L'étude des rapports de la royauté avec l'Église nous a montré jusqu'ici la lutte du pouvoir royal et du pouvoir pontifical, cherchant à s'arracher mutuellement la domination de l'Eglise de France. Cette lutte prend fin au début du XIIe siècle, par une sorte de compromis tacite entre Philippe Ier et Pascal II ; l'Église de France, pressurée entre les exigences du roi et celles du pape, a payé les frais de la querelle. Toutefois, si, en apparence, le conflit se termine à l'avantage du roi, qui fait implicitement admettre par le pape l'investiture laïque, il n'en est pas moins vrai qu'au cours du conflit la papauté a gagné en influence sur le clergé et ses fidèles. Cela tient en partie à ce qu'avec Urbain II elle a pris l'initiative et la direction d'un vaste mouvement social auquel Philippe Ier reste étranger et dont les deux manifestations principales sont : d'une part les institutions de paix et la trêve de Dieu ; d'autre part la croisade. De la trêve de Dieu et de la croisade le principal initiateur est le pape français Urbain II. I L'idée de mettre un terme aux guerres privées est antérieure à notre période[1]. Elle remonte à la fin du xe siècle : le premier concile qui ait pris des décisions pour le maintien de la paix est celui de Charroux, tenu par les évêques d'Aquitaine ; bien que la date n'en soit pas certaine, il semble remonter aux environs de 989. Ce concile prononça l'anathème contre ceux qui pilleraient les églises, dépouilleraient les pauvres, frapperaient les clercs. Les évêques cherchent donc à protéger les humbles et les gens sans défense, mais prononcent seulement des peines ecclésiastiques. Les décisions du concile de Charroux furent renouvelées et précisées par d'autres conciles au cours du XIe siècle, malgré l'opposition de certains évêques comme Géraud, évêque de Cambrai, qui, selon les Gestes des évêques de cette ville, fit de vigoureux efforts pour empêcher l'établissement des institutions de paix[2]. En outre, les institutions de paix déterminent toute une organisation pratique. Dans les différents conciles, notamment à celui de Bourges (1038), clercs, seigneurs, paysans, jurent d'observer la paix et de la faire observer autour d'eux, de ne terminer leurs différends que par voie de justice ; ils forment des milices diocésaines, qui veillent à ce qu'aucune infraction ne soit commise. Avec Robert le Pieux, la royauté convoque elle-même des assemblées où la paix est jurée. Mais l'Eglise fait la part du feu : elle n'interdit les hostilités qu'à certains jours, ceux qui rappelaient le souvenir de la Passion du Christ, de sa Résurrection et de son Ascension ; aussi les guerres privées, à partir de 1041, durent-elles cesser du mercredi soir au lundi matin[3]. En 1054, le concile de Narbonne codifie en quelque sorte les décisions de tous les conciles antérieurs et l'analyse des canons qui y furent rédigés montrera où en était le mouvement à l'avènement de Philippe Ier[4]. Le concile pose d'abord en principe que la loi divine interdit à un chrétien de tuer un autre chrétien, car quiconque met à mort un chrétien répand le sang du Christ. En vertu de ce précepte divin, les évêques renouvellent la trêve de Dieu, c'est-à-dire l'obligation de s'abstenir de toute guerre privée du mercredi soir au lundi matin, ainsi qu'à certaines fêtes de l'année ; ils prononcent l'anathème contre tous ceux qui viendront à enfreindre ce décret ; ceux qui volontairement et sciemment commettront un acte de violence pendant la trêve seront justiciables de l'évêque et passibles de peines temporelles comme l'exil. A côté des canons du concile de Narbonne concernant la trêve de Dieu, il y en a d'autres qui englobent plus généralement toutes les institutions de paix. Le concile se préoccupe de protéger les personnes, les terres, les biens qui appartiennent à l'Église ; il interdit aux laïques de s'approprier les revenus des diocèses sans le consentement des clercs et des évêques, d'enlever quoi que ce soit aux moines, aux nonnes et en général à tous ceux qui ne portent pas les armes ; il s'efforce de défendre les laboureurs et les marchands contre les rapines des seigneurs ; il prononce l'anathème contre ceux qui violeraient ces différentes prescriptions, interdit aux clercs de célébrer la messe devant eux, de leur conférer les sacrements, de bénir leur sépulture. Ainsi, au milieu du XIe siècle, l'Église cherche à remédier aux violences féodales et à faire régner la paix ; elle prononce des peines spirituelles et dispose de milices bourgeoises. Toutefois, jusqu'ici, le mouvement a seulement un caractère local. Le concile de Narbonne a pour but d'établir la trêve de Dieu en Provence ; il ne comprend que des évêques du Midi. Pour que les institutions de paix pussent avoir un caractère universel, pour qu'elles pussent donner des résultats appréciables, il était nécessaire que la papauté prît la tête du mouvement. Cela ne se produisit guère que le jour où la tiare eut été confiée à un pape français, capable de se rendre compte de la portée des institutions de paix nées en France. Avant Urbain II, en effet, les papes ne paraissent s'être que médiocrement intéressés aux institutions de paix ; leurs interventions sont isolées et n'ont que peu de portée. En 1059, sous Nicolas II, le concile de Rome interdit bien d'attaquer les voyageurs, les clercs, les moines, les pauvres ; il excommunie ceux qui violent les cimetières[5]. Mais le successeur même de Nicolas II, Alexandre II, interdit aux évêques d'édicter de trop sévères pénalités contre ceux qui auraient porté atteinte aux institutions de paix. En 1063, il écrit à Cunibert, évêque de Turin, qu'il ne veut pas infliger une pénitence spéciale à ceux qui ont violé la trêve de Dieu, institution nouvelle et qui ne figure pas parmi les dogmes[6]. Vers 