DE NABOPOLASSAR, le roi des Chaldéens, avait épousé l’Égyptienne Nitacris, fille d’un prince de Saïs. Sous son règne, de grands travaux furent exécutés à Babylone (625-607). L’Euphrate coulant droit par le milieu de la ville, et la vitesse de ses eaux, à l’époque des crues, étant un redoutable danger, un lit nouveau, tortueux, atténua le courant du fleuve. Des canaux d’arrosement, conçus d’après les usages égyptiens, donnèrent de la fertilité aux terres pauvres. On construisit sur quelques points des digues hautes et massives, qui maîtrisaient les plus hautes eaux d’inondations, et l’on fit un vaste lac artificiel, aux bords empierrés, solides, destiné à recevoir, à emmagasiner ces hautes eaux. Un pont monumental reliait les deux parties de la ville séparées par l’Euphrate, murées de quais bâtis. Le roi avait d’abord voulu que l’on construisît des forteresses du côté des Mèdes, qui étaient alors ses alliés. Nabopolassar avait l’exact sentiment de l’avenir. Ces travaux vraiment extraordinaires, ayant le caractère égyptien, très certainement dus à l’influence, sinon aux soins directs de la reine Nitacris, sont parmi ceux que les historiens grecs, amis du merveilleux, attribuèrent à la légendaire Sémiramis. Nabopolassar, qui s’inquiétait des ambitions du pharaon Néchao Il marchant sur Karkémish, envoya son fils Nabuchodonosor pour arrêter les Égyptiens. Ninive venait de succomber (606) devant le roi des Mèdes, Cyaxare. Nabuchodonosor vainquit Néchao II, et il le poursuivit de l’Euphrate
à la mer, jusqu’à Péluse, avec deux armées, l’une qui traversa le pays des
Philistins, l’autre, par Nabuchodonosor était à Péluse, victorieux, lorsque son père Nabopolassar mourut. Il partit aussitôt, laissant à des chefs dévoués le soin de transporter en Assyrie les prisonniers faits pendant la guerre, d’affermir la domination babylonienne en Égypte et en Syrie. Parmi les vaincus transportés en Babylonie se trouvaient un certain nombre d’Israélites. Historiquement, cette transportation partielle est l’acte initial de la véritable captivité d’Israël. Nabuchodonosor ne fut roi qu’au nom d’une autorité spéciale ; à Babylone, l’hérédité n’était pas un droit de gouvernement, le monarque devait recevoir l’investiture des prêtres, des mages de la caste des Chaldéens. Cette prétention se justifiait, car Babylone n’avait jamais eu le caractère d’une capitale, d’un centre impérial, mais d’une métropole religieuse, héritière directe de l’antique Our ; si bien, que la désignation de Ninivite ou de Babylonien indiquait toujours un habitant de Ninive ou de Babylone, tandis que le mot Chaldéen impliquait un homme appartenant à une caste, quel que fût son lieu de séjour. Ces Chaldéens cependant habitaient surtout Babylone. Nabuchodonosor, très glorieux de sa première victoire, voulut refaire l’empire. Ne pouvant rien tenter contre les Mèdes devenus très forts, incapable de s’étendre vers l’est en conséquence, il se tourna vers l’ouest que sa campagne contre Néchao venait de terroriser. L’indépendance du royaume de Juda l’impatientait. Il marcha donc contre Joïakim, le soumit, lui imposa un lourd tribut, s’appropria le trésor du temple, et emmena comme otages un certain nombre d’Israélites appartenant à des familles riches ou honorées. Parmi ces jeunes Judéens se trouvaient Daniel, Ananias, Misaël et Azarias. Joïakim se révolta, appelant les Tyriens et les Égyptiens à son aide. Les Égyptiens ne répondirent pas à l’appel du roi de Juda ; mais Nabuchodonosor accourut. La mort de Joïakim laissa le pouvoir à son fils Joyakim, que sa mère gouvernait (598). Nabuchodonosor s’en fut châtier Tyr d’abord, et il vint ensuite assiéger Jérusalem, malgré les supplications de la mère-régente. Les nombreux prisonniers israélites que le roi de Babylone avait faits en guerroyant en Phénicie, — environ dix mille hommes, — avaient été transportés vers Babel. Ayant pris et saccagé Jérusalem, pillé le temple et le palais, le roi de Babylone fit de nouveau transporter trente mille Judéens, parmi lesquels le monarque Joyakim et le prophète Ézéchiel. Après que le roi Joyakim eut quitté Jérusalem, avec la reine-mère et les eunuques, les officiers de Jérusalem, les forgerons et les serruriers, Nabuchodonosor donna comme roi aux Judéens, Sédécias, oncle du monarque captif. C’était un Israélite mou, plein de docilité, que des Chaldéens surveillaient cependant. Malgré cette surveillance, le roi de Juda se laissa compromettre dans une coalition contre Babylone, qui comprenait le pharaon Psamétik II, successeur de Néchao II, les chefs ou rois de Moab, d’Édom, de Sidon et de Tyr (595). Le prophète Jérémie se prononça hautement contre ce projet, conseillant la soumission aux Chaldéens, décourageant les patriotes, donnant au peuple le spectacle de son humiliation volontaire, se montrant au seuil du temple avec un joug au cou, accepté. Jérémie voulait que l’on subît la vassalité de Babylone.
