Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXV

 

 

DE 1400 A 588 Av. J.-C. - La justice en Israël. - Crimes et délits. - Peines. - Trafic des témoignages. - L’armée. - Stratégie. - Mercenaires. - L’idée de patrie. - Jérusalem et Samarie. - Divinités. - Élohim et Jéhovah. - Culte. - Idoles. - Offrandes. - Religion. - Prêtres, prophètes et rois. - Le Messie. - Le dieu d’Israël. - L’homme. - La mort, fin de tout.

 

DANS les premiers temps d’Israël, le peuple venait aux portes de la ville pour y traiter de ses affaires, pour y plaider ses procès. Une formule de jugement terminait le débat juridique, et il en résultait une sorte de jurisprudence, empreinte de l’esprit asiatique. Le droit de conquête et la prise de possession étaient à la base de cette justice.

Dans le code proprement dit, tel que le firent les législateurs hébreux, suffisamment respectueux en cela des intentions de Moïse, les crimes et les délits forment cinq divisions principales. Il y a les attentats contre Dieu, contre les mœurs, contre les parents (le père et la mère), contre les personnes et contre la propriété. Le droit de légitime défense, prévu, y est restreint. Les formules iraniennes, introduites dans le code mosaïque après la captivité, y abondent. Des peines visent les bœufs coupables. Sept péchés capitaux, sept choses que l’Éternel a en abomination : des yeux hautains, une langue mensongère, des mains qui versent le sang innocent, un cœur qui forge des desseins criminels, des pieds qui se hâtent de courir au mal, un faux témoin qui débite des mensonges, un homme qui jette la discorde parmi ses frères. La vague définition de ces péchés est remarquable ; c’est l’idée aryenne de Zoroastre, mais troublée, dénaturée un peu, devenue asiatique.

A titre de sanction, le code hébraïque veut que l’on expie la faute commise, ou que l’on compense le tort fait à autrui. La loi du talion — vie pour vie, œil pour œil, main pour main, pied pour pied, — atrocement sommaire, n’en est pas le texte le plus odieux. Le créancier pouvait se payer en vendant le fils de son débiteur, comme le prix du voleur vendu servait à compenser le dommage causé par le vol. Le mépris de l’homme inspire la loi hébraïque ; et lorsqu’un sentiment de commisération impressionne le rédacteur de ce code effroyable, c’est le mépris de la loi elle-même qui vient alors corriger l’outrage fait à l’humanité. Un meurtre a-t-il été commis ? c’est le vengeur du sang, dira le code mosaïque, qui met à mort le meurtrier, pouvant le tuer dès qu’il le rencontre ; et le même code institue des asiles, des lieux de refuge, où les criminels échapperont à l’action de la loi.

Les châtiments comprennent le fouet, la bastonnade, le retranchement de la communauté, qui est une sorte de mort civile, et la peine de mort proprement dite, par lapidation, c’est-à-dire par la main du peuple. Des amendes et l’obligation de sacrifices expiatoires complètent les sanctions du code criminel. La privation de sépulture était une peine très grave, très redoutée, dont les prêtres menaçaient les rois. L’ensevelissement d’un guerrier sans ses armes était ignominieux.

Les juges siégeaient publiquement, sur la place, à la porte de la ville, ne devant recevoir aucun salaire. Ils prononçaient les jugements au nom de la communauté. Deux témoins étaient indispensables pour prononcer la peine de mort ; un témoin suffisait pour l’instruction des affaires civiles. Dans les cas douteux, le juge déférait le serment au demandeur ou au défendeur. Les parties plaidaient elles-mêmes leur cause. Les témoignages devinrent vite, en Israël, un élément de trafic.

De même que l’ensemble de la communauté des Israélites était le grand juge au commencement, ainsi tout Israël formait l’armée de Dieu. Les rois détruisirent cette première organisation, en se faisant garder par des mercenaires, des guerriers étrangers. Appelés à la bataille, les Israélites s’armaient et s’équipaient à leurs frais ; ils ne pouvaient pas se soustraire à l’appel du suffète, du monarque. La convocation des contingents se faisait au moyen de messagers, ou de signaux sur les hauteurs, répétés de colline en colline.

