La politique de Philippe Ier, dans ses rapports avec la féodalité, est caractérisée avant tout par la lutte contre la Normandie. Cette politique et les négociations auxquelles elle a donné lieu ne peuvent se comprendre et s'expliquer que si l'on connaît, au moins dans ses grandes lignes, l'état de la France féodale pendant la seconde moitié du XIe siècle[1]. Quels sont donc à ce moment les principaux fiefs et leurs titulaires ? I Au nord du domaine royal, le grand fief est le comté de Flandre qui, au moment où commence le règne de Philippe Ier, était gouverné par Baudoin V, tuteur du jeune Philippe. Ce Baudoin a été, nous l'avons vu, un homme de premier ordre. En même temps qu'il gouvernait la France, il ne négligeait pas ses intérêts personnels ni ceux de son comté. A son avènement (1036), la Flandre s'étendait jusqu'à l'Escaut qui séparait le royaume de Lorraine, relevant de l'empire, du comté de Flandre, rattaché au regnum Francorum[2]. Baudoin construisit un château à Oudenarde ; ce fut le point de départ de la conquête du pays entre l'Escaut et la Dendre, qui faisait partie du royaume de Lorraine. La Généalogie des comtes de Flandre rapporte[3] qu'à la suite de cette conquête, le roi de Lorraine, qui était en même temps empereur, organisa une expédition contre Baudoin V ; il passa devant Arras, où Baudoin tenait son armée enfermée, et il s'avança jusqu'à une villa du monastère de Saint-Bertin appelée Arcques, pensant qu'il entrerait par là en Flandre ; mais Baudoin avait si bien fortifié le pays qu'après de vaines fatigues l'empereur dut se retirer. Le comte le poursuivit dans sa retraite jusqu'au Rhin, incendia son palais de Nimègue et revint avec une armée intacte. L'empereur, furieux, revint au bout de sept ans, à l'improviste ; il apparut devant Tournai, fit quelques nobles prisonniers et s'en retourna, sans être inquiété. La paix fut signée et Baudoin conserva le pays entre l'Escaut et la Dendre pour lequel il prêta hommage. Le comté de Flandre, en 1064[4], débordait donc au delà des limites géographiques de la Flandre. L'œuvre commencée par Baudoin V allait être continuée par ses successeurs[5]. Baudoin V mourut le 1er septembre 1067 ; il fut enseveli à Lille[6]. Il avait préalablement prévenu le morcellement de son fief. Lambert de Hersfeld fait remarquer[7] que dans le comté de Baudoin et dans sa famille, depuis plusieurs siècles, il existait un usage qui avait pour ainsi dire pris force de loi : celui des fils qui avait eu le mérite de plaire davantage à son père, prenait le nom de celui-ci et il héritait de toute la succession flamande ; les autres devaient lui obéir et mener ainsi une vie sans gloire, ou bien ils partaient pour l'étranger et essayaient de s'illustrer. Cette coutume empêcha toujours le morcellement du comté de Flandre. Or Baudoin V avait eu de sa femme Adèle, fille de Robert le Pieux, plusieurs fils. Selon Orderic Vital, l'aîné était Robert le Frison, qui fut écarté de la succession parce qu'il avait offensé son pèr[8]. Au contraire, d'après la Chronique de Saint-Bertin[9] et Guillaume de Jumièges[10], l'aîné était Baudoin ; mais Baudoin V, craignant que Robert, guerrier intrépide et entreprenant, ne créât des ennuis à son frère ou à ses héritiers, lui fit jurer, à Oudenarde, devant tous les seigneurs flamands, que jamais il ne chercherait à enlever le comté de Flandre à Baudoin ni à ses descendants ; il lui donna même à cet effet une grande somme d'argent. Lambert de Hersfeld[11] a fait un récit plus ou moins légendaire de toutes les aventures de Robert le Frison : dès qu'il fut en âge de partir, Baudoin V lui donna un vaisseau, de l'argent, tout ce qui était nécessaire pour un long voyage, et le pria d'aller se créer un royaume pour lui. Robert emmena des troupes et s'en alla vers la Galice, qu'il pensait soumettre. Au bout de quelques jours, il aborda à un littoral inconnu ; il fut attaqué par les habitants, obligé. de s'enfuir ; il échappa à peine à la mort. Il retourna en Flandre, fut assez mal reçu par son père à cause de cet échec ; mais il répara ses vaisseaux et tenta de nouveau la fortune. Il ne fut pas beaucoup plus heureux que la première fois : il éprouva une tempête dans laquelle il perdit ses compagnons ; il fut jeté à terre, nu et dépourvu de tout. Il se dirigea en pèlerin vers Jérusalem, attiré par les Normands qui combattaient sous les ordres de l'empereur de Constantinople et lui promettaient la domination de la Grèce. Mais l'empereur ne voulut pas de lui et donna même l'ordre de le tuer s'il abordait en Grèce. C'était encore un échec. Après avoir longtemps erré, il aborda enfin en Frise ; il chercha à s'emparer du pays que possédait un comte du nom de Florent ; il éprouva d'abord deux défaites, mais finalement fut reconnu par les habitants du pays. Son frère, Baudoin VI, devenu comte de Flandre à la mort de son père, se prépara à le chasser, craignant ce dangereux voisinage. Robert lui envoya des ambassadeurs, le priant de se souvenir qu'ils étaient frères et d'avoir pitié de toutes ses infortunes ; il ne demandait qu'à finir paisiblement sa vie dans ce petit coin de terre. Baudoin ne fut pas touché par ses prières. Le combat s'engagea : Baudoin fut vaincu et tué ; Robert envahit la Flandre et s'empara de tout l'héritage. La fin de ce récit est manifestement fausse : c'est contre Arnoul, fils de Baudoin VI, qu'a lutté Robert le Frison. Cette erreur n'autorise guère à admettre tout le reste de l'histoire de Robert le Frison ; mais elle est à retenir, comme ayant été inspirée par la renommée de sa valeur militaire. La seule chose certaine, c'est, comme le racontent la Chronique de Saint-Bertin et Guillaume de Jumièges dans les passages précédemment cités, que Robert épousa Gertrude, veuve de Florent, comte de Frise ; il entra ainsi en possession de la Frise, d'où son surnom de Frison. Aubri de Trois-Fontaines place en 1063 cette arrivée de Robert en Frise[12]. Ainsi débarrassé de son frère, Baudoin VI succéda en 1067 à son père Baudoin V. Son règne, quoique très court (1067-1070), n'a pas été inutile au comté de Flandre. Baudoin VI, par son mariage, lui a annexé le Hainaut. Voici ce que racontent à cet égard les Généalogies des chroniques de Hainaut[13]. Hermann, comte de Hainaut, avait une femme, du nom de Richilde, qui lui avait donné un fils et une fille. La mort du comte de Valenciennes avait augmenté la puissance d'Hermann et de Richilde, car, tant par leurs liens de parenté avec lui qu'en achetant les autres héritiers, ils adjoignirent ce comté au Hainaut. Hermann vint à mourir et Richilde épousa en secondes noces Baudoin VI. Elle eut de lui deux fils, Arnoul et Baudoin. Mais, comme elle avait deux enfants de son premier lit, les fils de Baudoin VI ne pouvaient hériter du Hainaut. Baudoin et Richilde ne l'entendaient pas ainsi : le fils d'Hermann se fit clerc et devint évêque de Châlons ; sa fille entra dans un monastère. Ils persuadèrent alors à l'évêque de Châlons, en lui donnant une somme d'argent et par d'autres moyens encore, de renoncer au Hainaut, qui reviendrait aux enfants de Baudoin VI. Ainsi Baudoin VI avait ajouté à la Flandre les comtés de Hainaut et de Valenciennes : il complétait par là l'œuvre de son père et donnait à l'Etat flamand une prééminence incontestable dans le nord de la France. De ce mariage avec Richilde résultèrent pour Baudoin des difficultés avec l'Église. Les Généalogies des chroniques de Hainaut rapportent qu'il fut excommunié par l'évêque de Cambrai pour avoir épousé Hichilde, qui était sa parente ; le pape Léon IX, oncle de Richilde, leur donna l'absolution. Hériman, abbé de Saint-Martin de Tournai, raconte les choses d'une façon un peu différente[14] : Léon IX déclara que l'hymen de Baudoin et de Richilde n'était pas légitime et il prédit que leurs enfants ne posséderaient pas longtemps les deux comtés. Malgré cet incident, Baudoin VI n'en fut pas moins surnommé Baudoin le Pieux, à cause de ses donations aux monastères, en particulier à celui de Hasnon. La Chronique de Saint-Bertin rapporte qu'étant très jeune, Baudoin avait été malade ; son père était à son chevet, attendant son dernier soupir, lorsque, se relevant brusquement, il lui dit : Père, j'échapperai à cette maladie, si vous me donnez la terre de Hasnon, afin que j'y construise un monastère ; j'en suis sûr, car saint Marcellin et saint Pierre me l'ont promis. Baudoin V fit droit à sa demande[15]. Nous en avons la preuve par une charte de 1065 qu'a confirmée Philippe Ier[16]. D'ailleurs Baudoin VI se distingua toujours par sa piété et ses aumônes. Cela lui valut, ajoute la Chronique, un règne tranquille : la Flandre fut calme au point que, la nuit, le laboureur pouvait laisser sa charrue dans les champs et chacun pouvait dormir sa porte ouverte[17]. Baudoin VI eut cependant à lutter contre les peuples situés à l'est de la Flandre. Il entreprit une expédition contre les habitants, d'Anvers, ses voisins ; il remporta sur eux une victoire, mais il fut blessé dans le combat[18]. Il mourut peu après, en 1070, et fut inhumé au monastère de Hasnon[19]. Dans sa Chronique de Hainaut[20], Gilbert de Mons rapporte que, se sentant mourir, Baudoin VI légua la Flandre à l'un de ses fils, Arnoul, et le Hainaut à l'autre, Baudoin. Il dérogeait ainsi à la tradition de ses prédécesseurs et faisait perdre à la Flandre, par ce partage, le bénéfice de l'annexion qu'il avait faite. Il avait décidé, il est vrai, que, si l'un de ses deux fils venait à mourir, l'autre aurait tout le comté. Comme Baudouin et Arnoul étaient très jeunes, Baudoin VI chargea son frère Robert le Frison de veiller sur Arnoul et sur la Flandre ; il avait confiance en lui, car Robert avait prêté hommage et juré fidélité à Arnoul et à Baudoin. Mais Robert se gagna tous les seigneurs flamands et chassa Arnoul de son héritage. Arnoul se réfugia dans le Hainaut, auprès de sa mère Hichilde, qui l'adressa à Philippe Ier. Philippe Ier fit une tentative infructueuse pour rétablir Arnoul, qui fut tué au combat de Cassel[21]. C'est donc, en somme, Robert le Frison qui succède à Baudoin VI. Ce qui provoqua son succès et lui assura l'appui des seigneurs flamands, ce fut, à vrai dire, le mauvais gouvernement de Richilde pendant la minorité de ses fils. La Généalogie des comtes de Flandre[22] fait l'éloge de l'admirable esprit de pénitence de Richilde, de ses jeûnes et de ses prières, des soins qu'elle donnait aux pauvres et aux lépreux ; mais elle constate que des troubles sérieux furent provoqués tant par sa fierté toute féminine que par l'imprudence de son fils, Arnoul, qui avait à peine quinze ans ; le paradis qu'était la Flandre perdit ainsi les délices de la paix que lui avait procurée Baudoin VI. Les Gestes des évêques de Liège complètent ces renseignements[23] : Richilde et son fils Baudoin instituèrent à leur cour plusieurs charges héréditaires : celles de sénéchal, bouteiller, panetier, maître-queux, chambrier ; de ces charges ils investirent uniquement des gens du Hainaut et, avec eux, quelques Flamands qui abandonnèrent leurs biens et vinrent, comme des exilés, dans le Hainaut. Cette préférence marquée pour le Hainaut a provoqué un soulèvement de la Flandre contre Arnoul, qui était sous fa tutelle de sa mère, et en faveur de Robert le Frison. La crise, qui suit la mort de Baudoin VI, compromet l'œuvre que celui-ci avait tentée, l'union de la Flandre et du Hainaut ; cette dislocation a pour causes à la fois le mauvais gouvernement de Richilde et l'ambition de Robert le Frison. Le Hainaut reste en effet fidèle à Richilde et au jeune Baudoin, le second fils de Baudoin VI. Les Gestes des évêques de Liège[24] et les chroniques de Hainaut[25] nous instruisent sur les conséquences de l'avènement de Robert le Frison et de la retraite de Richilde, Richilde craignait beaucoup que Robert ne déshéritât son second fils comme il avait déshérité le premier. Elle rechercha donc l'alliance de Théoduin, évêque de Liège ; mais, à cette fin, elle s'engagea à tenir désormais le comté de Hainaut en fief des évêques de Liège. Désormais les comtes de Hainaut devraient aux évêques de Liège le service féodal, mais, si quelqu'un attaquait les comtes, les évêques leur viendraient en aide. Si les comtes faisaient quelques nouvelles acquisitions, ils les tiendraient également en fief des évêques. L'évêque Théoduin, après avoir ainsi obtenu la vassalité du jeune Baudoin, lui donna une grande somme d'argent. Les Généalogies du Hainaut ajoutent que, forte de l'appui de l'évêque de Liège, Richilde put conclure, au nom de son fils, la paix avec Robert le Frison, comte de Flandre. Le gage de la paix devait être l'union du jeune Baudoin avec une nièce de Robert ; mais Baudoin, quand il vit la fiancée qu'on lui destinait, la trouva si laide qu'il ne voulut pas l'épouser. Il dut, pour ce dédit, céder Douai à Robert et ne put ensuite recouvrer cette ville. Il épousa alors Ida, sœur de Lambert, comte de Louvain, qui fut, dit la chronique, une femme excellente et d'une vie irréprochable. Quant à Richilde, elle mourut en 1086. Ainsi, après 1071, la Flandre et le Hainaut, un moment unis sous Baudoin VI, sont de nouveau séparés. Robert le Frison n'a pas hérité entièrement de la puissance de son frère. Il n'en prend pas moins le titre de marquis de Flandre (marchio Flandrensium) qu'avaient porté ses prédécesseurs[26]. Robert le Frison a gouverné la Flandre de 1071 à 1093. Nous avons vu quel était son caractère : c'est un ambitieux, un guerrier entreprenant, peu scrupuleux, jamais lié par ses serments antérieurs. Il n'a qu'une idée : établir solidement en Flandre le pouvoir qu'il a usurpé. A l'extérieur, il ne rencontre qu'une seule résistance, celle du duc de Basse-Lorraine, Godefroy ; mais il trouve le moyen de se débarrasser de lui : Lambert de Hersfeld raconte[27] que, en 1076, Godefroy, se trouvant à Anvers, aux confins de la Flandre et de la Lorraine, fut sournoisement assassiné et que tout le monde soupçonna Robert le Frison d'être l'auteur de ce crime. La chose n'est pas impossible ; elle est même fort vraisemblable. A l'intérieur, Robert le Frison cherche surtout à s'enrichir et il ne veut pas souffrir d'autre autorité que celle du comte. Ces caractères de son gouvernement provoquèrent naturellement un conflit avec l'Eglise qu'il voulut assujettir et dont il pilla parfois les biens. Sans doute, comme tous les princes de son siècle, même les plus impies, il fait des donations à des abbayes ; c'est à sa demande qu'en 1085 Philippe Ier confirme les biens de l'église de Saint-Pierre de Cassel[28] et, dans ce diplôme, le comte Robert est appelé ecclesiastice institutionis amator[29]. Cela n'empêcha pas cet homme, qui aimait tant l'Eglise, d'entrer en conflit avec elle à plusieurs reprises. Au début, Robert a de bons rapports avec la papauté ; Grégoire VII compte même sur lui pour combattre les prêtres fornicateurs, assez nombreux, paraît-il, en Flandre ; dans une lettre du 10 novembre 1076, il essaie d'attendrir Robert en lui montrant quelle infamie et quel crime commettent ceux qui touchent à la fois le corps d'une courtisane et celui du Christ[30]. Avec les légats pontificaux les rapports sont moins heureux. Le 25 novembre 1078, Grégoire VII écrit à Hugues de Die qu'il a appris par quelques personnes, et notamment par un clerc flamand du nom d'Engeran, que Robert avait été excommunié par son légat Hubert et par Hugues, évêque de Langres ; il prie Hugues de Die de se rendre en Flandre et, s'il voit que Robert a été excommunié pour un motif qui n'est pas canonique, il devra, au nom du Saint-Siège, lever l'excommunication : si elle est canonique et que Robert veuille donner satisfaction, Hugues devra le faire rentrer au plus vite dans le troupeau du Seigneur[31]. Nous ne savons pas pour quel motif Robert fut excommunié ; c'était sans doute parce qu'il favorisait un évêque simoniaque ou qu'il avait pillé quelques biens d'église. L'affaire de Lambert, évêque de Térouanne, allait prouver, quelques années plus tard, qu'il n'avait pas toujours beaucoup de scrupules à cet égard, et son autorité allait, à ce propos, entrer en conflit avec celle du pape Grégoire VII. On lit dans les Gestes des abbés de Saint-Bertin[32] et dans la Vie de Jean, évêque de Térouanne[33], que, en 1082, Hubert, évêque de Térouanne, d'ailleurs simoniaque, fut grièvement blessé dans une échauffourée, alors qu'il présidait une assemblée, et que, pour ce motif, il se retira au monastère de Saint-Bertin. L'intervention violente du comte de Flandre lui donna pour successeur un certain Lambert ; il fallut, pour l'introduire à Térouanne, briser les portes de l'église et poursuivre les clercs qui ne voulaient pas de lui. Pendant près de deux ans, Lambert occupa le siège épiscopal. Grégoire VII ne pouvait accepter une nomination où toutes les règles de la liberté d'élection étaient violées. Robert le Frison était, au contraire, décidé à tenir bon et à maintenir son candidat. Nous avons une série de bulles adressées par Grégoire VII à Robert le Frison. Quand le pape apprit que Robert soutenait Lambert, qui avait publiquement acheté le siège de Térouanne, qu'il lui avait même prêté son appui pour envahir celte église, il le pria non seulement de cesser toute obéissance envers Lambert, s'il était avéré qu'il avait obtenu l'épiscopat par des moyens déshonnêtes, mais même de l'expulser de son siège[34]. Toutefois Grégoire VII instruisait en même temps la cause de Lambert et, vers le même moment, il écrivait à Hugues de Die qu'il la trouvait assez obscure : les déclarations du comte de Flandre, Robert, et d'Engeran, chanoine de Saint-Omer, étaient contradictoires. Hugues fut chargé de convoquer un concile : si ce concile jugeait que Lambert avait été justement déposé par le légat, Lambert devrait se retirer ; s'il l'avait été injustement, il faudrait le rétablir. De toutes façons, le concile devrait excommunier ceux qui lui avaient fait subir de mauvais traitements. Mais Grégoire priait le légat d'examiner la cause avec bienveillance, tant pour la peine qu'avait prise Lambert de venir à Rome que pour le comte de Flandre qui avait imploré en faveur de Lambert[35]. En même temps, Grégoire VII écrivait dans les mêmes termes à Robert le Frison : il lui reprochait le ton peu respectueux d'une lettre qu'il lui avait adressée en faveur de Lambert, mais, désireux de le conserver au sein de l'Eglise, il le lui pardonnait de tout cœur[36]. Ainsi Grégoire VII faisait preuve d'un réel esprit de conciliation. Quant à Robert le Frison, il s'employait toujours en faveur de Lambert ; il semble s'être retranché derrière l'autorité royale ; dans une autre lettre, dont il est difficile de fixer la date, mais qui semble avoir été écrite un peu après les précédentes, le pape supplie le comte, le clergé et le peuple de Térouanne de considérer Lambert comme un envahisseur et il ajoute, en s'adressant à Robert : Puisque, comme le roi faisait obstacle, vous avez été poussé à cet acte répréhensible par la crainte de mal faire, nous avons pensé depuis longtemps qu'il fallait vous avertir ; nous le faisons encore pour que, laissant toute vaine crainte, vous examiniez ce qu'il est plus rationnel de redouter. Sachez donc que vous ne devez pas conserver fidélité à votre maître de la terre quand, en le faisant, vous pouvez risquer d'offenser votre maître du ciel et votre créateur[37]. Malgré ces supplications et ces menaces, Robert continua à soutenir Lambert ; il prit même une attitude belliqueuse. Nous savons, par une lettre de Grégoire VII aux évêques de Cambrai, Noyon et Amiens et à tous les princes de Flandre[38], qu'Arnoul, archidiacre de Térouanne, un abbé, un diacre et, par leur intermédiaire, plusieurs clercs s'étaient plaints du comte : celui-ci les avait dépouillés de tous leurs biens et les avait exilés, sous prétexte qu'ils avaient refusé d'obéir à Lambert. Or Lambert venait d'être excommunié par les légats Hugues de Die et Amat d'Oloron, au concile de Meaux, tant pour l'irrégularité de son élection que pour avoir emprisonné cinq clercs qui se rendaient à Rome pour se plaindre de lui. Malgré cette sentence, Lambert s'était fait consacrer à la fois diacre, prêtre et évêque, par des évêques suspendus de leur fonction. Puis Robert, avec son armée, l'avait accompagné dans sa cité et avait fait forcer les portes de l'église que le 'clergé lui avait fermées. Grégoire VII fit donc prier Robert par les évêques de ne plus soutenir Lambert et de remettre les clercs en liberté ; sinon, ils devraient prononcer l'anathème, malgré toute l'affection qu'ils avaient pour Robert. En même temps il écrivait directement au comte pour lui enjoindre de remettre les clercs, en liberté[39]. Il ne tardait pas à lui écrire de nouveau pour le prier de ne plus soutenir Lambert et d'obéir à Géraud, qui venait d'être élu canoniquement[40]. Robert le Frison accepta Géraud. Cette élection, que Grégoire VII qualifiait de canonique, était encore une supercherie. La Vie de Jean, évêque de Térouanne, en révèle les dessous[41] : Géraud fut bien élu par le clergé et acclamé par le peuple de Térouanne, mais, en réalité, on avait acheté l'acceptation royale. On dit que Géraud l'ignorait et qu'il ne le sut que lorsqu'il fut obligé de payer la somme. Ce fut d'ailleurs un évêque simoniaque qui vendit les prébendes et dilapida les biens d'Eglise. Ainsi, dans toute cette affaire, Robert le Frison, comme Philippe Ier, s'est opposé à l'Eglise et a montré son avidité en exploitant l'affaire pour confisquer les biens ecclésiastiques. Il en fut ainsi jusqu'à la fin de sa vie. Bien qu'il ait manifesté sa piété en accomplissant, dans ses dernières années, un pèlerinage à Jérusalem, il continua à persécuter les clercs. Urbain II s'en plaint vivement dans une bulle du 2 décembre 1092[42]. Un fragment anonyme, intitulé : Historica narratio de sublata clericis Flanpriæ tesyamenya condendi facilitate[43], raconte quelques-uns de ses procédés : il s'emparait des biens des clercs qui mouraient ; il envoyait, sitôt après leur mort, des exacteurs qui chassaient leurs héritiers et leurs familles. C'était un moyen d'enrichir le trésor comtal. Les clercs n'étaient cependant pas disposés à admettre pareille spoliation et ils adressèrent des ambassadeurs, vers 1091, au pape Urbain II. Urbain II écrivit aussitôt à Robert[44] : il lui rappela tout ce qu'il devait à Dieu qui, malgré la volonté de ses parents, de pauvre l'avait fait riche, d'humble prince glorieux. Or Robert faisait preuve d 'ingratitude au lieu de se souvenir de leurs bienfaits. Il le priait de ne pas inquiéter les églises, sous quelque prétexte que ce fût, et de ne pas saisir les biens des prêtres après leur mort pour les employer à ses usages personnels, car les prêtres, tout en servant Dieu, doivent disposer en toute liberté de leur patrimoine. La narration ajoute que Robert ne tint aucun compte des avis du Saint-Siège, mais qu'il continua à menacer les prêtres et à piller leurs biens. Alors les clercs de Flandre, très inquiets, s'adressèrent au concile qui se tenait à ce moment (1092) à Reims, sous la présidence de l'archevêque de Reims, Renaud, et représentèrent que le tyran n'avait tenu aucun compte de la bulle pontificale. Ils se plaignirent notamment de la fourberie du comte qui ne cessait de dire qu'il souhaitait que tous les clercs fussent bons, dédaigneux de tout ce qui était de ce monde et soucieux uniquement de l'éternité ; que les mauvais prêtres, à son avis, n'étaient pas des prêtres, comme si un homme qui péchait n'était pas un homme. Le comte était tellement redouté que les évêques n'osaient pas élever la voix. D'ailleurs il enchaînait le clergé par ses lois et disposait des églises. C'était donc un devoir pour le concile que d'intervenir. Le concile intervint en effet : Renaud pria Arnoul, prévôt de Saint-Omer, Jean, abbé de Saint-Bertin, Géraud, abbé de Ham, d'aller trouver, au nom du concile, le comte Robert, qui, à ce moment, séjournait au cloître de Saint-Bertin pour faire pénitence et célébrer le carême. On le priait, avant le dimanche des Rameaux, de restituer tout ce qu'il avait injustement pris ; sinon, il serait frappé d'anathème et l'interdit serait jeté sur le comté. Robert recula devant celte menace ; il donna satisfaction, et mourut peu après, en 1093[45]. Cet incident est significatif ; il prouve à quel point Robert le Frison gouverna son comté en maître absolu ; il dut plusieurs fois plier devant la résistance de l'Église ; il n'en trouva pas moins le moyen de s'enrichir avec les biens ecclésiastiques. En somme, tandis que l'œuvre de Baudoin avait été la formation territoriale du comté, la sienne a été de fortifier le pouvoir du comte et de ramener tout à lui. Le successeur de Robert le Frison fut Robert