Les Égyptes (de 5000 à 715 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXIII

 

 

DE 1405 A 715 Av. J.-C. - Fin de la dix-neuvième dynastie (1405-1288). Ramsès II. - Ménephtah Ier. - Exode des Israélites. - Le Syrien Arisou - Vingtième dynastie (1288-1110). - Les Ramessides. - Usurpation des prêtres. - Vingt-et-unième dynastie (980-810). - Sheshonk Ier. - Sac de Jérusalem. - Vingt-troisième dynastie (810-721). - Vingt-quatrième dynastie (721-715). - Bocchoris.

 

LES maîtres de l’Égypte se croient définitivement à l’abri des invasions. Il serait moins étonnant, écrit un scribe, de voir le désert changé en plaine cultivée et les montagnes changées en vallées, que les barbares venir en Égypte. Dans cette quiétude irréfléchie, l’homme de guerre est méprisé. Un immense dégoût s’est répandu, dont le pharaon est lui-même atteint. N’ayant pas cinquante ans d’âge, Ramsès II délègue son pouvoir à son quatrième fils, Khâmouas, chef du sacerdoce. Khâmouas gouverne, meurt (1338), et laisse le trône à son frère Ménephtah, âgé de soixante ans, treizième fils de Ramsès II.

Comme d’usage, le pharaon Ménephtah faisait exécuter les grandes constructions qui devaient immortaliser sa mémoire, à Thèbes, à Abydos, à Memphis, et surtout dans le delta, où il résidait, lorsqu’une invasion lui arracha la paix. De nombreux navires venaient de jeter sur la côte africaine, à l’ouest de l’Égypte, des bandes de Libyens menés par un roi, Mermaïou, fils de Deïd. Ces envahisseurs ne venaient pas en désordre, mus par un simple esprit de convoitise, ravager le nord du Nil ; ils prétendaient s’emparer du delta et le garder pour eux.

L’armée égyptienne n’existait plus, les forteresses étaient vides, les corps auxiliaires, dispersés, n’offraient aucun secours. L’horreur du militarisme paralysait à ce point les Égyptiens, qu’à la nouvelle de l’invasion libyenne, menaçante, nulle idée de résistance ne se manifesta dans la vallée du Nil. Ménephtah Ier, seul, très patriote, tressaillit, fit une armée, promptement, toute composée d’Asiatiques, décréta la guerre, couvrit Memphis, et montra sa cavalerie aux Égyptiens, autant pour étaler sa force devant l’ennemi, que pour intimider ses propres sujets. A Paarishaps, entre Memphis et la mer, les deux armées se rencontrèrent. Les Libyens furent repoussés après six heures de lutte ; leur roi Mermaïou disparut en abandonnant son arc, son carquois et sa tente.

A la nouvelle de cette victoire, à laquelle d’ailleurs Ménephtah Ier n’avait pris aucune part personnelle, l’enthousiasme des habitants valut au souverain, à Thèbes même, une entrée triomphale rappelant les grands jours de Ramsès.

Vainqueur, Ménephtah se garda de licencier son armée ; il l’employa à la construction de travaux de défense, en adjoignant aux guerriers des escouades de gens qui réédifiaient les monuments détruits, les villes saccagées, et notamment la ville aimée de son père Ramsès. L’organisation toute militaire des travaux publics était stricte. Chaque escouade de deux cents hommes était commandée par un chef, un capitaine ; des rations de blé et d’huile devaient être régulièrement données aux travailleurs. Les Israélites de la vallée de Gessen consentaient parfois à envoyer quelques-uns des leurs au pharaon pour servir dans l’armée égyptienne ; mais c’était, à leurs yeux, comme un acte de condescendance, et non l’accomplissement d’un devoir. L’idée de nation leur échappait ; et quant à la gratitude, ils n’en éprouvaient pas, parce qu’ils se considéraient mieux qu’en pays conquis, sur une terre que leur dieu leur avait donnée.

Les Israélites vivaient sur leur terre de Gessen, divisés en tribus, se composant d’un certain nombre de familles ayant chacune son chef, son zaken, ou scheikh, que les Égyptiens nommaient hak. Le gouvernement du pharaon n’était représenté dans cette terre que par un corps de scribes, ou schoterim, de race israélite, mais répondant devant le pharaon, et personnellement, de l’exécution des ordres donnés par le souverain. C’est eux qui dénombraient la population, recueillaient et versaient les impôts, choisissaient les hommes de corvée lorsque le pharaon voulait des Hébreux, — des Oberiou, — pour l’exécution d’un travail public.

