CONSÉQUENCES POLITIQUES DU RÉGIME SEIGNEURIAL. — Avec la restauration de l'Empire par Otton le Grand, d'où découlent les grands problèmes extérieurs qui se sont posés après 962, le grand fait de l'histoire politique du Xe siècle est, comme on l'a déjà noté, l'installation à peu près universelle dans les royaumes occidentaux du régime seigneurial. Ce régime ayant pour caractéristique essentielle, à cette époque, l'usurpation des droits régaliens par les fonctionnaires, les mêmes questions se trouvent partout posées : les rois prendront-ils définitivement leur parti de cette situation amoindrie et se laisseront-ils arracher les dernières prérogatives qu'ils ont pu conserver ou essaieront-ils au contraire de recouvrer ce qu'ils ont été contraints d'abandonner ? Les vassaux chercheront-ils à briser les quelques entraves, plus ou moins fortes suivant qu'il s'agit de l'Allemagne ou de la France, qui s'opposent à leur indépendance totale ? Entre rois et vassaux là lutte est fatale et, de fait, elle s'engage partout avec un certain nombre de traits communs, mais aussi avec des variantes qu'il importe de mettre en relief. I. — L'affaiblissement du pouvoir royal en Allemagne. LE POUVOIR ROYAL D'OTTON LE GRAND. — De tous les États occidentaux le royaume germanique est celui où le régime seigneurial a été le plus vigoureusement combattu et où, grâce à la politique de redressement opérée par Henri Ier et par Otton Ier, l'autorité monarchique a le mieux réussi à reconquérir les positions perdues lors du naufrage général qui a suivi la disparition de l'empire carolingien. Tout d'abord, grâce à l'association du fils aîné à la couronne du vivant de son père, le principe héréditaire a pu se maintenir : à la mort de Henri Ier (936) et à celle de ses successeurs, l'élection n'a fait que consolider les liens créés par le sang et cette tradition est devenue si forte que, le jour où la dynastie saxonne viendra à s'éteindre, c'est en faveur du plus proche parent des Ottons que s'élèvera finalement la voix des princes. De plus, le pouvoir royal a repris, sous Otton Ier, le caractère souverain qu'il avait perdu pendant les règnes de Louis l'Enfant (900-911) et de Conrad Ier (911-918). Comme on l'a fort bien remarqué[1], les rois saxons ont le même bannum, c'est-à-dire le même pouvoir général de commandement que les rois carolingiens, auquel s'ajoute le droit de grâce par lequel ils peuvent tout à la fois remettre les peines édictées par leurs vassaux et en infliger eux-mêmes pour toutes les infractions à leurs ordres. Ils disposent d'une puissante administration qui sert fort bien leurs tendances absolutistes : la cour carolingienne a subsisté avec ses, grands officiers qui sont les conseillers ordinaires du souverain et l'on a repris l'habitude de réunir de grandes assemblées auxquelles l'assistance est strictement obligatoire pour tous ceux qui y sont convoqués sous peine d'être considérés comme des rebelles[2]. On a vu enfin qu'Otton Ier avait réussi à faire des ducs, vrais maîtres de l'Allemagne au milieu du Xe siècle, ses ministeriales, à imposer aux margraves, aux comtes et même aux évêques le rôle de mandataires investis d'une fonction publique. En un mot tous, laïques ou ecclésiastiques, ne sont que les instruments de l'absolutisme monarchique. Toutefois, si Otton Ier a fait évoluer les institutions dans un sens favorable à la couronne, il n'a pu effacer les souvenirs du passé ni supprimer, dans les anciens cadres toujours subsistants, des ambitions mal contenues et impatientes d'être satisfaites. Très habilement il les a paralysées en procédant à une sorte de reclassement des duchés qui les a placés entre les mains de ses parents ou de ses amis : la Bavière a été donnée à son frère Henri, marié à Judith, veuve de l'ancien duc Arnulf ; la Souabe au gendre de celui-ci, Burchard ; la Franconie à Hermann de Billung, homme de toute confiance. Grâce à ces ingénieuses mesures, la royauté saxonne n'a pas connu de résistance véritable jusqu'en 973, mais de tels moyens ne pouvaient avoir qu'une efficacité momentanée et, comme par ailleurs la restauration de l'Empire, en posant la question italienne, a contraint Otton Ier à de fréquentes absences, il en est résulté, dans l'exercice du pouvoir royal, une certaine détente qui a permis aux plus ambitieux parmi les ducs de reprendre espoir. Lorsque le grand empereur aura disparu, il naîtra une opposition qui ne fera que s'accroître en fonction des circonstances extérieures : les obligations nées de la restauration de l'Empire vont amener le déclin de l'absolutisme monarchique en Allemagne. L'OPPOSITION BAVAROISE SOUS OTTON II. — Otton Ier est mort le 7 mai 970. Dès le mois de novembre de la même année, son fils Otton II, auquel les princes avaient pourtant renouvelé le serment de fidélité[3], se trouve aux prises avec de sérieuses difficultés, créées par la disparition du duc de Souabe, Burchard. Fidèle à la politique paternelle, Otton II remet le duché à son propre neveu Otton, fils de l'ancien duc de Lorraine, Conrad le Roux. Or, la veuve de Burchard, Hadwig, une femme énergique et dominatrice, convoitait pour elle-même la succession du défunt et elle fit partager ses rancunes à son frère, le duc de Bavière, Henri II surnommé le Querelleur, cousin d'Otton II, personnage ambitieux, remuant, agité, très désireux d'agrandir son duché et d'y affermir son autorité combattue par l'épiscopat[4]. Dès 974, une coalition est formée où entrent la mère de Henri II et de Hadwig, Judith, l'évêque Abraham de Freising, les ducs Boleslas II de Bohême et Mesko Ier de Pologne[5]. Otton II, mis au courant de ce qui se tramait contre lui, convoqua les rebelles à sa cour et prononça contre eux de dures sentences : le duc Henri et l'évêque Abraham furent emprisonnés, l'un à Ingelheim, l'autre à Corvey ; Judith dut prendre le voile et une armée allemande alla dévaster la Bohême (975). En 976, Henri, qui avait réussi à s'enfuir et à regagner la Bavière, essaya bien de provoquer une insurrection, mais, poursuivi par Otton II qui occupa Ratisbonne, il n'eut d'autre ressource que de se réfugier en Bohême où il ne tarda pas à apprendre son excommunication et sa déposition. Une nouvelle tentative, en 977, eut un égal insuccès : Henri le Querelleur trouva pourtant uh allié inattendu, Henri, fils de l'ancien duc Berthold, auquel Otton II avait remis, deux ans plus tôt, la Carinthie détachée de la Bavière qui avait été elle-même incorporée à la Souabe. Les deux princes s'emparèrent un moment de Passau où, bientôt assiégés par Otton II, ils durent capituler (ier octobre 977). Henri le Querelleur fut emprisonné à nouveau, Henri de Carinthie déposé et exilé. Ce dernier rentrera en grâce en 983 et recouvrera son duché ; Henri le Querelleur sera élargi à son tour, lorsque Otton II aura succombé (7 décembre 983) mais, loin de désarmer, il va profiter des embarras résultant de la minorité d'Otton III pour essayer d'arracher la couronne à la maison de Saxe[6]. LA MINORITÉ D'OTTON III. — Le premier soin de Henri le Querelleur, dès qu'il apprit la nouvelle de la mort d'Otton II, fut de s'assurer de la personne du jeune prince et de revendiquer la régence. Bientôt, encouragé par l'archevêque de Trèves, Egbert, et par l'évêque de Metz, Thierry, il osa même prétendre à la couronne, mais les grands restèrent sourds à ses avances : ni Conrad de Souabe, ni Bernard de Saxe, ni Henri le jeune, duc de Bavière et de Carinthie, ne manifesteront la moindre envie de substituer au représentant de la dynastie saxonne le seigneur turbulent et brouillon qui s'offrait pour succéder à Otton II. De son côté l'épiscopat persistait dans sa fidélité à la descendance d'Otton le Grand et le prestige de l'archevêque de Mayence, Willigis, était tel qu'il eût été impossible de contrecarrer sa volonté[7]. Dès lors, malgré l'appui du duc de Bohême, Boleslas, et celui du roi de France, Lothaire, qui espéra un moment profiter de la crise pour reconquérir la Lorraine, la tentative de Henri le Querelleur est vouée à un échec. Proclamé roi à Quedlinbourg par quelques-uns de ses partisans (23 mars 984), il doit, devant l'attitude décidée du duc de Saxe, Bernard, qui a réuni une armée pour le combattre, renoncer à ses rêves ambitieux. A la suite d'une entrevue, à Worms, avec l'archevêque Willigis de Mayence et le duc Conrad de Souabe, il se rencontre avec les impératrices, Théophano et Adélaïde, auxquelles il rend le petit Otton III. L'année suivante (985) il confirme sa soumission et obtient qu'on lui restitue son duché, à l'exception de la Carinthie qui ne lui reviendra qu'après la mort de Henri le Jeune (5 octobre 989)[8]. C'est la fin de l'opposition bavaroise. Jusqu'à son dernier jour (28 août 995), Henri le Querelleur ne troublera plus la paix et son fils, Henri III, qui deviendra en lÓ02 l'empereur Henri II, témoignera sa fidélité à Otton III en l'accompagnant en Italie, en travaillant aussi, sans grand succès d'ailleurs, à l'extension de l'influence allemande du côté de la Hongrie[9]. Au fond, la dynastie saxonne n'a couru aucun danger sérieux, parce que le principe de l'hérédité monarchique était assez solidement figé pour résister à toute attaque dirigée contre lui et aussi parce que l'appui de l'épiscopat, conscient de ses propres intérêts, ne lui a failli à aucun moment. Les prérogatives de la couronne restent telles qu'elles étaient sous le règne d'Otton le Grand et le régime seigneurial n'a pas fait le moindre pas en avant. La disparition d'Otton III, à l'âge de vingt-deux ans, sans héritier direct, en permettant aux ducs et autres dignitaires d'intervenir dans la désignation de la personne royale, ouvre au contraire une période de luttes infiniment plus graves que celles qui ont été menées sans beaucoup de méthode par le bouillant Henri le Querelleur[10]. LA CRISE DYNASTIQUE EN 1002. — A la mort d'Otton III (24 janvier 1002), la dynastie saxonne est encore représentée par la branche bavaroise : Henri III, fils de Henri le Querelleur, est le petit neveu d'Otton le Grand. C'est un personnage plutôt effacé qui se distingue plus par sa piété et par sa dignité de vie que par sa valeur personnelle. Il était facile de découvrir parmi les princes un candidat plus reluisant. A défaut du duc de Saxe, Bernard, et du duc de Lorraine, Frédéric, qui se récusaient, on pouvait mettre en avant le duc de Souabe, Hermann, gendre de Conrad, roi de Bourgogne, dont la réputation d'intelligence et d'énergie était universelle, et le margrave de Misnie, Ekkehard, rendu populaire par les succès qu'il avait remportés dans la lutte contre les Slaves[11]. L'un et l'autre convoitaient la royauté et étaient décidés à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour arriver à leurs fins. La mort d'Ekkehard, qui fut assassiné le 29 avril 1002, ne laissera, en face de Henri de Bavière, que le seul Hermann de Souabe[12]. Henri disposait de précieux appuis : outre l'appoint de son propre duché, il pouvait compter sur le concours de la plupart des grands dignitaires ecclésiastiques dont l'influence était indiscutable. En revanche les princes laïques, lors des obsèques d'Otton III à Aix-la-Chapelle (5 avril 1002), s'étaient, pour la plupart, montrés favorables à la candidature d'Hermann de Souabe. Seule la Franconie penchait pour le duc de Bavière et l'attitude de la Saxe, depuis la mort d'Ekkehard