DE LE successeur d’Assourbanipal, Assourédilili III, le Chiniladan des Grecs, est pour la
première fois peut-être le véritable roi d’un royaume d’Assyrie (647-635), compact,
bien déterminé. C’est qu’à l’orient de A l’espèce de confédération mal soudée, semi-iranienne,
semi-touranienne, d’abord formée, indécise, à l’est de l’Assyrie, en Médie,
et qui par ses hésitations, par ses incertitudes, avait laissé, notamment
sous Sargon, toutes les prétentions assyriennes se manifester, venait de succéder
un royaume. Phraorte, roi en Médie,
allait expulser les Assyriens, dominer Le royaume de Médie, fait, n’est stimulé ni par une
convoitise, ni par une jalousie, mais par un principe, par une idée. Il
continue le grand œuvre de Zoroastre ; il est la tradition vivante du royaume
iranien de Les Iraniens de Lorsque les Iraniens arrivèrent en Médie, ils y trouvèrent
des Touraniens presque sédentaires. Pendant un siècle environ (1000-900), Iraniens
et Touraniens vécurent en bonne fraternité dans ce milieu ; les premiers, grâce à leur merveilleux esprit de
tolérance, à la pureté de leurs intentions, à la grandeur de leur caractère ;
les seconds, sans doute, simplement séduits par la supériorité morale des nouveaux
venus. Le Touranien, déjà en Médie, s’y trouvait suffisamment installé ;
renonçant à la vie nomade, il avait le sentiment des concessions qu’exige l’existence
commune, il condescendait à se civiliser. Les Aryas arrivés de Il vint de Chaldée en Médie, presque aussitôt après l’émigration des Aryas-Iraniens, des devins, des prêtres, des mages, qui apportèrent au groupe nouveau un dieu très habilement imaginé, conciliant la divinité des Iraniens, — l’Ormuzd souverainement bon, — et la divinité des Touraniens, — l’Ahriman détestable, le dieu du mal. Le dualisme zoroastrien favorisait cette combinaison. Le législateur de l’Iran, Zoroastre, avait dû faire une part à l’influence touranienne, dans l’intérêt de son œuvre principale, accorder à Ahriman une place à la gauche d’Ormuzd. Les Touraniens étant les plus nombreux, dans cette Médie nouvelle, Ahriman l’emporta d’abord sur Ormuzd. Les Iraniens, paisibles, s’en remettaient à leur divinité ; les Touraniens, redoutant le dieu du mal, s’appliquaient constamment à le fléchir, manifestaient partout leur adoration intéressée. La tendance tatare, ou finnoise, de l’adoration du mal, et
la foi au bien qui caractérisait au
contraire l’esprit arya, entraînaient la religiosité médique en formation
vers un dualisme accentué, mais purement intellectuel, chacun gardant sa
pensée. Voici que les prêtres de Chaldée, les mages,
venus pour exploiter le peuple nouveau, apportèrent la conception asiatique
des divinités réelles, vivantes,
palpables, représentées, exigeant un culte, et ils entreprirent d’allier le
dualisme mazdéen au polythéisme chaldéo-assyrien. Bientôt apparurent, en
effet, dans les croyances de Dans ce commencement de corruption, un bon nombre d’Aryas,
pleins de l’idée zoroastrienne, passionnés de morale, demeurèrent purs. Parmi
eux, Arbace, chef de contingent dans l’armée
assyrienne, ayant la prescience de l’avenir, annonçant le royaume mède,
assiégea Assourlikhous dans Ninive, prit et détruisit la ville, et revint en