Après la défaite des Libyens, Ménephtah Ier, voulant fortifier la Basse-Égypte, ordonna la construction de murs de clôture, de forteresses, de tours de vigie, de camps retranchés où l’on pût exercer la cavalerie et passer en revue les archers, de quais où les galères débarqueraient les tributs. Les Israélites, qui se souvenaient des travaux imposés par Ramsès, redoutaient les exigences de Ménephtah. Moïse, qui savait l’inconsistance du gouvernement, et qui préparait son œuvre d’ambition personnelle, incita les Hébreux à s’agiter, à résister au maître. Il y eut donc des troubles sérieux dans le delta.

Le pharaon pensait qu’après avoir vaincu les Libyens il lui serait facile de dompter les Israélites ; il ne prévoyait pas que sous la conduite de Moïse le trahissant, les hommes hébreux de Gessen abandonneraient l’Égypte. Les Israélites partirent, en emportant — ce dont ils se vantèrent plus tard — tout ce qui était à la portée de leur main. Alors, dit la bible hébraïque, le peuple d’Israël emporta sa pâte non encore fermentée, les pétrins sur l’épaule, enveloppés dans des manteaux ; et les Israélites firent selon l’ordre de Moïse, et demandèrent aux Égyptiens des objets d’or et d’argent et des habits, et l’Éternel fit obtenir au peuple les bonnes grâces des Égyptiens, qui les leur accordèrent, et ils dépouillèrent les Égyptiens. Avec les Israélites, partirent un grand nombre d’hommes qui n’étaient pas de leur race, fuyant la vie devenue difficile au delta. Sortis de l’Égypte, les Israélites appartiennent à l’histoire de l’Asie, ils tombent dans le grand mouvement asiatique, où l’Égypte elle-même est entraînée.

A la mort de Ménephtah Ier (1318), Séti, héritier direct, prince de Kousch, ne succède pas à son père. Un usurpateur, descendant d’un fils de Ramsès II, s’empare de Thèbes et règne sur tout le pourtour du soleil, dit une inscription. Ménephtah II dépositaire, au moins nominal, du pouvoir souverain, par la mort de Ménephtah Ier, désespérant de réunir toutes les Égyptes sous son sceptre, propose au Séti qui régnait à Thèbes comme successeur de l’usurpateur que les Égyptiens du Haut-Nil avaient reconnu légitime, un compromis dynastique : Ménephtah II s’engage à proclamer ce Séti comme héritier. Une grande obscurité plane sur cette époque. On dirait que les étrangers se disputent l’Égypte sur son propre sol, non plus par les armes, mais par l’intrigue. Les Éthiopiens viennent au nord, Thèbes croit à son droit de prépondérance, et de Thèbes à la mer les Asiatiques et les Africains se cantonnent, s’appropriant chacun un morceau du pays. Ce sont des Babyloniens qui fondent la ville qui sera le Caire.

Séti II, s’il fallait en croire les documents qui nous sont parvenus, aurait, quoique usurpateur, s’autorisant du compromis consenti par Ménephtah II, brillamment rétabli l’unité du pouvoir pharaonique. Mais les victoires dont parlent les papyrus et les inscriptions ne sont que des récits empruntés aux fastes des pharaons précédents. Il y a une agitation générale, que les historiens ont qualifiée de révolte des esclaves, et qui ne fut probablement qu’une affirmation d’indépendance proférée par des groupes installés, çà et là, dans le Bas-Nil. Un souverain pontife de Memphis, nommé Aïari, se qualifie d’héritier royal sur sa statue, en plaçant le cartouche du pharaon régnant, Séti II, sur son épaule. Un Syrien nommé Arisou prend le pouvoir après Séti II. Les grands fonctionnaires, comme à l’époque des grands vassaux, se battent entre eux, en pleine Égypte. Les Égyptiens assistent impassibles à ces incohérences.

Un descendant éloigné de Ramsès II apparaît, — Nekht-Séti, — maître de Thèbes, expulsant le Syrien Arisou, se disant roi des deux terres. Ce pharaon réorganise l’Égypte, rétablit les temples et les sacrifices, revient au culte traditionnel des ancêtres divinisés, et laisse à un Ramsès, qui fut Ramsès III, un gouvernement acceptable, dans une Égypte restreinte cependant, ayant perdu la Syrie, avec un delta rempli d’étrangers, et la frontière orientale, du côté du Sinaï, couverte de nomades menaçants.

