Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE IX

 

 

La Bible. — L’histoire du peuple d’Israël. — La géographie biblique. - Moïse. - Divisions historiques. - Le Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. - Josué.- Les Juges. - Cantique de Déborah. - Ruth. - Samuel. - Les Rois. - Chroniques. - Esdras et Néhémie. - Esther. - Judith. - Job. - Les Psaumes. - Les Proverbes. - L’Ecclésiaste. - Le Cantique des cantiques. - La Sapience. - Tobie. - Jonas. - Suzanne. - Bel. - Les pages de Darius. - Baruch. - Les prophètes ou nabis.

 

UN groupe d’Asiatiques, — les Ibris, ou Hébreux, — originaires de la Basse-Chaldée, améliorés par un long séjour en Égypte, va prendre en Syrie, entre le Jourdain et la mer, une importance que les Rotennou et les Khétas n’y avaient jamais obtenue. L’histoire de ce peuple est racontée dans une collection d’ouvrages ayant entre eux, comme lien, le seul titre du recueil : la Bible, c’est-à-dire le Livre par excellence.

La reconstitution de l’histoire vraie des Hébreux, au moyen de la Bible hébraïque, fut une entreprise très laborieuse parce que la race à laquelle appartenaient les principaux auteurs du livre sacré, se distingue par son incapacité presque totale à concevoir l’idée d’une science historique, et qu’après Jésus, le christianisme ayant adopté la bible des Juifs comme base du système religieux nouveau, il y eut aussitôt, et jusqu’à nos époques, une sorte de respect craintif, parfois ordonné, interdisant toute critique.

Le premier écrivain, le premier historiographe hébreu fut le mazkir, ou moniteur, chargé par le roi David de rédiger les événements mémorables de chaque règne. C’était un fonctionnaire, une sorte de scribe à l’esprit exalté, à la vue courte, tour à tour véhément et flagorneur. Le décousu du récit, l’invraisemblance des épisodes intercalés, surtout l’évidente préoccupation de l’utilisation actuelle des faits racontés, nuisent à l’œuvre, la décolorent, quelque effort que fasse l’auteur pour donner à son style la fermeté qui manque à sa conviction. La poésie, admirable, y étouffe l’histoire ; et cette poésie elle-même, visant à l’utile, toute à son but, fragmentaire, n’a laissé ni une épopée ni une tragédie.

Richard Simon, le fondateur de la critique biblique au dix-septième siècle, donnant la première formule, voulut que l’on séparât, dans les cinq livres attribués à Moïse, ou Pentateuque, ce qui constituait la Loi, de tous les récits historiques qu’il considérait comme des parties récentes du recueil. Cette formule était audacieuse, car depuis Paul, la théologie chrétienne ayant donné aux textes bibliques une valeur appropriée aux besoins des églises, le monument hébraïque était devenu sacré.

En tant qu’œuvre historique, la Bible ne résiste pas à une simple lecture ; les incohérences, les contradictions, les impossibilités, accumulées comme à plaisir, s’y étalent à chaque page ; les affirmations s’y succèdent, souvent en un langage merveilleux, mais généralement avec une déplaisante effronterie. En acceptant sans contrôle les dires des écrivains hébreux, tout ce qu’il y a d’imaginé dans le grand œuvre écrit des Juifs a nui considérablement au vrai qui y est contenu.

La puérilité de la géographie biblique aurait dû cependant, et de très bonne heure, frapper les esprits. Depuis la description topographique de l’Éden, bien orientale, mystique, jusqu’à la désignation du point où se trouve Jérusalem, ce nombril de la terre suivant Ezéchiel, tout y accuse un absolu dédain de la science des lieux. L’appréciation du temps, ou chronologie, indécise, flottante, échappe à l’analyse.

