MÉMOIRES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE LA GUERRE DE 1914-1918

LA 9e ARMÉE, 29 AOÛT - 4 OCTOBRE 1914.

Chapitre II — La bataille de la Marne.

Journée du 6 septembre : de la gauche à la droite, la bataille s’engage sur tout le front de la 9e armée, qui maintient ses positions dans leur ensemble. – journée du 7 septembre : les attaques ennemies continuent ; la gauche et le centre tiennent, à droite le 11e corps fléchit. – journée du 8 septembre : les attaques redoublent de violence ; grave échec du 11e corps ; les autres tiennent ; la gauche gagne un peu de terrain. – journée du 9 septembre : concours de la 5e armée qui permet de relever la 42e division ; assauts violents et répétés des allemands ; la division marocaine perd et reprend Mondement ; manœuvre de la 42e division ; fin victorieuse de la bataille.

 

 

Après avoir passé la nuit à Plancy, j’installe mon poste de commandement, dès la matinée du 6, à Pleurs. L’occupation des postes avancés sur la rive nord des marais de Saint-Gond, que j’avais ordonnée dans la matinée de la veille, a bien été réalisée à Toulon-La-Montagne et Vert-La-Gravelle par la 17e division. Mais la division marocaine, chargée d’occuper Congy, n’a pu mettre la main sur cette localité déjà tenue par l’ennemi, et quand, à trois heures du matin, elle a repris avec la brigade Blondlat l’attaque de ce village, l’ennemi y est déjà solidement retranché. Tout progrès lui est interdit. En réalité, des forces, appartenant à une armée allemande autre que celle qui me suivait directement, étaient entrées en scène. La IIe armée ennemie, marchant rapidement sur les traces de la 5e armée française, avait atteint la veille à midi la ligne Montmirail, Vertus. L’avance de son mouvement lui avait permis de prendre immédiatement possession, dès son arrivée, de certains points, notamment de Congy, que j’avais visés.

Mais en outre, et dès la matinée du 6, cette armée partait à l’attaque, s’engageant dans une offensive puissamment montée, que sa forte artillerie allait rendre particulièrement violente. Ma 9e armée recevait tout d’abord les effets de cette entreprise de la IIe armée allemande. La brigade Blondlat, après son échec sur Congy, essaie de se maintenir sur la rive nord des marais. Mais, devant la violence de l’attaque ennemie et la puissance de son canon, elle doit bientôt se replier et passer finalement au sud. Plus heureux, le 135e régiment d’infanterie de la 17e division a occupé Toulon-La-Montagne ; mais, bientôt découvert sur sa gauche par le repli de la brigade Blondlat, il est violemment abordé et rejeté également au sud des Marais. En vain le 77e régiment est-il lancé sur Toulon. Tombant sous de puissants barrages d’artillerie, il se heurte bientôt à un adversaire déjà solidement installé. Sa situation devient rapidement critique et il ne peut y échapper qu’en se retirant sur Bannes. Toute possibilité d’agir au nord des marais est interdite au 9e corps dès la fin de la matinée. Dans ces conditions, je le rappelle à midi à l’exécution de sa tâche fondamentale, lui écrivant :

Il faut que le 9e corps sache prendre une attitude et une position défensives indiscutables, dans la soirée d’aujourd’hui, qui arrêtent tous les progrès de l’ennemi devant lui vers le sud.

Il faut également qu’il maintienne une liaison étroite, absolue, indiscutable, avec la 42e division et avec le 11e corps.

La consommation et l’emploi des troupes doivent être réglés pour obtenir sans discussion des résultats ci-dessus.

Que le 9e corps prenne toutes les dispositions pour tenir sur la rive sud des marais de Saint-Gond contre un bombardement qui est à prévoir, dans la soirée, des hauteurs de Toulon et de Congy.

Le 9e corps s’établit en conséquence au sud des marais, sans pouvoir empêcher cependant l’adversaire, qui poursuit jusqu’au soir ses violents efforts, d’aborder Bannes. L’ennemi fait affluer à travers le marais d’importantes forces, notamment de la garde, mais il n’en peut déboucher, pris sous le tir précis des batteries de la 17e division. Notre 75, vigoureusement conduit, brisera dans cette région ses entreprises pendant plusieurs jours et jusqu’à la fin de la bataille. À la nuit tombante, les allemands sont donc sur la rive sud des marais. En face d’eux sont retranchés la 17e division et la division marocaine. La 52e division de réserve est en deuxième ligne dans la région mont-Août, Fère-Champenoise, tenant sous son feu les débouchés des marais. Pendant que ces événements se déroulent au centre, la gauche et la droite de la 9e armée ne sont pas moins violemment engagées. à gauche, la 42e division s’est établie, dans l’après-midi du 5, dans la région de Mondement et a poussé ses avant-postes sur la ligne La Villeneuve-Les-Charleville, Soizy-Aux-Bois, Saint-Prix, qu’il lui a fallu conquérir de haute lutte.

Le 6, dès les premières heures du jour, les reconnaissances font connaître que l’ennemi occupe en forces la région Baye, Saint-Prix, Corfélix. Son artillerie ne tarde pas à entrer en action ; elle canonne le plateau de la Villeneuve, et le bois des Grandes-Garennes que le 162e a occupé vers 8 heures. Bientôt les allemands passent à l’attaque sur tout le front de la 42e division. Des combats acharnés se livrent toute la journée autour du bois de La Branle et de La Villeneuve ; ce village est pris et repris trois fois. Au soir, l’action du 10e corps d’armée, droite de la 5e armée, qui s’empare de Charleville, dégage la gauche de la 42e division et lui permet d’assurer la possession de La Villeneuve.

Par sa droite, cette division est engagée dans une lutte non moins violente. Après avoir repoussé plusieurs attaques allemandes sur le bois des Grandes-Garennes, le 162e en est rejeté vers 11 heures, et, fortement éprouvé, se replie sur la lisière nord du bois de Saint-Gond, dont il entreprend la défense.