Ce Ramsès III inaugura la XXe dynastie, en l’an 1288. Ce furent les prêtres qui couronnèrent ce pharaon régnant par Horus, délégué du dieu. Une invasion syro-maritime vient jusqu’à Memphis. Ramsès repousse les envahisseurs, les poursuit, va les massacrer dans les environs de Péluse. Ayant ressaisi le prestige des pharaons conquérants, pendant douze années Ramsès III guerroie en Syrie, frappe les Khétas à Karkémish, comme à Kati, et porte ses armes en Arabie, pour y nouer des relations commerciales. L’Égypte est redevenue grande. L’on voit l’Asie Mineure, si remuante, se tourner vers l’ouest, vers l’Europe ; les Philistins, vassaux des pharaons, se consolider entre les Asiatiques et les Égyptiens, comme un rempart, pendant que les Libyens Mashouashs, admis au service de Ramsès, forment autour de sa personne une garde d’élite.

Ramsès III, pharaon véritable, exécute de grands travaux. Il agrandit Karnak, il restaure Louxor, il favorise le delta, il bâtit à Médinet-Abou, la première habitation royale, le premier palais, qu’il habite. C’est un Asiatique, dans l’acception la plus large du mot, glorieux sans doute, mais absolument corrompu. Le mépris de la souveraineté se répand. On se moque du pharaon, pourtant cruel et redoutable. Les fastes royaux gravés sur les murs du palais de Médinet-Abou sont ridiculisés par des caricaturistes. Ramsès III mourant épuisé, une longue série de Ramsès, les Ramessides, ces fainéants dont parle Diodore, laissent l’Égypte s’effondrer. Un Ramsès XI cependant essaie de reconstituer le royaume, de se mettre en relations pacifiques avec les peuples de la Syrie, de la Mésopotamie et de l’Éthiopie ; mais, soumis aux prêtres, qu’il redoute, ce pharaon ne parvient pas à appliquer sa volonté saine.

Voici qu’un grand prêtre d’Ammon, — Pahôr-Amoné, — prend le diadème, fait rendre les honneurs royaux à sa femme dans les cérémonies. Un autre, — Pihné, — se dit fils du soleil, usurpe les cartouches pharaoniques. Le collège sacerdotal de Thèbes est à l’apogée de sa puissance ; les grands prêtres sont tout : généraux, magistrats, gouverneurs, princes, dieux. L’un d’eux, — Her-Hor, — renverse Ramsès XI et règne, absolument. Il ne parvint cependant pas à assurer sa succession à son fils Pinotsen. Deux autres Ramsès passent sur le trône, et le fils de Pinotsen, — Piankhi, — laissant Thèbes, va au delta fonder une dynastie nouvelle, la XXIe, en l’an 1110 avant Jésus-Christ.

Thèbes, abandonnée aux prêtres, se débat dans des querelles interminables, pendant que Piankhi Ier règne au nord. Sân (Tanis), Bubaste, Saïs, Mendès et Sébennytès seront les villes principales du royaume nouveau, dans le delta. Ces villes vont se disputer la suprématie, l’héritage glorieux des Memphis, des Thèbes et des Abydos.

Pendant que les pharaons de la XXIe dynastie régnaient à Tanis, les Libyens Mashouashs, qui composaient toute leur armée, avaient des chefs rêvant d’exercer le pouvoir suprême. Le Libyen Bébaï, installé à Bubaste, était devenu le rival redouté des pharaons de Tanis. Un descendant de ce Bébaï avait épousé une princesse de sang royal, et son fils, — Nimrod, — en même temps grand prêtre et chef de l’armée, laissait à son petit-fils, — Sheshonk, — une force lui permettant de conserver, sinon d’accroître, l’autorité acquise par les successeurs de Bébaï. Ce Sheshonk, qualifié de majesté, de prince des princes, fit épouser par son fils la fille du dernier roi tanite, nommée Osorkon ; et c’est ainsi qu’à la mort du dernier roi tanite, Piankhi II, Sheshonk Ier put fonder au delta, légitimement, la XXIe dynastie (980).