Médie, satisfait, laissant l’Assyrie à Phul, le Babylonien. Arbace mourut (764) après avoir gouverné, c’est-à-dire créé D’Arbace à Déjocès et à Phraorte (764-657), On voit suffisamment après Arbace, en Médie, la continuation d’une vie républicaine, un ensemble de petites communes, confédérées suivant le goût aryen, mais avec des essais contraires, des tentatives anarchiques ou impériales, touraniennes ou asiatiques. Il y eut en Médie, pendant cette période, tantôt un chef unique, reconnu, tantôt une quantité de rois, et même des assemblées populaires, toutes-puissantes, nommant des dictateurs. Aspabara, choisi pour combattre Sargon (720), fut un de ces dictateurs. La royauté devait s’imposer aux Mèdes dont le pays était ouvert aux invasions, de même que la confédération iranienne devait plaire aux Perses montagnards, bien abrités. Les premiers Mèdes eurent le tort d’aller battre les Assyriens dans la vallée du Tigre, de détruire Ninive, car ils se déclarèrent ainsi, et définitivement, pour les Babyloniens, pour les Chaldéens, contre les Ninivites. Or les Ninivites de cette époque étaient, en majorité, des Touraniens semblables à ceux qui avaient accueilli les Iraniens en Médie. L’alliance des Mèdes et des Ninivites eût été naturelle ; le premier choc fit du Tigre, de l’Assyrie du nord, un obstacle placé sur la route de l’Europe vers laquelle les Aryas se dirigeaient, d’instinct. C’est les prêtres de Chaldée, les mages, usant de leur
influence néfaste, qui avaient fait incendier Ninive par les Mèdes, au profit
des Chaldéens de Babylone, redoutables exploiteurs des Aryas. Et c’est parce
que L’union des Touraniens et des Iraniens de Médie, sous l’autorité de Déjocès, — le Dayaouk-Kou des cunéiformes, — témoigne de l’influence asiatique importée par les mages chaldéens. Déjocès fut un maître, un roi, un souverain asiatique, se faisant aussitôt construire un palais à Ecbatane (Hangmatâne), la ville entourée de sept murailles, dont chacune se distinguait par la couleur différente de ses créneaux. L’ornementation et le nombre des murailles sont des faits purement chaldéens. Ayant affirmé la nation médique et la souveraineté de son chef, Déjocès mourut (657), Assourbanipal régnant à Ninive. Phraorte (Fravartis), qui succéda à son père Déjocès, fut un
conquérant. L’histoire des sept premières années de son règne est obscure. Peut-être expulsa-t-il les
Assyriens qui, depuis Sargon, tenaient une partie du nord de Les Aryas de Roi de Médie et suzerain de Le vainqueur des Mèdes ne sut pas, ou ne put pas profiter de sa victoire. En pleine décadence morale, l’Assyrie était devenue comme incapable d’une action soutenue. Assourédilili prépara lui-même sa ruine en choisissant, pour gouverner Babylone, Nabopolassar, un Chaldéen patriote, très influent (626). En Médie, le successeur de Phraorte, Cyaxare, réorganisa vite sa «troupe», la divisant en phalanges régulières, en corps distincts, armés différemment, bien instruits, disciplinés. Nabopolassar, qui voulait s’affranchir de la suzeraineté ninivite, envoya des messagers à Cyaxare, conclut une étroite alliance avec le roi des Mèdes, dont il demanda la fille Amytis comme femme pour son fils Nabuchodonosor, en gage d’amitié. La mort d’Assourédilili III, attendue, étant annoncée, Nabopolassar se révolta, se déclarant seul roi à Babylone, et Cyaxare marcha contre Ninive (625). Nabopolassar s’était chargé de fonder à Babylone une puissance chaldéo-babylonienne, laissant à
Cyaxare le soin de tenir en échec, de mettre en impuissance l’Assyrie. Mais
Cyaxare n’était pas libre de ses mouvements. Il avait dû, à la mort de
Phraorte, batailler au nord de Ce ne furent cependant pas seulement ces Parthes qui
vinrent se placer entre Cyaxare et Ninive, mais des hordes voisines,
vaguement définies, — les Scythes, — et parmi lesquelles les hordes de La domination des Scythes, qui dura dix-huit années (625-607), parut très
dure, parce que les taxes imposées aux vaincus dépassaient souvent toutes les
possibilités. Il ne semble pas qu’en dehors de ces exigences leur joug fût
bien lourd, car leur tolérance permit aux peuples frappés de préparer
librement l’expulsion de leurs dominateurs. Ces Barbares eurent la crainte de