II, qui gouverna la Flandre de 1093 à 1111. Ses rapports avec l'Eglise furent empreints d'un très grand esprit de conciliation. A vrai dire, au début, ce n'est t pas lui qui gouverne et, pendant qu'il est à la croisade, c'est sa femme Clémence qui le remplace. Elle eut aussi à s'occuper de l'église de Térouanne où l'épiscopat de Géraud fut une période de troubles et d'anarchie. Géraud fut interdit, comme on le voit par une lettre de Manassès, archevêque de Reims, à Lambert, évêque d'Arras[46], qui, étant l'évêque le plus rapproché, devait remplacer Géraud dans son ministère, par exemple pour la consécration des églises. Cette situation amena des troubles ; un certain Robert, avoué de Béthune, en profita pour piller et dévaster les biens de l'église de Térouanne, si bien que Lambert, évêque d'Arras, dut demander à Clémence de se prononcer contre le perturbateur, afin qu'on ne fit pas rejaillir sur elle les fautes ou les injustices de Robert[47]. Clémence dut elle-même avoir quelques difficultés avec les clercs de Térouanne, car, dans une lettre de 1098, elle prie Lambert d'intervenir en sa faveur et d'obtenir justice pour elle de l'archevêque de Reims[48]. Enfin, en 1099, Géraud se retira au monastère de Mont-Saint-Eloi. La Vie de Jean, évêque de Térouanne, rapporte[49] que ce départ fut la cause d'une grande confusion. On élut d'abord un chanoine de Saint-Omer ; l'élection n'étant pas canonique, elle fut cassée. On procéda à une nouvelle élection ; mais tandis que les laïques élisaient Aubert d'Amiens, les abbés nommaient Jean, archidiacre d'Arras. L'affaire fut portée à Rome, où le pape venait de réunir un concile. Jean fut proclamé par le concile et par le pape. Les Gestes des abbés de Saint-Bertin ajoutent que ce qui détermina le pape à proclamer Jean, ce fut l'avis de Clémence, comtesse de Flandre de comte Robert était alors en Terre-Sainte), de Hugues de Die et d'Anselme, archevêque de Cantorbéry, alors expulsé d'Angleterre par Guillaume le Roux[50]. Manassès, archevêque de Reims, annonça au clergé et au peuple de Térouanne la décision pontificale et permit à Lambert, évêque d'Arras, de conférer à Jean le sacerdoce[51]. Les habitants de Térouanne supplièrent Lambert de hâter les choses[52], et finalement, le 17 juillet. Jean fut sacré par l'archevêque de Reims. On voit que, dans toute cette affaire, Clémence est intervenue pour faire respecter et confirmer par le pape la liberté de l'élection épiscopale. Son gouvernement marque une détente. Quand Robert revint de Terre-Sainte, il observa exactement la même attitude vis-à-vis de l'Eglise. En 1102, saint Anselme le félicite d'avoir permis la liberté des élections abbatiales et d'avoir renoncé à donner aux élus l'investiture de sa main[53]. En 1100 déjà, Manassès, archevêque de Reims, lui exprimait toute sa joie au sujet des bons rapports qu'ils n'avaient cessé d'entretenir[54]. Il fait même allusion, dans cette lettre, à une assemblée d'évêques qui se serait tenue, sous sa présidence, à Saint-Omer, à laquelle Robert II aurait assisté et où l'on aurait traité des intérêts et des affaires de l'Eglise. On voit aussi par cette lettre que Robert se mettait, en toutes choses, au service de l'Eglise, en particulier quand il s'agissait de poursuivre les prêtres mariés et leurs épouses ; Manassès dut même tempérer son zèle et lui recommander de n'agir jamais que de concert avec les évêques. Le pape Pascal II accentua ce rapprochement de l'Eglise avec le comte de Flandre. On retrouve là sa politique habituelle, qui consiste à grouper, autour de lui, contre l'empereur, les princes temporels. Le rapprochement avec Robert précède celui avec Philippe Ier. Le 21 janvier 1103, Pascal II écrit à Robert[55] : il le félicite de l'appui qu'il n'a cessé de prêter à l'Eglise depuis son retour de Jérusalem. Il l'engage à poursuivre l'empereur Henri IV, qui est la tête de tous les hérétiques, ainsi que tous ses partisans ; il ne pourra faire de sacrifice plus agréable à Dieu. Robert II avait été fort docile aux instructions pontificales : l'année précédente, il avait fait la guerre à l'empereur, et dans cette lettre, le pape peut le féliciter d'avoir obéi à ses ordres dans le diocèse de Cambrai. La Chronique de Saint-André de Cambrai raconte[56] que l'empereur Henri IV fut appelé en Flandre par les plaintes des habitants de Cambrai : le comte Robert II de Flandre voulait s'emparer du Cambrésis ; il y avait fait plusieurs expéditions ; finalement il était venu assiéger la cité avec une nombreuse armée. L'empereur, à cette nouvelle, marcha, en 1102, contre le comte de Flandre ; il remporta au début quelques succès, incendia Bouchain, Inchy, l'Ecluse et quelques autres places ; il réussit à faire peur à ses ennemis, mais l'hiver le força à battre en retraite. Les Annales Elnonenses majores nous apprennent en effet qu'il avait commencé son expédition en octobre[57]. Cette expédition avait dû lui coûter cher, car, en 1102, il écrivait à Otton, évêque de Bamberg, pour lui demander son concours financier en vue de cette guerre[58]. Robert II restait donc en possession de Cambrai. Henri IV ne chercha plus à reprendre la ville ; Robert, de son côté, désirait la paix Aussi, en 1103, l'empereur et le comte eurent-ils une entrevue à Liège, et là ils traitèrent. Ni les Annales Elnonenses majores, ni les Annales Marchianenses, ni Sigebert de Gembloux[59] ne disent quelles furent les conditions de cette paix, mais on sait par une lettre de Robert à Lambert d'Arras[60] que Robert consentit à faire hommage à l'empereur, tout en réservant son obéissance envers le Saint-Siège et envers l'archevêque de Reims. Il trouvait ainsi le moyen de conserver Cambrai et de ne pas s'aliéner la faveur pontificale. La paix de Liège ne fut qu'une trêve. En 1107, racontent les Annales Marchianenses, l'empereur Henri V, successeur de Henri IV, vint assiéger Douai, mais il échoua[61]. La Chronique de Saint-André de Cambrai ajoute quelques détails[62] : à la nouvelle de l'arrivée de l'empereur, Robert II accourut et prêta main-forte aux habitants de Douai qui se défendaient avec une grande énergie. Henri V et Robert se redoutant mutuellement, la paix fut conclue. Henri V accorda à Robert tout ce que son père lui avait précédemment accordé : Robert ferait hommage pour Douai et pour quelques autres terres. Ainsi Robert II a repris la politique de Baudoin IV et de Baudoin V ; il a cherché à étendre le comté du côté de l'est. C'est là, en somme, le trait essentiel de l'histoire de la Flandre pendant la fin du XIe siècle. Sa situation géographique la destinait à cette extension. Vers le sud, le léger bombement de l'Artois et les fleuves qui s'en vont vers la Manche lui formaient une limite naturelle : aussi les comtes du XIe siècle n'ont-ils pas cherché à menacer les comtés de Boulogne et de Ponthieu, ni les-possessions capétiennes de Montreuil et de la vallée de l'Authie. Là, ils se heurtaient très vite au domaine royal et à l'état anglo-normand ; il ne pouvait y avoir d'avenir. Au contraire, vers l'est, ces fleuves sans vallées, ce pays plat à perte de vue ne formaient pas d'obstacles ; la puissance impériale était faible et disséminée ; son centre était lointain ; les conflits du sacerdoce et de l'empire empêchaient les empereurs de songer sérieusement à leurs possessions occidentales. Voilà ce qui explique la politique de Baudoin V et de ses successeurs, ce qui explique aussi leurs bons rapports avec Philippe Ier. Le roi de France avait lui-même intérêt à les ménager parce qu'ils pouvaient lui être utiles dans sa lutte contre la Normandie. II Si les comtes de Flandre dominent exclusivement sur le nord de la France, à l'exception des comtés de Boulogne et de Ponthieu, on peut dire qu'à l'ouest, le grand Etat, c'est l'Etat anglo-normand créé par Guillaume le Conquérant, immédiatement voisin du domaine royal, dont il n'est séparé que par la rivière de l'Epte. Geoffroy de Malaterra, au début de son œuvre[63], dit que la Normandie s'étend du nord au sud depuis le comté de Ponthieu jusqu'à la Bretagne, le long de la Manche ; du côté du sud et de l'est, elle est limitée par les pays du Mans et de Chartres, le Vexin et le Beauvaisis. Les Actes des archevêques de Rouen énumèrent[64] les évêchés qui dépendent de la métropole de Rouen : ce sont ceux de Bayeux, d'Avranches, d'Evreux, de Sées, de Lisieux et de Coutances. Rouen, comme l'indiquent les Miracles de saint Ouen, était la capitale de toute la Normandie[65]. Au moment où Philippe Ier succéda à Henri Ier, la Normandie était gouvernée par Guillaume le Bâtard. Personne n'a eu, pendant la fin du XIe siècle, un rôle plus décisif que lui. Les chroniqueurs ont laissé de lui de nombreux portraits où il est difficile parfois de démêler la part de l'éloge funéraire. Les Gestes de Guillaume, duc de Normandie, rédigés par Guillaume de Poitiers, affirment qu'il était d'une beauté remarquable, qu'il fût en costume de grande cérémonie ou qu'il eût revêtu l'armure du guerrier[66]. Orderic Vital ajoute[67] qu'il avait beaucoup de goût pour les exercices physiques, pour la guerre, pour la chasse et pour l'équitation. Les deux chroniqueurs font surtout l'éloge de ses qualités morales. S'il faut en croire Orderic Vital, il assistait chaque jour à la messe ; il invitait, par son propre exemple, les hommes de sa cour à mener une vie meilleure ; il blâmait l'excès de leurs appétits charnels et il déplorait leur négligence pour le culte du Seigneur. Aux barons comme aux plus modestes chevaliers et aux enfants nobles il ne ménageait pas les salutaires avertissements, 'et il indiquait des exemples à suivre dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament. Les Gestes font l'éloge de son zèle pour protéger les églises, pour défendre les pauvres, pour donner des lois qui ne fussent pas trop lourdes à ses sujets, pour rendre des jugements respectueux de l'équité et de la modération, et surtout pour empêcher le meurtre, l'incendie et le vol. On ne sait au juste à quelle époque Guillaume le Bâtard épousa Mathilde. Orderic Vital[68] ne fixe pas la date du mariage ; il rappelle simplement que Mathilde était fille de Baudoin V, comte de Flandre, et par suite nièce, par sa mère, du roi de France Henri Ier. La Vie de Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, rapporte[69] que ce mariage fit jeter l'interdit sur toute la Normandie, parce que des liens de parenté existaient entre Guillaume et Mathilde. Lanfranc, conseiller et ami de Guillaume, partit pour Rome, afin d'intervenir en sa faveur. Il représenta au pape Nicolas II que sa sentence atteignait des innocents, qui n'avaient pas uni Guillaume et Mathilde et qui ne pouvaient les séparer ; car Guillaume ne voulait à aucun prix se séparer de sa jeune femme. Se rendant à ces raisons, le pape jugea qu'il valait mieux autoriser le mariage. Suivant Guillaume de Jumièges[70], il aurait redouté une guerre entre la Flandre et la Normandie. Il prescrivit seulement à Guillaume et à sa femme d'élever chacun un monastère et d'y installer deux congrégations, l'une d'hommes, l'autre de femmes. Guillaume obéit ; il fonda à Caen le monastère de Saint-Etienne ; Mathilde en éleva un autre en l'honneur de la sainte Trinité. Mathilde mourut en 1083 et fut enterrée dans le monastère qu'elle avait fondé[71]. L'œuvre de Guillaume le Bâtard est double : il a fondé l'Etat anglo-normand et il y a établi le gouvernement le plus absolu qu'il y eût en France à la fin du XIe siècle. Avant la conquête de l'Angleterre, il a agrandi son comté sur le continent par l'acquisition du Mans. Les chroniques s'accordent généralement pour placer en 1063 cette acquisition, qu'Orderic Vital[72] reporte à 1064[73]. Le comté du Maine, qui se trouvait sur les confins de la Normandie et de l'Anjou, avait excité, pendant tout le XIe siècle, les convoitises des souverains des deux Etats. Les Gesta consulum Andegavensium rapportent[74] que Guillaume, comte de Normandie, inquiétait souvent le comte du Mans Herbert, dont Geoffroy Martel était le protecteur et le tuteur. Selon Guillaume de Poitiers[75] et selon Guillaume de Malmesbury[76], la domination de Geoffroy Martel avait été plutôt rude ; il avait plusieurs fois saccagé la ville du Mans. Le comte Herbert II le redoutait beaucoup ; il alla trouver Guillaume, lui prêta hommage pour son comté qu'il voulait désormais tenir en fief du comte de Normandie ; en outre, il institua celui-ci comme héritier de tous ses biens s'il n'avait pas de fils. Guillaume lui promit sa fille en mariage, mais Herbert mourut avant qu'elle eut atteint l'âge nubile. Dès lors, le comté du Mans devait revenir à Guillaume, comme il était convenu : Herbert l'avait cédé au duc de Normandie et, de plus, rapporte Orderic Vital[77], il avait, sur le conseil de sa mère, Berthe, fiancé sa sœur Marguerite à Robert, fils de Guillaume. Orderic dit encore qu'une de ses tantes, Biote, avait épousé Gautier, comte de Pontoise, qui, par suite, avait des droits à la succession. Aussi les nobles de la région, Geoffroy de Mayenne, Hubert de Sainte-Suzanne et quelques autres s'étaient rendus maîtres du Mans et conservaient la ville au comte Gautier ; les habitants du Mans, qui redoutaient beaucoup la domination normande, ne demandaient pas mieux que de rester fidèles à celui-ci. D'après Guillaume de Malmesbury, c'est Geoffroy de Mayenne — appelé par lui Gautier — qui aurait épousé la sœur de Hugues, père d'Herbert, et, de ce fait, aurait occupé le Mans. Orderic Vital ajoute que Gautier et sa femme furent empoisonnés et qu'ainsi la ville et le comté revinrent à Guillaume. Quoi qu'il en soit, les trois chroniqueurs, auxquels il faut joindre Guillaume de Jumièges[78], sont d'accord sur la suite des événements. Guillaume, apprenant la résistance du Mans, ne voulut pas incendier ni détruire la ville, qui, dans l'avenir, pourrait être une excellente place de guerre contre l'Anjou. Il se contenta d'occuper tout autour les positions qui la commandaient et, de là, il harcela sans cesse les habitants. Ceux-ci se décidèrent alors à se soumettre et ils acclamèrent le comte de Normandie. Geoffroy de Mayenne dut se retirer et Guillaume occupa la ville, sans représailles, afin de soigner sa popularité. Il voulut simplement punir Geoffroy qui continuait à comploter contre lui et incendia ses châteaux. La soumission du Mans ne devait pas durer bien longtemps. Les chroniques anglaises rapportent qu'en 1073 Guillaume quitta l'Angleterre et, à la tête d'une armée de Français et d'Anglais, dirigea une expédition contre la ville, qui s'était révoltée[79]. Les Gestes des évêques du Mans nous renseignent[80] sur les circonstances de cette révolte. Peu de temps après l'expédition de Guillaume en Angleterre, les habitants du Mans firent venir d'Italie le marquis d'Esté Azzon, qui avait épousé la fille d'Herbert Eveille-chien, grand-père d'Herbert II, et ils se donnèrent à lui. L'évêque du Mans, Arnaud, fut inquiet ; il partit pour l'Angleterre ; Guillaume, qui avait alors à organiser sa conquête, lui persuada de retourner dans son diocèse, après l'avoir comblé de présents. Arnaud revint donc au Mans, mais les habitants ne voulurent d'abord pas le recevoir ; il dut séjourner quelque temps au monastère de Saint-Vincent ; enfin, grâce à l'intervention des clercs, il put rentrer dans sa cité. D'autre part, Azzon était à court d'argent ; il n'était pas absolument sûr de la fidélité des Manceaux. Il préféra donc retourner en Italie, laissant au Mans sa femme Gersent et son fils Hugues, qu'il confia à Geoffroy de Mayenne. Geoffroy fut ainsi le véritable maître du Mans et il y commit toutes les exactions possibles ; il renvoya en Italie le jeune Hugues, mais garda auprès de lui sa mère, Gersent, avec laquelle il entretenait des rapports illicites. Les Manceaux, peu satisfaits de ce gouvernement, appelèrent alors Foulque, comte d'Anjou ; Geoffroy dut s'enfuir et Foulque devint le maître du Mans, mais, à ce moment-là, Guillaume revenait d'Angleterre. Orderic Vital raconte les choses un peu différemment[81] : Foulque le Réchin aurait été jaloux de voir le Mans aux mains des Normands, alors que les comtes du Mans avaient été autrefois ses vassaux. Une conjuration se serait formée pour expulser Turgis de Tracy, Guillaume de la Ferté et tous ceux qui gardaient la ville au nom du roi d'Angleterre. Ceux qui résistent sont mis à mort, d'autres faits prisonniers. Puis tout le pays se soulève. Geoffroy de Mayenne et d'autres seigneurs conspirent aussi avec les Manceaux contre les Normands ; très peu restent fidèles à Guillaume. Guillaume, à cette nouvelle, est furieux et prépare son expédition. D'après Orderic Vital, Guillaume assiégea d'abord le château de Fresnay. Le châtelain Hubert fit la paix avec le roi ; il lui livra ses deux châteaux de Fresnay et de Beaumont et servit même quelque temps sous ses ordres. Guillaume alla ensuite assiéger Sillé ; mais le châtelain vint faire sa soumission et obtint la paix qu'il demandait. Personne n'osait résister. Guillaume marcha alors contre le Mans, fit le siège de la ville, posa ses conditions et somma les habitants de se rendre s'ils voulaient prévenir l'assaut, le meurtre et l'incendie. Le lendemain, les citoyens, après une salutaire réflexion, se décidèrent à sortir et vinrent remettre au roi les clefs de la cité ; après cette soumission, ils furent bien accueillis par Guillaume. D'après les Gestes des évêques du Mans, ils auraient posé leurs conditions, à savoir l'amnistie et la conservation j des coutumes et des droits de justice de la cité. L'effroi que produisit l'apparition de l'armée anglo-normande amena la soumission des derniers rebelles. Après cette pacification, Foulque d'Anjou tenta des mesures de représailles contre certains seigneurs de l'Anjou favorables aux Normands, en particulier contre Jean de la Flèche, dont il vint incendier le château[82]. Celui-ci, apprenant que Foulque marchait contre lui, demanda du secours à Guillaume, qui lui envoya plusieurs chevaliers pour le défendre. De son côté, Foulque, qui avait entrepris le siège du château de la Flèche, reçut des secours du comte Houel de Bretagne, qui vint lui-même avec de nombreux Bretons. Dès que la nouvelle de l'arrivée de Houel lui parvint, Guillaume le Bâtard réunit. de nouveau une armée de Normands et d'Anglais qui atteignait, dit-on, soixante mille hommes. Les Angevins et les Bretons ne furent cependant pas effrayés ; ils passèrent audacieusement la Loire et, pour couper court à tout espoir de fuir, ils rompirent les ponts derrière eux. Les armées se préparent donc au combat ; mais un cardinal prêtre de l'Eglise romaine et des moines, auxquels se joignent Guillaume d'Evreux et d'autres comtes, s'interposent entre les combattants. On négocie la paix. Le comte d'Anjou renonce à tout droit sur le Mans en faveur de Robert, fils de Guillaume, qui lui prêtera l'hommage. Jean de la Flèche et les autres Angevins qui s'étaient révoltés contre leur comte se réconcilient avec lui et la paix devient générale. Cependant, quelque temps après la mort de la reine Mathilde, c'est-à-dire sans doute en 1084, une partie des habitants du Mans, raconte Orderic Vital[83], se souleva encore sous la conduite du vicomte Hubert de Sainte-Suzanne, qui, abandonnant ses châteaux de Fresnay et de Beaumont, se retira dans son château de Sainte- Suzanne, groupa une armée autour de lui, prit une attitude hostile et harcela sans cesse la région du Mans. Les habitants du Mans et du pays avoisinant demandèrent à Guillaume de leur porter secours. Guillaume arriva, mais le château de Sainte-Suzanne était inexpugnable ; de plus, la bravoure de Hubert lui attirait une foule de soldats venus d'Aquitaine, de Bourgogne et d'autres parties de la France. Guillaume, après avoir construit un camp retranché, dut partir, car d'importants intérêts le rappelaient. Hubert résista trois ans, et de nombreux chevaliers normands périrent à ce siège. Enfin Guillaume jugea qu'il fallait en finir ; mais, comme il ne pouvait quitter l'Angleterre où il était retenu (sans doute par la menace d'une invasion danoise), il fit savoir à Hubert qu'il lui pardonnerait s'il faisait sa soumission ; il lui accorda un sauf-conduit ; Hubert vint en Angleterre et ne cessa d'être fidèle à Guillaume le Conquérant jusqu'à sa mort. On peut se demander si l'intervention de Foulque d'Anjou et sa lutte contre Jean de la Flèche ne se placeraient pas à ce moment-là, malgré la date de 1081 donnée par Renaud d'Angers, car les Gestes des évêques du Mans disent que Raoul ne put sacrer Houel, évêque du Mans, successeur d'Arnaud, à cause de la guerre entre Guillaume et Foulque d'Anjou. Houel fut consacré à Rouen par Guillaume, archevêque de cette ville, le 20 avril 1085. Les Gestes se sont peut-être trompés et font allusion à la lutte contre Hubert de Sainte-Suzanne. Cependant, comme Orderic Vital ne donne pas la moindre chronologie, nous serions plus enclin à croire qu'il faut placer en 1084 la guerre avec Foulque, qui aurait profité du soulèvement de Hubert ; Guillaume serait venu et, après avoir triomphé du comte d'Anjou, serait retourné en Angleterre, laissant ses chevaliers terminer le siège. Ce qui vient confirmer celte hypothèse, c'est qu'Orderic Vital dit que le comte de Bretagne qui vint au secours de Foulque d'Anjou fut Houel. Or Houel a succédé à Eudes en 1079 et il est mort en 1084[84]. La guerre entre Guillaume et Foulque se place entre ces deux dates extrêmes ; il est donc tout naturel d'adopter celle de 1084, qui concorde avec les circonstances qui précédèrent la consécration de Houel, évêque du Mans, en 1085. Ainsi, en 1085, on peut considérer la possession du Mans comme définitivement acquise à la Normandie. C'est le premier résultat du règne de Guillaume le Bâtard ; il n'est pas sans importance. Toute cette région du Maine était disputée entre l'influence angevine et l'influence normande : cette dernière l'emporte ; la Normandie confine maintenant à l'Anjou, elle devient le grand Etat de l'ouest de la France, d'autant plus que Guillaume le Bâtard a essayé de rendre sa suzeraineté sur la Bretagne plus effective que par le passé : c'est là le second trait de son œuvre sur le continent. La Chronique de Pierre Béchin, à propos de la cession du Mans à Guillaume le Bâtard par Herbert, dit qu'Alain, comte de Bretagne, reçut ce pays en fief de lui[85]. La raison de cet hommage, c'était que Charles le Simple avait cédé à Rollon la suzeraineté de la Bretagne. Cette vassalité n'avait pas toujours été acceptée docilement par les comtes bretons et ils avaient essayé à plusieurs reprises de s'y soustraire ; le fils et successeur d'Alain, Conan, fit encore une tentative, quelque temps avant la conquête de l'Angleterre. Les chroniqueurs[86] nous représentent Conan comme jeune, audacieux, confiant dans sa force, très belliqueux et furieux dans l'attaque, et aussi comme totalement dénué de sens t moral ; non seulement il aurait eu jusqu'à dix femmes, mais il n'aurait jamais reculé devant aucun sacrilège. Selon Guillaume de Jumièges[87]. au moment où Guillaume se préparait à passer en Angleterre, Conan lui envoya une ambassade, afin de l'effrayer : J'apprends, lui fit-il dire, que vous voulez traverser la mer et vous approprier le royaume d'Angleterre. Je m'en réjouis vivement, mais je vous prie de me rendre la Normandie. Robert, duc de Normandie, que vous prétendez être votre père, au moment où il allait partir pour Jérusalem, confia tout son héritage à mon père Alain, qui était son cousin. Mais vous, avec vos complices, vous avez empoisonné mon père et vous avez envahi la terre que je n'étais pas capable de gouverner à cause de mon jeune âge ; vous l'avez conservée, contre toutes les lois, puisque vous êtes bâtard. Maintenant, rendez-moi la Normandie ou je vous ferai la guerre de toutes mes forces. Le chroniqueur ajoute que Guillaume fut d'abord très effrayé, mais que Dieu le délivra bientôt du jeune comte qui fut empoisonné par son chambrier. Ce récit est légendaire et il vaut mieux s'en rapporter à celui, plus prosaïque, de Guillaume de Poitiers et de Guillaume de Malmesbury[88]. Conan inquiétait constamment Guillaume et celui-ci ne voulut pas que la succession anglaise s'ouvrît sans qu'il l'eût dompté. Aussi entra-t-il en Bretagne, accompagné, paraît-il, de Harold qui aimait bien la guerre Conan, effrayé, s'enfuit, abandonnant Dol qui s'était livrée à Guillaume. Le gouverneur de Dol, Rouault, essaya de le retenir, mais il ne put y parvenir, d'autant moins qu'il venait d'apprendre que le comte d'Anjou, Geoffroy, venait à l'aide de Conan. Conan fuyait toujours déplus en plus loin, mais il mourut[89]. Guillaume put donc partir tranquille pour l'Angleterre. Il semble qu'il ait eu, dans la suite, de nouvelles