Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XXIV

 

 

DE 1400 À 588 Av. J.-C. - Mœurs d’Israël. - Les songes. - Superstitions. - Les Hébrao-Égyptiens. - L’Hébreu. - La femme. - Polygamie. - Les enfants. - L’esclavage. - Nourriture. - Industrie. - Trafic. - Routes commerciales. - Mesures et poids. - Société. - Monothéisme et monarchie. - La propriété. - Les usuriers - Les rois d’Israël. - Le trésor royal. - Impôts et corvées. - La Jérusalem nouvelle.

 

L’IMMENSE insuccès d’Israël est achevé ; l’œuvre de Moïse n’a pas été bonne. Partis de l’Égypte avec l’intention de «prendre» la terre de Chanaan pour y créer un empire asiatique, les Hébreux n’ont su que prouver leur impuissance ; les voici vaincus, humiliés, ramenés par leur vainqueur à Babylone, c’est-à-dire en Chaldée, à leur point de départ. Les prophètes nouveaux, énergiques, feront une Jérusalem nouvelle, dont les destinées différeraient peu des destinées de la Jérusalem de David, si Jésus n’y venait mourir, supplicié. Le cycle des premiers Hébreux est définitivement clos.

L’Israélite de cette période, dont le type a persisté, et que l’on rencontre partout, de l’Irlande à la Chine, était plutôt maigre, anémié, souffreteux, plein de lèpre, lorsque la fièvre de Chaldée ne le tenait pas. Ce peuple affaibli, tuais vaniteux et entêté, avait des condescendances surprenantes, des soumissions dans lesquelles il paraissait parfois s’anéantir ; si bien, que les pharaons abusant d’eux ne songeaient même pas à les faire surveiller. Mais lorsqu’une colère venait au front de ces hommes, rougissant leurs yeux, ou lorsqu’une peur venait pâlir leurs faces, leurs violences étaient inouïes, comme leurs terreurs.

Le merveilleux avait une extrême influence sur leurs esprits. Leurs rêves étaient pour eux des certitudes, et ils s’ingéniaient à les interpréter. C’est dans un songe que Jacob vit l’Éternel, et jusqu’à Job les Hébreux croiront que Dieu parle aux hommes alors qu’un profond sommeil pèse sur les yeux. Les superstitions dominaient Israël ; les Israélites redoutaient les sorciers, croyaient aux maléfices. Moïse dut prononcer la peine de mort contre les jeteurs de sort : — Vous ne laisserez point vivre une sorcière, dit l’Exode. — Le rédacteur de la Bible n’osant pas nier cette influence, ne peut qu’en faire bénéficier Jéhovah : On jette les sorts dans les replis des vêtements, quand l’Israélite passe, mais c’est de l’Éternel que vient la décision.

La superstition ne va guère sans la méchanceté, car rien n’est cruel comme un lâche. Les abominations d’Israël s’expliquent par la peur, et la peur se justifie par l’énervement. C’est un peuple de malades que Moïse emmène ; et si, dans ce peuple, il n’y avait pas eu de nombreux Égyptiens, si surtout, déjà, les Égyptiens, à Gessen même, et sur les bords du Nil, n’avaient pas fortement amélioré la race des Hébreux, l’exode vers la terre promise n’eût probablement pas dépassé le Sinaï. L’insouciante gaîté des Africains fut le viatique de cette masse d’hommes jetée dans le désert par Moïse et par Aaron.

A mesure que les Égyptiens, ou les Hébrao-Égyptiens, las de vivre en Palestine avec leurs compagnons d’exode, tout Hébreux, iront au nord, au delà de la Galilée, en Phénicie, ou retourneront en Égypte, le peuple d’Israël s’abîmera de plus en plus dans sa tristesse, dans sa maladie, dans sa méchanceté. Et toute morale, et toute hygiène, peu à peu, disparaîtront.

Sournois, concentré, entêté, revêche, le peuple au cou raide de l’Exode, au cou barre de fer et bloc d’airain, deviendra vindicatif, haineux, prévaricateur, calomniateur et meurtrier. Turbulents et légers, les Israélites dégagés de l’influence égyptienne, redevenus des Chaldéens, comme Abraham, seront indisciplinables, formeront cette race rebelle, cette «engeance au visage dur et au cœur de pierre» que maudit Ézéchiel. Le grand Isaïe, le second, dira d’eux, en son langage imagé : Leurs tissus ne peuvent servir de vêtements, on ne saurait se couvrir de leur ouvrage.

