Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XIX

 

 

DE 905 A 704 Av. J.-C. - L’Égypte après Sheshonk. - L’Assyrie. - Salmanassar IV. - Samas-Bin. - Binlikhous III et Sammouramit (Sémiramis). - Salmanassar V. - Assourédilili II. - Assourlikhous (Sardanapale). - Arbace. - Phul-Balazou, roi de Babylone. - Téglath-Phalassar II. - Nabonassar. - Phacée et Achaz. - La grande faiblesse de Juda. - Transportation. - Salmanassar VI. - Le pharaon Schabak. - Sargon. - Mérodach-Baladan. - La nouvelle Ninive. - Le palais de Khorsabad. - Sennachérib.

 

AVEC Sheshonk, l’Égypte était un instant revenue à ses traditions antiques. Le pharaon belliqueux n’avait fait que montrer sa force aux juifs, prenant Jérusalem, pillant le temple, sans idée d’annexion. Les successeurs de Sheshonk laissèrent sa gloire inutilisée ; et ce fut au sud du Nil, en Éthiopie, qu’une Égypte nouvelle se forma, trop faible encore cependant pour inquiéter. C’est à l’empire d’Assyrie qu’allait échoir la domination.

Le roi de Ninive, Salmanassar IV, qui avait pressenti sa destinée, partit en guerre presque dès son avènement (905). La série de ses campagnes, distinctes, est nettement énumérée sur des monuments contemporains. Une confédération de princes syriens, menée par Ben-Hidri, roi de Damas, et qui comprenait des peuples venus du rivage de la mer, s’étant fiés à leurs pieds rapides, fut vaincue et dispersée par Salmanassar, à Karkar. Les troupes du roi d’Israël, Achab, avaient pris part à la bataille, ainsi que celles de Matanbaal, roi d’Arvad, d’Adonibaal, roi de Sidon, et de Djendib, scheik de Nomades venus d’Arabie. Les confédérés s’unirent une seconde fois contre Salmanassar IV (896), qui les battit de nouveau, prit et détruisit par le feu la ville forte de Karkémish. Un an après, le vainqueur était en Amanus, terrorisant le pays traversé, prenant quatre-vingt-neuf villes dont les habitants furent tantôt massacrés, tantôt emmenés en captivité. Une inscription dit qu’en 892, une armée de cent vingt mille hommes tenait les vastes territoires du roi d’Assyrie.

Pendant que Salmanassar IV guerroyait en Syrie, Babylone s’insurgeait, chassait son vice-roi Mardochinaddinsou, couronnait Mardochbelousati. Le suzerain employa deux années (898-897) à soumettre les Chaldéens de Babylone, à leur imposer de nouveau Mardochinaddinsou. Salmanassar IV franchit le Zab, pour aller guerroyer au nord de la Médie, jusques à l’est de la mer Caspienne (890), où campaient des Touraniens indépendants, redoutés. Puis il revint en Syrie, où le nouveau roi de Damas, Hazaël, l’inquiétait ; et l’ayant battu, bien qu’insuffisamment, il voulut retourner au mont Amanus (885), pour y couper des poutres de cèdre. Les impertinences d’Hazaël obligèrent Salmanassar à revenir pour le battre complètement. Les villes phéniciennes, Tyr, Sidon et Byblos, qui avaient peur, firent un acte de vassalité volontaire en envoyant des tributs au monarque victorieux. C’était pour se délivrer de ce même roi de Damas, devenu menaçant, que le roi d’Israël, Jéhu, avait appelé le roi d’Assyrie. Le bas-relief d’un monument de Salmanassar IV représente Jéhu prosterné devant le roi d’Assyrie, omnipotent.

Salmanassar IV prit l’Arménie (877), qui se souleva de nouveau quatre ans après (873), pour tomber sous les armes d’un général assyrien, d’un tartan. Cinquante villes d’Arménie, parmi lesquelles Van, furent pillées. Le roi était au nord de la Médie, dispersant des hordes de Touraniens, menaçantes.

Salmanassar IV régnait de la mer Méditerranée à la mer Caspienne, tenant son empire dans sa main, lorsque son fils Assourdaninpal, que vingt-sept villes soutenaient, se révolta. Le souverain accourut, mais les troupes se prononcèrent pour le rebelle, et Salmanassar, bloqué dans Ninive, y mourut. Babylone se fit indépendante en proclamant Mardochlatirib roi de Chaldée.