1066-1067, il trouve, toujours pour la même raison, qu'Alard, évêque de Soissons, a été trop loin en portant à trente années une pénitence pour un homicide commis pendant la trêve de Dieu, sans toutefois réprouver entièrement l'évêque, puisque, dit-il, cette trêve a été décrétée par des puissances sages et religieuses pour conserver la paix au peuple[7]. Toutefois, au fur et à mesure que l'on avance dans le siècle, le ton change. Urbain II comprend l'influence sociale que l'Eglise pourra obtenir à l'aide des institutions de paix et une bulle, adressée par lui, le 24 février 1094, à Foulque, évêque de Beauvais, montre quel prix il y attachait[8]. Foulque avait jeté en prison un certain Hubert, frère de l'évêque de Senlis ; il avait forcé les portes de sa demeure, pillé ses biens et finalement livré son prisonnier au roi. Urbain II lui reprocha, avec cette véhémence et cette fougue enflammée qui animent ses écrits, de s'être rendu coupable de ces méfaits pendant la trêve de Dieu. Le zèle du pape français pour les institutions de paix trouva une occasion de s'affirmer à ces assises générales de l'Eglise de France tenues à Clermont-Ferrand, en 1095, au cours du voyage d'Urbain II. Foucher de Chartres, historien de la première croisade, prête au pape un véritable discours de propagande en faveur des institutions de paix et de la trêve de Dieu[9]. Urbain II prononça l'anathème contre ceux qui saisiraient ou dépouilleraient les moines, les clercs, les nonnes, les voyageurs, les marchands, contre ceux qui pilleraient ou incendieraient les maisons et contre leurs complices. Votre pays, ajouta-t-il en s'adressant aux évêques, a trop longtemps souffert de ces iniquités ; personne, nous a-t-on dit, ne peut voyager en toute sécurité, sans s'exposer à être saisi le jour par les pillards, la nuit par les brigands, sans se heurter sans cesse, chez soi ou au dehors, à la violence ou à quelque esprit malin. Aussi je vous demande instamment de maintenir énergiquement dans chacun de vos diocèses la trêve, ainsi qu'on la nomme ordinairement. Si quelqu'un, par avidité ou par orgueil, vient à la violer, en vertu de l'autorité divine et de celle de ce saint concile, n'hésitez pas à jeter sur lui l'anathème. Les évêques se rendirent à l'appel du pape Urbain II. Ils maintinrent à la fois les institutions de paix et la trêve de Dieu, celle-ci du mercredi soir au lundi matin, de Noël à l'Epiphanie, de la Septuagésime à l'octave de la Pentecôte[10]. Les guerres privées se trouvaient par là même très limitées et presque impossibles. Le concile de Clermont n'a rien innové ; ses décrets n'apportent aucune modification à ceux des conciles précédents, en particulier de celui de Narbonne (1054), mais ils ont une portée plus générale. Jusqu'ici la trêve de Dieu a été le résultat de certaines initiatives locales ; admise en certains diocèses, rejetée dans d'autres, cette institution manque de fixité et de stabilité. Désormais, à la suite de la consécration officielle que lui a donnée la papauté, elle est universelle ; les évêques sont tenus en conscience de la faire respecter et de prononcer l'anathème contre les perturbateurs. Elle ne cessera de progresser et de s'étendre. Le successeur d'Urbain II, Pascal II, lui témoignera la même faveur et, au concile de Troyes (1107), confirmera les canons du concile de Clermont[11]. On ne saurait donc exagérer le rôle de la papauté dans le développement des institutions de paix. Ici comme ailleurs, elle a donné le branle ; l'épiscopat français a été docilement fidèle à ses directions, et, suivant les régions, il a eu plus ou moins de succès. Nulle part, peut-être, la paix n'a été mieux observée qu'en Normandie. Guillaume de Poitiers le constate avec enthousiasme[12]. Cela tient à l'autorité et au prestige dont y jouissait le pouvoir ducal à l'époque de Guillaume le Conquérant, qui ne ménagea pas son appui aux évêques. En 1080, un des canons du concile de Lillebonne est consacré à la paix de Dieu. Le concile émet le vœu que cette paix, telle que Guillaume l'avait instituée au début de son règne, soit fermement observée, que les évêques fassent justice de ceux qui viendraient à l'enfreindre et que, s'ils rencontrent quelque résistance, ils signalent le fait au seigneur dont dépend la terre du rebelle, afin que celui-ci le livre à la justice épiscopale ; si le seigneur refuse, l'évêque s'adressera au vicaire du roi[13]. C'était donc l'évêque qui était chargé de juger ceux qui n'observeraient pas la paix, et le bras séculier venait à son aide, s'il en était besoin. En 1096, sous le gouvernement de Guillaume le Roux, un concile normand, réuni à Rouen, s'occupe encore de la trêve de Dieu[14]. Il la maintient, selon les règles du concile de Clermont : elle devra être observée depuis le dimanche avant le carême jusqu'au lundi après l'octave de la Pentecôte, depuis le quatrième jour avant Noël jusqu'à l'octave de l'Epiphanie, chaque semaine du mercredi soir au lundi matin, à toutes les fêtes de la Vierge et à leurs vigiles, à toutes les fêtes des Apôtres et à leurs vigiles. En chacune de ces périodes, personne ne pourra attaquer, ni blesser, ni tuer, ni voler. En outre, les églises et leurs dépendances, les monastères et ceux qui y habitent, les voyageurs, les marchands, les laboureurs, devront vivre sous un régime de paix perpétuelle, et il sera interdit, à aucun jour de l'année, de les attaquer, de les saisir, de piller leurs biens ou de leur causer quelque dommage. Tous les hommes, à partir de douze ans, devront jurer un serment de paix, suivant une formule établie par le concile[15]. Enfin, seront frappés d'anathème tous ceux qui refuseront de faire ce serment, d'observer la paix, tous les clercs qui donneront la communion aux parjures, comme tous les marchands qui leur vendront quelque