de Misnie, demeurait énigmatique. Poussé par les évêques, notamment par Henri de Wurtzbourg, par Burchard de Worms et par Willigis de Mayence, Henri se décida à affronter la lutte. Il se laissa couronner et sacrer par Willigis (7 juin 1002), ce qui lui valut l'adhésion immédiate des seigneurs franconiens et lorrains. Il marcha alors contre Hermann qui, voyant la Saxe se rallier au petit neveu d'Otton le Grand, jugea prudent de se soumettre : le 1er octobre, il vint trouver Henri pieds nus, lui demanda pardon et obtint sa grâce[13]. Le principe héréditaire avait finalement triomphé du principe électif, mais non sans de sérieuses contestations : l'intervention des ducs ne s'était pas réduite, comme précédemment, à une simple ratification. Aussi Henri II n'aura-t-il pas la même assurance que ses prédécesseurs et son autorité s'amoindrira sous le coup des défaites extérieures qui auront leur retentissement à l'intérieur du royaume. L'OPPOSITION SOUS HENRI II. — C'est en effet à la suite de l'échec de la politique impériale en Lombardie et en Bohême qu'éclate la première insurrection. Dès 1003, au moment même où la situation devient tout à fait sérieuse du côté de l'Est, Henri II est obligé d'ajourner son expédition contre Boleslas de Pologne pour dissoudre la conjuration qui risquait d'en compromettre le succès. Le margrave de Misnie, Guncelin, le margrave du Nord, Henri de Schweinfurth et son parent, le margrave Ernest d'Autriche, donnent des signes d'agitation inquiétante ; le propre frère du roi, Brunon, qui escomptait la succession de Henri à la tête du duché de Bavière et voyait se dessiner une solution différente de celle qu'il avait espérée, s'apprêtait lui aussi à grossir le nombre des mécontents. Aussi, avant de s'engager contre la Pologne, Henri préféra-t-il mettre ses adversaires hors d'état de nuire : il dévasta les terres de Henri de Schweinfurth qui, après avoir essayé de se défendre dans Cronach (Creussen), près de la frontière de Bohême, finit par se réfugier auprès de Boleslas, accompagné de Brunon qui pactisait ainsi avec le pire ennemi de son frère ; Ernest se laissa prendre et encourut un moment la peine de mort, commuée par la suite en une forte amende. Les autres rebelles eurent finalement honte de leur conduite et vinrent solliciter le pardon du roi qui, après quelques mois d'emprisonnement, leur restitua leurs biens qu'il avait tout d'abord confisqués : Brunon trouva dans l'évêché d'Augsbourg une compensation qui ne lui fut pas désagréable et, une fois entré dans l'Église, ne donna plus aucun tourment à son frère[14]. Seul Guncelin continua à avoir des relations avec Boleslas ; sa perfidie croissante fut enfin déjouée en 1009 par son neveu, le margrave Hermann : il fut alors privé de sa marche qui fut remise à Hermann, puis envoyé en captivité à Halberstadt, sous la garde de l'évêque Arnulf, auprès duquel il restera prisonnier jusqu'en 1017 ; à cette date la liberté lui sera rendue, à la demande de l'archevêque de Magdebourg, Taginon[15]. Henri II s'est heurté du côté de l'Ouest à une opposition non moins redoutable qui l'a également gêné dans sa lutte contre la Pologne. En 1009, il est en effet obligé d'interrompre celle-ci pour venir en Lorraine où les événements prenaient une tournure d'autant plus dangereuse que les résistances venaient de sa propre famille ou plutôt de celle de la reine Cunégonde. Le roi s'était montré plus que prévenant à l'égard de ses beaux-frères : l'un d'eux, Henri de Lützelbourg, lui avait succédé en 1004 à la tête du duché de Bavière[16] ; les autres nourrissaient des ambitions illimitées : Thierry s'était indûment emparé de l'évêché de Metz et, en 1008, le troisième, Adalbéron, briguait la succession de Liudolf au siège archiépiscopal de Trêves. Le roi, qui avait quelques raisons de se défier de lui, donna sa préférence à un dignitaire de l'église de Mayence Mégingaud. A cette nouvelle, Adalbéron s'empara du palais archiépiscopal et s'y fortifia, prêt à le défendre par les armes. Henri II ne pouvait tolérer pareille rébellion : il vint occuper Trêves, fit sacrer Mégingaud qui ne put pourtant se maintenir dans la ville et dut s'installer à Coblentz. Adalbéron, persévérant dans sa révolte, noua une véritable coalition contre le roi avec ses deux frères, Thierry, évêque de Metz, et Henri V de Bavière. La situation devenait, de ce fait, extrêmement grave. En 1009, Henri II fut obligé de venir en Lorraine ; il ravagea les terres de l'évêché de Metz, s'empara de Sarrebrück, sans pouvoir expulser Adalbéron. Il se retourna ensuite contre la Bavière et prononça la déchéance de son beau-frère, Henri, qui finira pourtant par se soumettre en 1017 et recouvrera son duché l'année suivante, mais Thierry, qui en 1018 reviendra, lui aussi, à de meilleurs sentiments, et Adalbéron n'en garderont pas moins leurs sièges épiscopaux[17]. AFFAIBLISSEMENT DU POUVOIR ROYAL. — Ainsi, pendant les premières années de son règne Henri II s'est trouvé aux prises avec une opposition acerbe qui a le plus souvent coïncidé avec des embarras extérieurs et qu'il a cherché à apaiser par une politique de conciliation plutôt que par une répression intransigeante et sans rémission. Il en est résulté un affaiblissement évident du pouvoir royal. Le roi n'a plus ses vassaux en main comme autrefois et, pour éviter de grossir le nombre des rebelles, il évite de disposer à sa guise des duchés, marches ou comtés qui, de plus en plus, apparaissent comme la propriété intangible de certaines familles. En Saxe, quand le duc Bernard disparaît (1011), son fils lui succède, quoiqu'il ne se recommande ni par sa valeur ni par son caractère brutal et emporté qui aliénera à l'Allemagne certaines tribus slaves[18], mais son élimination, qui eût évité à Henri II certains ennuis extérieurs, eût déchaîné la guerre civile. De même, lorsque, le 1er avril 1012, le jeune Hermann de Souabe vient à mourir, son duché passe à son beau-frère, Ernest de Bamberg, qui avait participé à la rébellion de 1003 et ne donnait que de médiocres garanties[19]. De ce fait, le régime seigneurial se fige dans le royaume de Germanie d'où Otton le Grand avait voulu l'éliminer, mais il faut reconnaître qu'il eût été difficile à Henri II d'opposer les mêmes barrières et de résister par la force. A cela plusieurs raisons. D'abord Henri II, malgré sa parenté avec la dynastie saxonne, n'aurait pu devenir roi sans l'assentiment des princes et l'absence d'héritier direct, en rendant nécessaire après sa mort une nouvelle élection, donne à ceux-ci une importance qu'ils n'avaient pas autrefois. A cette cause de faiblesse s'en ajoute une autre qui provient de l'absence d'un domaine royal : Henri II n'a pu conserver la Bavière après avoir reçu la couronne ; aussi ne dispose-t-il pas d'une force matérielle équivalente à celle des autres ducs ; il est réduit à l'impuissance, s'il ne trouve des concours parmi ses grands vassaux. Enfin, l'étendue de l'Empire et la multiplicité des problèmes extérieurs ne lui ont pas laissé le loisir de gouverner l'Allemagne ; les randonnées lointaines, auxquelles l'ont obligé les affaires de Pologne d'Italie et de Bourgogne, en le tenant trop longtemps éloigné de son royaume, ont permis aux ducs, margraves, comtes, de prendre, en l'absence du souverain, des habitudes d'indépendance qui ont beaucoup contribué à l'amoindrissement du pouvoir royal. Une seule force réelle subsiste, l'appui de l'Église, toujours reconnaissante à l'empereur d'une puissance territoriale sans cesse accrue. Encore peut-on observer, même de ce côté, certains symptômes alarmants. Des prélats, comme Héribert de Cologne et Gisiler de Magdebourg, comme Bernard d'Hildesheim et Arnulf d'Halberstadt, se sont laissé entraîner dans l'opposition et ont fait cause commune avec les adversaires de Henri II. Au début du règne, notamment, Bernard d'Hildesheim a reçu le prétendant Ekkehard dans sa ville épiscopale et lui a rendu les honneurs royaux, tandis que Gisiler se prononçait pour Hermann[20]. A Trèves et à Metz, les résistances, également d'ordre politique, ont été encore plus accusées. Ce sont là des indices d'une désagrégation dans le cadre national. Toutefois Henri II ne s'est pas laissé intimider et il a maintenu, avec plus de fermeté que dans ses rapports avec les princes laïques, les prérogatives de la couronne. Jamais les élections épiscopales n'ont été moins libres : à Magdebourg, après la mort de Gisiler (1004), le roi tient tête aux chanoines et, après bien des péripéties, impose son candidat, Taginon ; à Hambourg, il nomme, comme successeur à Liéwizon, le chapelain Hermann, bien que l'archevêque défunt eût recommandé son vicaire général, Oddon ; à Halberstadt, en 1023, il substitue l'abbé de Fulda, Brandag, à Hermann dont on sollicitait la désignation[21]. L'Église est donc restée au pouvoir du roi et elle lui demeure généralement attachée. Henri II a continué à son égard les faveurs dont les Ottons l'avaient comblée et le nombre des comtés appartenant aux évêques s'est sensiblement accru sous son règne[22], mais que ce dernier bastion de la défense monarchique vienne à sauter, la royauté allemande aura perdu tout pouvoir. L'AVÈNEMENT DE CONRAD II. — Le règne de Conrad II de Franconie (1024-1039), loin d'enrayer le déclin de la monarchie en Allemagne, l'a au contraire précipité. Pourtant, parmi les souverains qui se sont succédé jusqu'au milieu du XIe siècle, nul n'a été plus autoritaire, plus convaincu de ses droits, plus énergique dans la répression des soulèvements seigneuriaux, mais les circonstances qui ont entouré son avènement l'ont contraint à de nouvelles et très décisives concessions. A la mort de Henri II, survenue le 13 juillet 1024, il n'y a plus aucune descendance masculine d'Otton Ier. Dans ces conditions, c'est l'élection qui va décider entre les deux compétiteurs qui aspirent à la couronne, Conrad de Franconie, arrière-petit-fils d'Otton Ier par sa grand'mère, Edgitha, et le neveu de celui-ci, Conrad le Jeune. Lors de l'assemblée de Kamba (4 septembre 1024), l'initiative de l'archevêque de Mayence, appelé à donner le premier son avis, rallie à Conrad l'aîné les prélats et les princes, à l'exception des ducs de basse et de haute Lorraine, Gothelon et Thierry ; mais ceux-ci, après avoir essayé d'entraîner dans leur opposition les évêques de Nimègue, de Verdun, d'Utrecht et de Liège, constatent très vite l'insuccès de leur tentative et, cédant aux conseils de l'abbé Odilon de Cluny, de l'archevêque de Cologne et de l'évêque de Cambrai, se préparent à s'incliner devant le fait accompli, lorsque le soulèvement du beau-fils de Conrad II, le duc Ernest de Souabe, remet tout en question (1025)[23]. Ernest, qui convoitait le royaume de Bourgogne, voyait d'un mauvais œil les travaux d'approche de Conrad II pour l'annexer à ses propres États. Il fit partager ses ressentiments à l'ancien compétiteur de Conrad II, Conrad le Jeune, qui se trouvait mal récompensé de son désintéressement. Gothelon et Thierry jugèrent que l'occasion était bonne pour recommencer la tentative avortée ; le duc de Franconie, le comte Welf II et plusieurs seigneurs de la haute Allemagne se laissèrent entraîner. Une réconciliation intervint pourtant au début de 1026 et le duc de Souabe accompagna son beau-père en Italie, mais Welf, profitant de cette absence, donna le signal de l'insurrection en