difficultés pour faire accepter sa suzeraineté, car, en 1076, il faisait le siège de Dol, qu'il dut lever, par suite de l'arrivée de Philippe Ier, venu au secours des Bretons. De ce côté, les efforts de Guillaume ont donc été moins heureux que dans le Maine ; il a eu de la peine à faire accepter sa suzeraineté et les Bretons sont toujours une menace pour la Normandie. Mais, s'il n'est pas le maître absolu en Bretagne, elle n'appartient à aucun de ses rivaux et l'influence des comtes d'Anjou y est moindre que la sienne ; elle traverse une période d'anarchie ; le danger n'est pas très sérieux. En même temps qu'il étendait les frontières du comté de Normandie, Guillaume faisait la conquête du royaume d'Angleterre ; par là il devenait roi, par suite égal dans la hiérarchie à Philippe Ier, roi de France ; en outre, il avait sur lui l'avantage de posséder des territoires beaucoup plus étendus. Guillaume le Bâtard était allié à Edouard le Confesseur, roi d'Angleterre. Emma, fille du duc Richard II de Normandie et sœur de Robert, père de Guillaume, avait épousé Ethelred, et de ce mariage était né Edouard le Confesseur[90]. Les rapports avaient toujours été excellents entre les deux maisons de Normandie et d'Angleterre ; sous le règne de Guillaume et d'Edouard, qui avait recouvré la couronne grâce à l'appui du duc de Normandie, ils devinrent encore plus cordiaux. Cependant, quinze années avant la mort d'Edouard le Confesseur, rien ne faisait prévoir que la succession serait recueillie par Guillaume le Bâtard. Ingulfe, abbé de Croyland, raconte[91] qu'en 1051, Guillaume, comte de Normandie, alla voir le roi Edouard avec une nombreuse escorte de chevaliers. Le roi le reçut fort bien, lui fit visiter ses villes et ses châteaux, le combla de présents au moment de son départ ; mais il ne fut pas question de la succession d'Edouard. Edouard n'en éprouvait pas moins pour Guillaume des sentiments de vive sympathie et de grande confiance. On lit dans les Annales de Roger de Hoveden[92] qu'Edouard avait eu des dissentiments avec le comte Godwin, le personnage le plus puissant de la féodalité anglaise ; Godwin avait été exilé, puis était rentré en grâce ; mais Edouard avait voulu des otages qui assureraient sa propre sécurité et il avait exigé que Wulfnoth, fils de Godwin, et Hacun, son petit-fils, fussent remis entre les mains de Guillaume le Bâtard et envoyés en Normandie. Roger de Hoveden considère que c'est là l'origine la plus lointaine de l'expédition de Guillaume le Conquérant. En fait, Edouard redoutait beaucoup Godwin et ne fut pas fâché d'éloigner ses enfants qui pouvaient tenter une révolution analogue à celle de 987 en France. De plus, il préférait avoir le puissant Guillaume pour ami plutôt que pour ennemi. Enfin, comme le fait observer Guillaume de Poitiers[93], il voulait lui témoigner sa reconnaissance pour l'appui si précieux qu'il lui avait prêté lors de son avènement. Ce sont toutes ces raisons qui le déterminèrent à instituer Guillaume pour son héritier et à lui envoyer une ambassade, conduite par Robert, archevêque de Cantorbéry, et lui amenant comme otages le fils et le petit-fils de Godwin. D'après Guillaume de Malmesbury[94], Edouard le Confesseur n'aurait pas songé tout d'abord à laisser son royaume à Guillaume le Bâtard. Quand il vit qu'il n'aurait pas d'enfants, il pria le roi de Hongrie de lui envoyer le fils de son frère Edmond, Edouard, avec toute sa famille. Son intention était de lui laisser sa succession, soit à lui, soit à ses fils. Edouard vint en effet, mais il mourut presque aussitôt à Saint-Paul de Londres laissant trois enfants : Edgar, qui, après la mort de Harold, fut reconnu roi par quelques Anglais ; Christine, qui entra dans un monastère ; Marguerite, qui épousa Malcolm, roi des Scots. C'est à la mort d'Edouard qu'Edouard le Confesseur aurait décidé de léguer son royaume à Guillaume le Conquérant. On trouve une version assez analogue dans la vie de saint Gervin, abbé de Saint-Riquier, par Hariulf[95] : Edouard aurait désigné le jeune Edgar pour son héritier ; Harold l'aurait expulsé pour prendre la couronne, mais l'apparition de la comète de 1066 aurait été considérée comme un signe de la volonté divine en faveur de Guillaume le Bâtard. La version de Guillaume de Malmesbury est confirmée d'une façon plus explicite et plus précise par Ingulfe [96]. Selon Ingulfe, Edouard, l'héritier désigné, serait mort en 1065. Edouard le Confesseur vit que le fils de celui-ci, le jeune Edgar, était incapable de régner ; il constata d'autre part que les enfants du comte Godwin étaient animés de mauvaises intentions ; il se confia donc à son parent Guillaume. Guillaume n'avait pas d'égal pour la valeur militaire ; il avait triomphé du roi de France et de tous ses voisins ; c'était en même temps un homme juste et pieux. De là, l'ambassade de Robert, archevêque de Cantorbéry, à laquelle Guillaume de Poitiers faisait tout à l'heure allusion et qui, de la sorte, a toute sa raison d'être. Jusqu'ici, les chroniques s'accordent et se complètent sans jamais se contredire. Il ne semble pas douteux qu'Edouard le Confesseur ait légué son royaume à Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, et qu'il lui ait envoyé, pour le lui annoncer, l'archevêque de Cantorbéry Robert. Quand Guillaume débarqua en 1066, il invoqua non seulement les droits qui paraissaient résulter de ces négociations, mais la promesse à lui faite par Harold, fils de Godwin, de le reconnaître et de ne pas se poser en compétiteur. Tous les historiens normands, plus ou moins panégyristes de Guillaume, Guillaume de Jumièges[97], Guillaume de Poitiers[98], Orderic Vital[99] se sont faits, à ce sujet, l'écho de la même anecdote qu'ils racontent en termes à peu près identiques. Quelque temps après l'ambassade de Robert de Cantorbéry, Edouard le Confesseur, sentant sa fin prochaine, voulut renouveler sa promesse ; il envoya, à cette fin, en Normandie Harold, fils de Godwin. Harold partit et fut jeté par la mer sur les côtes du Ponthieu ; il tomba entre les mains du comte Guy qui, en vertu du droit d'épave, le garda prisonnier et le traita même assez mal. Guillaume le Bâtard l'apprit ; immédiatement il intima l'ordre au comte de Ponthieu de mettre Harold en liberté, le fit venir en Normandie, le reçut avec magnificence, le retint quelque temps et l'emmena même avec lui lors de son expédition contre les Bretons. A Rouen, Harold jura solennellement fidélité à Guillaume en présence de sa cour ; il lui promit d'être son vicaire à la cour d'Edouard le Confesseur, tant qu'il vivrait, et, après sa mort, d'employer tous ses efforts et toutes ses ressources à affermir la monarchie de Guillaume en Angleterre ; en attendant. il lui livrerait la forteresse de Douvres qui lui appartenait ; il lui prêta l'hommage et jura sur les reliques tout ce qui lui fut demandé. Il laissa enfin comme otage son jeune frère Wulfnoth, et Guillaume lui promit la main de sa fille. Eadmer, moine de Cantorbéry, ne garde de ce récit que l'histoire de la tempête ; son œuvre respire la haine de l'envahisseur et tend à prouver que Guillaume n'est que cela. Voici comment il raconte les choses[100] : Harold, peu de temps après avoir succédé à son père Godwin dans le comté de Kent, demanda au roi Edouard le Confesseur la permission d'aller chercher en Normandie son frère Wulfnoth et son neveu Hacun. Edouard le laissa libre, mais il essaya de l'en dissuader, craignant que ce voyage ne fût contraire aux intérêts de l'Angleterre et de Harold : il était sûr que Guillaume ne rendrait les enfants que s'il en tirait un large profit. Harold ne l'écouta pas et partit ; il fut jeté par la tempête sur les côtes du Ponthieu et fait prisonnier ; il se procura un messager qui alla demander au duc de Normandie de lui faire rendre la liberté. Guillaume le fit délivrer. Harold vint alors en Normandie et fut magnifiquement reçu. Entre temps, Guillaume lui dit qu'Edouard, pendant le séjour qu'il avait fait très jeune en Normandie, lui avait promis de lui léguer la couronne d'Angleterre s'il l'obtenait lui-même. Il demanda à Harold de jurer qu'il ne s'opposerait pas à cette entreprise, qu'il lui livrerait la forteresse de Douvres, et alors il lui rendrait son neveu, puis, quand il viendrait en Angleterre, pour y régner, son frère. Harold sentit le péril, mais crut ne pouvoir y échapper qu'en acceptant les propositions de Guillaume. Il jura sur les reliques, puis rentra en Angleterre, y ramenant son neveu. Quand il raconta au roi ce qui lui était arrivé : Ne vous ai-je pas dit, s'écria Edouard, que je connaissais Guillaume et que ce voyage amènerait bien des maux à ce royaume ? Guillaume de Malmesbury a exactement la même façon de voir. Il connaissait toutefois l'autre version et fait précéder son récit de cette déclaration[101] : Les uns rapportent que Harold fut envoyé en Normandie pour offrir la couronne à Guillaume, les autres qu'il y fut poussé, malgré lui, par la violence des vents. C'est là ce que j'exposerai, parce que cela parait plus conforme à la vérité. Qui faut-il croire, des panégyristes normands de Guillaume le Conquérant, ou des historiens anglais défenseurs attardés de la liberté et de l'indépendance de l'Angleterre ? Harold a-t-il manqué à la foi du serment ou ce serment lui a-t-il été arraché par la force ou par la ruse ? Sans doute Guillaume, malgré l'éloge que les chroniqueurs ont fait de ses vertus chrétiennes, est bien capable d'avoir agi comme le veulent Eadmer de Cantorbéry et Guillaume de Malmesbury. Il n'en reste pas moins que la version d'Eadmer présente des difficultés. D'abord, si, comme il l'affirme, Edouard le Confesseur ne voulait pas de Guillaume pour son héritier, on ne voit pas très bien ce qu'auraient été faire en Normandie le fils et le petit-fils de Godwin. Il n'eût vraiment pas été adroit d'envoyer en Normandie, à la cour d'un rival éventuel, si parfaite que fut l'éducation qu'ils y recevraient, ceux qui devaient être appelés à régner en Angleterre. Guillaume de Malmesbury lui-même a senti la faiblesse de la thèse et, chez lui, il n'est pas question des enfants de Godwin ; c'est au cours d'une partie de pêche qu'Harold aurait été jeté vers la haute mer, puis sur les côtes du Ponthieu. Or il n'est pas douteux que Wulfnoth et Hacun n'aient été en Normandie. D'ailleurs ni Eadmer ni Guillaume de Malmesbury ne mettent en doute le serinent de Harold ; ce sont les circonstances de sa venue en Normandie qui seules diffèrent. Dans ces conditions, le récit d'es historiens normands paraît plus vraisemblable, au moins dans son ensemble : Edouard tenait à assurer son royaume à Guillaume le Bâtard, et la mission de Harold. en 1066, n'est que la répétition de celle de Robert de Cantorbéry en 1065. Guillaume profita simplement de ce qu'il avait sous la main un concurrent éventuel pour lui faire prêter un serment qu'Edouard n'aurait pas désapprouvent que Harold n'osa pas refuser. C'était un moyen de mettre le droit de son côté et de s'assurer éventuellement l'appui de l'Eglise. Harold prêta le serment, mais il était décidé à ne pas le tenir. Des deux versions, c'est la version normande qui a été le plus généralement adoptée par les chroniqueurs du moyen âge. Ceux qui ont suivi le récit d'Eadmer et de Guillaume de Malmesbury considèrent eux-mêmes Harold comme ayant eu tous les torts. L'historien anglais Henri de Huntington raconte[102] comment Harold fut jeté sur les côtes du Ponthieu par la tempête ; Guillaume de Normandie lui fit recouvrer la liberté et, en échange, Harold lui promit ses services pour le faire reconnaître à la mort d'Edouard ; mais, revenu en Angleterre, il put être accusé de parjure. On trouve le même récit, en des termes souvent identiques, dans la continuation de Sigebert de Gembloux par Robert du Mont[103] et dans une chronique de Saint-Martin de Tours[104]. Mais, partout ailleurs, et dans toutes les régions de la France, c'est la version de l'ambassade officielle de Harold, ou tout au moins du testament d'Edouard le Confesseur en faveur de Guillaume, qui a fait fortune. On la trouve en Bretagne, dans les Annales du Mont-Saint-Michel[105], en Aquitaine, dans la Chronique de Saint-Maixent[106], en Bourgogne, chez Hugues de Flavigny[107], et enfin chez Aubri de Trois-Fontaines[108]. Les historiens de ces divers pays, hostiles en général à la conquête normande, avaient cependant intérêt à présenter Guillaume le Conquérant comme un usurpateur. Edouard le Confesseur mourut le 5 janvier 1066. Le chroniqueur sénonais Clarius rapporte que, le lendemain, les Anglais se donnèrent pour roi Harold[109]. La chronique dite de Guillaume Godelle, également d'origine sénonaise, affirme que l'élévation de Harold à la couronne fut l'œuvre de Stigand, archevêque de Cantorbéry, et de la noblesse d'Angleterre[110]. D'après Orderic Vital[111], Stigand seul y aurait participé ; le jour même où l'on enterrait le roi défunt, pendant que le peuple assistait à ses obsèques et qu'il était encore dans la consternation, Stigand, que le pape avait suspendu, consacra seul Harold, sans le consentement des autres évêques, des comtes et des autres nobles. Harold prenait donc la couronne et la pourpre en cachette, comme un voleur. Quand les Anglais apprirent cette usurpation, ils furent très irrités ; certains, parmi les plus puissants, préparèrent la résistance et ne voulurent à aucun prix obéir à Harold ; les autres, ne sachant comment échapper à sa tyrannie et craignant de ne pouvoir le jeter à bas, soumirent leurs têtes à son joug et ratifièrent par cette attitude le crime qu'il avait accompli. Orderic Vital est en contradiction avec Roger de Hoveden qui, dans ses Annales[112], prétend que ce fut l'archevêque d'York Aldred qui consacra Harold acclamé par tout le peuple anglais. Cela est peu vraisemblable, car Stigand était une des créatures de Godwin et de Harold ; mais, en revanche, il semble bien que Harold ait été accepté très vite parles Anglais. Orderic Vital, favorable à Guillaume, a exagéré leur irritation. Ce qui semble le prouver, c'est que, avant l'arrivée de Guillaume en Angleterre, on ne voit la trace d'aucun mouvement hostile au nouveau roi. De plus, les historiens normands conviendront eux-mêmes qu'à Hastings Guillaume rencontra une très vive résistance, dont il ne put triompher que grâce à sa grande valeur militaire et à l'impétuosité de ses guerriers. La Vie de saint Wulstan, évêque de Worcester, vient départager les partisans de Guillaume et de Harold[113]. Ce texte hagiographique a l'avantage d'être beaucoup plus précis que les chroniques. Harold. dit-il, après avoir obtenu la couronne soit par la faveur des Anglais, soit par la violence, fut reconnu par presque tout le royaume ; seuls les Northumbriens firent opposition et refusèrent d'obéir, ne voulant pas soumettre, disaient-ils, leur énergie septentrionale à la mollesse méridionale. Ainsi le nord de l'Angleterre seul aurait échappé à la domination de Harold. La même Vie, qui reconnaît pourtant que Guillaume le Conquérant fut très respectueux de saint Wulstan et paraît assez impartiale, fait l'éloge du gouvernement de Harold et constate qu il fit un effort pour redresser les mœurs dépravées des Anglais. Si l'on en croit Roger de 'Hoveden, ce gouvernement fut l'âge d'or de l'Angleterre : dès son avènement, Harold supprima les lois injustes ; il fut le patron des églises et des monastères, il eut la plus grande vénération pour les évoques, les abbés, les moines et les clercs ; il se montra pieux, humble, affable envers tous ; il eut les malfaiteurs en haine, prescrivit à ses ducs, satrapes, vicomtes et en général à tous ses officiers de saisir les voleurs, les ravisseurs et tous les perturbateurs du royaume ; enfin il se donna beaucoup de mal pour mettre lé royaume en état de défense sur terre et sur mer. Les textes nous manquent pour contrôler Roger de Hoveden. Il est fort possible que Harold ait cherché à bien gouverner l'Angleterre et à se rendre populaire pour avoir les Anglais avec lui dans sa lutte contre l'invasion normande : il pouvait espérer soulever le sentiment national en sa faveur. Guillaume n'avait pas renoncé à ses droits, que Harold lui-même avait reconnus l'année précédente. Nous sommes peu renseignés sur les rapports qu'eurent les deux rivaux aussitôt après la mort d'Edouard le Confesseur. Les historiens normands n'en parlent guère, et nous n'avons, pour nous éclairer, qu'Eadmer de Cantorbéry et Guillaume de Malmesbury[114], tous deux hostiles au Conquérant. Aussi insistent-ils non pas sur l'engagement qu'avait pris Harold d'aider Guillaume à se faire reconnaître, mais sur la promesse qu'il avait faite d'épouser sa fille. Le malheur, c'est que, d'après Guillaume de Malmesbur[115], cette fille était morte ! Elle n'en joue pas moins ici le principal rôle. Harold se considérait comme dégagé de tout serment envers Guillaume, précisément parce que cette fille était morte avant l'âge nubile. Avant de combattre Guillaume, Harold eut à lutter contre son propre frère, Tostig. Orderic Vital donne l'origine suivante à la querelle des deux frères[116] : Tostig était l'aîné et avait hérité de Godwin, mais Harold lui avait violemment enlevé son comté et l'avait forcé à s'exiler. Tostig avait gagné la Flandre — il avait épousé une fille de Baudoin V et il était, par suite, le beau-frère de Guillaume le Conquérant —. C'est ce que dit également Roger de Hoveden[117]. Puis, toujours selon Orderic, Tostig, après avoir laissé sa femme en Flandre, vint en Normandie et reprocha à Guillaume de n'avoir pas encore détrôné son frère parjure. II lui offrit, s'il lui donnait une armée normande, d'aller lui conquérir la couronne anglaise. C'est à ce moment que Guillaume décida son expédition, puis il autorisa Tostig il retourner en Angleterre ; mais celui-ci, parti du Cotentin, ne put aborder, car la mer était sillonnée par les vaisseaux et les soldats de Harold ; d'autre part, il lui était impossible de retourner en Normandie, les vents lui étant contraires[118]. Enfin, après une série de courses en mer, Tostig fut poussé sur les côtes de Norvège, où il fut très bien reçu par le roi Harold. Là, voyant qu'il lui était impossible de tenir les promesses faites à Guillaume, il supplia le roi de venir en Angleterre et de lui assurer la couronne. Le roi accepta et se prépara à la guerre. Dans les chroniques anglaises[119] il n'est pas question du voyage de Tostig en Normandie. Il va directement en Norvège. Harold vient avec lui en Angleterre. Tostig passe par la Flandre et cingle vers l'Humber il avec soixante navires. Harold, roi d'Angleterre, remporte une grande victoire sur Tostig et le roi de Norvège, qui sont tués tous deux. Harold pouvait croire qu'il triomphait, mais Guillaume allait débarquer. Avant d'entreprendre son expédition, dit Orderic Vital[120], Guillaume a consulté ses vassaux ; Orderic énumère complaisamment ceux qui assistèrent à cette cour solennelle où fut prise la décision. Il y avait là Richard, comte d'Evreux, Robert comte de Mortain, frère utérin de Guillaume, Raoul de Conches, porte-étendard, Guillaume, fils d'Osbern, sénéchal, Guillaume de Varenne, Hugues le bouteiller, Hugues de Grentemesnil, Roger de Montbray, Roger- de Beaumont, Roger de Montgomery, Baudoin et Richard, fils du comte Gilbert, et beaucoup d'autres, célèbres pour leur grande valeur militaire comme pour la sagesse de leurs avis. Les Gestes des évêques du Mans ajoutent[121] que l'armée du Conquérant comprenait des Français, des Normands, des Manceaux et des Bretons. Tous, mandés par l'ordre du duc, acclamèrent l'expédition. Quelques-uns seulement se hasardèrent à prétendre que l'affaire était périlleuse, la mer pleine de dangers, la flotte difficile à rassembler, enfin que le petit nombre des Normands ne pourrait vaincre la multitude des Anglais. En même temps qu'il faisait ses préparatifs militaires, Guillaume ne négligeait pas non plus la diplomatie. Le Roman de Rou raconte[122] qu'avant d'entreprendre la conquête de l'Angleterre, Guillaume alla trouver Philippe Ier en Beauvaisis et qu'il lui promit, s'il l'aidait dans son entreprise, de tenir de lui l'Angleterre en fief. Philippe Ier consulta ses nobles, qui lui montrèrent que rien ne serait plus dangereux que l'accroissement de puissance du duc de Normandie. Le vasselage de l'Angleterre serait encore plus nominal que celui de la Normandie. Ils lui auraient dit : Quant Engleterre ara conquise Pois ja n'aureiz de li servise ; Petit sert, mais meinz servira, Quant plus ara, meins vos fera. Freeman, dans son Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands, accepte cette version, qui nous paraît une légende. Aucun autre texte ne vient la confirmer. Elle est en outre des plus invraisemblables. Guillaume, entre autres motifs d'entreprendre son expédition, était guidé par l'intérêt d'échapper à la suzeraineté de Philippe Ier pour la plus grande partie de ses domaines. En Normandie même, il serait roi d'Angleterre. De plus, Philippe ne pouvait lui être d'un grand secours. Guillaume n'avait aucune raison pour lui demander son appui ; il en avait d'autres pour ne pas le faire. En revanche, si Guillaume néglige son suzerain, il cherche à gagner à sa cause l'Eglise et la papauté. C'était une des raisons qui lui avaient inspiré l'idée d'arracher à Harold un serment dont il n'ignorait pas le peu de valeur. Harold serait parjure et il aurait pour lui la foi des serments. Aussi, à la cour convoquée par lui et dans laquelle l'expédition fut projetée, on décida d'envoyer à Rome Gilbert, archidiacre de Lisieux, afin de demander conseil au pape Alexandre II ; le pape, dit Orderic Vital[123], lorsqu'il eut appris ce qui était arrivé, déclara légitimes les droits du duc de Normandie ; il l'exhorta vivement à prendre les armes contre le parjure et lui transmit l'étendard de saint Pierre qui le protégerait contre tout danger, ainsi qu'un cheveu de l'apôtre. Ingulfe, abbé de Croyland[124], et Guillaume de Malmesbury[125] confirment Orderic Vital. Harold n'osa pas solliciter l'appui de Rome, soit qu'il crut à un insuccès, soit qu'il craignît que ses messagers ne fussent arrêtés en route par Guillaume et ses complices qui occupaient tous les ports. Pour Ingulfe, Harold attachait peu de prix au jugement du pape et il pensa qu'il valait mieux rassembler une bonne armée. Guillaume de Malmesbury place la réunion de la cour de Guillaume après l'ambassade au pape. Elle se serait réunie à Lillebonne lorsque Guillaume eut reçu l'étendard pontifical. On se donna alors rendez-vous pour le mois d'août à Saint-Valéry. Les vaisseaux, rassemblés d'abord à l'embouchure de la Dive, vinrent en effet à Saint-Valery et y attendirent longtemps le vent favorable. On eut recours alors à une procession des reliques de saint Valery et le vent se mit à souffler. L'expédition put partir le 29 septembre. C'est du moins la date donnée par la Chronique de Fontenelle[126] et celle de Saint-Etienne de Caen[127]. Avant son départ, Guillaume, d'après Guillaume de Poitiers[128], avait encore signé un traité d'amitié avec l'empereur Henri IV, à qui il promettait de venir en aide en Allemagne, s'il en avait besoin. Le roi de Danemark l'avait également assuré de sa fi délité, mais il n'en entretenait pas moins des relations avec ses ennemis. En somme, les préparatifs militaires et diplomatiques les plus sérieux avaient été faits pour cette expédition. Tout faisait prévoir le succès. Guillaume le Conquérant débarqua en Angleterre le 29 septembre ; il occupa aussitôt Pevensey et Hastings. Guillaume de Jumièges[129], Guillaume de Poitiers[130] et Orderic Vital[131] laissent entendre qu'il ne rencontra pas la moindre résistance. Cela tient à ce qu'il avait choisi son moment : Harold, roi de Norvège, et Tostig venaient d'aborder dans la province d'York. Quelques jours après son débarquement, Guillaume recevait un message d'un seigneur du voisinage d'origine normande, un certain Robert qui lui apprenait que Harold avait triomphé de son frère et du roi de Norvège, qui tous deux avaient été tués dans le combat ; maintenant libre, il s'avançait avec des forces considérables. Harold avait grande confiance dans le succès ; les historiens anglais Guillaume de Malmesbury[132] et Henri de Huntington[133] l'admettent comme les historiens normands. Son entourage avait moins d'assurance. Sa mère, son frère, ses amis et ses fidèles essayaient de lui faire entendre les conseils de la prudence, mais en vain ; suivant Guillaume de Jumièges, il aurait été jusqu'à frapper sa mère du pied. Pendant huit jours, il rassembla une armée qu'Orderic Vital qualifie d’innombrable et que Guillaume de Malmesbury dit avoir été moins nombreuse. Quant à Guillaume, suivant les Gestes, il aurait eu