La stratégie des armées de l’Éternel était presque nulle. A défaut de courage, dans le sens élevé du mot, une exaltation par la parole, donnant la certitude d’un triomphe fructueux, l’espoir d’une débauche de vengeance, produisaient un enthousiasme dont les effets devenaient étonnants. A ce point de vue, les armées d’Israël et les armées d’Assyrie étaient identiques. Mais lorsqu’il s’agissait de prendre une ville, l’ardeur des Israélites devenait prudente ; aussi l’art des sièges, — attaque ou défense, — fut-il savant en Israël. Les assiégeants dépensaient une extraordinaire patience devant les murs de la cité condamnée. La brèche faite, la ville prise, toutes les abominations s’y déchaînaient ; l’incendie était l’holocauste final, pour l’Éternel. La moitié du butin appartenait aux troupes victorieuses, un quart allait aux prêtres, un quart au roi.

On ne voit pas, dans l’histoire d’Israël, un fait de guerre qui ne se justifie par une convoitise, une vengeance ou une jalousie. Les alliances elles-mêmes ont ce caractère. Pour l’Israélite, l’humanité finit à la frontière, souvent au seuil de la maison où vit la famille. Pas de nation, pas de patrie, rien qu’une quantité d’hommes groupés en un lieu, désirant y jouir avec excès d’une longue vie, s’unissant parfois pour défendre cette jouissance, ou pour l’augmenter. Dés l’exode, l’étranger est le compatriote de l’Israélite : Vous ne vexerez ni n’opprimerez un étranger, dit Moïse. Et si, plus tard, le combat pour la vie met en antagonisme les Israélites et leurs voisins, l’intérêt dicte encore au législateur de singulières tolérances : Vous ne mangerez pas d’une bête crevée. Vous pourrez la donner aux étrangers qui vivent parmi vous, pour qu’ils la mangent, ou bien la vendre à quelqu’un du dehors. L’étranger n’est pas un adversaire, mais un être à exploiter, par le trafic ou par les armes, suivant le cas et la possibilité. Lorsque, en proie aux cabales de toutes sortes, Jérusalem et Samarie seront en désagrégation, et que rois, prêtres, prophètes, juges et peuple, se haïssant, acharnés, attenteront de leurs propres mains à l’œuvre de Moïse, les tribuns, les conseillers, les prophètes en un mot, appelleront l’étranger, — Égyptien ou Assyrien, — sans songer aux déplorables conséquences de leur appel.

Et comment auraient-ils pu concevoir l’idée de patrie, de nation, ces Hébreux qui se querellaient sans cesse, bruyamment, se livrant des batailles ? Lorsque, dans le désert, après l’exode, des Israélites adorent l’Apis égyptien, les hommes de la tribu de Lévi, qui briguent le sacerdoce, s’assemblent et égorgent les Hébreux des autres tribus ; le royaume d’Israël est à peine ébauché avec sa ville capitale, que Samarie s’élève, et il y a deux royaumes d’Israël, deux Villes, aussi corrompues, aussi asiatiques l’une que l’autre. — Telle mère, telle fille, dit Ézéchiel, de Jérusalem... Ta mère était une Khétas (une Asiatique)... Ta grande sœur c’est Samarie, ta petite sœur c’est Sodome. Et tu as fait pis qu’elles, à tous égards. — Sodome, Samarie et Jérusalem sont sœurs. — Or, ajoute le nabi, Jérusalem, par ses abominations, a fait absoudre ses sœurs.

Parmi les prophètes, Nahum fut le premier (625) à qui l’idée de patrie apparut, nette. D’un esprit vif, plein de pensées rapides se heurtant, Nahum a la haine de l’Assyrien ninivite, sans autre préoccupation que la grandeur du peuple de Dieu. Les quelques pages qui nous soient parvenues de ce nabi, ne sont que le long cri d’un patriotisme vindicatif. Mais quelle influence pouvait avoir un homme, sur des hommes qui se croyaient la chose de l’Éternel, le jouet de la volonté divine, les pupilles d’un Jéhovah maître des nations et des peuples... distributeur des terres. — Les peuples, dit un psaume, ne sont rien devant Jéhovah ; il les estime comme le néant, comme le vide.