s'emparant d'Augsbourg. Ernest, aussitôt dépêché par l'empereur pour le ramener à la raison, s'empressa de faire cause commune avec lui et alla piller l'Alsace, tandis que la Haute-Lorraine s'agitait à la voix de Thierry qui venait de succéder à son père Frédéric, mort en Italie le 2 février 1027[24]. Revenu en Allemagne. Conrad II convoque les rebelles devant une assemblée qu'il réunit à Ulm. Ernest de Souabe, ne se sentant pas très solide, n'ose se dérober et vient solliciter son pardon, accompagné de Welf. L'empereur les fait emprisonner l'un et l'autre avec leurs complices, puis va ravager la Souabe où quelques seigneurs essayaient de prolonger la résistance, se rencontre à Worms avec son cousin, Conrad le Jeune, accouru lui aussi pour faire sa soumission et auquel, après quelques semaines d'emprisonnement, il restitue ses fiefs, non sans avoir détruit ses châteaux[25]. Ernest lui-même sera gracié, mais, peu sensible à cet acte de clémence, il intriguera de nouveau, jusqu'au jour où il trouvera la mort dans un combat (17 août 1030)[26]. CONRAD II ET L'HÉRÉDITÉ DES FIEFS. — La mort d'Ernest de Souabe met fin à toute opposition et il n'est pas douteux que Conrad II ait inspiré une crainte respectueuse, messagère de la tranquillité et de l'ordre intérieur. Cependant c'est sous son règne que le régime seigneurial a conquis en Allemagne, comme en Italie, des positions définitives. On a vu comment, dans la péninsule, une constitution célèbre a consacré l'hérédité des fiefs. Wipon affirme que l'empereur a accepté en Allemagne le même mode de transmission et il n'y a pas lieu de soupçonner la véracité de cette- affirmation que corroborent certains exemples précis[27] : on constate en effet que dans la marche de Misnie aussi bien que dans les comtés de Ratisbonne et de. Stade, les fils héritent de la dignité paternelle. En ce qui concerne les duchés, la politique de Conrad II est plus complexe : tantôt, l'hérédité a triomphé brutalement, comme en Lorraine où, après la mort de Frédéric, son plus proche parent, Gothelon, recueille son duché (1033), malgré l'inconvénient que pouvait présenter l'union sous un même pouvoir de la haute et de la basse Lorraine ; tantôt, tout en s'inspirant du même principe, Conrad II s'arrange pour faire tourner l'hérédité au bénéfice de la royauté : en Bavière, le duc Henri étant mort sans enfant (27 ou 28 février 1026), il remet le duché à son propre fils, Henri, alors âgé de dix ans, mais il se trouve que Henri, à part le prince hongrois Émeric, est le plus proche parent du défunt ; en Souabe, au duc Ernest succède son frère, Hermann IV, mais, lorsque Hermann disparaît à son tour, le duché revient à la mère des deux princes qui n'est autre que l'impératrice Gisèle et, par elle, à Henri, fils de l'empereur[28]. La politique de Conrad II est en somme une combinaison de celle de Henri Ier et de celle d'Otton le Grand. Comme Henri, le roi prend son parti des usages inhérents au régime seigneurial, mais, comme Otton, il s'efforce, par certaines habiletés, d'en tirer le meilleur parti possible. Il persiste d'ailleurs à considérer les ducs, margraves, comtes comme des fonctionnaires de la couronne et il le leur rappelle parfois avec une certaine brutalité[29], mais, en admettant l'hérédité de leurs offices, il assigne un temps limité à ses prétentions. D'autre part, il a voulu s'attacher la petite féodalité, en décidant que les vassaux d'ordre inférieur pourraient, en certaines circonstances, être convoqués directement par le roi, et s'assurer éventuellement contre les ducs des concours qui pouvaient lui être très précieux, mais cette politique ne pouvait, elle aussi, que compromettre l'avenir et préparer en Allemagne l'avènement d'un régime analogue à celui dont souffraient les autres monarchies occidentales, en sorte que, par un singulier paradoxe, c'est le plus despote parmi les empereurs des Xe-XIe siècles qui a le plus largement contribué à la transformation féodale du royaume germanique. POLITIQUE ECCLÉSIASTIQUE DE CONRAD II. — La politique religieuse de Conrad II devait aboutir, par d'autres voies, au même résultat. Il n'y a pas lieu de revenir ici sur son attitude hostile à la réforme de l'Église. Ce qu'il faut noter avant tout, c'est que par son intervention constante dans les affaires ecclésiastiques et par la désinvolture avec laquelle il les a traitées, il a accentué le mécontentement de l'épiscopat. Il considère en effet les évêques comme de simples fonctionnaires et n'admet pas de leur part la moindre résistance à sa volonté ; il légifère en toutes choses, même en ce qui concerne la liturgie, sans se soucier des traditions canoniques, modifie à son gré les circonscriptions diocésaines, enlève des comtés et des abbayes à des évêques pour les donner à d'autres et pourvoit aux vacances épiscopales, sans même informer le métropolitain du ressort[30]. Pour toutes ces raisons, il a ébranlé parmi le haut clergé la popularité dont avaient joui tous ses prédécesseurs et son attitude à l'égard d'Aribert de Milan n'était pas faite pour enrayer le mouvement de désaffection et de défiance que l'on observe pendant les dernières années du règne. HENRI III. — La mort de Conrad II (4 juin 1039) a provoqué une détente momentanée. L'empereur, pour éviter une nouvelle élection après sa mort, avait pris la précaution de rétablir implicitement l'hérédité de la couronne en faisant proclamer et couronner roi, dès le 14 avril 1028, son fils, le futur Henri III, qui fut, à partir de cette date, associé à tous les actes de son gouvernement. Par sa piété le jeune prince s'était concilié de bonne heure la sympathie de tous les hommes d'Église ; d'autre part il avait pris personnellement part aux affaires de Hongrie et aux expéditions contre les Slaves, achevant par là de créer autour de lui une atmosphère de confiance ; la modération de son gouvernement, succédant au despotisme de Conrad II, acheva d'affermir sa popularité, si bien que les premières années du règne furent tout à fait paisibles. Une fois de plus, les problèmes extérieurs, en étant la source de continuelles absences, faciliteront les visées ambitieuses de certains princes cupides ; les dangers de la politique suivie par Conrad II, contre laquelle Henri III essaiera timidement de réagir, surgiront alors en un relief impressionnant, Le nouveau roi s'imagine en effet que, malgré les concessions antérieures, il peut toujours disposer des duchés à sa guise. Cette prétention manifestement périmée, est à l'origine des difficultés qu'il a rencontrées à l'Ouest et à l'Est, en Lorraine et en Bavière. L'OPPOSITION LORRAINE. — Le 19 avril 1044, mourut le duc Gothelon qui, depuis 1033, gouvernait à la fois la haute et la basse Lorraine, avec le concours, depuis plusieurs années, de son fils aîné, Godefroy le Barbu qui se trouvait par là désigné comme son héritier. Henri III veut, au contraire, rétablir la division du duché abolie par son père, et donne la Basse-Lorraine au cadet du défunt, Gothelon II. Godefroy s'insurge contre cette décision ; il est déposé et prend les armes ; en 1045, il est vaincu et emprisonné à Halle, mais, en 1046, la mort sans postérité de Gothelon II, investi de la totalité dn duché, remet tout en question. Pour affirmer sa prérogative royale, Henri III rend à Godefroy, avec la liberté, la possession de la Haute-Lorraine, mais transfère la Basse-Lorraine à un prince de la maison de Luxembourg, le comte Frédéric. Godefroy paraît un moment se rallier à cette combinaison, mais, dès que le roi est parti pour l'Italie où il va chercher la couronne impériale, il s'insurge à nouveau, négocie avec le roi de France, Henri Ier, qui, sur les représentations énergiques de Wason, évêque de Liège, n'ose persévérer dans un projet de marche sur Aix-la-Chapelle, réussit du moins, après cet échec, à s'assurer le concours du comte de Flandre, Baudouin V, qui avait pourtant reçu la marche d'Anvers des mains de l'empereur. Au moment où celui-ci va s'engager en Hongrie, le complot éclate et jusqu'à sa mort (1055), Henri III ne connaîtra plus un moment de répit : en 1047, il échoue dans une expédition sur le Bas-Rhin et doit abandonner Nimègue où ses partisans sont massacrés ; l'énergique résistance de Wason à Liège lui permet du moins de reconstituer une armée, mais il lui faut encore deux ans (1047-1049) pour obtenir la soumission, des rebelles. Encore Baudouin V se révolte-t-il à nouveau en 1050, ce qui amène la dévastation de la Flandre, mais n'empêche pas, en 1051, l'occupation de Mons par le fils du comte, également nommé Baudouin, à la suite de son mariage avec Richilde, veuve de Hermann, à qui appartenait cette ville. Deux nouvelles campagnes, en 1054 et 1055, n'aboutissent à aucun résultat et le mariage de Godefroy le Barbu avec Béatrix de Toscane fortifie encore l'opposition lorraine. La question de l'Ouest n'est pas résolue au moment où meurt Henri III[31]. L'OPPOSITION BAVAROISE. — La question bavaroise, en revanche, a été dénouée quelques mois avant la disparition de l'empereur, mais après lui avoir donné des soucis analogues. Au moment où il recueillait la succession paternelle, Henri III était duc de Bavière. Jusqu'en 1042 il garda le duché, mais, à cette date, ne pouvant plus l'administrer tout en dirigeant la politique extérieure, il le livra à Henri, fils aîné du comte de Luxembourg, en y ajoutant la Souabe qu'il gouvernait aussi par lui-même. A la mort de Henri VII (1047), Otton III de Schweinfurth reçut la Souabe et le comte palatin Conrad de Zütphen la Bavière ; mais, en 1053, Henri III transféra ce dernier duché à son fils aîné, Henri, et ce fut pour lui l'origine des plus lourdes difficultés. Conrad ne voulut pas accepter la sentence qui le frappait ; il groupa autour de lui pas mal de mécontents, dont l'évêque de Ratisbonne, Gebhard, et le duc de Carinthie, Welf ; jusqu'à sa mort (15 décembre 1055), Conrad ne cessa d'agiter le pays, sans doute de concert avec Baudouin de Flandre et Godefroy de Lorraine, sans que Henri III, retenu en Italie ou ailleurs, pût organiser une répression efficace. Cependant, avant de mourir, l'empereur, qui avait successivement institué comme duc de Bavière son fils Henri, puis Conrad (mort le 10 avril 1055), put encore une fois disposer du duché, cette fois en faveur de sa femme, l'impératrice Agnès qui le gouverna jusqu'en 1061[32]. LA ROYAUTÉ GERMANIQUE À LA MORT DE HENRI III. — La mort de Henri III (5 octobre 1056) est pour l'Allemagne une véritable catastrophe. La situation extérieure, ou l'a vu, est loin d'être brillante. A l'intérieur, il faut compter avec les ducs que le roi ne peut plus manœuvrer à sa fantaisie et qui revendiquent le privilège de disposer par eux-mêmes de leurs dignités suivant les usages successoraux. Margraves et comtes jousisent du même privilège, formellement reconnu par Conrad II, et sur lequel il est désormais impossible de revenir. Comme l'héritier de l'empereur défunt, le jeune Henri IV, né sans doute en 1052, a tout au plus quatre ans, une régence est nécessaire et cela n'est pas fait pour rendre de la vigueur au pouvoir monarchique affaibli. Aussi le régime seigneurial, déjà installé en Allemagne à la mort de Henri III, va-t-il s'affermir encore davantage ; ducs, margraves et comtes manifesteront par des actes positifs qu'ils se considèrent comme indépendants de la couronne et ainsi