Pour rétablir la situation de ce côté, la division marocaine reçoit l’ordre du général Dubois, commandant le 9e corps, d’attaquer immédiatement sur Saint-Prix : deux bataillons de tirailleurs sont chargés de cette attaque. En liaison avec le 162e, ces bataillons, sous les feux violents de l’artillerie adverse, s’emparent de la ferme Montalard, mais ils ne peuvent pousser au delà. Vers 18 h. 30, le combat s’arrête sur le front de la 42e division. Au prix de pertes sérieuses et grâce à son héroïque résistance, cette division a brisé, dans l’ensemble, les efforts répétés et puissants de l’ennemi. à la nuit tombante, elle maintient l’occupation de sa ligne. à la droite de l’armée, le 11e corps a également affaire à forte partie. Établi sur la Somme, de Morains-Le-Petit à Lenharrée puis à Haussimont, il a à remplir un rôle important de protection. C’est le flanc droit de l’armée qu’il doit couvrir, en particulier contre les forces allemandes venant de la région de Châlons.

Ses 21e et 22e divisions sont établies sur la rivière, l’une entre Morains-Le-Petit et Normée, l’autre en amont de Normée. La 60e division de réserve est en deuxième ligne dans la région de Montépreux, Semoine, Herbisse.

Dès le matin, l’ennemi prend le contact de la ligne de défense de la Somme et en prépare l’attaque. à 10 heures, la canonnade est extrêmement violente dans la région Morains, Écury, et elle gagne progressivement vers le sud. à 11 heures, tout le front du 11e corps est soumis à un bombardement intense. Vers midi, les allemands déclenchent les attaques d’infanterie. Ils s’emparent de Normée et d’Écury. Les défenseurs de Morains, se sentant isolés et menacés d’être tournés, perdent la localité. À droite, Vassimont et Haussimont tombent aux mains de l’ennemi. À 17 heures, la ligne de la Somme est perdue, sauf Lenharrée qui tient bon. Le commandant du 11e corps prescrit de la reconquérir par une offensive générale. Vassimont et Haussimont sont réoccupées, mais, à gauche, la 21e division exténuée est hors d’état de reprendre l’attaque. Normée, Écury, Morains, restent au pouvoir de l’ennemi, et on se borne de ce côté à lui en interdire les débouchés.

En résumé, au soir de la première journée de bataille, la 9e armée a été soumise sur tout son front à une violente attaque, dont le terrain découvert à l’est a facilité la marche. Malgré cela, à gauche, la liaison avec la 5e armée est bien assurée, et les efforts de l’ennemi ont été dans l’ensemble tenus en échec par la 42e division. Au centre, le 9e corps a perdu les postes avancés du nord des marais, mais il maintient solidement la ligne de résistance au sud. à droite, le 11e corps a subi un léger fléchissement, et sa situation mérite d’autant plus de retenir l’attention que le terrain lui offre peu de moyens de résistance ou de points d’appui, et que son flanc droit est complètement en l’air. Pour y porter remède, la 18e division, réunie aussitôt débarquée dans la région Semoine, Villiers-Herbisse, est mise à la disposition du général commandant le 11e corps. Elle constitue un appoint important qui peut lui permettre, non seulement de rétablir sa situation, mais encore de remplir la mission offensive à laquelle je la destine le lendemain. Quant à la 9e division de cavalerie, elle a dû se replier le soir vers Mailly.

La journée a été rude, mais la 9e armée a rempli sa tâche. Elle a subi une violente attaque, elle a eu sur les bras une grande partie de la IIe armée allemande, notamment le Xe corps dans la région de Saint-Prix, et le corps de la garde à Bannes, Morains-Le-Petit et Normée. Sur la Somme, de Normée, Lenharrée, à Sommesous, elle a reçu le choc de l’aile droite de la IIIe armée allemande, dont l’aile gauche compromet sa liaison avec la 4e armée française. Heureusement, les nouvelles parvenues des autres parties du front sont particulièrement réconfortantes. Dès 13 h. 30, le 10e corps de la 5e armée a fait connaître que cette armée n’avait plus d’ennemis devant elle et que les allemands se retiraient sur Montmirail. Dans la soirée, nous apprenons que les autres corps de la 5e armée poursuivent une offensive heureuse et que la 6e armée soutient, à l’ouest de l’Ourcq, une bataille dont l’issue est jusqu’à présent couronnée de succès.

Appuyer les progrès de la 5e armée en l’aidant d’une offensive à l’ouest des marais, en tout cas arrêter à tout prix l’adversaire en Champagne, dans les plaines de Fère-Champenoise, de Sommesous, de Sompuis, pour couvrir le flanc droit de nos armées de l’ouest lancées à l’attaque, comme aussi assurer la liaison avec nos armées de l’est, dont la gauche, 4e armée, s’appuyait à Vitry-Le-François, telle est la tâche de dévouement et de sacrifice que j’envisage pour mon armée, dans la journée du 7. Rentré à mon quartier général de Plancy, j’ordonne en conséquence que, dans la journée du 7, le front actuellement tenu continuera d’être défendu en tout état de cause :

Par le 9e corps sur la rive sud des marais de Saint-Gond ; par le 11e corps à Morains-Le-Petit et sur la vallée de la Somme, d’Écury-Le-Repos à Haussimont. À la gauche de l’armée, la 42 e division attaquera en liaison avec le 10e corps dans les mêmes conditions que la veille, tandis qu’à droite, le 11e corps, après s’être emparé des hauteurs au sud de Clamanges et du village de Clamanges, se portera en direction de Pierre-Morains, Colligny, mont-Aimé, Le 9e corps se tenant prêt à le soutenir en débouchant vers Aulnizeux et Vert-La-Gravelle. La 18e division restera tout d’abord en réserve d’armée dans la région d’Euvy. La 9e division de cavalerie couvrira la droite de la 9e armée, en surveillant les directions de Vitry et de Châlons et en cherchant à se lier, par un détachement, dans le camp de Mailly, avec la gauche de la 4e armée.