Passionnés pour l’intrigue et considérablement ingrats, — relâchés comme un arc trompeur, — les Israélites échappent même à ceux dont ils ont accepté le joug, comme ils se dérobent, insaisissables, aux conseils, aux obligations matérielles édictées dans leur intérêt : Vous ne devez pas vous rendre impurs, dit Isaïe II, par toute cette vermine qui rampe ; et il fallut, dans le Lévitique, obliger tout lépreux à crier lui-même impur ! impur ! en marchant, pour tâcher d’arrêter la contagion. Doué d’un grand zèle pour le mal, Israël a découragé tous ses éducateurs, sans exception. Vois, dit Isaïe II, résumant bien l’œuvre de régénération entreprise inutilement, vois, je t’ai fait fondre dans le creuset sans obtenir d’argent. Par l’expérience, le prophète a constaté que l’Israélite ne vaut rien.

Les mœurs d’Israël, complètement asiatiques, et persistantes, ne permettaient pas l’amélioration de la race. La déesse Sekhet, importée en Égypte par les Hyksos, épouse de Phtah, représentée avec une tête de lionne surmontée d’un disque symbolisant l’ardeur dévorante et funeste du soleil, caractérise bien l’Asiatique tout à sa jouissance personnelle, impudique et lascif, constamment préoccupé de son plaisir, imprégnant de cette préoccupation, et ses actes et ses œuvres, depuis le baiser de la bouche, qui est l’hommage banal de deux amis se rencontrant, jusqu’à la circoncision dont il se précautionne, et jusqu’aux eunuques dont il se munit.

Méprisée, plus servante que compagne de l’homme, — le même mot en hébreu désignant le maître et le mari, — la femme de l’Israélite pur, de l’Asiatique, n’est jamais qu’une valeur exploitable, dont l’achat se négocie et dont le revenu doit s’apprécier. L’Asiatique veut obtenir de la femme qu’il désire une certaine somme de plaisir, une certaine quantité d’enfants. La polygamie résulte de ce calcul, et elle existe en effet dés le commencement des temps bibliques, chez les patriarches. Les mariages, dans la Genèse, se font au moyen d’ambassadeurs ; le mari paie le mohar, le prix d’achat convenu, au père de la fiancée. C’est ainsi que Jacob s’appropria Lia et Rachel.

Les razzias procuraient aux Israélites des femmes de races diverses ; des engagements libres, sans cérémonie d’union, venaient aussi augmenter le harem de l’Hébreu. Il ne semble pas qu’en général la vierge eût en Israël une grande importance ; l’essentiel était le nombre des enfants, la fécondité de la mère. La veuve de Er se donne à son beau-père pour avoir un fils, et la fille de Jephté allant à la mort ne pleure que sa virginité inutilisée. Encore sous Isaïe II, les trois hontes de la femme sont la stérilité, la captivité et la répudiation.

Ces mœurs des premiers temps se corrigèrent un peu, à mesure que le contact des Aryens — les Philistins de Crète en Palestine et les Iraniens de Médie en Assyrie, — vint épurer la pensée asiatique. Les Proverbes, déjà, relèvent la femme en lui attribuant un rôle décent ; elle file la laine et le lin, elle approvisionne la maison, elle se lève avant le jour et distribue la pitance à la famille, la besogne aux servantes, elle travaille, elle agit, elle achète un champ et plante sa vigne, elle exerce la vigueur de ses bras, elle est charitable, et son mari est considéré en conseil, quand il siège parmi les notables du pays. C’est une émancipation d’autant plus nécessaire, qu’en la rabaissant trop, Israël avait complètement corrompu la femme. La loi dut interdire la vente de la fille par le père, l’amour incestueux du fils pour sa mère et du père pour son enfant, punir l’adultère avec une extrême sévérité. L’œil de l’adultère épie le crépuscule, dit Job... Les adultères pénètrent de nuit dans les maisons, de jour ils s’enferment et ignorent qu’il fait clair. La loi prononce la mort des coupables. C’est un grand progrès accompli, depuis l’époque où Abraham et Isaac vendaient leurs femmes, où Loth livrait ses filles. La famille s’améliore ; le droit de vie et de mort que le père avait sur ses enfants, disparaît ; le sacrifice d’Abraham devient un fait extraordinaire.