se préparera le mouvement qui, au début de la lutte du Sacerdoce et de l'Empire, aboutira à l'élection comme antiroi, à la place de Henri IV déposé, du duc de Souabe, Rodolphe de Rheinfelden (1077). LA MINORITÉ DE HENRI IV. — L'impératrice Agnès, après la mort de Henri III, assume la régence au nom de son fils Henri IV. Elle se heurte immédiatement à toutes sortes de difficultés qu'elle résout d'ailleurs avec beaucoup de prudence. Baudouin V de Flandre espère, à la faveur d'une minorité, compléter les avantages précédemment acquis, Dans la marche du Nord, la mort -du margrave Guillaume, tué dans un combat malheureux contre les Liutices (10 septembre 1056), ouvre une crise de succession inquiétante : le demi-frère du défunt, Otton, évincé par Udon de Stade qui avait toute la confiance de la cour, cherche à soulever la Saxe. En Franconie, Frédéric de Gleichberg s'insurge, tandis qu'à la frontière de l'Elbe les Slaves s'agitent à nouveau[33]. Devant cette effervescence générale, la régente procède avec méthode : elle désarme Baudouin V en lui reconnaissant la possession de tous les fiefs qui étaient rattachés à la Flandre au temps de Henri II[34]. Dans l'été de 1057, elle conduit Henri IV à Paderborn et la mort d'Otton au combat de Haus-Neindorf, en assurant à Udon la succession de la marche du Nord, ramène la tranquillité en Saxe. En Franconie enfin, l'insurrection de Frédéric de Gleichberg est réprimée sans difficulté[35]. Partout le calme est rétabli et, grâce à la sagesse d'Agnès, il semble que le règne de Henri III continue. Toutefois la régente, pour éviter le mécontentement des princes, est contrainte à une politique d'abandon. A la mort d'Otton III de Souabe (28 septembre 1057), elle remet ce duché à Rodolphe de Rheinfelden, le futur antiroi, qu'elle a d'ailleurs soin de fiancer à l'une de ses filles, Mathilde[36], et, pour dédommager le comte Berthold, auquel Henri III avait promis la succession d'Otton, elle l'investit de la Carinthie (1061)[37]. Au même moment, elle se désiste du gouvernement de la Bavière, qu'elle administrait depuis la mort de son second fils, Conrad, en faveur de comte saxon Otton de Nordheim[38]. Malgré ces concessions, elle sera renversée, en avril 1062, par un coup d'État dont les véritables organisateurs seront l'archevêque de Cologne, Annon, et le nouveau duc de Bavière[39]. Ainsi s'affirme le triomphe de la haute féodalité allemande, devenue plus forte que la royauté. Or, au même moment, l'Église romaine s'affranchit de la tutelle germanique et la chute du césaro-papisme impérial, coïncidant avec celui de l'absolutisme royal, c'est une crise terrible qui s'ouvre pour la monarchie franconienne. Elle sera marquée tout à la fois par la lutte contre la papauté et par la lutte contre les princes allemands, désormais inséparables l'une de l'autre. II. — La France sous les premiers Capétiens[40]. APOGÉE DU RÉGIME SEIGNEURIAL. — En France, le changement de dynastie de 987 coïncide avec l'apogée du régime seigneurial. Au moment où Hugue Capet reçoit la couronne, devenue vacante par la mort du Carolingien Louis V, le royaume est partagé en une quinzaine de grands domaines, véritables États provinciaux, gouvernés par des dynasties héréditaires, qui échappent totalement à l'action royale et se subdivisent eux-mêmes en une foule de seigneuries vassales dont les titulaires ont plus ou moins usurpé, à leur tour, les droits régaliens. La carte de France offre l'aspect d'une vaste mosaïque où émergent cependant quelques unités des- ' tinées à former les grands fiefs. LES GRANDS FIEFS. — Au Nord, entre l'Escaut, la mer du Nord et la Canche, une ancienne marche carolingienne a formé la Flandre, dont le comte ou marquis est encore suzerain des comtés de Ternois et de Boulenois. Plus au Sud, le Vermandois n'est plus qu'un petit comté dont le centre est Saint-Quentin. La Champagne a au contraire gardé l'importance qu'elle avait à la fin de la période carolingienne : elle englobe, sous la domination -d'Herbert le Jeune, les villes de Troyes, Meaux, Provins et Vitry, puis l'Omois, le Morvois, le Tardenois, l'Ornois et les comtés vassaux de Brienne et de Rosnay. Le duché de Bourgogne, qui, lui fait suite au Sud, a une structure assez complexe : il comprend d'abord les comtés d'Autun, Beaune, Avallon, Auxerre et Nevers qui relèvent directement du duc, représenté par un vicomte, puis les comtés de Mâcon, d'Auxois, de Duesmois, d'Atuyer, de Chaunois et de Sens, tous à peu près indépendants ; le comte de Champagne est vassal du duc de Bourgogne pour le comté de Troyes ; en revanche, le Tonnerrois, le Boulenois et le Barrois dépendent de l'évêque de Langres. L'Ouest est partagé en une série de principautés dont certaines sont déjà bien constituées. C'est le cas de la Normandie qui, limitée vers l'Est par l'Epte et la Bresle, s'étend, le long de la côte, de l'Epte au Couesnon ; son duc est le plus puissant des grands vassaux, car la plupart des comtés lui appartiennent. A côté de la Normandie, l'ancien vicomte de Tours a formé, de pièces et de morceaux, par l'annexion de Blois, de Châteaudun et de Chartres, un État assez fort qui jouera un rôle important sous les premiers Capétiens. Le comté de Maine est encore indépendant et le comté d'Anjou n'est qu'une petite principauté qui, sous le gouvernement de Foulque Nerra (987-1040), tendra à devenir l'un des grands fiefs de l'Ouest. La Bretagne enfin, convoitée par les comtes d'Anjou, par les comtes de Chartres et par les ducs de Normandie, est actuellement partagée entre les comtes de Nantes et de Rennes qui, pour échapper à la suzeraineté des maisons voisines, essaient de prêter directement hommage au roi. Au sud de la Loire, on distingue cinq États principaux : d'abord le duché d'Aquitaine où Guillaume IV Fiérebrace n'a de pouvoir véritable que sur le comté de Poitiers : les comtes d'Auvergne, d'Angoumois, de Saintonge et de Périgord, les vicomtes de Limoges, les seigneurs d'une partie du Berry sont ses vassaux, mais n'ont guère de rapports avec lui. Entre la Garonne et les Pyrénées, la Gascogne, où les comtes de Bordeaux usurpent parfois le titre du duc, est une unité assez flottante où se pressent, en bordure de la montagne, un bon nombre de comtes ou de vicomtes indépendants. La marche de Toulouse, à laquelle sont annexés les comtés d'Albigeois et de Quercy, a aussi son existence propre, de même que la marche de Gothie, ancienne Septimanie, dont le titulaire, Raymond II, comte de Rouergue, cadet de la maison de Toulouse, ne règne guère qu'à Narbonne et à Rodez, sans pouvoir faire respecter son autorité parles comtes de Nîmes, Substantion, Agde, Lodève, Béziers et Minerve. Enfin la marche d'Espagne s'étend au nord et au sud des Pyrénées orientales, avec Barcelone pour capitale, et demeure à peu près étrangère aux affaires du royaume. Tels sont les divers États — on ne saurait employer un autre terme — qui composent le regnum Francorum[41]. Cette simple revue fait ressortir la différence qui existe entre la France et l'Allemagne, scindée en quelques duchés moins nombreux et d'un caractère ethnique plus marqué. D'autre part, tandis qu'au temps des Ottons, les ducs et leurs subordonnés sont encore des fonctionnaires de la couronne, Hugue Capet n'exerce sur les grandes unités provinciales qu'une suzeraineté illusoire. En Allemagne, la royauté a pour tâche de maintenir ses prérogatives ; en France, elle doit les reconquérir. L'ÉGLISE. — Dans le royaume de Germanie, l'Église est entrée dans les cadres du régime seigneurial et devenue une grande puissance territoriale, mais, comme elle est à l'abri de toute hérédité, le roi est resté le maître des évêchés dont il nomme les titulaires. En France, sur soixante-dix-sept diocèses que comprend le regnum Francorum, il n'y en a guère que vingt à vingt-cinq dont Hugue Capet désigne les évêques ; encore sont-ils presque tous situés dans les provinces ecclésiastiques de Reims et de Sens[42]. Par suite, le pouvoir du roi sur l'Église est beaucoup plus limité et celui des grands feudataires, maîtres des évêchés seigneuriaux, s'accroît d'autant. L'évêque jouit d'ailleurs, le plus souvent, d'une réelle indépendance ; il a, assez fréquemment, acquis le pouvoir temporel au moins dans sa cité épiscopale, mais il ne dispose pas de l'immense puissance domaniale qui lui a été conférée en Germanie. Le rôle politique de l'épiscopat sera très important à certaines heures et, avec la féodalité, l'Église apparaît en France comme la grande force avec laquelle la royauté devra compter. LE POUVOIR ROYAL. — Il résulte de tout ce qui précède que le pouvoir royal demeure très effacé : Hugue Capet est sous la dépendance étroite de la féodalité qui l'a élu, de l'Église qui l'a sacré ; il ne peut rien sans l'une et sans l'autre. Cependant il ne faudrait pas exagérer cette faiblesse de l'autorité monarchique qui, quoique très amoindrie, garde dans son jeu certains atouts qu'elle pourra faire valoir au moment opportun. Tout d'abord Hugue Capet est le maître d'un État analogue à ces unités provinciales dont il a été parlé plus haut : c'est le domaine royal dont l'absence, à partir du XIe siècle, pèsera terriblement sur les destinées de la royauté germanique. Ce domaine est constitué à la fois par les pays que Hugue possédait personnellement au moment de son élection et par ceux qui proviennent de l'héritage carolingien", soit, d'une part, la région de Paris, Étampes, Orléans, Melun, et, de l'autre, les pays d'Aisne et Oise avec Compiègne, Reims et Laon. Toutefois, à la fin du Xe siècle, de nombreuses inféodations en ont diminué l'importance : pour témoigner sa reconnaissance à son fidèle Bouchard, Hugue Capet lui a cédé le comté de Melun et même, un moment, celui de Paris ; de même il a donné la ville de Laon à l'évêque qui est aussi le maître à Reims, à Châlons et à Noyon. D'ailleurs l'autorité du roi est supplantée par celle de petits vassaux laïques, tels que les comtes de Vendômois, de Corbonnais, de Gâtinais, de Valois, du Soissonnais, du Vexin français, du Beauvaisis, de l'Amiénois, du Ponthieu et le vicomte de Bourges, sans compter les seigneurs de moindre importance dont les donjons commanderont bientôt les routes qui relient les différentes villes du domaine[43]. Tels quel, ce domaine est loin d'être négligeable. Il est d'abord admirablement situé et, pour peu que le roi puisse l'agrandir, il lui apportera la force matérielle nécessaire pour rendre effectives les prérogatives toutes théoriques rattachées à sa situation de suzerain. On ne saurait en effet méconnaître la valeur des droits que le roi tire du lien vassalique par lequel les grands feudataires se rattachent à lui. Si pratiquement ils sont ses égaux, juridiquement il leur est supérieur : il peut exiger d'eux le service de cour et les convoquer à des assemblées pour traiter, suivant l'expression célèbre de Fulbert de Chartres, de la justice, de la paix, de l'état du royaume, de l'honneur de l'Église[44] ; il est la source de tout droit et peut promulguer des ordonnances générales communes à tous ceux qui font partie du regnum Francorum ; il est aussi le gardien de la paix et sa justice est supérieure à toute autre justice. En outre, à ce pouvoir fondé sur le droit féodal s'en ajoute un autre qui lui vient du sacre : le roi est l'oint du seigneur, ce qui lui confère une force morale, un prestige