Les Asiatiques, Assyriens, Hébreux, Phéniciens (de 4000 à 559 av. J.-C.)

 

CHAPITRE V

 

 

DE 1288 À 1110 Av. J.-C. - Décadence de l’Égypte. - Arisou et Nekht-Séti. - Ramsès III. - La grande coalition : Libyens, Asiatiques et Européens. - Bataille de Péluse. - Effondrement de l’Égypte. - Caricatures. - Les Ramessides. - Domination du corps sacerdotal. - Divinités. - Culte. - Débauches et superstitions. - Le prêtre Her-Hor, pharaon. - Piankhi et Smendès (XXIe dynastie).

 

TOUTE troublée, l’Égypte était tombée dans les mains du syrien Arisou, à la mort de Séti II, pendant que les grands fonctionnaires se disputaient l’héritage pharaonique vacant. Un patriote, Nekht-Séti (1288), ayant en lui du sang de Ramsès II, maître de Thèbes, attaque et expulse l’usurpateur, remettant en état le pays tout entier qui était en désordre, tuant les rebelles dans le Delta, purifiant le grand trône d’Égypte.

Ayant vu qu’en Égypte les dieux avaient fait comme les hommes, Nekht-Séti imposa la paix aux divinités, obtenant, après avoir rétabli l’usage des offrandes, qu’elles le reconnussent comme un fils issu de leurs membres. Il sanctionna ensuite le droit sacerdotal : Il établit les temples avec les divines offrandes, afin que les devoirs fussent rendus aux ordres divins selon leurs droits. Le corps des prêtres était donc demeuré très puissant dans le bouleversement général. Nekht-Séti s’associa son fils Ramsès, avec le titre de Prince héritier, et lorsque le sauveur des Égyptes mourut, sans aucune protestation Ramsès III lui succéda.

Ramsès III fut le dernier des grands pharaons. A son avènement, — Nekht-Séti, son père, ne s’étant dévoué qu’à la reconstitution de la monarchie, — les frontières de l’Égypte se sont singulièrement rapprochées du Nil. Des bandes de Bédouins pressent les colonies qui vivent autour des mines dans la presqu’île du Sinaï et des points fortifiés qui défendent l’est du delta. Les Libyens encombrant la Basse-Égypte, jusqu’à Memphis, Ramsès III marche contre les Libyens, leur imposant son autorité ; il châtie ensuite les Bédouins et s’arme pour envahir la Syrie,

Les Khétas, menacés, crurent le moment venu d’en finir avec les Égyptiens. Ils imaginèrent une coalition formidable devant laquelle l’Égypte devait inévitablement succomber : Toutes les hordes syriennes se précipiteraient sur le delta oriental, pendant que les Libyens, reprenant l’offensive, repousseraient les Égyptiens et que, du côté de la mer, des masses d’hommes, venus exprès, débarquant, formeraient comme le centre de la grande foule envahissante.

Les fastes de Ramsès III, inscrits à Médinet-Abou, disent, avec sa grande victoire, les peuples qui participèrent à l’invasion. Les types sculptés et les noms inscrits donnent à ce mouvement une importance capitale. C’est l’Europe qui commence à s’agiter, qui s’allie aux Asiatiques pour s’emparer du Nil. Les Libyens combattent à pied, suivis de leurs troupeaux de bêtes, moutons et bœufs, et peut-être de quelques chevaux, armés de leurs couteaux de bronze, redoutables, laissant tomber sur leur joue droite une longue mèche de cheveux blonds, tressés. Parmi les Asiatiques venus de l’est se distinguent les Khétas au nez arqué, et les Shasou nomades, bédouins, et les gens de Karkémish, de Kati, d’Arad et de Kadesh. Les peuples des îles et de la mer, distincts des Palestiniens, des Phéniciens et des Syriens, exactement inscrits, mais quelquefois insuffisamment dénommés, sont l’élément nouveau de la coalition qui comprend toute la Syrie jusqu’à l’Euphrate, et s’étend sur toute l’Asie-Mineure, ayant attiré les Méditerranéens répandus sur les côtes ou vivant dans les îles.

Ces envahisseurs vinrent sur leur flotte, les uns ayant débarqué pour se joindre au gros des forces syriennes, les autres, plus audacieux, ayant osé naviguer vers le delta et pénétrer dans l’une des bouches du grand Nil, risquant un combat naval, à la grande et frémissante surprise des Égyptiens.