Le premier livre, — la Genèse, — qui dit le commencement du monde, n’est qu’un emprunt aux ingénieuses théories de la Chaldée, et les généalogies de patriarches qui y sont gravement détaillées, manquent totalement de précision, sont incomplètes. L’importance des ascendants chez les Hébreux, comme chez les Arabes, a fait écarter tous les personnages non marquants et augmenter la durée des ancêtres dont la tradition a conservé les noms glorieux. Les Israélites ne comptaient d’ailleurs que par générations, et la base de ce calcul, exagérée, — quarante ans en moyenne, — est un élément de continuelles erreurs d’appréciation. C’est ainsi que le texte grec et le texte samaritain de la Bible ne concordent pas avec le texte hébreu, quant aux dates principales.

A défaut de monuments, la Bible fut presque l’unique instrument d’étude dont disposèrent les historiographes. Le commencement du recueil se divisait bien en cinq parties : la Genèse, ou livre des origines, l’Exode ou livre de l’émigration, le Lévitique ou livre des prêtres et du culte, les Nombres ou livre des recensements et enfin le Deutéronome ou livre de la seconde loi. Les autres livres du recueil se placent avec moins de certitude.

Aucun auteur biblique n’ayant signé son œuvre personnelle, une grande difficulté en est résultée pour le classement général. Les rabbins, reculant devant la gravité de cette classification, ont désigné les livres divers par l’un des premiers mots de chacun d’eux. En appliquant aux autres livres, comme aux cinq premiers, une méthode d’ordre probable, on a mis en tête, avec raison, les Héros, puis les Prophètes, ensuite les Prêtres, enfin les Légistes. Cet ordre est conforme à la suite historique de la vie d’Israël ; mais il ne saurait être absolu, un prophète comme Isaïe notamment, quoique postérieur à la période des prêtres, pouvant être considéré comme un héros. En réalité la Bible n’est pas un livre d’histoire, mais elle contient des éléments historiques très précieux, en grand nombre, qu’il faut dégager et placer à leur date. Il est douteux, par exemple, que Moïse sût écrire, alphabétiquement au moins, et il est certain que les Hébreux de la vallée de Gessen emmenés en exode par Moïse ne savaient pas lire, eux, et que par conséquent le code en cinq volumes qui est attribué au législateur des juifs ne fut écrit que beaucoup plus tard ; mais on doit retrouver dans ce code, formulé longtemps après la mort de Moïse, des idées, des prescriptions vraiment mosaïques, bien conservées.

L’histoire peut maintenant fixer, avec une suffisante exactitude, le cycle de l’évolution israélite. En l’an 1300 avant Jésus-Christ, le peuple d’Israël campé en Égypte, sur la terre de Gessen, a pour la première fois la conscience de son être ; en 450 le judaïsme est accompli. Avant 1300 c’est la période vague, fabuleuse, mythique ; de 1300 à 450 c’est la période héroïque, militante, ambitieuse ; en 450 l’expérience est terminée, la preuve est faite de l’impossibilité d’un empire juif.

La période mythique, exposée dans la Genèse, est toute chaldéenne ; c’est avec les fragments de Bérose que l’on parvient à y placer quelques dates. Dans la période héroïque, deux faits précis, indiscutables, donnent un excellent point de départ : c’est l’avènement du fils de Salomon et le schisme des dix tribus d’Israël, qui eurent lieu en l’an 975 avant notre ère, soit 387 ans avant la destruction du premier temple et la fin de la monarchie israélite (588).

Les principales divisions de l’histoire primitive d’Israël sont : les Origines, depuis l’arrivée d’Abraham en Chanaan jusqu’à la mort de Moïse ; la République, de Moïse à Samuel ; les Rois, de Saül à Sédécias. Les grandes périodes de l’histoire militante sont : la  première, qui aboutit à la formation de la monarchie de David ; la seconde, qui se termine avec la ruine de Jérusalem ; la troisième, qui vit les Juifs asservis, englobés dans l’empire asiatique ; la quatrième, qui s’inaugure au mouvement insurrectionnel dont l’indépendance de Jérusalem résulta et qui aboutit à la destruction définitive du royaume des Israélites.

