DE VERS l’an 2500 avant notre ère, un élément nouveau vient
modifier la constitution ethnique de l’Assyrie. Des Aryas blancs, que Bérose
qualifie de Mèdes, envahissent De cette dynastie mède ou aryenne, passante, aucun monument ne nous est connu. Nous n’avons pas encore lu un nom de souverain ayant la physionomie aryenne. Il a été dit que ces envahisseurs étaient des barbares comparés aux Chaldéens d’alors ? Les annales assyriennes permettent au calcul chronologique de fixer, avec une certaine précision, en l’an 2295 avant notre ère l’établissement de la dynastie élamite en Chaldée. Aucune inscription n’a donné jusqu’ici le nom de Chodorlahomor, ni celui de Chodornakhounta ; mais le nom d’un Chodormaboq a été lu. Ce dernier roi se qualifie de vainqueur de l’Occident ; son fils dit de lui : mon père a augmenté l’empire de la ville d’Our. Cette déclaration est caractéristique : la ville où siégeait le pouvoir royal, en Assyrie comme en Égypte, donnait son nom à l’empire gouverné par le souverain. Zikar-sin, qui succède à Chodormaboq, porte un nom purement assyrien : serviteur du dieu de la lune. Ici se placent deux noms de rois qui pourraient être antérieurs à Zikar-sin, peut-être même à Chodorlahomor : Pournapouryas Ier et Kourigalzou Ier princes constructeurs. Kourigalzou Ier, se protégeant contre les Assyriens du nord, bâtit un château-fort dont les ruines, à Akarkouf, à l’ouest de Bagdad, sont considérables. Voici qu’un Ismidagan édifie un temple à la divinité
chaldéenne, à Oannès, en pleine Assyrie septentrionale, à Élassar, Avec Hammourabi l’histoire d’Assyrie devient enfin
vivante. Roi chaldéen, ayant peut-être abandonné Our, trônant à Babylone, ce
souverain s’immortalisa en creusant un canal
royal, en faisant exécuter le vaste système d’irrigation par
lequel Roi prévoyant, favori du dieu suprême, Hammourabi a fait bâtir, au point même oit le canal royal s’alimente de l’eau du fleuve, un fort élevé, muni de grandes tours, dont les sommets sont hauts comme des montagnes. Il y a donc un empire assyrien constitué. Les successeurs d’Hammourabi, continuant la dynastie chaldéenne jusqu’en l’an 1559, maintiendront l’œuvre intelligente du grand roi, luttant contre toutes sortes d’ennemis, surtout contre l’Égypte de Thoutmès Ier, très fort, et ne succombant que sous les coups glorieux du pharaon Thoutmès III. Le mélange des Asiatiques bruns et des Touraniens jaunes, qui s’était déjà modifié par la venue des Aryas blancs, va se compliquer davantage par l’arrivée des Africains rouges et noirs, ce qui causera de grands troubles en Assyrie. La brutalité lourde de l’homme du Touran pouvait à la rigueur s’accommoder de la légèreté cruelle de l’homme d’Asie, parce qu’il en résultait une sorte de compensation, la force et la ruse incitant une même défiance ; mais la pusillanimité africaine, toute gaie, insouciante, d’une part, et d’autre part les exigences morales de l’Aryen passionné d’ordre, durent gêner considérablement l’indolente imprévoyance, la rude confiance en soi, la profonde immoralité des premiers Assyriens. L’Égypte, qui venait d’expulser les Pasteurs, et qui restait cependant, par ses prêtres et par ses scribes, sous la domination intellectuelle des Asiatiques ignobles dont elle croyait naïvement s’être délivrée, l’Égypte imbue de l’esprit asiatique, éprouvait en même temps la crainte de voir s’élever une grande puissance en Assyrie et le désir de s’emparer de l’empire nouveau, très prospère, créé entre les deux fleuves d’Orient. Il y avait entre l’Égypte et l’Assyrie, entre le Nil et l’Euphrate, en Syrie, une confédération, — les Rotennou, — très remuante, très ambitieuse, que les Égyptiens confondaient avec les Assyriens. Ils ne se trompaient pas absolument, car les Assyriens encore imparfaitement constitués faisaient partie de la grande confédération des Rotennou, toute araméenne. Le pharaon Thoutmès Ier, qui venait de châtier les Éthiopiens,
marche contre les confédérés, prend le pays de Chanaan, traverse toute Thoutmès III (1607)
renouvelle l’entreprise de Thoutmès Ier, reprend la route d’Assyrie, franchit également l’Euphrate
à Karkémish et s’enfonce dans les plaines de L’empire chaldéen qui venait de disparaître, fermant le
cycle historique de l’an 4000 à l’an 1500 avant notre ère, avait eu sa
civilisation propre, très importante, car les civilisations postérieures, en
Babylonie comme en Ninivie, ne seront guère qu’une suite de la vie
chaldéenne, avec moins d’originalité. Sur l’Euphrate et sur le Tigre,
désormais, tout ce qui ne sera ni aryen, ni égyptien, ne procédera que de l’influence