religieux qui le rendent supérieur à ses grands vassaux[45]. Qu'il ait un jour les moyens suffisants pour exercer ces diverses prérogatives, et l'absolutisme monarchique s'édifiera sur les ruines du régime seigneurial, mais ces moyens il s'agit de les créer par l'extension du domaine royal, par d'habiles interventions dans les conflits entre grands vassaux. C'est à cette double tâche que vont s'appliquer les premiers Capétiens dans leurs rapports avec le monde féodal, mais, auparavant, il a fallu régler la question dynastique qui, en 987, prime toutes les autres. LA QUESTION DYNASTIQUE. — Après l'élection et le sacre, Hugue Capet se trouve en face d'un compétiteur, Charles, duc de Basse-Lorraine, frère de Lothaire et dernier représentant de la famille carolingienne, dont les chances sont loin d'être nulles. Dans son duché Charles trouve une bonne partie des forces nécessaires à la lutte et, d'autre part, il conserve, dans l'ancien domaine carolingien, des intelligences grâce auxquelles il peut, avec le concours d'un bâtard de Lothaire, Arnoul, pénétrer dans Laon ; il a désormais une excellente base d'opérations (mai 988), et Hugue Capet le comprend si bien qu'il essaie aussitôt de reprendre la ville, mais, par deux fois, il échoue (juin et octobre 988)[46]. Les choses prenaient mauvaise tournure pour le roi capétien qui n'est pas au bout de ses déceptions. Le 23 janvier 989, la mort de l'archevêque de Reims, Adalbéron, le prive de son plus solide appui[47]. Avec l'espoir de dissocier les forces adverses, il donne comme successeur au fidèle prélat cet Arnoul qui avait livré Laon à Charles de Lorraine. C'est de sa part une grosse maladresse : il mécontente Gerbert, ami et collaborateur du défunt, qui escomptait son héritage, et ne réussit qu'à perdre Reims que, par une abominable trahison, Arnoul remet aussitôt à Charles de Lorraine[48]. Cette fois, la partie semble perdue pour lui. Toutes ses tentatives d'intimidation échouent : il somme Arnoul de comparaître devant un concile ; à Senlis, et se heurte à une dédaigneuse fin de non recevoir ; il en appelle au pape Jean XV, dont il sollicite la condamnation de l'archevêque rebelle, et ne peut décider le pontife à rompre le silence[49]. Il ne lui reste plus d'autre solution que celle des armes : avec six mille hommes il se jette sur le Laonnais, mais il suffit d'une sortie de Charles pour qu'il batte en retraite : la guerre n'a pas mieux réussi que la diplomatie et c'est une ruse savante, ourdie par l'évêque de Laon, Ascelin, qui rétablit la situation : le peu scrupuleux prélat s'arrange pour faire tomber entre les mains de Hugue Capet Charles de Lorraine, sa femme et ses deux fils, Louis et Charles (29 mars 991). Tous sont emprisonnés à Orléans et, grâce à ce dénouement imprévu, Hugue Capet est désormais sûr de régner[50]. Si Charles de Lorraine est hors d'état de nuire, il reste encore Arnoul dont il y a toutes raisons de se défier. Hugue Capet cherche à se débarrasser de lui en le faisant condamner par un concile qu'il réunit à Saint-Basle de Verzy, au diocèse de Reims, et auquel il arrache sans difficulté une sentence de déposition, suivie de l'élection de Gerbert comme archevêque de la grande métropole (17-21 juin 991)[51]. Toutefois ce procès, anti-canonique au premier chef, puisqu'on ne pouvait reprocher à Arnoul aucune faute d'ordre ecclésiastique, produit une certaine émotion à la cour pontificale : Jean XV, après avoir vainement essayé d'éclaircir l'affaire par l'intermédiaire de deux légats, mande à Rome les évêques français et, avec eux, Hugue Capet et son fils Robert. Le roi défend aux prélats de se rendre à l'appel du pape et convoque à Chelles un nouveau concile qui ose prétendre que si le pape de Rome avance une opinion contraire aux canons des Pères, elle doit être tenue pour nulle, conformément à la parole de l'Apôtre : fuyez l'hérétique. Dès lors, le conflit entre la royauté capétienne et le Saint-Siège s'envenime de plus en plus, malgré les efforts conciliateurs du pape qui se heurtent toujours à l'intransigeance de Hugue Capet : le 1er juillet 995, un troisième concile, réuni à Reims, maintient les décisions prises à Saint-Basle. C'est seulement après la mort de Jean XV (avril 996), bientôt suivie de celle de Hugue Capet (24 octobre 996), que l'on s'achemine vers une solution définitive. Le nouveau pape, Grégoire V, avec son énergie parfois brutale, inaugure son pontificat en suspendant tous les évêques qui avaient pris part au concile de Saint-Basle et provoque par là une panique générale. Par ailleurs le roi Robert, pour éviter l'excommunication qui le menace en raison de son union incestueuse avec sa cousine Berthe, se montre disposé à céder et envisage immédiatement le départ possible de Gerbert qui précipite les événements en quittant Reims pour se réfugier auprès d'Otton III. Arnoul est rétabli (février 998), ce qui n'empêche pas Robert d'être frappé d'anathème pour son mariage contraire aux canons, et il n'a plus le moindre désir de reprendre la lutte contre la maison capétienne [52]. La question dynastique est enfin réglée et rien n'empêchera désormais le roi de s'adonner à l'œuvre qui le sollicite. LE RÈGNE DE HUGUE CAPET (987-996). — Hugue Capet n'a pas attendu la fin des luttes dynastiques pour entre- prendre cette tâche. Dès la première année de son règne, il s'est hâté d'assurer l'avenir de sa dynastie en ressuscitant à son profit un usage carolingien : quelques mois après son élection, il a associé à la royauté son fils aîné, Robert (30 décembre 987)[53]. C'était de sa part un trait de géniale audace. Grâce à cette fiction, le pouvoir royal, exercé en commun, devient tout à la fois indivisible et héréditaire : comme il n'y a division ni du royaume ni des attributions, lorsque l'un des deux rois disparaît, l'autre reste investi de la fonction qu'il exerce seul ; aucune élection n'est nécessaire et l'idée d'un partage entre les fils du défunt ne peut être envisagée. Hugue Capet a créé de la sorte un précédent qui se perpétuera sous ses successeurs : Robert associera à sa puissance son fils Hugue, puis, après la mort de celui-ci, son second fils, Henri Ier, lequel fera sacrer, de son vivant, son fils Philippe, quoique encore mineur. En outre, Hugue a fixé l'orientation de la politique capétienne dans ses rapports avec ses vassaux. D'une part, il a essayé d'accroître le domaine royal : non content d'y englober les possessions carolingiennes, il a annexé Senlis et Dreux, par suite de l'extinction des dynasties locales[54]. D'autre part, il est intervenu dans la guerre qui mettait aux prises deux de ses grands vassaux, le comte d'Anjou, Foulque Nerra, et le comte de Blois, Eude Ier[55]. En février 996, au moment où Eude assiège Foulque dans Langeais, il paraît sur la Loire et oblige le comte de Blois à solliciter une trêve qui permet à l'Angevin d'éviter une défaite[56]. Sans doute il ne faudrait pas exagérer la valeur de ces divers événements. Il n'en est pas moins vrai que le rôle politique joué par Hugue Capet atteste de sa part une réelle intelligence de la situation ; ce roi, dont les chroniqueurs n'ont laissé aucun portrait, a pu, tour à tour, s'effacer et se mettre en avant ; par sa modération, qui n'exclut pas l'énergie, il a maintenu les positions de la royauté en face des grands vassaux et permis à sa dynastie de se perpétuer. ROBERT LE PIEUX (996-1031). — Le successeur de Hugue Capet, son fils Robert le Pieux, continue, de 996 à 1031, l'œuvre paternelle. Il est beaucoup mieux connu. Son biographe, Helgaud, a dépeint sa physionomie avec beaucoup d'art, rendant assez bien compte des deux traits fondamentaux de son caractère : la piété et l'activité. Ce n'est pas seulement, comme on l'a cru longtemps, un prince qui excelle à chanter au lutrin ; c'est aussi un chevalier qui aime la chasse et la guerre : il participera en personne à toutes les expéditions du règne et ne craindra pas de s'exposer lui-même aux sièges de Bourges et de Sens. Si soumis qu'il soit aux lois de l'Église, il ne leur sacrifiera pas les exigences de son tempérament sensuel : par passion pour sa cousine Berthe, veuve du comte de Blois, qu'il épousera illicitement après avoir répudié sa première femme, Suzanne[57], il acceptera d'être, pendant cinq ans, sous le coup de l'anathème et c'est seulement la stérilité de cette union, condamnée par l'Église, qui le décidera à se séparer de Berthe, pour épouser Constance d'Arles dont la fécondité compensera le mauvais caractère[58]. LA CONQUÊTE DE LA BOURGOGNE. — Le règne a brillante allure au début. Le 15 octobre 1002, le duc de Bourgogne, Henri, oncle de Robert, meurt sans laisser d'enfants. Sa succession est revendiquée tout à la fois par le roi et par un vassal d'Henri, le comte de Bourgogne, Otte-Guillaume. Otte prend les devants et occupe le duché. Robert ne se laisse pas intimider : au printemps de 1003, il se met en campagne, échoue devant Auxerre, mais ravage la Bourgogne jusqu'à la Saône. En 1005, sa ténacité est récompensée par des succès décisifs : il prend Avallon et Auxerre, se fait reconnaître à Autun ; Sens, au contraire, lui résistera jusqu'en 1015, et la prise de Dijon complétera la même année celle de la grande capitale religieuse. La mort de Brunon, évêque de Langres (31 janvier 1016), lui enlève ses derniers adversaires. A ce moment, la conquête de la Bourgogne peut être considérée comme achevée et elle augmente singulièrement la puissance royale. Robert confie l'administration du duché à son fils Henri, mais il en reste le maître et c'est seulement Henri Ier qui l'inféodera à son frère Robert, perdant ainsi tout le bénéfice de l'exploit accompli par son père[59]. ROBERT LE PIEUX ET LA FÉODALITÉ. — En même temps qu'il accroît -le domaine royal, Robert s'efforce aussi d'affermir son pouvoir sur le monde féodal. Il donne, comme on l'a déjà noté, son appui au mouvement en faveur de la paix de Dieu. Il tient tête à la petite féodalité du domaine et réprime courageusement ses excès : il n'hésite pas, par exemple, à détruire le château d'Yèvre dont le possesseur, un certain Arnulf ; inquiétait les moines de Saint-Benoît-sur-Loire ; en Berry, il inflige le même sort à celui de Déols, dont le seigneur, Eude, se montrait cruel à l'égard des moines de Massay (999), mais il ne peut empêcher l'opiniâtre baron de reconstruire sa forteresse qu'il revient aussitôt assiéger, sans succès cette fois ; il rase enfin le château de Gallardon, très redouté des chanoines de Chartres[60]. Robert a été moins heureux dans ses rapports avec les grands vassaux. Sans doute on relève à son actif quelques interventions, comme celle qui, en 1014, mit fin à une guerre entre le comte Eude II de Blois et le duc Richard de Normandie[61], mais c'est aussi pendant son règne que l'on voit s'ébaucher l'opposition féodale qui, par la suite, portera les plus terribles coups à la monarchie capétienne. En 1023, le comte de Blois et Chartres, Eude II, annexe la Champagne avec Troyes et Meaux, sans que le roi ait pu prévenir l'encerclement de son domaine par un prince particulièrement dangereux[62]. Eude est en effet le type de l'ambitieux dénué de scrupules, habile à dénicher les subtilités qui serviront de prétextes à ses conquêtes, passionné pour les combats et les mêlées sanglantes, incapable de vivre dans le repos et toujours prêt à troubler la quiétude de