I. — La fin de l'Empire spolétain (896-898)[1] L'ITALIE APRÈS LA RETRAITE D'ARNULF. — En 896, le Carolingien Arnulf, roi de Germanie, a réussi à entrer dans Rome, mais son œuvre a été extraordinairement précaire. Au bout de quelques semaines, l'Italie recouvre son indépendance et l'empire spolétain, renversé par Arnulf, est restauré. Aussitôt après le départ des troupes allemandes, Lambert de Spolète, qu'Arnulf avait un moment évincé, rentre en scène et procède à de terribles représailles : il met à mort le comte Maginfred qui avait essayé de soulever Milan contre lui, et fait arracher les yeux au fils et au beau-fils de ce malheureux seigneur, considérés comme ses complices[2]. Par ces procédés de terreur, il soumet rapidement la Lombardie à son autorité, puis, afin de pouvoir marcher sur Rome sans trop de risques, il se réconcilie avec son ancien rival, Bérenger, auquel il reconnaît la souveraineté des pays situés au delà de l'Adda et du Pô depuis son confluent avec cette rivière, tandis qu'il garde pour lui, outre son duché de Spolète, Milan et Pavie avec le titre impérial[3]. LAMBERT DE SPOLÈTE RENTRE À ROME. — Libre de ce côté, Lambert se dirige vers Rome où Farold, laissé par Arnulf, tenait toujours avec quelques contingents allemands[4]. Le pape Formose, qui avait trahi Lambert après l'avoir couronné empereur, était mort le 4 avril 896 et avait été remplacé par Boniface VI qui ne fit que passer, puis par Étienne VI[5]. Celui-ci, qui était évêque d'Anagni au moment de sa promotion et qui, contrairement aux canons, avait abandonné son église pour une autre, s'empressa, pour avoir un protecteur éventuel, de reconnaître Lambert qui reprit possession de Rome au début de 897[6]. L'empire spolétain était ressuscité, mais il ne devait pas avoir une longue durée. PROCÈS DE FORMOSE. — Le nouveau pontife pensa être agréable à Lambert en poursuivant de sa haine la mémoire de Formose. Il imagina d'intenter un procès au pontife défunt et de le contraindre à expier, après sa mort, la trahison dont il s'était rendu coupable en appelant. et en sacrant Arnulf. De là une scène lugubre et sinistre. Le cadavre de Formose fut exhumé sur l'ordre d'Étienne VI, traîné devant un concile, placé sur le siège apostolique et soumis à un interrogatoire auquel un diacre répondit à sa place, On lui reprocha d'avoir accepté la tiare, bien qu'il fût excommunié et déjà pourvu d'un évêché, après quoi il fut condamné pour avoir par une ambition coupable échangé le siège de Porto contre celui de Rome, puis dépouillé de ses vêtements et insignes pontificaux, finalement jeté dans le Tibre. Étienne VI eut soin également de casser toutes les ordinations de Formose, dont la sienne comme évêque d'Anagni, ce qui le lavait du même coup du reproche qu'on pouvait lui adresser d'avoir troqué son église contre une autre[7]. L'ANARCHIE À ROME. — Ce singulier pontife ne survécut que fort peu au synode qu'il avait présidé. L'annulation des actes de son prédécesseur lui avait aliéné tous les clercs qui tenaient leur dignité des mains de Formose et tous ceux qu'indignaient tant d'outrages posthumes. Renversé par une insurrection et jeté en prison, il mourut étranglé (août 897). Sous le pontificat de son successeur, Théodore II, qui ne dura d'ailleurs que vingt jours, la dépouille mortelle de Formose, qu'un moine avait, disait-on, sauvée des eaux, reçut, avec une pompe solennelle, une sépulture digne d'un pape[8]. Cet acte de légitime réparation ne réussit pas à calmer les passions. Partisans et adversaires de Formose continuent à s'affronter dans Rome et se disputent la tiare. Le diacre Serge, qui comptait parmi les adversaires, peut un moment la saisir, mais il est supplanté par Jean IX, qui parvient à dominer l'agitation et fait reconnaître par deux conciles, successivement réunis en 898 à Rome et à Ravenne, la validité de tous les actes de Formose, y compris, bien entendu, le couronnement impérial de Lambert, à l'exclusion de celui d'Arnulf[9]. MORT DE L'EMPEREUR LAMBERT. — Lambert ne pouvait qu'être satisfait de ce résultat. Il était permis d'espérer que les