MÉMOIRES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE LA GUERRE DE 1914-1918

LA 9e ARMÉE, 29 AOÛT - 4 OCTOBRE 1914.

Chapitre III — La fin de la bataille et la poursuite. 10-12 septembre.

Arrivée du général Foch à Fère-Champenoise. – quelques résistances d’arrière-gardes ennemies, 10 septembre.  – la marche à la Marne, le franchissement de la rivière, 11 et 12 septembre. – la fatigue des troupes et des cadres. – entrée du général Foch à Châlons, 12 septembre. – jugement d’ensemble sur la bataille de la Marne. – les deuils du général Foch.

 

 

Dans la soirée du 9, à mon quartier général de Plancy, sans connaître encore en détail les résultats de nos attaques perdues de vue dans la nuit, j’avais en effet prescrit de poursuivre avec la dernière énergie l’offensive entreprise : au 11e corps d’armée, contre le front Sommesous, Lenharrée, la 9e division de cavalerie sur Mailly ; à la 42e division d’infanterie, contre le front Lenharrée, Normée ; au 9e corps d’armée, contre le front Normée, Écury, Morains-Le-Petit ; le 10e corps d’armée, fermant le débouché de Montfort, avait à attaquer sur Étoges, Villevenard, en direction générale de Colligny, Bergères-Les-Vertus. Dans la matinée du 10, à 5 heures, heure prescrite pour le déclanchement des attaques, le 9e corps d’armée a déjà presque complètement réalisé, en ce qui le concerne, le programme ci-dessus. Également, les 11e corps d’armée, 42e division d’infanterie et 10e corps d’armée reprennent la marche en avant. Leur progression ne rencontre d’autres difficultés que celles dues à l’encombrement du matériel abandonné par l’ennemi ou à des obstacles dressés par lui en certains points. Quelques rares patrouilles de cavalerie allemande se replient sans combattre. Dès que je suis informé de la situation au lever du jour, et en particulier des progrès réalisés dans la région de Fère-Champenoise, je me mets en mesure de les exploiter en réitérant au 10e corps d’armée mes instructions de la veille :

Je demande au 10e corps d’armée, disposant de la 51e division de réserve, de mener aussi vivement et aussi violemment que possible les actions prescrites sur Étoges et Colligny, afin de permettre à la 9e armée, ainsi dégagée de toute préoccupation sur sa gauche aux marais de Saint-Gond, de prendre sans réserves une offensive qui par son centre et sa droite semble devoir être des plus fructueuses.

En prescrivant au 9e corps d’armée :

De se lier au 10e corps d’armée qui attaque au nord des marais de Saint-Gond sur Étoges et Colligny, et, à mesure des progrès de ce corps d’armée, d’abandonner les débouchés sud des marais en vue de reporter toutes ses forces disponibles à l’attaque qui sera menée aussi violemment que possible sur le front.

En exécution de ces ordres, toute l’armée est ainsi lancée dans une marche vers le nord-est, sa gauche longeant la falaise de Champagne. La plaine champenoise s’étend devant elle sur trente-cinq kilomètres jusqu’à la Marne, qu’il lui faut atteindre au plus tôt par une marche sans arrêt. Faute de renseignements précis sur ce qui se passe à la droite de mon armée et sur la liaison avec la 4e, j’invite la 9e division de cavalerie à me faire connaître sans retard ce qu’elle sait de l’ennemi, en particulier sur les directions de Châlons et Sompuis ; je prescris en outre au commandant de cette division de former, sur la route d’Arcis à Châlons, en un corps de cavalerie, sa 9e division et la 6e division qui vient d’arriver, pour en faire un sérieux instrument de poursuite.