ses voisins. Pendant le règne de Robert, la lutte contre l'Anjou l'a surtout occupé[63], mais, après la perte de Saumur (1026) et un échec devant Amboise (1027), il va tourner d'un autre côté sa dévorante activité. Aussi, à la mort de Robert (20 juillet 1031), malgré les brillants résultats obtenus au cours du règne, la situation est-elle par certains côtés inquiétante pour la royauté. HENRI Ier (1031-1060). — Le successeur de Robert Ier, son fils Henri Ier, n'a pas la valeur de son père et de son aïeul. Bien que les traits de sa physionomie demeurent encore dans une certaine pénombre, on peut dire qu'il ne ressemble pas à ses prédécesseurs. Il a soulevé la réprobation des hommes d'Église pour sa proverbiale avidité qui l'a porté à vendre sans scrupules les évêchés et autres dignités ecclésiastiques[64]. Son intelligence semble avoir été plutôt médiocre ; s'il a fait preuve en maintes circonstances de bravoure et de vertus chevaleresques, il n'a pu tenir tête aux puissants adversaires avec lesquels il a été obligé de s'affronter. LA CRISE DYNASTIQUE ET LA LUTTE CONTRE LA MAISON DE BLOIS. — Le règne s'ouvre par une crise familiale. Le plus jeune fils de Robert le Pieux, qui répond lui aussi au nom de Robert, dispute la couronne à son frère aîné avec l'aide de sa mère, la reine Constance, qui avait toujours manifesté une préférence à son égard. Eude de Blois trouve là une occasion inespérée d'entrer en lice et se prononce en faveur du jeune compétiteur. Naturellement ses voisins, qui sont aussi ses rivaux, à savoir le duc de Normandie et le comte d'Anjou, restent fidèles à Henri, ainsi que le comte de Flandre. Eude, grâce à la complicité de Constance, occupe Sens. Henri est obligé de se réfugier en Normandie, mais il ne tarde pas à reprendre l'offensive et, avec Foulque Nerra, comte d'Anjou, vient mettre le siège devant Sens où il ne paraît pas avoir réussi à rentrer (juillet-août 1032). Finalement Constance revient à de meilleurs sentiments ; la paix est rétablie et, pour dédommager Robert, Henri Ier lui abandonne le duché de Bourgogne, annulant ainsi le grand avantage obtenu sous Robert le Pieux[65]. Il continue à lutter péniblement contre Eude II qui, au même moment, dispute le royaume de Bourgogne à Conrad II ; de là un rapprochement entre l'empereur et le roi de France qui ont une entrevue à Deville, sur la Meuse (mai 1033). De ce fait, la guerre se trouve reportée en Champagne et en Lorraine, où elle se poursuit jusqu'à la mort d'Eude, au combat de Bar (15 novembre 1037)[66]. La disparition du redoutable seigneur ne ramène pas la paix ; Henri Ier doit combattre encore plusieurs années contre ses deux fils, Thibaud et Étienne, qui se sont partagé ses États, l'un ayant pris Blois et Chartres, l'autre la Champagne, mais il détourne assez habilement la guerre vers l'Anjou en accordant au comte Geoffroy Martel, successeur de Foulque Nerra, l'investiture de la Touraine. Finalement, Étienne et Thibaud sont battus à Nouy et contraints à la paix (1044)[67]. Toutefois c'est seulement en 1055, à la-mort du vicomte Rainard, que Henri Ier pourra enfin récupérer Sens[68] et que se terminera la crise commencée au début du règne. HENRI Ier ET LA NORMANDIE. — Cette crise a eu un autre contre-coup inattendu. Dans sa guerre contre Eude de Blois, Henri Ier a dû faire appel au concours des Normands. Pour les remercier de l'appui qu'ils lui avaient prêté, il avait cédé à leur duc, Robert le Diable, le Vexin français. Il fut mal récompensé de cette nouvelle amputation du domaine, car le successeur de Robert le Diable, Guillaume le Bâtard, quoique le roi l'eût secouru contre ses barons révoltés et aidé dans sa lutte contre le comte d'Anjou, Geoffroy Martel[69], allait devenir son plus terrible ennemi. Du jour où se dessina cette menace, la politique de Henri Ier ne manqua pas d'habileté. Il se rapprocha du comte d'Anjou, Geoffroy Martel, menacé lui-même par l'ambition grandissante du jeune duc (1052) et encouragea la féodalité normande dans sa résistance à un absolutisme qui s'annonçait très dur. En 1054, une armée royale et une armée angevine envahissent la Normandie ; la première pénètre dans le pays de Caux et la seconde dans la région d'Évreux, mais Eude, frère du roi, se laisse battre à Mortemer et Henri Ier signe avec Guillaume une paix aux termes de laquelle il abandonne son allié angevin, ce qui amène la défaite de Geoffroy Martel. En 1058, le roi et le comte d'Anjou essaient de prendre leur revanche, mais ils sont de nouveau vaincus à Varaville, sur la Dives ; ils poursuivent cependant la guerre qui n'est pas terminée, au moment où meurt Henri Ier (4 août 1060)[70]. LE ROYAUME CAPÉTIEN A LA MORT DE HENRI Ier. — La situation qu'il lègue à son fils Philippe Ier, sacré roi le 23 mai 1059, est encore plus grave que celle qu'il avait trouvée à son avènement. Son règne de trente années a été marqué par un recul incontestable du pouvoir royal : le domaine, par l'inféodation du duché de Bourgogne et par l'abandon du Vexin français à la Normandie, se trouve réduit à la région parisienne avec l'annexe de Montreuil-sur-Mer, douaire de la reine Suzanne, que Robert le Pieux a conservé après la répudiation de la malheureuse princesse[71]. De plus, le roi a été incapable de se faire respecter par ses grands vassaux qui n'ont pas craint de l'attaquer et lui ont infligé d'humiliantes défaites. D'autre part, pendant que la royauté s'affaiblissait de la sorte, un travail de reconstitution et de regroupement s'est opéré dans les États provinciaux voisins du domaine royal : la Flandre, sous le gouvernement de Baudouin V (1036-1067), a réalisé de sérieux accroissements territoriaux dans la région entre Escaut et Dendre, et le mariage du futur Baudouin VI avec Richilde lui a valu la possession du Hainaut ; en même temps, l'autorité du comte s'est accrue et, grâce à la force dont il dispose, tous les espoirs semblent permis. En Normandie, l'avènement de Guillaume le Bâtard (1035) a donné une impulsion nouvelle et, si les grandes réalisations sont postérieures à la mort de Henri Ier, du moins le danger que court de ce côté le roi capétien s'est-il révélé pendant les dix dernières années du règne ; il est d'autant plus grave que le duc, par des exemples terribles, par des confiscations retentissantes, a réduit la petite féodalité tout en sachant éviter l'impopularité grâce à des mesures de clémence, et qu'en supprimant la liberté de tester il est arrivé à disposer des terres de ses chevaliers[72]. Le comté d'Anjou s'est également formé : Geoffroy Martel n'a pu conserver Nantes, mais, après ses victoires sur la maison de Blois, la Touraine reste acquise, ce qui constitue une étape essentielle[73]. Les États de l'Est font plus pâle figure : Robert Ier, duc de Bourgogne, n'a aucune activité politique ; Thibaud III, comte de Blois et Chartres, reconstituera un moment la domination de son père Eude II, en unissant la Champagne à son domaine, mais il n'a pas hérité des ambitions paternelles et ne fera guère parler de lui[74]. En résumé, la carte du nord de la France n'a pas évolué en faveur -du roi capétien. Sans doute le lien juridique qui unit les grands vassaux au roi conserve toute sa valeur. Au sacre de Philippe Ier (23 mai 1059), on note la présence du duc d'Aquitaine, des représentants du duc de Bourgogne, du comte de Flandre, du comte d'Anjou[75], mais c'est là un geste rituel et sans portée. Chacun de ces personnages est maître chez lui et traite le roi d'égal à égal Les efforts de la royauté ont échoué : le domaine ne s'est pas agrandi, les prérogatives suzeraines sont illusoires, et Henri Ier laisse comme successeur un enfant de huit ans. Philippe Ier. Cette minorité va aggraver la situation de la monarchie. LA MINORITÉ DE PHILIPPE Ier (1060-1067). — Avant de mourir, Henri Ier a confié la régence au comte de Flandre, Baudouin V. On connaît mal l'histoire du royaume pendant cette période qui dure jusqu'à la mort de Baudouin (1067), mais il résulte tout à la fois de certains récits hagiographiques et de la correspondance de l'archevêque de Reims, Gervais, qu'il y eut des troubles qui nécessitèrent des concessions de la part de Baudouin. Cette politique eut l'avantage de maintenir une tranquillité relative[76]. Il n'en est pas moins vrai que la féodalité à fortifié ses positions : à l'intérieur du domaine, l'insécurité sera grande pendant "tout le règne de Philippe Ier et un petit seigneur, comme celui de Puiset, pourra tenir en échec le roi de France[77]. Au dehors, le gouvernement personnel du jeune souverain débutera par une défaite retentissante en Flandre[78]. Enfin il s'est produit à la fin de la régence de Baudouin un autre événement d'une exceptionnelle gravité : le duc de Normandie,. Guillaume le Conquérant, que l'on peut considérer comme le plus puissant des grands vassaux, est devenu, en 1066, roi d'Angleterre et dès lors, non content d'avoir créé une puissance territoriale démesurée par rapport à celle des Capétiens, il apparaît comme son égal dans la hiérarchie. Aussi le problème des rapports de la monarchie capétienne avec la féodalité s'efface en quelque sorte devant la rivalité des deux royaumes et les grands vassaux vont soit se grouper autour des deux souverains, soit observer en spectateurs l'un des grands conflits du Moyen âge occidental. De même que l'histoire intérieure de la Germanie évolue, du jour où l'Église romaine a été affranchie, autour de la lutte du Sacerdoce et de l'Empire, de même toutes les manifestations du gouvernement et de la politique des Capétiens sont subordonnées, à partir de 1066, à leur rivalité avec la dynastie normande, née de la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant. III. — L'Angleterre sous Édouard le Confesseur. LE RÉGIME SEIGNEURIAL EN ANGLETERRE. — Le régime seigneurie a existé en Angleterre où ses origines sont également fort anciennes et où il a réalisé de grands progrès pendant le Xe siècle, au cours de la lutte contre les Danois. A l'époque d'Athelstan (925-939), tout homme libre est contraint d'avoir un seigneur ou thane et il y a presque autant de seigneurs que de villages. Ce thane est en effet le plus souvent, quoique non obligatoirement, un propriétaire foncier, possesseur d'au moins cinq hides de terre, astreint en même temps à des obligations militaires ; il peut dépendre directement du roi ou être subordonné à un autre thane ; de même ses pouvoirs, comme ceux du vassus sur le continent, sont essentiellement variables : tantôt il a la juridiction sur ses terres, tantôt au contraire il en est dépourvu[79]. Au même moment, on voit se créer la grande féodalité héréditaire qui, après la période danoise, va accaparer le pouvoir. Pour donner plus de cohésion à la résistance aux envahisseurs, Édouard l'Ancien (899-925), puis Athelstan (925-939) ont groupé plusieurs comtés sous le commandement d'un seul chef, l'ealdorman, dont la juridiction, originairement limitée à un comté, s'étendit sur des territoires groupant plusieurs de ces comtés et assez semblables aux grandes unités provinciales françaises : ainsi le Wessex, sous le règne d'Ethelred (978-1016), était divisé entre deux ealdormen et, en Mercie, l'ealdorman administrait la presque totalité de l'ancien royaume[80]. Ces ealdormen, du fait même de leur fonction, ont pris une grande importance qu'ils retrouveront après la période