sages décisions prises par les deux synodes achemineraient vers la paix religieuse, gage de la paix politique. A Rome le calme renaissait peu à peu, tandis que s'effaçaient les souvenirs tragiques se rattachant à Formose, Les princes de l'Italie centrale, comme Adalbert, marquis de Toscane, Guy de Spolète, reconnaissaient l'autorité de Lambert et ne demandaient qu'à collaborer avec lui. Celui-ci préparait des mesures réformatrices, destinées à ramener l'ordre et la prospérité dans la péninsule, lorsqu'il mourut brusquement d'un accident de chasse, le 15 octobre 898[10]. BÉRENGER ROI D'ITALIE. — Cette disparition prématurée fut un grand malheur pour l'Italie. Lambert ne laissait pas d'héritier. Bérenger put, sans difficulté, ressaisir la couronne que personne ne lui disputa, mais il était loin d'avoir la valeur de l'empereur spolétain qui, seul, eût été capable, après avoir réalisé l'union de tous les Italiens, de défendre la péninsule contre les terribles invasions qui vont l'éprouver, elle aussi, à l'aube du Xe siècle. II. — Les invasions hongroises et sarrasines. L'INVASION HONGROISE DE 899. — L'Italie a reçu, avant l'Allemagne, la visite des Magyars. C’est sur elle qu'aussitôt après leur installation dans la plaine danubienne ils lancent, au printemps de 899, leurs hordes incendiaires. Par Aquilée et Vérone les envahisseurs s'avancent/avec leur rapidité habituelle, jusqu'à Pavie, sans rencontrer le moindre obstacle susceptible de retarder leur élan. La retraite d'Arnulf, puis la mort de Lambert ont privé la péninsule des seuls hommes capables de la défendre. Bérenger, qui avait recueilli la couronne, réussit pourtant à mettre sur pied une armée d'environ quinze mille hommes. Dès qu'elle entre en ligne, les Hongrois reculent derrière l'Adda, puis, trouvant sans doute que leur butin n'était pas suffisamment en sécurité, ils se replient jusqu'à la Brenta, sans cesse harcelés par Bérenger qui remporte un léger succès près de Vérone. Ils s'établissent alors sur de solides positions et offrent la paix que l'on a le tort de ne pas accepter. A la fin de septembre, ils reprennent l'offensive et se jettent à l'improviste sur leurs adversaires qui sont complètement battus (25 septembre 899). La Lombardie est affreusement ravagée et, si le tableau qu'a peint de ses malheurs, avec trop de réminiscences de l'Énéide, l'évêque Salomon III de Constance dans son épître en vers à Dadon de Verdun renferme peut-être quelques exagérations, il n'en est pas moins vrai que seules les villes fortifiées furent épargnées ; les autres, comme Modène, Reggio, Plaisance, devinrent autant de brasiers ; les églises et les monastères souffrirent davantage encore, et bien des richesses artistiques ont été anéanties dans la tourmente. La Vénétie aurait eu le même sort sans la virile habileté de son doge, Pierre ; les Hongrois essayèrent bien d'y pénétrer, mais ils furent repoussés et regagnèrent leur pays en passant par la Pannonie[11]. NOUVELLES INVASIONS HONGROISES (921-926). — L'Italie, après cette catastrophe, connut un long moment de repos. Pendant les premières années du Xe siècle, l'Allemagne est le principal objectif des Hongrois. Bérenger, qui les avait combattus en 899, essaie bien de les attirer pour le soutenir dans sa lutte avec ses compétiteurs[12], mais jusqu'en 921, il n'y a pas d'invasion sérieuse. En 921, au contraire, et plus encore en 922, on note des dévastations graves qui atteignent surtout la Toscane, l'Italie centrale et même la région de Bénévent[13]. L'invasion de 924 dépasse toutes les autres en étendue et en horreur. Toujours alliés de Bérenger qu'ils soutiennent contre son rival, Rodolphe II de Bourgogne, les Hongrois mettent le siège devant Pavie. Ils y entrent le 12 mars 924 et se livrent à toutes sortes d'excès : les églises, les palais, les maisons particulières sont la proie des flammes, puis c'est un massacre général qui n'épargne pas l'évêque Jean ni son confrère de Verceil, Ragamfrid, qui était son hôte[14]. Au même moment, d'autres bandes franchissent les Alpes et se déversent sur la vallée du Rhône, sans que les