Et encore, s’il n’y avait eu qu’un Jéhovah, qu’un Élohim, qu’un Éternel. Mais chaque prophète affirma son dieu, depuis le Jéhovah d’Habacuc, escorté de la peste et de fièvre ardente, jusqu’à l’Éternel de Job, qui fait le ciel serein par son souffle et transperce de sa main le dragon fugitif. Les épithètes du Jéhovah biblique constatent les interprétations diverses, hésitantes, de la divinité cherchée : C’est le Saint d’Israël, le Dieu des armées, le Roi sage, raisonnable et savant, tantôt le Berger et tantôt l’Époux de son peuple. Ces qualificatifs sont empruntés à l Indra védique, à l’Ormuzd iranien, aux panthéons de l’Égypte et de la Chaldée. Dieu est jaloux, vindicatif, cruel, feu dévorant, semant l’effroi, sourd aux plaintes dans sa vengeance, archer victorieux s’enivrant de sa victoire, comme un guerrier criant dans l’ivresse, omniscient, omnipotent, maître de la foudre qui est sa voix, soufflant les tempêtes par le nez, destructeur impitoyable, distributeur des larmes qu’il approvisionne dans des outres, combattant invisible et mystérieux. — Et Manoah dit à sa femme : Nous allons mourir parce que nous avons vu Dieu. — Ce Jéhovah terrifiant, ce dieu des prophètes, c’est celui que Jérusalem nous léguera, et au nom duquel, en pleine Europe, partout, jusques au fond de l’Océanie, on entendra les représentants des vengeances éternelles, la Bible hébraïque en main, ordonner le meurtre, crier : Tue ! Tue !

Ce Jéhovah fut le deuxième dieu d’Israël ; le premier, Élohim, créateur plus que destructeur, très sévère évidemment, mais ayant de l’amour pour ses créatures, essentiellement révolutionnaire, veillant au respect des droits de tous, se prononçait plutôt contre le prince que contre le peuple. Ce dieu est celui dont parle job, qui abat les puissants sans enquête, et en met d’autres à leur place... qui les frappe comme des criminels qu’ils sont. Cet Élohim, qui était le dieu de Moïse, s’améliore de l’influence égyptienne, tandis que Jéhovah, tout à fait asiatique, est un despote, un tyran. On peut traiter cependant avec ce Jéhovah, exiger des garanties contre sa violence, car il est un être, un individu, une personnalité dont on sait la force, l’intelligence et le caractère. Lorsque ce dieu est indolent, le juif ne craint pas de lui reprocher son indolence.

Le culte qui s’organisa autour de ce dieu fut plus indécis encore, peut-être, que ne l’était la divinité elle-même. La représentation de l’Éternel, en effet, de l’unique dieu, devint un mélange de l’Ormuzd iranien, de l’idole chaldéenne, des dieux d’Égypte et du fétiche africain. Les idoles de Laban emportées par Jacob, l’Apis égyptien, — le veau d’or, — et le pieu, — l’aschera, — symbole indécent de la vigueur mâle, furent les modèles préférés des adorateurs en Israël.

Le temple, malgré sa splendeur, resta comme un lieu de réunion, ne devint jamais la demeure du dieu. Les fidèles se dérobaient à l’action du prêtre, choisissant leurs idoles, dressant leurs autels, allant de préférence vers les sommets, loin des bruits, ou dans les vallées, sous les arbres, se livrant à la nature, jouissant d’eux-mêmes, étonnamment, avec cette intensité voluptueuse, et d’esprit et de corps, qui est la force des épuisés. Jéhovah, furieux, exprime sa colère par la bouche d’Ézéchiel : Vous reconnaîtrez que moi je suis l’Éternel, quand leurs morts joncheront la terre au milieu de leurs divinités, autour de leurs autels, sur toutes les collines élevées, sur les sommets des montagnes, sous les arbres verdoyants et sous les térébinthes touffus, où ils ont offert leurs parfums suaves à leurs idoles.

