyptiens nouveaux, hideux, grande et noire armée survenue, c’étaient les Éthiopiens, rusés et impurs, tels que des corbeaux, ne respectant point la sainteté des autels, impudents comme des chiens, dont parle Eschyle. Les filles du roi d’Argos, les Danaïdes, ces Aryennes pures et délicates, fières de leur virginité, épouvantées à la vue de ces hommes noirs, s’enfuirent comme un troupeau lamentable. — J’aimerais mieux, leur fait dire Eschyle, subir la destinée fatale, suspendue à un lacet, que de sentir un de ces hommes odieux me saisir avec violence. Que je sois morte plutôt que de subir ces noces détestables. La répugnance qu’éprouvaient les Argiennes, toutes, à la vue des Nègres, instinctive, nuisait à la puissante formation du groupe égypto-aryen, superbe, et qui avait donné des Grecs robustes, rudes au travail, exercés à la pleine chaleur du jour.

Les Hellènes, de leur côté, venus du nord, avaient en eux un grand mélange de races diverses. Le père des Hellènes, Prométhée, titan, fils de Japet et d’Uranus, en même temps créateur et sauveur des hommes, fut foudroyé par Jupiter jaloux ; non pas le Jupiter pélasgique de Dodone, l’Indra d’occident, mais le souverain redoutable, le maître insolent et corrompu, venu du septentrion, frileux, las des brouillards, altéré de vin et de soleil.

Prométhée, le grand Aryen, le premier Jésus, avait instruit les hommes, jusqu’alors aveugles et ignorants. Il leur avait appris l’astronomie, le Nombre, qui est la plus ingénieuse des choses, la manière de creuser les mines, de construire des chars, des charrues et des navires fendant la mer, volant avec des voiles ; il leur avait donné la consolation suprême, la joie perpétuelle de l’esprit, en leur enseignant la Méditation, par laquelle l’avenir se perçoit, qui est l’isolement de la pensée pure, et l’Art, cette manifestation de l’idéal pensé.

Mais il y avait parmi les Hellènes, parmi les Aryens de Thessalie, parmi les fils de Prométhée , une race d’hommes réfractaires à ces douces joies, et qui rêvaient d’assouvir leurs appétits énormes par l’emploi de leur force. C’est le dieu de ces hommes qui mit Prométhée hors d’état d’aimer utilement l’humanité.

Le supplice et la mort de Prométhée ne suffirent pas ; le fils du grand Aryen, — Deucalion, — régnant en Thessalie, le Jupiter du nord, inquiet, fit tomber du ciel un déluge qui devait anéantir les hommes. Deucalion, sauvant la race créée par son père, échappa au cataclysme en se réfugiant, avec sa femme Pyrrha, dans une arche de bois. La pluie diluvienne ayant cessé, l’arche s’arrêta sur le Parnasse. Deucalion et Pyrrha, par leur grand amour, repeuplèrent la Grèce.

Deucalion eut pour fils Hellen, qui engendra Doros, père des Éoliens, et Xuthos, qui engendra Ion et Achéos ; et ce furent les Hellènes. L’œuvre savante et détestable du Jupiter septentrional s’accomplissait. L’esprit aryen avait disparu ; les Hellènes étaient un groupement de races opposées, antagonistes. Des Hellènes, des Grecs, — Pélasges et Lélèges croisés d’Égyptiens, — et des Phéniciens, occupaient maintenant presque toute la Grèce vivante, active, organisée.

L’unité de peuple, l’unité de race n’existant pas, nulle tradition, nul droit d’origine ne purent s’opposer aux ambitions individuelles ; des personnalités exigeantes surgirent de toutes parts. C’est la période fabuleuse des Héros.

En Argolide même, sur le territoire où les Argiens vont disputer l’avenir aux Thébains de Béotie, Bellérophon est légendaire : Petit-fils de Sisyphe, fils du roi corinthien Glaucus, Bellérophon, qui se nommait alors Hipponaüs, coupable de meurtre, exilé (1262-1210), va en Lycie, demeure vertueux à Tirynthe, tue un monstre, — la Chimère, — bat les Solymes et les Amazones, chevauche Pégase, veut escalader l’Olympe et meurt précipité. Les débris de son corps formèrent, au ciel grec, une constellation admirée.