efforts conjugués des rois Rodolphe II de Bourgogne et Hugue de Provence parviennent à les contenir ; elles réussissent même à passer le fleuve, saccagent Nîmes et plusieurs autres villes du Languedoc, mais, une épidémie très meurtrière s'étant déclarée parmi elles, le marquis de Gothie, Raymond-Roger, peut s'en débarrasser assez facilement[15]. Une dernière incursion a lieu en 926 ; elle atteint-surtout la Toscane et Rome paraît un moment en danger[16], mais, cette année-là, l'Italie n'est que le théâtre secondaire des opérations et l'effort magyar se porte plus au nord, vers la Souabe, la Lorraine, la Champagne. LES INCURSIONS SA.RRASINES. — C'est surtout en Lombardie et 'en Toscane que les Hongrois ont jeté l'épouvante. L'Italie du Sud a connu elle aussi les maux de l'invasion. Les Musulmans ou Sarrasins, solidement établis en Afrique, en Sicile et même en Campanie, sur les hauteurs qui dominent l'embouchure du Garigliano, ont lancé, pendant les premières années du Xe siècle, une série d'offensives contre les côtes italiennes et provençales[17]. EXPÉDITIONS D'IBRAHIM-IBN-AHMED (900-902). — L'Afrique a tout d'abord donné l'élan. Les Musulmans de Sicile, pendant les dernières années du IXe siècle, avaient vécu en paix avec les chrétiens et ne paraissaient nullement disposés à reprendre la lutte, mais l'émir de Kairouan, Ibrahim-ibn-Ahmed, fanatique violent et cruel, dont relevait la Sicile, n'entendait pas renoncer à la guerre sainte. Comme la noblesse arabe s'était rendue à peu près indépendante, il chargea son fils, Abd-Allah, d'aller rétablir sa domination dans l'île. Celui-ci, avec une flotte imposante, fit voile vers Mazzara, où il débarqua le 1er août 900, et rentra à Palerme qui devait lui servir de base d'opérations contre les chrétiens. Les Grecs de Calabre virent le danger ; ils organisèrent une armée pour secourir Taormine et Catane, plus immédiatement exposées aux coups du fanatisme musulman. Abd-Allah, non sans quelque hardiesse, essaya de prévenir leur intervention par une attaque contre Reggio qui, en 901, fut mise au pillage. Les villes voisines, pour éviter pareille infortune, offrirent au vainqueur un tribut appréciable dont il voulut bien se contenter. Il songeait d'ailleurs avant tout à consolider en Sicile le régime musulman et n'aspirait pas personnellement à de nouvelles conquêtes, mais telle n'était pas la politique de son père, Ibrahim, animé à l'égard des chrétiens d'une haine farouche et d'une volonté conquérante, toujours en quête de nouveaux exploits. Aussi, en 902, l'émir, après avoir rappelé Abd-Allah en Afrique, vogue-t-il lui-même vers la Sicile où il va se substituer à son fils. Son arrivée est suivie d'une vigoureuse marche en avant, sillonnée de meurtres et de pillages. Taormine est incendiée et ses habitants ne peuvent échapper au massacre ou à l'esclavage, puis Ibrahim, impulsif et rapide, franchit le détroit de Messine et, repoussant les propositions des villes de Calabre épouvantées, traverse tout le pays, du sud au nord, jusqu'à Cosenza qui lui oppose, à la fin de septembre 902, une résistance inattendue. Pendant qu'il en fait le siège, il meurt de la dysenterie (octobre 902). Son petit-fils, Ziadet-Allah, abandonne aussitôt le projet de son aïeul qui rêvait d'aller jusqu'à Rome, afin de détruire la cité de ce ridicule vieux Pierre, et ramène l'armée musulmane en Sicile. L'Italie méridionale est délivrée, mais sa population a été tout à la fois décimée par des massacres sans cesse renouvelés et ruinée par des pillages méthodiquement organisés[18]. CHUTE DE LA DOMINATION MUSULMANE SUR LE GARIGLIANO (914-915). — La mort d'Ibrahim est suivie, en Afrique, de troubles qui rendent impossible une nouvelle offensive en Calabre. De plus, la Sicile musulmane se range sous l'autorité des Califes de Bagdad et traite avec les Grecs de l'Italie méridionale[19]. C'en est fini des attaques de grand style. Seuls, les Sarrasins du Garigliano se livrent à quelques incursions soit dans la région de Capoue (905), soit, à plusieurs reprises dans la campagne romaine. Encore sont-elles assez vite