Les livres qui forment la Bible actuelle n’étaient probablement pas les seuls qu’eussent les juifs. Un certain nombre d’ouvrages, délaissés, détruits peut-être, devaient compléter le Code et les Annales hébraïques, réunis en un corps après la captivité, c’est-à-dire au moment de l’essai vraiment politique, et très beau, de la constitution positive d’un royaume juif. Innombrables sont les travaux au moyen desquels on a essayé de mettre en lumière les parties réellement anciennes de la Bible et d’assigner à chaque livre, avec sa date d’origine, celle de sa dernière rédaction.

L’unité de la langue biblique ne prouve pas un rédacteur unique, mais elle accuse un moment de révision générale, de coordination, de corrections. Le Pentateuque, collection des cinq livres dits mosaïques, et qui est la charte du judaïsme, résume, mais ne peut pas édicter les idées religieuses, les principes de droit civil, les institutions du culte et les traditions nationales d’une époque antérieure, de dix générations au moins, à l’époque de sa promulgation (600-500). Mais dans l’ensemble de lois, de doctrines, de récits qui forment le Pentateuque, se trouvent certainement des parties pieusement reproduites parmi lesquelles une saine critique doit reconnaître l’œuvre personnelle des grands Hébreux, depuis Moïse et Josué, Samuel et Saül, David et Salomon, Joël, Amos et le premier Isaïe, jusqu’à Jérémie, Ezéchiel, le deuxième Isaïe et Aggée.

L’absurdité naïve et la franche ignorance qui caractérisent certaines pages du Pentateuque marquent leur ancienneté. Promulgué au sixième siècle avant notre ère, le Pentateuque ne sait pas l’existence des Perses, et il parle cependant de Ninive comme d’une capitale centrale, de Babylone comme d’une ville subordonnée ; or le code inséré dans les livres mosaïques ne peut avoir été rédigé qu’à Babylone. La civilisation que le code d’Israël règlemente est sans aucun rapport avec la civilisation des Hébreux au moment de leur sortie d’Égypte, alors qu’ils campaient dans le désert ; il ne s’appliquerait même pas, ce code, à la vie des premiers occupants de Jérusalem.

Œuvre de temps et d’idées diverses, le Pentateuque, véritable code de l’avenir, voulu par ceux qui rêvaient et préparaient à Babylone la constitution de l’empire israélite et sa domination universelle, est une collection de fragments appartenant à toutes les époques, de l’an 2000 à l’an 600, c’est-à-dire depuis la sortie d’Abraham de Chaldée, jusqu’au jour de la formation de la Bible et de sa promulgation.

La divinité du Pentateuque elle-même accuse plusieurs tendances. Le dieu des premiers juifs, le dieu des Hébreux, c’est Élohim ; le dieu des Juifs organisés, des Juifs de Jérusalem, c’est Jéhovah. La différence des deux esprits est tellement évidente dans les cinq livres attribués à Moïse, qu’on a supposé deux rédacteurs, le Jéhoviste et l’Élohiste, le moderne et l’ancien. C’est au moment où la direction des Israélites passe de la main des prêtres à la main des légistes, que le Pentateuque apparaît, fini, avec une législation récente, introduite dans la trame de récits anciens conservés par la tradition, orale probablement.

Ce mélange de souvenirs antiques et de prescriptions actuelles, a fait des livres mosaïques un problème devant lequel de forts penseurs ont hésité. Luther, appréciant le Pentateuque, ne s’effrayait pas à l’idée que Moïse ne l’eût pas donné. Il est remarquable en effet qu’avant Jérémie Moïse est presque un inconnu. Ce sont les auteurs du Pentateuque, ces pandectes hébraïques, qui attribuent eux-mêmes à Moïse l’ensemble de la loi qu’ils viennent de codifier, sans doute pour que les Israélites respectent aussitôt cette compilation. La morale et l’ordonnance du Pentateuque, comme son ethnographie et sa géographie, Moïse n’aurait pas pu les prévoir ; cependant il y a dans les cinq premiers livres de la Bible, des faits de mœurs, des coutumes, des tendances qui sont antérieures à Moïse certainement.