De ce côté se présente évidemment un point particulièrement dangereux. La 4e armée est engagée dans une bataille défensive violente. Une brèche de trente kilomètres continue de rester ouverte entre sa gauche et la droite de la 9e armée, et le général De Langle fait connaître que ce vide ne pourra être partiellement réduit que le 8, par l’entrée en ligne d’un nouveau corps d’armée, le 21e. à quelles surprises devons-nous nous attendre ? Dans ces conditions il apparaît que la situation, particulièrement tendue déjà de la 9e armée, doit être maintenue à tout prix. Ce résultat va exiger de la part des exécutants de l’énergie et de l’activité. J’y fais un pressant appel en vue d’étendre et de maintenir d’une façon indiscutable les résultats obtenus sur un ennemi fortement éprouvé et aventuré.

Afin d’assurer à notre action une durée qui peut comporter plusieurs jours, je prescris au commandement une conduite méthodique des attaques : engager l’infanterie en faible proportion, l’artillerie sans compter, et transformer immédiatement toute occupation en organisation défensive, est la tactique à pratiquer. De son côté, l’ennemi qui voit l’ensemble de ses forces arrêté, avec son aile droite en mauvaise posture sur l’Ourcq et son aile gauche immobilisée en Lorraine, est résolu à frapper un coup décisif par son centre. C’est la seule chance qui lui reste d’arracher une victoire, dont les probabilités se sont singulièrement éloignées pour lui depuis quarante-huit heures. Il y engage tout ce qu’il lui reste de forces dans la région. Le poids de son effort va porter sur les 4e et 9e armées françaises. Il entend les mettre définitivement hors de cause, ou au moins les séparer l’une de l’autre, et se précipiter par la brèche ainsi faite. Devant la 9e armée, cet effort va se traduire par des offensives extrêmement violentes, menées de part et d’autre des marais de Saint-Gond, dans les directions même que j’ai assignées aux attaques des 42e division et 11e corps. Les journées des 7, 8 et 9 septembre vont témoigner de l’acharnement de la lutte, pour aboutir en fin de compte à la défaite allemande. Le 7, dès les premières heures, le combat reprend sur toute la ligne.

À gauche, la 42e division, qui se porte en avant, et la division marocaine sont violemment attaquées sur tout leur front. La Villeneuve, enlevée par l’ennemi, est reprise peu après par le 151e. Vers 10 h. 15, le 162e est rejeté de Soizy et des bois de Saint-Gond jusqu’à hauteur de la route de Montgivroux. De son côté, la division marocaine, ayant perdu la ferme Montalard et Oyes, s’est repliée sur la crête au nord de Mondement. Pour répondre au danger qui en résulte, je multiplie mes appels au 9e corps en lui rappelant que sa mission principale reste, de ce côté, la même : maintenir la liaison avec la 42e division et arrêter à tout prix le débouché ennemi par Saint-Prix. J’appelle en même temps son attention sur la grande croupe en arrière de Mondement, qui devrait déjà être occupée par la division de réserve. D’autre part, le commandant de la 5e armée, qui a déjà fait connaître que les forces allemandes battent en retraite devant lui, donne à son 10e corps l’ordre de s’engager, de façon à enrayer l’offensive ennemie sur la gauche de la 9e armée. Vers 17 heures, la 42e division et la division marocaine, renforcées par des troupes réservées du 9e corps, repartent à l’attaque en vue de reconquérir Soizy, le bois de Saint-Gond et Saint-Prix. Cette attaque est accueillie par des feux violents partant des tranchées que l’ennemi a déjà établies entre le bois de Saint-Gond et Montgivroux. Un combat acharné se déroule, notamment à l’intérieur du bois de La Banle. S’il ne réussit pas à rétablir la situation, du moins arrête-t-il la progression ennemie sur cette partie du champ de bataille.

Vers 18 heures, à l’heure où cesse la lutte, nous tenons la partie sud du bois de la Branle et la route de Montgivroux, quelques éléments sont même dans le bois de Saint-Gond. Par contre, en fin de journée, La Villeneuve est de nouveau enlevée par l’ennemi. Au centre de l’armée, sur la rive sud des marais de Saint-Gond, on s’est tenu de part et d’autre sur la défensive, et la journée n’a été marquée de ce côté que par des actions d’artillerie parfois assez vives. À la droite, la lutte revêt dès le matin un caractère violent. À 8 heures, le 11e corps est violemment attaqué sur tout son front, en particulier vers Lenharrée. Peu après, des forces ennemies importantes débouchent de Morains-Le-Petit et d’Écury-Le-Repos ; la 21e division se maintient avec peine sous le choc, malgré l’appui que lui prête l’artillerie de la 17e division. Cette situation critique peut devenir rapidement très grave. On sent qu’une défaillance est sur le point de se produire ; elle aurait des conséquences incalculables, à l’heure même où l’aile droite des armées allemandes cède sous les coups victorieux de nos armées d’aile gauche.

De même que, dans la région de Mondement, les efforts de l’ennemi ont été neutralisés par l’attitude agressive de la 42e division et de la division marocaine, de même ce n’est qu’en attaquant nous-mêmes sur le front de la Somme que nous pouvons avoir des chances d’enrayer les progrès des troupes allemandes devant le 11e corps. Pénétré de cette nécessité, et persuadé que seul un changement d’attitude du 11e corps rétablira la situation, je prescris :

Devant l’aile gauche de l’armée, l’ennemi semble céder. Le 11e corps, assurant l’occupation de la Somme à Écury, Normée et Lenharrée, et disposant d’une brigade de la 18e division, attaquera de suite avec cette brigade de Normée sur Clamanges, et avec la 22e division le mamelon sud-est de Pierre-Morains et Pierre-Morains.

Cette nécessité de maintenir à tout prix la situation de ce côté, comme aussi d’arrêter les progrès de l’ennemi dans l’espace libre qui nous sépare de la 4e armée, répond entièrement à la conduite générale de la bataille que le général en chef fait connaître à nouveau par message téléphoné de 17 h. 15. Il faut tout au moins durer jusqu’à ce que la 4e armée puisse venir dégager la droite de la 9e, comme le général De Langle a été invité à le faire, lorsque le succès tactique à assurer tout d’abord, dans la région où son armée est engagée, aura été obtenu.

