DE LES prêtres de Chaldée donnaient une antiquité fabuleuse
aux anciennes dynasties assyriennes ; plus astrologues qu’historiens, ils laissèrent
des annales dont Aristote fut impressionné. Nos vues actuelles ne vont pas
beaucoup au delà de l’an 400o avant jésus. Il y avait alors, en Assyrie, des
rivalités locales : Nemrod, tenant Babylone, luttait contre Assur à qui
Ninive obéissait. Inadmissible quant à sa chronologie, Pour la fixation de ces origines historiques, des recherches dynastiques, ascendantes, depuis la destruction de Ninive, ont conduit à des résultats satisfaisants. De l’an 4000 à l’an 538 avant notre ère, trois grandes divisions ont été admises qui coupent l’ensemble de l’histoire assyrienne. C’est d’abord (4000-752) le Premier empire Assyrien, ayant Ninive comme ville capitale ; puis (752-647) un Second empire Assyrien ; enfin (647-538) un Troisième empire, Chaldéo-Babylonien, Babylone ayant supplanté Ninive. Ninive et Babylone ayant été rasées, abominablement
détruites, et par les Perses et par les Grecs, pendant longtemps l’histoire
de l’Assyrie ne put être recherchée que dans les rares extraits de livres
postérieurs aux événements racontés, mal analysés ou mal traduits. Quant à Voici qu’un ambassadeur de Philippe III, — Garcias de Sylva Figuero, — en 1618, décrivit les ruines de Persépolis, et que Pietro della Valle, en 1624, vit que les dessins du monument décrit par Figuero étaient une écriture. Flower (1667), Kæmpfer et Van Bruyn (1700) prirent une copie de ces écritures, et Karsten Niebuhr, se trompant alors, affirma qu’elles formaient un groupe de trois modes d’écrire différemment la même langue. Tychsen, Munter et Sylvestre de Sacy (1798-1800) s’acharnèrent à la solution du problème ; et Grotesend, le Hanovrien (1802), avec Rask, le Danois, découvrirent enfin que chacune des trois inscriptions était un langage spécial. La démonstration de l’exactitude de la philologie assyrienne fut faite à Londres, en 1857, par Iliacks, Fox Talbot, sir Rawlinson et Oppert. Pendant que les philologues exploitaient leur conquête, Botta, Place, Layard, Fresnel, Lejean, Jones, Taylor, Loftus, Rawlinson, Smith et Rassan retrouvaient Ninive et Babylone sous des amoncellements de détritus, livrant ainsi aux historiens les premiers documents certains de l’histoire assyrienne. L’épigraphie, cette substance des siècles, pouvait promettre au monde la mise à plein jour d’un passé demeuré jusqu’alors véritablement trop obscur. Inscriptions commémoratives, archives royales, bibliothèques dont chaque livre est « une tablette d’argile couverte de cunéiformes fins et serrés », annales gravées sur des rocs, énumérations géographiques, déclarations fastueuses, mémoriales, partout notées, sur les pavés et dans les fondations des monuments, bas-reliefs, cylindres, amulettes, bijoux symboliques, presque toujours ornementés d’écritures, c’est par milliers que les documents vinrent à nos musées, réellement ou reproduits. Difficiles encore sont les classifications philologiques des textes traduits. Des bizarreries déconcertantes entretiennent les hésitations des traducteurs. Il est des cylindres, des cachets gravés, qu’il faut lire autrement qu’ils ne sont écrits. Des signes spéciaux, — un clou perpendiculaire par exemple, — imposent au lecteur une prononciation particulière du mot gravé. Les briques trouvées et lues, notamment celles formant la bibliothèque d’Assourbanipal, prouvent que les Assyriens aimaient à noter leurs impressions, à collectionner des résumés de faits, à entasser, pourrait-on dire, et par unités distinctes, la somme de leurs connaissances acquises. L’esprit encyclopédique, mais superficiel, de l’Assyrien se manifeste à chaque découverte nouvelle. Leurs œuvres historiques, mythologiques, et même grammaticales, ne sont généralement que des catalogues dont chaque brique est un feuillet. La découverte des monuments assyriens, avec leurs bas-reliefs et leurs textes loquaces, fut une révélation retentissante. L’Assyrie, dont on ne savait encore que le nom de ses rois, apparaissait enfin. L’architecture annonçait, avec cette rectitude appartenant aux preuves bâties, qu’une grande période artistique s’était développée en Assyrie, depuis la fin de la domination des pharaons d’Égypte en Asie (1350), jusqu’à la destruction de Ninive (625). Les témoins de cette splendeur étaient, par ordre, les palais de Nemrod