Lorsque la Bible fut arrêtée et donnée aux Juifs, elle venait de subir des modifications profondes. Pas un seul des livres de l’Ancien Testament ne nous est parvenu intact.

Le Pentateuque, préparé par un corps de prophètes, dans un silence méditatif, devait donner au peuple hébreu, que rongeaient les vices de sa constitution sociale et la dissolution de ses mœurs, les éléments d’un droit public certain, défini, imposé. La dernière rédaction en fut arrêtée pendant l’exil.

Le premier des cinq livres formant le Pentateuque, — la Genèse, — pose solidement la base de l’édifice hébraïque. Tout est créé par Dieu, dans une période de temps déterminée, au nom d’une volonté suprême. L’exposé de cette cosmogonie est emprunté, presque littéralement parfois, à la cosmogonie chaldéenne, avec quelques incidents égyptiens. La terre était informe et toute nue ; les ténèbres couvraient la face de l’abîme ; l’esprit de Dieu était porté sur les eaux. L’esprit de Dieu c’est Chnouphis, le Noum égyptien, naviguant sur le liquide primordial. Le récit chaldéen de la création, inséré dans la Genèse biblique, était écrit déjà sur les tablettes assyriennes entre l’an 2000 et l’an 1500 avant Jésus, antérieurement donc à l’existence de Moïse. La formule des dix patriarches et le récit du déluge sont d’origine chaldéenne également.

La Genèse est une collection de fragments mythologiques de toutes provenances, un assemblage de traditions devenues communes chez les Asiatiques répandus des bords de la Méditerranée jusqu’à la double vallée assyrienne, et un peu au delà. La forme que le rédacteur de la Genèse spécialement hébraïque a donnée à son récit est presque identique à la forme babylonienne. Le culte primitif de la Genèse a le caractère védique, simple, grand, naturel : autel de pierre, libations onctueuses, consécrations par les mains étendues, Dieu nommé par son nom, offrandes de végétaux et d’animaux, bûcher consumant les offrandes, la flamme brûlant le don pour qu’il monte tout entier vers le dieu.

La partie géographique de la Genèse est entièrement phénicienne, postérieure donc au règne de Salomon. L’histoire y est naïve, intercalée d’ailleurs, très hardie ; le récitant donne aux lieux de l’exode des dénominations qui ne pouvaient pas exister à l’époque de l’émigration hébraïque.

Le deuxième livre du Pentateuque, — l’Exode, — est l’épopée nationale d’Israël, le récit de la sortie d’Égypte. Ce poème en prose est relativement récent, puisque la contribution exigée des Israélites y est évaluée d’après le sicle du sanctuaire de Jérusalem. L’auteur ignore ce qu’était l’Égypte du temps de Moïse et comment les Hébreux y vivaient ; mais avec quelle habileté il coupe son récit, très intéressant, de prescriptions législatives, pour que le roman devienne un code. C’était le but principal du rédacteur.

Le code par excellence du Pentateuque ce serait le Lévitique ; mais il fut si souvent remanié, que l’on y chercherait vainement une impression exacte. Ce ne fut qu’une sorte de nomenclature, un répertoire de lois d’origines diverses.

Le quatrième livre du Pentateuque, — les Nombres, — est un entassement de formules, désordonné, dans un cadre historique douteux. Le but du rédacteur, seul, est évident ; il n’écrit que pour donner une sanction légale au privilège sacerdotal de la famille d’Aaron.