Cependant l’attaque prescrite au 11e corps n’a pas lieu en raison des actions ennemies très sérieuses sur Lenharrée et sur Vassimont, qui viennent d’être enlevés par les allemands. Le 11e corps se contente de maintenir la 21e et la 22e divisions sur leurs positions, jalonnées sensiblement par les bois au sud de Morains-Le-Petit et la voie ferrée de Sommesous, Fère-Champenoise. L’inexécution par le 11e corps de l’attaque prescrite aurait pu entraîner des conséquences redoutables, si l’ennemi avait poursuivi ses entreprises. Mais il est arrêté par une intervention heureuse du 9e corps, qui vient à point dégager la gauche du 11e. C’est, vers 16 h. 30, un régiment de la 17e division, le 90e, qui contre-attaque en direction d’Aulnay-Aux-Planches et d’Aulnizeux et réussit à s’emparer de ce dernier village, que les allemands reprennent du reste peu après. Malgré tout, cette action opportune dégage la gauche du 11e corps et apporte, tout au moins momentanément, un soulagement indispensable à ce corps d’armée. À mon extrême droite, la 9e division de cavalerie, après avoir repris Sommesous un moment occupé par l’ennemi, peut tenir avec son gros dans la zone Mailly, Villiers-Herbisse.

La 18e division, y compris la brigade mise à la disposition du 11e corps, reste encore disponible en deuxième ligne, dans les bois de part et d’autre de la route de Normée, Fère-Champenoise. Quant à la 60e division de réserve, elle est installée en situation défensive sur le plateau de Montépreux. Le bilan de la journée du 7 ressemblait à celui de la veille. La gauche de la 9e armée, grâce à la ténacité de ses efforts, avait enrayé les progrès de l’adversaire ; le centre s’était maintenu sur ses positions ; la droite, de nouveau, avait fléchi et perdu définitivement la ligne de défense de la Somme. C’est dans cette situation branlante qu’il nous faut poursuivre la bataille et attendre une décision des progrès de notre 4e armée, dont l’aile gauche est encore à plusieurs dizaines de kilomètres de notre droite.

La tâche de la 9e armée reste donc la même pour la journée du lendemain 8, et, par suite, je maintiens les instructions déjà données. J’y ajoute de faire dès la pointe du jour des reconnaissances sur tout le front en vue de déterminer les points encore occupés par l’ennemi. Les renseignements reçus montrent les allemands en pleine retraite devant les armées alliées de gauche, y compris la majeure partie de la 5e armée, et il est important de s’informer si leur mouvement de repli va s’étendre plus à l’est. En réalité, il n’en sera pas ainsi. Les journées des 8 et 9 septembre vont, au contraire, marquer le point culminant de la ruée adverse sur tout le front de la 9e armée.

Le 8, avant le lever du jour, le 11e corps subit une attaque des plus violentes. Profitant de la nuit pour s’approcher de nos lignes, sans subir le feu de notre artillerie, l’ennemi a formé ses masses d’attaque à quelques centaines de mètres de notre infanterie, et brusquement, à 4 h. 30, encore dans la nuit, sans préparation d’artillerie, il les lance au sud de Morains-Le-Petit et d’Écury-Le-Repos. La 21e division, gauche de notre 11e corps d’armée, reflue sur Fère-Champenoise, entraînant dans son mouvement désordonné une partie de la 52e division de réserve et de la 18e division. La 22e division lâche pied de son côté dans la région de Lenharrée. Le général commandant le corps d’armée s’efforce de rallier ses troupes, et ne parvient à les arrêter que sur les hauteurs au sud de Fère-Champenoise, tandis que la 18e division se reforme au sud de Connantray.

Informé à mon poste de commandement de Pleurs de ces graves événements, j’ordonne au 11e corps de réoccuper et de maintenir à tout prix Fère-Champenoise ; c’est le seul point d’appui sérieux que fournit la région, et, dans ce but, je mets toute la 18e division à sa disposition. à la condition d’agir sans retard avec une réserve intacte, et avant que l’ennemi ne l’ait organisé et occupé méthodiquement, nous pouvons le reprendre et y amarrer les lignes encore flottantes du 11e corps. J’ordonne en même temps au 9e corps de se lier avec lui vers cette localité, et d’entreprendre sans retard une action commune pour rejeter l’ennemi venant de Morains-Le-Petit. D’autre part, je fais appel aux armées voisines. La 4e armée ne peut-elle aider la droite de la 9e, notamment par son 21e corps, dont l’intervention a été annoncée pour le 8 ? Le général De Langle répond que le 21e corps attaque dans la direction du nord et que l’intervalle entre les deux armées est trop grand pour qu’il puisse apporter son concours. Je me tourne alors vers la 5e armée et je téléphone :

La droite de la 9e armée (11e corps) est prise à partie par une action combinée du XIIe corps saxon et de la garde, sans pouvoir être soutenue par le gros de mes forces engagé dans un combat au centre (9e corps) ; elle ne peut davantage être soutenue directement par la 4e armée. En vue de la dégager, il est demandé à la 5e armée de reprendre, si cela lui est possible, en liaison avec la 42e division et avec la gauche du 9e corps, l’offensive contre le plateau ouest de Champaubert.

Le général D’Espérey répond aussitôt :

La mission primordiale du 10e corps reste celle indiquée dans l’ordre d’opérations, c’est-à-dire aider la gauche de la 9e armée à rejeter au nord des marais de Saint-Gond l’ennemi qui essaie d’en déboucher par Saint-Prix et Soizy-Aux-Bois.

J’ordonne en conséquence à la 42e division de poursuivre énergiquement ses attaques en liaison avec les 9e et 10e corps. Ayant ainsi soudé et accentué l’offensive à la gauche, je reporte toute mon attention sur la droite, où la situation, bien que paraissant rétablie pour le moment, n’en demeure pas moins particulièrement grave. Indépendamment de l’échec qu’elle a subi, ma ligne est en ce point menacée d’enveloppement. La 9e division de cavalerie a dû abandonner Sommesous. Par là, elle a découvert la route de Montépreux, et l’ennemi est en mesure de déborder le 11e corps avant que celui-ci puisse faire son effort sur Fère-Champenoise. Pour parer à ce danger, je prescris : au 11e corps, d’assurer un repli à la 9e division de cavalerie en faisant tenir Semoine par quelques compagnies, si ce n’est déjà fait, ainsi sera barrée la trouée de Montépreux ; et à la 9e division de cavalerie, de manoeuvrer sur la route Sommesous, Mailly, pour agir dans le flanc de l’attaque de Montépreux, éventer et ralentir les attaques enveloppantes de l’ennemi.