A la mort de Salmanassar IV (870), son fils aîné Samas-Bin ayant exigé le pouvoir, l’armée, intimidée, ne soutint pas Assourdaninpal, et le roi légitime vint à Ninive pour y établir sa souveraineté, avec l’aide des grands dieux, ses maîtres. Le roi d’Assyrie marche aussitôt contre Babylone, où régnait Mardochlatirib, soutenu par les Susiens et les Élamites ; il bat les Chaldéens, égorge cinq mille prisonniers sur le champ de bataille, et règne en paix, semble-t-il, ensuite, sauf une deuxième révolte des Chaldéens, peut-être, que le souverain châtia.

A Samas-Bin succéda Binlikhous III (857), dont l’empire, vaste, incontesté, allait de la mer du soleil levant à la mer du soleil couchant, et qui s’illustra en battant Marih, roi de Damas, qui vint embrasser ses genoux. Chaque année du règne de Binlikhous est marquée par une expédition. Ses armées victorieuses allèrent jusqu’en Ariane, sous l’Hindou-Kousch, ce qui était pour les Assyriens d’alors l’extrémité orientale du monde. Sous ce roi, la peste désola les villes assyriennes (849-834). A la cessation du fléau, le monarque ordonna la célébration d’une sorte de jubilé religieux (834), et il fit édifier un temple au dieu Nébo (833). La statue de cette divinité mentionne Sammouramit, l’épouse du prince, la Sémiramis des légendes.

Binlikhous fit bâtir des quais le long de l’Euphrate traversant Babylone, et construire un grand palais, quasi-pyramidal, en terrasses successives, plantées d’arbres. Ces œuvres émerveillèrent les Babyloniens, qui les attribuèrent à l’épouse du roi, à Sémiramis (Sammouramit). L’importance donnée à la reine par Binlikhous, fait unique dans les annales assyriennes, s’expliquerait en Égypte, où plusieurs pharaons ne tinrent que de leur épouse le droit de gouvernement qu’ils exerçaient. Binlikhous III aurait-il été un Égyptien, par sa mère ? Le caractère de ses travaux donne du poids à cette hypothèse. Il est évident que la part de gloire, sinon d’autorité, accordée à Sémiramis par Binlikhous III, est absolument contraire à l’esprit asiatique, si méprisant pour la femme. Peut-être Binlikhous voulut-il témoigner aux Babyloniens de ses sentiments pacifiques, en désignant Sémiramis comme régente. Sammouramit aurait, dans ce cas, régné nominalement à Babylone, et c’est ainsi que s’expliquerait l’attribution légendaire qui lui fut faite de travaux merveilleux ordonnés en réalité par le souverain ninivite, Binlikhous III.

Salmanassar V, qui succéda à Binlikhous III (828), dut agir en Arménie pour y réprimer des velléités d’indépendance (827-822), et maîtriser Damas (819) qui se dérobait. La guerre était l’inévitable vie des Assyriens ninivites. La Mésopotamie du nord, prise entre les montagnes arméniennes, le désert de Syrie, l’Iran et la Chaldée toujours en révolte, ne pouvait vivre que de butins, ne se maintenait que par la gloire de ses monarques batailleurs. C’est pourquoi les guerres s’éternisaient, à l’ouest, à l’est, au nord, seulement suspendues lorsque la Chaldée, sérieusement, secouait le joug de la cité impériale. Il en fut ainsi à l’avènement d’Assourédilili II succédant à Salmanassar V (818) ; plus de conquêtes, mais de continuelles insurrections. Une peste vint décimer les Assyriens (811-805), qu’une éclipse de soleil (13 juin 809) épouvanta. L’épuisement des hommes valut enfin à l’Assyrie une ère de paix (804). Assourédilili II laissa le pouvoir à Assourlikhous, non point à Ninive, abandonnée, mais à Élassar. Assourlikhous revint à Ninive, bravement (800). Deux expéditions guerrières, peu importantes, mais bien menées (795-794), lui permirent de faire la paix dans le pays, selon son vœu. Assourlikhous, — le Sardanapale de la légende, — sortait peu de son palais, vivant dans son harem, ignorant le peuple, ou le dédaignant, s’imaginant, comme le roi Salomon en Israël, que sa propre richesse, son propre repos et ses propres satisfactions étaient suffisantes. Une armée composée de mercenaires gardait mal le souverain, à qui les tributs étaient apportés de toutes parts, nombreux et riches, par les peuples encore assujettis, dociles et silencieux, mais ayant en eux le sentiment de leur délivrance prochaine. Le maître de Ninive s’enivrait d’encens, s’étiolait dans l’ombre fraîche de ses chambres royales, n’entendant guère que les chants voluptueux de ses femmes, ses trésors entassés étant la seule joie de son regard. La Ninive de Sardanapale, comme la Jérusalem de Salomon, toute resplendissante, allait disparaître, écrasée sous le poids de ses fausses richesses, accumulées.