danoise. Cnut les a d'ailleurs conservés, mais en réduisant leur nombre à quatre dont chacun commandait l'un des anciens royaumes, et il les a rigoureusement tenus en main, afin qu'ils ne pussent porter atteinte au pouvoir royal ; du jour où il aura disparu, ils formeront très vite une aristocratie héréditaire dont la puissance contre-balancera celle du roi. LE POUVOIR ROYAL. — Le roi reste, théoriquement au moins, le maître souverain de l'Angleterre et il l'a été effectivement sous le régime danois. Il jouit d'importantes prérogatives : il est le chef de l'armée et le juge souverain ; il a un domaine étendu et, outre les revenus qui en proviennent, il tire encore d'importantes ressources des amendes, péages, droits de marché et autres impôts indirects, mais il ne peut ni légiférer, ni rendre la justice, ni déclarer la guerre, ni percevoir des redevances sans l'intervention du witangemot ou conseil des sages (witan), c'est-à-dire des évêques, ealdormen et officiers de la maison royale[81]. Aussi la puissance du souverain se trouve-t-elle très limitée et elle l'est encore davantage du fait que l'administration locale lui échappe en grande partie. Celle-ci est quelque chose de très complexe. La circonscription est le comté (shire) que gouvernent à la fois l'évêque, l'ealdorman, commun à plusieurs comtés, qui en est le chef militaire, et le shériff (scirman), nommé par le roi, chargé de percevoir les impôts, de rendre la justice et d'appliquer la loi. Cette dualité dans l'administration ne pouvait que nuire à l'autorité du roi. En effet, le shériff tient la cour du comté et préside le tribunal, mais il n'a pas la liberté de ses mouvements : d'un côté il est assisté par les propriétaires fonciers et les délégués de chaque village qui forment la cour du comté et jouent auprès de lui le rôle du witenangemot auprès du roi et, de l'autre, il se heurte constamment à l'ealdorman qui, autrefois élu, s'est rendu héréditaire et est devenu un chef national, un véritable vice-roi dont la puissance l'emporte forcément sur celle du roi[82]. On s'explique donc qu'à la faveur des troubles qui ont suivi la mort de Cnut le Grand, cette aristocratie des ealdormen, dont chacun domine plusieurs comtés, ait rapidement confisqué le pouvoir à son profit et qu'elle soit arrivée, après la restauration anglo-saxonne, à tenir, sous le règne d'Édouard le Confesseur (1042-1066), le rôle que les princes carolingiens avaient joué autrefois auprès des derniers Mérovingiens. A cet égard, le triomphe du régime seigneurial a été encore plus accusé en Angleterre que dans les autres royaumes de l'Europe occidentale. ÉDOUARD LE CONFESSEUR. — Edouard, qui est appelé à gouverner l'Angleterre en 1042, est un fils Ethelred. On l'a surnommé le Confesseur et ce surnom suffit à caractériser ce souverain que son ardente piété prédisposait plutôt à être moine. Les chroniqueurs louent également son allure majestueuse et son extrême bonté qui lui ont valu quelque prestige, sinon beaucoup d'autorité. Son grand tort est d'avoir vécu vingt-cinq ans en Normandie ; il connaît mal le royaume qu'il est appelé à administrer et, comme son tempérament pacifique recule devant les difficultés, il laissera faire. Seul, son entourage normand, composé surtout de clercs comme Ulf et Robert de Jumièges, auxquels il conférera les hautes dignités de l'Église anglaise, réagira par moments contre l'aristocratie qui achèvera, pendant ce règne de vingt-quatre ans, la conquête du pouvoir. RÔLE DE GODWIN. — Parmi les ealdormen qui dominent alors l'Angleterre, il en est un qui surpasse tous les autres par sa richesse et par son ambition : c'est celui de Wessex, Godwin. De très bonne heure, il a conçu le projet de transférer la couronne dans sa famille ou même de succéder en personne à Édouard le Confesseur et, pour préparer cette ascension, il a tout d'abord travaillé à devenir le maître absolu de l'Angleterre. Il réussit à faire épouser à Édouard le Confesseur sa propre fille, Edith ; cette union demeura stérile et les ambitions personnelles de Godwin ne purent que s'accroître en conséquence. Poursuivant son œuvre, en 1043, il établit solidement son fils aîné, Svend, dans la vallée de la Severn et, en 1045, le second, Harold, devint ealdorman en Est-Anglie, ce qui assurait au père la disposition de deux des anciens royaumes anglo-saxons. Pourtant certains obstacles risquaient de se mettre en travers de ces projets et ils provenaient surtout des Normands qui entouraient Édouard le Confesseur et se montraient délibérément hostiles. Il fallait envisager une lutte, toujours possible, et se ménager des alliés. C'est pour cela sans doute que Godwin, toujours prévoyant, maria son plus jeune fils, Tostig, à une princesse flamande et qu'en Mercie il installa comme ealdorman son neveu, Biorn, frère de Svend Estrithson. Ainsi non seulement sa famille dominait la plus grande partie de l'Angleterre, mais il pouvait encore, en cas de guerre civile, espérer le concours des Normands et même des Danois[83]. LA CRISE DE 1051-1053. — Ce plan, si bien conçu qu'il fût, ne put cependant pas aboutir. Les fils de Godwin compromirent leur père par les scandales qu'ils accumulèrent comme à plaisir : l'aîné, Svend, enleva, en 1046,. l'abbesse de Leominster et fut, de ce chef, exilé en Danemark ; il réussit cependant à rentrer en Angleterre et ce fut pour faire assassiner Biorn. Aussi Godwin fut-il de plus en plus mal vu à la cour où Robert de Jumièges, devenu en 1051 archevêque de Cantorbéry, n'eut d'autre idée que de se débarrasser de lui. Le 21 décembre 1051, sous prétexte qu'il avait soutenu les habitants de Douvres dans leur révolte contre le beau-frère du roi, Eustache de Boulogne, il fut mis hors la loi et exilé. Il se retira en Flandre où il constitua une armée avec laquelle il débarqua bientôt à l'embouchure de la Tamise, tandis que ses fils, qui s'étaient réfugiés en Irlande, attaquaient l'Angleterre par l'Ouest. Édouard le Confesseur, qui avait la guerre en horreur, accepta de négocier, ou, pour mieux dire, il capitula devant les exigences de Godwin qui recouvra, ainsi que son fils Harold, tout ce qu'il avait perdu ; quant à Svend, il était mort en mettant le pied sur le sol anglais. Robert de Jumièges et Ulf durent quitter l'Angleterre ; le siège de Cantorbéry fut remis à Stigand, qui donnait toutes garanties à Godwin. Le triomphe était éclatant : la royauté s'était effacée et humiliée devant le chef de l'aristocratie à qui l'avenir semblait décidément sourire. Ce triomphe, il est vrai, ne fut pas de longue durée. Le 15 avril 1053, Godwin était terrassé par une attaque d'apoplexie, avant d'avoir pu parvenir au terme de son rêve grandiose[84]. GOUVERNEMENT D'HAROLD. — Son fils, Harold, hérita de son pouvoir. Il était plus sympathique et son gouvernement ne manqua ni d'énergie ni d'habileté. Il fit des expéditions en Écosse et dans le pays de Galles, dont il conquit une partie, mais il ne négligea pas, lui non plus, de pourvoir sa famille. En 1055, l'ealdorman de Northumbrie, Siward, étant mort, il lui donna pour successeur son frère Tostig qui se substitua aux héritiers naturels ; de même, en 1057, il fit succéder à Leofric, en Mercie, un autre de ses frères, Gyrth, et créa un autre vaste comté pour un troisième, Leofwine. Il tenait ainsi presque toute l'Angleterre sous son pouvoir et il semblait destiné à recueillir la couronne le jour où Édouard le Confesseur viendrait à disparaître[85]. Toutefois le parti normand tenait bon et, lorsque la mort d'Édouard, fils d'Edmond, que le roi avait fait revenir en Angleterre, eut fait disparaître le dernier rejeton de la famille d'Alfred le Grand, la question de succession se trouva nettement posée : à Harold un seul candidat pouvait être préféré : c'était le duc de Normandie, Guillaume le Bâtard, dont l'ambition était égale à la sienne. La guerre paraissait inévitable à la mort d'Édouard qui se fit attendre jusqu'en 1066 : elle devait bouleverser les destinées de l'Angleterre féodalisée et avoir aussi une répercussion sur l'avenir du royaume qui lui faisait vis-à-vis de l'autre côté de la Manche. TRIOMPHE DE LA VASSALITÉ AU MILIEU DU XIe SIÈCLE. — Ainsi, sous l'impulsion des deux grands événements qui se produisent au milieu du XIe siècle, l'affranchissement de l'Église romaine (1059-1076) et la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Bâtard (1066), l'évolution politique des royaumes occidentaux va se trouver modifiée et la lutte entre rois et vassaux sera désormais subordonnée aux grandes questions qui vont naître de ces deux événements aux incalculables conséquences. Au milieu du XIe siècle, ce sont les vassaux qui triomphent partout : en Allemagne, le recul de la royauté est manifeste ; en France, les Capétiens n'ont pu maintenir les quelques avantages obtenus sous le règne de Robert le Pieux ; en Angleterre, Édouard le Confesseur n'a pas même fait figure de souverain. Un siècle plus tard, la situation sera toute différente et l'absolutisme monarchique pourra enregistrer plus d'une victoire sur le régime seigneurial. |
[1] Voir surtout Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. VI, p. 461 et suiv. ; Schröder-Künssberg, Deutsche Rechtsgeschichte, p. 121-122 et 527 ; Ganshof, Quelques aspects de l'histoire de l'Empire au XIe siècle, p. 13 et suiv.
[2] Waitz, op. cit., t. V, p. 409-411 et t. VI, p. 329-331 ; Schröder-Künssberg, op. cit., p. 530 ; Ganshof, op. cit., p. 16-17.
[3] Uhlirz, Jahrbücher des deutschcn
Reichs unter Otto II und Otto III, p. 31.
[4] Henri II le Querelleur et Hartwig étaient les enfants de Henri, frère d'Otton Ier, auquel l'empereur avait remis la Bavière et qui avait épousé Judith, fille de l'ancien duc Arnulf. Henri Ier était mort en 955 ; Henri II avait alors quatre ans et Judith avait exercé la régence en son nom. Cf. Doebert, Entwickelungsgeschichte Bayerns, t. I, 1906, p. 114.
[5] Uhlirz, op. cit., p. 50-51 ;
Doebert, op. cit., t. I, p. 114-115.
[6] Uhlirz, op. cit., p. 77-80,
92 et suiv. ; Doebert, op. cit., t. I, p. 115-117, Cf. aussi Wahnschaffe,
Das HerzogthuJn Kiirnthen, Klagenfurt, 1878, p. 3 et suiv.
[7] Le volume d'Uhlirz s'arrête à la mort d'Otton II. On connaît surtout ces événements par Thietmar, IV, l, par les Annales Quedlinburgenses et aussi par deux lettres de Gerbert {épist. 34 et 37).
[8] La seule version détaillée est celle de Thietmar, IV, i et suiv. Cf. aussi Annales Quedlinburgenses, a. 984 et 985. Cf. Doebert, op. cit., t. I, p. 118.
[9] Doebert, op. cit., t. I, p.
118-119.
[10] Doebert (op. cit., t. I, p. 114) fait très justement remarquer que l'opposition bavaroise n'a jamais eu un caractère particulariste ; elle est due uniquement à là jalousie ambitieuse de Henri le Querelleur. Il semble qu'à la fin du Xe siècle le cadre des duchés nationaux ait beaucoup perdu de sa solidité.
[11] On lui devait notamment d'avoir soumis les Wilzes et prévenu l'ambition naissante de Boleslas Chrobri, duc de Pologne.
[12] Hirsch, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich II, t. II, p. 193 et suiv.
[13] Hirsch, op. cit., t. I, p.
212-230 ; Doebert, op. cit., t. I, p. 118-119.
[14] Hirsch, op. cit., t. I, p. 263 et suiv.
[15] Hirsch, op, cit., t. II, p.
276-280.
[16] Doebert, op. cit., t. I, p.
122.
[17] Hauck, op. cit., t. III, p.
402 ; Hirsch, op. cit., t. II, p. 281-284.
[18] Hirsch, op. cit., t. II, p.
302-303.