Le Deutéronome, cinquième et dernier des livres attribués à Moïse, promulgue une législation nouvelle, différente souvent de la législation des premiers  livres, tout à fait contradictoire parfois. L’auteur du Deutéronome est un sage qui veut condenser raisonnablement la masse des incohérences jetées dans les premiers codes, — Genèse, Exode, Lévitique et Nombres, — et donner au moins de la vraisemblance aux récits surprenants imaginés. Il reprend l’exode guerrier, dont il coordonne les éléments, et semble avoir médité son œuvre. On dirait, un instant, qu’il cherche à faire excuser Moïse en atténuant ses prescriptions exagérées. Pour l’auteur du Deutéronome Moïse est irresponsable, car il ne fut qu’un intermédiaire entre la divinité courroucée, tonnante, et le peuple coupable, affolé, corrompu. Cependant l’esprit asiatique n’a pas abdiqué, et dans un désordre au moins relatif, l’auteur n’épargne pas aux Hébreux les ordonnances arbitraires, mélangées de préceptes d’une morale douteuse, d’une préoccupation d’offrandes qui dénonce un prêtre avide, au moins un lévite exigeant.

Les autres livres de la Bible appartiennent aux époques qu’ils racontent ; ils ne contiennent presque rien qui soit de nature à jeter quelques franches lueurs sur les commencements du peuple d’Israël. De même que le Pentateuque fut composé dans un but précis, au moment où les législateurs hébraïques voulurent donner une constitution et un culte au peuple, ainsi les autres livres ne devinrent historiques, consacrés, qu’en vue de la Jérusalem nouvelle conçue pendant l’exil.

Le Livre de Josué raconte les incidents qui précédèrent la conquête de la Terre promise, la soumission du pays, la répartition du territoire entre les tribus. Les exagérations, les impossibilités, les vantardises s’y succèdent comme de parti pris ; la légende y englobe jusqu’à la géographie, incroyable ; les chiffres s’y contredisent continuellement. Plusieurs narrateurs se réunirent pour former ce livre, probablement sans se préoccuper de mettre en concordance leurs récits.

Le Livre des Juges, qu’il serait plus exact d’appeler le livre des chefs, ou des héros, est un choix de traditions, écrites et orales. Il paraît avoir été composé en trois fois. Le Cantique de Déborah, qui y est intercalé, est une merveille ; c’est un poème, simplement, exaltant Baraq vainqueur des Chananéens.

Le Livre de Ruth, symbolique peut-être, exclu des livres prophétiques orthodoxes, semble en effet avoir été mal placé dans le recueil.

Les Livres de Samuel, — Ier et IIme, — sont bien historiques. De longues parties se font remarquer par l’absence absolue de préoccupations religieuses. Des inexactitudes volontaires y servent les intérêts du rédacteur. Le respect des choses sacrées, la crainte du monarque, l’omnipotence du prophète y sont formulées à l’aide de récits miraculeux. Des poésies sont placées dans le texte, çà et là, extraites d’anthologies poétiques antérieures.

Les Livres des Rois, — Ier et IIme, — sont à eux seuls une constitution. Le culte est centralisé, l’autel est unique, le prince est subordonné au prêtre ; David lui-même, mourant, y ordonne la soumission à la loi écrite de Moïse. La personnalité des prophètes est devenue dominante. Les contradictions les plus étranges prouvent que les livres des Rois ne sont qu’un mélange de notices, de notes, de lambeaux de chroniques, cousus au mieux le mieux, mais sans art. Deux relations principales paraissent en constituer la trame. Ce ne sont, brodés dans ce tissu, qu’événements extraordinaires, miracles, incidents bizarres, ridicules, drolatiques parfois.