chose, et l'interdit sera jeté sur les terres de ceux qui ne respecteront pas les institutions de paix. Ainsi, en Normandie, par les canons du concile de Rouen, les guerres privées sont rendues presque impossibles, et cela, grâce à l'accord du duc et de l'épiscopat, dont les intérêts se rencontrent : pour le duc, la paix affermira son autorité en empêchant toute rébellion des seigneurs ; quant aux évêques, c'est un moyen d'étendre l'influence de l'Église. Ailleurs, les évêques furent moins soutenus par le pouvoir laïque, mais ils n'en élevèrent pas moins vigoureusement la voix en faveur des institutions de paix. A leur tête se place tout naturellement Yves de Chartres. Dans une lettre à ses diocésains[16], il justifie la trêve de Dieu par des raisons tirées de la vie de Jésus-Christ : les quatre jours pendant lesquels s'est opéré le salut du genre humain doivent être, d'après lui, des jours pacifiques. En outre, il considère la trêve comme pratiquement nécessaire ; il reproche à son métropolitain Daimbert, archevêque de Sens[17], d'avoir osé dire que cette trêve n'était pas sanctionnée par la loi, alors que les villes, les évêques, les clercs, l'avaient reconnue comme très utile et capable de donner les plus heureux résultats. C'est donc, dans l'esprit d'Yves, une institution divine qui ne peut avoir d'autre résultat que le bien de l'humanité. Aussi l'évêque s'est-il efforcé de la faire appliquer rigoureusement dans son diocèse et de l'imposer autour de lui. Dans une lettre au prédécesseur de Daimbert sur le siège de Sens, Richer[18], Yves se plaint de ce que l'archevêque n'ait pas fait justice de plusieurs habitants d'Etampes, et en particulier d'un certain Ursion, malgré les instructions pontificales qui ordonnaient de punir toute infraction à la trêve de Dieu. Or Ursion et ses complices ne cessaient de dévaster la partie du diocèse de Chartres contiguë à Etampes. Yves demande à Richer de prier l'archiprêtre d'Etampes de leur faire donner satisfaction ou, conformément à l'usage, de lancer l'interdit sur leurs terres. Une affaire plus grave se produisit à Chartres même, en 1106 ou 1107. Voici comment Yves l'expose à Daimbert, archevêque de Sens, auquel il demande conseil[19] : il y avait dans son diocèse une terre dont deux chevaliers possédaient chacun une part ; pour cette terre, ils étaient vassaux du vicomte de Chartres. Or le vicomte céda la suzeraineté de cette terre en bénéfice à un certain seigneur de Courville. Peu après, le comte Rotrou acheta une partie de cette terre, qui était alleu, et y établit un château. A cette nouvelle le vicomte, qui allait partir pour Jérusalem, et le seigneur de Courville vinrent se plaindre à l'Église pour qu'elle leur rendît justice. Un jour leur fut fixé pour plaider. Le vicomte prétendit qu'en bâtissant un château fortifié, le comte Rotrou avait agi contrairement aux institutions de paix. Rotrou répondit qu'il était bien forcé de se protéger. Yves jugea que l'affaire devait se terminer sans guerre et renvoya les parties devant la comtesse de Chartres, dont elles tenaient la terre en fief. Le vicomte fit défaut. Une guerre survint entre Yves, seigneur de Courville et le comte Rotrou. Yves fut pris dans une embuscade et emmené en captivité : le cas embarrassait vivement l'évêque de Chartres : devait-il excommunier Rotrou ou le convoquer en justice ? On voit, par une lettre adressée à Pascal II[20], qu'il essaya de négocier avec Rotrou, mais Rotrou se refusa à mettre en liberté Yves de Courville et à interrompre la construction de son château avant que la sentence eût été rendue : D'autre part, le vicomte Hugues de Chartres ne voulut pas comparaître avant d'avoir obtenu satisfaction sur ces deux points. Aussi l'évêque, voyant que les parties ne pouvaient s'entendre sur cette question préalable, renvoya-t-il l'affaire au pape, auquel, de son côté, le vicomte Hugues avait fait appel. Pascal II écrivit à l'archevêque de Sens, aux évêques de Chartres, Paris et Orléans de faire justice et de défendre les biens de celui qui était parti pour Jérusalem. Guy, frère de Hugues, qui gardait ses biens pendant l'absence du vicomte, et Yves demandèrent, en vertu de cette bulle, l'excommunication de Rotrou sans audience et sans jugement. Rotrou, en revanche, se déclara prêt à venir à l'audience de l'évêque de Chartres ou de son métropolitain ou des autres évêques de la province, et Yves ne voulut pas condamner Rotrou sans jugement, ce qui serait contraire à l'Evangile et aux canons[21]. Ainsi Yves, tout en maintenant les institutions de paix très énergiquement, ne veut pas sortir de la légalité : la légalité et la paix, voilà quels sont pour lui les caractères de la mission de justice que l'Eglise doit remplir. Yves de Chartres a donc combattu très énergiquement en faveur des institutions de paix. Lambert, évêque d'Arras, ne le lui cède en rien à cet égard. En 1096, Robert de Péronne lui demande d'accorder sa protection à de malheureux habitants de sa ville qui se rendaient à Arras et auxquels Arnoul et Raoul de Bapeaume avaient enlevé leur vin au passage, au mépris de la trêve de Dieu ; il prie l'évêque de leur faire rendre ce qui leur a été indûment saisi[22]. Les seigneurs de Bapeaume provoquèrent, l'année suivante, une intervention de Lambert auprès de la comtesse de Flandre, Clémence. Certains diocésains revenant de Rome, après n'avoir été inquiétés nulle part, ont été dépouillés à Bapaume par un certain G., prévôt ; Lambert était intervenu auprès de lui pour lui demander de restituer ce qu'il avait pris et, sur son refus, il l'avait excommunié. Il priait donc la comtesse de Flandre, conformément aux institutions de paix, de faire rendre à ces voyageurs leurs biens ; sinon, respectueux de ces institutions, il mettra au ban le château où le crime