Persée, armé par les dieux, ayant le casque de Pluton qui rendait invincible, le bouclier de Minerve, l’épée et les ailes de Mercure, va braver les Gorgones coiffées de serpents, dont le regard pétrifiait, et revient, vainqueur, avec la tête de Méduse coupée, effroyable. Il délivre Andromède, en Syrie, qu’un monstre gardait ; il change en pierre le roi Atlas, inhospitalier en Mauritanie ; il rend aux dieux leurs armes, après avoir lié la tête de Méduse au bouclier de Minerve, comme un trophée. Il fonde Mycènes, frappe de mort son aïeul, aux jeux, quitte Argos, et meurt assassiné par le fils d’Acrisios vengeant son père.

Hercule, fils du Jupiter nouveau et d’Alcmène, qui régnait à Tirynthe (1262-1210), se complaît aux œuvres formidables, surhumaines : Il affranchit Thèbes du joug d’Orchomène, en fermant les issues du lac Copaïs ; il change le cours du fleuve Alphée ; il dompte Diomède, le roi de Thrace, et bat le brigand Cacus, qui désolait les bords du Tibre ; il aide Atlas à porter le poids du ciel, et de ses propres mains violentant la terre, il fait le détroit de Gibraltar. Vainqueur d’abord, meurtrier ensuite, pris et vendu comme esclave en Lydie, il tombe et s’humilie aux pieds de l’Asiatique Omphale, et revient en Grèce pour y secourir les Doriens. Hercule meurt sur le mont Œta, se suicidant.

Thésée, de Trézène, le compagnon d’Hercule, législateur chassé par les Athéniens (1262-1210), va délivrer l’Argolide, l’Attique et Corinthe, des brigands qui les infestaient : Sinnis, Sciron, Cercyon et Procuste ; puis, refusant d’envoyer aux Crétois l’abominable tribu de sept jeunes filles et sept jeunes garçons que le Minotaure dévorait, marche au monstre, qu’il tue, et donne de sages lois aux gens de l’Attique. Thésée participe à l’expédition des Argonautes, et il revient à Athènes pour entendre les plaintes de Phèdre et maudire son fils Hippolyte. Chassé d’Athènes une seconde fois, une tempête jette à Scyros le navire qui l’emportait, et le roi de Scyros ordonne la mort du héros.

Ces quatre légendes principales sont l’œuvre d’un monde nouveau, absolument ; elles commencent, elles disent la Grèce asiatisée, pleine d’hommes robustes, violents, insatiables, et de femmes corrompues : Bellérophon, dénoncé par Antéa, dont il a dédaigné les amours ; Persée, né de la faute de sa mère ; Hercule, dompté par Omphale ; Thésée, sacrifiant son fils à Phèdre, l’incestueuse, ne sont que des faits asiatiques, vrais, non imaginés, presque inévitables, et dont pas un exemple ne se pourrait citer dans toute l’histoire, dans toutes les légendes, dans toutes les fables du monde aryen.

Dans cette voie, sorte d’embranchement de l’égout chaldéen, l’histoire rencontre Minos, le Crétois puissant, le roi sage, juge des hommes aux enfers ; Tyndare, dont la femme, Léda, aimée de Jupiter, eut pour filles Hélène et Clytemnestre, aux beautés fatales ; Sisyphe, le roi de Corinthe, qui enchaîna la mort et trompa Pluton en s’obstinant à vivre une seconde fois ; Mélampos, qui comprenait le chant des oiseaux ; Méléagre, qui tua le sanglier de Calydon ; le centaure Chiron, précepteur d’Achille, guérisseur des maux, sachant les simples, qui lisait la destinée des hommes dans les étoiles ; Alceste, une Aryenne, qui se dévoua à son époux Admetus, roi de Phères en Thessalie ; Ata-Iante, la hardie chasseresse, qui tuait ses rivaux après les avoir vaincus et qui succomba à son tour, prise dans sa propre coquetterie ; Œdipe enfin, le héros par excellence de la Grèce nouvelle, de l’Hellénie, l’homme aux pieds gonflés, jouet des dieux, instrument de la fatalité épouvantable, inexorable, victime d’une destinée contre laquelle rien n’aurait pu prévaloir, dogme nécessaire aux despotismes orientaux.