D’autre part, pour gagner, le cas échéant, le délai nécessaire à la mise en oeuvre de l’action projetée sur Fère-Champenoise, j’ordonne de préparer, avec les troupes de la 60e division de réserve, qui s’est repliée sur la région Semoine, Mailly, des contre-attaques ennemies qui pourraient sortir de la ligne de la Somme. Enfin, j’insiste auprès du général De Langle pour obtenir l’appui du 21e corps :

Il serait grandement à désirer que la 4e armée pût faire agir aujourd’hui le 21e corps dans la direction de Sommesous.

Malheureusement il n’y faut pas compter, car, contrairement aux prévisions de cette armée et par suite d’un retard inattendu, le 21e corps ne pourra pousser du monde sur Sommesous que le 9. Tandis que le 11e corps s’installe, comme on l’a vu, sur les hauteurs au sud de Fère-Champenoise, l’ennemi, qui semble avoir été sérieusement éprouvé dans son succès, l’inquiète peu au cours de la matinée. De son côté, le 9e corps consolide sa droite, mise en mauvaise posture par le recul du 11e aux premières heures de la journée. C’est ainsi qu’il établit la 52e division de réserve vers Connantre, en liaison avec la gauche du 11e corps, et qu’il installe la 17e division sur le front mont-Août, ferme Sainte-Sophie qu’elle doit maintenir à tout prix.

À la gauche du 9e corps, la division marocaine a repris ses attaques en liaison avec la 42 e division, aux premières heures du jour. Elle s’est emparée de la crête du Poirier et a, vers 7 heures, chassé les allemands de Oyes, tandis que la 42e division progresse sur Saint-Prix. Mais elle se trouve ensuite immobilisée par le feu d’une puissante artillerie lourde établie sur les hauteurs de Baye. Bientôt des renseignements parviennent, signalant des rassemblements ennemis importants dans la région Coizard, Courjeonnet, Villevenard. Malgré ces difficultés et les menaces d’attaque à l’extrémité ouest des marais, qui retiennent les disponibilités du 9e corps, j’adresse à son chef des instructions répétées, lui disant :

Pour votre corps d’armée, l’intérêt capital de la journée est à la droite, où il doit apporter au 11e corps tout son appui. Il portera donc de ce côté toutes ses forces disponibles, même celles du centre qui ne sont pas engagées.

Grâce aux dispositions prises en conséquence, vers midi, la droite et le centre de la 9e armée sont sur la défensive, dans un calme relatif, préparant leur attaque combinée sur Fère-Champenoise. La 42e division a, pendant ce temps, attaqué et progressé de façon sensible. Dès la pointe du jour, elle s’est portée à l’attaque sur tout son front. à 11 heures, elle est maîtresse du bois de Soizy-Aux-Bois et du plateau de La Villeneuve, en liaison avec le 10e corps qui marche sur Corfélix et Boissy. Vers midi, sa gauche atteint la région Les Culots, Corfélix, soutenue par la 51e division de réserve du 10e corps. Sa droite, par contre, progresse péniblement.

À 14 heures, les allemands déclenchent une violente canonnade sur le front Broussy-Le-Petit, Ménil-Broussy, Reuves, Oyes, Saint-Prix, et, une demi-heure plus tard, leur infanterie passe à l’attaque sur tout ce front. Débouchant à travers les marais de Saint-Gond, l’ennemi s’empare de Broussy-Le-Petit, de Ménil-Broussy, et, malgré les pertes que lui fait subir notre artillerie, oblige la division marocaine à se replier sur le front lisière est du bois de Saint-Gond, Montgivroux, Mondement, bois et croupe d’Allemant, où elle se retranche à la nuit tombante. Tandis que ces événements se déroulent à gauche, je m’emploie à lancer au plus tôt l’attaque sur Fère-Champenoise. Cette action est en effet essentielle pour arrêter la manœuvre d’enveloppement dont le 11e corps continue à être menacé, et elle est susceptible, en outre, d’apporter un soulagement à la division marocaine qui est alors vivement pressée.

D’une façon générale d’ailleurs, ce n’est que par l’offensive, en témoignant par des actes agressifs de notre volonté et de notre faculté d’agir, que nous pouvons espérer troubler les fortes entreprises dont l’ennemi a pris l’initiative à la première heure du 8, et qui, se développant librement dans un vaste pays au parcours facile, peuvent atteindre le point faible des armées françaises : l’espace de vingt à trente kilomètres entre la droite de notre 9e armée et la gauche de notre 4e.

C’est pourquoi je presse, à 15 h. 30, les 11e et 9e corps d’agir sans retard sur Fère-Champenoise. L’attaque est préparée par cinq groupes d’artillerie. Elle est exécutée par deux régiments de la 52e division de réserve, en direction de Fère-Champenoise. Elle est appuyée à droite par les unités des 21e et 18e divisions. La progression est lente, mais elle s’accuse néanmoins sur tout le front. Elle est arrêtée par la nuit. Seuls quelques éléments de la 52e division de réserve pénètrent momentanément dans Fère-Champenoise. Si l’attaque n’a pas atteint ses objectifs, du moins a-t-elle obligé l’ennemi à un recul et, par là, elle a rempli son office.

La journée du 8 a été particulièrement dure pour la 9e armée. Depuis l’aurore jusqu’à la tombée de la nuit, elle a eu à subir des assauts violents et répétés. Sous les coups de l’ennemi, elle a dû céder quelque terrain, mais, et ce n’est pas là le moindre bénéfice de cette journée, son front reste soudé et la menace d’enveloppement qui avait plané sur elle durant de longues heures paraît au soir s’atténuer. En même temps, la tête du 21e corps est signalée à huit kilomètres au sud de Sompuis, et la 9e division de cavalerie, établie dans la région de Mailly, a pris contact avec elle.