Le créateur de la Genèse, moins exclusif, avait admis d’autres dieux, ne réclamant pour lui que l’attribut de l’éternité. L’Asie, à ce moment, croyait trop à l’existence réelle des divinités s’étant partagé le monde, aux dieux locaux, pour que le monothéisme d’Abraham pût s’y prêcher. Il fallait beaucoup de prudence à Moïse pour faire admettre son innovation ; il y aurait réussi sans doute, — car l’esprit monarchique, semblable à l’esprit monothéiste, se répandit vite en Israël, — si ses successeurs maladroits ne s’étaient pas emparés de l’idée nouvelle pour l’exploiter en hâte, à leur profit personnel.

Ce sont les prêtres d’Israël qui étouffèrent Élohim, et ce sont les prophètes, ces antagonistes naturels des prêtres, qui substituèrent l’inacceptable Jéhovah à l’Élohim des premiers temps, presque accepté. Inacceptable aux Asiatiques en effet, au peuple d’Israël, Jéhovah, ce dieu violent, alors surtout que l’Assyrie lui apportait Mylitta, la Vénus adorable, toute à tous, dont les prêtresses se sacrifiaient vivantes, et continuellement, en l’honneur de leur mère. Les fidèles de Mylitta, généreux, entretenaient libéralement son culte. — En jetant l’argent, dit Hérodote, l’étranger prononçait ces paroles : J’invoque pour toi la déesse Mylitta. — La vieille Chaldée asiatique, avec sa communauté des femmes, se perpétuait dans cette prostitution des prêtresses de Mylitta. Pire était l’adoration du pieu chaldéen, de la pierre sacrée, monstrueuse, et très grave l’importation de la divinité phénicienne, Moloch, que les sacrifices humains ne rassasiaient pas. Les divinités égyptiennes, seules, eussent été capables de lutter contre ces abominations. Moïse ne comprit pas cela, et c’est en renversant l’Apis, le veau d’or, qu’il détruisit de ses propres mains son œuvre théologique. Il y eut la tentative d’un Jéhovah serpent, mélange de l’Urceus égyptien et de l’Afrasiab touranien, et celle d’un Jéhovah-Isis, avec ses grandes ailes protectrices ; mais il était trop tard : Les prêtres après Aaron, et les prophètes après les prêtres, accapareront l’Éternel, et ils périront plutôt que de subir un seul instant la pression populaire.

Les prophètes de la captivité, les législateurs de la Jérusalem nouvelle, ayant le sentiment de la faute commise, s’efforcèrent de substituer la religion du droit et de la justice, de la bonté, de la charité, au culte impuissant des premiers nabis et des premiers prêtres. Pratiquer le droit et la justice est chose plus agréable à Dieu que le sacrifice, dit Michée ; et le Livre des Proverbes répète : La charité vaut mieux que les sacrifices. — La justice est une aurore, dit un psaume, et le droit resplendit comme le soleil de midi. En réalité, les Israélites étaient des païens ; leurs divinités, principales se nommaient Baal, Moloch, Mylitta, Astarté, Ammon, Osiris et Apis.