À midi, je transporte mon quartier général à Fère-Champenoise. Les allemands ont complètement pillé la ville. Le spectacle est en outre caractérisé par les nombreux tessons de bouteilles qui encombrent les rues. Il est difficile d’y circuler à pied, à cheval, ou même en auto. Les allemands ont avec soin vidé les caves de cette riche petite ville de Champagne. On ramasse dans les maisons de nombreux prisonniers attardés. à la gare encore en flammes, je trouve le général commandant le 9e corps d’armée. De là, je prescris que les têtes de colonne devront être, dans la journée, poussées jusqu’à la Soude. La marche en avant continue sur tout le front, mais, vers la fin de l’après-midi, des engagements qui se produisent çà et là avec les arrière-gardes ennemies ne permettent pas une progression aussi rapide que dans la matinée. L’ennemi a, en effet, déployé à ses arrière-gardes une forte proportion d’artillerie. à la tombée de la nuit, l’armée a atteint la ligne générale Écury-Le-Repos, Lenharrée, Poivres-Sainte-Suzanne. À sa gauche, la droite de la 5e armée est sur la Marne à Dormans, sans être encore en contact avec la 9e armée. D’autre part, la gauche de la 4e armée (21e corps) est toujours vers Sompuis.

Conformément aux directives du grand quartier général, il s’agit pour le lendemain de continuer la poursuite dans la zone à l’ouest de la route incluse Sommesous, Châlons. Il nous faut en même temps envisager le passage de la Marne, tout d’abord courir au plus vite à la rivière, nous saisir des ponts intacts, reconnaître ceux qui sont détruits, en préparer la reconstruction, de manière à franchir la rivière au plus tôt sur les talons de l’ennemi en mauvaise posture, et à ne pas le lâcher.

C’est dans cet ordre d’idées que je donne mes instructions dans la soirée du 10. J’ajoute qu’en vue de hâter les événements, on cherchera surtout à déborder et à tourner les arrière-gardes ennemies plutôt qu’à les attaquer de front, à agir pour cela avec des formations largement déployées, ou à faire appel à des colonnes voisines avec lesquelles des liaisons étroites devront être établies. La marche reprendra à 5 heures pour toutes les colonnes de poursuite. Tandis que la 5e armée passera la Marne à Dormans avec son 1er corps, le 10e corps d’armée, maintenu le 11 à la 9e armée, assurera la liaison avec le 1er corps et marchera sur épernay. Il importe, en effet, d’explorer et de nettoyer, en le tournant, le massif forestier situé entre les deux armées, comme aussi de reconnaître et de saisir sans retard l’important passage d’Épernay. Enfin, j’envisage l’intérêt que présente, pour le rendement de la bataille, l’action de mon armée sur les corps qui étaient opposés à la 4e armée. On s’est heurté aux arrière-gardes allemandes encore dans la soirée du 10 ; quelques-unes étaient bousculées dans la nuit à Clamanges et à Trécon. En tout cas, dans la matinée du 11, la route est libre et le mouvement de la 9e armée ne rencontre pour ainsi dire aucune résistance. Je presse les unités sous mes ordres d’atteindre au plus tôt la Marne, comme aussi de mettre la main, dans la journée, sur les points de passage dans leurs zones respectives : 9e corps d’armée, à Aulnay-Sur-Marne et en aval ; 42e division d’infanterie, à Matougues ; 11e corps d’armée, avec le corps de cavalerie, à Mairy, Sogny, Châlons.

En même temps, je réunis toutes les ressources possibles en camions à Fère-Champenoise, pour être à même, le cas échéant, de jeter rapidement des fusils sur les ponts signalés comme intacts ; mais aucune indication ne parviendra pour permettre de profiter de cette prévision. En fait, malgré l’absence de réaction ennemie, la marche des colonnes est assez ralentie. La fatigue des troupes est grande, elle est augmentée encore par la pluie qui tombe toute la journée et rend le terrain de Champagne difficilement praticable.

En fin de journée, à gauche de l’armée, le 10e corps atteint Épernay et pousse ses éléments légers au nord de la Marne. Le 9e corps d’armée atteint la vallée de la Marne à Plivot et Athis. La 42e division d’infanterie est dans la région boisée au nord de Germinon, Velye, avant-garde à Thibie. Le 11e corps d’armée est sur la ligne Thibie, Écury-Sur-Coole ; sa 18e division a poussé même jusqu’à Châlons (faubourg de la Marne) des éléments qui seront repliés à la nuit sur le gros de la division. Le corps de cavalerie a envoyé des détachements sur les ponts de la Marne à Châlons et en amont. Les reconnaissances ont trouvé le pont de Châlons intact et barricadé. Les ponts de Sogny, Sarry, également intacts, ont été enlevés et occupés par un escadron. Sur le reste du front de l’armée, les passages de la Marne sont détruits.