cinquante mille hommes. La position était assez périlleuse en ce sens que Harold avait armé sur mer soixante-dix vaisseaux pour empêcher la fuite des Normands. La bataille eut lieu à Senlac le 14 octobre 1066[134]. Ce fut un grand succès pour Guillaume. Guillaume de Poitiers et Orderic Vital[135] citent comme ayant été ses principaux collaborateurs en cette journée Eustache, comte de Boulogne, Guillaume d'Evreux, Geoffroy, fils de Rotrou, comte de Mortagne, Aimeri, vicomte de Thouars, Hugues le connétable, Gautier Giffard, Raoul de Toëni, Hugues de Grentemesnil, Guillaume de Varennes. Il faut ajouter à cette liste Geoffroy de Chaumont, ainsi que l'indiquent les Gestes des seigneurs d'Amboise[136]. Guillaume de Jumièges[137] et Guillaume de Poitiers[138] : racontent ce qui se passa entre la bataille de Senlac et le couronnement de Guillaume comme roi d'Angleterre. Quinze mille hommes avaient péri dans le combat ; cela n'empêcha pas Guillaume, même quand la victoire fut assurée, de faire un carnage épouvantable, au cours duquel plusieurs milliers d'ennemis périrent encore. Puis il se dirigea vers Douvres, qui paraissait inexpugnable. Cependant ceux qui gardaient le château se préparaient à se rendre quand les soldats normands mirent le feu à la forteresse. Le duc paya d'ailleurs aux habitants le prix de tout ce qu'ils avaient perdu du fait de l'incendie. Guillaume s'arrêta quelque temps à Douvres ; il y perdit une partie de ses soldats soit par la dysenterie, soit par la fatigue. Cela ne le découragea pas. Il augmenta les fortifications du château et y laissa une garnison. Les habitants de Cantorbéry vinrent le trouver et lui jurèrent fidélité. Pendant ce temps, il Londres, Stigand, archevêque de Cantorbéry, et . plusieurs nobles préparaient la résistance ; ils avaient élu roi Edgar, qui appartenait à la famille d'Edouard. Guillaume s'avança vers la Tamise et parvint à Walengford ; il fit traverser le fleuve à ses soldais et les fit camper. Londres ne devait pas résister longtemps. Les partisans d'Edgar l'abandonnaient tous successivement. Stigand vint le premier au camp de Guillaume et fit sa soumission. Les principaux citoyens de Londres le suivirent de peu, jurèrent fidélité au vainqueur et le prièrent de prendre la couronne. Guillaume hésita encore ; il craignait que la situation ne fût pas assez stable ; il consulta les chefs normands, qui l'engagèrent à se faire couronner, sachant que c'était là le vœu de toute l'armée. Guillaume y consentit donc, envoya quelques Normands à Londres préparer son entrée, puis attendit très tranquillement, en se livrant à la chasse. Les Anglais, consultés par l'archevêque d'York, acclamèrent tous Guillaume, et le duc de Normandie fut consacré par le même archevêque d'York, dans la basilique de Saint-Pierre, où reposait Edouard le Confesseur, le jour de Noël de l'an 1066, en présence de nombreux évêques et abbés. Il envoya ensuite au pape l'étendard de Harold. La victoire de la Normandie était en même temps une victoire du Saint-Siège. Eadmer, moine de Cantorbéry, insiste beaucoup sur la déférence de Guillaume le Conquérant envers le Siège apostolique[139]. Non seulement le nouveau roi fit respecter les évêques et les prêtres, mais il subordonna étroitement l'Eglise d'Angleterre à Rome, en décidant que le primat, l'archevêque de Cantorbéry, ne devait pas présider de concile sans avoir obtenu l'assentiment préalable du pape. Après son couronnement, Guillaume fit preuve d'une grande modération. Guillaume de Poitiers rapporte[140] qu'il fit respecter l'ordre par ses soldats : il leur interdit de fréquenter les tavernes et protégea les femmes contre leurs violences ; il institua des tribunaux spéciaux chargés d'appliquer des peines très dures pour les soldats qui se seraient rendus coupables de carnage. Après avoir pris ces mesures, il quitta Londres, séjourna quelque temps aux environs, reçut la soumission des comtes Edwin et Morker, qui avaient dirigé la résistance après Senlac, et parcourut ensuite son nouveau royaume. Il donna de riches terres à Edgar Adelin, dont on avait essayé de faire un roi ; il récompensa aussi ses compagnons, mais jamais il ne donna à un Normand un bien injustement enlevé à un Anglais ; il se rendit ainsi populaire parmi les Normands, tandis que les Anglais le craignaient beaucoup. Contre ceux-ci il prit des mesures de précaution : il donna la ville de Guenta (Norwich) à Guillaume, fils d'Osbern, qu'il nomma son lieutenant pour toute la partie du royaume qui regardait le nord. A son frère Odon il donna le château de Douvres avec toute la côte du Kent. Odon était évêque de Bayeux et très aimé dans son diocèse ; il avait fait preuve dans plusieurs conciles d'intelligence et d'éloquence ; il était d'une libéralité sans bornes et se rendit très vite populaire parmi les Anglais. Quand il eut ainsi confié le gouvernement de son royaume à Guillaume, fils d'Osbern, et à Odon, le Conquérant jugea qu'il pouvait faire en Normandie un retour triomphal. Roger de Hoveden dit qu'il quitta l'Angleterre à l'approche du carême[141]. Il emmenait avec lui tous ceux qui auraient pu troubler l'ordre en son absence, Stigand, Edgar Adelin, les comtes Edwin et Morker et quelques autres seigneurs anglais. Nous savons par Orderic Vital[142] qu'il se trouvait le jour de Pâques (8 avril) à Fécamp et qu'il y tint une cour solennelle à laquelle vinrent une foule d'évêques, d'abbés et de seigneurs. Raoul, comte de Valois, entre autres, se rendit à Fécamp et admira toutes les merveilles que le Conquérant rapportait d'Angleterre. Le roi parcourut ensuite la Normandie ; Guillaume de Jumièges dit qu'il se trouvait à Jumièges[143] le 1er juillet et qu'il présida la consécration de la basilique de Notre-Dame, à laquelle procédèrent Maurice, archevêque de Rouen, Jean, évêque d'Avranches, Geoffroy de Coutances, Hugues de Lisieux et Baudoin d'Evreux. Ce séjour fut de courte durée : Guillaume retourna en Angleterre à l'approche de l'hiver[144]. De graves événements s'étaient produits en Angleterre pendant son absence. Orderic Vital lui-même laisse entendre[145] que la domination normande avait durement pesé sur l'Angleterre. Les Gestes de Guillaume, duc de Normandie, disent[146] que les gens, du Kent en particulier n'aimaient pas les Normands, et qu'ils appelèrent Eustache, comte de Boulogne, auquel ils persuadèrent de s'emparer du château de Douvres. Les Gestes, Guillaume de Jumièges[147] et Orderic Vital[148] racontent à peu près de la même façon l'expédition d'Eustache de Boulogne. A ce moment-là, Odon de Bayeux était absent de Douvres ; il était allé faire une expédition au delà de la Tamise. Eustache en profita pour franchir le Pas-de-Calais. Les chevaliers à qui Odon avait confié la garde de Douvres, lorsqu'ils se virent tout à coup assiégés en l'absence de leurs chefs, firent une sortie et remportèrent une grande victoire. Eustache n'eut que le temps de gagner ses vaisseaux et de fuir honteusement avec quelques-uns des siens. Il ne tarda pas d'ailleurs à faire la paix avec le roi Guillaume. Cela ne veut pas dire que l'Angleterre fût tranquille. De 1068 à 1076, Guillaume le Conquérant a eu plusieurs soulèvements à réprimer. En 1085, il dut encore faire face à une invasion extérieure, celle de Canut, roi de Danemark, et de Robert le Frison ; elle échoua, comme celle d'Eustache de Boulogne[149]. Ce fut la dernière tentative. On peut dire qu'en 1087, à la mort de Guillaume le Conquérant, l'implantation de la dynastie normande en Angleterre est un fait accompli. L'Etat anglo-normand est créé. Hériman, abbé de Saint-Martin de Tournai, fait remarquer[150] qu'après la conquête de l'Angleterre et la mort de Harold, Guillaume est à la fois-comte de Normandie et roi d'Angleterre, de telle sorte que sur ses sceaux on peut le voir d'un côté à cheval, comme un comte, de l'autre assis sur un trône et tenant un sceptre, comme un roi. C'est en effet, en ce qui concerne la France et Philippe Ier, la grande conséquence de la conquête normande. Guillaume le Conquérant reste vassal de Philippe Ier pour la Normandie, mais il ne l'est plus comme roi d'Angleterre. Cela lui donne une place à part dans la féodalité française. En même temps, sa puissance matérielle est plus grande que celle de n'importe quel titulaire de grand fief ; il dispose de plus de terres et de plus d'hommes. Il est une menace pour la royauté capétienne, qui a tout intérêt à le rejeter le plus tôt possible dans son île et à conquérir la Normandie, afin de continuer sa marche vers l'unité territoriale de la France. La Normandie ne tire pas seulement sa force de son union avec l'Angleterre. Elle la doit encore à ce que Guillaume le Conquérant, en même temps qu'il créait l'Etat anglo-normand, a brisé, en Normandie comme en Angleterre, toute résistance à son autorité et a rendu son pouvoir plus fort et plus absolu que jamais. C'est la seconde partie de son œuvre. Examinons comment il l'a réalisée en Normandie. Guillaume a d'abord contenu dans une obéissance passive toute la petite féodalité normande. Cela ne s'est pas fait sans difficultés. Les seigneurs ont fait des efforts pour accroître leur autorité ; la dernière de leurs tentatives date du début du règne de Philippe Ier ; elle est très peu antérieure à l'expédition de Bretagne et à la conquête de l'Angleterre. Les origines en sont assez obscures : Guillaume de Jumièges dit[151] que certains seigneurs envieux portèrent des accusations contre d'autres seigneurs voisins. Orderic Vital est plus explicite[152] : c'est Roger de Montgomery qui, très habilement, avec l'espoir d'accroître son pouvoir, poussa Guillaume à attaquer ses voisins. Guillaume, continue le chroniqueur, donna alors libre cours à sa colère ; il déshérita et exila assez longtemps les principaux de ses chevaliers, Raoul de Toëni, Hugues de Grentemesnil et Ernaud d'Echaufour. Ernaud chercha à se venger de cette disgrâce et il inquiéta constamment le Lieuvin. Une nuit, il vint jusqu'à Echaufour avec quatre chevaliers ; il s'introduisit dans le château dont la garnison prit la fuite, s'imaginant qu'Ernaud avait une nombreuse armée. Ce succès enhardit Ernaud : il alla brûler le château de Saint-Evroul ; il essaya de pénétrer dans l'église ; mais le cellerier Hermann alla au-devant de lui et le supplia de ne pas détruire ce temple construit par son père pour le salut de son âme. Ernaud ne fut pas sourd à cette prière ; il ne chercha même pas à inquiéter l'abbé Osbern, établi par Guillaume le Bâtard à la place d'un certain Robert. Ainsi, en 1063, la petite féodalité normande, mécontente de l'absolutisme de Guillaume, se soulève. Orderic Vital ne dit pas que Guillaume ait aussitôt marché contre Ernaud ; il était préoccupé à ce moment par la guerre qui devait aboutir à l'annexion du Mans. Quand cette guerre fut terminée, Simon de Montfort et Galeran de Breteuil vinrent le supplier de pardonner à Raoul de Toëni et à Hugues de Grentemesnil. Guillaume jugea sans doute que la leçon avait été suffisante et qu'il inspirerait désormais une terreur salutaire : il rappela les exilés et leur rendit leurs biens. Son calcul était juste : nous avons vu que Raoul et Hugues aidèrent leur duc dans la conquête de l'Angleterre et qu'ils prirent une part active à la bataille de Senlac. Quant à Ernaud, qui avait dirigé une véritable rébellion, il dut s'en aller en Pouille ; il en revint plus tard[153] : Guillaume lui rendit alors ses biens, mais il mourut peu après, empoisonné. Son fils Guillaume abandonna complètement la Normandie ; jeune, il avait été à la cour de Philippe Ier et, après y avoir servi. avait été armé chevalier par le roi ; il partit ensuite pour la Pouille, où il avait des parents ; il fut fort bien accueilli par eux, épousa une Lombarde qui lui donna une nombreuse famille et se fixa complètement dans le pays, où il possédait trente châteaux. Après la révolte d'Ernaud d'Echaufour, la féodalité normande n'opposa plus de résistance sérieuse à Guillaume le Conquérant. La conquête de l'Angleterre lui permit de récompenser largement ceux qui l'avaient aidé dans son œuvre ; il se les attacha après s'être fait craindre d'eux. Il n'en resta pas moins leur maître absolu et disposa toujours des terres de ses chevaliers ; quand l'un d'eux venait à mourir, l'héritage était réparti non pas conformément à la volonté du défunt, mais conformément à celle de Guillaume, qui le prenait parfois pour lui. Orderic Vital rapporte[154] que, quand Robert de Gacé mourut sans enfants, le duc Guillaume, qui lui était apparenté, prit tout son héritage. De même, il donna la terre de Robert de Vitot, exilé à cause du meurtre du comte Gilbert, à Geoffroy Mancel, frère du vicomte Hubert, en lui permettant, par charte, de faire des donations à l'abbaye de Saint-Evroul. De même encore, la chronique de l'abbaye de Lyre raconte[155] que, quand Guillaume, fils d'Osbern, périt en 1072 dans la guerre entre Philippe Ier et Robert le Frison, le duc Guillaume partagea lui-même son héritage entre ses deux fils : à l'aîné, il donna Breteuil, Pacy et tous les droits de son père en Normandie ; au second, le comté de Hereford et ses droits en Angleterre. Ainsi Guillaume dispose souverainement des terres de ses chevaliers. Il est à remarquer qu'il n'y a guère en Normandie que de simples chevaliers. Tandis que le comte de Flandre a pour vassaux des comtes comme ceux de Boulogne et de Guines, qui disposent d'une certaine puissance, il n'y a en Normandie qu'une seule seigneurie importante et qui, celle-là, échappe en grande partie à l'influence du duc, c'est celle de Bellême. Roger de Montgomery, dont nous avons vu le rôle en 1063, était seigneur de Bellême ; sa seigneurie comprenait toute la haute vallée de la Sarthe, car sur la rive droite, il avait des terres in pago Suenensi. Il participa à la conquête de l'Angleterre, et Guillaume lui donna deux comtés en Angleterre[156]. Son fils aîné, Robert de Bellême, lui succéda ; il chercha à s'affranchir de la suzeraineté normande et semble y avoir réussi, du moins après la mort de Guillaume le Conquérant : lorsque, vers 1092, il donna l'église Saint-Léonard de Bellême à l'abbaye de Marmoutier, il fit confirmer cette donation non par le duc de Normandie, mais par Philippe Ier[157]. Le roi de France appelle Robert son vassal[158]. Dans sa lutte contre la Normandie, Philippe Ier aura là un allié tout trouvé, mais ce sera le seul, la féodalité normande restant soumise et attachée à Guillaume le Conquérant et à sa dynastie. En même temps qu'il affermissait son pouvoir sur la féodalité, Guillaume cherchait à le rendre populaire auprès des classes inférieures en faisant régner la paix. Les chroniques normandes et les chroniques anglaises s'accordent à reconnaître que ce fut là le grand bienfait de son règne. La chronique anglo-saxonne dit[159] qu'entre autres titres de gloire de Guillaume, il ne faut pas oublier cette paix remarquable qu'il établit partout : on pouvait parcourir son royaume avec ses poches pleines d'or, sans s'exposer aux mauvais coups ; personne n'aurait osé assassiner quelqu'un, même s'il lui était redevable de très grands maux ; celui qui violait une femme s'exposait à être aussitôt mutilé par où il avait péché. Les Gestes de Guillaume, duc de Normandie, insistent aussi sur cette paix intérieure[160] : personne n'osait troubler l'ordre ; il n'y eut ni séditions ni guerres étrangères. De France, de Bourgogne, des provinces les plus lointaines, des évêques et des comtes venaient à la cour de Normandie, les uns pour prendre conseil, les autres pour recevoir des bénéfices, la plupart pour le seul plaisir d'admirer Guillaume, tellement sa bonté pouvait être qualifiée de port et de refuge. On trouve également dans Orderic Vital des éloges dithyrambiques de la paix normande ; on y trouve aussi quelques faits plus précis. Orderic raconte notamment[161] comment Guillaume sut apaiser quelques pillards du Beauvaisis. Les efforts de ceux-ci portaient sur le château de Neuf-Marché, dont Geoffroy, l'héritier légitime, avait été expulsé pour un motif peu grave, mais aucun d'eux ne réussit à le protéger contre les habitants de Milly et de Gerberoy. Enfin Guillaume confia la défense à Hugues de Grentemesnil. Celui-ci réussit beaucoup mieux : en une année, il fit prisonniers deux seigneurs du Beauvaisis, il sema l'épouvante parmi tous les ennemis et pacifia tout le pays. Redouté de la féodalité, populaire parmi les masses parce qu'il leur assure la paix et par là le bien-être, Guillaume le Conquérant trouve encore le moyen d'imposer son autorité à l'Eglise, à laquelle il ne laisse aucune indépendance, mais qui ne le considère pas moins comme le plus bienveillant et le plus chrétien des princes. La politique religieuse de Guillaume le Conquérant a été fort habile : il se distingue par ses nombreuses donations aux abbayes, son zèle pour réprimer le désordre des mœurs sacerdotales, son attitude respectueuse envers les évêques et les moines. Cela lui attire les sympathies de l'Église et du Saint-Siège. Il en profite pour mettre la main sur les élections épiscopales et abbatiales et, par là, l'Église est soumise à son pouvoir comme ses autres sujets. Guillaume de Poitiers loue Guillaume le Conquérant d'avoir élevé des monastères et de les avoir fait prospérer, par ses largesses, au point que, de son temps, la Normandie pouvait rivaliser avec la bienheureuse Égypte pour l'intensité de la vie monastique[162]. Orderic Vital fait dire à Guillaume, dans un discours qu'il lui prête[163], qu'il a agrandi et embelli neuf abbayes, qu'il en a construit dix-sept, qu'il a rendu une série de chartes en leur faveur. De ces abbayes les plus célèbres étaient celles de Fécamp, de Saint-Wandrille, du Bec, dont saint Anselme fut abbé, de Saint-Pierre-sur-Dives, de Saint-Ouen à Rouen, de Saint-Evroul, à laquelle Guillaume le Conquérant fit de nombreuses donations[164], de Jumièges[165], où Guillaume assista, à son retour d'Angleterre, en 1067, à la dédicace de l'Eglise, surtout de Saint-Etienne de Caen. Celle-ci était particulièrement chère à Guillaume, qui l'avait fondée à la suite de son mariage ; le pape Alexandre II la prit sous sa protection, en 1068, et lui assura de nombreux privilèges[166]. En même temps qu'il enrichit les monastères, Guillaume le Conquérant prodigue les marques de respect aux abbés et aux moines. La Vie de saint Hugues, abbé de Cluny, rapporte[167] qu'il désirait beaucoup connaître Hugues pour lequel il avait la plus grande vénération. Or un légat de saint Hugues, Warmond, qui fut abbé de Déols, puis archevêque de Vienne, vint en Normandie lui apporter la bénédiction du saint ; il lui demanda une audience et courba la tête devant lui, comme si c'était un ange du seigneur chargé de l'investir de la grâce divine. Ses satrapes en furent étonnés, ils ne pouvaient comprendre qu'une tête aussi inflexible s'humiliât de la sorte et dépouillât toute majesté royale devant quelqu'un qui ne lui concédait rien. Ne vous étonnez pas, leur dit Guillaume, de me voir m'incliner avec tant de dévotion et d'humilité ; une telle bénédiction et une telle investiture exigent que je fasse ce que j'ai jugé que je devais faire. Je n'ai jamais reçu pareille faveur, et ne pensez pas que, le jour où j'ai obtenu ma couronne, il me soit échu quelque chose d'aussi grand. Car tout ce que j'ai aura une fin, comme un commencement ; il faudra le laisser comme je l'ai pris ; j'ai, au contraire, reçu, en me mêlant au saint collège de Cluny, en quelque sorte les arrhes de la gloire céleste, et celle-là n'aura pas de fin. On comprend l'impression que pouvaient produire pareilles démonstrations. Guillaume, par cette déférence, paraissait le fils le plus soumis de l'Eglise. Il l'était aussi par le zèle qu'il employait à faire respecter les choses saintes et à avoir des prêtres aussi saints que possible. La même vie de saint Hugues rapporte[168] qu'il demanda à l'illustre abbé de lui envoyer six de ses moines pour le conseiller dans toutes les affaires ecclésiastiques et pour lui préparer des évêques et des abbés d'une rare perfection. Il promit de donner chaque année pour chacun d'eux à Cluny cent livres d'argent ; à cette proposition saint Hugues répondit que l'intention était excellente, mais qu'il ne pouvait vendre pour une récompense terrestre des âmes dont il avait charge. Les Acta archiepiscoporum Rothomagensium rapportent[169] une intervention pacifique de Guillaume dans un conflit entre l'archevêque de Rouen et l'abbé de Saint-Ouen. Pendant que Guillaume était allé faire l'expédition du Mans (1073), il y eut dans l'abbaye une véritable émeute. L'archevêque devait y célébrer la messe le jour de la fête patronale. Or l'abbé Nicolas et les moines n'attendirent pas l'archevêque Jean, qui arriva à la fin du Gloria ; furieux, il excommunia les moines, leur ordonna de cesser l'office et se prépara à le célébrer lui-même ; les moines obéirent et quittèrent l'église. Quelqu'un cria alors que l'archevêque voulait ajouter à la mense épiscopale les terres de l'abbaye de Saint-Ouen. Aussitôt l'émeute commença ; l'archevêque fut cerné et obligé de fuir. Guillaume, informé de ce qui se passait, envoya l'évêque d'Avranches, Michel, pour opérer la réconciliation, et ainsi, grâce à l'intervention royale, l'apaisement se fit peu à peu. Enfin, ce qui assura à Guillaume la bienveillance de l'Eglise, ce fut que, en même temps qu'il manifestait son zèle religieux, il sut fort bien choisir ses conseillers en matière ecclésiastique. Le principal d'entre eux fut Lanfranc. Guillaume de Jumièges a beaucoup insisté dans sa chronique sur le rôle de Lanfranc : Lanfranc, dit-il[170], était originaire d'Italie ; il s'y distingua par une véritable rénovation des lettres latines, si bien que la Grèce, passée maîtresse pour les études libérales, ne dédaignait pas d'écouter et d'admirer ses disciples. Il quitta l'Italie et, emmenant avec lui plusieurs écolâtres d'un grand renom, il vint en Normandie, alla au Bec et s'y fit moine. La renommée de Lanfranc rendit célèbres dans le monde entier l'abbaye du Bec et son abbé Herluin. On y vit accourir des clercs, des fils de princes, les plus connus parmi les maîtres des lettres latines, de puissants laïques, des hommes d'une très vieille notoriété. Au bout de trois ans, Lanfranc dut quitter l'abbaye du Bec pour devenir abbé de Saint-Etienne de Caen, en 1063[171]. Il se distingua également dans le gouvernement de l'abbaye fondée par Guillaume le Conquérant et, après la conquête de l'Angleterre, il se trouva tout désigné pour obtenir la dignité la plus éminente de l'Eglise d'Angleterre : en 1070, il devint archevêque de Cantorbéry[172]. En 1071, le pape Alexandre II écrivit au roi pour le prier de suivre en toutes choses les conseils de Lanfranc[173]. Lanfranc gouverna donc les églises de l'état anglo-normand jusqu'à sa mort, en 1089[174]. On peut considérer Lanfranc comme ayant été en quelque sorte le délégué du Saint-Siège auprès de Guillaume le Conquérant. La papauté s'est efforcée de conserver l'Eglise d'Angleterre sous sa tutelle. En 1070, Guillaume avait été couronné à Guenta par trois cardinaux romains, car, sur sa demande, dit Orderic Vital[175], Alexandre II avait envoyé en Angleterre trois vicaires apostoliques, Ermenfred, évêque de Sion, les cardinaux Pierre et Jean. Guillaume les retint plus d'un an et les laissa réformer l'Eglise d'Angleterre ; ils tinrent notamment, en 1071, le concile de Winchester, où Stigand, archevêque de Cantorbéry, fut déposé pour faire place à Lanfranc. En ayant ainsi beaucoup de déférence pour l'Eglise et en lui rendant souvent des services, Guillaume le Conquérant s'est attiré les sympathies du Saint-Siège. Le portrait qu'a tracé de lui Grégoire VII dans une lettre à Hugues de Die et Amat d'Oloron[176] peut être rapproché, toutes proportions gardées, de l'éloge enthousiaste qu'ont fait de lui les chroniqueurs. Le roi d'Angleterre, dit le pape en 1081, bien qu'il n'ait pas eu, en certaines affaires, une conduite suffisamment religieuse, a bien des qualités : il ne détruit pas et ne vend pas les églises, il procure à ses sujets la paix et la justice, il a refusé de s'allier à certains ennemis du Christ qui le pressaient de signer un pacte avec eux ; il a forcé les prêtres mariés à quitter leurs femmes, les laïques à abandonner les dîmes qu'ils détenaient ; il est certainement plus honnête que les autres rois ; il faut donc traiter son pouvoir avec plus de douceur, conclut le pape. C'est en effet ce que firent l'Eglise et la papauté. C'est bien là aussi ce que désirait Guillaume. Avec lui le ton n'est pas le même qu'avec les autres rois et princes laïques ; quand sa conduite n'est pas suffisamment religieuse, Grégoire VII, au lieu de l'admonester