Rentré à mon quartier général de Plancy dans la soirée, après avoir suivi les progrès de l’attaque vers Fère-Champenoise, je prescris que les 11 e et 9e corps s’établiront solidement sur les positions conquises. Ces premières dispositions prises, je ne puis me dissimuler cependant que la situation reste grave, notamment dans la moitié droite de mon armée. Le 11e corps, après de très nombreuses épreuves, n’a plus que des troupes particulièrement fatiguées sur des positions sans solidité. La liaison avec la 4e armée est bien fragile, l’ennemi ayant occupé Sompuis dans la journée ; elle ne sera solidement établie que si le 21e corps, encore loin de la bataille, intervient à temps. à ma gauche, la 5e armée est heureusement en meilleure posture. Elle n’a cessé dans la journée de faire de sérieux progrès. à côté d’elle, ma 42e division a participé aux résultats qu’elle a obtenus.

Là se trouvent encore quelques forces victorieuses, mais surtout le terrain favorable de la falaise de Champagne nous permet d’y résister avantageusement, peut-être même d’y progresser en liaison avec le 10e corps, au total d’y trouver un solide pivot pour l’entreprise de notre rétablissement, et d’y puiser les renforts nécessaires à notre aile droite, actuellement emportée par l’attaque dans cette plaine champenoise sans obstacle et sans abri.

Malgré les vingt kilomètres qui séparent ces forces de la région de Fère-Champenoise où il faut rétablir le combat, il n’y a pas à hésiter, c’est à ma gauche en progrès qu’il faut puiser, pour renforcer et sauver à tout prix ma droite en sérieuse détresse. Ces concours arriveront-ils à temps ? Autre grave question. En tout cas, à 21 heures, je téléphone au général D’Espérey, commandant la 5e armée, de vouloir bien, aux premières heures de la journée du 9, faire relever par des troupes de son 10e corps la 42e division, que je compte réunir à Linthes et à Pleurs pour l’engager à la droite de la 9e armée. Il me répond, non seulement en consentant à cette relève, mais encore en mettant à ma disposition le 10e corps, fort de deux divisions et de son artillerie de corps. C’est ainsi que dans la soirée même du 8, je puis ordonner pour le 9 :

La 9e armée étant fortement engagée par sa droite vers Sommesous, et le 10e corps étant mis sous ses ordres, les dispositions suivantes seront prises, le 9 septembre, à la première heure :

Le 10e corps relèvera, vers 5 heures, la 42 e division dans ses attaques contre le front Bannay-Baye, en particulier sur la route de Soizy-Aux-Bois à Baye, où il se liera avec la division marocaine qui tient le bois de Saint-Gond, Montgivroux et Mondement. Il aura en tout cas à interdire à l’ennemi d’une façon indiscutable le plateau de La Villeneuve-Les-Charleville, Montgivroux, ainsi que ses abords nord.

La 42e division, à mesure qu’elle sera relevée de ses emplacements par le 10e corps, viendra se former par Broyes, Saint-Loup, en réserve d’armée, de Linthes à Pleurs, en prévenant de son mouvement la division marocaine. le poste de commandement sera à Plancy.

En fait, le 9 dès l’aube, et comme s’il avait pressenti mes intentions, l’ennemi redouble la violence de ses attaques.

À notre gauche d’abord, débouchant en forces, il bouscule les avant-postes de la division marocaine et pousse d’un trait jusqu’au village et au château de Mondement, dont il s’empare. Il est 6 heures environ. Le commandant du 9e corps met aussitôt à la disposition du général Humbert la seule réserve qui lui reste, le 77e régiment d’infanterie, mais ce régiment est à Saint-Loup, à deux lieues de là ; son secours se fera forcément attendre.

Pour gagner le temps nécessaire à son intervention, le général Humbert obtient du général Grossetti, dont les troupes sont en partie relevées par le 10e corps, la disposition de deux bataillons de chasseurs et de l’artillerie de la 42e division. Cet appoint, quelque limité qu’il soit, de troupes relativement fraîches procure un soulagement et un répit à la division marocaine, qui fortifie sa résistance dans les bois au sud de Mondement, et se maintient héroïquement sous un feu d’enfer, gagnant ainsi le temps nécessaire à l’entrée en ligne du 77e régiment d’infanterie.

Celui-ci apparaît enfin vers les 11 heures ; tout danger est désormais conjuré. à 14 heures, le 77e attaque sur Mondement avec les débris d’un régiment de zouaves. Son attaque échoue sous un feu violent de mitrailleuses partant de la grille et des fenêtres du château. On amène une pièce de 75 à quatre cents mètres de la grille ; une section d’artillerie est poussée à proximité de la partie sud du parc ; à 18 h. 30, le 77e se lance magnifiquement à l’assaut, débusque l’ennemi, et, à 19 heures, le colonel Lestoquoi, commandant le régiment, peut envoyer ce bref et éloquent compte-rendu : je tiens le village et le château de Mondement, je m’y installe pour la nuit. La valeureuse résistance de la division marocaine, pendant la journée du 9, était capitale pour le succès de nos armées. Elle permettait à la 42e division d’exécuter dans de bonnes conditions un mouvement de rocade toujours bien délicat, et qui, sans cela, eût été par trop ralenti, alors que le temps pressait. Plus encore, la perte des hauteurs de Mondement eût entraîné celle de l’éperon d’Allemant, et, ce dernier aux mains de l’ennemi, c’était la mise à sa discrétion de ce morceau de plaine champenoise auquel, depuis quatre jours, les troupes de la 9e armée se cramponnaient de toute leur énergie. Elle était, enfin, d’autant plus essentielle, que la droite et le centre de l’armée continuaient de fléchir sensiblement sous les coups redoublés de l’adversaire.