Les renseignements ne parvenaient que le lendemain à mon quartier général, bien que le corps de cavalerie stationnât dans la région de Saint-Quentin-Sur-Coole, et que moi-même, désireux de connaître au plus tôt la situation sur la Marne, j’aie passé la nuit à la mairie de Fère-Champenoise, pour être plus près des renseignements et pouvoir prendre des décisions immédiates. Aucune indication ne me venait de toute la nuit. Dans ces conditions, le franchissement de la Marne allait s’effectuer lentement à la droite de l’armée, dans la matinée du 12. Pendant la journée du 11, l’ennemi s’est d’ailleurs mis en retraite sur tout le front de la 4e armée. Le 21e corps, gauche de cette armée, a pu, en fin de journée, porter son avant-garde sur la Marne vers Mairy. D’autre part, la 5e armée a continué de progresser au nord de la rivière.

Entre temps est arrivée une nouvelle directive du grand quartier général. Le commandant de la 5e armée a rendu compte à celui-ci, le 10 septembre, qu’il constatait la retraite rapide des allemands, partie vers le nord en direction de Soissons, partie vers Épernay et plus à l’est. La 5e armée pénètre ainsi en coin dans le dispositif allemand, au point de séparation de deux groupements qui semblent se constituer, l’un à l’est d’Épernay et de Reims, l’autre au nord-ouest de Soissons. Entrant dans cet ordre d’idées, le grand quartier général envisage, le 11, l’action combinée de nos 9e, 4e, 3e armées contre le groupe ennemi de l’est, et celle de la 6e armée et des britanniques contre le groupe du nord-ouest, tandis que la 5e armée continuera sa marche directement au nord et restera prête à appuyer l’un ou l’autre de nos groupes d’armées. Et il fixe ainsi qu’il suit les missions des 3e, 4e, 9e et 5e armées :

... les 9e et 4e armées auront à concentrer leurs efforts sur le groupement du centre et de l’aile gauche ennemi, en cherchant à le rejeter vers le nord-est, pendant que la 3e armée, reprenant son offensive vers le nord, s’efforcera de couper ses communications. La 5e armée, ayant un détachement à la droite de l’armée anglaise et un à la gauche de la 9e armée, disposera le gros de ses forces de manière à agir, soit contre le groupement ennemi du nord-ouest, soit contre celui du nord-est, suivant la situation, le mouvement en avant des armées alliées se poursuivra en direction générale du nord, nord-est.

Le général en chef prescrit, d’autre part, au général d’Espérey d’assurer constamment, avec le 10e corps d’armée, la liaison avec la 9e armée et l’appui nécessaire à cette armée. Le commandant de la 5e armée reprend, en conséquence, à la date du 12, le 10e corps d’armée sous ses ordres. En portant cette décision à ma connaissance, il ajoute : vous pouvez compter sur moi, comme je vous l’ai prouvé les 8 et 9 septembre. En tout cas, et conformément à ces directives, la poursuite était reprise le 12, à partir de 5 heures, sur tout le front de l’armée, et la Marne abordée entre Sarry et Condé. En vue d’atteindre les colonnes ennemies retraitant vers l’Argonne, le corps de cavalerie avait été invité à pousser vers Auve ; il devait être soutenu par une division d’infanterie du 11e corps d’armée portée à Lépine et Tilloy. Et j’ajoutais : … le programme de la journée continue à être le même : attaquer partout, passer partout

À 9 heures, mon poste de commandement est installé à Chaintrix-Bierges. Pendant toute la nuit, le 9e corps d’armée a travaillé à rétablir les passages sur la Marne, à Condé, Tours et Bisseuil, et, à partir de 9 heures, il commençait à franchir la rivière. La 42e division a jeté une passerelle d’infanterie à Matougues et y fait passer une de ses brigades. L’autre brigade et les voitures utiliseront le pont de Châlons, à la gauche du 11e corps d’armée, ce qui retardera sensiblement le mouvement de la division d’infanterie. Le 11e corps passe par Châlons avec ses trois divisions défilant en colonne double. La 18e, qui est en tête, a commencé le passage de la Marne à 5 heures. Elle a trouvé le dispositif de rupture du pont complètement chargé ; le temps a sans doute manqué aux allemands pour opérer la mise de feu. La 60e division de réserve emploie seule les ponts de Sogny et de Sarry. Et comme elle y a été devancée par le 21e corps d’armée, elle ne peut effectuer son passage qu’à partir de 9 h. 30, apportant ainsi un appui tardif au corps de cavalerie, s’il en a besoin. Celui-ci a franchi la Marne également par les ponts de Sogny et de Sarry, mais seulement après les troupes du 21e corps d’armée, qui s’y sont indûment présentées d’ailleurs. Son action en est sensiblement retardée. Il envoie en tout cas des éléments de la 9e division de cavalerie sur Lépine, Tilloy, Auve, de la 6e, vers Marson, Moivre, Herpont.