sévèrement, le rappelle paternellement à l'obéissance[177]. Avec lui surtout le pape ferme les yeux, quand il viole ouvertement la liberté des élections épiscopales. Cette attitude contraste avec celle qu'observe Grégoire VII vis-à-vis des autres souverains avec lesquels, au même moment, est engagée la querelle des investitures. Guillaume de Poitiers loue[178] les choix que le Conquérant sut faire pour les évêchés, comme celui de Hugues pour Lisieux, de son propre frère Odon pour Bayeux, de Jean pour Avranches. Dans tous ces choix, il tint compte non pas de la naissance, mais uniquement de l'honnêteté. Guillaume a toujours écarté les mauvais prêtres et n'a pas trafiqué des évêchés[179] ; mais il est à remarquer que les Gestes posent en principe que l'élection appartient au duc seul et ne semblent pas admettre qu'on puisse élever des objections contre cette règle. D'ailleurs il suffit de lire l'histoire des archevêques de Rouen[180] pour voir que c'est le duc qui fait la nomination de l'archevêque de Rouen et que l'élection n'est qu'une simple formalité ; cependant le duc s'arrange toujours pour faire ratifier son choix par le Saint-Siège. C'est ce qui se passa une première fois pour l'élection de Maurice. Guillaume fit déposer dans un concile l'archevêque de Rouen, Mauger, fils du duc Richard II, et qui par conséquent était son oncle. Mauger était très méprisé : il n'avait jamais reçu le pallium des mains du pape et il avait dépouillé son Église pour, faire des prodigalités. Plusieurs fois mandé à Rome, il avait refusé d'y venir. Aussi Guillaume, pour être agréable au Saint-Siège, prit-il l'initiative de sa déposition. Dans un concile, en présence d'un vicaire apostolique et de tous les évêques de Normandie, il déposa lui-même son oncle, avec l'approbation de tous ceux qui étaient là, et en conformité avec les règles canoniques. Puis il le fit remplacer par Maurice, prélat tout à fait digne[181]. Ainsi l'intervention du duc est manifeste. L'élection du successeur de Maurice, Jean d'Avranches, en 1067, est encore plus caractéristique. La Vie de Lanfranc[182] et Orderic Vital[183] racontent que le clergé et le peuple de Rouen auraient voulu avoir Lanfranc comme archevêque et que le roi Guillaume y aurait volontiers consenti. Mais Lanfranc n'accepta pas, et Guillaume décida de lui substituer Jean qu'il avait précédemment nommé évêque d'Avranches. Les Actes des archevêques de Rouen ne disent pas[184] que le choix de Guillaume se soit primitivement fixé sur Lanfranc ; mais ils s'accordent avec les deux autres textes pour affirmer que Lanfranc alla à Rome, chargé d'une mission de Guillaume pour Alexandre II ; il devait demander au pape de s'unir à lui pour faire accepter l'archevêché de Rouen à Jean d'Avranches. Nous avons conservé la lettre d'Alexandre II[185] : elle admet pleinement le principe de la nomination de l'archevêque par le duc de Normandie : Nous avons appris, écrit le pape, que l'église de Rouen était actuellement privée de pasteur ; l'évêque de Séez et l'abbé Lanfranc nous ont dit aussi que, par l'élection de votre prince, notre très cher fils Guillaume, roi d'Angleterre, vous seriez promu à ce siège, à cause de l'honnêteté de votre vie et de vos mœurs, si vous aviez l'assentiment du siège apostolique qui nous est confié par la grâce de Dieu. Alexandre II insiste pour que Jean accepte cette désignation. Jean, ajoutent les Actes des archevêques de Rouen, après avoir reçu ce message, accepta le siège métropolitain et fut élu par les évêques comprovinciaux et par les chanoines de l'église de Rouen. Ainsi le duc nomme l'évêque, il demande le consentement du pape qui le donne, et, enfin, quand tout est décidé, a lieu une élection de pure forme par les évêques et les chanoines. Guillaume et Alexandre II, par leur accord, ont fait bon marché des droits des églises normandes ; le Saint-Siège, comme le duc, y trouvait son compte. Il est vrai que la réforme grégorienne n'était pas encore intervenue. Il ne semble pas que Grégoire VII ait cherché à enlever les élections à Guillaume, qu'il ménageait toujours pour qu'il favorisât ses desseins sur l'Angleterre. Pourtant il surveille davantage les élections. En 1078, le siège de Rouen est de nouveau inoccupé par suite d'une maladie de Jean, son archevêque ; le 4 avril, Grégoire annonce au duc[186] qu'il envoie Hubert, sous-diacre de la sainte Église romaine, pour examiner avec les évêques et abbés si réellement l'archevêque ne peut remplir ses fonctions ; s'il en est ainsi, le légat veillera à ce que l'on nomme canoniquement un nouvel archevêque. L'archevêque fut élu comme à l'ordinaire ; Grégoire VII entendit dire qu'il était fils de prêtre et il écrivit aussitôt à Hubert, le 23 septembre 1079, pour refuser son assentiment s'il en était ainsi[187]. Ce nouvel archevêque, Guillaume, n'eut d'ailleurs pas de très bons rapports avec le Saint-Siège : deux ans après, en 1081, Grégoire lui écrivait une lettre pleine de reproches[188] ; il s'étonnait de ce qu'il n'eût pas fait sa visite ad limina, alors que les nations les plus éloignées, nouvellement converties à la foi chrétienne, envoyaient des ambassadeurs au Saint-Siège, et il lui rappelait les peines portées contre ceux qui, trois mois après leur consécration, ne venaient, pas recevoir le pallium ; il le priait enfin, tant qu'il n'aurait pas reçu ce pallium, de n'ordonner aucun prêtre et de ne pas consacrer d'évêques. Les rapports étaient donc moins bons avec les élus de Guillaume ; mais le principe n'en subsistait pas moins. Les successeurs de Guillaume continuèrent à nommer, comme lui, aux évêchés de Normandie. En 1105, deux lettres d'Yves de Chartres, l'une à Guillaume, archevêque de Rouen, et Gilbert, évêque d'Evreux, l'autre à Robert, comte de Mantes, les supplient d'empêcher le siège de Lisieux d'être envahi par un étranger, ce que voulait faire Ramnulf, évêque d'York, d'accord avec le roi[189]. Yves écrivait également dans le même sens au pape Pascal II et lui recommandait Guillaume, archidiacre d'Evreux, qui avait été régulièrement élu[190]. Maître des évêchés, Guillaume le Conquérant dispose aussi des monastères dont il nomme les abbés. C'est ce qu'il fit par exemple à Saint-Evroul en 1059. Guillaume de Jumièges rapporte[191] que le duc expulsa, sans avoir pris l'avis d'un concile, Robert qui, depuis trois ans, -gouvernait l'abbaye. Pour remplacer Robert, Guillaume nomma lui-même un moine du nom d'Osbern. C'était un véritable coup d'état et une atteinte formelle aux droits et à la liberté de l'abbaye. Robert s'en alla aussitôt à Rome porter sa cause devant le pape Nicolas II. Nicolas II mourut peu après. Robert recommença ses instances auprès du nouveau pape Alexandre II. Celui-ci, qui semble avoir toujours été soucieux de ménager Guillaume, même avant la conquête de l'Angleterre, ne chercha nullement à réintégrer Robert, mais l'envoya auprès de son compatriote Robert, duc de Calabre, qui l'accueillit fort bien et lui donna une terre pour construire le monastère de Sainte- Euphémie. De là, Robert ne cessa de menacer le malheureux Osbern, qui finit par être pris de scrupules et écrivit au pape Alexandre II pour qu'il mît fin à cette affaire[192]. Osbern mourut d'ailleurs peu de temps après, car Orderic Vital présente sa mort comme contemporaine de la nomination de Lanfranc à l'abbaye de Saint-Etienne de Caen et précédant de peu le passage de Guillaume en Angleterre[193]. Cette fois encore, les moines prièrent le duc de nommer lui-même le successeur et, sur le conseil de l'évêque Hugues et d'autres personnes avisées, Guillaume nomma abbé Mainier. Ainsi il est le maître de l'élection de l'abbé de Saint-Evroul. Il semble cependant que, sous Robert Courteheuse, l'intervention ducale se soit bornée à une simple approbation. En 1091, les moines élisent abbé Roger du Sap, après avoir donné lecture de la règle de saint Benoît relative à l'élection de l'abbé, puis ils vont faire approuver leur choix par le duc Robert, alors en Angleterre[194]. On n'a pas d'exemples semblables sous Guillaume le Conquérant, tandis que les preuves du cas contraire abondent. Rien n'est plus curieux à cet égard que sa correspondance avec Jean, abbé de Fécamp. Dans une de ses lettres[195], Guillaume se demande à qui il confiera l'abbaye de Westminster et celle de Bernay ; enfin, sur le conseil de Lanfranc, il a nommé comme abbé de l'une Vital et comme abbé de l'autre Osbern, frère de Vital ; il emploie toujours le terme de : j'ai élu (elegi), ce qui prouve bien que l'élection lui appartient ; et il ajoute, en terminant : que votre permission assure que les choses aient lieu comme je les ai disposées — et hoc tua licentia mihi fieri valeat. La lettre adressée par Jean à Guillaume, en réponse à celle-ci, est encore plus significative[196] : il approuve la nomination de Vital, bien qu'il lui soit pénible de voir un moine s'en aller de son abbaye. Quant à Osbern, qui n'est pas moine de Fécamp, ajoute-t-il, que vous avez élu à notre place — in juris nostri loco elegistis abbatem —, j'accepte aussi, mais à la condition que les règles soient observées, c'est-à-dire qu'il devienne notre moine avec la permission de son abbé et qu'il obéisse selon la règle de saint Benoît. Ainsi, dans cette affaire, il y a eu une véritable usurpation par le duc des droits de l'abbaye de Fécamp. En résumé, les élections abbatiales ne sont pas plus libres que les élections épiscopales, au moins dans les abbayes royales ; les unes et les autres appartiennent au duc, sans que le Saint-Siège ait cherché sérieusement à les lui arracher. Cette question, ailleurs si grave, n'a pas altéré les bons rapports de Guillaume le Conquérant avec Alexandre II et Grégoire VII. La seule chose qui faillit les compromettre, ce fut l'affaire d'Odon, évêque de Bayeux. Orderic Vital raconte[197] qu'en 1082, Guillaume réunit une assemblée dans laquelle il accusa de complot son frère Odon, évêque de Bayeux, et qu'il donna ensuite l'ordre de l'arrêter. Personne n'osait mettre la main sur un évêque, et le roi dut lui-même le saisir. Odon protesta : Je suis clerc, dit-il, et ministre de Dieu ; je ne puis être condamné sans un jugement du pape. Le roi reprit : Ce n'est pas le clerc ni le prélat que je condamne, mais mon comte, celui que j'ai mis à la tête de mon royaume pour gouverner à ma place et auquel je veux demander des raisons. Odon fut jeté en prison. Si favorable que la papauté fût à Guillaume, elle ne pouvait souffrir un pareil attentat sur la personne d'un évêque. Nous avons deux lettres de Grégoire VII relatives à cette affaire, probablement écrites en 1083. L'une est adressée à Hugues de Die[198] ; le pape se plaint de ce que Guillaume ait osé emprisonner son frère ; la lettre est d'ailleurs incomplète. L'autre est pour le roi lui-même[199] : Grégoire VII commence, comme à l'ordinaire, par un éloge des vertus de Guillaume ; il proteste de l'affection qu'il a pour lui et lui exprime, avec beaucoup de douceur, la peine qu'il a éprouvée en apprenant l'emprisonnement d'Odon et l'atteinte portée par Guillaume au respect qu'on doit avoir pour les prêtres. Ces deux lettres restèrent sans écho. Guillaume, très souple dans sa politique religieuse, n'était nullement décidé à obéir aux injonctions du pape, ni à souffrir son intervention dans les affaires intérieures de son royaume. L'affaire en resta là et Odon ne sortit pas de prison. Grégoire VII n'insista pas davantage et ne semble pas avoir menacé Guillaume des foudres de l'anathème. Ainsi, en Normandie, ni de la part de la féodalité ni de la part de l'Eglise, Guillaume le Conquérant n'a rencontré une opposition bien sérieuse ; il a su tenir l'une en respect et habilement ménager l'autre. L'opposition vint de sa propre famille, de son fils Robert Courteheuse, ambitieux et avide de régner avant l'heure. Le roi de France, Philippe Ier, inquiet de l'œuvre de Guillaume, vit que là était le point faible ; il sut profiter de ces divisions de famille et donner la main à Robert, dont l'histoire est intimement mêlée à la sienne. Robert ne réussit pas cependant, même avec l'appui du roi de France, à compromettre l'œuvre de son père. A la mort de Guillaume, en 1087, la Normandie est plus puissante que jamais. Mais, avant de mourir, Guillaume commit la même faute que. Baudoin VI en Flandre : il partagea ses Etats, au lieu de les laisser tous dans la même main, ce qui faisait précisément leur force. De son mariage avec Mathilde, Guillaume le Conquérant avait eu de nombreux enfants[200] : quatre fils : Robert, Richard, qui mourut jeune d'une maladie contractée en chassant[201], Guillaume, Henri ; cinq filles : Cécile, abbesse de Caen, Constance, mariée au comte de Bretagne Alain Fergant, Adèle, mariée à Etienne, comte de Blois, et deux autres mortes en bas âge, qui avaient été fiancées l'une à Harold et l'autre à Alphonse, roi de Galice. Vers la fin de sa vie, Guillaume s'occupa de partager son héritage entre ses trois fils : l'aîné, Robert, devait avoir le duché de Normandie, le second, Guillaume, le royaume d'Angleterre, enfin le troisième, Henri, le comté de Coutances[202]. L'unité de l'Etat anglo-normand se trouvait donc brisée. De là une véritable crise. Chacun des trois frères voudra augmenter sa part d'héritage ; il en résultera des guerres civiles qui permettront au roi de France d'intervenir. En 1116 seulement, l'unité sera reconstituée et l'Etat créé par Guillaume ne tardera pas à s'agrandir de nouveaux domaines sur le continent. III La Normandie, devenue pendant la fin du XIe siècle le principal Etat de la France occidentale, s'est agrandie aux dépens de l'Anjou. La dynastie angevine a toujours été la rivale de la dynastie normande jusqu'au jour où elle se substituera à elle dans le gouvernement de la Normandie et de l'Angleterre. La première moitié du XIe siècle avait été plutôt favorable aux Angevins : Geoffroy Martel, comte d'Anjou, avait conquis la Touraine, puis le Maine[203]. Sa mort, survenue au moment où commence le règne de Philippe Ier, en 1060, est au contraire le signal d'une décadence passagère de l'Etat angevin. Cette décadence tient d'abord à la crise qui suit la mort de Geoffroy Martel. On a vu que Geoffroy Martel avait laissé le comté d'Anjou à son neveu Geoffroy le Barbu. Ce Geoffroy le Barbu semble avoir été un personnage assez médiocre. Il est surtout connu pour ses démêlés avec l'abbaye de Marmoutier[204]. C'était une abbaye royale, mais Geoffroy n'en avait pas moins la prétention de remettre lui même à l'abbé le bâton pastoral ; les moines vinrent lui montrer les privilèges des rois et des empereurs ; ils firent intervenir auprès de lui des personnages ecclésiastiques et laïques. Le comte répondit d'abord par des menaces, puis il vint dévaster les domaines de l'abbaye et exerça des sévices contre les moines eux-mêmes. Ceux-ci souffrirent la persécution avec patience ; ils firent un pèlerinage solennel, pieds nus, au tombeau de saint Martin ; ils envoyèrent enfin un message à l'abbé de Cluny, Hugues, pour lui demander ses prières et sa visite. Hugues vint à Tours ; il alla trouver le comte, essaya de toutes les formes possibles de supplication, mais ne réussit jamais ; il se retira, après avoir prophétisé à Geoffroy qu'il ne régnerait pas longtemps. Geoffroy ne tarda pas en effet à être remplacé par son frère Foulque le Réchin. Foulque était jaloux de son frère qui avait obtenu la totalité, ou, tout au moins, la plus grande partie de la succession de Geoffroy Martel. Le résultat, ce furent huit années de guerre civile à laquelle vint parfois s'adjoindre la guerre étrangère. Richard, moine de Cluny[205], et la chronique de saint Maixent[206] rapportent qu'en 1061 Guy-Geoffroy, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, eut un démêlé avec l'Anjou au sujet du château de Chef-Boutonne, voisin de la cité de Saintes. Devant l'ennemi commun, Foulque se réconcilia sans doute avec son frère, dont le secours pouvait lui être utile pour défendre le peu qu'il possédait ; Geoffroy le Barbu vint, avec une grande armée, l'aider à combattre les Aquitains. Ceux-ci prirent la fuite, mais l'année suivante (1062), Guy-Geoffroy vint de nouveau assiéger Saintes et cette fois prit la ville par la famine, mais il s'en alla ensuite en Espagne. La réconciliation de Geoffroy le Barbu et de Foulque le Réchin dura peu. Jean de Marmoutier qui, dans son histoire abrégée des comtes d'Anjou, a fait un sombre portrait du Réchin, reconnaît que, dans sa jeunesse, il ne manquait pas d'énergie[207]. Une première fois, par un audacieux coup de main, il s'empara de la personne de son frère. Le pape Alexandre Il intervint et Foulque relâcha Geoffroy. Foulque a accusé son frère[208] d'avoir ensuite repris l'offensive et d'être venu assiéger son château de Brissac. Un combat eut lieu en 1068 entre les deux frères et l'avantage resta au Réchin ; Geoffroy le Barbu dut se rendre avec mille Angevins de sa suite ; il resta jusqu'à la fin de sa vie prisonnier à Chinon ; Foulque s'empara d'Angers, de Tours, de Loches et de Loudun, qui sont, dit-il, les capitales des comtes d'Anjou. La victoire de Foulque a été chèrement achetée : au roi de France, le nouveau comte a dû abandonner le Gâtinais ; il est vrai que cette annexe lointaine était plus encombrante qu'utile à l'Etat angevin. Les autres concessions qu'il a dû faire sont plus fâcheuses : pour avoir l'appui du comte de Blois, il a consenti à lui prêter hommage pour la Touraine, reconnaissant ainsi la suzeraineté de son puissant voisin sur une importante partie de ses Etats. Du côté du sud, Saintes reste au duc d'Aquitaine. Au nord enfin, Guillaume, duc de Normandie, a profité de J'a lutte de Geoffroy et de Foulque pour s'emparer du Maine, que Geoffroy Martel avait un moment rattaché à l'Anjou. Ainsi, au nord, au sud et à l'est, ce sont des brèches dans l'œuvre de Geoffroy Martel. L'Etat angevin, à l'avènement de Foulque, se trouve resserré entre le comté de Blois, la Normandie et l'Aquitaine. Ces deux derniers Etats surtout sont menaçants, car ils sont gouvernés par des hommes de premier ordre, Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d'Angleterre, Guy-Geoffroy, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine. Foulque était-il de taille à lutter avec eux et à reprendre la politique de son oncle Geoffroy Martel ? Jean de Marmoutier, après avoir convenu que, pendant sa jeunesse, Foulque le Réchin fit preuve d'une certaine énergie, ajoute[209] que, quand il fut parvenu à la virilité, il fut sous le joug de la gourmandise, de l'ivrognerie, de la débauche, de l'inertie et de la paresse. Aussi ne se souciait-il guère de rendre la justice et personne ne la rendait en son nom ; l'Anjou et la Touraine devinrent, sous son gouvernement, des repaires de voleurs. En somme, conclut le chroniqueur, comme son frère Geoffroy le Barbu, Foulque commença mal, vécut plus mal encore et termina sa vie de la pire façon. Ce portrait ne donne pas une bien haute idée de Foulque. Mais il faut toujours se défier des exagérations des chroniqueurs, et bien des princes du XIe siècle, tout en ayant été peu difficiles sur les règles de la morale, ont été des hommes d'Etat de premier ordre. Il ne semble pas en avoir été ainsi du Réchin qui n'a guère réussi à améliorer la situation peu avantageuse de l'Anjou lors de son avènement. Ni du côté de la Normandie, ni du côté de l'Aquitaine, il n'a su rendre à l'Anjou ce qu'il avait perdu depuis la mort de Geoffroy Martel. Au nord, Guillaume le Conquérant a pris le Mans en 1063, et le Maine, une des conquêtes de Geoffroy Martel, échappe à la domination angevine. Foulque devait forcément chercher à reprendre à la Normandie ce pays que son oncle avait autrefois possédé et, peu de temps après son avènement, en 1073, il participa à une conjuration dont le but était d'arracher le Mans à la domination normande. Nous avons vu que cette conjuration échoua et que Foulque renonça définitivement à tout droit sur le Mans. En 1087, la mort de Guillaume le Conquérant et la dislocation de l'Etat anglo-normand pouvaient sembler à Foulque d'Anjou une occasion favorable pour reprendre le Maine, d'autant plus que le comté n'avait jamais accepté avec une parfaite soumission la domination normande et que les habitants ne cherchaient qu'un prétexte pour y échapper. Orderic Vital rapporte[210] que, en 1089, les Manceaux, à la suite de la révolte d'une partie de la Normandie contre Robert Courteheuse, se préparèrent à suivre cet exemple. Robert, à cette nouvelle, aurait fait demander à Foulque, comte d'Anjou, d'apaiser les Manceaux et de venir le trouver, car il était gravement malade. Foulque arriva auprès de lui au moment où il entrait en convalescence ; il lui promit de soumettre le Mans et d'être son loyal ami, si Robert réussissait à lui obtenir la main de Bertrade, fille de Simon, seigneur de Montfort. Robert s'employa à cette négociation matrimoniale ; Simon montra bien quelque répugnance à unir sa fille encore vierge à un homme qui avait déjà été plusieurs fois marié ; mais, moyennant quelques cessions de territoires, il finit par consentir à cette union. Foulque épousa Bertrade dont il eut plus tard un fils, Foulque ; après quoi, il alla calmer les Manceaux. Cette anecdote, qui paraît assez invraisemblable, n'est racontée que par le seul Orderic ; ni Guillaume de Jumièges, ni les Gestes des évêques du Mans, avec lesquels il concorde pour les événements postérieurs, n'y font allusion. On ne comprend pas pourquoi Foulque se serait réconcilié avec Robert et aurait été soumettre, pour le compte de celui-ci, le Mans, qu'il n'avait cessé de convoiter. Si une fantaisie amoureuse l'avait fait rompre avec la politique de ses prédécesseurs qu'il avait jusque-là faite sienne, il aurait eu vraiment peu de persévérance dans ses desseins et justifierait pleinement le portrait que trace de lui Jean de Marmoutier. Quoiqu'il en soit, il devait profiter des troubles qui éclatèrent au Mans l'année suivante[211]. L'auteur de ces troubles, ce fut surtout un jeune homme, nommé Hélie, fils de ce Jean de la Flèche qui avait joué un rôle lors de la première révolte du Mans contre Guillaume le Conquérant. Orderic Vital a fait de lui le portrait le plus flatteur[212] : il brillait, dit-il, par de nombreuses qualités : au physique, il était grand, mais de taille assez grêle, très brun, et portant la tonsure comme un prêtre ; sa parole était douce et persuasive ; il était aussi facile pour les gens paisibles que rude pour les rebelles ; il avait le culte de la justice et beaucoup d'ardeur pour le bien par crainte de Dieu. Sa piété était sans bornes ; non seulement il défendit les églises et fit aux pauvres de larges aumônes, mais il jeûnait sans cesse, et, chaque vendredi, en souvenir de la Passion du Christ, il s'abstenait de toute nourriture et de toute boisson. Cet ascète n'en commença pas moins par se saisir de l'évêque du Mans, qu'il soupçonnait d'être hostile à ses desseins, car les habitants du Mans avaient montré peu de goût pour la révolte qu'il leur proposait. Hélie fit donc enfermer l'évêque dans son château de la Flèche, et l'empêcha de voir qui que ce fût ; mais on se prépara bientôt à le délivrer. Les clercs firent appel non seulement aux habitants du Mans, mais, par l'intermédiaire des évêques, aux peuples des régions voisines. Hélie apprit tout cela ; il eut peur, alla demander pardon à l'évêque ; l'évêque le lui accorda et recouvra sa liberté ; on lui rendit tous les biens qui lui avaient été enlevés à lui et aux siens. Les Gestes des évêques du Mans, auxquels nous empruntons ce récit, ajoutent qu'après l'affaire du château de la Flèche, Geoffroy de Mayenne et les Manceaux jugèrent bon de faire revenir Hugues, fils d'Azzon ; ils envoyèrent une ambassade à celui-ci. Les ambassadeurs se plaignirent du mauvais gouvernement de Robert, et il fut décidé que l'aîné des fils d'Azzon, Foulque, resterait en Italie pour hériter de son père, mais que le second, Hugues, irait réclamer l'héritage maternel[213]. Geoffroy de Mayenne, Hélie et d'autres habitants du Mans accueillirent fort bien Hugues et lui assurèrent leur appui. Seul l'évêque Houel lui fit opposition. Ici il y a divergence entre les chroniques. Orderic Vital
place seulement à cette date l'emprisonnement de l'évêque par Hélie que les
Gestes disent avoir été antérieur à l'ambassade des Manceaux en Italie. Selon
les Gestes des évêques du Mans, l'évêque, en apprenant l'arrivée de Hugues,
aurait simplement été inquiet ; il se serait enfui auprès de Robert Courteheuse,
auquel il raconta ce qui venait de se passer au Mans. Robert le pria de
retourner dans son évêché, mais de ne pas prêter serment à Hugues. Pendant ce
temps, Hugues entrait au Mans et séjournait dans le palais épiscopal.