a été commis, ainsi que beaucoup d'autres[23]. De tous ces exemples il résulte que les évêques sont véritablement les gardiens des institutions de paix et de la trêve de Dieu. Ce sont eux qui prennent toujours l'initiative du châtiment de ceux qui viennent à les enfreindre ; c'est à eux que les victimes s'adressent pour obtenir justice. Ils rendent la sentence, mais, comme ils ne disposent que de pénalités ecclésiastiques, de l'excommunication et de l'interdit, ils sont obligés de faire appel au bras séculier pour obtenir que ce qui a été indûment saisi soit restitué. L'évêque a le premier rôle ; il juge et prie ensuite le comte d'exécuter sa sentence. Un dernier exemple prouvera qu'il en est bien ainsi : c'est le cas de Hugues d'Inchy, tel qu'il nous apparaît d'après deux lettres adressées, en 1095, par Renaud, archevêque de Reims, à Lambert, évêque d'Arras[24]. Hugues avait envahi, pendant la trêve de Dieu, avec une troupe armée, la villa de Saint-Géry appelée Felcherias ; il l'avait livrée tout entière aux flammes, y avait fait un riche butin et avait emmené une foule d'hommes en captivité. Renaud pria Lambert de jeter sur lui l'anathème et de mettre sa terre en interdit jusqu'à complète réparation. Un concile, tenu à Compiègne, confirma cette mesure et l'étendit à tous les complices de Hugues. Il n'en cessa pas moins de persécuter l'église de Cambrai, et Géraud, évêque de Cambrai, se rendit alors auprès du comte de Flandre pour lui demander d'intervenir. Il y a donc bien deux choses : d'abord les pénalités ecclésiastiques, puis l'intervention laïque pour faire respecter les décisions épiscopales. Ces institutions de paix donnèrent-elles des résultats appréciables ? On voit, par le nombre des exemples précités, que la trêve de Dieu fut bien des fois violée. Mais les textes ne rapportent guère que les cas où elle n'a pas été observée. Dans les pays comme la Normandie, où l'autorité du souverain justicier était forte, elle lui fut un précieux auxiliaire, un prétexte pour empêcher les guerres privées. Ailleurs, quand les sentences ecclésiastiques ne furent que mollement exécutées, l'Eglise ne put contenir les barons féodaux ; il ne semble pas, par exemple, que les turbulents seigneurs de Montlhéry et de Rochefort, dont nous avons narré plus haut les exploits, se soient beaucoup souciés des institutions de paix. Il n'en est pas moins vrai que ces institutions marquent un effort intéressant pour adoucir des mœurs encore féroces ; c'est un des aspects du mouvement social du XIe siècle. Le roi Philippe Ier n'a pas eu, envers ce mouvement de la trêve de Dieu, la même attitude sympathique que ses prédécesseurs. Il n'en est jamais question dans ses diplômes. D'autre part, une lettre de Hugues de Die à Yves de Chartres prouve que des officiers royaux ne se faisaient pas faute d'enfreindre les institutions de paix[25]. Cette lettre a trait à un certain Ursion, appelé sénéchal du roi (dapifer regis), dont il n'est pas question dans les diplômes royaux. Quoi qu'il en soit, l'évêque d'Evreux, Gilbert, s'était plaint de ce que cet Ursion eût saisi, pendant le carême, un de ses diocésains qui se rendait en pèlerinage à Notre-Dame de Vézelay et à Saint-Gilles ; or la personne des pèlerins était inviolable non seulement pendant le carême, mais en tout temps, et ceux qui venaient à enfreindre cette règle étaient passibles de peines ecclésiastiques. En conséquence, Hugues excommunia Ursion, sa famille et tous ceux qui avaient coopéré à un semblable sacrilège, et il prescrivit à Yves, qui était alors son métropolitain, parce qu'il remplaçait le défunt archevêque de Sens — ce qui semble prouver que la lettre est de 1096 —, de faire observer cet interdit et d'enjoindre aux clercs d'Orléans de s'y conformer, d'interdire aussi l'office divin partout où se trouverait le captif. Une telle lettre prouve bien que le roi ne s'occupait guère des institutions de paix. D'ailleurs ne se faisait-il pas faute lui-même, comme on l'a vu, de détrousser les marchands italiens qui traversaient la France ? II Le roi n'a pas pris une part plus active à cet autre mouvement social qu'est la croisade. Cette croisade est, encore plus que la trêve de Dieu, l'œuvre exclusive de la papauté. On considère parfois Grégoire VII comme ayant eu le premier l'idée de la croisade. Quatre bulles de l'année 1074 sont en effet relatives aux affaires d'Orient ; mais, si on les examine de près, on voit qu'il ne s'agit pas de croisade à proprement parler, mais simplement d'un secours à accorder à l'empereur d'Orient menacé par les progrès incessants de l'islam[26]. Au début de 1074, Grégoire VII a songé à organiser une armée de secours ; il s'est adressé tout d'abord à Guillaume Ier, comte de Bourgogne (2 février 1074)[27] ; mais, dans sa pensée, l'expédition d'Orient ne sera que le corollaire d'une expédition contre les Normands de Sicile menaçants pour le Saint-Siège ; quand ceux-ci auront été pacifiés par Guillaume et par Raymond, comte de Saint-Gilles, les deux princes français marcheront vers Constantinople, afin d'aider les chrétiens qui, gémissant sous les coups répétés des Sarrasins, demandent instamment au Saint-Siège de leur tendre une main secourable. Cependant les appels des chrétiens d'Orient se faisaient plus pressants ; Grégoire VII reçut un messager qui vint solliciter son appui : il se contenta de lui donner une bulle l'autorisant à demander des secours à tous ceux qui voulaient défendre la foi chrétienne (1er mars 1074)[28]. A ceux-ci le pape rappelait que les infidèles étaient aux portes de Constantinople et que ce serait une œuvre méritoire que d'aller au secours des chrétiens d'Orient. Cet appel fut entendu, et Guillaume VIII, comte de Poitiers, offrit au pape de se diriger vers Constantinople. Il est curieux de voir