chaldéenne primitive ; c’est de Cette Chaldée primitive avait déjà ses bibliothèques où se conservaient des livres sacrés, des écoles sacerdotales où s’enseignaient les formules magiques, où se récitaient les incantations, où se chantaient des hymnes qui nous promettent, un jour, la découverte des plus anciens et des plus curieux des Védas. Les œuvres d’astronomie, d’astrologie et de divination des vieux Chaldéens étaient bien connues des Assyriens de la période historique. Our fut le centre de cette civilisation. Les Chaldéens attirés par Babylone, ou saisis de l’esprit d’aventure, comme Abraham, n’abandonnaient leur ville qu’en emportant avec eux l’esprit de Chaldée, qui se répandra en Égypte, en Palestine, en Phénicie, et que nous retrouverons dans l’Inde, en Bactriane, en Grèce, à Rome, en Germanie, en Gaule, partout. Le Chaldéen est l’Asiatique par excellence, le rival né de l’Aryen, son corrupteur, incapable d’œuvre personnelle, charmeur parfait, grand exploiteur, poète, musicien, usurier, prêtre, ou tribun, suivant les circonstances. De cette civilisation particulière, et non spéciale, car l’esprit chaldéen n’a probablement rien innové, quelques rares documents écrits nous sont parvenus ; mais la terre chaldéenne, remuée, a déjà livré de nombreux témoignages visibles, palpables, réels, et qui, rapprochés des choses écrites, permettent de décisives définitions. Les ruines de Sans bois de charpente, — car la contrée est nue dit Strabon, — les architectes se servaient exclusivement de troncs de palmiers comme de poutres ou de piliers, qu’ils zébraient d’ajoncs et qu’ils couvraient ensuite d’une sorte de pâte coloriée. Les portes étaient enduites d’asphalte, et la difficulté, faute de pierres et de bois, d’obtenir des toits plats solides, avait fait donner aux maisons la forme de hauts cônes. Le type des édifices sacrés, uniforme, procède de la pyramide égyptienne dénaturée par les matériaux employés et l’utilisation voulue du monument. La nécessité de bâtir au-dessus de terrains constamment menacés d’inondation, obligeait à la construction préalable d’un terre-plein, d’un vaste remblai sur lequel, successivement, l’architecte plaçait une série de terrasses menant à la plate-forme du sommet. Là, une sorte de chapelle, carrée, recevait le dieu. Plus tard, c’est-à-dire à l’époque des fastes assyriens, sur la hauteur, la chapelle mystérieuse, inaccessible, recevra un lit de repos et une table d’or. Moitié temple, moitié observatoire, la pyramide chaldéenne ne répond à aucun sentiment. Elle est comme la base disproportionnée d’un édifice que personne ne peut voir, ou bien l’édifice lui-même, incompréhensible, ne disant pas sa destination. La maison du dieu placée au sommet de la pyramide chaldéenne n’était qu’un prétexte ; le monument, en réalité, n’était bâti que pour rapprocher des cieux, la nuit, l’astronome chaldéen, excellent observateur, sachant bien le mouvement des astres, les jeux de la lune, et dont la mathématique a de la valeur. Mais, descendu de son observatoire, l’astronome chaldéen n’était qu’un astrologue, un devin, un sorcier, et c’est au nom du dieu qu’il ignorait qu’on l’entendait parler en maître, ordonner des cérémonies, des sacrifices, des expiations. Un jour vint où les astronomes chaldéens, devenus des prêtres, ne se préoccupant plus de la présence d’un dieu dans le lieu élevé, firent gravir les degrés de la pyramide sacrée par la prophétesse, qui était une femme du pays disent les textes, ainsi que cela se passait dans le temple d’Ammon à Thèbes, en Égypte, comme à Patara, en Lycie. Les palais, énormes, étaient d’une architecture plus compliquée. De nombreux ouvriers, — des prisonniers généralement, comme en Égypte sous le règne des rois batailleurs, — confectionnaient les briques innombrables nécessaires. Une flotte de radeaux, soutenus par des outres gonflées, apportait d’Arménie, par le Tigre, les rares pierres employées au soubassement, au dallage ou au décor. La nature du sol ne permettant pas le creusement de fondations solides, la création et le tassement du remblai sur lequel l’édifice devait être construit, constituaient l’œuvre principale. Sauf les dômes, très audacieux parfois, inquiétants à voir, l’architecte ne concevait que la masse imposante, l’accumulation des matériaux, l’entassement des briques, montagne artificielle dans laquelle on creuserait non pas des salles, car les voûtes en pisé n’eussent pas supporté d’écartement, mais des galeries, longues, aux parois revêtues d’un mortier asphalté et dans lequel l’ornemaniste fichait des cônes saillants, coloriés, formant des dessins très simples, losanges, carrés ou chevrons. Aux murs, parfois, des lignes de briques superposées, en relief, et arrondies, donnant l’idée tranquillisante de supports, pourraient être considérées comme un commencement de colonnade. Ces palais