Dans la troupe des étrangers gardant le roi, il y avait Arbace, chef des contingents mèdes. La légende raconte qu’Arbace vit son maître, un jour, dans le palais, vêtu en femme et filant du lin, au fuseau. Le fait peut être imaginé ; l’idée a l’importance d’un coup de massue. A Babylone, le prince vassal de Sardanapale était un homme violent, terrible, Phul, le Bélésis des historiens grecs. A l’est de la Babylonie, un Susien, Soutrouk-Nakhounta, voulait régner. Le Mède Arbace, le Chaldéen Phul et le Susien Soutrouk-Nakhounta s’unirent pour le renversement de Sardanapale. Le monarque était à ce point méprisé, que les conspirateurs ne donnèrent leurs ordres aux chefs de contingents, et aux princes vassaux, qu’après douze mois de préparatifs.

Chaque année, les contingents gardant les villes d’Assyrie se remplaçaient, et il en résultait un grand mouvement de troupes. Ce fut le moment choisi pour la révolte. A Kalach, quarante mille guerriers, debout, en armes, proclamèrent la déchéance d’Assourlikhous. Alors le roi sortit de son palais, apparaissant aux Ninivites comme un héros ressuscité. Pour ce despote blasé, la bataille devenait une distraction, la mort pouvait être une jouissance. Le peuple éprouva la fascination du mystérieux, et il obéit, terrorisé, à ce fantôme, à cette honte vivante soudainement sortie de sa corruption. Arbace, le Mède, l’Aryen, comptait sur sa bravoure ; Soutrouk-Nakhounta s’inquiétait ; Phul, lui, très Chaldéen, sachant pertinemment son rôle, croyait au succès. Trois fois Assourlikhous repoussa les attaques des mercenaires révoltés ; à la quatrième rencontre, Phul, prophétisant avec effronterie, dit que si les troupes gardaient leur position pendant cinq jours, les dieux interviendraient en leur faveur. Le contingent de Phul, tout Chaldéen, s’affermit dans sa foi.

Assourlikhous attendait de la Haute-Médie, des environs de la mer Caspienne, un contingent nouveau qui devait tomber sur les hommes de Phul et les disperser. Ce contingent, composé d’Assyriens, venu, se prononça pour la révolution. Assourlikhous, en rage, nais non désespéré, rentra dans Ninive, qui était bien murée. Un oracle mal inspiré, très imprudent, avait annoncé que la grande Ninive, imprenable, ne succomberait que si le fleuve, — le Tigre, — devenait son ennemi.

Le siège de Ninive durait depuis deux ans, lorsque les eaux du Tigre débordé vinrent abattre un pan du mur. La panique s’empara des Ninivites, qui laissèrent la ville ouverte aux assaillants. Retranché dans son palais, avec ses trésors et ses femmes, Sardanapale se prit à penser aux tortures possibles ; il conçut, en un éclair, toutes les horreurs qu’il eût été capable d’imaginer pour se venger de Phul et d’Arbace, et reculant d’épouvante, il se livra volontairement à la mort, avec tous les siens, dans les flammes d’un incendie.

La rage des Mèdes et des Babyloniens s’épuisa sur Ninive, qui fut détruite avec soin, et de telle sorte, que pas une pierre, pas une brique ne demeura intacte. Le débris d’une statue est tout ce qui reste de cette splendeur. Avec la cité impériale, disparut l’ancien empire assyrien, la vieille civilisation ninivite, touranienne. Et l’on vit trois groupes humains, distincts, se manifester : les Mèdes d’Arbace, les Babyloniens de Phul, les Susiens de Soutrouk-Nakhounta.

Phul-Balazou (789), ennemi réel de Ninive, vainqueur principal, — car Arbace n’avait recherché que l’indépendance des Mèdes, et le Susien ne désirait que son propre affranchissement, — Phul-Balazou, roi de Babylone, s’annexa toute l’Assyrie septentrionale avec les pays Araméens au nord de la Mésopotamie. C’est ce Phul qui s’en fut en pays d’Israël, précédé d’une réputation extraordinaire (770), et dont Manahem se déclara le vassal.