Sa parole allait jusqu’en Chaldée pour y menacer les Juifs prisonniers, qui s’agitaient,
leur ordonnant de vivre en paix, comme heureux, parmi leurs maîtres ; et il
leur écrivait de Jérusalem : Voici ce que dit
Jéhovah, le dieu d’Israël, à tous les déportés que j’ai fait transporter de
Jérusalem à Babylone : Bâtissez des maisons et demeurez-y ; plantez des
jardins et mangez-en les fruits ! Prenez des femmes pour vos fils et mariez
vos filles, pour qu’elles deviennent mères à leur tour. Multipliez-vous et ne
laissez pas votre nombre se réduire. Ayez soin du bien-être de la ville où je
vous ai fait transporter, et priez l’Éternel pour elle, car son bien-être
sera aussi le vôtre. Le prophète acceptait la condamnation de
Jérusalem, qu’il avait lui-même prononcée, et il comptait préparer à Babylone
même, pendant la captivité, le peuple de
Nabuchodonosor avait de grandes inquiétudes. Le roi des Mèdes, Cyaxare, venait de mourir, laissant le pouvoir à son fils Astyage qui détestait les Babyloniens, pendant qu’en Égypte, au pharaon Psamétik II succédait Apriès dont les volontés étaient inconnues. Le roi de Babylone crut agir prudemment en ordonnant un coup de force à Jérusalem même, et il envoya son lieutenant Nabuzardain avec la mission d’assiéger et de frapper la ville où régnait le faible Sédécias. Le roi Sédécias, raide et
obstiné, s’appuyant encore sur l’Égypte, — ce roseau, — comptant sur l’insouciante Éthiopie, se mit en défense. Le
pharaon Apriès, par une audacieuse diversion, arrêta un instant la marche des
Babyloniens ; mais les Égyptiens eurent bientôt peur, et ils retournèrent en
Égypte sans avoir combattu. Alors tout le poids des hordes chaldéennes tomba
sur les Juifs. Jérémie prêchait encore la soumission. Ainsi qu’il avait
prédit l’effondrement de l’Égypte, il prophétisa que Après une longue année de tortures, la faim, horrible, maîtrisa Jérusalem. De plus en plus cruel, impitoyable, Jérémie étale ces horreurs devant les yeux de Jéhovah, avec complaisance, presque voluptueusement : Regarde, Éternel, et vois ! A qui en as-tu fait autant ? Des femmes se nourrissent-elles des fruits de leurs entrailles ? des enfants qu’elles ont portés ? Dans le sanctuaire du Seigneur, égorge-t-on le prêtre et le prophète ? Le jeune homme et le vieillard gisent étendus dans les rues ; nos vierges et nos adolescents sont tombés sous le glaive. Tu les as égorgés au jour de ta colère, tu les as immolés sans pitié. Tu as convoqué, comme à une fête, les terreurs, de toutes parts. Et le lamentateur ayant à formuler sa conclusion, s’écrie, tourné vers cet Éternel abominable, ce créateur bourreau de ses créatures : Tous mes ennemis apprennent mon malheur, se réjouissent de ce que tu l’as accompli... Puissent-ils avoir mon sort... Traite-les, eux aussi, comme tu m’as traitée pour mes péchés. Affamée, agonisante, quasi-morte, Jérusalem fut prise de nuit, en juillet (588), par une brèche faite au nord de la cité. Le roi Sédécias put échapper aux Chaldéens, avec les guerriers d’Israël. Mais les Chaldéens, le poursuivant, l’atteignirent dans la plaine de Jéricho, pour le battre et le conduire à Ribbath, où il dut assister à l’égorgement de ses jeunes fils et d’un choix d’otages faits parmi les nobles de Juda. Le roi eut ensuite les yeux crevés, et on l’emporta à Babylone, lié avec une double chaîne. Sédécias termina sa triste vie dans un cachot. Maître de Jérusalem, Nabuchodonosor avait désiré que l’on traitât Jérémie avec beaucoup d’égards. Cette récompense était due au nabi qui avait prédit et préparé la catastrophe. Le vainqueur fit incendier le temple et démolir systématiquement tous les édifices encore debout. L’ordre de transportation n’avait épargné que les vignerons et les cultivateurs de basse classe, et cependant le nombre des transportés ne fut pas très grand, parce que les soldats et les citoyens avaient fui du côté des montagnes, tandis que les citadins, reprenant l’antique chemin de