UN groupe d’Asiatiques, — les Ibris, ou Hébreux, — originaires
de La reconstitution de l’histoire vraie des Hébreux, au
moyen de Le premier écrivain, le premier historiographe hébreu fut le mazkir, ou moniteur, chargé par le roi David de rédiger les événements mémorables de chaque règne. C’était un fonctionnaire, une sorte de scribe à l’esprit exalté, à la vue courte, tour à tour véhément et flagorneur. Le décousu du récit, l’invraisemblance des épisodes intercalés, surtout l’évidente préoccupation de l’utilisation actuelle des faits racontés, nuisent à l’œuvre, la décolorent, quelque effort que fasse l’auteur pour donner à son style la fermeté qui manque à sa conviction. La poésie, admirable, y étouffe l’histoire ; et cette poésie elle-même, visant à l’utile, toute à son but, fragmentaire, n’a laissé ni une épopée ni une tragédie. Richard Simon, le fondateur de
la critique biblique au dix-septième siècle, donnant la première
formule, voulut que l’on séparât, dans les cinq livres attribués à Moïse, ou
Pentateuque, ce qui constituait En tant qu’œuvre historique, La puérilité de la géographie biblique aurait dû cependant, et de très bonne heure, frapper les esprits. Depuis la description topographique de l’Éden, bien orientale, mystique, jusqu’à la désignation du point où se trouve Jérusalem, ce nombril de la terre suivant Ezéchiel, tout y accuse un absolu dédain de la science des lieux. L’appréciation du temps, ou chronologie, indécise, flottante, échappe à l’analyse. Le premier livre, — A défaut de monuments, Aucun auteur biblique n’ayant signé son œuvre personnelle,
une grande difficulté en est résultée pour le classement général. Les rabbins,
reculant devant la gravité de cette classification, ont désigné les livres divers par l’un des premiers mots de
chacun d’eux. En appliquant aux autres livres, comme aux cinq premiers, une
méthode d’ordre probable, on a mis en
tête, avec raison, les Héros, puis les Prophètes, ensuite les Prêtres, enfin
les Légistes. Cet ordre est conforme à
la suite historique de la vie d’Israël ; mais il ne saurait être absolu, un
prophète comme Isaïe notamment, quoique postérieur à la période des prêtres,
pouvant être considéré comme un héros. En réalité L’histoire peut maintenant fixer, avec une suffisante exactitude, le cycle de l’évolution israélite. En l’an 1300 avant Jésus-Christ, le peuple d’Israël campé en Égypte, sur la terre de Gessen, a pour la première fois la conscience de son être ; en 450 le judaïsme est accompli. Avant 1300 c’est la période vague, fabuleuse, mythique ; de 1300 à 450 c’est la période héroïque, militante, ambitieuse ; en 450 l’expérience est terminée, la preuve est faite de l’impossibilité d’un empire juif. La période mythique, exposée dans Les principales divisions de l’histoire primitive d’Israël
sont : les Origines, depuis l’arrivée d’Abraham en Chanaan jusqu’à la mort de
Moïse ; Les livres qui forment L’unité de la langue biblique ne prouve pas un rédacteur unique, mais elle accuse un moment de révision générale, de coordination, de corrections. Le Pentateuque, collection des cinq livres dits mosaïques, et qui est la charte du judaïsme, résume, mais ne peut pas édicter les idées religieuses, les principes de droit civil, les institutions du culte et les traditions nationales d’une époque antérieure, de dix générations au moins, à l’époque de sa promulgation (600-500). Mais dans l’ensemble de lois, de doctrines, de récits qui forment le Pentateuque, se trouvent certainement des parties pieusement reproduites parmi lesquelles une saine critique doit reconnaître l’œuvre personnelle des grands Hébreux, depuis Moïse et Josué, Samuel et Saül, David et Salomon, Joël, Amos et le premier Isaïe, jusqu’à Jérémie, Ezéchiel, le deuxième Isaïe et Aggée. L’absurdité naïve et la franche ignorance qui caractérisent certaines pages du Pentateuque marquent leur ancienneté. Promulgué au sixième siècle avant notre ère, le Pentateuque ne sait pas l’existence des Perses, et il parle cependant de Ninive comme d’une capitale centrale, de Babylone comme d’une ville subordonnée ; or le code inséré dans les livres mosaïques ne peut avoir été rédigé qu’à Babylone. La civilisation que le code d’Israël règlemente est sans aucun rapport avec la civilisation des Hébreux au moment de leur sortie d’Égypte, alors qu’ils campaient dans le désert ; il ne s’appliquerait même pas, ce code, à la vie des premiers occupants de Jérusalem. Œuvre de temps et d’idées diverses, le Pentateuque,