enrayées. En 914, le pape Jean X organise avec le marquis de Spolète, Albéric, le prince de Capoue et le stratège byzantin une véritable croisade qui, grâce au concours actif de la flotte grecque, amène, en 915, la chute de la colonie musulmane du Garigliano[20]. L'Italie continentale est libérée de la présence des Infidèles, mais elle reste toujours exposée à l'agression des Sarrasins établis en Sicile et en Afrique. DERNIÈRES INCURSIONS SARRASINES EN CALABRE (917-956). — Les incursions qui se succèdent à partir de 915, à des intervalles assez espacés, ne sont plus que des entreprises de pirates, avides de s'enrichir ; elles n'en causent pas moins de sérieux dommages. En 917, les flottes africaines rançonnent les villes de Calabre ; en 918, elles saccagent Reggio[21]. Une attaque du même genre se renouvelle en 922, bientôt suivie d'une autre, plus importante, combinée avec les Slaves de l'Adriatique (924-925). En 925, après une bataille où l'armée grecque perd six mille hommes, Oria est pillée et dix mille personnes sont emmenées en captivité. En 926, Tarente succombe à son tour, sous les coups de l'émir de Sicile et du corsaire slave Saïan ; Salerne et Naples sont également visitées par les pirates, sans que les flottes byzantines puissent intervenir efficacement. Toutefois ces diverses expéditions n'offrent ni cohésion ni continuité et elles ne trahissent pas de la part des Musulmans le désir de reprendre pied dans l'Italie méridionale[22]. C'est seulement en 950 que l'émir de Sicile, El Hasan, essaie sérieusement d'occuper la Calabre ; Reggio tombe en son pouvoir ; Gerace et Cassano échappent au pillage moyennant tribut. Par deux fois encore, en 952 et en 956, El Hasan reparaît dans l'Italie continentale et y sème l'effroi, mais de part et d'autre on est las de se battre ; Byzance est aux prises, en Orient, avec de sérieuses difficultés, tandis que les Musulmans sont minés par la division et la discorde ; en 956, Sarrasins et Grecs signent un traité qui engendre, au moins pour quelque temps, une tranquillité relative[23]. LES SARRASINS EN PROVENCE. — Les incursions sarrasines se sont propagées plus au nord. Dès la fin du IXe siècle, elles ont affecté le littoral méditerranéen de la Provence où elles ont abouti, sans doute entre 890 et 900, à la création d'une colonie musulmane à Fraxinetum, près de la Garde-Freinet, dans la région située entre Saint-Tropez et la mer[24]. Solidement fortifiés dans ce coin montagneux et secondés par des contingents venus d'Espagne, les Arabes rayonnèrent continuellement entre les Alpes et le Rhône, sans que l'on pût jamais les déloger. Deux expéditions entreprises contre Freinet, l'une par la flotte grecque en 931[25], l'autre par le roi d'Italie, Hugue, et par l'empereur de Constantinople, Romain Lécapène, en 942[26], malgré quelques succès partiels, n'aboutirent pas au résultat que l'on recherchait. On n'arriva pas davantage à empêcher les Sarrasins d'envahir la haute vallée du Rhône, de traverser la Rhétie et d'aller jeter l'effroi au monastère de Saint-Gall[27]. C'est seulement après la restauration de l'empire par Otton le Grand que ces pirates seront expulsés (972) de leur inaccessible repaire du Freinet où ils ont été, pendant quatre-vingts ans environ, à l'abri de toutes représailles[28]. CONSÉQUENCES DES INVASIONS SARRASINES ET HONGROISES. — Comme l'Allemagne, l'Italie a été, pendant la première moitié du Xe siècle, durement secouée par les invasions. Les incursions sarrasines ont empêché tout commerce dans la mer Tyrrhénienne ; les ports de Marseille, Fréjus, Naples, d'autres encore ont été pillés à plusieurs reprises, et, pour se rendre de l'un à l'autre, l'insécurité est telle que personne n'ose s'aventurer en pleine mer ; la Méditerranée devient de plus en plus déserte et toute activité économique y demeure impossible. D'autre part, Sarrasins et Hongrois ont dépeuplé et ruiné la péninsule. Églises et abbayes de la Lombardie et de la Calabre ont subi d'égales tribulations ; les richesses, qu'elles possédaient en manuscrits et en œuvres d'art, ont été anéanties. D'innombrables