Cependant le départ des Mèdes et des Susiens, satisfaits, ayant rompu la coalition devant laquelle Sardanapale avait succombé, les Ninivites campés sur les ruines de leur ville, réunis, apprenant la mort de Phul (747), acclamèrent un prince descendant de Belkatirassou, qui prit le nom royal de Téglath-Phalassar II.

Aussitôt, Téglath-Phalassar II marcha contre les Babyloniens, qui se défendirent admirablement, mais succombèrent. Il reprit l’Osrhoëne et le pays au nord de la Syrie ; il battit avec facilité les Arméniens qui voulaient, imitant les Mèdes d’Arbace, s’organiser en peuple indépendant ; et il se dirigea vers la ville d’Arpad, en Syrie, qui le défiait. A Babylone, le successeur de Phul-Balazou (747), Nabonassar, se déclara hors de Ninive, accentuant cette séparation en faisant brûler « toutes les archives ninivites », comme pour anéantir le passé, inaugurant une ère nouvelle. Cette manifestation, l’histoire l’a consacrée ; la Nouvelle Babylone commence effectivement avec l’ère dite de Naborassar (747). Le siège d’Arpad, qui retenait le roi de Ninive en Syrie, favorisait singulièrement l’audacieuse tentative du roi de Babylone.

En Israël, le peuple venait de rendre à Phacée le trône de Samarie que Manahem II s’était approprié (733), et Phacée s’alliait à Rasin, roi de Damas, pour renverser Joathan, roi de Juda. Dans ce projet, Jérusalem devait être livrée à Ben-Tabeël, fait vice-roi en Judée, gouvernant les Judéens comme prince vassal du roi d’Israël régnant à Samarie. La mort de Joathan suspendit l’exécution de ce plan, qui fut repris, identique, contre Achaz son successeur. Achaz, troublé, appela à son secours les troupes de l’Assyrien Téglath-Phalassar II.

Le roi de Juda ne savait plus rien des traditions hébraïques. Ses dieux étaient étrangers ; il se prosternait devant les Baals de pierre et les pieux de bois. Le culte monstrueux du Moloch phénicien lui paraissait simple. Il ne fit point ce qui plaisait à l’Éternel son dieu, dit le Livre des Rois, il fit même passer son fils par le feu, selon l’abominable coutume des peuples que l’Éternel avait chassés devant les Israélites, et il sacrifiait et brûlait de l’encens sur les hauts lieux et sur les collines, et sous tout arbre touffu.

Téglath-Phalassar II, appelé par Achaz, accourut au moment où les troupes du roi de Damas et du roi d’Israël, — Rasin et Phacée, — venaient d’infliger une série de défaites au roi de Juda. Le roi de Ninive secourut trop son allié ; il prit Damas, tua Rasin, dévasta la Syrie, pénétra en Israël, et s’adjugea toute la Pérée et toute la Galilée, dont il transporta les habitants en Assyrie. Achaz s’effraya des convoitises assyriennes, et pour éloigner Téglath-Phalassar II, il lui remit tous les trésors du temple de Jérusalem.

C’est de Damas, où il s’était rendu sans doute pour s’humilier devant le monarque assyrien, que le roi de Juda envoya au prêtre Urie (Ouriah) le dessin d’un autel de Baal, surchargé de symboles, qui remplaça l’autel de Jéhovah dans le temple bâti par Salomon. Les divinités assyriennes prenaient possession de Jérusalem. Le sanctuaire du dieu d’Abraham et de Jacob fut bientôt abandonné, puis fermé.

Les Iduméens et les Philistins exploitèrent la grande faiblesse de Juda, en pillant la Judée, prenant des villes. Achaz mourut (727), privé de sépulture. En Israël, Phacée, qui subissait le joug assyrien, mourut assassiné par Osée. Téglath-Phalassar II, pensant que les transportations d’hommes qu’il avait ordonnées assuraient sa domination en Syrie et en Israël, était allé guerroyer à l’orient de la Mésopotamie, du côté de l’Ariane, jusqu’à la frontière de l’Inde croit-on, n’évitant que la Médie qui s’organisait. Il avait refait Ninive.