l’exode, étaient allés vers l’Égypte, ayant peur des Chaldéens. Jérémie était avec ces derniers émigrants. Aux Hébreux demeurés en Judée, le roi de Babylone donna Godolias pour gouverneur. Godolias mourut assassiné. Les Judéens retournés en Égypte avec Jérémie, y intriguant contre la puissance babylonienne, Nabuchodonosor envahit le delta, par l’est. Et le roi d’Égypte ne fit plus d’expédition hors de son pays, car le roi de Babylone s’était emparé de tout ce qui avait appartenu au roi d’Égypte, depuis le ruisseau d’Égypte jusqu’au fleuve de l’Euphrate. Jérusalem détruite, l’Égypte domptée, Nabuchodonosor acheva son œuvre en pillant Tyr, la splendide. La constante jalousie d’Israël n’avait pas manqué de signaler à la rapacité du roi de Chaldée les richesses innombrables de la cité phénicienne, dont les vaisseaux allaient comme des caravanes et dont la gaîté faisait du bruit. Soit qu’il voulût détourner de Sion la convoitise chaldéenne, en lui montrant une plus belle proie, soit qu’il éprouvât une jouissance personnelle à voir Tyr disparaître en même temps que Jérusalem, Ézéchiel avait dit aux Chaldéens, sous forme de prophétie, comment ils devaient agir. — A Tyr : On pillera tes richesses, on ravira tes marchandises, on détruira tes murs, on abattra tes belles maisons ; tes pierres, tes poutres, la terre même, on jettera tout à l’eau. Et je ferai cesser tes chants bruyants, et le son de tes luths ne sera plus entendu. — A Sidon : J’y enverrai la peste, j’inonderai ses rues de sang, les morts joncheront son sol, quand l’épée se tournera contre elle de toutes parts, pour qu’on sache que je suis l’Éternel. Les haines de Jérémie et d’Ézéchiel s’étendaient sur tout le monde connu ; ils n’épargnaient même pas leurs alliés. Ils appelaient la colère de Jéhovah, et sur les Nomades dont les villes étaient sans murailles, et sur les Arabes aux tempes rasées, et sur les Édomites devenus imprudents et fous, et sur les Ammonites spoliateurs, et sur les Moabites tapageurs et orgueilleux. Celui qui refuserait son épée au jour du carnage, serait maudit. Le gouverneur des juifs, nommé par Nabuchodonosor, et que l’Hébreu Ismaël, de la maison de David, venait d’assassiner, avait été un patriote. Sous Godolias, l’ordre faisait la paix dans la ville, les coteaux revoyaient des moissons, les fugitifs se hasardaient au retour, le culte de Jéhovah enfin, provisoire, mais suffisant, renaissait. En frappant cet homme, l’assassin venait de tuer la nationalité du peuple de Dieu. Ce furent des satrapes, désormais, qui gouvernèrent Jérusalem. Et comme pour accentuer encore davantage, si c’était possible, l’anéantissement de l’œuvre hébraïque, les Hébreux retirés en Égypte, dans le delta, y lapidèrent Jérémie, parce que Jérémie voulait imposer l’adoration du Jéhovah terrible, vengeur, fléau, à ces malheureux qui avaient retrouvé, sur les bords du Nil, les divinités égyptiennes si douces et si bienveillantes. Le royaume de Juda était tombé sous les coups répétés,
continuels, des ambitions personnelles. Les querelles assourdissantes des
lévites, des prêtres, des prophètes et des rois, avaient tout envenimé, tout
sapé, tout détruit. Chacun, monarque, grand-prêtre ou nabi, avait eu la
prétention de donner sa loi ; et lorsque l’influence des prophètes devint
dominante, chaque prophète exprima sa volonté d’imposer son propre
commandement. Malgré l’influence égyptienne, malgré l’exemple des Philistins,
les Israélites, — ceux de Jérusalem surtout, — demeurèrent absolument
Hébreux, Chaldéens, Asiatiques, c’est-à-dire incapables de se constituer en groupe national, en association d’hommes animés
d’un sentiment identique, mus par un élan commun, guidés par un intérêt
général. Dans On peut dire qu’en transportant à Babylone les Israélites
de Térédon héritait de Tadmor, de Palmyre, la reine du désert, le lieu des palmiers, que le roi Salomon avait agrandie et fortifiée, que le roi Nabuchodonosor avait prise et détruite. |