véritable code de l’avenir, voulu par ceux qui rêvaient et préparaient à
Babylone la constitution de l’empire israélite
et sa domination universelle, est une
collection de fragments appartenant à toutes les époques, de l’an 2000 à l’an
600, c’est-à-dire depuis la sortie d’Abraham de Chaldée, jusqu’au jour de la formation de La divinité du Pentateuque elle-même accuse plusieurs tendances. Le dieu des premiers juifs, le dieu des Hébreux, c’est Élohim ; le dieu des Juifs organisés, des Juifs de Jérusalem, c’est Jéhovah. La différence des deux esprits est tellement évidente dans les cinq livres attribués à Moïse, qu’on a supposé deux rédacteurs, le Jéhoviste et l’Élohiste, le moderne et l’ancien. C’est au moment où la direction des Israélites passe de la main des prêtres à la main des légistes, que le Pentateuque apparaît, fini, avec une législation récente, introduite dans la trame de récits anciens conservés par la tradition, orale probablement. Ce mélange de souvenirs antiques et de prescriptions
actuelles, a fait des livres mosaïques un problème devant lequel de forts
penseurs ont hésité. Luther, appréciant le Pentateuque, ne s’effrayait pas à l’idée que Moïse ne l’eût pas
donné. Il est remarquable en effet qu’avant Jérémie Moïse est presque un inconnu.
Ce sont les auteurs du Pentateuque, ces pandectes hébraïques, qui attribuent
eux-mêmes à Moïse l’ensemble de la loi qu’ils viennent de codifier, sans
doute pour que les Israélites respectent aussitôt cette compilation. La
morale et l’ordonnance du Pentateuque, comme son ethnographie et sa
géographie, Moïse n’aurait pas pu les prévoir ; cependant il y a dans les
cinq premiers livres de Lorsque Le Pentateuque, préparé par un corps de prophètes, dans un silence méditatif, devait donner au peuple hébreu, que rongeaient les vices de sa constitution sociale et la dissolution de ses mœurs, les éléments d’un droit public certain, défini, imposé. La dernière rédaction en fut arrêtée pendant l’exil. Le premier des cinq livres formant le Pentateuque, — La partie géographique de Le deuxième livre du Pentateuque, — l’Exode, — est l’épopée nationale d’Israël, le récit de la sortie d’Égypte. Ce poème en prose est relativement récent, puisque la contribution exigée des Israélites y est évaluée d’après le sicle du sanctuaire de Jérusalem. L’auteur ignore ce qu’était l’Égypte du temps de Moïse et comment les Hébreux y vivaient ; mais avec quelle habileté il coupe son récit, très intéressant, de prescriptions législatives, pour que le roman devienne un code. C’était le but principal du rédacteur. Le code par excellence du Pentateuque ce serait le Lévitique ; mais il fut si souvent remanié, que l’on y chercherait vainement une impression exacte. Ce ne fut qu’une sorte de nomenclature, un répertoire de lois d’origines diverses. Le quatrième livre du Pentateuque, — les Nombres, — est un entassement de formules, désordonné, dans un cadre historique douteux. Le but du rédacteur, seul, est évident ; il n’écrit que pour donner une sanction légale au privilège sacerdotal de la famille d’Aaron. Le Deutéronome, cinquième et dernier des livres attribués à Moïse, promulgue une législation nouvelle, différente souvent de la législation des premiers livres, tout à fait contradictoire parfois. L’auteur du Deutéronome est un sage qui veut condenser raisonnablement la masse des incohérences jetées dans les premiers codes, — Genèse, Exode, Lévitique et Nombres, — et donner au moins de la vraisemblance aux récits surprenants imaginés. Il reprend l’exode guerrier, dont il coordonne les éléments, et semble avoir médité son œuvre. On dirait, un instant, qu’il cherche à faire excuser Moïse en atténuant ses prescriptions exagérées. Pour l’auteur du Deutéronome Moïse est irresponsable, car il ne fut qu’un intermédiaire entre la divinité courroucée, tonnante, et le peuple coupable, affolé, corrompu. Cependant l’esprit asiatique n’a pas abdiqué, et dans un désordre au moins relatif, l’auteur n’épargne pas aux Hébreux les ordonnances arbitraires, mélangées de préceptes d’une morale douteuse, d’une préoccupation d’offrandes qui dénonce un prêtre avide, au moins un lévite exigeant. Les autres livres de Le Livre de Josué raconte