L'évêque revint de Normandie ; il ne voulut pas pénétrer dans la ville et séjourna
au monastère de Saint-Vincent. Le comte s'empara de son blé, de son vin, et
en général de tout ce qu'il possédait, jusqu'aux choses les plus sacrées ; il
était d'ailleurs encouragé par plusieurs clercs, en particulier par un
certain Helgot. L'évêque, ne pouvant arriver à une solution, alla demander
conseil au roi d'Angleterre ; il revint au bout de quatre mois. Pendant son
absence, les sacrilèges avaient continué et Houel dut interdire aux prêtres
qui y avaient participé de célébrer les saints mystères. D'ailleurs un
revirement se produisait au Mans ; on pilla la maison d'Helgot ; le comte
Hugues était inquiet de voir que la cité désirait son pasteur ; il chercha
donc à le faire revenir et il l'obtint, mais non sans de graves concessions,
notamment l'immunité de la plupart de ses domaines. L'évêque rentra
solennellement au Mans la veille de la Pentecôte, en 1091. Le gouvernement de Hugues n'en avait pas moins mécontenté tous les gens de bien. Le comte, dit Orderic Vital, n'avait ni fortune ni courage. C'était un lâche : il avait épousé la fille de Robert Guiscard, mais lui trouvant une âme trop généreuse, il la répudia et fut, de ce fait, excommunié par le pape Urbain II. D'ailleurs il avait peur et songeait à fuir ; il trouvait les Manceaux trop turbulents et craignait les Normands, car les fils de Guillaume le Conquérant, qui, pour une fois, étaient d'accord, marchaient contre le Mans avec une nombreuse armée. Hélie, qui désirait devenir comte, sut exploiter ces craintes. Bref, Hugues finit par lui déclarer qu'il voulait vendre le comté et retourner dans sa patrie. A qui donc, lui dit alors Hélie, le vendrez-vous sinon à moi ? La fille du comte Herbert Eveille-Chien s'est mariée à Lancelin de Beaugency ; elle lui a d.onné pour enfants Lancelin, père de Raoul, et Jean, mon père. Je descends donc d'Herbert. Hugues accepta les propositions d'Hélie et lui vendit son comté pour dix mille sous d'or de la monnaie du Mans. Hélie devint ainsi comte du Mans ; il hérita aussi de Gervais de Château-du-Loir, dont il avait épousé la fille ; il eut d'elle une fille qui fut fiancée à Geoffroy II Martel, fils de Foulque le Réchin. C'est ici que nous voyons apparaître pour la première fois ce personnage ; il cherche, pour le moment, à recouvrer le Maine d'une façon pacifique. Les circonstances allaient cependant l'amener à intervenir au Mans d'une façon plus directe. Hélie ne fut guère inquiété par Robert Courteheuse, prince mou et apathique, mais il n'en fut plus ainsi quand Guillaume le Roux eut pris le gouvernement de la Normandie. Orderic Vital rapporte[214] qu'au moment où Robert, partant pour la croisade, venait de confier la Normandie à son frère, Guillaume le Roux, c'est-à-dire en 1096, Hélie vint à la cour du roi à Rouen et lui annonça son intention de partir pour Jérusalem ; il lui demanda en même temps, comme fidèle, son amitié. Guillaume lui répondit : Allez où vous voulez, mais remettez-moi la ville et le comté du Mans ; je veux posséder tout ce que mon père a possédé. Hélie reprit : Je tiens le comté du droit de mes ancêtres, et, Dieu aidant, je le remettrai libre à mes enfants. Il offrit cependant de s'en remettre au jugement d'une assemblée de rois, de comtes et d'évêques, mais Guillaume ne voulut rien entendre et annonça son intention d'aller reprendre le Mans avec cent mille lances. Dans ces conditions, Hélie ne partit pas pour la croisade et il employa toute son activité à mettre le comté en état de défense. Mais, pendant deux années, Guillaume, occupé par les Gallois, les Bretons et les Flamands, oublia les Manceaux. Hélie fortifia le château de Dangeul et y réunit des troupes : de là, il harcela sans cesse le roi qui, craignant d'être accusé de lâcheté, se décida enfin à tenter son expédition. Suivant les Gestes des évêques du Mans[215], la rupture de Guillaume le Roux et d'Hélie n'aurait pas pour origine une question de droits, mais une affaire d'élection épiscopale. Le roi revendiquait pour lui l'évêché du Mans et voulait s'opposer à l'ordination de l'évêque. L'évêque fut ordonné malgré lui et l'inimitié qui existait depuis longtemps entre le roi et le comte se transforma en guerre ouverte. Il est d'ailleurs fort possible que la scène, racontée par Orderic Vital, ait eu lieu en 1096, et que ce soit ce nouveau démêlé qui ait décidé, deux ans après, Guillaume le Roux à passer des menaces à l'expédition. Les deux textes se complètent sans se contredire formellement. Les chroniques s'accordent pour placer en 1098 l'expédition de Guillaume le Roux contre la ville du Mans[216]. Suivant Orderic Vital[217], Hélie aurait pris en quelque sorte l'offensive en entreprenant, pendant la semaine précédant les Rogations, c'est-à-dire sans doute à la fin d'avril, une expédition contre Robert de Bellême. Tandis qu'il revenait de cette expédition, Hélie fut séparé des siens près de Dangeul, fait prisonnier et conduit à Rouen, où il fut d'ailleurs traité comme un prisonnier de marque[218]. Les Manceaux ayant manifesté en sa faveur, Guillaume le Roux se décida enfin à marcher lui-même contre eux avec une armée formidable ; il passa par Alençon, entra dans le Maine par Fresnay, où il reçut la soumission des seigneurs de la région, le vicomte Raoul de Beaumont, Geoffroy de Mayenne, Rotrou de Montfort et plusieurs autres. De là, il descendit la Sarthe et campa dans les prés qui bordent la rivière, non loin du Mans, à Coulaines. Pendant ce temps, Foulque le Réchin, apprenant la captivité d'Hélie, était accouru au Mans ; il avait été bien accueilli par les habitants et avait préparé la défense contre les Normands. Suivant une chronique de Saint-Aubin d'Angers[219], la ville lui aurait fait, une soumission complète et il l'aurait-ainsi gardée trois mois, au bout desquels les Manceaux, suivant leur habitude, firent défection pour signer la paix avec Guillaume le Roux. Suivant les Gestes des évêques du Mans, Foulque se serait retiré pour laisser la place à son fils, qui était fiancé à la fille d'Hélie. En tout cas, un combat indécis eut lieu aux portes de la ville. Robert de Bellême, à qui Guillaume le Roux avait confié l'attaque, essaya d'une dévastation des environs du Mans ; il arracha vignes et moissons, mais ne put tenir le siège, car on était à une époque de l'année où les récoltes de l'année précédente étaient épuisées et celles qui étaient en terre pas suffisamment mûres. Guillaume le Roux dut se retirer ; il revint peu après, dans la troisième semaine de juillet, mais ce fut cette fois pour signer la paix. La chronique de Saint-Aubin d'Angers dit que cette paix, il l'obtint plus par l'argent que par la force. D'après les Gestes, c'est Hélie lui-même qui en aurait été l'instigateur : il obtint du roi la permission d'aller voir l'évêque et les principaux personnages de la ville et leur conseilla de la rendre à Guillaume pour lui permettre de recouvrer sa liberté ; sa grande crainte était que Foulque d'Anjou ne fît la paix avec Guillaume en lui livrant la cité et qu'il ne fût lui-même envoyé en exil. Quoi qu'il en soit, les Manceaux, comme l'atteste aussi Orderic Vital, firent leur soumission au roi d'Angleterre ; Hélie fut remis en liberté et retourna dans son patrimoine. L'année suivante (1099), il fit une nouvelle tentative contre le Mans, pendant que Guillaume le Roux était en Angleterre, mais il suffit au roi de se montrer pour que le Maine rentrât dans l'ordre. Ce n'est qu'après la mort de Guillaume le Roux et l'avènement de Henri Ier (1100) qu'Hélie put reprendre la ville, avec l'appui de l'Eglise. Il maria alors sa fille Eremberge à Foulque le jeune, second fils du Réchin, et lui légua son comté[220]. Ainsi, du côté du Maine, Foulque le Réchin a cherché à réparer les conséquences fâcheuses de la guerre civile à laquelle il devait son avènement. Il a échoué avant comme après la mort de Guillaume le Conquérant, mais, en 1110, sous Foulque V, son fils, le Maine reviendra de nouveau à l'Anjou ; ce sera la revanche de la dynastie angevine sur la dynastie normande. En même temps qu'il lutte sans succès contre son rival normand, Foulque le Réchin n'oublie pas qu'il a, du côté du sud, un rival aussi dangereux : c'est le comte de Poitiers, duc d'Aquitaine. Là aussi, l'Anjou avait subi, à son avènement, une amputation fâcheuse par la perte de Saintes. Foulque ne semble pas avoir fait grand'chose pour recouvrer la ville qu'il avait perdue. Il eut cependant, vers 1074, avec le comte de Poitiers, une guerre sur laquelle nous sommes assez mal renseignés. Un historien anonyme raconte[221] qu'un certain Eudes avait réussi à mettre la main sur une église qui appartenait au monastère de la Trinité de Vendôme, avec l'assentiment tacite de Foulque, comte d'Anjou. Les moines firent des processions et des prières. Cette usurpation dura, ajoute l'anonyme, tant que Foulque eut à combattre le comte de Poitiers. Foulque, dans cette guerre, se trouva, à un moment donné, dans une situation assez périlleuse ; il se souvint alors de l'injustice qu'il avait commise et promit, s'il obtenait la victoire, de rendre ce qu'il avait laissé prendre injustement. Il affronta le combat et fut victorieux. Il fit ensuite rendre à Eudes ce qu'il avait pris aux moines. Cette guerre eut lieu probablement en 1074[222] ; mais nous n'en connaissons pas les conséquences. La seule chose certaine, c'est que Guillaume d'Aquitaine fut vaincu. En 1106, Guillaume IX, fils de Guillaume VIII, remporte au contraire une victoire sans avoir eu de guerre à soutenir. Orderic Vital raconte[223] qu'après la mort de son fils aîné, Geoffroy II Martel, survenue à cette date, Foulque le Réchin voulut faire revenir en Anjou son second fils, Foulque le Jeune, qui se trouvait alors à la cour de Philippe Ier, devenu l'époux de sa mère Bertrade. Guillaume, qui se trouvait par hasard à la cour de Philippe Ier et rentrait dans ses Etats, fut chargé de ramener le jeune prince. Au lieu de le rendre à son père, il le garda prisonnier pendant près d'un an. Philippe Ier et Bertrade eurent beau supplier, menacer ; Guillaume resta inflexible et il conserva le jeune homme auprès de lui jusqu'au jour où Foulque consentit à céder au duc quelques places frontières. Le jeune Foulque obtint alors sa liberté et ne tarda pas à succéder à son père. Ainsi, pas plus du côté de l'Aquitaine que du côté de la Normandie, Foulque le Réchin n'est arrivé à rendre l'Etat angevin tel qu'il était sous Geoffroy Martel ; Saintes reste définitivement incorporée à l'Aquitaine. , La situation territoriale de l'Anjou n'est donc pas brillante à la fin du XIe siècle et au début du XIIe ; c'est un Etat qui semble destiné à disparaître, enserré entre l'Etat normand et l'Etat aquitain qui s'avancent peu à peu vers la Loire. On n'eût guère pu prédire, à la fin du règne de Philippe Ier, que ce serait l'Etat angevin qui, au contraire, absorberait, au bout de peu de temps, les deux principautés voisines. A l'intérieur, le gouvernement de Foulque le Réchin est
surtout marqué par ses difficultés avec l'Eglise. Il avait été excommunié
pour avoir emprisonné son frère à Chinon et s'être refusé à lui rendre la
liberté. L'Église eût peut-être fermé les yeux au bout d'un certain temps,
n'ayant guère eu en somme à se louer de ses rapports avec Geoffroy le Barbu,
si Foulque n'avait fait peser sur elle un joug encore plus rude que celui de
ses prédécesseurs. Foulque mit la main sur l'abbaye de Marmoutier et provoqua
une véritable révolte des moines. L'archevêque de Lyon, Hugues de Die, fut
saisi de l'affaire. En 1082, les évêques de la province de Lyon adressèrent
aux évêques et aux clercs de la province de Tours une lettre solennelle[224]. En effet,
l'évêque d'Angers, Geoffroy, n'avait pas cherché à ramener le comte à de
meilleurs sentiments, il favorisait Foulque plutôt qu'il ne luttait contre
lui. C'est là ce qui
détermina l'intervention des évêques. Ils invitèrent à comparaître Foulque et
Geoffroy, qui firent défaut. En conséquence, ils excommunièrent Foulque et
les moines de Marmoutier ; ils suspendirent l'évêque d'Angers de ses
fonctions sacerdotales et épiscopales ; ils prièrent les évêques et les
clercs de la province de Tours de n'obéir qu'à leur archevêque et de cesser
tous rapports avec les coupables. Foulque ne reçut l'absolution qu'en 1094. Il arriva à persuader aux évêques que ses droits sur l'Anjou étaient légitimes et que son frère Geoffroy le Barbu était un usurpateur. Il se montra prêt à donner toute satisfaction à l'Eglise. Aussi Hugues de Die vint-il lui-même à Saint-Florent de Saumur et, en présence d'Aldebert, archevêque de Bourges, d'Houel, évêque du Mans, et de plusieurs abbés, il lui donna enfin l'absolution[225]. Les dernières années du règne de Foulque le Réchin sont remplies par ses démêlés avec son fils Geoffroy II Martel. Les chroniqueurs représentent le jeune Geoffroy comme très différent de son père. Jean de Marmoutier dit[226] qu'il eut le culte de la justice et du bien sous toutes ses formes et qu'il fut la terreur de tous ses ennemis. Quand il fut parvenu à l'âge viril, il trouva le comté dans un triste état : ce n'étaient partout que troubles ; les seigneurs se soulevaient contre Foulque et Geoffroy chercha à venger son père ; il calma tous ses ennemis et les réduisit à l'obéissance. Orderic Vital écrit également[227] que Geoffroy inspirait une vive terreur à tous les brigands et à tous les pillards ; Foulque, voyant sa valeur, aurait consenti à lui abandonner le comté d'Anjou, que Geoffroy put ainsi gouverner pendant trois ans. Il s'en serait acquitté fort bien, aurait pacifié le pays et se serait montré supérieur à tous ses prédécesseurs. Selon une chronique de Saint-Aubin d'Angers[228], les choses ne se seraient pas passées ainsi : Foulque n'aurait nullement abandonné le comté à Geoffroy Martel, mais aurait, au contraire, songé, dès 1103, à le déshériter en faveur de Foulque le Jeune : Geoffroy était né d'Ermengarde, sa seconde femme ; Foulque était fils de Bertrade de Montfort qui, bien qu'elle eut abandonné son mari pour aller vivre avec Philippe Ier, n'en continuait pas moins à exercer une grande influence sur le Réchin. Geoffroy Martel, voyant qu'il allait être frustré de son héritage, se lia d'amitié avec Hélie, comte du Mans, prit les armes, vint assiéger le château de Marçon, qu'il prit et incendia. Foulque fit appel à Guillaume, comte de Poitiers, qui accourut avec une grande armée, mais les Aquitains prirent la fuite avant d'avoir combattu ; Geoffroy prit le château de Briollay (1104), et Foulque, jugeant toute résistance impossible, préféra faire la paix avec son fils. Ils gouvernèrent ensemble l'Anjou, et prirent les châteaux de La Chartre et de Thouars. La version de la chronique de Saint-Aubin d'Angers est beaucoup plus vraisemblable que celle d'Orderic. Si Foulque avait cédé de bonne grâce le comté à son fils, on ne comprendrait pas ce qui va suivre, c'est-à-dire comment, trois ans après, il cherche à se débarrasser de lui. Au contraire, si Geoffroy, comme le veut la chronique de Saint-Aubin, a pris le comté par les armes, on s'explique qu'en 1103, Foulque le Réchin ait fait contre mauvaise fortune bon cœur, sans renoncer toutefois à son idée de laisser sa succession au fils de Bertrade de préférence à celui d'Ermengarde. D'ailleurs, la chronique de Saint-Maixent atteste[229] qu'en 1104 — et il faut lire sans doute à la fin de 1103 — il y eut une guerre entre Guillaume, comte de Poitiers, et Geoffroy Martel, fils de Foulque, comte d'Anjou ; une pluie torrentielle qui dura deux jours aurait empêché la bataille d'avoir lieu à Parthenay, le 2 novembre ; Guillaume a donc assisté le père contre le fils révolté. En 1106, au contraire, une guerre aurait eu lieu entre Foulque et Guillaume, et se serait terminée par la médiation de Philippe Ier ; mais la chronique fait sans doute allusion ici aux démêlés qui eurent lieu entre les deux princes au sujet de la captivité du jeune Foulque. Foulque le Réchin, comprenant que Geoffroy Martel n'accepterait jamais d'être dépouillé de son héritage, se décida alors à se débarrasser de lui ou tout au moins à laisser faire Bertrade et les ennemis du jeune homme. Tandis qu'il assiégeait le château de Candé, au moment où il allait forcer les ennemis à se rendre, Geoffroy fut tué d'une flèche le 19 mai et enseveli dans l'église Saint-Nicolas d'Angers, près de son oncle Geoffroy Martel, premier du nom[230]. C'est alors que Foulque le Réchin fit revenir de la cour de Philippe Ier Foulque le Jeune, qui lui succéda en 1109. Les Gesta consulum Andegavensium s'étonnent[231] que le Réchin ait pu participer à un pareil crime, étant donné surtout qu'il était vieux et que Geoffroy, s'il eût vécu longtemps, eût été capable de recouvrer tout ce qu'il avait perdu, à savoir le Gâtinais et le comté de Saintes. Guillaume d'Aquitaine, ajoutent-ils, le redoutait tellement qu'il avait fait construire à Poitiers deux nouvelles tours, l'une à l'entrée de la ville, l'autre près de son palais. La politique de Geoffroy Martel II semble avoir été en effet résolument hostile à l'Aquitaine, mais il est fort probable que, s'il avait vécu, il aurait eu une politique assez semblable à celle de son frère puîné, Foulque le Jeune, qui est le véritable fondateur de la puissance angevine, compromise par le Réchin. IV L'état voisin et rival de l'Anjou avec la Normandie, c'est l'Aquitaine, Son histoire intéresse moins immédiatement celle de Philippe Ier, par suite de l'éloignement de ce pays[232]. Le véritable fondateur de l'Etat aquitain à la fin du XIe siècle est Guillaume VIII appelé aussi Guy-Geoffroy (1058-1086), dont l'œuvre ressemble, à bien des égards, à celle de Guillaume le Conquérant ; sans doute elle est moins vaste ; ses conséquences seront moindres aussi, mais elle n'en atteste pas moins chez son auteur de réelles qualités de conquérant et d'organisateur[233]. Les chroniques ne nous ont pas laissé un portrait détaillé de Guy-Geoffroy ; les Gestes des comtes d'Anjou disent simplement qu'il fut un chevalier fougueux, ardent, rusé, infatigable. Il nous apparaît avant tout comme un batailleur, désireux d'étendre ses Etats. Avec lui, le duché d'Aquitaine, passé définitivement aux comtes de Poitou au XIe siècle[234], déborde au delà de ses limites à l'ouest et au sud. A l'ouest, nous avons vu comment Guillaume VIII fit la conquête de la Saintonge aux dépens du comté d'Anjou (1062). Mais il a voulu surtout étendre son duché au sud, au delà de la Gironde, par la conquête de la Gascogne. Cette guerre de Gascogne commença aussitôt après la guerre d'Anjou ; à la suite de luttes très vives contre Bernard, comte d'Armagnac, Guy-Geoffroy put s'établir dans toute la région de Bordeaux et d'Agen. En 1070, la Gascogne est définitivement annexée à l'Aquitaine[235]. Ainsi la domination de Guillaume VIII s'étend sur tout le sud-ouest, depuis le Massif Central et le Massif armoricain jusqu'à l'Océan et aux Pyrénées. Géographiquement, l'Etat ainsi constitué est nettement distinct des seigneuries du nord de la France auxquelles il n'est relié que par un seuil étroit. On comprend donc que l'action du roi de France ne s'y fasse guère sentir. Les chroniqueurs l'ont compris et, bien que l'auteur de l'Histoire de Montierneuf de Poitiers appelle Guy-Geoffroy le duc du roi de France, il parle quelques lignes plus loin du royaume d'Aquitaine. Après avoir constitué solidement son Etat, Guillaume VIII voulut en augmenter la puissance par l'éclat d'expéditions lointaines. Nous avons déjà mentionné le rôle qu'il joua en Espagne (1063). Il y porta la guerre contre l'émir de Saragosse, prit Barbastro, puis revint dans ses Etats[236]. Cette expédition se terminait par une retraite et presque un échec. Désormais Guillaume VIII ne songea plus à l'Espagne et se consacra uniquement au gouvernement de ses Etats. L'œuvre intérieure de Guillaume VIII présente les deux mêmes caractères que nous avons relevés dans celle de Guillaume le Conquérant : il exige la plus stricte obéissance de la part de la féodalité et il cherche à se concilier l'appui de l'Église. Deux dynasties féodales surtout étaient susceptibles de troubler l'ordre dans le duché : celle des vicomtes de Limoges et celle des comtes d'Angoulême. Guillaume VIII lutta énergiquement contre l'une et l'autre. A Limoges, les vicomtes supportaient avec peine l'obligation où ils étaient de rendre hommage à l'abbé de Saint-Martial. Le vicomte Adémar II, en particulier, vint attaquer la cité et provoqua une insurrection qui nécessita l'intervention de Guillaume VIII. Celui-ci livra aux habitants de Limoges une série de combats ; l'église de Saint-Géraud fut presque détruite par le feu. Adémar II paraît s'en être tenu là, au moins pour le moment, car il est question dans une de ses chartes d'un incendie de Limoges qui est indépendant des événements que nous venons de raconter. Le comte s'y accuse d'avoir dévasté par un incendie la ville et la cathédrale, d'avoir fait avec ses soldats une guerre acharnée au clergé etaux citoyens, de les avoir dépouillés de leurs biens, d'avoir enfin donné la mort à un grand nombre d'entre eux[237]. Foulque, comte d'Angoulême, qui avait succédé en 1048 à son père Geoffroy, est moins dur, moins cruel ; mais c'est aussi un farouche guerrier contre lequel le duc d'Aquitaine dut lutter à deux reprises et avec un égal insuccès. L'Histoire des pontifes et des comtes d'Angoulême[238] raconte qu'une première fois l'armée du comte de Poitou envahit le comté et s'avança jusqu'à Cognac, mais elle fut repoussée avec fortes pertes. Plus tard — la chronique ne donne pas la date —, le duc lui-même vint faire le siège du château de Mortaigne-sur-Gironde, qui allait se rendre, quand Foulque arriva avec son armée et le délivra. Ce Foulque mourut en 1087, un an après Guillaume VIII. Ainsi, à l'intérieur de l'Aquitaine, il n'y a que les comtes d'Angoulême qui échappent à l'autorité du duc. Partout ailleurs, celle-ci se fait énergiquement sentir. L'Histoire de Montierneuf de Poitiers raconte que Guy-Geoffroy inspirait une vive terreur tout en étant pieux, humain, bienveillant. Le royaume d'Aquitaine, ajoute-t-elle, jouissait d'une telle paix qu'on n'a jamais entendu dire qu'un voyageur ou un laboureur y ait éprouvé nulle part quelque dommage[239]. On peut rapprocher cet éloge de la paix en Aquitaine des passages de Guillaume de Poitiers et d'Orderic Vital sur la paix normande. Enfin, comme Guillaume le Conquérant, Guillaume VIII cherche à se ménager l'appui de l'Église. Il lui obéit quand elle lui enjoint de divorcer avec son épouse pour cause de consanguinité[240] ; il protège les monastères et ne met aucun obstacle à l'action du Saint-Siège ni à celle de Cluny sur eux. Vers 1062, il place l'abbaye de chanoines de Saint-Nicolas de Poitiers sous la protection du pape et plus spécialement des chanoines de Saint-Pierre de Rome, moyennant le paiement d'un cens de dix sous par les chanoines de Poitiers à ceux de Saint- Pierre[241]. Le 11 janvier 1081, sur le conseil des légats Amat d'Oloron et Hugues de Die, il donne à Cluny l'église de Saint-Eutrope, qu'il vient d'arracher à une main laïque et à laquelle il a conféré la liberté, à condition toutefois qu'elle lui paye un cens de cinq sous ; il fait confirmer cette donation par le concile de Saintes[242]. Dans les rapports de Guillaume VIII avec l'Eglise, l'événement décisif fut, à coup sûr, la fondation, en 1076, du monastère de Montierneuf de Poitiers. Richard, moine de Cluny, loue le duc d'Aquitaine Guy d'avoir construit le monastère de Montierneuf de Poitiers, de l'avoir enrichi par ses propres revenus et enfin d'en avoir fait don à Hugues, abbé de Cluny[243]. L'histoire anonyme du monastère rapporte tous les détails relatifs à l'érection de l'abbaye[244]. Le jour où le duc en posa solennellement la première pierre (9 octobre 1076), il convoqua plusieurs personnages puissants, l'évêque Isambert et surtout le roi Philippe Ier, qui se trouvait alors à Poitiers. Le duc obtint du roi un privilège pour la nouvelle abbaye[245], puis il alla à Rome et se fit accorder par le pape Grégoire VII un privilège de liberté ; enfin il se rendit auprès de Hugues, abbé de Cluny, qui jouissait alors d'une grande réputation parmi les réguliers ; il lui demanda des moines qui vinrent à Poitiers achever l'œuvre commencée. L'exemple du monastère de Montierneuf de Poitiers n'est pas un cas isolé : Guillaume VIII entreprit, avec l'aide des moines de Cluny, la réforme de tous les monastères d'Aquitaine et essaya d'y faire renaître la vie religieuse[246]. On comprend dès lors que l'Eglise et la papauté ne lui aient pas ménagé leurs encouragements ni leur appui. Guillaume VIII mourut le 24 septembre 1086[247]. Il fut enterré dans le monastère qu'il avait fondé. Son successeur, Guillaume IX, est surtout connu pour ses démêlés avec l'Eglise et son rôle à la croisade. Nous avons déjà vu que le nouveau duc n'était pas aussi respectueux des personnes ecclésiastiques que son prédécesseur. En 1100, il intervint brutalement au concile de Poitiers pour soutenir, contre l'Eglise, la cause de Philippe Ier et de Bertrade, dont il voulait sans doute se ménager l'appui. Les violences dont il se rendit alors coupable envers l'Église ne sont pas un fait isolé. Dès 1094, Guillaume s'attirait les plus sévères admonestations de la part du pape Urbain II pour avoir enlevé au monastère de Vendôme l'église de Saint-Georges, située dans l'île d'Oléron, avec une terre excellente qui appartenait aux moines[248]. Or tous ces biens avaient été donnés à l'abbaye à titre d'aumône par les parents de Guillaume et, si le duc ne les restituait pas, avant trente jours, il serait excommunié par l'archevêque de Bordeaux, Amat, et par les évêques Pierre de Poitiers et Ramnulf de Saintes, que le pape avertissait en même temps que le duc[249]. Ce démêlé au sujet de Saint-Georges d'Oléron n'est qu'un épisode de la politique religieuse de Guillaume IX. Nous voyons, par la bulle d'Urbain II, que le Saint-Siège avait beaucoup moins à se louer de lui que de son père. Nous vous avons souvent prié, écrivait le pape, d'imiter la piété et la sagesse de votre père, ce prince si remarquable. Il a honoré toutes les églises de son duché ; il en a enrichi plusieurs de ses propres biens ; il en a élevé de nouvelles. Vous, au contraire, qui par ailleurs avez hérité de ses qualités chevaleresques, vous n'avez fait preuve d'aucune honnêteté envers les églises ; vous jetez le trouble parmi elles ; vous dépouillez celles que votre père a fondées. Guillaume IX n'est donc pas le fin politique qu'était Guy-Geoffroy ; il appartient, comme Philippe Ier, à la race des barons pillards qui s'enrichissent avec les biens d'Eglise. Pour Saint-Georges d'Oléron, il donna cependant satisfaction aux moines de Vendôme, car, vers 1096, Amat, archevêque de Bordeaux, put annoncer à l'abbé Geoffroy[250] que Guillaume venait enfin de leur restituer ce qu'il leur avait enlevé, qu'il les confirmait dans la possession de tous les biens que son père Geoffroy et sa mère Agnès leur avaient donnés, qu'il sollicitait même pour ces biens la confirmation du Saint-Siège. C'est sans doute pour réparer ses torts envers l'Eglise qu'en 1100, à Limoges, Guillaume IX prit la croix avec plusieurs de ses vassaux[251]. L'année suivante (1101), il partit pour Jérusalem comme il l'avait promis[252], emmenant avec lui, dit Orderic Vital, une nombreuse armée d'Aquitains et de Gascons[253]. Nous n'avons pas à suivre Guillaume IX à la croisade : il y joua un rôle assez piteux et se laissa surprendre par les infidèles. La chronique de Saint-Martial de Limoges attribue ses échecs à son inconstance, qui résulta elle-même de la légèreté de sa conduite et de sa : passion pour les femmes [254]. Pendant ce temps, ce fut son épouse, Philippe-Mathilde, qui gouverna le duché ; nous voyons par Raoul Tortaire qu'elle chercha à maintenir l'union des éléments hétérogènes qui le composaient ; elle ne craignit pas de parcourir ses terres et de faire des expéditions jusqu'au delà de la Garonne, en Gascogne[255]. Le règne de Guillaume IX est donc moins décisif dans l'histoire de l'Aquitaine que celui de son prédécesseur. Ce n'est pas que Guillaume manque d'intelligence ni d'activité ; en 1098, il prend Toulouse, mais est obligé de l'abandonner trois ans après. A l'intérieur, il ne semble pas aussi énergique que son père Guy-Geoffroy. Aussi, les comtes d'Angoulême en profitent-ils pour fortifier leur pouvoir : Foulque a eu pour successeur, en 1087, Guillaume Taillefer[256]. Celui-ci, malgré sa petite taille, est un guerrier de premier ordre : il lutte contre Hugues de Lésignan, qui voulait lui disputer le comté de la Marche et remporte sur lui une grande victoire à Charroux. Il se mesure aussi avec Guillaume IX, qui était venu assiéger le château d'Aixe et le repousse victorieusement. Il remporte enfin plusieurs succès sur les seigneurs alliés de Guillaume IX, comme Ardouin de Barbezieux, Baudouin de Cognac et d'autres encore. Malgré ces efforts de Guillaume Tailleter, l'Etat aquitain reste intact. Les comtes d'Angoulême jouent un peu le même rôle turbulent que les seigneurs de Bellême en Normandie. Le duché, fondé par Guy-Geoffroy, poursuit ses destinées ; il reste le grand Etat de la France du Sud-Ouest, indépendant plus qu'aucun autre du roi capétien et vivant de sa vie propre. Le comté de Toulouse mérite à peine une mention à la fin du XIe siècle. Jamais ses comtes ne furent plus effacés. Leur rôle politique est absolument nul. Ils sont comme à l'étroit entre les ducs