C’est dans les environs de Péluse que fut le point de rencontre très habilement choisi, la flotte devant forcer l’entrée du Nil pendant que les Libyens, de l’autre côté des embouchures, à l’occident, tiendraient en inquiétude les Égyptiens. L’attaque réelle, stratégique, eut lieu à l’est. Les envahisseurs, massés, en nombre, sont suivis de leurs femmes et de leurs enfants placés sur d’innombrables chariots. Les guerriers montent des chars légers, à double attelage. Les sculpteurs de Médinet-Abou, qui ont magnifiquement illustré ce heurt, semblent raconter un épisode des grandes batailles homériques. Il y a de l’énergie européenne, certainement, dans cette redoutable confiance en soi avec laquelle ces hommes viennent prendre l’Égypte ; mais il y a encore beaucoup de touranisme dans cette organisation lourde, irréfléchie, de hordes tassées allant à leur proie avec tout leur monde.

Ramsès III fut digne d’un tel événement. Il assura la défense des districts intérieurs, un à un, comme pour se préparer des victoires dans sa retraite possible, et il marcha droit aux envahisseurs. Sa colère, épouvantable, se voulut cruelle ; les Libyens furent impitoyablement massacrés : Le pharaon les écrasa de son poids, pareil à une montagne de granit ; il les consuma comme un feu ardent ; ses pieds pesèrent sur les têtes des ennemis dont il serrait les chevelures dans ses mains. Le triomphateur évalua l’importance de sa victoire par la quantité des restes humains que les soldats vainqueurs entassèrent devant ses yeux. L’ingénieuse cruauté des Égyptiens sut, à cette occasion, montrer au pharaon, par le choix des débris apportés, que ceux qui ne combattraient plus l’Égypte avaient été réellement des hommes.

Le texte célébrant la grande victoire de Ramsès III expose admirablement le danger libyen : Ils s’étaient dit, pour la deuxième fois, qu’ils passeraient leur vie dans les nomes d’Égypte et qu’ils laboureraient les vallées et les plaines, comme leur propre territoire.... La mort vint sur eux en Égypte, car ils étaient accourus de leurs propres pieds vers la fournaise qui consume ce qui est pourri, avec le feu de la vaillance du roi qui sévit comme Baal du haut des cieux. Il est remarquable d’entendre un pharaon d’Égypte, oubliant les divinités égyptiennes, — Osiris, Râ et Ammon, — évoquer le dieu des Assyriens, Baal. Cette ligne dit l’importance nouvelle de l’Assyrie, et l’extension de son influence. Vainqueur des Libyens, Ramsès III acheva sa mission. Les chefs qui étaient devant lui furent frappés et tenus dans son poing ; ses pensées étaient joyeuses, car ces exploits étaient accomplis.

Un autre texte dit la deuxième bataille, la rencontre, entre Raphia et Péluse, des Égyptiens et des hommes d’Europe : Les embouchures du fleuve étaient comme un mur puissant de galères, de vaisseaux, de navires de toute sorte, garnis de la proue à la poupe de vaillants bras armés. L’armée égyptienne était toute réunie, les hommes de pied massés sur des hauteurs, les hommes de chars retenant les chevaux qui frémissaient de tous leurs membres et brûlaient de fouler aux pieds les nations. Les Européens furent battus comme l’avaient été les Libyens, et Ramsès put dire : Ceux (les Libyens) qui ont violé mes frontières ne moissonneront plus sur la terre ; ceux (les Européens) qui étaient sur le rivage, je les fis tomber étendus au bord de l’eau, massacrés comme dans un charnier, leurs navires chavirés, leurs biens à l’eau.

Cette double victoire épouvanta les Syriens. Les nations alliées de Khéta, Karkémish et Kati cessèrent d’inquiéter le monarque. Ensuite, Ramsès III entreprit une expédition du côté de l’Arabie. Les coalisés s’éloignèrent, se dispersant, les Asiatiques se dirigeant plutôt vers la Phénicie, les Méditerranéens allant, les uns s’installer à l’embouchure du Tibre, les autres occuper la Sardaigne.

Les fastes du temps des Thoutmès et des Sésostris venaient d’être dépassés, et cependant l’Égypte est finie. C’est Ramsès III qui, par ses victoires mêmes, va livrer aux Assyriens la vieille prépondérance égyptienne. Les Libyens qu’il a combattus, qu’il a si cruellement fustigés, le pharaon les retient, les incorpore dans son armée, les organise en une sorte de corps spécial, leur donne enfin, en plein delta, une importance redoutable. Les prisonniers de la grande coalition vaincue, Ramsès les établit d’abord dans une forteresse, leur assigne ensuite un territoire, en ne leur imposant qu’un tribut en étoffes et en blé pour les temples et les greniers royaux. Or, nombreuses sont leurs familles, par centaines de mille, dit une inscription. Depuis Abraham, les Asiatiques tenaient presque tous les emplois sur les bords du Nil ; sous Ramsès III, l’industrie égyptienne elle-même passe aux mains des étrangers, pendant que la force est entièrement confiée à des mercenaires. Toute à son luxe amollissant, à ses jouissances continuelles, l’Égypte n’a bientôt plus un soldat, plus un marin, plus un ouvrier, plus un manœuvre qui ne soit un étranger.