Grégoire VII calmer le zèle de ce seigneur[29] : il s'excuse de ne pas avoir réfléchi suffisamment à l'expédition et, malgré les rumeurs qui lui parviennent sur les atrocités que les païens font endurer aux chrétiens de Terre Sainte, il n'a pas encore formé de plans précis pour une action de ce côté, mais il prend bonne note de l'offre de Guillaume et fera éventuellement appel à son concours. Cette bulle est datée du 10 septembre 1074. Or, au mois de décembre, l'expédition paraissait en bonne voie d'organisation, puisque, le 7 de ce mois, Grégoire VII écrit à l'empereur Henri IV que, devant les supplications de ses frères d'Orient, il a organisé une expédition en leur faveur : en Italie, comme au delà des monts, on a répondu à son appel ; plus de cinquante mille hommes sont prêts à partir ; le pape se mettra à leur tête et, s'il est possible, il ira avec eux jusqu'au tombeau du Christ, laissant à l'empereur le soin de veiller sur l'Église romaine[30]. On ne peut s'autoriser de cette allusion à un voyage à Jérusalem pour dire que Grégoire VII a songé à la croisade. Il ressort de la même lettre — à laquelle on ne peut attacher une grande importance — que le but du pape, en allant en Orient, aurait été plutôt de mettre fin aux difficultés avec les églises de ces pays et de les unir à Rome ; le pèlerinage au tombeau du Christ n'est signalé qu'incidemment. D'ailleurs, les choses en restèrent là : absorbé par la réforme de l'Église, par la grande lutte du sacerdoce et de l'empire, par l'évangélisation des pays du Nord, Grégoire VII n'a pas songé à la croisade, qui est vraiment l'œuvre personnelle d'Urbain II. Pape français, c'est la France qu'il cherchera d'abord à ébranler. Si l'on en croyait certains chroniqueurs[31], l'idée de la croisade aurait été suggérée au pape par Pierre l'Ermite. Pierre, de très modeste condition, mais d'une grande sainteté, aurait eu une vision divine et aurait reçu du Christ lui-même l'ordre d'aller trouver le pape et de solliciter de lui une intervention en faveur de Jérusalem. Pierre l'Ermite se serait rendu auprès d'Urbain II, alors en exil, lui aurait fait un émouvant tableau des souffrances endurées parles chrétiens de Terre Sainte ; Urbain, persuadé par ses paroles, lui aurait ensuite confié la mission de prêcher la croisade aux princes et aux peuples, puis, peu après, serait venu lui-même en France où Pierre l'Ermite aurait été en quelque sorte son précurseur. Cette légende n'a aucune autorité. L'historien allemand Hagenmeyer a prouvé que les documents authentiques sur Pierre l'Ermite sont très rares et que ce soi-disant moine d'Amiens n'a eu aucune entrevue avec Urbain II avant le concile de Clermont[32]. En réalité, toute l'initiative de la croisade revient au pape. Il est difficile de déterminer avec précision à quel moment l'idée de cette croisade a germé dans l'esprit d'Urbain II. Elle n'est certainement pas antérieure à son voyage en France, et il semble, sans qu'on puisse rien préciser, qu'elle lui est née au moment où il passait les monts. Ce n'est pas elle, en tout cas, qui l'a déterminé à quitter l'Italie. S'il vient en France, c'est que, chassé de Rome par l'antipape Guibert, il veut s'appuyer sur l'Église de France contre les Allemands et contre les Italiens. Cependant Bohémond lui avait déjà donné le conseil de mettre en mouvement l'Europe contre l'Asie, afin qu'à la faveur de ce mouvement il pût rentrer à Rome, tandis que Bohémond envahirait l'Illyrie et la Macédoine, sur lesquelles il prétendait avoir des droits[33]. Il ne semble pas, à vrai dire, qu'Urbain II ait fait un calcul aussi profond[34]. S'il vient en France, c'est parce qu'il est Français et qu'il songe déjà à s'appuyer sur la France contre l'empire. Il inaugure tout simplement la politique pontificale du XIIe siècle, mais il profite de l'occasion pour réaliser la croisade, dont l'idée pénétrait de plus en plus les princes et les chevaliers, soucieux d'aventures et d'expéditions nouvelles, ainsi que le clergé et le peuple compatissant depuis de longues années au sort des pèlerins d'Orient. La question fut traitée au concile de Clermont (1095), avec beaucoup d'autres qui intéressaient plus spécialement la France. C'est pour régler la question de l'excommunication du roi et certains points de l'organisation de l'Église de France qu'a été convoqué le concile[35]. Urbain II a tenu à donner à cette assemblée un caractère particulièrement solennel : il y a mandé tous les évêques de Gaule et d'Espagne, dit Orderic Vital ; treize archevêques, deux cent trente-cinq évêques et une foule d'abbés et d'autres personnes ecclésiastiques s'y rendirent[36]. La correspondance des évêques français prouve l'importance que le pape attachait à ce concile : Renaud, archevêque de Reims, prie Lambert, évêque d'Arras, de se rendre à Clermont pour le 18 novembre, jour où le concile doit se réunir ; il devra se faire accompagner des abbés, des autres dignitaires ecclésiastiques et des seigneurs laïques de son diocèse, en particulier de Baudoin de Mons ; l'archevêque menace de la colère du pape tous ceux qui n'y viendront pas[37]. Il se peut qu'en provoquant à Clermont un aussi grand concours de clercs et de laïques, le pape ait déjà eu l'arrière-pensée d'entraîner les seigneurs à la croisade, mais la grave question de l'excommunication du roi suffisait cependant à le motiver. Quoi qu'il en soit, l'appel d'Urbain II fut en général entendu. Aucun des évêques et des abbés de Normandie ne fit défaut, si l'on en croit une chronique de Rouen et les Annales du Mont-Saint-Michel[38]. Il semble qu'il en ait été généralement ainsi, car le chiffre total des évêques et abbés donné par les chroniqueurs prouve que bien peu ne se rendirent pas à l'invitation d'Urbain II. Les chroniqueurs rapportent qu'après avoir traité