Le roi Laïus ayant appris, d’un oracle, que son fils le détrônerait, fit enlever et exposer ce fils sur le mont Cithéron, pour qu’il y devînt la proie des fauves. Des pâtres virent l’enfant, et l’ayant sauvé, l’apportèrent à Polybe, roi de Corinthe, dont l’hymen était stérile. L’enfant, grandi, devenu homme, — c’était Œdipe, — apprit à son tour, d’un oracle, qu’il serait fatal à tous les siens. Poussé par ce destin, il va devant lui, vers la vie active, rencontre son père qu’il tue, arrive à Thèbes où régnait sa mère Jocaste, veuve, la voit, la désire et l’épouse. Les dieux, auteurs conscients de ces horreurs, vengent le parricide commis et l’inceste consommé, en envoyant la peste aux Thébains. Œdipe apprend enfin ses crimes involontaires, s’arrache les yeux, — qui sont plus chers que nos enfants, dit Eschyle, — tandis que Jocaste s’étrangle, et il s’exile, il part, aveugle, avec sa fille Antigone, admirable de piété filiale. Arrivé à Colone, prés d’Athènes, la seule ville secourable à l’étranger, Œdipe meurt, frappé de la foudre, dans un bois que les Euménides fréquentaient.

La race lamentable d’Oidipous hérite nécessairement ce destin : Les deux fils du roi, Étéocle et Polynice (1214 ?), se disputent sa succession. Polynice, chassé par Étéocle, se réfugie chez Adraste, roi d’Argos, qui le ramène sous les murs de Thèbes, avec une armée commandée par des chefs illustres. Thèbes, assiégée, est sauvée par Ménécée qui, pour apaiser les dieux, suivant les conseils du devin Tirésias, victime volontaire, accepte la mort.

Les fils d’Œdipe ne survivront pas à leur querelle inévitable ; ils mourront, laissant le trône qu’ils se disputaient à leur oncle Créon, père de l’héroïque Ménécée, et leurs cadavres seront privés de la sépulture honorable. La pieuse Antigone, enfermée, se suicidera dans sa prison avec son fiancé, Hémon, le propre fils du roi. Thésée enfin, gardien ou vengeur des lois morales, tuera Créon.

Tous les chefs argiens avaient péri devant Thèbes assiégée, sauf Adraste, que son cheval Arion, don de Neptune, avait emporté au moment de l’échec.

Argos et Thèbes, ennemies, se mesuraient ; Thèbes, avec cette accumulation d’horreurs qui semblaient assurer sa condamnation, la vouer à la colère des dieux ; Argos, avec la rage de l’insuccès. Les Épigones, — les descendants des chefs vaincus, — marchaient sur Thèbes, de nouveau, résolument (1197). Thèbes, la ville asiatique, inhabile à se défendre de ses mains, effrayée d’ailleurs, était gouvernée par Thersandre, le fils de Polynice. Le devin Tirésias, qui avait annoncé, en véritable nabi de Chaldée, la ruine de la ville, était mort des pressentiments de sa prophétie réalisée. Beaucoup de Thébains avaient fui. Ceux qui étaient restés sur la libre terre de Cadmus, et qui considéraient leur chef, leur roi, monarque absolu, comme aussi responsable que le pilote à la poupe, incapables d’initiative, avaient le sentiment de leur infériorité à l’approche des hommes d’Argos, vaillants, furieux, et qui n’étaient pas des buveurs d’orge.

Les Thébains, enfermés, avaient cuirassé les portes, ainsi que les murs de leur ville, et du haut des tours, ils regardaient du côté d’Argos, anxieux, épiant les gestes de leurs espions et de leurs éclaireurs. Les Argiens venaient, conduits par Adraste, leur roi, certains du succès, mais sachant le prix de la victoire, prêts à mourir. Les principaux guerriers d’Argos avaient suspendu au char de leur roi, des objets personnels, futiles, destinés à être distribués après leur mort, en souvenir de leur gloire. Le sort désigna les sept héros qui, d’après la tactique adoptée, devaient, chacun, attaquer une des sept portes de Thèbes.

La cavalerie argienne était nombreuse. Les chevaux rongeaient des freins d’acier, — d’un fer durci au feu, — et les moyeux des chars criaient lugubrement. L’armée proprement dite, tumultueuse, — la mer terrestre des guerriers poussant des cris, — protégée de boucliers blancs, énormes, coiffée de casques à crinières ornés d’aigrettes, s’avançait comme en parade. Quelques boucliers auxquels appendaient des clochettes d’airain, sonnantes, étaient ornés d’enluminures qui étaient des bravades.