Salmanassar VI, qui succéda à Téglath-Phalassar II (727), vint en Israël avec son armée, parce qu’Osée venait de s’allier au roi d’Égypte, Schabak l’Éthiopien. L’Assyrie ninivite et l’Égypte éthiopienne allaient se mesurer. Salmanassar VI, plus prompt que Schabak, s’empara d’Osée qu’il emprisonna, et mit le siège devant Samarie. Le peuple de Samarie fut comme un Sardanapale à mille têtes, corrompu, affaibli, plein de jactance, étalant tout à coup devant la mort une invraisemblable audace. Là s’était retranchée toute la turbulente et guerrière aristocratie d’Éphraïm, prête à succomber, non sans gloire, devant les femmes voluptueuses de Samarie, ces vaches blanches de Basan qu’Amos dénonce et flétrit.

Salmanassar VI mourut pendant le siège (722), ne laissant que des fils en bas âge. Le général assyrien, le tartan Sargon, — Saryukin, — prit le pouvoir à Ninive, se débattit contre des prétendants, favorisé par une éclipse de lune bien interprétée. Sargon, devenu roi (718), refit l’empire de Sardanapale.

Sargon était un Touranien brutal, très fort ; son absorbante personnalité fut comme un fléau. Les inscriptions racontent ses fastes avec des formules turkomanes : Voici ce que j’ai fait... Son histoire est sans obscurités. Vainqueur des Élamites, il prit ensuite Samarie, emmenant en captivité 27.280 Israélites, qu’il remplaça par des prisonniers faits à Élam, auxquels il donna un de ses lieutenants comme gouverneur. Les Israélites captifs avaient été internés à Kalach et dans quelques villes de la Médie, tombées. Sargon pensait qu’en transportant, de l’est à l’ouest, et de l’ouest à l’est, les populations vaincues, ses victoires demeureraient définitives. Il entendait non seulement refaire, mais étendre l’empire d’Assyrie. Il battit le Philistin Hanon, roi de Gaza, l’Éthiopien Schabak, ou Sebeh, pharaon en Égypte, les troupes de la reine Samsié d’Arabie et le Susien Yatâamir, ce qui lui valut un magnifique butin de chevaux, de chameaux, d’or et d’aromates. Tyr ayant résisté à ses armes, il l’entoura, après avoir fait couper les aqueducs qui amenaient l’eau douce à la ville. Les inscriptions faites par son ordre, affirment qu’après avoir dompté la Palestine, la Syrie et la Phénicie, Sargon franchit la mer comme un poisson, prit Chypre, montra sa force en Asie-Mineure et dans l’Archipel.

Voici qu’un Syrien, Yaoubid, d’Hamath, mit en révolution les villes d’Arpad, de Simyra, de Damas et de Samarie. Sargon accourut. Je tirai les chefs des rebelles de chacune de ces villes, dont je fis des lieux de désolation, dit-il. Je pris Karkar et lui fis arracher la peau. L’Arménie s’étant soulevée, avec Urzaha, Sargon l’incorpora nettement à l’Assyrie : Les vingt-deux villes fortes d’Ullousoum dont Urzaha s’était rendu maître, je les incorporai... Je tuai tout ce qui appartenait à Urzaha l’Arménien. Une seconde révolte en Arménie valut à Sargon une seconde victoire. Urzaha se donna la mort, redoutant des tortures certaines, inévitables.

La Médie, la Parthyène, l’Albanie, la Cilicie et la Pisidie subissaient la souveraineté assyrienne. Azoury, roi d’Azoth, la ville philistine, s’étant obstiné à ne plus fournir son tribut, Sargon vint le frapper, rapidement : J’enlevai comme captifs, ses dieux, sa femme, ses fils, ses filles, ses trésors, le contenu de son palais et les habitants de son pays. Azoury disparut du côté de l’Égypte, fuyant jusqu’à Méroé, pays désert. Le roi de Méroé, qui était un pharaon distinct du roi d’Éthiopie, reçut le roi d’Azoth, mais se reconnut le vassal de Sargon. Le roi d’Assyrie se rendit en Commagène, puis en Albanie, pour y réprimer quelques soulèvements.

On peut considérer les fastes écrits de Sargon comme excessifs, douter d’une partie de ses victoires, nier la prise de Tyr ; mais il est certain que l’influence du roi d’Assyrie s’étendit très loin, jusques au delà des rivages, en Chypre certainement, aux îles grecques peut-être : Les sept rois du pays de Jatnan, qui est à sept jours de navigation au milieu de la mer du soleil couchant,... avaient appris mes hauts faits en Chaldée et en Syrie, et ma gloire qui s’était étendue au loin, jusqu’au milieu de la mer. Ils abaissèrent leur orgueil et s’humilièrent eux-mêmes ; ils se présentèrent ensemble devant nous à Babylone, portant des métaux, de l’or, de l’argent, des vases, des bois d’ébène et les fabrications de leurs pays. Ils s’inclinèrent devant moi.