Nous avons laissé, le 8 au soir, le 11e corps sur les hauteurs au sud de Fère-Champenoise. Dès le matin du 9, les allemands canonnent violemment ces positions, et bientôt, poursuivant leur entreprise de la veille, ils dirigent sur le centre et la droite du corps d’armée de très fortes attaques d’infanterie. Les 18e et 22e divisions, qui occupent cette partie du front, sont rejetées vers le sud, et, avant 10 heures, elles repassent sur la rive gauche de la Maurienne, où elles se reconstituent et s’organisent.

Quant à la 21e division, gauche du 11e corps, elle a d’abord subi sans broncher le violent bombardement de l’artillerie allemande. Mais, fortement prise à partie, se trouvant isolée et en flèche, elle est à son tour rejetée de l’autre côté de la Maurienne.

Pendant ce temps, la droite et le centre du 9e corps ne sont guère en meilleure posture. Dès le lever du jour, la 103e brigade (52e division de réserve), qui, la veille au soir, était parvenue à mi-chemin de Connantre et de Fère-Champenoise, reprend ses attaques sur la station de Fère. Elle ne réussit pas à progresser sensiblement et la lutte d’artillerie se poursuit avec violence. Contre-attaquée peu après, elle est rejetée, et se replie, sous un feu meurtrier, vers Connantre. Le général Dubois prescrit à la 17e division de tenir coûte que coûte sur son front : mont-Août, ferme Nozet, ferme Sainte-Sophie, en liaison à droite avec la 52e division de réserve.

Cependant, la pression ennemie se fait sentir de plus en plus durement, l’artillerie allemande balaie toute la plaine, la situation peut devenir critique sans l’arrivée de nouveaux renforts sur la route de Fère-Champenoise. Aussi je ranime les courages en annonçant l’entrée en action prochaine de la 42e division et la reprise de l’offensive :

La 42e division va arriver sur le front Linthes-Pleurs. Quelle que soit la situation plus ou moins reculée du 11e corps, nous comptons reprendre l’offensive avec cette 42e division par Connantre et Euvy, offensive à laquelle le 9 e corps aura à prendre part contre la route Morains, Fère-Champenoise.

La 42e division est en route depuis 8 h. 30. elle sera en mesure d’agir vers midi.

Le 10e corps a libéré la 42e division et est à notre disposition. Il reçoit l’ordre d’appuyer la division marocaine pour empêcher à tout prix la pénétration à l’ouest des marais de Saint-Gond.

Que de forces l’ennemi ne doit-il pas dépenser à ce jeu de violentes attaques répétées et sans profit appréciable jusqu’à présent ! Ces forces ne vont-elles pas lui faire défaut ailleurs ?

Comme on le voit, et depuis le commencement de la journée, il nous attaque fortement dans la région de Saint-Prix, Mondement, et plus fortement encore dans celle de Fère-Champenoise. En même temps, les nouvelles arrivées du grand quartier général indiquent des progrès notables de nos armées de l’ouest. Il importe donc au succès de la bataille engagée que notre 9e armée, malgré la rigueur de l’épreuve, fasse tête à l’ennemi jusqu’au moment où deviendront décisifs les progrès de notre aile gauche. Sa tâche reste nettement tracée. Pour si dure que soit cette tâche, la 9e armée doit contenir les forces ennemies qu’elle a devant elle, leur interdire toute rupture de notre front, et les maintenir tant qu’il sera nécessaire à l’obtention de la victoire. Encore une fois, je fais appel à l’énergie de tous en leur communiquant ma confiance inébranlable dans le succès et en leur donnant connaissance de la situation générale de l’ennemi :

Des renseignements recueillis au quartier général de la 9e armée, il résulte que l’armée allemande, après avoir marché sans relâche depuis le début de la campagne, en est arrivée à l’extrême limite de la fatigue.

Dans les différentes unités, les cadres n’existent plus, les régiments marchent mélangés les uns aux autres, le commandement est désorienté.

La vigoureuse offensive prise par nos troupes a jeté la surprise dans les rangs de l’ennemi qui était persuadé que nous n’offririons désormais aucune résistance.

Il importe au plus haut point de profiter des circonstances actuelles. à l’heure décisive où se jouent l’honneur et le salut de la patrie française, officiers et soldats puiseront dans l’énergie de notre race la force de tenir jusqu’au moment où, épuisé, l’ennemi va reculer.

Le désordre qui règne dans les troupes allemandes est le signe précurseur de la victoire ; en continuant avec la plus grande énergie l’effort commencé, notre armée est certaine d’arrêter la marche de l’ennemi et de la rejeter hors du sol de la patrie.

Mais il faut bien que chacun soit convaincu que le succès appartiendra à celui qui durera le plus.

Les nouvelles reçues du front sont d’ailleurs excellentes.

Entre temps, la violence des attaques ennemies a redoublé sur le centre de l’armée, les pertes sont élevées et le commandant du 9e corps n’a plus une compagnie disponible. À 13 h. 30, les unités de la 52e division de réserve qui occupaient le mont-Août se replient, entraînant dans leur recul toute la 17e division, qui vient se reformer sur le front cote 144 (trois kilomètres de Linthes), ferme Sainte-Sophie. La 17e division se cramponne à cette position, sur laquelle va se briser l’offensive de l’ennemi. Contre le 11e corps, l’attaque allemande s’étend de l’autre côté de la Vaure, dévale vers le ruisseau de Corroy, s’empare de Corroy et d’Ognes. Une partie de la 18e division est rejetée dans les bois sud de Gourgançon. Seule, la 22e division ne semble être inquiétée que par l’artillerie adverse.

À l’extrême droite, la 9e division de cavalerie, menacée par une infiltration de la cavalerie allemande dans la vallée de l’Huitrelle, s’est reportée en arrière de la route Dosnon-Allibaudières. Heureusement, à ma gauche, la division marocaine continue de résister héroïquement sur les hauteurs de Mondement, et, au delà, le 10e corps qui est efficacement appuyé par le 1er corps, droite de la 5e armée, repousse l’ennemi et enlève la position Bannay, Baye.