les incidents qui précédèrent la conquête de Le Livre des Juges, qu’il serait plus exact d’appeler le livre des chefs, ou des héros, est un choix de traditions, écrites et orales. Il paraît avoir été composé en trois fois. Le Cantique de Déborah, qui y est intercalé, est une merveille ; c’est un poème, simplement, exaltant Baraq vainqueur des Chananéens. Le Livre de Ruth, symbolique peut-être, exclu des livres prophétiques orthodoxes, semble en effet avoir été mal placé dans le recueil. Les Livres de Samuel, — Ier et IIme, — sont bien historiques. De longues parties se font remarquer par l’absence absolue de préoccupations religieuses. Des inexactitudes volontaires y servent les intérêts du rédacteur. Le respect des choses sacrées, la crainte du monarque, l’omnipotence du prophète y sont formulées à l’aide de récits miraculeux. Des poésies sont placées dans le texte, çà et là, extraites d’anthologies poétiques antérieures. Les Livres des Rois, — Ier et IIme, — sont à eux seuls une constitution. Le culte est centralisé, l’autel est unique, le prince est subordonné au prêtre ; David lui-même, mourant, y ordonne la soumission à la loi écrite de Moïse. La personnalité des prophètes est devenue dominante. Les contradictions les plus étranges prouvent que les livres des Rois ne sont qu’un mélange de notices, de notes, de lambeaux de chroniques, cousus au mieux le mieux, mais sans art. Deux relations principales paraissent en constituer la trame. Ce ne sont, brodés dans ce tissu, qu’événements extraordinaires, miracles, incidents bizarres, ridicules, drolatiques parfois. Les Chroniques, — Ire et IIme, — exposent une conception théocratique. Les dieux étrangers sont bannis, brisés, condamnés avec véhémence. La partie historique en est presque absurde. Les exagérations numériques du rédacteur donnent des armées supérieures en nombre à l’agglomération totale des nations en présence. On a qualifié l’auteur des chroniques de falsificateur intentionnel. Le style en est bas, entaché d’araméenismes. Un grand étalage de prétentions généalogiques, d’énumérations sacrées, de réglementations sacerdotales, — fêtes et cérémonies, multipliées, — de mensonges très détaillés, de fantaisies imperturbables, font de ce recueil spécial une œuvre de haute curiosité. L’auteur, d’une ignorance sereine, ne se préoccupe que de glorifier la théocratie, de faire tenir toute l’histoire d’Israël dans l’histoire de Jérusalem, de mettre au-dessus de tout, uniquement, le sacerdoce et la royauté. Le passé, les traditions, les œuvres écrites, rien ne l’embarrasse ; il modifie les textes, il ajoute, il retranche, il corrige, il supprime ou il crée, sans vergogne, tout à son idéal politique, absolu. Le chroniqueur avait la prétention d’expliquer ce qui était demeuré jusqu’alors inexplicable, de remplir toutes les lacunes des fastes d’Israël. C’est pourquoi les Grecs appelèrent les chroniques de Jérusalem, les paralipomènes, ou recueil des choses omises. Le Livre d’Esdras est légendaire. On raconta que son auteur, après la ruine du temple de Jérusalem et la disparition des livres de la loi, s’étant retiré dans le désert, revint après quarante jours, ayant, dans sa retraite, intégralement recomposé le trésor national. Ce livre, en effet, est un second code où le savant légiste osa formuler sa pensée personnelle, importante, en la couvrant des traditions mosaïques. Ce qu’Esdras avait fait pour la loi, Néhémie le fit pour la coutume, codifiant à son tour, indépendamment d’Esdras, les traditions admises, continuées. Le style original de Néhémie, net, simple, en fait un Aryen. Son œuvre constitue le Livre de Néhémie. Néhémie et Esdras sont des réformateurs. L’exil des juifs à Babylone a cessé ; Cyrus a autorisé la reconstitution du temple de Jérusalem, que les querelles des Israélites ne permettront pas d’édifier d’ailleurs, et Darius vient confirmer l’autorisation donnée par Cyrus. Une nouvelle colonie de Juifs, conduite par Esdras, sous le règne d’Artaxerxés Longue-Main, se dirige vers Jérusalem. C’est pour ce noyau d’Israélites réformés qu’écrivent Néhémie et Esdras, ou tels autres réformateurs, encore inconnus, aux travaux desquels ont été donnés les noms d’Esdras et de Néhémie. Après les œuvres cosmogoniques, sociales, sacerdotales,