Au soir, la 6e division de cavalerie, après avoir canonné vers Poix une colonne allemande, atteint Herpont et Dommartin-Sur-Yèvre. La 9e est difficilement venue à bout d’une résistance organisée par une arrière-garde de l’ennemi à Lépine. Elle n’a pu pousser au delà de Tilloy par suite de retards successifs dans ses mouvements. Nous avions en partie manqué le but que visait le corps de cavalerie, attaquer en flanc les colonnes adverses remontant vers le nord. Elles ont pu se replier presque en toute sécurité. La cavalerie a dû se contenter de suivre les arrière-gardes de ces colonnes, quand elles ont eu fini de s’écouler. Comme elle risquait alors de gêner le mouvement en avant de la 4e armée, je lui prescrivais de ramener ses divisions dans la région de Bussy-Le-Château, La Cheppe, d’où elle continuerait, le 13, sa mission de poursuite en liaison avec le 11e corps d’armée.

Une fois de plus il nous était donné de constater la lassitude des troupes comme aussi l’épuisement de certains officiers après les épreuves de la retraite, les angoisses d’une violente bataille de plusieurs jours et malgré la satisfaction du triomphe. Les troupes qui ont fait la victoire comprendraient et réaliseraient encore, cependant, en dépit de leur fatigue, toutes les espérances et les possibilités que son lendemain leur ouvre, si le commandement, de vaincu devenu vainqueur, ne se contentait pas de savourer ce retournement de la fortune, et cherchait, par plus d’activité et de décision, de prévoyance et d’aplomb, à agrandir, par des succès encore faciles, les résultats de sa dure victoire, à en étendre la portée au delà du présent, et à en accroître les bénéfices, au total à ménager le sang du soldat en lui évitant des sacrifices qui seront inévitables après quelques jours de répit laissé à l’ennemi.

En fin de journée, les têtes de colonnes de la 9e armée sont sur le front : Trépail, Les Grandes-Loges, Cuperly. À gauche, la 5e armée a atteint avec le 10e corps la Vesle en amont de Reims. à droite, la 4 e armée tient avec le 21e corps Bussy-Le-Château et Saint-Rémy-Sur-Bussy. À 13 heures, j’entre à Châlons et j’installe mon quartier général à la préfecture. Toute la journée, la ville est traversée, dans un ordre parfait, par les nombreuses colonnes du 11e corps, comme aussi par les artilleries et les convois de la 42e division d’infanterie et du 9e corps d’armée, qui, ne pouvant sans danger pratiquer les passerelles ou ponts sommairement rétablis, viennent utiliser le passage intact de Châlons pour franchir la Marne. Les allemands ont entièrement vidé la ville de toutes les denrées comestibles ou ingrédients de propreté. Il nous faudra pourvoir à ses besoins pendant plusieurs jours. Beaucoup de ses habitants y sont restés pendant l’occupation allemande, les autres rentrent rapidement.