En même temps l’Éthiopien remonte le Nil, suivi de l’Africain noir, superstitieux, lubrique, et les mœurs égyptiennes, extrêmement asiatiques déjà, vont recevoir de ces éléments nouveaux, disparates, venus du nord, de l’ouest et du sud, d’extraordinaires impressions.

Au commencement de Ramsès III, l’Égypte semblait renaître. Le pharaon ordonna de grands travaux, enclavant par exemple un temple dans la cour immense de Karnak, édifiant le Ramesseum et le palais de Médinet-Abou, si vaste, demeure vraiment royale, construction héroïque où les piliers osiriaques se dressent, géants, où les colonnades ont l’aspect de forêts de pierre, où les parois disent, en sculptures brillamment coloriées, les œuvres guerrières du souverain.

Les tableaux des victoires de Ramsès, à Médinet-Abou, s’offrent comme une suite de faits étonnants, réels, comme un traité d’éducation militaire à l’usage des princes batailleurs. Les prisonniers sont des esclaves ayant chacun son type, son costume, son qualificatif. La mauvaise race de Kousch, c’est l’Éthiopien ; le vaincu qui était sur la mer, c’est le Méditerranéen repoussé ; le vil chef des Khétas, c’est l’Asiatique. Et pourtant, le véritable vaincu c’est Ramsès III. L’Égypte appartient à ceux qui, sur les parois de Médinet-Abou, suivent, humiliés par le ciseau de l’artiste, le char bondissant du triomphateur.

C’est le triomphe des vaincus et non son propre triomphe que Ramsès représente, assis sur son trône, dans une chaise que portent, sur leurs épaules, douze chefs, pendant que des officiers agitent le flabellum et qu’entouré de prêtres le pharaon se voit encensé comme un dieu. C’est le triomphe de l’Asie et non de l’Égypte, cet étalage luxueux des riches produits de l’Arabie, du pays de la terre rouge, et cette intervention directe du dieu armant Ramsès. Ces fêtes nombreuses, énumérées, chacune consacrée à quelque panégyrie ; ces cariatides monstrueuses, encastrées dans le mur, représentant des prisonniers couchés sur le ventre, pris dans la construction ; ces scènes de gynécée, où le monarque joue aux échecs, caressant ses femmes de races diverses, celle-ci nue, couronnée de fleurs, aux hanches plates, svelte sans grâce, plutôt frêle, aux grands yeux, brune, gravement aimable, de chair molle, mais de sang chaud apparemment ; l’autre toute blanche, à la face arrondie, au nez arqué, au sein gras, souriante, évidemment gaie : — c’est l’Asie, tout cela, avec l’ardeur de ses convoitises, l’omnipotence de ses dieux, l’accentuation de sa paresse invétérée, son imagination cruelle, son insolence devant le faible et sa lâcheté devant le fort, son goût exclusif de jouissance et de domination, ses attentats perpétuels à la dignité de la forme humaine par l’exploitation abominable des sens, le mépris de l’être et l’exaltation de la chair.

L’Égypte s’effondre dans sa propre gloire. Même lorsqu’elle veut ressaisir son passé, ce passé lui échappe, ou se transforme. Ramsès veut-il honorer ses ancêtres, il les expose et les fait processionner sous des baldaquins ; fait-il illustrer son tombeau de peintures, ce sont des représentations curieuses, mais banales : les travaux de la cuisine du pharaon, les produits de ses domaines, ses armes diverses, sa flotte, ses musiciens et jusqu’à ses approvisionnements de vin y sont imagés. Et quant à l’artiste, il exécute tout rapidement, sans émotion, sans satisfaction ressentie. Plus de patience, encore moins d’enthousiasme. L’ennui du succès endort Ramsès, pendant que la facilité d’une vie luxueuse détruit l’Égyptien. La perte des richesses acquises semble être la seule crainte éprouvée. Les magasins de dépôt étaient munis de lourdes portes de cèdre, avec des serrures, des verrous de bronze, des barres épaisses.