d'Aquitaine et les comtes de Barcelone qui constituent l'autre grande dynastie féodale du midi de la France. Raymond-Bérenger Ier, comte de Barcelone (1035-1076), a eu une grande puissance : selon les Gestes des comtes de Barcelone, douze rois d'Espagne lui payaient annuellement tribut et reconnaissaient ainsi sa suzeraineté[257]. Sa principale acquisition fut celle de Carcassonne : le dernier comte de Carcassonne, Guillaume, lui vendit la ville et le comté de Carcassonne en franc alleu ; Raymond Bérenger les conserva ainsi, sa vie durant[258]. Raymond-Bérenger Ier eut pour successeur son troisième fils Raymond-Bérenger II, surnommé tête d'étoupes. Les Gestes louent son courage, sa bonté, sa douceur, sa piété, son honnêteté et sa beauté. Il avait épousé Mathilde, fille de Robert Guiscard, duc d'Apulie. Il sut conserveries acquisitions de son père, mais il se heurta à l'hostilité.de son frère aîné, Bérenger-Raymond. Celui-ci, en 1082, réussit à l'attirer dans une embuscade et à le faire périr[259]. Bérenger-Raymond essaya de s'emparer du pouvoir ; mais les seigneurs de la Catalogne s'y opposèrent de toutes leurs forces. Il en résulta une période de véritable anarchie au cours de laquelle Carcassonne faillit échapper à la domination des comtes de Barcelone ; Bernard-Atton, vicomte de Béziers, s'y installa, promettant de la rendre au jeune ! Raymond-Bérenger, fils de Raymond-Bérenger II, le jour où il serait armé chevalier. Quand ce jour arriva, Bernard refusa, mais les habitants de Carcassonne firent justice de lui et se donnèrent à nouveau au comte de Barcelone[260]. Raymond-Bérenger III avait été en effet proclamé comte par les seigneurs, tandis que Bérenger-Raymond prenait la croix. Son règne fut aussi heureux que celui de son grand-père. Le jeune comte épousa Dulcie, fille unique du comte de Provence Gilbert et il acquit par là le comté de .Provence. Les Gestes des comtes de Barcelone parlent encore, en termes vagues, de ses conflits avec les Sarrasins et des tributs que lui payaient plusieurs princes espagnols. Son règne dura jusqu'en 1131[261]. Ainsi, tandis qu’entre le Massif central et l'Océan se constitue le puissant Etat aquitain, le comté de Barcelone est le grand Etat de la France méditerranéenne. Ici, il n est jamais question de rapports avec le roi de France Philippe Ier. Les comtes de Barcelone sont, à certains égards, aussi Espagnols que Français. V Du côté de l'est, le regnum Francorum ne comprend pas, au XIe siècle, la vallée du Rhône. On ne connait pas d'ailleurs les limites précises du royaume de Bourgogne ou d'Arles sous les empereurs de Germanie qui, après la mort de Rodolphe III, en 1032, s'attribuèrent ce royaume. Gervais de Tilbury donne Arles comme capitale de la Bourgogne, dit que l'archevêque de Vienne en est le chancelier et attribue à ce royaume six métropoles : Besançon, Vienne, Moutiers-en-Tarentaise, Embrun, Aix, Arles avec tous les évêchés de ces provinces[262]. On se demande pourquoi il n'y comprend pas aussi Lyon. En tous cas, c'est aux portes de Lyon que commençait le duché de Bourgogne, le plus grand fief de la France orientale[263]. Au moment du sacre de Philippe Ier (1059), le duc de Bourgogne était Robert. Robert n'assista pas au sacre parce qu'il était excommunié ; mais il fut remplacé par son fils aîné Hugues. C'est d'ailleurs un personnage assez effacé ; il ne prend aucune part aux événements extérieurs ; il vit retiré dans le Dijonnais, l'Auxois et l'Autunois et ne se signale guère que par le désordre de sa conduite ; il a répudié sa femme Hélie de Semur et vit publiquement dans des liens incestueux. Un tel personnage ne pouvait manquer d'avoir des difficultés avec l'Eglise. La Vie de saint Hugues de Cluny nous révèle qu'Aganon, évêque d'Autun, eut tout particulièrement à se plaindre de Robert : des malfaiteurs, envoyés par le duc, avaient enlevé ses récoltes, mis la main sur les dîmes des diverses églises, occupé ses maisons[264]. Les religieux de Saint Etienne de Dijon n'avaient été guère mieux traités : Robert avait saisi leurs celliers et refusait de les leur rendre[265] ; il fut excommunié de ce chef ; il semble même que le duché ait été interdit, car l'évêque de Langres, Hardoin, n'osait venir à Sennecey, à cause de l'excommunication qui pesait sur le duc[266]. Cette excommunication fut sans doute prononcée à un concile tenu à Autun en 1060. La Vie de saint Hugues dit que Robert refusa d'abord d'y comparaître, mais qu'il se laissa ensuite fléchir par l'éloquence de saint Hugues de Cluny et qu'il s'engagea à réparer tous les dommages qu'il avait faits aux abbayes comme aux particuliers[267]. Cela ne l'empêcha pas de continuer à mener, dans la retraite, la vie la plus scandaleuse. Le règne de Robert fut désastreux pour le duché de Bourgogne, qui fut amputé de l'Auxerrois. L'Auxerrois était revendiqué, au milieu du XIe siècle, à la fois par les ducs de Bourgogne et par les comtes de Nevers. En 1057, le comte de Nevers, Guillaume, fort de l'appui de l'évêque d'Auxerre, Geoffroy, envahit l'Auxerrois et livra aux flammes la petite ville de Saint-Bris. Mais le duc de Bourgogne s'allia avec Thibaud, comte de Blois, vint prendre Auxerre et viola le sanctuaire de Saint-Germain[268]. Robert dut rendre compte de ces faits au concile d'Autun : il promit solennellement de ne pas exercer de représailles contre Guillaume de Nevers. Par là-même, il abandonnait l'Auxerrois. Le comté de Nevers tend à prendre une certaine importance dans le centre delà France. En 1099, Guillaume soutiendra un nouveau conflit contre Aimon, comte de Bourbon, et remportera un grand succès, sur les rives de l'Allier, on ne sait au juste à quel endroit, car les Annales de Nevers qui nous rapportent ce fait disent simplement qu'un grand nombre des guerriers d'Aimon se noyèrent dans l'Allier[269]. Robert mourut le 21 mars 1076, comme l'indiquent diverses chartes[270]. La chronique de Bèze rapporte quelques difficultés relatives à sa succession[271]. Robert de Bourgogne, troisième fils de Robert et de la duchesse Hélie, avait été déclaré héritier présomptif du duché après la mort de ses deux frères aînés, mais, dès le mois de mai 1076, il fut remplacé par Hugues, fils aîné de Henri, lui-même second fils de Robert. Hugues Ier de Bourgogne est un personnage d'une extraordinaire piété. Son court règne (1076-1079) se signale par d'innombrables donations aux monastères[272]. Il assista au concile d'Autun, tenu par Hugues de Die en 1077[273]. Il finit par se retirer à Cluny en 1074 et, si nous en croyons une vie anonyme de saint Hugues[274], il donna l'exemple de toutes les vertus monastiques, en particulier de celles de renoncement et d'humilité. Il aurait ainsi vécu à Cluny, toujours d'après le même biographe, jusqu'en 1093. Hugues Ier fut remplacé par son frère Eudes Ier. Celui-ci a un tout autre caractère. C'est un belliqueux, un violent, beaucoup moins respectueux envers l'Eglise et les choses saintes. Ses chartes conservent le souvenir de ses nombreuses exactions[275] ; il y reconnaît la faiblesse de sa nature, mais, après s'être amendé un instant, il reprend de plus belle. Il ose même s'attaquer à Cluny et, dans une lettre à Hugues de Die[276] (1097), Urbain II prie le légat de faire rendre prompte justice à l'abbé Hugues de Cluny. Les officiers d'Eudes suivent son exemple et imposent partout, selon la chronique de Bèze, des taxes abusives[277]. En revanche, Eudes Ier s'efforça de donner un peu plus de relief au duché de Bourgogne en ayant une politique extérieure active. Il participa à la guerre du Puiset ; si nous en croyons Raoul Tortaire[278], Eudes se rendit à l'appel de Philippe Ier avec plusieurs chevaliers bourguignons. Son amitié pour le roi lui fit peut-être aussi jouer le rôle de médiateur entre Urbain II et Philippe Ier ; il se trouvait à Mozac lors de la fameuse entrevue entre le roi de France et le légat pontifical Hugues de Die. Eudes est célèbre par ses exploits en Espagne lors de l'expédition de 1087 ; il se signala en particulier par l'investissement de Tolède[279]. Enfin, à la suite de son excommunication au concile de Valence par les cardinaux Jean et Benoit (1100), il décida d'aller à Jérusalem. On trouve dans le cartulaire de Molesme le souvenir d'une visite qu'il fit à l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon au cours de laquelle il se confessa de tout le mal qu'il avait fait à l'Eglise et jura d'aller en Terre Sainte pour le réparer[280]. Il partit au printemps de 1101, mais l'expédition fut désastreuse et Eudes y trouva la mort. Le règne d'Eudes a une certaine importance dans l'histoire bourguignonne. S'il n'est signalé par aucune acquisition importante, il marque du moins un effort sérieux pour faire sortir la Bourgogne de l'engourdissement auquel l'avaient condamnée Robert par sa mollesse et ses débauches, Hugues par son excessive piété. La Bourgogne intervient dans les affaires du regnum Francorum, ce que l'on n'avait guère vu au milieu du XIe siècle. Avec la Bourgogne, l'autre grand fief de la France orientale, c'est le comté de Champagne[281]. Peu de faits saillants ont marqué son histoire pendant la seconde moitié du XIe siècle. Eudes, comte de Blois et de Champagne (983-1037), a été un des plus grands seigneurs féodaux du Moyen Age ; mais, à sa mort, ses Etats se sont divisés. L'aîné de ses fils, Thibaud, est devenu comte de Blois et de Chartres ; le second, Etienne II, a eu pour part d'héritage la Champagne ; il ne la gouverna d'ailleurs pas longtemps. On ne connaît pas la date précise de sa mort ;mais, peu après 1048, il est remplacé par son fils Eudes II[282]. Eudes II, comte de Champagne, est un personnage faible d'esprit et de caractère. Il n'est connu que pour s'être laissé dépouiller de ses Etats par son oncle Thibaud, comte de Blois[283]. La date de cet événement ne peut être fixée d'une façon précise. M. d'Arbois de Jubainville le place en 1063[284]. La seule chose dont on soit sûr, c'est qu'Eudes était privé de son comté en 1066, car il prit part à l'expédition de Guillaume le Conquérant en Angleterre et obtint de lui, lors du partage de l'Angleterre entre les seigneurs normands, le comté de Holderness[285]. Mais, à vrai dire, son expulsion nous paraît peu antérieure à cette date. Un diplôme de Philippe Ier en faveur de l'église Saint-Etienne de Châlons, daté de 1065, mentionne de la façon la plus explicite l'intervention du comte Eudes et en même temps l'assentiment du comte Thibaud[286]. Eudes était donc encore comte en 1065. Tout ce que l'on peut admettre, c'est qu'il avait seulement l'apparence du pouvoir que Thibaud exerçait en réalité. Thibaud se serait ensuite débarrassé de lui en l'envoyant aider Guillaume le Conquérant dans son entreprise, car, dans un autre diplôme de Philippe Ier en faveur de Saint-Nicaise de Reims (28 septembre 1066), il n'est plus question que du comte Thibaud[287]. Enfin, dans un diplôme du 25 avril 1071, Thibaud est formellement appelé comte de Troyes[288]. Thibaud s'était montré, comme comte de Blois, actif et belliqueux : il avait pris part aux guerres de Henri Ier contre la Normandie ; il avait même été fait prisonnier, ce qui l'empêcha d'assister au sacre de Philippe Ier[289]. Du moins, en 1060, avait-il recouvré la liberté, car, cette année-là, il vint assiéger, dans le château de Croissy, deux de ses vassaux révoltés[290]. Ce fut son dernier fait d'armes. Thibaud ne se signala plus guère que par ses donations aux monastères, en particulier à ceux de Montiérender, Marmoutier, Montier-la-Celle près de Troyes[291] et par son zèle pour la réforme de l'Eglise : une bulle de Grégoire VII, en date du 12, mai 1077, et par laquelle le pape nomme légat Hugues de Die[292], déclare que, si le légat se heurte à l'opposition de Philippe Ier, il pourra du moins compter sur certains de ses vassaux et en particulier sur Thibaud. Thibaud semble avoir vécu surtout en Champagne. Il abandonna même le gouvernement du comté de Blois à son fils Etienne-Henri, qu'il avait eu de son premier mariage avec Gersent, fille d'Herbert Éveille-Chien, comte du Mans. Cela résulte d'une charte de 1085 dans laquelle il est dit que, sous son père Thibaud, Étienne-Henri régissait fort bien son comté[293]. Étienne-Henri était cependant plus turbulent que son père. Il se révolta contre Philippe Ier qui le fit prisonnier. Thibaud dut intervenir pour lui faire recouvrer sa liberté[294]. Thibaud avait répudié Gersent, qui se maria à Azzon, marquis de Ligurie, et épousa Adélaïde, sœur de Raoul, comte de Valois. Il eut d'elle trois enfants : Eudes, Hugues et Philippe. Eudes lui succéda comme comte de Champagne, après sa mort survenue à la fin de 1089 ou au début de 1090[295]. Étienne-Henri, fils du premier lit, conserva le comté de Blois. C'est donc un nouveau démembrement des domaines de la maison de Blois-Champagne. Il semble même que ce démembrement ait été fait du vivant de Thibaud, car, dans un diplôme de Philippe Ier, daté du 6 janvier 1082, Eudes s'intitule déjà comte de Champagne[296]. Les chroniqueurs ne parlent pas d'Eudes III. Seule, la chronique dite de Guillaume Godelle donne son nom[297]. Nous avons vu qu'il avait souscrit un diplôme de Philippe Ier. Un acte de 1090 porte encore la signature d'un comte Eudes qui est vraisemblablement Eudes III[298]. C'est là tout ce qu'on sait de lui. Il semble résulter d'une charte de l'abbaye de Molesme qu'il serait mort le jour de Pâques (5 avril) de l'année 1093[299]. Son successeur, Hugues Ier (1093-1125), n'a pas eu un règne beaucoup plus notable. Il n'est guère connu que pour ses infortunes conjugales — il épousa Constance, fille de Philippe Ier, puis divorça avec elle[300] —, ses donations à Molesme[301] et enfin la part, peu brillante d'ailleurs, qu'il prit à la croisade. On sait qu'il y est allé, et c'est tout : on connaît à peine la date de son départ : il était encore en France en mai 1104, car il donna, à cette date, une charte à Châtillon-sur-Seine ; il dut quitter la Champagne peu après[302], mais on n'a pas conservé le souvenir d'un seul fait d'armes de lui. En résumé, les fiefs de la France orientale sont plutôt en décadence à la fin du XIe siècle et au début du XIIe : ni la Bourgogne, malgré l'activité d'Eudes, ni la Champagne avec Hugues ne paraissent susceptibles de jouer un grand rôle. Elles n'ont même pas cette vie isolée, indépendante, mais intense, qui caractérise les pays du Midi. Elles végètent, sans souci des grands événements qui se déroulent au même moment dans la France occidentale. VI Si nous cherchons maintenant à dégager les traits principaux de ce tableau de la France féodale, nous voyons qu'à la fin du XIe siècle il s'est fondé de grands Etats seigneuriaux dont les princes ont souvent une puissance égale ou supérieure à la puissance royale. D'autre part, les liens féodaux se sont affaiblis ; la suzeraineté royale n'est plus guère, sous Philippe Ier, qu'un souvenir du passé et le roi ne l'exerce que rarement d'une façon effective. S'il veut rendre au royaume son unité et faire sentir partout, au nord comme au midi, la souveraineté royale, il ne le pourra que par la conquête. C'est là l'idée directrice de la politique et du gouvernement de Philippe Ier : il cherche à agrandir le domaine sur lequel s'exerce sa justice, tandis qu'il n'exerce sa suzeraineté que quand on le lui demande ou quand l'occasion s'en présente, sans qu'il ait cherché à la faire naître. Dans ces conditions, il considère les titulaires des grands fiefs non pas comme des vassaux, mais comme d'autres souverains dont il doit prévenir l'ambition et les vues sur ses terres, en même temps qu'il doit préparer l'annexion future de leurs Etats au domaine s'identifiant peu à peu avec le royaume. Il s'agissait donc pour lui de paralyser toute coalition contre lui, coalition dans laquelle il aurait fatalement succombé et qui aurait consacré le morcellement de la France en un certain nombre de grandes seigneuries ; il s'agissait aussi de profiter des divisions de ce monde féodal pour opposer les grands fiefs les uns aux autres, faire pencher la balance en faveur de l'un contre l'autre plus immédiatement dangereux pour la royauté. Or la conquête de l'Angleterre par les Normands a fait de l'Etat anglo-normand le plus redoutable des Etats féodaux. Le règne personnel de Philippe Ier commence au lendemain même de ce grave événement, en 1067. Guillaume le Conquérant, déjà puissant sur le continent, tire de sa conquête une force nouvelle. Son ambition est sans limites. Ne songera-t-il pas maintenant à entamer le domaine royal dont il est immédiatement voisin, à le conquérir même, pour laisser un jour la France à l'un de ses fils et l'Angleterre à l'autre ? Le domaine est moins étendu que l'Etat anglo-normand ; le roi dispose de moins d'hommes et de ressources. Tandis que Guillaume est maître absolu en Normandie, qu'il tient en respect la petite féodalité à la fois par la crainte qu'il lui inspire et par les largesses dont il l’a comblée, Philippe Ier doit compter avec la petite féodalité de l'Ile-de-France, beaucoup plus nombreuse et moins soumise que la féodalité normande. L'Etat royal manque de cette unité qui fait la force de l'Etat anglo-normand. Ainsi, dans la lutte fatale entre ces deux Etats que l'Epte seule sépare, il semble que les chances de succès du Capétien soient moindres que celles du duc de Normandie, roi d'Angleterre ; il semble même que, s'il est isolé, il soit condamné à l'échec. Par ailleurs, le roi de France n'a pas de danger grave à redouter. Ses autres voisins ne sont guère menaçants. Au nord, les comtes de Flandre, depuis Baudoin V, ont compris que leur destinée était de suivre les indications que la géographie leur donnait et de s'étendre vers le nord-est, de bâtir leur Etat dans ces plaines qui s'étendent à perte de vue vers l'est depuis le Pas-de-Calais, tandis que les collines d'Artois, du Condroz, puis l'Ardenne leur formeraient vers le sud une sorte de rempart qu'il était inutile de dépasser ; ils menacent l'Allemagne, nullement la France où ils se briseraient peut-être en efforts stériles pour entamer l'Etat royal ou l'Etat normand. A l'est, les comtes de Champagne et de Blois n'ont guère d'ambition ; ils ne songent qu'à jouir de la paix ; ils ne créeront pas d'embarras à la royauté, si celle-ci n'est pas agressive, et elle n'a aucune raison de l être pour le moment. Derrière eux, les ducs de Bourgogne, au début du moins, se tiennent aussi à l'écart des luttes et des rivalités du monde féodal ; aucune raison pour Philippe Ier de convoiter leurs Etats, qui ne contribueraient guère à l'unité du domaine. Pour le moment aussi, le roi est obligé de renoncer au Midi. L'Aquitaine est très puissante depuis Guy-Geoffroy ; elle forme un bloc difficile à entamer ; elle n'est pas menaçante pour la royauté ; ses ducs cherchent à consolider et à étendre leur regnum dans le pays situé entre la Loire, le Massif central, l'Océan et les Pyrénées, mais ils ne convoitent pas le nord, où leur seul ennemi est le comte d'Anjou, leur voisin. Cet Anjou, redoutable pendant la première moitié du XIe siècle, subit une éclipse passagère sous Foulque le Réchin ; sa rivalité avec la Normandie et l'Aquitaine seule le préoccupe ; il n'a même pas à regretter la perte du Gâtinais. L'ennemi véritable pour le roi de France à la fin du XIe siècle, c'est donc le duc de Normandie, roi d'Angleterre. Partout ailleurs il ne peut trouver que sympathie ou indifférence. C'est ce qu'a compris Philippe Ier, et, si nous avons pu dire que son règne marquait le début de la politique capétienne d'extension et de conquête, nous pouvons ajouter qu'il a inauguré aussi la grande lutte contre l'Etat anglo-normand. Pour cette lutte, il lui fallait des alliés. Ces alliés n'étaient pas difficiles à trouver. Si la formation de l'Etat anglo-normand était une menace pour le domaine royal, elle n'était pas moins inquiétante pour les autres voisins de Guillaume le Conquérant, le comte de Flandre et plus encore le comte d'Anjou. La Flandre était séparée de la Normandie par le Ponthieu, qui formait entre elles une sorte d'Etat tampon ; mais, que cet Etat vînt à disparaître, la Normandie devenait immédiatement voisine de la Flandre : il y avait donc intérêt pour Robert le Frison à être tranquille de ce côté, afin de poursuivre son extension vers l'est et, par suite, à être l'allié de Philippe Ier contre Guillaume le Conquérant. De vieux liens d'amitié existaient d'ailleurs entre la maison capétienne et la maison de Flandre, surtout depuis le mariage de Baudoin V avec Adèle, fille de Robert le Pieux, et plus encore, depuis la régence de Baudoin. L'Anjou était plus directement menacé par la Normandie. Le Maine, en 1063, avait échappé à l'influence angevine, pour passer sous la domination de Guillaume le Conquérant. La conquête du Maine, c'est l'objectif principal de la politique de Foulque le Réchin. Au contraire, il ne regrette pas le Gâtinais, possession éloignée qu'il a dû céder au roi pour se faire reconnaître. Son intérêt est donc de s'allier au roi de France contre la Normandie : aussi oublia-t-il que Philippe Ier avait enlevé sa propre femme, et les démêlés conjugaux du roi et du comte n'empêchèrent pas leur amitié politique. L'alliance avec la Flandre et l'Anjou contre la Normandie sera le trait essentiel de la politique de Philippe Ier : elle lui était commandée par la situation du monde féodal à la fin du XIe siècle. Il ne négligera pas pour cela les autres grands seigneurs : il fera appel à l'Aquitaine, avec plus ou moins de succès, parfois aussi à la Bourgogne. Il verra le point faible de l'Etat anglo-normand, à savoir les haines de famille : il soutiendra Robert Courteheuse contre son père, comme plus tard il saura intervenir dans les guerres fratricides entre les fils de Guillaume le Conquérant. Cette politique anti-normande, il la poursuivra toute sa vie, avec vigueur et parfois avec éclat pendant les deux premiers tiers du règne, jusqu'au jour où sa passion pour Bertrade amollira son caractère et le détournera des affaires sérieuses. Louis le Gros la reprendra alors, mais en lui donnant une note personnelle : il jugera que le roi ne pourra exercer une action efficace à l'extérieur que le jour où il sera tranquille dans le domaine et où il aura dompté la petite féodalité de l'Ile-de-France. Le règne de Louis VI commence en quelque sorte avant la mort de Philippe Ier, et le caractère en est très différent. Aussi peut-on distinguer deux grandes périodes dans les rapports de Philippe Ier et de la féodalité : la période de lutte contre la Normandie, où il est l'acteur principal, et la période de répression des brigandages seigneuriaux dans l'Ile -de-France, œuvre surtout de Louis VI. Toutefois, avant de commencer la lutte contre la Normandie, Philippe Ier dut aller faire la guerre en Flandre, où son intervention était sollicitée. |
[1] Il ne peut être question d'entrer dans le détail de l'histoire de toutes les seigneuries. Le présent chapitre est simplement une introduction à ceux qui vont suivre. Nous n'insisterons que sur les fiefs dont les titulaires ont eu des rapports suivis avec Philippe Ier.
[2] Genealogia comitum Flandrensium. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 389 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. IX, p. 320.)
[3]
Genealogia comitum Flandrensium. (Loc. cit.)
[4] Chronicon S. Amandi Elnonensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 345.)
[5] Toute cette histoire n'est qu'une légende : on ne voit pas ce que serait ce roi de Lorraine qui est en même temps empereur ; mais il faut en retenir l'acquisition par Baudoin V du pays entre la Dendre et l'Escaut.
[6] Annales S. Martini Tornacensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 361 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXIII, p. 796.)
[7] Lambert de Hersfeld, année 1071. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 63 ; Monumenta Germaniæ historica Scriptores, t. V, p. 180.)
[8] Orderic Vital, l. IV, c. VIII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 234.)
[9] Chronicon S. Bertini, c. XXXVIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 382 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXV, p. 782.)
[10] Guillaume de Jumièges, l. VIII, c. XIV. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 56.)
[11] Lambert de Hersfeld, année 1071. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 63 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. V, p. 181.)
[12] Aubri de Trois-Fontaines. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 358 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXIII, p. 793.) — On trouve le même texte et la même date dans les Annales Blandinienses. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. V, p. 26.)
[13]
Genealogiæ ex chronicis Hainoniensibus. (Rec. des histor. de France,
t. XI, p. 375. On trouve un récit analogue dans la Chronique de Hainaut de
Gilbert de Mons. (Ibid.,
t. XIII, p. 543 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXI, p.
490-491.)
[14] Hériman, c. XII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 254 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XIV, p, 279 280.)
[15] Chronicon S. Bertini, c. XXXVIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 383 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXV, p. 782.)
[16] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° XXII, p. 59-63.
[17] Chronicon S. Bertini, loc. cit.
[18] Historia Hasnonensis
monasterii, c. XI. (Rec. des histor. de France,
t. XI, p. 109 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XIV, p. 154
155.)
[19] Annales Marchianenses. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XVI, p. 614.)
[20]
Gilbert de Mons, Chronique de Hainaut. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXI, p. 491.)
[21] Cf. l. III. c. II.
[22] Genealogia comitum
Flandrensium, c. XI. (Rec. des histor. de France,
t. XI, p. 390 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. IX, p.
321.)
[23] Gesta episcoporum
Leodiensium, l. III, c. IV. (Monumenta Germaniæ
historica, Scriptores, t. XXV, p. 80.)
[24] Gesta episcoporum
Leodiensium, I. III, c. IV. (Monumenta Germaniæ
historica, Scriptores, t. XXV, p. 80.)
[25] Généalogies extraites des Chroniques de Hainaut. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 375.)
[26] Cf. le diplôme de Philippe Ier pour Saint-Pierre d'Aire. (Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° LXXII, p. 184, l. 25.)
[27] Lambert de Hersfeld, anno MLXXVI. (Rec.
des histor. de France, t. XI, p. 67 ; Monumenta Germaniæ historica,
Scriptores, t. V, p. 243.)
[28] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° CXV, p. 288-290.
[29] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, p. 289, l. 19-20.
[30]
Greg. VII Reg., l. IV, ep. 11. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t. II, p.
255-256.
[31] Greg. VII Reg., l. VI, ep. 7. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 336-337.)
[32] Simonis gesta abbatum S.
Bertini Sithiensium, l. II, c. LII. (Monumenta
Germaniæ historica, Scriptores, t. XIII, p. 646.)
[33] Ex vita S.. Joannis, episcopi Teruanensis. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 238 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XV. p. 1151-1152.)
[34] Greg. VII Ep., coll., 40. (Bibl. rer. Germ,. t. II,
p. 567-568.) — Cf. Giry, Grégoire VII et les évêques de Thérouanne. Revue historique, t. I, année 1876.)
[35] Greg. VII Reg., l. VIII, ep. 55. (Bibl. rer. Germ.. t. II, p. 508-509.)
[36] Greg. VII Reg., l. VIII ep. 56. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 510 511.)
[37] Greg. VII Ep., coll., 41. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 568-569.)
[38] Greg. VII Reg., l. VIII, ep. 57. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 511-516.)
[39] Greg. VII Ep., coll., 42. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 569-570.)
[40] Greg. VII Rey., l. VIII, ep. 59. (Bibl.
rer. Germ., t. II, p. 517-518.)
[41] Vita S. Joannis, episcopi Teruanensis. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 238 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XV, p. 1142.)
[42] Jaffé, n° 5471 ; Monumenta
Germaniæ historica, Scriptores, t. IX, p. 310.
[43] Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 74-75.
[44] Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 74-75.
[45]
Annales Blandinienses. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores,
t. V, p. 27.) — Chronicon S. Amandi. (Rec. des histor. de France,
t. XIII, p. 453.) — Chronicon S. Bertini. (Ibid., l. XIII, p. 458 ; Monumenta
Germaniæ historica, Scriptores, t. XXV, p. 785.)
[46] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 184.
[47] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 185.
[48] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 187.
[49] Vita S. Joannis, episcopi Teruanensis. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 239 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XV, p. 1142.)
[50] Simonis Gesta abbattim S. Bertini Sithiensium, l. II, c. LVII. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XIII, p. 647.)
[51] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 188.
[52] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 188.
[53] Ep. IV, 3. (Rec. des histor. de France, t. XV, p. 64.)
[54] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 190.
[55] Jaffé, Regesta pontificum, n° 5889. (Rec. des histor. de France, t. XV, p. 25.)
[56] Chronicon S. Andreæ Castri cameracensis, l. III. c. XXIII. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. VII, p. 545.)