À l’hôtel de haute-mère-Dieu, où nous dînions le soir, en fournissant d’ailleurs les vivres et les cuisiniers, le personnel de l’hôtel avait servi, la nuit précédente, de plantureux repas aux grandes personnalités de l’armée saxonne, à commencer par le prince royal de Saxe. Nous étions sur les talons de l’ennemi. La bataille de la Marne se terminait ; c’était bien une grande victoire. Elle était l’oeuvre de celui qui l’avait préparée dès le 24 août et en avait poursuivi la réalisation jusqu’au bout, du général en chef Joffre. Au lendemain de nos échecs à la frontière, il a clairement perçu comment la partie a été mal engagée, et il a rompu le combat pour le reprendre énergiquement, dès qu’il aura réparé les faiblesses reconnues. En présence des intentions enfin dévoilées de l’ennemi, de sa puissante manoeuvre à travers la Belgique, comme aussi devant les insuffisances de certains chefs, il n’a pas hésité à répartir autrement ses forces, à se constituer à l’ouest une armée de manoeuvre, à réorganiser le commandement, à prolonger la retraite jusqu’au moment favorable, et, ce moment venu, à combiner judicieusement l’offensive et la défensive, après une volte-face énergiquement commandée. Dans un magnifique coup d’arrêt il a porté un coup mortel à l’invasion.

De l’Ourcq à la Lorraine, les exécutants ont tous marché à la bataille dans une étroite union, un ensemble parfait, une énergie farouche, sentant bien que le pays ne survivrait pas à la défaite que comportait une bataille d’une pareille ampleur. Dans le haut commandement on a rivalisé de discipline pour remplir pleinement sa tâche, d’esprit de camaraderie pour s’entraider mutuellement. Les troupes ont combattu jusqu’à l’épuisement. Une fois de plus, les grands sentiments d’une armée, reflétant le légitime état d’âme d’une nation en guerre, et judicieusement mis en œuvre par le commandant en chef, avaient créé un événement historique. C’était la Marne. Paris, le coeur du pays, était sauvé par une victoire, à laquelle son gouverneur avait envoyé ses troupes, comprenant bien que, là, il réglait le sort de la capitale. Le plan de l’allemand s’effondrait et avec lui le prestige de ses armes. L’invasion rapide et violente, qui devait mettre la France hors de cause, était non seulement barrée, mais encore refoulée, en partie désorganisée. Dans quelles conditions l’ennemi allait-il se reconstituer, recommencer ses entreprises sur le front d’occident ? Pendant ce temps le front oriental ne pourrait-il pas faire sentir le poids de ses lourdes masses ? Les empires centraux auraient-ils un commandement de taille à mener sur les deux fronts une action désormais divisée, qui avait déjà échoué, concentrée sur un seul ? Le 28 août, à ma prise de commandement de la 9e armée, le communiqué signalait : de la Somme aux Vosges l’invasion triomphante. Celui du 10 septembre portait : la victoire française s’affirme

J’étais très heureux d’avoir pris une part sérieuse à ce renversement dans la fortune de nos armes. La 9e armée avait eu à supporter le choc de la IIe armée allemande (Xe corps, en partie sur 10e corps français, Xe réserve, garde), et, d’une forte partie de la IIIe (XIIe corps, XIIe réserve) lancées dans une manoeuvre décisive qui devait rompre le centre du front français. À Châlons, au milieu du débrouillage d’affaires de toute nature, arrivaient, avec les heureuses nouvelles confirmant la grandeur du résultat obtenu, les tristes renseignements concernant les membres de ma famille aux armées, les pertes cruelles qu’elle avait éprouvées dès le 22 août, et que me faisait connaître le général Sarrail, commandant la 3e armée. Dans la préoccupation des intérêts de la patrie, on n’avait même pas le temps de pleurer la mort des siens. Mais ces sacrifices consentis ne devaient pas rester stériles ; il nous fallait exploiter au plus tôt la situation acquise.

Je recevais également les différentes personnalités marquantes de la région, d’abord le préfet de la Marne, M. Chapron. Je lui présentais mes excuses d’avoir envahi sa préfecture et je lui faisais espérer que nous allions y rester peu de temps sans doute. En fait, c’était pendant de longs mois qu’allait y demeurer un état-major d’armée. Puis c’était l’évêque de Châlons, Mgr Tissier, resté à son poste pendant l’occupation allemande. Il me contait les péripéties de cette occupation de quelques jours, et comment, par son intervention directe près du prince royal de Saxe, il avait pu préserver la ville de certaines grosses contributions. Enfin, arrivaient M. Bourgeois, sénateur, Mm. Monfeuillard et le docteur Péchadre, députés du département, et tous ensemble nous célébrions la grandeur et la force de la France, unie pour faire tête à l’ennemi dans le parfait oubli de ses querelles de parti.