DE APRÉS la mort de Moïse, les Israélites voulurent passer le Jourdain. C’était une agglomération d’hommes rêvant d’un territoire où, sans travail, ils pourraient vivre une vie très douce, promise d’ailleurs. Sans les étrangers, qui formaient encore la grande majorité des émigrants, on eût difficilement obtenu la permanence d’une armée. Elle existait cependant cette armée, divisée en légions de mille et de cent. Écoutez, Israélites ! Vous allez aujourd’hui passer le Jourdain, pour soumettre des peuples plus grands et plus puissants que vous, de grandes villes avec des murs qui touchent au ciel. Le Deutéronome qui parle ainsi n’enregistre qu’une légende. Il n’y avait pas assez de discipline chez les Israélites au cou raide, alors, pour que leur chef osât les mener à l’assaut de villes fortifiées. Comme des sauterelles, la masse du peuple imprudent et insensé s’ébranla, sous la direction de Josué fils de Noun, et le Jourdain fut franchi, de l’est à l’ouest. La partie législative du Deutéronome, toute asiatique, toute chaldéenne, est contemporaine de cet événement ; la guerre y est une razzia et la victoire, un droit d’abus, complet : Vous jouirez du butin de vos ennemis que l’Éternel votre Dieu vous aura donné. Le législateur ordonne de ne pas couper les arbres fruitiers et de se saisir, pour les garder, des femmes étrangères. Le Jourdain passé, des espions pénétrèrent dans Jéricho, qui était la première ville à l’ouest du fleuve, en franchissant le mur d’enceinte, en descendant chez la courtisane Rahab, dont la maison était adossée aux remparts. Jéricho, la ville des palmiers, tombée «au bruit des trompettes, est livrée au pillage d’Israël. Chacun possédera ce qu’il aura pris, sauf les objets de métal, qui appartiennent au temple futur de Jéhovah. L’Israélite Akan, qui désobéit à cet ordre, fut lapidé et son cadavre brûlé hors du camp. Le Deutéronome, qui veut donner une très grande importance au passage du Jourdain, à la chute de Jéricho, sanctifie ces premiers actes de possession. Campés à Gilgal, tous les étrangers, qui étaient en si grand nombre dans la nation, durent subir le signe d’alliance, furent circoncis avec des couteaux de pierre, en un lieu qui garda le nom de colline des prépuces ; le livre ajoute que l’armée de Jéhovah ne pénétra sur la terre promise, devenue terre sacrée, que pieds nus. Les habitants de la ville d’Aï, à l’est de Jéricho, après Béthel, voulurent arrêter les envahisseurs qui les massacrèrent, après les avoir attirés dans une embuscade. L’armée d’Israël marcha ensuite vers le nord, jusqu’à Sichem, qui fut prise à son tour. C’est alors que Josué fit ériger, sur le mont Hébal, un autel où la loi de Moïse fut écrite, en gravure. Une coalition de Chananéens se forma pour résister à l’invasion. Les Khétas du sud, les Jébuséens, les Amorrhéens qui habitaient les montagnes et les Chananéens proprement dits tenant les plaines voisines de la mer et du fleuve, unis contre Josué, lui infligèrent une défaite. Surpris sans doute, certainement étonnés, les Israélites s’enfuirent, se dispersant. Ah ! s’écrie Josué, que ne nous sommes-nous décidés à rester au delà du Jourdain... que dois-je dire après qu’Israël a tourné le dos à l’ennemi ? Cependant un parti de Chananéens, — les Hévéens de Gabaon,
— s’étant prononcé pour Israël, Adonisec, roi des Jébuséens, réunit les
peuples d’Hébron, de Jérimoth, de Lachis et d’Églon, pour châtier l’allié des
Israélites. Josué provoque les cinq nations,
les bat, s’empare des cinq rois, pose son pied
sur leurs nuques et les fait pendre. C’est à propos de cette
bataille que le rédacteur de Josué prend Mackedab, Libnah, Lachis, Églon, Hébron,
Débri, dont il extermine les habitants. Tout le sud de Les tribus d’Israël se partagèrent le pays. Manassé et Éphraïm, ayant la succession de Joseph le prolixe, et qui étaient vigoureux comme des arbres dont les branches passent au travers du mur, reçurent d’abord leurs parts : Manassé eut la terre à l’est du Jourdain, du lac de Méron au sud du lac de Tibériade, et, à l’ouest du fleuve, une partie de la plaine de Saron ; Éphraïm eut, avec l’autre partie de la plaine de Saron, la montagne de Sichem, avec la ville, et un territoire allant à l’est jusqu’au Jourdain. C’est sur la terre d’Éphraïm que resplendira Samarie. A l’est du Jourdain, Gad le coureur eut la terre comprise entre le lac de Tibériade et la mer Morte. Le pays au sud de Gad, jusqu’à la frontière des Moabites, à l’est de la mer Morte, appartint à Ruben bouillant comme les eaux. A l’ouest du Jourdain, en descendant du nord au sud, la
terre d’Israël fut ainsi partagée : Nephthali, agile
et beau parleur, eut la partie comprise entre le lac de Méron et
le lac de Tibériade, mais pressé à l’ouest par Aser le berger gras, à qui la côte fut donnée, ayant
au sud la part de Zébulon le maritime qui,
malgré ce qualificatif, ne reçut ni une anse du lac de Tibériade, ni une
crique de Juda, le jeune lion,
eut le territoire au sud du groupe Dan-Benjamin, et la part de Siméon le maudit vint après, limitée à l’ouest par les
Amalécites, au sud par les Édomites. La tribu de Lévi, vouée au service de l’Éternel,
n’eut aucun territoire, mais il lui fut assigné quarante-huit villes ou bourgades, avec leur
alentour, et elle entendit sanctionner son droit à la dîme des fruits de la terre sur tout Israël.