Les pratiques du culte énumérées dans le Livre hébraïque, n’ont rien de commun avec les origines de la nation. L’Exode dit des Hébreux qu’ils sont un peuple de prêtres ; l’expression est juste, car avant Aaron chaque chef de famille officiait devant ses dieux préférés. Il y eut ensuite un corps sacerdotal, des prêtres-chefs (rôs), sans pontife, et enfin un grand-prêtre désigné, rival du roi. Un enseignement spécial donnait à ce clergé une cohésion spirituelle que venait cimenter l’impossibilité, pour les prêtres et les lévites instruits, de vivre hors du temple, matériellement. Le Livre ordonnait des offrandes, des impôts sacrés, au moyen desquels se nourrissaient les familles des prêtres. Les sacrifices à l’Éternel exigeaient des victimes sans défaut, dont la graisse, brûlée sur l’autel, s’élevait en fumée vers le dieu, et dont le reste était destiné aux officiants. Les repas sacrés, auxquels assistaient les femmes des prêtres, — concourant d’ailleurs, dans le temple, aux cérémonies, — se composaient de ces viandes consacrées, de gâteaux faits avec de la farine de froment pétrie dans de l’huile, cuits sans levain, de pains au miel et d’épis grillés. Les libations étaient déjà scandaleuses du temps d’Aaron, qui s’enivrait, ce que le Lévitique stigmatise comme un sacrilège. — Et la vigne dit : Cesserai-je de produire mon jus qui réjouit les dieux et les hommes.

Ce culte assurait l’existence des prêtres, mais il ne constituait pas une religion. On ne voit vraiment pas d’église en Israël ; les synagogues n’y sont que des lieux de rendez-vous, les rabbins n’y forment point un clergé. Parmi les pratiques susceptibles de réunir les fidèles, au moins dans un commencement de manifestation, il faut citer les jeûnes, que Zoroastre détestait, et les prières dont la journée de l’Israélite aurait été remplie. Des consécrations à l’Éternel, singulières, donnaient au peuple des exemples de piété. Tel venait devant le dieu, jurant de ne plus toucher par le ciseau à sa chevelure et de la couper un jour, toute longue, pour la brûler sur l’autel. La circoncision, d’origine africaine, devint un signe de consécration. Par l’accumulation des fêtes, les prêtres voulurent se rendre sympathiques, s’identifier surtout au passé d’Israël, perpétuer les grands souvenirs, par des pompes religieuses accompagnées de réjouissances publiques. En mémoire du septième jour de la création, qui fut le jour du sabbat, les prêtres imposèrent au peuple un repos absolu. Ce jour-là, les Israélites ne devaient même pas allumer du feu dans leurs demeures. Se rendre dans la maison de Dieu, monter au temple, n’était cependant qu’un acte exceptionnel, un pèlerinage.

La grande faiblesse des prêtres d’Israël s’explique par la présence des prophètes organisés en corps spécial, en confrérie, sinon hors du temple, — car ils avaient leur place réservée dans la maison de Jéhovah, -mais certainement hors de l’esprit sacerdotal. Les prêtres officiaient, sacrifiaient, et vivaient du produit de leur sacerdoce, ce qui choquait le peuple, suscitait ses jalousies. Les prophètes, au contraire, ne vivaient que de la charité publique, étaient instruits, prêchaient avec une apparence de désintéressement. En outre, sachant bien toutes les pratiques de la sorcellerie, — égyptienne ou chaldéenne, — les nabis faisaient des miracles volontiers.

Les prophètes eussent dominé tout Israël, complètement, si des rivalités ne s’étaient produites parmi eux, qui, les mettant en querelles, amoindrirent leur autorité, leur firent employer toutes leurs forces à la défense de leurs propres personnalités. Il y avait les vrais prophètes et les faux prophètes. Les faux étaient nécessairement ceux qui contrecarraient les vues des prophètes en renom. Ézéchiel nomme ses adversaires des badigeonneurs de mensonges croulants. On vit des prophètes se souffleter devant le peuple. Les prêtres ne pouvaient cependant pas lutter contre l’influence des nabis, dont les actes étaient souvent merveilleux, dont le talent était incontestable. Samuel déjà, le créateur du prophétisme, se vantait de faire tonner et pleuvoir. D’autre part, la perpétuelle peur d’Israël poussait les Israélites plutôt vers les prophètes dont la rhétorique était menaçante, que vers les prêtres alourdis, vivant bien, satisfaits, n’ayant de fureur que pour la défense de leurs prérogatives.