n’annonçaient pas l’habitation, le lieu de séjour d’un souverain, d’un maître fastueux ; ils étaient comme des forteresses. L’acropole de Khorsabad, bâtie sur une montagne de briques, à quarante mètres de hauteur, défendait la ville avec un mur coupé de cent soixante-sept tours et large de vingt-quatre mètres. L’énormité de cette architecture ne répond à rien ; l’ornementation elle-même y est sans art ; des ceintures de bas-reliefs, avec une rangée de briques émaillées, y constituent l’ornement extérieur exclusif. Les portes étaient flanquées de hautes figures sculptées, monstrueuses. Les tombes, à Our, maçonnées en briques cuites, étaient assez discrètes. Un essai de voûte allongée, pointue, formée d’assises placées en encorbellement, ne manque pas de volonté. Des poteries grossières, modelées à la main, se trouvent prés de ces tombeaux, avec des objets de nature diverse, en or, en bronze, en plomb, en fer. Le fer était rare, par conséquent précieux ; on en faisait des bijoux. L’âge de pierre semble s’être prolongé très tard en Basse-Chaldée. Bien que le fer y fût connu et le bronze très employé, les outils étaient généralement de silex, assez grossièrement taillés. Les armes étaient également de pierre, haches, têtes de flèche, poignards et massues. A l’imitation des cailloux roulés que le Tigre apporte d’Arménie, les Chaldéens, dans des pierres précieuses, taillaient et polissaient des cachets cylindriques sur le plat desquels on gravait, finement, comme en Égypte, un sujet. Un collier formé d’une série de cylindres était le signe de l’autorité sacerdotale ou politique ; le chef des prêtres et le chef de tribu se paraient de cet ornement. Les écritures cunéiformes de ces cachets conservèrent pendant longtemps leur caractère archaïque. L’art de la gravure, ou de la glyptique, qui s’y manifeste, tout égyptien, n’avancera plus. L’absence d’enthousiasme est ce qui frappe dans l’art de Chaldée, dont l’impression s’imposa toujours aux Assyriens. La rectitude y est de la raideur, le simple s’y étale comme une pauvreté, l’ornementation elle-même n’y figure qu’à titre de concession regrettable. Ce n’est que très tard, vers la fin de l’histoire assyrienne, qu’un peu de fantaisie, sinon d’originalité, vint réchauffer ces froides œuvres. Les maîtres de cette civilisation particulière, considérant l’art comme inutile, craignaient-ils de le favoriser ? Jaloux de leur industrie, comme de leur science, les vieux prêtres de. Chaldée redoutaient, semble-t-il, tout ce qui pouvait être, pour le peuple, une jouissance ou une instruction. On peut dire que dès les premières dynasties chaldéennes, l’astronomie, en tant que science, existait déjà. Les observateurs patients du Bas-Euphrate connaissaient le ciel. Ils avaient mesuré l’espace et le temps. Ils avaient noté le déplacement annuel du point équinoxial sur l’écliptique et en avaient fait la base d’une période erronée, car leurs instruments étaient imparfaits, mais servant de base suffisante à leurs computs chronologiques. De la mathématique, ou science des nombres, et de la physique, ou science des forces, ils savaient beaucoup ; mais ils n’utilisaient leur savoir qu’en vue de leur profit personnel, l’employant à impressionner leurs auditeurs, à exécuter des merveilles, sinon des miracles. De même qu’astronomes intelligents, ils s’abaissaient à n’être que des astrologues se jouant de la sottise et de la crédulité des hommes, ainsi, prêtres, n’étaient-ils que des magiciens, des mages, devant le peuple les écoutant. Le magisme, qui n’est pas une religion certes, mais simplement un mode d’exploitation mystique, est essentiellement chaldéen. La lune, si singulière dans ses actes, était la divinité naturelle de cette religion fausse, et c’est elle qui, sous les riches vêtements d’Istar, devint l’adoration perpétuelle des Assyriens, avec le soleil pour frère, pour époux. Le temple proprement dit ne viendra que plus tard, idée obscure, funèbre surtout, à laquelle l’esprit aryen communiquera l’ampleur et la clarté. Le Chaldéen ne sait encore que la chapelle étroite, élevée, inaccessible presque, hors ou loin de la vue des hommes ; mais il y a déjà, avant le temple, un corps sacerdotal, une caste très savante, très habile, toute remuante, à Our, au temps d’Abraham. Les membres de ce corps privilégié sont une aristocratie intellectuelle, un corps savant si l’on veut, une association exploitante dans tous les cas, admirablement organisée. C’est, dans l’histoire, la caste des Chaldéens. La caste des Chaldéens reçut de l’extérieur la science qu’elle
utilisa. La légende du commencement des choses,
que les prêtres de Chaldée racontaient, avoue ces emprunts dont la vieille
Égypte peut s’honorer. Le monde, dans |