ou Nimroud, les bas-reliefs du rocher de Bavian et le palais de Khorsabad. Cet art assyrien, tout égyptien au fond, n’était pas cependant sans se caractériser. Mais voici qu’une découverte, récente, mit à jour un ensemble de monuments chaldéens évidemment antérieurs aux œuvres assyriennes connues, prouvant l’antériorité d’une civilisation chaldéenne. La statuaire y apparut remarquable, donnant la vie au porphyre et au granit ; des cachets, véritables bijoux, des vases de pierre d’un étonnant fini, reculaient l’art chaldéen au delà du seizième siècle avant notre ère. Et l’on vit que les matériaux dont s’étaient servis les artistes chaldéens, d’origine égyptienne, avaient été transportés au moyen de barques parties des environs de la presqu’île du Sinaï. La civilisation chaldéenne, dans le sens élevé du mot,
avait donc précédé la civilisation assyrienne de Ninive et de Babylone ? Ce n’est
pas dire que les terres du Bas-Euphrate furent les premières occupées. La
situation matérielle de Les peuples étant venus de l’Orient,
dit La superposition de deux races distinctes en Mésopotamie,
dès les commencements de la vie historique en Assyrie, complique l’étude
importante de ces origines. Avant l’arrivée des Orientaux dont parle Cette division des Assyriens en deux groupes, en deux nations, dès les commencements, s’impose, puisque les premiers protocoles des monarchies assyriennes donnent au souverain le titre de Roi des Soumirs et des Accads. Mais la désignation ethnographique de ces deux groupes est délicate, la plus grande confusion n’ayant cessé de troubler les types et les langages sur toute la longueur de l’Assyrie. Cette théorie de dualité ethnique a, pour le plus grand profit de la science, ses hérauts et ses contradicteurs. On cherche les documents, les monuments pour mieux dire, qui démontreront cette dualité. On a écrit que les désignations d’Accads et de Soumirs, ou Summirs, empruntées à des noms de villes, différenciaient simplement le nord et le sud de l’Assyrie méridionale, et ne démontraient pas l’existence simultanée, sur le sol assyrien, de deux races distinctes. Les Touraniens, ou Touryas, étaient certainement une
grande agglomération d’hommes à l’époque où l’Assyrie naissait à l’histoire,
et la lutte de ces Touraniens contre les Aryas de Mais le développement de la vie assyrienne, l’histoire
politique, religieuse et artistique de l’Assyrie, ne s’expliqueraient pas
suffisamment par la double influence des deux races touranienne et accadienne
; il y a les vieux Assyriens, les
premiers occupants, qu’il faut retrouver, et il y a, en outre, au moins deux
groupes ethniques dont l’importance ne saurait être exagérée. D’abord le
groupe spécial qui, de bonne heure, quittant L’ethnographie place les Assyriens, vus d’ensemble, résumés en un type spécial, entre les Iraniens-Aryas et les Asiatiques. Leurs traits, réguliers, sont plus rudes, plus massifs que ceux des Arabes et des Persans ; leur barbe et leur chevelure sont touffues ; leurs yeux, bien ouverts, ont de belles lignes. On a l’impression d’un être qui résume en soi, robuste, toutes les vigueurs des types environnants. Il est difficile, maintenant, de distinguer en Assyrie,
sur ce champ de combat où quelques
rares survivants sont demeurés, les types des quatre grandes races
principales qui ne s’y rencontrèrent que pour s’y quereller : la race
touranienne ou ouralo-finnoise, la race asiatique ou de Sem, la race africaine ou de Cham, la race aryenne, ou européenne, ou de Japhet ; et il est surtout impossible d’y
retrouver les influences spéciales, — égyptienne, arabe, grecque, — qui
vinrent modifier les types principaux. Il est probable qu’à l’époque où l’invasion
aryenne se préparait dans l’Inde et en Bactriane, alors que les Asiatiques