Des officiers de Ramsès III, ligués avec des femmes de son harem, ourdirent un complot contre le monarque. Le pharaon fit mourir les juges qui avaient condamné les coupables, parce que la sentence ne lui parut pas assez exemplaire. Les Grecs brodèrent un roman autour de ce récit. Ce qui était plus grave, c’est, avec l’audace de ceux qui voulaient détrôner Ramsès III, l’insolence de ses adversaires, publique. Des scribes se mirent à parodier étrangement, sur des papyrus, les magnifiques scènes de triomphe sculptées dans les pierres de Médinet-Abou ; la moquerie fit des grandes batailles de Ramsès III, un vulgaire combat de chats et de rats, et tel caricaturiste osa représenter le monarque dans son harem, sous l’image d’un lion ridicule caressant des gazelles.

Ces hardiesses prouvent le désœuvrement des Égyptiens. La domesticité, sinon l’esclavage, — car la bonté de l’Égyptien est persistante, — s’est considérablement multipliée ; les travailleurs de toute sorte sont étrangers, Nègres, Bédouins, Syriens, Arabes, Libyens, hommes des îles de la Méditerranée et de la péninsule italique, Étrusques, Grecs de l’Asie-Mineure. Les Hébreux de la terre de Gessen avaient accompli leur exode hors d’Égypte, mais un très grand nombre d’entre eux étaient restés sur les bords du Nil, aptes à tous les services.

Ramsès III se vante de la paix qu’il donna aux Égyptiens, de la douce vie que l’on vivait en Égypte, et il signale, dans une inscription fameuse, la sécurité avec laquelle, sous son règne, la femme pouvait d’un pas large aller où il lui plaisait d’aller sans être outragée en chemin. Ses ennemis, Ramsès les brave, étalant ses droits de vainqueur, disposant de leur chair ; son armée, il la compare à une troupe de taureaux se préparant à combattre des chèvres ; il affirme enfin, — et c’était vrai, — que le pays fut bien rassasié sous son gouvernement. Ce qu’il ne dit pas, ce qu’il ne voit pas, c’est la décadence de tout. Chose inouïe en Égypte, les architectes du tombeau de Ramsès III creusant son hypogée à Biban-el-Molouk, furent incapables d’obtenir la rencontre exacte des deux galeries souterraines. — Les scribes écrivent des romans qui se terminent en plates féeries ; la langue est toujours claire, mais le style a pris un tour trivial.

La littérature du temps de Ramsès III, fortement impressionnée d’asiatisme, se complaît aux bizarreries. Les divisions sociales s’accentuent. Les corporations, sinon les castes, se séparent. Non seulement les fonctions, niais encore les métiers se transmettent par héritage. La hiérarchie s’impose ; il y a partout des chefs ; la corporation des médecins elle-même a son ordonnateur principal. L’influence étrangère a tout envahi. Ramsès III fit construire dans la Basse-Égypte un palais de boue, fait de briques crues et de pisé, en imitation des monuments assyriens ; et sur les parois de cet édifice, comme à Médinet-Abou, il fit illustrer ses exploits au moyen de briques moulées en relief, émaillées.

Ramsès III, las, associa son fils à son pouvoir, mourut bientôt, et ce fut la série des Ramsès se succédant, — les Ramessides, — pharaons fainéants, oisifs, ne s’occupant que de leur plaisir.

Le corps sacerdotal s’empare de l’esprit public. Le tableau des peines et des récompenses du tombeau de Séti Ier, repris sous Ramsès V, devient une atroce fantaisie de prêtre, un enfer où les âmes coupables supportent d’horribles tortures. L’astrologie symbolique se mêle aux exaltations vers le ciel. Les étoiles ont des influences réelles ; l’étoile Sirius est la maîtresse du cœur, comme Orion influe sur l’oreille gauche. Tout idéal a disparu ; l’idée de génération elle-même, exprimée au tombeau de Ramsès IX, y est d’un symbolisme outrageant.

Les divinités s’absorbent en Râ, soleil vivifiant, taureau de la troupe des dieux, illuminant la terre par sa chevelure, ayant l’éternité dans son poing, créateur des hommes, engendreur des dieux, à l’ombre duquel s’assied toute la terre. Bès, le dieu grotesque, et cependant aimé, n’est plus qu’un fétiche ; on le sculpte sur les chevets où les dormeurs posent leur tête, pour que des songes heureux viennent remplir leur sommeil ; il est le dieu de la joie, de la danse et de la toilette. Le dieu principal enfin, c’est le pharaon régnant, un Ramsès peint en vert, colossal, orné de toutes les coiffures divines. Les prêtres servant le culte de ces divinités semi africaines, semi asiatiques, ne sont plus que des magiciens.