Les Argiens se précipitèrent sur les portes, la lance au poing, les battant comme une pluie d’hiver. Les murailles de la cité furent franchies. L’épouvante paralysa les défenseurs de Thèbes. Pendant que les guerriers d’Argos l’emportaient, que la pluie des pierres se ruait sur les hauts créneaux, que l’aither se hérissait de lances furieuses, les femmes thébaines, les vierges suppliantes, portant des voiles et des couronnes, imploraient Pallas, et les Thébains, que l’affolement de leurs femmes impressionnait, hésitaient à agir. Eschyle dit en rudes termes la colère d’Étéocle, menaçant de la mort ceux qui ne combattaient plus, invectivant les femmes, ces insupportables brutes qui se prosternaient en hurlant et en criant devant les images des dieux, décourageant les citoyens. — Que chaque femme s’enferme dans sa maison ! Ô Zeus, pourquoi as-tu créé cette race de femme !

Cette race de femme venait d’Asie ; et elles étaient bien chez elles, à Thèbes, ces Phéniciennes affolées. Le paian des Hellènes, chanté, elles ne le comprenaient pas ; la pâleur de la mort perçait le fard asiatique plaquant leurs joues ; l’épouvantement du carnage, des inévitables conséquences de la défaite, glaçait leurs cœurs : Il serait lamentable que des vierges, avant la solennité des noces, fussent entraînées loin de la demeure... Une ville saccagée souffre d’innombrables maux : on entraîne, on tue, on allume l’incendie ; toute la ville est infectée de fumée... Voici les rapines, compagnes des tumultes !

Il y avait une telle séparation entre Argos et Thèbes, que les Thébains qualifiaient les Argiens d’étrangers. Thèbes était toute phénicienne ; Argos, avec ses Éthiopiens et ses Hellènes, et les hommes de toutes races qui vivaient dans ses murs, et les divinités venues de toutes parts qui y trônaient, ne représentait plus rien, en réalité. C’est pourquoi sa victoire, retentissante, ne fut guère qu’un fait d’armes glorieux, sans conséquence nationale. Eschyle écrira que Thèbes combattait pour le droit ; mais le grand tragique, ensuite, dit qu’Arès décida de la victoire en jouant aux dés.

Bien autrement graves, et importantes en résultats, furent la conquête de la toison d’or et la chute de Troie, événements contemporains du sac de Thèbes.

Les richesses du roi de Colchide, Eétés, attiraient depuis longtemps, au fond de la mer Noire, les marins et les marchands de Phénicie ; et les récits qu’ils en rapportaient, enflammaient les imaginations. Jason, fils d’Œson, qui régnait à Iolchos en Thessalie (1226), pris du désir de s’emparer de ces richesses, fit construire dans ce but le navire Argo, dont le mât, fait d’un chêne de Dodone, rendait des oracles, et dont la carène était d’un bois coupé sur les versants du Pélion. Jason partit, accompagné de cinquante guerriers, parmi lesquels Hercule, Thésée, Pirithoüs, Castor, Pollux, Méléagre, Pélée, le poète Orphée, qui par ses chants bannissait la discorde, et Esculape, à qui nul mal ne pouvait résister, fils d’Apollon.

En Colchide, Jason se fit aimer de la fille du roi, la magicienne Médée, et parvint ainsi à s’emparer de la toison d’or. Le roi poursuivit en vain le ravisseur et ses amis, — les Argonautes, — partis glorieux, enrichis, remontant le Phase jusqu’au fleuve qui enveloppe la terre, côtoie le rivage de l’Orient, et, par le Nil, revient à la Méditerranée. Cette indication permet de tracer un itinéraire de retour, comprenant le Phase, l’Euphrate, le golfe Persique, la mer Rouge, le Nil et la Méditerranée. Une autre version, très intéressante, mène les Argonautes au nord et à l’ouest de la Colchide, les conduisant d’abord dans la région fortunée des Macrobiens, où les hommes vivaient pendant des siècles, puis chez les Cimmériens, qu’enveloppent des ténèbres éternelles, ensuite vers la mer de glace, au nord extrême, pour les faire revenir à la Méditerranée par l’Atlantique et les colonnes d’Hercule (Gibraltar). D’autres textes s’accordent mal quant aux détails, mais, visant un fait unique, signalent le retour des Argonautes, un instant égarés au septentrion européen, par le Danube, ou l’Adriatique, ou le Pô, ou même le Rhône.