étaient encore dans leur période hésitante, A ce moment, Ninive et Babylone n’existent pas ; il n’y a, dans une partie du Bas-Euphrate, que quelques groupements d’êtres humains, séparés, autonomes. Le peuple d’Assyrie, nombreux, au langage barbare et inintelligible, suivant l’expression d’Ézéchiel, n’a pas encore absorbé les groupes en formation parmi lesquels, â Our, et dès les commencements, il faut citer comme très important le groupe hébreu. Mais, bientôt, des peuples divers vont accourir en Assyrie, des trafics de toute sorte vont s’y produire, des langues diverses vont s’y échanger, autant que les produits du sol et de l’industrie, et c’est ainsi que plus tard, les Hébreux, les Phéniciens, les Carthaginois, les Syriens, les Assyriens, et puis les Arabes et les Abyssins, parleront une langue commune qu’Eichborn qualifiera de sémitique, terme absolument impropre, mais qu’une sorte de paresse scientifique, de complaisance lâche a fait adopter, et que l’on conserve, sans raison. L’organisation primitive de Les premiers essais d’organisation sociale en Chaldée seraient contemporains des essais de centralisation politique tentés et réussis par les premières dynasties égyptiennes de Manéthon (5000-4000). La dynastie chaldéenne, d’abord mentionnée dans les fragments de Bérose, a comme fondateur Evéchoüs, à qui succéda Chomasbélus, le serviteur du dieu Bel. Des indications très effacées, mais déchiffrables, lues sur des briques trouvées dans les boues du Schat-et-Arab, concordent avec les faits que les prêtres chaldéens racontaient aux Grecs du temps des Séleucides. Entre l’an 4000 et l’an 2500 avant notre ère, aurait régné
en Chaldée, Ourcham, dont les œuvres monumentales sont contemporaines de Babylone devait bientôt l’emporter sur Our, et Ninive inquiéter à son tour Babylone. Ce furent vraisemblablement les Assyriens du nord venus en Chaldée qui, ne pouvant adopter les mœurs des Chaldéens, s’unirent aux Soumirs et aux Orientaux qui vivaient en Mésopotamie, et constituèrent une ville capitale, — Ninive, — à l’imitation de Babylone et d’Our. La séparation fut rapide entre Ninive et Babylone, entre les Assyriens du nord et les Assyriens du sud, les premiers vivant sur un terrain ingrat, les seconds jouissant des richesses d’un delta bien formé. La civilisation ninivite, qu’assainissait pourrait-on dire le voisinage des montagnes arméniennes, eut aussitôt un caractère belliqueux. La confédération des principales villes, — Ninive, Resen, Kalach, Assur et Singar, — ayant chacune son roi, a des velléités de domination dès le début. Un sol rebelle, un climat dur parfois et les difficultés de l’existence, préparaient là un groupement d’hommes tumultueux et guerroyants. La civilisation babylonienne au contraire, plutôt pacifique, se peut comparer à la civilisation des bords du Nil. Le Tigre et l’Euphrate arrosant bien le pays, les hommes y vivant d’un travail facile, les races s’y mélangèrent simplement, et il en résulta un ensemble de mœurs et d’aspirations très favorable à la formation d’une nationalité. Les Babyloniens s’adonnèrent avec complaisance aux préoccupations intellectuelles, et leur ambition aboutit au développement de trafics fructueux. L’exploitation des métaux et l’attrait des échanges firent naître en Babylonie une industrie ingénieuse, une navigation hardie. Les villes se multiplièrent où les arts et les sciences obtinrent de solides droits de cité. Étudier le ciel fut une passion, et les prêtres se trouvèrent prêts pour diviniser les mystères du firmament, pour réglementer le culte des astres. Les Babyloniens absorbèrent les Chaldéens au point de vue du groupement national, mais les Chaldéens demeurèrent comme les éducateurs de Babylone. Les astronomes assyriens, devins, sorciers, prêtres, formant une caste, furent toujours désignés sous le nom générique de Chaldéens. Babylone influencera Ninive, plus brutale, mais admiratrice de la science et de l’habileté de la grande cité du sud. Suivant que, dans l’histoire, l’une de ces deux villes domine l’autre, l’historien pourrait employer, avec clarté, les dénominations successives d’Empire Ninivite ou d’Empire Babylonien ; mais la désignation générale d’Assyrie, d’Empire Assyrien, est bien la seule qui convienne, car le déplacement des centres maîtres ne modifia pas beaucoup les agissements du groupe humain formé entre la mer Persique et l’Arménie. Il n’y avait pas assez de différence, comme nécessités d’existence, entre les deux groupements, pour que leurs dominations successives imposassent, comme en Égypte par exemple, des changements historiques radicaux. Le culte, les mœurs et le langage même des Ninivites et des Babyloniens finirent par se confondre presque. Les races diverses venues en Assyrie s’y acclimatèrent, et il en résulta le type assyrien, spécial, caractérisé, que l’on voit sur les bas-reliefs de Khorsabad, de Nimroud et de Koyoundjik. Ce type est semi-arabe, semi-persan, avec des angles touraniens au nord, et des rondeurs africaines au sud. |