Le culte est tantôt lascif, tantôt stupide. On s’étale ventre à terre devant le dieu Râ, et devant le monarque image de Râ. Les prêtres sont surtout Éthiopiens à ce moment, semble-t-il ; des prêtresses venues d’Asie, de chez les Khétas, intrigantes, corruptrices au suprême degré, sèment la discorde. C’est ainsi, dit Homère, que Néoptolémos, fils d’Achille, tua avec l’airain le héros Téléphile Eurypylos ; et autour de celui-ci de nombreux Kétéiens furent tués à cause des présents des femmes.

La passion du plaisir, tout à fait africaine, utilise dans les temples et dans les villes, et sans vergogne, la profonde immoralité des gens d’Asie. Infatigable , l’Éthiopien chante, boit, s’enivre, danse sa joie, effrontément, entouré de chanteurs qui le stimulent, battant des mains, devant l’image sculptée d’un fétiche grossier, d’un serpent symbolique, d’un dieu à forme humaine, nu, vigoureux, puissant, représentation brutale, accentuée, en pierre ou en bois, des mâles œuvres de la divinité. Ce culte de débauchés a persisté dans l’Afrique intérieure où les fidèles accomplissent eux-mêmes, ivres, accouplés, les actes divins.

Le Nègre stupide et l’Asiatique ignoble, si durement qualifiés jadis par les vieux Égyptiens, sont les maîtres des Égyptes. L’Afrique a apporté le culte des animaux dangereux, la divinité redoutable, — le dieu-hache, — la crainte de l’auteur des maux, le fétichisme et la sorcellerie, mais naïvement ; l’Asiatique, avec une extrême habileté, a mis en exploitation ces symboles et ces formules.

Les statues parlantes se sont multipliées. Osiris agit, approuve de la voix ; les fétiches se meuvent ; les amulettes en cône procurent la fécondité ; le serpent mystique devient actif ; Aaron frappe d’immobilité la vipère. Les divinités se spécialisent, se transportent pour opérer des miracles, au loin. Ramsès IX envoie le dieu Khons, de Thèbes, pour guérir la fille d’un roi de Syrie que possède un méchant esprit, un mauvais dieu.

Or le temple du dieu Khons, à Karnak, était devenu célèbre ; ses prêtres, redoutés, se disposaient à supplanter les pharaons. Le grand-prêtre Pahôr-Amoné portait le diadème royal, sa femme Ahmôs-Nofré-Atari était honorée comme une reine, ses fils se qualifiaient d’enfants royaux. Généraux, magistrats, gouverneurs de provinces, et même dieux, les prêtres dominaient tout, absolument, à la mort du onzième Ramsès.

Le premier prophète d’Ammon, Her-Hor, renversant la dynastie des Ramessides, se proclama roi. La Syrie et l’Éthiopie le reconnurent. Sa vie fut trop courte, sans doute, pour que la domination sacerdotale pût s’introniser définitivement. Le fils de Her-Hor, Pinotsem, ne succéda pas à son père. Un ou deux Ramsès passèrent encore sur le trône d’Égypte, et le fils de Pinotsem, Piankhi Ier, reprit le pouvoir dans le sud pendant qu’une dynastie spéciale, — la XXIe (1110), — s’élevait à Tanis, au delta, fondée par Smendès.

La Syrie reprenait son indépendance. L’Égypte n’avait jamais eu de frontières plus rapprochées ; ses ennemis, l’entourant, étaient devenus très audacieux. L’art égyptien disparaît, étouffé ; le symbolisme hiératique énerve l’artiste, l’impatiente, le fatigue ; la fixation d’un canon sculptural frappe de stérilité les esprits.

Tandis que Thèbes décline, épuisée, le delta s’élève, croît en intelligence et en autorité. Tanis, Bubaste, Saïs, Mendès et Sébennytès supplantent Memphis. C’est une autre Égypte, une Égypte presque sans Égyptiens. Les descendants des Ramsès expulsés de Thèbes, réfugiés au delta, y conservent cependant quelque lustre ; c’est la fille de l’un de ces Ramsès déchus que Salomon épousera.

L’Euphrate va hériter des splendeurs du Nil peuplé de monstres innombrables. Les flottes égyptiennes qui sillonnaient la mer Rouge n’existent plus ; les Arabes du Yémen, ayant reformé leurs caravanes, bénéficient d’un trafic que les Chaldéens vont exploiter. La vieille histoire de l’Égypte est close.