Josué, pour sa part personnelle, eut la bourgade
qu’il demandait, Timnath-Sérah, dans les montagnes d’Éphraïm. Il bâtit la bourgade et s’y établit, dit Le partage étant fait, le tabernacle et l’arche d’alliance furent apportés à Siloh, sur le territoire d’Éphraïm, Josué étant un Éphraïmite. Un grand changement s’est produit dans l’organisation d’Israël. Moïse avait institué la dictature sociale, désirant une sorte de monarchie aryenne, paternelle, mais absolue ; or Josué n’est plus qu’un capitaine distribuant sa conquête comme un butin, se réservant sa part, formant une confédération dans laquelle sa propre tribu est favorisée. La conquête de Josué vieilli, inquiet, réunit le peuple à Sichem, lui ordonna de poursuivre sans pitié la guerre aux Chananéens, proscrivit avec véhémence le culte des dieux étrangers, fit édifier un monument commémoratif sous un chêne, voulut être enseveli dans «un roc de Timnath-Sérah » et mourut, plus imprévoyant encore que Moïse, sans désigner son successeur. Peu après mourut à son tour le grand-prêtre Éléazar. Ces événements s’accomplissaient dans la seconde moitié du quatorzième siècle (1350-1300) avant notre ère. Les dernières paroles de Josué, si belliqueuses, qui
contrastent avec les affirmations pacifiques de Les tribus de Juda et de Siméon obéirent aux derniers ordres de Josué en attaquant l’ennemi. La ville de Bezec, entre la mer et le Jourdain, succomba ; dix mille Chananéens y périrent, avec leur roi Adonibezec, supplicié. Les Jébuséens résistèrent dans Jérusalem, bien que les environs fussent occupés par les Israélites. Gaza fut soumise, puis Ascalon, puis Accaron, et enfin Béthel, livrée par trahison. Les tribus de Dan, de Manassé, d’Éphraïm, d’Azer, de
Zabulon et de Nephthali, qui ne ressentaient pas les ardeurs belliqueuses de
Juda et de Siméon, avaient accepté les Chananéens, vivaient avec eux,
épousaient leurs filles, condescendaient à leurs mœurs, nourrissant l’idée d’une
pacification définitive. C’est ainsi que pendant longtemps le littoral de Si les Israélites, sauf Juda et Siméon, désiraient vivre
en paix avec les Chananéens demeurés en Palestine, et si les Chananéens de Dans l’ensemble des onze tribus chananéennes qui étaient
venues (2500-2400)
expulser les Réphaïms, une, — la tribu des Sidoniens, ou des Aradéens, ou des
Sémaréens, — avait cherché sur la côte, pour s’y installer, un point
favorable, entre Byblos (Gebal),
au nord de Les Chananéens maritimes, ou Sidoniens, se mirent en
relations avec les Arabes dont il parlaient la langue, et ce fut aussitôt un
peuple de marchands n’ayant que la passion de l’enrichissement perpétuel, par
le courtage et le trafic, intermédiaires obligés entre les hommes de races
diverses, favorisant, avec les échanges des produits, les échanges des idées
et des corruptions. Ce sont là ces hommes de L’histoire de ces Chananéens maritimes, de ces Asiatiques,
de ces hommes de Phoinikié », est
divisée en quatre grandes périodes. La première se termine en l’an 1500 avant
notre ère, alors que les Phéniciens renoncent à
la vie nomade pour devenir des trafiquants. La deuxième période (1500-1000), ou
période de Sidon, très prospère, voit l’Égypte et l’Assyrie convoiter les
richesses phéniciennes, s’en disputer l’exploitation ; c’est alors que les