L’esclavage, maintenu, fut un obstacle à la constitution de la famille hébraïque. Devenaient esclaves, volontairement, les Hébreux effrayés de la responsabilité de leur existence, ou condamnés, et des étrangers achetés, ou conquis. La loi finit par s’émouvoir des conséquences de cette injustice, et elle imagina un droit à la liberté, après un délai de servitude. La femme, elle, ne put entrevoir sa liberté qu’en se donnant à tous ; et les courtisanes furent nombreuses aux bords des chemins. Il eût été difficile de supprimer l’esclavage, car l’Israélite n’aimait pas le travail. Indolent, paresseux, de constitution résistante, mais molle, l’Hébreu était incapable d’un labeur suivi, pénible surtout. Le sol ingrat où l’imprévoyance de Moïse l’avait jeté, réclamait un effort constant ; le juif ne pouvait se résoudre à cet effort, parce qu’il ne se crut jamais le maître, le possesseur définitif de son territoire. Les psaumes parlent encore de la vie errante d’Israël. La Genèse fait du travail un châtiment, une peine imposée : C’est à la sueur de ton front que tu te nourriras ; — il était naturel que l’Israélite enrichi se déchargeât de cette peine sur autrui. L’Hébreu doute d’ailleurs de l’efficacité du travail : — C’est la bénédiction de Dieu qui donne la richesse, le travail pénible n’y ajoute rien. — Et si l’Ecclésiaste vante le labeur comme la consolation suprême, c’est du labeur intellectuel qu’il veut parler, de la méditation, de l’écriture, sorte de distraction susceptible de remplir une vie trop longue. Jusqu’à la captivité, l’Israélite fut absolument rebelle au travail : Après l’automne, le paresseux ne veut pas labourer ; lors de la récolte, il demandera et il n’aura rien.

La terre promise, et donnée, était dure au labour il est vrai ; des bœufs robustes devaient être attelés aux charrues. La simplicité des instruments aratoires dénonce le découragement des agriculteurs d’Israël. Ils se nourrissaient mal, donnaient aux moissonneurs du pain et du vinaigre, avec des grains grillés parfois, n’estimant que la récolte facile des olives et des raisins. La fête des vendanges était une grande fête ; ce jour-là, tout Israël s’enivrait. Des arrosages artificiels entretenaient des jardins charmants, peu productifs, mais très soignés, où des fleurs étrangères s’épanouissaient. Des provisions de froment, d’orge, d’huile ou de miel, bien cachées, étaient la seule prévoyance des Israélites indolents. Mais dans les vallées, dans les plaines qu’arrosait la pluie de Jéhovah, que le vent du ciel et les oiseaux de l’air ensemençaient, des bergers menaient de nombreux troupeaux, véritable trésor des Hébreux. Sous les rois, l’homme riche possédait de l’argent, des habits, des oliviers, des vignes, des bœufs, des moutons, des esclaves et des servantes.

Les industriels étaient généralement des étrangers, des Phéniciens attirés par les rois. Ces ouvriers, très habiles, apprirent aux femmes à filer, à tisser, à teindre et à broder des étoffes. Le luxe de la royauté, la coquetterie des prêtres et des femmes, furent d’abord le grand aliment de cette industrie, dont la réputation s’étendit ensuite au dehors, devint l’objet d’un trafic. Le manteau national, — le kaïh et l’addereth, — comme l’éphod et le meil, caractérisèrent le vêtement israélite. Les femmes portaient des chaussures et des voiles aux plaques métalliques, retentissantes, — l’âchasim. — Les turbans (schebisim), les bonnets ouvragés et les robes lourdes étaient souvent de grand prix.

Les marchands troquaient ces étoffes contre les parfums venus de Seba, ce pays lointain, les huiles odorantes, le fard (pouch) et la poudre pour agrandir les yeux (cophen), importés d’Égypte. Ne plus s’oindre d’huile parfumée était pour les femmes une manifestation de deuil. Les prophètes s’élèveront avec rage contre ces coquetteries, bannissant les bracelets, les bagues, les anneaux de pieds et les bourses de ceinture, comme si la femme juive pouvait être autre chose, en Israël, alors, qu’une chair parée.

Jérusalem avait ses maçons, ses charpentiers, ses serruriers, ses menuisiers, ses ébénistes, ses briquetiers et ses potiers, mais les œuvres de ces artisans accusent leur origine étrangère. Des métallurgistes affinaient, coupellaient, martelaient, plaquaient, soudaient et polissaient le cuivre, l’or, l’argent et le plomb. L’absence du fer, dans cette nomenclature, pourrait faire supposer que ces ouvriers spéciaux étaient de race hébraïque.