différentes affaires ecclésiastiques[39], le pape prononça un discours sur les souffrances des chrétiens d'Orient et exhorta les assistants, en termes fort émus, à partir pour délivrer le tombeau du Christ[40], Urbain II rappela d'abord que les Turcs occupaient Antioche, Nicée et même Jérusalem avec le tombeau du Christ, qu'ils avaient transformé les églises en étables, qu'ils avaient mis la main sur des patrimoines destinés aux pauvres, qu'ils avaient emmené des chrétiens en captivité et les contraignaient à labourer la terre. Il persuada à ses auditeurs de vendre tout ce qu'ils avaient et de se diriger en masse vers l'Orient. Aussitôt, une foulé de pénitents prit la croix ; Aimar de Monteil, évêque du Puy, se mit à leur tête ; des légats de Raymond, comte de Toulouse, annoncèrent que le comte se croiserait aussi avec une foule de fidèles. Beaucoup de chroniqueurs se sont fait l'écho de cet enthousiasme populaire : la chronique de Saint-Pierre du Puy dit[41] qu'aux accents émus du pape, tous ceux qui étaient là furent enflammés par le Saint-Esprit, qu'ils placèrent l'image de la croix sur leurs poitrines et se déclarèrent prêts à mourir pour le Christ. Guillaume de Malmesbury affirme[42] qu'après le concile de Clermont, un vent d'enthousiasme passa sur toute la chrétienté, entraînant non seulement les pays méditerranéens, mais même les nations les plus reculées et toutes celles parmi les barbares qui avaient entendu le nom de Christ ; le laboureur quitta son champ ; le citadin abandonna sa ville ; chacun oublia ses occupations et même sa patrie pour ne songer qu'à Dieu seul ; ceux qui partaient étaient joyeux ; ceux qui restaient, pleins de tristesse. Beaucoup se déplacèrent en famille et six cent mille hommes environ se ruèrent à travers l'Europe. Tandis que les masses s'en allaient aveuglément, le pape avait confié à l'évêque du Puy, Aimar, l'organisation d'une croisade plus sérieuse[43], car l'enthousiasme des princes ne l'avait cédé en rien, au concile, à celui des foules. Lambert d'Ardres, dans son Histoire des comtes de Guines, place à la tête des princes qui partirent à la croisade le roi Philippe Ier[44]. Il est inutile de faire remarquer que Philippe Ier, excommunié par le Saint-Siège, dut s'abstenir, comme l'empereur du reste, mais la plupart des hauts barons féodaux prirent la croix. Parmi eux, on peut citer Hugues le Grand, frère du roi Philippe Ier, Bohémond, duc d'Apulie, fils de Robert Guiscard, Godefroy, duc de Basse-Lorraine, Raymond, comte de Saint-Gilles, Robert Courteheuse, comte de Normandie, Etienne, comte de Blois, Robert comte de Flandre, Baudouin, comte de Mons, Eustache, comte de Boulogne, Tancrède et une foule d'autres chevaliers[45]. Le succès était donc complet : tout le monde féodal s'ébranlait à la voix de la papauté. Aussi la prise de Jérusalem (1099) provoqua-t-elle en France une vive joie et détermina-t-elle ceux qui avaient attendu à partir à leur tour. Dans une lettre écrite en 1100 à Lambert, évêque d'Arras, Manassès, archevêque de Reims, l'invite à faire dire dans son diocèse des prières d'actions de grâces et à exhorter d'une façon pressante ceux qui ont fait vœu de croisade à se diriger vers l'Orient[46]. Le mouvement créé par Urbain II au concile de Clermont survivait donc au pape français. D'ailleurs, en cette même année 1100, Pascal II adressait une bulle aux archevêques et évêques de France en vue de continuer la croisade[47] ; il leur montrait la nécessité de venir en aide aux chrétiens de Terre sainte, accordant rémission et pardon de leurs péchés à ceux qui iraient au secours de l'Église d'Orient, maintenant au contraire l'excommunication contre ceux qui avaient abandonné la croisade au moment du siège d'Antioche. Aussi peut-on dire qu'il y eut en 1101 une véritable croisade. Elle eut à sa tête Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine. Le résultat en fut d'ailleurs lamentable : les croisés, mal soutenus par l'empereur Alexis de Constantinople, furent complètement battus par les Turcs[48]. Aussi, en 1106, Bohémond, prince d'Antioche, chercha-t-il à provoquer un nouveau mouvement ; au concile, réuni à Poitiers cette année-là, il joignit ses exhortations à celle du légat pontifical Brunon, mais sans grand succès, semble-t-il[49]. L'élan n'en est pas moins donné : la croisade restera un des points essentiels du programme des successeurs d'Urbain II. III Le troisième aspect du mouvement social au XIe siècle, c'est l'apparition des premières communes. Le rôle de l'Eglise et des évêques est moindre ici, souvent même presque nul. Trois communes ont apparu en France pendant le règne de Philippe Ier[50] : ce sont celles du Mans, de Saint-Quentin[51] et de Beauvais[52]. Nous sommes, à vrai dire, très mal renseignés sur leurs origines ; nous ne voyons guère ni comment elles ont été constituées ni quelle a été leur organisation. Celle-ci d'ailleurs paraît très rudimentaire. C'est à peine si le mot de commune peut s'appliquer au mouvement qui se produisit au Mans en 1073. On a vu comment, cette année-là, la ville se souleva contre Guillaume le Conquérant, qui en était le maître depuis 1063. A la suite de l'expulsion de Turgis de Tracy et de Guillaume de la Ferté, qui gardaient la ville au nom du roi d'Angleterre, les Manceaux, avec le concours de leur évêque, se sont un instant gouvernés eux-mêmes et ont préparé la résistance. D'autre part, Guillaume, quand il rentra au Mans, leur promit de leur laisser leurs coutumes et de respecter les droits de justice de la cité. On peut en conclure qu'il y avait au Mans une organisation collective, une commune en somme, mais on ne peut spécifier quels étaient exactement ses pouvoirs. A Beauvais, la situation n'est pas beaucoup plus claire. Les origines de la commune remontent sans doute à