Sidoniens vont au loin fonder des colonies. La troisième période (1000-886), ou
période de Tyr, commence à la décadence de Sidon ; les bords de Venus de Chaldée avec l’unique connaissance des choses maritimes, les Sidoniens ne songèrent d’abord qu’à exploiter le désert mouvant si vaste devant eux, la grande mer verte. Les trafics qu’ils inaugurèrent prirent vite une grande extension, et c’est pour servir ce trafic, ressentant le besoin de correspondre et de noter, qu’ils empruntèrent aux Égyptiens les signes hiéroglyphiques au moyen desquels ils composèrent un alphabet. C’était le moment (2214) où des Chananéens nomades, les Pasteurs, — les Hyksos, — envahissaient la vallée du Nil. L’alphabet phénicien, avec ses vingt-deux lettres, servit à écrire les langues asiatiques, notamment l’hébreu. Les échanges de toutes sortes entre Égyptiens et Phéniciens furent constants. Les Asiatiques-Hyksos avaient importé en Égypte le dieu Phtah, puis Baal, Set, Astarté, Anata, et l’Égypte exporta en Chanaan presque toutes ses divinités. Il y eut un moment où les Phéniciens se vantèrent de leur origine égyptienne, se faisant enterrer dans des cercueils semblables aux cercueils de Thèbes, adorant les dieux comme on les adorait à Memphis, accouplant les noms des divinités asiatiques et des divinités égyptiennes comme pour former un unique panthéon. La grande et délicieuse forme divine que toute l’Asie occidentale adorera, tendrement, le mythe vraiment adorable d’Adonis, qui fit la gloire de Byblos, était un mélange d’histoire et de fantaisie où le souvenir de l’Osiris égyptien dominait. A l’heure de la fête annuelle, les femmes de Byblos allaient sur le bord de la mer, pieusement, le sein ému, recueillir la tête de l’amant de Baaleth, que le flot devait apporter, dans un vase d’argile, ou dans une corbeille de papyrus. C’est d’Égypte, c’est du Nil que venait ainsi, chaque année, le front divin de l’Adonis ressuscité. La recherche de l’étain indispensable aux fondeurs de l’Égypte
et de Tout à leurs trafics, n’ayant que la passion de la
richesse, les Sidoniens demeurèrent en paix avec les pharaons belliqueux,
Amenhotep Ier,
Thoutmès Ier,
Thoutmès III,
Séti Ier et
les Ramsès. Ils fournissaient de l’étain à l’Égypte, et l’Égypte leur donnait
des grains en échange ; ils prêtaient des vaisseaux et des marins aux
pharaons, et les pharaons les laissaient s’enrichir. Le lucre était à ce
point le but dominant et exclusif des Phéniciens, qu’alors qu’ils s’appropriaient
un territoire, au loin, pour y fonder une colonie, ils l’attribuaient au
pharaon régnant, ne se réservant que le monopole commercial des lieux
conquis. La flotte égyptienne, dans De 1700 à 1400, sous la domination égyptienne acceptée, la
prospérité de Sidon est merveilleuse. Elle trafiquait dans l’Archipel et dans
la mer Noire ; elle fondait Chypre (Citium) et Itanus en Crète ; elle semait en Asie-Mineure et
en Grèce des colonies qui devenaient aussitôt jalouses
de leur personnalité ; elle exploitait les mines d’argent de
Siphnos et de Cimolos, et les mines d’or de Thasos ; elle s’emparait de
toutes les criques, elle faisait franchir à ses navires l’Hellespont et le
Bosphore, imaginant la légende des roches symplégades prêtes à écraser quiconque tenterait de suivre ses marins.