Les Mèdes se délivrèrent des Scythes par une trahison ;
les chefs, invités avec leur maître
Madyas aux fêtes d’un repas public, furent égorgés. La tradition veut qu’une
partie des envahisseurs se soient alors réfugiés dans
le Caucase, tandis qu’un grand nombre restèrent en Médie, comme esclaves dit un texte, cantonnés dans un district spécial ajoute un
autre récit. Il est certain que Délivré des Scythes, Cyaxare reprit la politique persistante des Mèdes, poursuivit la destruction de la puissance assyrienne au nord. Il s’allia de nouveau avec le Babylonien Nabopolassar et prit enfin Ninive, après un siège long et meurtrier (606). Cyaxare, en rage, ne laissa de la grande et belle ville d’Assur, pas une seule brique sur champ. Assur, dit Ézéchiel, s’élevait comme un cyprès du Liban... Mais parce qu’il s’était élevé avec orgueil, des étrangers sont venus qui l’ont coupé sur la montagne. — Ô roi d’Assur, dit Nahum, tous ceux qui ont appris ce qui t’est arrivé ont applaudi à tes maux. Le roi de Ninive s’était donné la mort. Avec Ninive, l’empire d’Assyrie
venait de disparaître, terminé. Babylone, au sud, ne pouvait être que la
capitale d’un royaume restreint, comprenant Les Mèdes tenaient le nord de l’Assyrie, avec l’emplacement de Ninive, entre les deux fleuves.
Leur succès inquiétait les peuples de
l’Asie-Mineure, dont les groupements divers, tout à fait formés, commençaient
à se disputer la prépondérance. Le roi lydien de la dynastie des Mermnades,
Alyatte, maître de Pendant que les Mèdes grandissaient et que Babylone héritait de Ninive, les Israélites s’épuisaient dans leurs habituelles dissensions. Neutres dans cette formidable lutte des Aryas représentés par les Mèdes, des Asiatiques représentés par les Assyriens, des Africains représentés par les pharaons de l’Égypte, les Hébreux, que les Scythes épargnaient, eussent pu se constituer solidement. Mais il s’était formé en Israël un parti militaire, qui voulait guerroyer. Cédant à ce parti, Josias prétendit arrêter les troupes du pharaon Néchao, — Néko, — le successeur de Psamétik Ier, qui marchaient vers l’Assyrie pour profiter (610), comme le fit Cyaxare d’ailleurs, du grand affaiblissement de Ninive. L’armée du roi de Juda
rencontra l’armée égyptienne à Mageddo. Le pharaon déclara qu’il ne voulait
que s’emparer de l’Assyrie, qu’il ne traverserait même pas Le pharaon Néchao, qui avait continué sa marche vers l’Assyrie, qui avait soumis Kadesh sur l’Oronte et menacé Karkémish sur l’Euphrate, renonçant tout à coup à son projet, établit sa domination en Syrie, s’arrêta à Ribbath, et envoya prendre Jérusalem. Le roi Joachaz, prisonnier du pharaon, fut transporté en Égypte où il mourut, ayant régné pendant trois mois. Néchao donna comme roi aux Judéens le fils aîné de Josias, Éliakim, que le peuple avait écarté malgré le droit ; mais il imposa au monarque, par une singularité bien égyptienne, un changement de nom. Éliakim dut se nommer Joïakim. Le suzerain frappa son vassal d’un tribut annuel de cent talents d’argent et un talent d’or. Le gouvernement de Joïakim justifia la répugnance des Judéens. Ce fut un despote, relevant les idoles abattues, organisant des corvées pour l’exécution de travaux publics, appliquant avec une cruauté froide les dures lois qu’il édictait. Le sang innocent coulait à flots à Jérusalem. Les serviteurs du temple, — les lévites, — jouissaient de la faveur du roi, instruisaient le peuple, détestant les nabis et les dénonçant à la rigueur du souverain. Le prophète Urie fut décrété de mort. Jérémie s’était assuré la bienveillance du monarque en prêchant partout contre les faux prophètes et les prêtres indignes. Un roi détesté, méchant, cruel, imposé au peuple par un