[57] Annales Elnonenses majores. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. V, p. 14.) — On trouve un texte analogue dans les Annales Marchianenses (ibid., t. XVI, p. 615) et dans Sigebert de Gembloux. (Rec. des histor. de France, t. XIII, p. 253 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. VI, p. 368.)
[58] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 25.
[59] Passages cités.
[60] Rec. des histor. de France, t. XV, p. 196.
[61] Annales Marchianenses. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XVI, p. 615.)
[62] Chronicon S. Andreac Castri cameracensis. l. III, c. XXVI. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. VII, p. 545.) — Cf. aussi Annales Cameracenses. (Ibid., t. XVI, p. 511.)
[63] Geoffroy de Malaterra, l. I, c. I. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 138.)
[64] Acta archiepiscoporum Rotomagensium. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 70.)
[65] Miracula S. Audoeni, cap. II. (Acta Sanctorum, Augusti, t. IV, p. 829 E.)
[66] Rec. des histor. de France, t. XI, p. 76.
[67] Orderic Vital, l. VI, c. II. (Ed. Leprévost, t. III, p. 4.)
[68] Orderic Vital, l. III, c. VI. (Ed. Leprévost, t. II, p. 92.)
[69] Vita B. Lanfranci, Cantuariensis archiepiscopi, auctore Milone Crispino, Beccensi monacho. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 31.)
[70] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXVI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 47.)
[71]
Annales du Mont-Saint-Michel. (Delisle, Robert de Torigriy, t. II, p.
222.) — Chronique anglo-saxonne, année 1083. (Rec. des histor. de France, t. XIII, p. 50.)
[72] Orderic Vital, l. III, c. VIII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 101.) — Il est vrai qu'Orderic Vital ajoute que Guillaume vécut vingt-quatre ans après la prise du Mans. Comme Guillaume est mort en 1087, l'annexion daterait donc de 1063.
[73] Chronicon S. Taurini Ebroicensis. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 776.) — Chronicon S. Michælis in periculo maris. (Ibid., t. XI, p. 256, et t. XII, p. 772.) — Breve chronicon Funtanellense, anno MLXIII. (Ibid., t. XII, p. 771.)
[74] Gesta consulum Andegavensium. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 270 ; Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 131.)
[75] Guillaume de Poitiers, Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 85.)
[76]
Guillaume de Malmesbury, I. III. c. CCXXXVI. (Rec. des histor. de France,
t. XI. p. 181 ; éd. Stubbs, t.
II, p. 294.)
[77] Orderic Vital, I. III, c. VIII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 101-103.)
[78] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXVII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 48.)
[79] Cf. Henri de Huntington, l. VI, c. XXXIII. (Ed Arnold, p. 205-206.) — Annales de Roger de Hoveden, année 1073. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 314 ; éd. Stubbs, t. I, p. 128.) — Chronique anglo-saxonne, (Ibid., t. XIII, p. 48.)
[80] Gesta episcoporum Cenomannensium, c. XXXIII, (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 539-541.)
[81] Orderic Vital, l. IV, c. XII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 253 et suiv.)
[82] Chronicon Rainaldi, archidiaconi Andegavensis. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 478 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 13 ; Halphen, Annales angevines et vendômoises, p. 88.)
[83] Orderic Vital, l. VII, c. X. (Ed. Leprévost, t. III, p. 194.)
[84] Chronicon Britannicum. (Lobineau, Histoire de Bretagne, t. II, p. 33.)
[85] Chronique de Pierre Béchin. (Salmon, Recueil des chroniques de Touraine, t. II, p. 55 56.)
[86] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXXIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 50.) — Gesta Guillelmi ducis. (Ibid., t. XI, p. 88.) — Guillaume de Malmesbury, l. III, c. XXIII (ibid., t. XI, p. 181 ; éd. Stubbs, t. II. p. 294), attribue ces qualités à Alain ; sans doute veut-il parler de Conan.
[87] Loc. cit.
[88] Loc. cit.
[89] Chronicon Britannicum. (Lobineau, Hist. de Bretagne, t. II, p. 33.)
[90] Orderic Vital, l. III, c. XI. (Ed. Leprévost, t. II, p. 116.) — Aubri de Trois-Fontaines, année 1065. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 360 ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXIII, p. 795.) — Guillaume de Malmesbury, l. II, c. CLXXIX et CCXXVIII. (Ed. Stubbs, t. I, p. 213 et 278.)
[91] Ingulfe, abbé de Croyland, année 1051. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 154.)
[92] Roger de Hoveden, année 1066. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 313 ; éd. Stubbs, t. I, p. 114.)
[93] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 78.)
[94] Guillaume de Malmesbury, l. II, c. CCXXVIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 175 ; éd. Stubbs, t. 1, p. 278.)
[95] Vita S. Gervini, abbatis Centulensis, auctore Harnulfo, c. XIV. (Acta Sanctorum ord. S. Bened., t. VI, 2e part., p. 330-331.) — On trouve le même récit dans la Chronique de Saint-Riquier d'Hariulf, l. IV, c. XXIII. (Ed. Lot, p. 240-241.)
[96] Ingulfe, année 1065. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 154.)
[97] Guillaume de Jumièges, I. VII, c. XXXI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 49.)
[98] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 87.)
[99] Orderic Vital, l. III, c. XI. (Ed. Leprévost, t. II, p. 116 et suiv.)
[100] Eadmeri historiæ Novorum, l. I. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 192 : éd. Rule, p. 6.)
[101] Guillaume de Malmesbury, l. II, c. CCXXVIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 176 ; éd. Stubbs, t. I, p. 279.)
[102] Henri de Huntington, l. VI, c. XXV. (Ed. Arnold, p. 196 ; Rec. des histor. de France, t. XI. p. 207.)
[103] Continuation de Sigebert de Gembloux, année 1063. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 167.)
[104] Breve chronicon S. Martini Turonensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 212.)
[105] Annales du Mont-Saint-Michel, année 1065. (Delisle, Robert de Torigny, t. II, p. 221.)
[106] Chronicon S. Maxentii Pictavensis, anno MLXVI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 220 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 403.)
[107]
Hugues de Flavigny, l. II. (Monumenta
Germaniæ historica, Scriptores, t. VIII, p. 409.)
[108] Aubri de Trois-Fontaines, année 1065. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 360 : Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXIII, p. 795.)
[109] Clarius, Chronicon S. Pétri Vivi Senonensis, anno MLXVI (Duru, Bibl. histor. de l’Yonne, t. II, p. 508.)
[110] Chronique dite de Guillaume Godelle, année 1066. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 284.)
[111] Orderic Vital, l. III, c. XI. (Ed. Leprévost, t. II, p. 119.)
[112] Roger de Hoveden, année 1066. (Rec. des histor. de France, t. XI. p. 312 ; éd. Stubbs, t. I, p. 108 )
[113] Vita S. Wulstani, Wigorniensis episcopi. (Acta Sanctorum ordo S. Bened., sæc. VI, IIe part., p. 856.)
[114] Eadmeri historiæ Novorum, l. I. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 193 ; éd. Rule, p. 8.)
[115]
Guillaume de Malmesbury, l. III, c. CCXXXVIII. (Rec. des histor. de France,
t. XI, p. 182 ; éd. Stubbs, t.
II, p. 298.)
[116] Orderic Vital, l. III, c. XI. (Ed. Leprévost, t. II, p. 119 et suiv.)
[117] Roger de Hoveden, année 1065. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 312 ; éd. Stubbs, t. I, p. 107-108.)
[118] On trouve le même récit dans Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXXII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 50.)
[119] Outre Roger de Hoveden déjà cité : Guillaume de Malmesbury, l. II, c. CCXXVIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 176 ; éd. Stubbs, t. I, p. 281-282.) Chronique saxonne. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 216.)
[120] Orderic Vital, l. VII !. c. XI. (Ed. Leprévost, t. II, p. 121.)
[121] Gesta episcoporum Cenomannensium, c. XXXIII. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 539.)
[122] Roman de Rou, V. 11326 et suiv.
[123] Orderic Vital, l. III, c. XI (Ed. Leprévost, t. II, p. 122.)
[124] Ingulfe, année 1066. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 154.)
[125] Guillaume de Malmesbury, l. III. c. CCXXXVIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 182 ; éd. Stubbs, t. II, p. 299.)
[126] Chronicon Fontanellense, anno MLXVI. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 771.)
[127] Chronicon S. Stephani Cadomensis, anno MLXVI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 379.)
[128] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 92.)
[129] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXXIV. (Rec. des histor. de France, t. XI. p. 51.)
[130] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI. p. 94.)
[131] Orderic Vital, l. III, c. xiv. (Ed. Leprévost, t. II, p. 143.)
[132] Guillaume de Malmesbury, l. III, c. CCXXXIX. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 183 ; éd. Stubbs, t. II, p. 301.).
[133] Henri de Huntington, l. VI, c. XXVI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 208 ; éd. Arnold, p. 199.)
[134] Nous ne racontons pas les détails de la bataille, nous proposant simplement de montrer comment s'est constitué, aux portes du domaine royal de Philippe Ier, l'Etat anglo-normand.
[135] Loc. cit.
[136] Gesta dominorum Ambaziensium. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 258 ; Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 174.)
[137] Guillaume de Jumièges, l. VII. c. XXXVII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 52.)
[138] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 99 et suiv.)
[139] Eadmeri historiæ Novoram, l. I. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 193 ; éd. Rule, p. 10.)
[140] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 101.) Orderic Vital est moins enthousiaste et semble laisser entendre (l. IV, c. I-IV) que l'Angleterre eut à souffrir des premières années de la domination normande.
[141]
Roger de Hoveden, année 1067. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 313
; éd. Stubbs, t. I, p. 116.)
[142] Orderic Vital, l. IV, c. II. (Ed. Leprévost, t. II, p. 168.)
[143] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXXVIII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 52.)
[144] Roger de Hoveden, loc. cit.
[145] Orderic Vital, I. IV, c. II. (Ed. Leprévost, t. II, p. 167.)
[146] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 103.)
[147] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXXIX. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 53.)
[148] Orderic Vital, l. IV, c. III. (Ed., Leprévost, t. II, p. 173.)
[149] Cf. Orderic Vital, l. VII, c. XI. (Ed. Leprévost, t. IIJ, p. 201 et suiv.), Roger de Hoveden, année 1085, (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 315 ; éd. Stubbs, t. I, p. 139 ), Henri de Huntington, l. VI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 210 ; éd. Arnold, p. 207.)
[150] Hériman de Tournai. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 255. Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XIV, p. 280.)
[151] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXIX. (Rec. des histor. de France, t. XI. p. 49.)
[152] Orderic Vital, l. III. c. V. (Ed. Leprévost, t. II, p. 80 et suiv.)
[153] Orderic Vital, l. III, c. IX. (Ed. Leprévost, t. II, p. 106.)
[154] Orderic Vital, l. III. c. VIII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 104.)
[155]
Chronique de l'abbaye de Lyre, année 1072. (Rec. des histor. de France,
t. XI, p. 367.) Cf. aussi Orderic
Vital, l. IV, c. VIII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 236.)
[156] Labbe, Bibl. nova manuscriptorum,
t. 1, p. 661.
[157] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° CXXIX, p. 327-328.
[158]
Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° CXXIX, p. 328,1. 5-8.
[159] Rec. des histor. de France, t. XIII, p. 52.
[160] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 91.)
[161] Orderic Vital, l. III, c. X. (Ed. Leprévost, t. II, p. 112.)
[162] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 89.)
[163] Orderic Vital, l. VII, c. XV. (Ed. Leprévost, t. III, p. 241.)
[164] Cf. Orderic Vital, l. VI, c. V. (Ed. Leprévost, t. III, p. 19-28.)
[165] Sur toutes ces abbayes cf. Orderic Vital, 1 IV, c. X. (Ed. Leprévost, t. II, p. 243-248.)
[166] Jaffé, Regesta pontificum Romanorum, n° 4644 ; Migne, Patr. lat., t. CXLVI, col. 1339.
[167] Ex anonymi collectaneis de S. Hugone. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 71.)
[168] Ex anonymi collectaneis de S. Hugone. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 72.)
[169] Acta archiepiscoporum Rothomagensium. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 71.)
[170] Guillaume de Jumièges, I. VI, c. IX. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 35.)
[171] Continuation de Sigebert de Gembloux, année 1063. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 167.)
[172] Continuation de Sigebert, année 1070. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 168.)
[173] Jaffé, Regesta pontificum, n° 4695 ; Migne, Patr, lat., t. CXLVI, col. 1365.
[174] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXVI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 48.) — Orderic Vital, l. VIII, c. VIII. (Ed. Leprévost, t. III, p. 309.) — Sur Lanfranc, cf. Crozals, Lanfranc de Cantorbéry.
[175] Orderic Vital, l. IV, c. VI. (Ed.
Leprévost, t. II, p. 199.)
[176] Greg. VII Reg., l. VIII, ep. 28. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t. II, p.
478-479.)
[177] Greg. VII Reg., l. VII, ep. 23 et 25. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 414-416 et 419.)
[178] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 90.)
[179] Il y aurait cependant, comme on verra plus loin, bien des réserves à faire sur la valeur du clergé normand. Il ne faut pas oublier que Guillaume de Poitiers est un panégyriste enthousiaste.
[180] Acta archiepiscoporum Rothomagensium. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 70-71.)
[181] Gesta Guillelmi ducis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 90.)
[182] Vita B. Lanfranci, Cantuariensis archiepiscopi, auctore Milone Crispino, Beccensi monacho. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 32.)
[183] Orderic Vital, l. IV, c. II. (Ed.
Leprévost, t. II, p. 170.)
[184] Acta archiepiscoporum Rothomagensium. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 70.)
[185] Jaffé, Regesta ponlificum, n° 4643. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 545.)
[186] Greg. VII Reg., l. V, ep. 19. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 315-316.)
[187] Greg. VII Reg., l. VII, ep. 1. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 380.)
[188] Greg. VII Reg., I. VIII, ep. 24. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 469-470.)
[189] Yves de Chartres, ep. 153 et 154. (Rec. des histor. de France, t. XV, p. 133.)
[190] Yves de Chartres, ep. 157. (Rec. des histor. de France, t. XV, p. 134.)
[191] Guillaume de Jumièges, l. VII, c. XXIX. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 49).
[192] Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 532-534.
[193] Orderic Vital, l. III, c. XII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 125.)
[194] Orderic Vital. l. VIII, c. XVIII. (Ed. Leprévost, t. III, p. 380.)
[195] Joannis Fiscannensis abbatis epistolæ, ep. 1. (Migne, Patr. lat., t CXLVII, col. 463.)
[196] Joannis Fiscannensis abbatis epistolæ, ep. 2. (Migne, Patr. lat., t CXLVII, col. 463-464.)
[197] Orderic Vital, l. VII, é. VIII. (Ed. Leprévost, t. III, p. 188-192.)
[198] Greg. VII, ep. coll. 44. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 570-571.)
[199] Greg. VII Reg., l. VIII, ep. 60. (Bibl. rer. Germ., t. II, p. 518-519.)
[200] Orderic Vital, l. IV, c. V. (Ed. Leprévost, t. II, p. 188.) Breve Chronicon S. Martini Turonensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 212.) Guillaume de Malmesbury, l. III, c. CCLXXIV-CCLXXV. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 189 ; éd. Stubbs, t. II, p. 332.
[201] Guillaume de Malmesbury, loc. cit.
[202] Abrégé de Guillaume de Jumièges. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 148.) Henri de Huntington, l. VI, c. XL (ibid., t XI, p. 211 ; éd. Arnold, p. 211) ne parle que d'une somme d'argent pour laquelle Robert lui vendit une partie de la Normandie ; c'est évidemment de Coutances qu'il s'agit.
[203] Cf. Halphen, le Comté d'Anjou au XIe siècle, Paris, 1906.
[204] Cf. Gesta consulum Andegavensium, cap. X. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 279 ; — Marchegay et Salmon, Recueil des Chroniques d'Anjou, p. 134-138) ; — Vie de saint Hugues, abbé de Cluny. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 70.) — Chronicon Turonense Magnum. (Ibid., t. XII, p. 462. — Salmon, Recueil des chroniques de Touraine, p. 125.)
[205] Richard, moine de Cluny. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 286.)
[206] Chronicon S. Maxentii Pictavensis, annis MLXI et MLXII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 220 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 402-403.)
[207] Jean de Marmoutier, Historia abbreviata consulum Andegavensium. (Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 359.)
[208] Foulque le Réchin. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 138 ; Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 379.)
[209] Jean de Marmoutier, Historia abbreviata consulum Andegavensium. (Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 359-360.)
[210] Orderic Vital, l. VIII, c. X. (Ed.
Leprévost, t. III, p. 320.)
[211] Cf. Orderic Vital, l. VIII, c. XI. (Ed. Leprévost, t. III, p. 327), et l. X, c. VII. (Ibid., l. IV, p. 37) ; Guillaume de Jumièges, l. VIII, c. V. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 55) et c. VIII. (Ibid., t. XII, p. 371) ; Gesta episcoporum Cenomannensium, c. XXXIV. (Ibid., t. XII, p. 542-545.)
[212] Orderic Vital, l. X, c. VII. (Ed. Leprévost, t. IV, p. 38-39.)
[213] Orderic Vital, l. VIII, c. XI. (Ed. Leprévost, t. III, p. 327.)
[214] Orderic Vital, l. X. c. VII. (Ed. Leprévost. t. IV, p. 37 38.)
[215] Loc. cit.
[216] Cf. Florent de Worcester, année 1098 (Rec. des histor. de France, t. XIII, p. 70) ; Chronicon S. Martini Turonensis (Ibid., t. XII, p. 63 et 467) ; et surtout : Chronicon S. Albini Andegavenses (Ibid., t. XII, p. 484 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 28-29.)
[217] Loc. cit.
[218] Cf. aussi Gesta episcoporum
Cenomannensium, loc. cit.
[219] Chronicon S. Albini
Andegavenses, anno MXCVIII, loc. cit.
[220] Orderic Vital, l. X, c. XVII. (Ed. Leprévost, t. IV, p. 103.)
[221] Relatio victoriæ per Fulconem, Andegavensium comitem. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 30.)
[222] On y trouve une allusion dans les Gestes des seigneurs d'Amboise, l. IV, c. XII. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 504 ; Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 184.) Geoffroy de Preuilly, comte de Vendôme, s'était joint au comte de Poitiers.
[223] Orderic Vital, l. XI, c. XVI. (Ed. Leprévost, t. IV, p. 217.)
[224] Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 673. La bulle de Grégoire VII. (Reg., l. VIII, ep. 46), rappelant l'excommunication qui pèse sur Foulque doit, semble-t-il, se placer à la même date. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t. II, p. 498-499.)
[225] Migne, Patr. lat., t. CLVII, col. 517-518.
[226] Jean de Marmoutier, Historia abbreviata consulum Andegavorum. (Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 360.)
[227] Orderic Vital, l. XI, c. XVT. (Ed. Leprévost, t. IV, p. 216.)
[228] Chronicon S. Albini Andegavensis, anno MCIII. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 485 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 30 ; Halphen, Annales angevines et vendômoises, p. 43.)
[229] Chronicon S. Maxentii Pictavensis, anno MCIV. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 404 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 422.)
[230] Cf. Gesta consulum Andegavensium,
anno MCVI. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 498 ;
Marchegay et Salmon, Chroniques d'Anjou, p. 142.) — Chronicæ S.
Albini Andegavensis. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 485 ;
Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 31 ; Halphen, Annales
angevines et vendômoises, p. 7.) — Chronicon Vindocinense. (Rec.
des histor. de France, t. XJI, p. 487 ; Marchegay et Mabille, Chroniques
des églises d'Anjou, p. 171 ; Halphen, Annales angevines et vendômoises,
p. 68.) Orderic Vital, l. XI,
c. XVI. (Ed. Leprévost, t. IV, p. 216).
[231] Gesta consulum
Andegavensium, loc. cit.
[232] Aussi serons-nous beaucoup plus bref ; la Flandre, la Normandie et l'Anjou sont en somme les trois seuls fiefs qui aient joué un rôle sérieux dans la politique féodale de Philippe Ier.
[233] Sur Guillaume VIII, cf. : Besly, Histoire des comtes de Poitou et ducs de Guyenne, nouv. éd. 1840 ; Palustre, Histoire de Guillaume IX, duc d'Aquitaine, 1re partie. (Mém. Loc. des Antiq. de l'Ouest, 2e série, t. III, 1880.)
[234] Les comtes de Poitou se font toujours couronner à Limoges dans une cérémonie solennelle. Cf. Ordo ad benedicendum ducem Aquitaniæ. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 451.)
[235] Chronicon S. Maxentii Pictavensis, (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 644.) Pour les détails de cette annexion, cf. Palustre, op. cit.
[236] Chronicon S. Maxentii Pictavensis. (Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 403.)
[237] Cf. Besly, op. cit., Preuves, p. 356.
[238] Historia pontificum et comitum Engolismensium, c. XXXI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 264.)
[239] Historia Monasterii Novi Pictavensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 120-121.)
[240] Greg. VII Reg.. l. II, ep. 3. (Jaffé, Bibl. rer. Germ., t II, p. 111-112.)
[241] Bibl. nat., Coll. Moreau, t, XXVII, fol. 245.
[242] Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 766.
[243] Richard, moine de Cluny. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 286.)
[244] Historia Monasterii Novi Pictavensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 120.)
[245] Ce privilège ne nous a pas été conservé.
[246] Historia Monasterii Novi Pictavensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 119.)
[247] Historia Monasterii Novi Pictavensis. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 121) ; Chronicon S. Florentii, anno MLXXXVI. (Halphen, Annales angevines et vendômoises, p. 119.)
[248] Jaffé, n° 5516 ; Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 710.
[249] Jaffé, n° 5517 ; Anal. jur. pont., t. X, p. 536.
[250] Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 772.
[251] Chronicon S. Maxentii Pictavensis. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 404 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 420.)
[252] Chronicon S. Maxentii Pictavensis. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 404 ; Marchegay et Mabille, Chroniques des églises d'Anjou, p. 421.)
[253] Orderic Vital, l. X, c. XIX. (Ed.
Leprévost, t. IV, p. 118.)
[254] Chronicon S. Martialis Lemovicensis, c. XXXII. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 430.)
[255] Raoul Tortaire, Miracula S. Benedicti, l. VIII, c. XXIII. (Ed. de Certain, p. 312.)
[256] Historia pontificum et comitum Engolismensium, c. XXXIV. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 393.)
[257] Gesta comitum Barcinonensium, c. XI. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 290.)
[258] Inquisitio circa comitatum Carcassonæ. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 374.)
[259] Gesta comitum Barcinonensium, c. XV. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 375.)
[260] Inquisitio circa comitatum Carcassonæ. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 374.)
[261] Gesta comitum Barcinonensium. c. XVI. (Rec. des histor. de France, t, XII, p. 376.)
[262] Gervais de Tilbury, Otia imperialia. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXVII, p. 376.)
[263] Sur la Bourgogne, cf. Petit, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne ; Seignobos, le Régime féodal en Bourgogne.
[264] Hildebert du Mans, S. Hugonis monachi cluniacellsis vita, c. II. (Migne, Patr. lat., t. CLIX, col. 920.)
[265] Cf. Petit, op. cit., Preuves, t. I, p. 383.
[266] Cf. Petit, op. cit., Preuves, t. I, p. 382.
[267] Hildebert du Mans, S. Hugouis monachi cluniaccnsis vita, c. n. (Migne, Patr. lat., t. CLIX, col. 920)
[268] Cf. Chronicon brève Autissiodorense, anno M LVII. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 292.)
[269] Annales Nivernenses, anno MXCIX. (Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XIII, p. 91.)
[270] Cf. Petit, op. cit., p. 185.
[271] Chronicon Besuense. (Bougaud, Analecta Divionensia, p. 377.)
[272] Cf. Petit, op. cit., p. 199-202.
[273] On verra plus loin que la présence de Hugues Ier est mentionnée par Hugues de Flavigny.
[274] Ex anonymi collectaneis de S. Hilgone. (Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 73.)
[275] Cf. Petit, op. cit., p. 233-238.
[276] Jaffé, n° 5678 ; Rec. des histor. de France, t. XIV, p. 729.
[277] Chronicon Besuense. (Bougaud, Analecta Divionensia, p. 398-399.)
[278] Raoul Tortaire, Mirac. S. Benedicti, l. VIII, c. XXIX. (Ed. de Certain, p. 315.)
[279] Cf. plus loin, l. III, c. VI.
[280] Cette charte est citée par Petit, d'après le cartulaire de Molesme, op. cit., p. 260-261. Nous renvoyons également à cet ouvrage pour le rôle joué par Eudes à la croisade.
[281] Sur la Champagne, cf. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et comtes de Champagne.
[282] Pour l'histoire de la succession d'Eudes Ier, nous renvoyons à d'Arbois, op. cit., où on trouve (t. I, p. 427), la généalogie des comtes de Champagne au XIe siècle.
[283] Cf. Historiæ Francicæ fragmentum. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 160.)
[284] D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. I, p. 376.
[285] Orderic Vital, l. IV, c. VII. (Ed. Leprévost, t. II, p. 221.)
[286] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° XXI, p. 59, l. 4-5.
[287] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° XXVI, p. 71, l. 26.
[288] Recueil des actes de Philippe Ier, n° LVII, p. 152, l. 10-11.
[289] Sur ce rôle de Thibaud sous Henri Ier, cf. d'Arbois, op. cit., t. I, p. 384.
[290] Cf. Chronicon breve Autissiodorense. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 292.)
[291] Pour le détail de ces donations, cf. d'Arbois de Jubainville, op. cit., t. I, p. 400-409.
[292]
Greg. VII Reg., l. IV, ep. 22
(Bibl. rer. germ., t. II, p. 272.)
[293] Camuzat, Promptuarium, fol. 372. Cf. d'Arbois de Jubainville, op. cit., t. I, p. 399.
[294] Historiæ Francicæ fragmentum. (Rec. des histor. de France, t. XII, p. 1-2.)
[295] Cela résulte d'une charte d'Etienne-Henri (Ann. Bened., t. V, p. 356 à 357) écrite au moment où il faisait ses préparatifs pour une croisade et dans laquelle le comte dit que son père était mort depuis six ans. Cf. d'Arbois de Jubainville, op. cit., t. I, p. 420, n. 2.
[296] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° CVI, p. 272, l. 6.
[297] Chronique de Guillaume Godelle, année 1038. (Rec. des histor. de France, t. XI, p. 282.)
[298] Prou, Recueil des actes de Philippe Ier, n° CXX, p. 306, l. 23.
[299] Cf. D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. I, p. 426.
[300] Cf. supra, livre I, c. III.
[301] On trouvera les principales, extraites du cartulaire de Molesme, dans d'Arbois de Jubainville, op. cit., t. III, pièces justificatives, n° LXXVII (1100-1101), p. 410-411, LXXVIII (vers 1101), p. 411-412, LXXIX (1102), p. 412 413, etc.
[302] Cf. d'Arbois de Jubainville, op. cit., t. II, p. 28, n. 1.