Sheshonk Ier fut un habile monarque. La Basse-Égypte était devenue l’asile de tous les aventuriers, de tous les mécontents, de tous les révoltés ; il en profita pour affaiblir ses voisins. En Palestine, une réaction violente des Israélites contre la tribu de Juda, qui visait à la prépondérance, avait suscité Jéroboam accusant Salomon, le roi des juifs, d’incapacité et d’impiété. Vaincu, Jéroboam se réfugia en Égypte, où Sheshonk le protégea. A la mort de Salomon, Sheshonk, qui avait soumis à son autorité tous les petits princes du delta, et qui connaissait par Jéroboam les richesses de Jérusalem, marcha contre cette ville, soumit Israël, pilla le temple, et revint en Égypte, victorieux et enrichi. Le sac de Jérusalem ouvrit à Sheshonk Ier la route de Thèbes. Le chef de la XXIIe dynastie fit graver ses fastes sur les murs du temple de Karnak. Le triomphateur n’abusa pas de son succès ; respectueux des traditions antiques, voulant conquérir le cœur des Égyptiens, il se fit représenter sous l’aspect colossal, mais offrant aux dieux de Thèbes les trente chefs vaincus, parmi lesquels le roi de Juda, — Jouda-Hamalek, — et il fit graver son cartouche pharaonique, suivant l’usage, en se qualifiant de chéri d’Ammon.

Le Sésac de la bible hébraïque, le Sésonchis de Manéthon, Sheshonk Ier, tout en sacrifiant aux dieux de Thèbes dans un intérêt personnel, n’abandonna pas ses propres divinités, asiatiques. Ses successeurs ne comprirent pas cette politique intelligente, et les Égyptiens n’eurent qu’une nouvelle liste de rois incapables de faire revivre le passé. L’hommage rendu aux dieux de Thèbes par le fondateur de la dynastie devint, pour les pharaons qui lui succédèrent, comme une obligation craintive. La fine politique de Sheshonk ne fut plus qu’une démonstration de faiblesse, une attitude de soumission. L’Égypte, mal menée, reprit la pente de son anéantissement. Osorkon Ier, qui succéda à Sheshonk Ier, s’humilia dans les temples ; Takelot Ier, qui vint ensuite, plus clairvoyant, mais sans énergie, donna à son fils le premier emploi sacerdotal, croyant s’approprier l’influence cléricale ; Osorkon II, Sheshonk II, Takelot II, Sheshonk III, Râ-Ousor-Ma et Sheshonk IV virent leur royaume en désordre, en anarchie, livré au pillage des audacieux, pendant qu’au sud, les Éthiopiens, détachés de l’empire, indépendants, formaient une Égypte spéciale, et qu’au nord, dix princes, Asiatiques ou Africains, partageaient la Basse-Égypte en dix petits États.

L’Égypte centrale est assez disloquée, assez anéantie, pour que les Éthiopiens descendent le Nil jusqu’à Minieh sans rencontrer, semble-t-il, la moindre résistance. Thèbes a succombé sous les querelles de prêtres, les jalousies de temples, les luttes de dieux. Memphis vient de tomber également dans les discordes. Piankhi-Mériamen, roi d’Éthiopie, chef de la vieille race noire de Kousch, perverse, abominable, détestée d’Ammon, vient en libérateur fonder la XXIIIe dynastie (810).

Les princes de Tanis, s’écrie Isaïe, sont devenus insensés ; les princes de Memphis se sont égarés ; ils ont séduit l’Égypte, ceux qui étaient le soutien de ses peuples ; et je livrerai l’Égypte au maître violent qui l’opprimera. Isaïe fut mauvais prophète. Le monarque nouveau, généreux, bon, adopta le culte, l’écriture et la langue des Égyptiens. Mes soldats, dit une inscription du conquérant, n’ont pas fait pleurer un enfant dans les cités paisibles qui m’ouvraient leurs portes.

La dynastie éthiopienne fondée par Piankhi-Mériamen, et qui comprend Râ-Seher-Petsebast, Osorkon III, et un Râ-Ousor-Ptah-Psemout ? passe vaguement, comme interrompue, plutôt que remplacée, par une dynastie saïte, la XXIVe (721-715), où ne figure qu’un seul nom de roi, le Bocchoris de Manéthon. Ce fut un prince du delta, ambitieux, qui s’arrogea le titre de pharaon et voulut combattre la dynastie éthiopienne. Le pharaon vengeur, Sabacon, battit Bocchoris, qu’il châtia cruellement, et prit toute l’Égypte jusqu’à la Méditerranée, inaugurant la XXVe dynastie, en l’an 715 avant notre ère.

C’est un moment très grave de l’histoire de l’humanité.