Les échanges entre les produits d’Israël — huile, vin, étoffes, etc. — et les marchandises étrangères, se faisaient sur le territoire hébraïque, par l’intermédiaire dirigeant des Hébreux, mais non par leurs mains. Ici encore l’œuvre mosaïque est mauvaise ; les premières lois bibliques sont anti-commerciales, à cause de la peur des étrangers. Le législateur des Hébreux n’avait pas prévu les conséquences fatales de l’isolement qu’il sanctionnait. Heureusement, les rois dédaignèrent l’absurde loi de Moïse, et ils enrichirent Israël, en ne voulant d’ailleurs que s’enrichir eux-mêmes, personnellement. La situation géographique de la Palestine, placée entre la Phénicie et la Chaldée, favorisait ce grand trafic par lequel seul Israël subsista, et que les prophètes détestaient.

Stimulés par les Phéniciens entreprenants, et par les Chaldéens fiers de leurs navires, les Judéens de Salomon se postèrent là où les caravanes devaient passer, et ils se firent les intermédiaires obligatoires, onéreux, des trafiquants. Ils percevaient comme un impôt sur tout ce qui traversait leur territoire, venant de la Méditerranée et de l’Océan indien, et de l’Arménie, par le Tigre, sur les radeaux de saules, et du centre africain, par le Nil, sur les barques de jonc.

Les six grandes routes principales allaient d’Aco à Damas, — par le Jourdain et l’Anti-Liban, — d’Aco en Égypte, et, par des sortes d’embranchements, vers la Babylonie, la Chaldée, l’Iran, l’Arabie. Des pierres dressées marquaient ces routes ; de distance en distance, des stations bâties offraient un abri aux caravanes. Des messagers, des courriers, renseignaient les Israélites sur l’état de ce commerce. Cet immense trafic, les Hébreux l’exploitaient à outrance ; ils le pressuraient comme une grappe de raisin, tant qu’il y avait du suc dit Isaïe II.

Des mesures de capacité, bien graduées, servaient à la réglementation de ces échanges, dont la valeur se représentait au moyen de lingots d’or, d’argent et de cuivre. Les fausses balances, les faux poids et les fausses mesures abondaient.

L’organisation sociale d’Israël se ressentit des erreurs de Moïse, contre lesquelles ses successeurs ne pouvaient pas réagir. Au début, en Égypte, à Gessen, le groupe hébreu était un ensemble de tribus ayant chacune son chef choisi ; la réunion de ces chefs, ou scheiks, constituait la communauté hébraïque. C’était une démocratie divisée en une série de dictatures consenties, organisation absolument contraire à l’idée aryenne, qui est essentiellement communale. Ici, chaque groupe, très petit, donne tous les pouvoirs à un maître, mais à la condition que ce maître, dictateur en apparence, sera l’esclave en réalité des familles, formant la tribu, représentées chacune par l’ancien. Ces anciens, ou patriarches, quoique sans responsabilité, dominent les scheiks. En dehors de ces deux autorités effectives, il y a des juges et des écrivains, des scribes, fonctionnaires administratifs.

Les anciens, les scheiks et les juges formeront une sorte de noblesse qui demeurera distincte des saints, quand Israël sera devenu le peuple de Dieu. Ce jour-là, l’Éternel sera le maître absolu de tous et, nécessairement, le monarque » exercera le pouvoir de Dieu sur la terre. Sous la monarchie, les prêtres usurperont l’autorité des anciens, des chefs de famille ; les scheiks ne seront plus que les satellites du roi ; les juges seuls resteront, avec l’esprit démocratique des premiers temps.

Le monothéisme, engendrant la monarchie, devint un principe qui rendit les prédicateurs monomanes : Vous ne planterez pas dans votre verger deux espèces de plantes, dit le Deutéronome ; vous ne labourerez pas en attelant ensemble un bœuf et un âne ; vous ne vous revêtirez pas d’habits faits d’un tissu de laine et de lin. Un seul maître et des conseillers nombreux, telle fut la concession faite à l’esprit primitif.

Cette monomanie de l’unité aboutit aux propriétés inaliénables, revenant toujours au propriétaire, définitivement, démarquées par des bornes. Des intendants géraient ces domaines. Il fallut prévoir la misère qui résulterait de cette incapacité de posséder frappant le peuple, et l’exercice de la charité devint obligatoire. Le fruit des gerbes oubliées et les repas des dîmes furent réservés par la loi aux pauvres d’Israël. La même nécessité, sans doute, amena le législateur à comprendre les étrangers parmi les misérables, et ils furent, en sus du droit de glane et des produits de l’année sabbatique, admis devant les juges comme les égaux d’Israël.