historiques et constitutives de Les Psaumes, attribués à
David, composés après la promulgation de la loi, sont l’âme de Les Proverbes, attribués à Salomon, sont d’une époque où les prophètes avaient perdu toute autorité. Ce choix de morceaux est un monument de la restauration judaïque. L’auteur ne connaît que Jéhovah. Il est probable que beaucoup de sentences antiques, rajeunies dans leur forme, prirent place dans cette collection de dictons populaires, de préceptes moraux, de règles de prudence. La morale des Proverbes est un égoïsme coloré, que des paradoxes justifient, qu’une expérience froide sanctionne ; toute la sagesse s’y résume dans la crainte de Dieu, et n’a pour objectif que la meilleure vie matérielle. Çà et là quelques énigmes, à la façon arabe, des jeux d’esprit, comme lés vieux Égyptiens les aimaient, des grossièretés touraniennes, triviales, et des fantaisies malsaines, érotiques, telles que l’Asie seule en peut concevoir. Le Livre de l’Ecclésiaste, autre recueil, bien personnel, presque signé, est l’œuvre d’un scribe égyptien mâtiné de grec, épicurien avant Épicure, sceptique, désespérant, insaisissable, manquant de goût, monarchiste et révolutionnaire, impatienté mais indolent, hanté de rêves ardents dans sa somnolence et finissant toujours par subir sa chair : Hé bien, si rien n’y fait, mangeons, buvons, donnons-nous du bon temps ; la vie passe vite, jouissons du moment ; après, il sera trop tard. C’est la chanson du roi Entew, chantée sur les bords du Nil bien avant qu’il y eût des Israélites en Palestine. Le Livre des Cantiques, le dernier, est également un ensemble de courts poèmes lyriques, récités, sinon composés dans un harem, et d’une sincérité d’expressions que nulle œuvre poétique ne saurait dépasser. La personnalité de l’auteur éclate, toute volontaire, à chaque vers écrit. Tous les genres se trouvent dans ce divan, comme diraient les Arabes. Il y a du drame et de l’homélie, de la romance et de l’épigramme, du lyrisme, ample, et des jeux d’esprit, puérils. Peut-être pourrait-on donner à ces œuvres charmantes un classement ethnique, et rechercher, dans les idées et dans les formules, la race particulière de chaque auteur. On y rencontrerait la gaîté du Noir, la dignité de l’Arabe, la majesté pompeuse du Touranien d’Assyrie, la pureté profonde de l’Iranien persan, le sensualisme du Nomade, l’impudicité du Syrien voluptueux et la sincérité naïve, robuste, de l’Aryen. D’autres livres, tour à tour admis et rejetés, complètent le grand œuvre hébraïque : un autre Ecclésiaste, perdu dans sa forme authentique, traduit en grec sous le titre de Sagesse, ou Sapience, recueil de sentences positives ; — le Livre de Tobie, bien iranien, d’une morale exquise, avec son mariage sanctifié et son ange gardien, si bon ; — le Livre de Jonas, conte oriental, fantastique, nébuleux, cachant trop son intention ; — le Livre de Suzanne, le Livre de Bel, le Livre des Pages de Darius, œuvres grecques, contes ; — le Livre de Baruch, contemporain de Jérémie croit-on, mais trop violent contre les philosophes et les mythologues pour n’être pas du temps des Ptolémées. Viennent ensuite les Prophètes, chacun à sa place, en un
ordre rigoureux, chronologique, qu’il faut lire chacun à sa date, au fur et à
mesure du développement de l’histoire d’Israël. Car les prophètes, ou nabis, ne furent que des politiciens voulant un
pouvoir personnel entre le Prêtre et le Roi, conception purement asiatique,
perpétuée, qui commence avec les magiciens de Les œuvres des prophètes sont, dans Les autres livres de l’ancien Testament donnent d’excellentes impressions, contiennent un très grand nombre de détails précieux ; mais le critique, en les lisant, doit ne pas oublier le but formel de ceux qui les composèrent en les appropriant à leurs intentions. |