Les Chroniques, — Ire et IIme, — exposent une conception théocratique. Les dieux étrangers sont bannis, brisés, condamnés avec véhémence. La partie historique en est presque absurde. Les exagérations numériques du rédacteur donnent des armées supérieures en nombre à l’agglomération totale des nations en présence. On a qualifié l’auteur des chroniques de falsificateur intentionnel. Le style en est bas, entaché d’araméenismes. Un grand étalage de prétentions généalogiques, d’énumérations sacrées, de réglementations sacerdotales, — fêtes et cérémonies, multipliées, — de mensonges très détaillés, de fantaisies imperturbables, font de ce recueil spécial une œuvre de haute curiosité. L’auteur, d’une ignorance sereine, ne se préoccupe que de glorifier la théocratie, de faire tenir toute l’histoire d’Israël dans l’histoire de Jérusalem, de mettre au-dessus de tout, uniquement, le sacerdoce et la royauté. Le passé, les traditions, les œuvres écrites, rien ne l’embarrasse ; il modifie les textes, il ajoute, il retranche, il corrige, il supprime ou il crée, sans vergogne, tout à son idéal politique, absolu. Le chroniqueur avait la prétention d’expliquer ce qui était demeuré jusqu’alors inexplicable, de remplir toutes les lacunes des fastes d’Israël. C’est pourquoi les Grecs appelèrent les chroniques de Jérusalem, les paralipomènes, ou recueil des choses omises.

Le Livre d’Esdras est légendaire. On raconta que son auteur, après la ruine du temple de Jérusalem et la disparition des livres de la loi, s’étant retiré dans le désert, revint après quarante jours, ayant, dans sa retraite, intégralement recomposé le trésor national. Ce livre, en effet, est un second code où le savant légiste osa formuler sa pensée personnelle, importante, en la couvrant des traditions mosaïques. Ce qu’Esdras avait fait pour la loi, Néhémie le fit pour la coutume, codifiant à son tour, indépendamment d’Esdras, les traditions admises, continuées. Le style original de Néhémie, net, simple, en fait un Aryen. Son œuvre constitue le Livre de Néhémie.

Néhémie et Esdras sont des réformateurs. L’exil des juifs à Babylone a cessé ; Cyrus a autorisé la reconstitution du temple de Jérusalem, que les querelles des Israélites ne permettront pas d’édifier d’ailleurs, et Darius vient confirmer l’autorisation donnée par Cyrus. Une nouvelle colonie de Juifs, conduite par Esdras, sous le règne d’Artaxerxés Longue-Main, se dirige vers Jérusalem. C’est pour ce noyau d’Israélites réformés qu’écrivent Néhémie et Esdras, ou tels autres réformateurs, encore inconnus, aux travaux desquels ont été donnés les noms d’Esdras et de Néhémie.

Après les œuvres cosmogoniques, sociales, sacerdotales, historiques et constitutives de la Bible hébraïque, il y a les œuvres philosophiques, morales et littéraires. C’est le Livre d’Esther, que Luther expulsait du recueil sacré ; — le Livre de Judith, roman patriotique, dont l’original est perdu, que la Bible grecque recueillit, que le concile de Trente admira, comme délicieux ; — le Livre de Job, que l’on a cru antérieur aux livres mosaïques, œuvre d’un bavard irrésistible, divaguant, poésie fine, bien asiatique, toute de forme, dont la bizarrerie favorise et excuse â l’avance toutes les suppositions. On a pensé, non sans vraisemblance, que l’auteur aurait voulu, sous une forme ingénieuse, très hypocritement, attaquer et vaincre un dieu détestable, le Jéhovah d’Israël, en en décrivant les œuvres.

Les Psaumes, attribués à David, composés après la promulgation de la loi, sont l’âme de la Bible. Il importe peu de discuter le classement de ces morceaux, car ils s’imposent comme une chose vivante. Ce recueil embrasse dix ou douze siècles d’émotions. Tout est dans ce livre, depuis l’Indra védique qui fit le ciel de ses mains, soleil resplendissant, époux de l’aurore, guerrier fournissant sa carrière dans le firmament, jusqu’aux pensées grecques, dites en hébreu. Des poèmes lamentables, funèbres, effrayants, se trouvent dans ce livre, à côté même de poésies très douces ; les élans religieux et patriotiques y dominent ; l’on y peut lire un chant d’amour.