Ces hauts faits en Chaldée, dont Sargon s’enorgueillit, c’est, à Babylone, l’écrasement de Mérodach-Baladan, fils d’Yakin, révolté (710-709). Mérodach-Baladan, roi de Chaldée, ayant cessé de respecter la mémoire des dieux, s’était allié au roi d’Élam, Khoumbanigas, ainsi qu’aux scheiks des Nomades, pour offrir la bataille à Sargon. Battu, Mérodach-Baladan abandonna dans son camp, dit une inscription, les insignes de sa royauté, la tiare d’or, le trône d’or, le parasol d’or, le sceptre d’or, le char d’argent, et il se retira en Basse-Chaldée, dans la ville de Dour-Yakin qui était fortifiée. Sargon prit Dour-Yakin : Je pris comme dépouilles et captifs, Mérodach-Baladan lui-même, et sa femme, ses fils, ses filles, l’or, l’argent, tout ce qu’il possédait... Je réduisis la ville en cendres ; je ruinai et détruisis ses murailles. Sargon revint à Babylone, où les successeurs de Nabonassar, inintelligents (747-709), avaient préparé la suprématie de la nouvelle Ninive. Sargon, refusant un roi aux Chaldéens, leur laissa Naboupakidili comme fonctionnaire, comme satrape.

Les ruines de la vieille Ninive, faite de boue, déplaisaient à Sargon qui fit délimiter un champ où sa Ninive à lui, sa capitale, serait bâtie, à seize kilomètres au nord de l’ancienne ville. Là fut inauguré, en l’an 706, et consacré religieusement, le palais de Sargon, — Dour-Sargon, Dour-Saryukin, Khorsabad. — pour remplacer Ninive, j’ai élevé, d’après la volonté divine et le vœu de mon cœur, une ville que j’ai appelée Dour-Sargon... Nisroch, Sin, Samas, Nébo, Ao, Adar et leurs grandes épouses, qui règnent éternellement en Mésopotamie, ont béni ces merveilles splendides, les rues superbes de la ville... J’ai bâti dans la ville un palais couvert en peaux de cétacés, avec des boiseries de santal, d’ébène, de sapin, de cèdre, de pistachier sauvage, un palais d’une incomparable splendeur, pour le siège de ma royauté... J’y ai écrit la gloire des dieux.

Le palais de Sargon était bâti sur une éminence artificielle de dix mètres d’élévation. Quatre grandes cours divisaient les salles, plus étroites que celles des palais antérieurs, ornées de ces grandes figures sacerdotales, — un prêtre étouffant un lion pour le sacrifice, — qui caractérisent la sculpture assyrienne. Des tours flanquaient le mur d’enceinte, très lourd ; un fossé protégeait la maison du roi. Sous les taureaux de pierre, gigantesques, ailés, gardant l’entrée de la belle demeure, les femmes d’Assyrie avaient jeté des talismans, en ablation des injures occasionnées par le creusement.

Sargon voulant que l’Assyrie devint fertile, dirigeait son esprit vers le repeuplement de ses vastes États. L’énumération de ses vœux, pompeuse, naïve au fond, dit en même temps, et le désir du roi et la misère du royaume : Sargon a ouvert des rues, aligné des murs ;... il a entrepris l’étude de la profondeur des étangs, comblé des ravins, dirigé des cours d’eau pour apporter la fertilité, en haut et en bas ». Et plus loin : Les régions du pays d’Assur étaient de vastes solitudes, des marais ; les mauvaises plantes avaient envahi les habitations ;... le pays était nu, et ne pouvait pas nourrir les troupeaux ; la terre n’était pas cultivée, le blé n’y croissait pas... Alors, j’ai requis des corvées d’hommes pour arracher l’ivraie de mon pays qui ne rendait pas sa valeur ; j’ai fait un examen approfondi de la dépense nécessaire pour faire revivre cette solitude, et j’ai résolu d’élever une ville (Khorsabad) eu cet endroit.

La ville nouvelle étant tracée, le palais du souverain étant construit, achevé (706), inauguré, un assassin ne permit pas à Sargon de faire revivre les vastes solitudes du pays d’Assur ; il mourut frappé par Agisés, deux ans après l’inauguration de son palais (704).

L’assassin de Sargon tenant Ninive, un Babylonien, Mérodach-Baladan II, vint le battre ; de telle sorte que Sennachérib succéda régulièrement à son père Sargon.