De L’Égypte était le marché principal du trafic sidonien. Les
trafiquants Chananéens de Phénicie,
dans tout le delta, jusqu’à Memphis, avaient dans les villes leurs quartiers
distincts. Sidon était la ville-mère,
la métropole où les négociants et les marins s’instruisaient, où les
bénéfices venaient toujours aboutir. Aussi la mère
dominait-elle toute Pendant que Sidon s’améliorait au contact de la civilisation égyptienne, Tyr conservait, avec les traditions chaldéennes, toutes les abominations asiatiques, et notamment le dieu Melkarth, cône lourd, symbolique, monstrueux, donnant à l’idée lubrique l’ampleur du gigantesque, comme si l’énorme prouvait la supériorité. C’était l’aschèra, ou pieu de Baal, que les sages d’Israël maudiront et que les Assyriens adoraient, vénéraient, jusqu’à porter à leurs cous, suspendues, des pierres coniques semblables, protectrices et stimulantes. Tyr devait à ce culte, à l’habileté des prêtres chaldéens qui l’entretenaient, une autorité que Sidon n’osa pas lui disputer plus tard. Ce fut le centre religieux en Phénicie, comme Abydos en Égypte, comme Our en Chaldée, et les Sidoniens eux-mêmes y vinrent avec leurs piétés craintives. Chaque année, toutes les villes chananéennes de Phénicie, — Sidon avec elles, — envoyaient des ambassades respectueuses aux prêtres du dieu Melkarth, avec des présents et des victimes. Sidon manquait de prévoyance. Les Phéniciens se
précautionnaient peu d’ailleurs ; leurs ports étaient plutôt placés à l’extrémité
des caps exposés que dans le fond des baies couvertes ; le voisinage d’une
île suffisait à fixer leur choix. Ils furent surpris le jour où la marine
pélasgique vint leur disputer le monopole des trafics maritimes, et l’apparition
des Danaéens, d’un autre peuple de la mer,
les trouva pour ainsi dire sans défense. La fable des Argonautes n’est que la
légende de cette substitution. Des Pélasges, osant
passer entre les roches symplégades, s’en furent en Colchide, — à
Colchos, — conquérir la toison d’or,
cette source de la richesse phénicienne, tandis que d’autres, traversant Sans colonies, Sidon devait disparaître, car son territoire ne pouvait pas nourrir ses habitants. Tous les Chananéens que le brigand Josué avait épouvantés, étaient venus en Phénicie, du côté de Sidon, et Sidon les avait embarqués pour aller fonder au loin des colonies agricoles, ce qui était une innovation. On croit trouver en Béotie, à Thèbes, qu’habitaient alors les Aones et les Hyantes, un exemple de cette colonisation orientale, asiatique, dont le fondateur mythique serait Cadmus. La lutte du serpent fils de Mars contre Cadmus, symboliserait la répulsion qu’éprouvèrent les autochtones à accueillir les colons Chananéens. Des deux groupes tenant le pays, les Hyantes ayant été battus et expulsés, ce sont les Aones qui auraient reçu les Phéniciens. Ces Aones, nés de la terre, seraient les Spartes. Le phénicien Cadmus est chassé ; Penthée règne après le héros phénicien ; les Asiatiques s’imposent une seconde fois ; le fils de Cadmus, Polydorus, règne à son tour ; la lutte continue entre le Grec et le Phénicien, entre les descendants de Cadmus et ceux des Spartes, lutte terrible, lamentable, se prolongeant jusqu’à l’époque d’Œdipe, où le roman finit, où l’histoire apparaît. Mais ici la légende est très importante, parce qu’elle dit l’incontestable venue des Chananéens-Phéniciens en Béotie, incident dont les conséquences furent fatales au développement du génie grec. Cette expansion asiatique n’a pas seulement affecté Pendant que les Chananéens de Sidon, — maritimes et
agricoles, — quittant Les destinées de Trois groupes importants sont donc en présence, occupant
chacun une partie de Sur ces bords méditerranéens, orientaux, se rencontraient déjà les bêtes d’Europe et les bêtes d’Asie, depuis la gazelle des sables jusqu’au grand cerf, jusqu’au chamois. Il y avait des lions dans les forêts de Basan, et des ours furieux dans les montagnes. Les hyènes, les panthères, les onces et les sangliers, — l’animal des roseaux, — vivaient en Palestine et en Syrie aux temps bibliques. Les loups et les renards, comme le lapin, y étaient rares, mais des chacals innombrables, en troupes, peureux, voraces et hurlants, infestaient le pays. Dans les troupeaux des Israélites figuraient la chèvre de Mambré, aux longues oreilles, aux cornes petites, élégantes, au poil court, roux, et le mouton touranien à large queue grasse. Le berger qui menait paître ces bêtes, se creusait des trous d’abris dans la terre, et regardait le ciel étoilé, la nuit, comme en Chaldée. A la fête de la tonte, chaque année, des bergers d’Israël prophétisaient, comme à Our. Le bœuf et l’âne, domestiqués, venaient d’Afrique ; le
cheval, importé d’Égypte sous le règne de Salomon, d’origine touranienne, est
cité pour sa bravoure ; les Israélites
méprisèrent le chien, qui tenait cependant leurs villes propres. Ils n’aimaient
pas les bêtes, ces Asiatiques ; lorsque Moïse voudra protéger les oiseaux, il
ne songera qu’à la mère : Tu renverras la mère et
tu prendras les petits. Peu de poules. Le coq fut banni de
Jérusalem. Les aigles, les corbeaux et les autours de Il y a un étonnant parallélisme entre les bêtes et les
hommes venus en Palestine, de l’est, de l’ouest, du nord ou du Attirées par les fleurs admirables de L’erreur mosaïque s’acheva dans une ironie. En plein
chaos, sur le point le plus désolé, le moins défendable de cette terre
ingrate, Israël bâtit sa ville centrale, et il la nomma Jérusalem, — Yerouschalem,
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