Les Proverbes, attribués à Salomon, sont d’une époque où les prophètes avaient perdu toute autorité. Ce choix de morceaux est un monument de la restauration judaïque. L’auteur ne connaît que Jéhovah. Il est probable que beaucoup de sentences antiques, rajeunies dans leur forme, prirent place dans cette collection de dictons populaires, de préceptes moraux, de règles de prudence. La morale des Proverbes est un égoïsme coloré, que des paradoxes justifient, qu’une expérience froide sanctionne ; toute la sagesse s’y résume dans la crainte de Dieu, et n’a pour objectif que la meilleure vie matérielle. Çà et là quelques énigmes, à la façon arabe, des jeux d’esprit, comme lés vieux Égyptiens les aimaient, des grossièretés touraniennes, triviales, et des fantaisies malsaines, érotiques, telles que l’Asie seule en peut concevoir.

Le Livre de l’Ecclésiaste, autre recueil, bien personnel, presque signé, est l’œuvre d’un scribe égyptien mâtiné de grec, épicurien avant Épicure, sceptique, désespérant, insaisissable, manquant de goût, monarchiste et révolutionnaire, impatienté mais indolent, hanté de rêves ardents dans sa somnolence et finissant toujours par subir sa chair : Hé bien, si rien n’y fait, mangeons, buvons, donnons-nous du bon temps ; la vie passe vite, jouissons du moment ; après, il sera trop tard. C’est la chanson du roi Entew, chantée sur les bords du Nil bien avant qu’il y eût des Israélites en Palestine.

Le Livre des Cantiques, le dernier, est également un ensemble de courts poèmes lyriques, récités, sinon composés dans un harem, et d’une sincérité d’expressions que nulle œuvre poétique ne saurait dépasser. La personnalité de l’auteur éclate, toute volontaire, à chaque vers écrit. Tous les genres se trouvent dans ce divan, comme diraient les Arabes. Il y a du drame et de l’homélie, de la romance et de l’épigramme, du lyrisme, ample, et des jeux d’esprit, puérils. Peut-être pourrait-on donner à ces œuvres charmantes un classement ethnique, et rechercher, dans les idées et dans les formules, la race particulière de chaque auteur. On y rencontrerait la gaîté du Noir, la dignité de l’Arabe, la majesté pompeuse du Touranien d’Assyrie, la pureté profonde de l’Iranien persan, le sensualisme du Nomade, l’impudicité du Syrien voluptueux et la sincérité naïve, robuste, de l’Aryen.

D’autres livres, tour à tour admis et rejetés, complètent le grand œuvre hébraïque : un autre Ecclésiaste, perdu dans sa forme authentique, traduit en grec sous le titre de Sagesse, ou Sapience, recueil de sentences positives ; — le Livre de Tobie, bien iranien, d’une morale exquise, avec son mariage sanctifié et son ange gardien, si bon ; — le Livre de Jonas, conte oriental, fantastique, nébuleux, cachant trop son intention ; — le Livre de Suzanne, le Livre de Bel, le Livre des Pages de Darius, œuvres grecques, contes ; — le Livre de Baruch, contemporain de Jérémie croit-on, mais trop violent contre les philosophes et les mythologues pour n’être pas du temps des Ptolémées.

Viennent ensuite les Prophètes, chacun à sa place, en un ordre rigoureux, chronologique, qu’il faut lire chacun à sa date, au fur et à mesure du développement de l’histoire d’Israël. Car les prophètes, ou nabis, ne furent que des politiciens voulant un pouvoir personnel entre le Prêtre et le Roi, conception purement asiatique, perpétuée, qui commence avec les magiciens de la Chaldée, triomphe en Israël après les rois, et se continue dans l’Orient moderne avec les cheiks, les santons et les derviches, tourneurs et hurleurs.

Les œuvres des prophètes sont, dans la Bible, les seuls documents vraiment contemporains de l’époque à laquelle appartiennent leurs auteurs, historiquement ; documents écrits et collectionnés au bon moment, ayant chacun sa personnalité responsable.

Les autres livres de l’ancien Testament donnent d’excellentes impressions, contiennent un très grand nombre de détails précieux ; mais le critique, en les lisant, doit ne pas oublier le but formel de ceux qui les composèrent en les appropriant à leurs intentions.