Le passage des Argonautes au détroit de Messine est nettement indiqué dans le récit fabuleux du secours que leur apporta l’enchanteresse Circé, les Néréides soulevant l’Argo, pour qu’il pût franchir sans ennui les écueils de Charybde et de Scylla. C’est alors que le chant d’Orphée détruisit l’influence de la magicienne, et que l’Argo, livré aux vagues, alla s’échouer aux côtes africaines, où les Argonautes découvrirent le jardin des Hespérides, merveilleux.

Revenu en Grèce, Jason abandonne Médée, la magicienne épouvantant par ses fureurs, qui tue ses propres enfants, et se réfugie en Attique, où elle deviendra la femme d’Égée.

Par Jason, l’audace hellénique a mis la main sur les richesses de l’Asie. Les Hellènes ont traversé l’Europe deux fois, de l’est au nord-ouest, puis du nord au sud, de la Scandinavie obscure, aux longues nuits, jusqu’à la lumineuse Méditerranée, cherchant les routes d’eau, si favorables, fleuves et mers. Cette Hellénie des Argonautes, sans scrupule, succède régulièrement aux Phéniciens ; elle les continue. Iolchos, en cette circonstance, héritait de Tyr et de Sidon.

Les derniers vrais Grecs, purs, vivaient en Asie-Mineure, gouvernés par le roi Priam, au pied du mont Ida, dans Troie, ou Ilion, la ville forte et riche. Il n’était pas possible que l’Hellénie laissât en face d’elle, de l’autre côté de la mer hellénique, cet exemple de civilisation aryenne faite pour troubler les destinées du monde nouveau. La querelle entre Thèbes et Argos n’est qu’un détail, un incident, comparée à la guerre des Hellènes contre les Grecs, des Danaéens contre les Troyens.

Le prétexte de la campagne contre Troie fut l’enlèvement d’Hélène, la femme de Ménélas, roi de Sparte, par le fils de Priam, Pâris. Les hommes d’Argos, les Danaéens, quittant la Sainte Hellas, s’embarquèrent à Aulis. Deux ans avaient été employés à préparer la flotte argienne, qui comprenait onze cent quatre-vingt-six vaisseaux, montés par cent mille guerriers, ayant pour chefs, l’Atride Agamemnon, roi de Mycènes, de Corinthe et de Sicyone, son frère Ménélas, roi de Sparte, Achille et son ami Patrocle, Diomède, les deux Ajax, dont l’un était roi des Locriens et l’autre monarque à Salamine, Nestor, Ulysse, roi d’Ithaque, Philoctète, qui avait les flèches d’Hercule, et Thersite, l’Étolien lâche, insolent et railleur.

Malgré le secours des Aryens de la Thrace et de la Macédoine, venus à Troie, l’armée des Troyens n’égalait pas, en nombre, celle des Danaéens. Priam avait comme chefs, vaillants, Hector et Énée.

Eschyle nomme, avec raison, Danaéens, l’ensemble des Hellènes armés contre Troie, car le sac de Thèbes avait donné aux Argiens, — aux hommes de Danaiis, — la prépondérance incontestée en Hellénie. Si, parlant d’Aulis, où autrefois les Achéens, retenus par le vent, réunirent leur grande armée pour aller de la Sainte Hellas vers Troie aux belles femmes, le Tragique emploie le mot Achéens, c’est qu’il veut désigner l’armée plutôt que le peuple. En effet, l’idée achéenne a présidé à l’expédition, et ce sont les guerriers achéens qui s’acharneront à l’accomplissement de l’œuvre destructive décidée.

L’emplacement présumé de l’ancienne Troie, — Hissarlik, — recouvert de deux couches archéologiques, épaisses, bouleversées, a livré cependant des témoignages irrécusables d’une existence propre, c’est-à-dire indemne de l’influence assyrienne, et considérable, remontant au delà de l’an 1800 avant notre ère.

Les Troyens, que les Hellènes menacent, Aryens fils d’Aryens, héroïques, bravant la mort, mais inhabiles aux batailles, et que la vigueur des Achéens surprendra, doivent succomber. L’inévitable victoire des Danaéens livrera la Grèce continentale aux Achéens, infatués et exigeants, qui sont déjà les maîtres des Hellènes. Victorieux, plein de gloire, doué par Zeus d’un double sceptre, roi des rois, Agamemnon gouvernera Mycènes et Argos.

L’histoire des Grecs finit avec la chute de Troie ; et c’est dans l’Iliade d’Homère, en attendant les résurrections de documents ensevelis, qu’il faut chercher les grands Grecs.