Arrêtée dans sa marche vers l’orient par les brahmanes jaunes, la civilisation aryenne est venue à l’occident, en passant par-dessus les Asiatiques, préparer l’Europe. Mais les Asiatiques, comme s’ils avaient le sentiment de leur infériorité, entreprennent, pour ainsi dire, de corrompre ceux qu’ils ne peuvent anéantir. S’insinuant parmi les Aryens, avec une hypocrite humilité, ou par de lâches complaisances ; s’imposant à eux, tantôt avec une insolente effronterie, tantôt avec un violent esprit de domination, suivant les circonstances, les Asiatiques ne cesseront pas de troubler les destinées aryennes ; si bien qu’après tant de siècles écoulés, la guerre des deux races, parfois évidente, plus souvent occulte, est encore ce qui domine l’esprit de notre temps, ce qui explique nos angoisses, nos hésitations, nos déboires, ce qui justifie nos impatiences, nos colères, nos vengeances parfois. A vrai dire, toute notre histoire n’est au fond que l’histoire de cette longue lutte, non terminée, entre l’esprit asiatique et l’esprit européen, ou aryen. Des incidents nombreux, et de grande importance, ont pu suspendre ce combat pour la vie d’une race à laquelle une autre race dispute l’avenir, et des événements très graves ont quelquefois éloigné l’une de l’autre les deux grandes armées aux prises ; mais, comme par une fatalité souveraine, avec toute la rigueur d’une inéludable loi, l’Europe et l’Asie, après l’incident, après la trêve, se sont recherchées avec passion pour reprendre la longue bataille interrompue.

Ce ne furent point et ce ne sont pas des hordes se déplaçant, marchant à la conquête d’un territoire, ni des envahisseurs, et pas même des émigrants, que les Iraniens, les Grecs, les Romains, les Européens enfin, auraient pu combattre, repousser, expulser ; mais des charmeurs, procédant par individualités remuantes, continuellement répétées, s’emparant des esprits, asséchant les cœurs, corrompant les caractères, n’étant pour ainsi dire jamais plus victorieux que lorsque, vaincus, humiliés, la nécessité de leur défaite les amène à concevoir, à pratiquer cette merveille d’une soumission qui finit par devenir maîtrisante, d’un esclavage qui aboutit à la domination. Par ses femmes, par ses artistes, par ses despotes, par ses prêtres et par ses dieux, l’Asie caresse, charme, gouverne, dompte, tient et corrompt l’Europe, quand l’Europe s’abandonne à la lascivité orientale exclusive de l’amour, à l’art superficiel des formes dénonçant l’absence du penseur, au gouvernement des monarques exploitant la paresse des nations, à la religiosité irréfléchie qui mène au despotisme des prêtres par le despotisme des divinités.

Ce furent des Asiatiques, ces poètes devenus brahmanes, qui détruisirent le peuple arya dés bords de l’Indus. Asiatiques étaient ces magiciens du Touran qui imposèrent leurs mensonges à Zoroastre. Asiatiques sont ces envahisseurs, scribes et pharaons, qui corrompent la civilisation égyptienne si profondément. Les Aryas védiques disparurent ; les Iraniens de l’Iran, fortement impressionnés, conservèrent de l’esprit aryen tout ce que leur législateur, Zoroastre, avait osé maintenir malgré l’influence des mages ; les Égyptiens, eux, dociles, toujours soumis, obéissants, mais calmes, exempts de passion, garderont au centre des bouleversements que va produire le grand choc entre l’Europe et l’Asie, cet esprit de neutralité qui ressemble souvent à de l’indifférence, et qui n’est, en somme, qu’un mépris profond adouci par une extrême bonté. Ouverte à toutes les races, subissant tous les despotismes, devenue complètement asiatique après l’invasion des Pasteurs, l’Égypte sait garder son caractère, sa personnalité proprement dite, absorbe ses vainqueurs, ses occupants, et devient à jamais comme un champ béni où s’atténuent, où s’éteignent les grandes querelles humaines, nationales, philosophiques, religieuses. L’Égypte tolère, concilie, et elle demeure comme le trait d’union entre l’orient et l’occident du monde. C’est en elle que vont se résoudre, par la paix et pour la paix, les vastes problèmes d’intérêt universel.

Entraînée dans le remuement asiatique qui suit l’invasion des Pasteurs, s’étant ressaisie toutefois, grâce à l’Éthiopie africaine, — très égyptienne au fond, — au moment où l’Asie se sent pressée à l’est par les Iraniens qui vont moraliser, constituer les Perses et les Mèdes, à l’ouest par les Grecs qui sont toute l’Europe à eux seuls, l’influence de l’Égypte sera considérable.

Il importe, avant d’aborder l’histoire des Asiatiques, de voir ce qu’était exactement l’Égypte, son organisation, ses mœurs et ses aspirations, à cette époque dite des Ramsès, qui livra Thèbes aux grands prêtres d’Ammon et Tanis aux pharaons venus d’Asie.