l'épiscopat de Guy, qui avait eu des démêlés avec les bourgeois ; ceux-ci luttèrent énergiquement contre lui, appuyés par Philippe Ier[53], et tout permet de supposer que l'évêque dut faire des concessions d'où sortit une ébauche d'organisation communale. En tout cas, cette commune manifeste son existence en 1099, dans un procès entre les chanoines (canonicæ) et les bourgeois (burgenses)[54] ; le procès se termina par un jugement prononcé, en présence de l'évêque Anseau, par un certain Adam. Ce jugement fait allusion aux coutumes données à Beauvais par Anseau, d'où il résulte qu'il existait une commune ayant des coutumes approuvées par l'évêque. De plus, toujours d'après cette sentence, certaines des coutumes remontaient à l'évêque Guy. Ainsi, au Mans comme à Beauvais, les bourgeois jouissaient de certaines libertés, avec l'approbation de leur évêque et, sans doute aussi, du roi, de Guillaume au Mans, de Philippe Ier à Beauvais. Mais leur organisation est assez primitive ; dans un cas comme dans l'autre, c'est une ébauche de commune plutôt qu'une commune à proprement parler. Il n'en est pas moins vrai que l'impulsion est donnée ; sous Louis VI, les communes vont se multiplier, mais l'Eglise n'aura pas toujours la même attitude sympathique à l'égard des bourgeois. IV Institutions de paix, première croisade, apparition des premières communes, tels sont les trois aspects du mouvement social à la fin du XIe siècle. Philippe Ier y reste étranger, et l'on ne peut guère citer de lui, comme réformes sociales, que quelques mesures de détail, souvent insignifiantes. Le roi a rendu d'abord quelques ordonnances d'affranchissement de serfs ou de colliberts. Ces ordonnances ne sont pas spéciales aux serfs du domaine. En 1069, Philippe Ier affranchit Erfroi, serf du comte d'Anjou, à la demande de celui-ci[55] ; en 1076, il confirme l'affranchissement d'un collibert par les chanoines de Saint-Hilaire de Poitiers[56]. Il semble donc qu'en principe l'assentiment du suzerain soit nécessaire pour les actes d'affranchissement. C'est ce qui paraît ressortir de plusieurs chartes du Liber de servis Majoris monasterii, en particulier de celle de Gelduin, vicomte de Chartres, qui, entre 1046 et 1064, affranchit un de ses serfs du nom d'Albert, avec l'assentiment de son suzerain, le comte Thibaud, dont il tenait ce serf en bénéfice[57]. Ainsi il y a eu, sous Philippe Ier, des actes d'affranchissement. Il faut signaler aussi un effort pour adoucir le sort de la classe servile ; c'est le diplôme de 1106 par lequel Philippe Ier concède aux serfs de l'abbaye de la Trinité d'Etampes (Morigny) les mêmes lois et coutumes qu'aux serfs royaux ; il décide en outre que cette assimilation aura lieu, en quelque endroit du royaume que se trouvent lesdits serfs[58]. Le roi légifère en cette matière pour tout le royaume. Enfin la collaboration de Philippe Ier au mouvement social est encore marquée par un diplôme de 1070 donnant aux pauvres et pèlerins de l'hôpital de Saint-Martin-des-Champs un moulin sur un pont et rendant à la culture une voie publique, afin de pouvoir satisfaire à la subsistance des pauvres[59]. Ces quelques diplômes sont des faits isolés et de peu d'importance. En résumé, Philippe Ier n'a pris aucune part, ou peu s'en faut, au mouvement social qui est un des traits caractéristiques de son règne. |
[1] Sur les origines des institutions de paix et de la trêve de Dieu, cf. Huberti, Studien zur Rechtsgeschichte der Gottesfrieden und Landfrieden, 1892 — et le compte rendu de cet ouvrage par Pfister (Revue critique d'histoire, 1-8 août 1892). Nous renvoyons à cet ouvrage pour les origines du mouvement. On y verra comment, au début du XIe siècle, des associations se sont formées pour le maintien de la paix, comment ces associations réunissent des armées, des finances pour l'entretien d'une armée et enrôlent les bourgeois qui font partie des troupes.
[2] Gesta episcoporzim
Canteracensium, c. XX. (Monumenta Germaniæ
historica, Scriptores, t. VII, p. 474-475.)
[3] Cf. Huberti, op. cit., t. I, p. 290 et suiv.
[4] Mansi, Conciliorum collectio, t ; XIX, col ; 827 ; Rec. des histor. de France, t. XI, p. 514.
[5] Mansi, Conciliorum collectio, t. XIX, col. 873.
[6] Jaffé, n° 4521 ; Coll. brit., Al., ep. 16.
[7] Jaffé, n° 4623 ; Coll. brit., Al., ep. 84.
[8] Jaffé, n° 5509 ; Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 706.
[9] Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana, l. I, c. II. (Rec. des histor. des croisades. Hist. occid., t. III, p. 322.)
[10] Mansi, Conciliorum collectio, t. XX, col. 902-904.
[11] Clarius, Chronicon S. Petri vivi Senonensis. (Duru, Bibl. hist. Yonne, t. II, p. 515.) — Chronicon S. Maxentii Pictavensis. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 405 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 423.)
[12] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 89.)
[13] Orderic Vital, l. V, c. V (Éd.
Leprévost, t. II, p. 315.)
[14] Orderic Vital, l. IX, c. III (Éd. Leprévost, t. III, p. 470.)
[15] On retrouve donc là une de ces associations pour la paix, comme il s'en était formé au début.
[16] Yves de Chartres, ep. 44. (Migne, Patr. lat., t. CLXII, col. 55.)
[17] Yves de Chartres, ep. 90. (Rec.des histor. de France, t. XV, p. 110.)
[18] Yves de Chartres, ep. 50. (Rec.des histor. de France, t. XV, p. 87.)
[19] Yves de Chartres, ep. 168. (Rec. des histor. de France, t. XV, p. 137.)
[20] Yves de Chartres, ep. 173. (Rec. des histor. de France, t. XV, p 139.)
[21] Yves de Chartres, ep. 169. (Rec. des histor. de France, t. XV, p. 138.)
[22] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 180.
[23] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 183.
[24] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 178.
[25] Migne, Patr. lat., t. CLVII, col. 520.