souverain étranger ; des prêtres supplantés par leurs serviteurs, les lévites
; des prophètes divisés, s’invectivant ; telle était La rencontre de l’armée égyptienne et de l’armée babylonienne eut lieu devant Karkémish même. Néchao, vaincu, dut abandonner toutes ses conquêtes en Asie. Jérémie se moque alors des Égyptiens : Préparez la rondache et le bouclier ! Marchez au combat ! Attelez les chevaux ! Montez, cavaliers ! Prenez vos rangs ! Mettez les casques ! Polissez les lances ! Endossez les cuirasses !... Mais quoi ! Que vois-je ? Les voilà culbutés, reculant d’épouvante ! Leurs guerriers sont écrasés ; ils courent, ils fuient sans tourner la tête !... Terreur partout ! Le prophète Habacuc, voyant mieux l’avenir, ne s’attardant pas, comme Jérémie, à ciseler une œuvre littéraire, annonce l’avènement de la puissance chaldéenne, le danger des Babyloniens, autrement redoutables que les Égyptiens du delta et les Assyriens de Ninive. Habacuc, dont le sens dramatique est très développé, obscur souvent en ses prémisses, illogique en ses déductions, mais concluant presque toujours avec une netteté tranchante, — se contentant, comme art, de la symétrie de ses strophes, — excelle à remuer ses auditeurs par le spectacle des rapines, des meurtres, des épouvantements qui sont la conséquence d’une défaite. Il désigne les ennemis avec arrogance, et met à nu toutes les turpitudes de leur idolâtrie. Cette violence stimulerait les cœurs, donnerait à ce pauvre peuple amoindri quelques heures de réaction noble peut-être, si l’orateur, après avoir crié sa pensée, ne tombait comme épuisé, devant tous, laissant voir au fond de lui la plus profonde et la plus fatale des désespérances. Jérémie pleure, impuissant ; Habacuc sanglote, démoralisé. Les Chaldéens qui avaient battu Néchao, le poursuivent
jusqu’aux frontières de l’Égypte, se substituant à la domination égyptienne
sur toute l’étendue de Jérémie continue l’œuvre désolante et irréfléchie d’Isaïe Ier ; ses lamentations tombent sur les bras d’Israël comme des coups de massue, à rompre les os. Pas une lueur d’espoir, pas une blancheur d’aube dans cette longue nuit. Le roi, furieux, seul, fait une clarté dans cette ombre épaisse en livrant au feu, publiquement, les livres des prophètes. Il ordonne d’arrêter, d’emprisonner Baruch et Jérémie. Le Deutéronome édictait la peine de mort contre les songeurs, contre les faux prophètes, faisant, avait dit Michée, de leur prétendu savoir un métier lucratif, ayant un intérêt à dire ce que les gens aimaient à entendre. Emprisonné, Jérémie ne se tait pas ; il continue à dénoncer la tyrannie de Joïakim, la corruption de Jérusalem, pleine d’étalons bien repus et vagabonds hennissant chacun après la femme de l’autre, la dépravation des courtisans, la lâcheté des prêtres subjugués par de faux nabis, l’infidélité et l’ingratitude du peuple : Les prophètes prêchent des mensonges, les prêtres gouvernent d’après leurs avis. — Malheur à moi, s’écrie Jérémie, malheur à moi, ô ma mère, de ce que tu m’as donné le jour, à moi, homme en querelle et en dispute avec tout le monde !... Tous me maudissent ! La malédiction populaire qui le poursuit, Jérémie la renvoie au peuple, violemment : Je suis plein de la colère de l’Éternel, je suis las de la contenir... La belle, la voluptueuse Sion, je la ferai périr. Et Jérémie ne mentait pas : c’est à sa voix, c’est à son appel haineux que le Chaldéen répondra, en venant à Jérusalem ; et c’est sous les coups répétés de cette parole prophétique qu’Israël tombera, découragé, impuissant, anéanti. Nabuchodonosor est à l’horizon déjà, menaçant. Et Jérémie dicte à nouveau ses œuvres littéraires que le roi Joïakim a fait détruire par le feu. Baruch en fit prudemment plusieurs copies. |