Le prophète était très dangereux, parce que la passion le dominait, et que poète, même ses paroles les plus douces, les plus humbles, distillaient un incommensurable orgueil. Ses discours, dit le psalmiste, coulent comme de la crème, et son cœur recèle la guerre ; ses paroles sont plus coulantes que l’huile, mais ce sont des épées nues. Grâce à cette lutte entre les prêtres et les prophètes, le temple ne fut jamais qu’un symbole : Dieu n’y était pas. L’Ecclésiaste affirme que Jéhovah n’a pas réclamé d’autel. Le temple de Sion ne représente même pas, comme l’aurait voulu David, le centre de la nationalité hébraïque, puisque Salomon a décidé qu’on y laisserait venir les étrangers.

La grande idée prophétique, celle qui fera subsister Israël, supérieure à la vocation d’Abraham, à l’œuvre de Moïse, de David et de Salomon, et qui jaillit d’un cerveau désespéré annonçant le renouvellement total des choses, c’est l’idée messianique. Un Messie viendra, un guerrier, qui sera la gloire d’Israël. Isaïe II énuméra avec complaisance toutes les jouissances de cet âge d’or, et cette illusion devint un dogme.

L’excès, l’abus de la personnalité, dans la gloire comme dans le malheur, caractérise Israël. Job voudrait graver sa misère sur le roc. Il suffit, à Jérusalem comme à Samarie, qu’un homme s’élève, pour qu’un autre homme hurle aussitôt à cet avènement. Le prophète se dresse contre le prêtre, le prêtre se dresse contre le roi, le roi se dresse contre le nabi, de telle sorte qu’au jour de la défaite il ne reste ni sacerdoce, ni royauté, mais seulement une promesse, un Messie. Nulle croyance générale, nulle science, nulle morale, par conséquent nulle philosophie.

Le Dieu d’Israël, base de tout, ne s’explique que par l’imagination ; il ne se démontre pas. L’affirmation de sa force suffit. C’est un être matériel, vivant, qui a parlé à Abraham et à Moïse, qui faisait du bruit en marchant dans l’éden, qui a créé les choses à lui tout seul. Ce n’est pas un dieu national, mais un dieu universel, dont la demeure est au-dessus des nuages. Il n’y a de doute que quant à sa forme. C’est l’Élohim d’abord, incompréhensible ; ensuite l’Éternel, sans commencement ni fin, mais dont les œuvres sont visibles, et qui travaille ; c’est enfin un dieu vague, inexpliqué, récompensant et châtiant. La récompense suprême, dans l’âge d’or promis par Isaïe II, et que le Messie fera, c’est l’obtention d’une longue vie, une vie de cent ans : Il ne mourra plus d’enfants de quelques jours, plus de vieillard qui n’ait accompli sa carrière. Le plus jeune mourra à cent ans. On trouve, notamment dans les Proverbes, une idée supérieure à ce dieu matériel : la Sagesse aurait précédé la création ; mais c’est une idée fugitive ; le cerveau de l’Asiatique ne peut pas la conserver, cette idée.

L’homme est un instrument de jouissance, dont l’existence est limitée ; un ensemble de chair, de sang et de souffle, semblable à Dieu d’ailleurs, et que la mort détruit complètement. Quand nous mourons, dit le Livre de Samuel, nous sommes semblables à l’eau versée à terre, qui ne peut plus être ramassée. Après la mort, c’est l’oubli, dans le séôl, dans l’abîme sombre, le pays des ténèbres et de l’obscurité, silencieux, sans résurrection. Je suis effacé des cœurs, dit le psalmiste, comme un mort ; je suis comme un vase brisé. La vie commence à la naissance et se termine à la mort ; il n’y avait rien avant, il n’y aura rien ensuite. Aucune âme n’est imaginée. Cependant l’Ecclésiaste a la pensée d’une seconde vie ; il prend cette idée, il l’examine, et il la rejette : il n’y a décidément, pour lui, qu’une vie unique, se terminant par un sommeil dont on ne se réveille pas, et il en conclut qu’un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort.

Les Assyriens ne se préoccupaient pas davantage d’une autre existence, mais l’influence touranienne leur fit concevoir un séôl réel, sous les eaux, un monde infernal.