Les pauvres gens qui ne pouvaient pas aspirer au droit de propriété, qui s’inquiétaient avec raison, pour l’avenir, de l’indépendance de leurs familles, accaparaient sournoisement la valeur représentative des domaines inaliénables, et ils s’en assuraient les revenus perpétuels en se faisant les créanciers onéreux des propriétaires. La loi vit le danger, interdit le prêt à intérêts entre Hébreux, ne le laissant loisible qu’entre Hébreu et étranger. On peut affirmer que l’ingéniosité hébraïque, très affinée, sut s’accommoder de cette loi restrictive, car la Bible est pleine de contradictions à ce sujet ; les Proverbes montrent, dans tous les cas, que les législateurs avaient pris leur parti des usuriers : Qui augmente sa fortune par des intérêts usuraires, amasse pour quelqu’un qui donnera aux pauvres. Le sage s’en remettait à la générosité du successeur du soin de réhabiliter l’usurier.

L’avènement de la monarchie en Israël est la démonstration flagrante d’une étonnante incapacité de gouvernement. D’Abraham à Samuel, tous les organisateurs de la nation hébraïque prêchent le monothéisme, et lorsque le peuple, convaincu, façonné à l’idée nouvelle, en arrive logiquement, inévitablement, à la conséquence du dogme, à la monarchie, c’est Samuel qui refuse au peuple le roi que le peuple exige. Et, nouvelle surprise, les rois d’Israël institués parle peuple, malgré les prêtres, contre les prêtres pourrait-on dire, se soumettent au corps sacerdotal pour ne pas périr dans l’aveuglement. Dans la maison de Dieu, dit le livre des Proverbes, le cœur du roi est un ruisseau, il le dirige où il veut. Juges suprêmes, souverains choisis, chefs des troupes, antagonistes des prêtres, les rois organisent le culte, préparant les armes dont ils seront frappés.

Les rois d’Israël, théoriquement, n’étaient pas des despotes ; il y avait autour d’eux une série d’autorités avec lesquelles ils étaient forcés de vivre : les scheiks, les prêtres et les prophètes. Du temps de Jérémie, Israël est encore divisé en roi, chefs, prêtres et peuple. Les Israélites approchaient de leurs rois facilement ; les rois ne cachaient rien de leur vie, pas même leurs turpitudes. Sans scandale, ils jouissaient de la royauté, suivant les mœurs asiatiques, ne se refusant aucun plaisir. Eh quoi ! fils de mes vœux, dit sa mère au roi Massa, d’après le texte des Proverbes, ne donne pas ta vigueur aux femmes, ne suis pas celles qui perdent les rois... Il ne sied pas aux rois de boire du vin, ni aux princes de s’enivrer.

Une armée de fonctionnaires et de serviteurs était aux ordres du roi. La cour était toute pleine de sages, la sagesse asiatique disant que la victoire dépend de la multitude des conseillers. Ces conseillers exerçaient une sorte de droit ; ils étaient, autour du monarque, ces hommes supérieurs, ces fils de Dieu dont parle la Genèse. Le roi, cependant, supportait mal cette tutelle ; lorsque sa personnalité fut assez forte pour secouer ce joug déplaisant, le despotisme royal s’affirma vite. Or ce despotisme était logique ; il n’était que l’omnipotence de Jéhovah déléguée, s’exerçant.

Le trésor royal, trésor personnel, absorbait tous les revenus, tous les bénéfices, s’alimentait du produit des butins, des tributs, des confiscations, des taxes qui frappaient les marchandises importées en Palestine ou qui traversaient simplement le pays. Des corvées étaient en outre imposées au peuple, qui faisait ainsi fructifier gratuitement les domaines du roi, jardins, parcs, pacages couverts de troupeaux. Avec ces revenus, le monarque entretenait ses serviteurs, sa garde et son harem.

La corruption la plus abjecte, asiatique, devait détruire cette royauté en entraînant Israël dans la chute. Babylone était de droit la métropole de ce petit royaume d’Asie tenté en Palestine, dont les souverains ne pouvaient être un jour que des satrapes. Israël, dira l’Ecclésiaste ce jour-là, n’est qu’une province d’un vaste empire où la cour est adonnée à la dissipation et à la débauche, où la propriété est sans garantie, où les parvenus de basse condition arrivent à de hautes dignités. — Et il ajoutera : J’ai vu des esclaves aller à cheval et des princes aller à pied.

Le grand exode de Moïse avait donc été inutile. Les Hébreux se trouvaient ramenés parmi leurs véritables compatriotes, les Chaldéens, après avoir subi de cruelles vicissitudes, s’être davantage corrompus. L’esprit démocratique de Gessen a disparu ; l’Ecclésiaste s’étonne de l’avènement des petits. Le dieu de Jacob n’a plus même un autel. Tout est à refaire. Tout sera refait. La Bible, reprise, sera revue, corrigée, tronquée, augmentée et amendée, en vue d’une Jérusalem nouvelle.