Dans ces conditions, nous pouvons, au quartier général de la 9e armée, porter toute notre attention vers l’angle de Fère-Champenoise. Après y avoir subi les rudes assauts de l’adversaire, il y a lieu d’engager une action décisive ; elle sera marquée par l’entrée en ligne de la 42e division. Cette division s’est mise en marche, conformément aux ordres donnés, vers Linthes, Linthelles. Retardée en partie par l’aide qu’elle a été momentanément amenée à prêter à la division marocaine, c’est seulement à 11 h. 30 qu’elle a atteint la grand’route de Sézanne. Elle franchit la falaise de Champagne et descend dans la plaine, où elle s’avance à travers champs, en formations articulées, admirable d’ordre et d’allure. À 13 h. 45, je lui fais connaître de nouveau ce que j’attends d’elle, dès son arrivée à pied d’oeuvre :

Attaquer, en partant de Pleurs-Linthes, l’éperon qui de Pleurs se dirige au nord d’Euvy. Flanquée au nord par le 9e corps, qui attaquera contre la route Fère, Morains-Le-Petit. Au sud, par le 11e corps qui attaquera l’éperon au sud d’Euvy, cotes 136, 160 et sur tout son front. Vers 4 heures (16 heures) aujourd’hui.

Puis je répète aux autres unités mes ordres précédents, qui comportent quoi qu’il arrive :

Au 11e corps d’attaquer contre le front Connantray, Montépreux, en liaison avec la 42 e division ; au 9e corps de se préparer à exécuter l’offensive prescrite au nord de la 42e division et en liaison avec elle ; à la 51e division de réserve d’attaquer sur le front Saint-Prix, Baye ; au 10e corps de participer à l’offensive de la 51e division de réserve en attaquant au nord des marais de Saint-Gond, dans la direction ouest-est.

Je ne me contente pas d’envoyer ces ordres. L’action à mener sur Fère-Champenoise a une importance telle que tous les détails en doivent être réglés, et, comme ils ne peuvent l’être que sur place, je dépêche à Linthelles le colonel Weygand. Dans ce village a lieu, à 16 heures, un entretien auquel prennent part, outre le chef d’état-major de la 9e armée, le général Dubois et le général Grossetti. Les derniers détails de l’attaque sont arrêtés, les zones d’action respectives précisées.

Le 9e corps, avec ce qu’il pourra mettre en ligne de ses 17e et 52e divisions, reçoit pour objectif Fère-Champenoise, puis le front Morains-Le-Petit, Normée. La 42e division enlèvera la croupe Connantre-Connantray, puis le front Normée-Lenharrée. Le 11e corps doit atteindre le front Lenharrée-Haussimont. L’attaque partira à 17 h. 15. Puis, comme il est de toute importance que le flanc droit de la 42e division soit parfaitement appuyé et que, d’autre part, le 11e corps semble vouloir subordonner son action à celle de la 42e division, le colonel Weygand envoie directement à Lintelles, à 17 heures, l’ordre suivant à la 21e division :

La 42e division attaque à 17 h. 15, du front Linthes, Pleurs, sur Connantre, Moulin De Connantre (nord de Corroy). Le 11e corps a reçu l’ordre d’appuyer cette attaque à droite en attaquant sur tout son front. ordre à la 21e division d’attaquer immédiatement sur la crête nord-ouest d’Euvy.

Et, de mon côté, j’adresse un dernier appel à mes troupes, insistant de la façon la plus pressante pour que l’offensive prescrite soit conduite de la manière la plus énergique. C’est donc une vaste contre-attaque, menée de l’ouest à l’est sur Fère-Champenoise et ses abords, qui s’engage en cette soirée du 9 septembre. Pour si fatiguées que soient nos troupes, c’est leur volonté de vaincre bien affirmée par une reprise générale de l’offensive, concordant avec l’entrée en ligne de la 42e division, qui doit avoir raison d’une fraction des forces ennemies certainement épuisée par les violents efforts des jours précédents, et que ses succès mêmes ont poussée au sud dans une situation risquée, au moment où le système des forces allemandes est entièrement ébranlé et même en pièces à l’ouest des marais de Saint-Gond. Car, dans cette région, le 10e corps gagne rapidement du terrain, tandis que, plus au nord, le 1er corps atteint la route La Chapelle, Champaubert.

Il est 18 heures, la canonnade fait rage sur tout le front de l’armée. La nuit approche, le moment est venu, par plus d’énergie et d’agressivité, de faire pencher la balance de la fortune, en rompant l’équilibre forcément instable de forces aux nerfs tendus à l’extrême depuis plusieurs jours, aussi bien dans le commandement que dans les troupes des deux camps. Toutes les artilleries disponibles ont été engagées. Les troupes du 9e corps se portent à l’attaque à gauche de la 42e division, progression lente et difficile à travers des boqueteaux qu’il faut nettoyer à la baïonnette et par-dessus les nombreux cadavres ou blessés de la garde prussienne, incontestable témoignage des pertes infligées par notre feu, notamment de 75. La nuit est bientôt venue, mais on avance ; des fractions ennemies se replient de bois en bois en tiraillant. La 42e division, partant du front Linthes, Linthelles, progresse à cheval sur la grand’route de Connantre à Fère-Champenoise.

À minuit, le commandant du 9e corps rend compte qu’il tient la ferme Nozet et les abords de la ferme Sainte-Sophie, que le moral de ses troupes est particulièrement exalté, que le mouvement en avant continue dans la nuit. Après avoir marqué un temps d’arrêt, on est en effet reparti, et l’aurore du 10 septembre trouve nos troupes du 9e corps occupant, dès 5 heures, Morains-Le-Petit et Fère-Champenoise, tandis que la 42e division se voit sur la croupe de Connantre à Connantray. Plus au sud, le 11e corps a suivi le mouvement, tandis qu’à la droite de l’armée la 9e division de cavalerie se reporte en avant vers Mailly et que le 21e corps de la 4e armée est à quatre kilomètres de Sompuis. Dès lors, toute la 9e armée est en route vers la Marne de la région de Châlons. Partout, sur les abords et les routes de Fère-Champenoise, on relève les indices des rudes épreuves subies par l’ennemi, les traces et les vestiges d’une retraite précipitée, et par là désordonnée. On fait de nombreux prisonniers, on ramène du matériel.