[19] Hirsch, op. cit., t. II, p. 313-314. Il y a pourtant une exception : après la mort du duc Conrad de Carinthie, Henri II a déshérité son fils et donné le duché à Adalbéron lui-même margrave de Carinthie ; mais il est fort probable que le roi, en cette circonstance, a obéi à des scrupules religieux, car le mariage de Conrad avec Mathilde, sœur du duc Hermann III, était considéré comme illicite par l'Église.
[20] Hauck, op. cit., t. III, p. 397 et suiv.
[21] Hauck, op. cit., t. III, p.
401-403.
[22] Les évêques de Paderborn, Hildesheim, Magdebourg, Würtzbourg, Worms, Utrecht, Cambrai, ont ainsi reçu, sous le règne de Henri III, les pouvoirs comtaux. Cf. Hauck, op. cit., t. III, p. 409-410.
[23] Bresslau, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Konrad II, t. I, p. 1 et suiv. Conrad II avait épousé Gisèle, veuve du duc Hermann de Souabe, qui, de ce premier lit, avait eu un fils, Ernest. Celui-ci avait succédé à son père et ses rapports avec Conrad II furent d'abord excellents.
[24] Bresslau, op. cit., t. I, p.
92-98, 116, 197-204.
[25] Bresslau, op. cit., t. I, p.
210-222.
[26] Bresslau, op. cit., t. I, p. 287-289 et 301-303.
[27] Wipon, c. 6. Cf. Waitz, op. cit., t. VI, p. 60 ; Bresslau, op. cit., t.. II, p. 368.
[28] Giesebrecht, Deutsche Kaiserzeit, t. II, p. 285, estime que les duchés font exception à la règle commune. Cette affirmation est démentie par les faits qui viennent d'être cités. Seule la Carinthie a fait exception : en 1036, Conrad II l'a donnée à Conrad le Jeune, après l'avoir enlevée au duc Adalbéron ; mais l'attitude de celui-ci était plus qu'équivoque et il pouvait y avoir danger à laisser le duché dans sa famille.
[29] Voir en particulier sa lettre de 1027 au duc de Saxe, Bernard, au margrave du Nord, Bernard, et au comte de Stade, Siegfried. Cf. Bresslau, op. cit., t. II, p. 352, n. 2.
[30] On trouvera plusieurs exemples curieux dans Hauck, op. cit., t. III, p. 544 et suiv.
[31] Steindorff, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich III, t. I, p. 201-237 et 292-295 ; t. II, p. 1-9 ; 106-107, 150-153, 275-283, 317-318 ; Pirenne, op. cit., t. I, p. 77 et suiv. ; Parisot, Histoire de Lorraine, t. I, Paris 1919, p. 297-300.
[32] Steindorff, op. cit., t. I,
p. 147-148, t. II, p. 222-233 et 319-325.
[33] Meyer von Knonau, Jahrbücher des
deutschen Reichs unter Heinnch IV und Heinrich V, t. I, p. 39-42.
[34] Meyer von Knonau, op. cit.,
t. I, p. 18.
[35] Meyer von Knonau, op. cit.,
t. I, p. 42-43.
[36] Meyer von Knonau, op. cit.,
t. I, p. 47-48.
[37] Meyer von Knonau, op. cit.,
t. I, p. 209.
[38] Meyer von Knonau, op. cit.,
t. I, p. 210-212.
[39] Meyer von Knonau, op. cit., t. t, p. 274 et suiv. ; Hauck, op. cit., t. III, p. 714-715.
[40] On trouvera une étude d'ensemble de la question dans Lavisse, Histoire de France, t. II, 2e p., Les premiers Capétiens, p. 144 et suiv. Puis on consultera les monographies dont les règnes des premiers Capétiens ont été l'objet, à l'exception de celui de Henri Ier : F. Lot, Etudes sur le règne de Hugue Capet et la fin du Xe siècle, Paris, 1903 ; Ch. Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux (996-1031), Paris, 1885 ; A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, roi de France, Paris, 1912. Voir aussi L. Halphen, Le comté d'Anjou au XIe siècle, Paris, 1906 ; Richard, Histoire des comtes de Poitou, Paris, 1903 ; H. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et comtes de Champagne depuis le VIe siècle jusqu'au milieu du XIIe siècle, Paris, i859-1865, 8 vol. ; L. Valin, Le duc de Normandie et sa cour, Paris, 1909.
[41] Nous avons emprunté les éléments de ce tableau à Lot, Hugue Capet, p. 191-215. Voir aussi : Pfister, op. cit., p. 209 et suiv., le chapitre de Luchaire (Lavisse, Histoire de France, t. II, 2e p., p. 39 et suiv.) et le t. IV de l'ouvrage de Flach, Les origines de l'ancienne France.
[42] En dehors de ces provinces, le roi ne nomme guère que l'archevêque de Bourges et les évêques du Mans, de Langres et du Puy. On trouvera une carte des évêchés dans Lot, op. cit., p. 222-223.
[43] Lot, op. cit., p. 187-191 ; Pfister, op. cit., p. 86 et suiv.
[44] On trouvera ce texte de Fulbert de Chartres, dans Pfister, op. cit., p. 150.
[45] Sur le pouvoir du roi à la fin du Xe siècle, voir Pfister, op. cit., p. 141 et suiv.
[46] Lot, Les derniers Carolingiens, p. 222 et suiv., Hugue Capet, p. 6-12. Les manœuvres diplomatiques de Charles de Lorraine ont moins bien réussi ; ses efforts pour détacher de Hugue Capet, l'archevêque de Reims, Adalbéron, ont été vains. De son côté, Hugue n'a pas été plus heureux dans sa tentative pour régler le différend par la médiation de l'impératrice Théophano que Charles a repoussée.
[47] Lot, Derniers Carolingiens, p. 236.
[48] Lot, Les derniers Carolingiens, p. 249 et suiv. ; Hugue Capet, p. 14-18, et appendice I.
[49] Lot, Hugue Capet, p. 18-27. Jean XV a peut-être cédé à la pression de Théophano qui a suivi de très près les événements de France et souhaitait au fond le succès de Charles de Lorraine, mais il faut reconnaître aussi que le procès d'Arnoul, s'il avait été entamé à la demande de Hugue Capet, aurait eu un caractère exclusivement politique et nullement canonique.
[50] Lot, op. cit., p. 27-32.
[51] On a conservé deux versions opposées et parfois contradictoires de l'histoire du concile de Saint-Basle, celle de Gerbert et celle de l'Historia Francorum Senonensis, l'une favorable, l'autre nettement hostile à Hugue Capet. M. Lot, op. cit., p. 31-81, a généralement suivi la première sur laquelle il y aurait peut-être lieu de faire quelques réserves, notamment en ce qui concerne le rôle de l'archevêque de Sens, Séguin, qui présida le concile. Cf. A. Fliche, Séguin, archevêque de Sens, primat des Gaules et de Germanie (977-999) dans le Bulletin de la Société archéologique de Sens, t. XXIV, 1909, p. 149-206. Il est à remarquer que le concile était loin d'être un concile national ; il ne comprenait que les suffragants de Reims, les archevêques de Sens et de Bourges, les évêques d'Orléans, Auxerre, Langres et Mâcon.
[52] Lot, op. cit., p. 83-123.
[53] Pfister, op. cit., p. 141-142.
[54] Lot, Hugue Capet, p. 189 et 158. Hugue a été malheureusement obligé d'abandonner Dreux à Eude de Chartres pour prix du concours qu'il lui avait apporté dans la lutte contre Charles de Lorraine, mais il fut mal récompensé de cette concession ; Eude, presque aussitôt après, a revendiqué Melun qui appartenait au roi et a réussi à s'en emparer ; grâce au concours des Normands, Hugue Capet put reprendre la ville (991). Cf. ibid., p. 159-161.
[55] Sur cette guerre, voir Halphen, Le comté d'Anjou au XIe siècle, p. 17 et suiv.
[56] Halphen, op. cit., p. 27-28. Sur la chronologie de cette expédition, cf. ibid., p. 28, n. 2, qui rectifie les dates adoptées par Lot, Hugue Capet, p. 174-177.
[57] Suzanne était la fille de l'ancien roi d'Italie, Bérenger, et de Willa ; elle avait épousé en premières noces le comte de Flandre, Arnoul II, mort en 988, et était beaucoup plus âgée que Robert.
[58] Sur les mariages de Robert, voir Pfister, op. cit., p. 41 et suiv.
[59] Pfister, op. cit., p. 246-270.
[60] Pfister, op. cit., p. 161-163.
[61] Pfister, op. cit., p. 214-216.
[62] Pfister, op. cit., p. 239 et suiv. Sur Eude II, voir Léonce Lex, Eudes comte de Blois, de Tours, de Chartres, de Troyes et de Meaux (995-1037), Troyes, 1892, et Landsberger, Graf Odo I von der Champagne, Berlin, 1878.
[63] Voir Halphen, op. cit., p. 33 et suiv.
[64] Dans son traité Adversus simoniacos, III, 7, le cardinal Humbert le qualifie de tyran de Dieu, de fils de perdition et antéchrist et l'accuse d'avoir péché contre le Saint-Esprit plus que Simon le Magicien lui-même. Sur sa politique religieuse, cf. A Fliche, La Réforme grégorienne, t. I, p. 103-104.
[65] Raoul Glaber, III, 9 ; Clarius, a. 1031 (Duru, Bibl. hist. Yonne, t. II, p. 503-504) ! Hugue de Fleury (Rec. hist. France, t. XI, p. 158). Cf. Halphen, op. cit., p. 45-46.
[66] Cf. Poupardin, Royaume de Bourgogne, p. 162-171.
[67] D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. I, p. 357 et suiv. ; Halphen, op. cit., p. 46-48.
[68] Clarius, a. 1055 (Duru, op. cit., t. II, p. 506-507).
[69] Henri Ier a pris part, en 1047, à la bataille des Dunes où, par sa vaillance, il a contribué au triomphe de Guillaume sur ses vassaux. Sur la rivalité de la Normandie et de l'Anjou, voir Halphen, op. cit., p. 71-75.
[70] Halphen, op. cit., p. 76-80. Cette guerre n'est malheureusement connue que par les panégyristes de Guillaume le Conquérant, Guillaume de Poitiers et Guillaume de Jumièges sur la véracité desquels M. Halphen fait avec raison de sérieuses réserves.
[71] Sur l'étendue du domaine au temps de Philippe Ier, voir : Fliche, Le règne de Philippe Ier roi de France (1060-1108), p. 152 et suiv.
[72] Valin, Le duc de Normandie et sa cour, p. 46 et suiv.
[73] Halphen, op. cit., p. 13 et suiv.
[74] D'Arbois de Jubainville, op. cit., t. I, p. 378 et suiv.
[75] Le règne de Philippe Ier, p. 2-7. On constate en revanche l'absence des représentants du duc de Normandie.
[76] Le règne de Philippe Ier, p. 27-30.
[77] Le règne de Philippe Ier, p. 313-316.
[78] Le règne de Philippe Ier, p. 252 et suiv.
[79] Cambridge medieval history, t. III, p. 367 ; Stubbs, Histoire constitutionnelle de l'Angleterre, édition française, t. I, p. 198-203 ; Vinogradoff, op. cit., p. 403 et suiv.
[80] Cambridge medieval history, t. III, p. 369-370 ; Stubbs, op, cit., t. I, p. 145 et 203-205. 96.
[81] Stubbs, op. cit., t. I, p. 154 et suiv., et p. 181 et suiv. La royauté, tout en étant élective, reste toujours dans la même famille, ce qui la met à l'abri de toute surprise et la rend héréditaire dans une certaine mesure.
[82] Stubbs, op. cit., t. I, p. 140 et suiv. ; Vinogradoff, op. cit., p. 90 et suiv.
[83] Cambridge medieval history, t. III, p. 391-392.
[84] Cambridge medieval history, t. III, p. 393-395.
[85] Cambridge medieval history, t. III, p. 395-397.