[26] Sur les origines de la croisade, cf. Hagenmeyer, Die Kreuzzuges briefe aus den Jahren 1088-1100.
[27] Greg. VII Reg., l. I, ep. 46. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t. II, p. 64-65.)
[28] Greg. VII Reg., l. I, ep. 49. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t. II, p. 69-70.)
[29] Grég. VII Reg., l. II, ep. 3. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t, II, p. 112.)
[30] Greg. VII Reg., l. II, ep. 31. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t. II, p.
144-146.)
[31] Cf. Historia de via Hierosolymis. (Tudebodus continuatus et imitatus) dans : Recueil des histor. des croisades. Hist. occid., t. III, p. 169-170. — Aubri de Trois-Fontaines, année 1094. (Rec. des histor. de France, t. XIII, p. 687 ; Monumenta Germaniæ historica, Seriptores, t. XXIII, p. 803.)
[32] Cf. Hagenmeyer, Le vrai et le faux sur Pierre l'Ermite (trad. Furcy-Raynaud),
[33] Guillaume de Malmesbury, De gestis reg. Angl., l. IV, c. CCCXLIV. (Rec. des histor. de France, t. XIII, p. 6 ; éd. Stubbs, t. II, p. 390.)
[34] Au concile de Plaisance, il a été vaguement question (comme jadis sous Grégoire VII) du secours à envoyer à l'empereur d'Orient, mais cela ne ressemble en rien à une croisade. Cf. Bernold de Saint-Blasien, année 1095. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores. t. V, p. 462.)
[35] C'est bien ce qui ressort d'un passage d'Orderic Vital, l. IX, c. II (éd. Leprévost, t. III, p. 463). — La prédication de la croisade ne vient qu'ensuite. — Cf. aussi Guillaume de Jumièges, l. VIII, c. VI. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 571.)
[36] Orderic Vital, loc. cit. Bernold, moine de Saint-Blasien, année 1095. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. V, p. 463), donne seulement le chiffre de 205 évêques ; Guillaume de Malmesbury, loc. cit., celui de 310 évêques et abbés.
[37] Migne, Patr. lat., t. CL, col. 1388-1389 ; Hagenmeyer, op. cit., n° XX, p. 175.
[38] Annales Montis S. Michælis, anno MXCV. (Delisle, Robert de Torigny, t. II, p. 222.)
[39] Cf. Guillaume de Jumièges, loc. cit. ; Chronicon Turonense, anno MXCV. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 466) ; Chronicon S. Petri Aniciensis. (Vaissète, Hist. du Languedoc, nouv. éd., t. V, p. 24 ; Rec. des histor. de France, t. XII, p. 347.)
[40]
Sur cette prédication de la croisade, cf. Orderic Vital, l. IX, c. II. (Ed. Leprévost, t. III, p. 466) ;
Robert de Reims, l. I, c. I-IV. (Hist. occid., t. III, p. 728-731) ;
Foucher de Chartres, c. I-III. (Ibid., t. III, p. 321-324.)
[41] Chronicon S. Petri
Aniciensis, loc. cit.
[42]
Guillaume de Malmesbury, De gestis reg. Angl., l. IV, c. CCCXLA'III. (Rec.
des histor. de France, t. XIII, p. 6 ; éd. Stubbs, t. II, p. 398.)
[43] Chronicon S. Petri
Aniciensis, loc. cit. — Cf. Orderic Vital,
l. IX, c. II. (Ed. Leprévost, t. III, p. 466) ; Robert de Reims, l. I, c. I-IV.
(Hist. occid., t. III, p. 728-731) ; Foucher de Chartres, c. I-III. (Ibid.,
t. III, p. 321-324.)
[44] Lambert d'Ardres, Historia
comitum Guinensium. (Monumenta Germaniæ historica. Scriptores, t.
XXIV, p. 626.)
[45] Cf. Continuation d'Aimoin, De gestis Francorum, l. V, c. XLVIII. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 122) ; Chronicon Turonense, anno MXCVI (ibid., t. XII, p. 466) ; Richard de Poitiers (ibid., t. XII, p. 411) ; Chronicon S. Maxentii Pictavensis, anno MXCVI (ibid., t. XII, p. 403 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 412) ; Florent de Worcester, année 1096 ; (Rec. des histor. de France, t. XIII, p. 69) Henri de Huntington, l. VII. c. V (ibid., t. XIII, p. 32, éd. Arnold, p. 219) ; Foucher de Chartres, c. VI (Hist. occid., t. III, p. 327), etc.
[46] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 189.
[47] Jaffé, n° 5812 ; Rec. des histor. de France, t. XV, p. 20.
[48]
Ekkehard d'Aura, c. XXII-XXXV. (Hist.
occid., t. V, p. 28-31 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores,
t. VI, p. 224).
[49] Chronicon S. Maxentii Pictavensis, anno MCVI (Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 423) ; Suger, Vita Ludovici, c. IX. (Ed. Molinier, p. 23.) — Cf. Bernard Monod, op. cit., p. 45-47.
[50] Nous ne comptons pas parmi elles Cambrai qui relève de l'Empire.
[51] Cf. Delisle, Etudes sur les origines de la commune de Saint-Quentin.
[52] Cf. Labande, Histoire de Beauvais.
[53] Vita S. Romanæ virginis ; c. II. (Acta Sanctorum. Octobris, t. II, p. 139 C.)
[54] On trouvera les détails de ce procès et le texte du jugement rendu à cette occasion dans : Labande, Histoire de Beauvais, p. 55-58.
[55] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° XLI, p. 118.
[56] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° LXXXIII, p. 215-216.
[57] Liber de servis Majoris monasterii, n° LI, p. 49. — Cf. aussi : Ibid., p. 55, la charte n° LVI (entre 1025 et 1032) où un certain clerc va demander à Eudes, comte de Blois, l'autorisation de donner à Marmoutier un serf qu'il tenait en bénéfice dudit comte.
[58] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° CLVI, p. 389-391.
[59] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° LIII, p. 142-144.