destructions ont été commises, et cela sans compensation d'aucune sorte. A la différence des Hongrois, les Musulmans apportaient avec eux une civilisation qu'ils auraient pu essayer de substituer à la civilisation chrétienne préexistante ; ils n'en ont rien fait et n'ont eu, au moins pour le moment, aucune influence sur le développement économique et intellectuel des pays qu'ils ont temporairement occupés. III. — Les luttes dynastiques (908-926) RIVALITÉ DE BÉRENGER ET DE LOUIS DE PROVENCE. — En dehors des invasions, l'Italie a passé, pendant la première moitié du Xe siècle, par d'autres épreuves. Comme la plupart des royaumes issus de l'empire carolingien, elle a souffert alternativement de l'occupation étrangère et de la guerre civile. Après la mort de Lambert de Spolète(898), Bérenger avait été facilement accepté comme roi. Deux ans plus tard, il voit surgir un compétiteur en la personne du roi de Provence, Louis, fils de Boson, petit-fils par sa mère de l'empereur Louis II. On ne connaît pas les raisons pour lesquelles les seigneurs italiens ont fait appel à Louis. Faut-il voir là une preuve d'attachement à la dynastie carolingienne, dont Louis était issu, ou le simple effet des désillusions produites par le gouvernement de Bérenger qui, en 899, n'avait pas réussi à enrayer les pernicieux effets de l'invasion hongroise ? Le silence des textes n'autorise aucune hypothèse à cet égard. Ce qui demeure certain, c'est que, le 11 octobre 900, Louis de Provence est à Pavie où, sans doute le lendemain qui était un dimanche, il ceint la couronne royale. Quatre mois plus tard, il entre à Rome où il reçoit le diadème impérial des mains du pape Benoît IV (15 ou 22 février 901)[29]. Ce rapide succès ne doit pas faire illusion. Si Rome, la Toscane et la majeure partie de la Lombardie ont acclamé le roi de Provence, l'Italie méridionale l'ignore et Bérenger, réfugié dans son marquisat de Frioul, ne s'incline pas davantage devant son autorité. Bien que l'on soit mal renseigné sur les phases de la guerre entre les deux rivaux, il est acquis que Bérenger a repris Pavie dans l'été de 902. Quant à Louis, tout en continuant à se prévaloir de son titre d'empereur, il a constamment séjourné en Provence de 902 à 905[30]. Au début de l'été de 905, cédant aux instances des seigneurs qui l'avaient élu et lui reprochaient son peu d'empressement, il se décide à revenir en Italie, attaque vigoureusement Bérenger qui s'enfuit en toute hâte jusqu'en Bavière, rentre à Pavie, puis à Vérone. Son triomphe est de courte durée. Bérenger s'aperçoit très vite qu'il a trop facilement abandonné la place et qu'il compte encore de nombreux partisans dans la plaine du Pô. Il réapparaît brusquement, reprend Vérone par surprise, met la main sur son rival auquel, non sans lui avoir fait, au préalable, arracher les yeux, il permet de regagner la Provence[31]. RIVALITÉ DE BÉRENGER ET DE RODOLPHE II DE BOURGOGNE. — Délivré de Louis de Provence, Bérenger, pendant quelques années, jouit assez paisiblement de la couronne, mais il n'exerce aucune autorité. Il ne peut même pas se rendre à Rome dont le marquis de Toscane, Adalbert, lui barre la route et où le pape Serge III (904-911) ne semble nullement disposé à lui remettre la dignité impériale, objet de tous ses rêves. En 915, pourtant, le troisième successeur de Serge IV, Jean X, manifeste de meilleures intentions à son égard ; il l'invite à se rendre auprès de lui et, quoique Louis l'Aveugle soit toujours en vie, le couronne empereur[32]. Malgré ce nouveau titre, Bérenger fait encore pâle figure, Il essaie vainement de profiter de la mort du marquis Adalbert pour prendre la Toscane[33], Il se rend partout impopulaire par un despotisme impérieux et arrogant qui cadre mal avec son infime puissance. En 921, pour protester contre la perception par le roi d'une redevance illicite, l'archevêque de Milan, Lambert, se soulève et entraîne dans sa rébellion plusieurs seigneurs italiens parmi lesquels le marquis d'Ivrée, Adalbert, et le comte de Bergame, Gilbert. Les révoltés font appel au roi de Bourgogne, Rodolphe II, qui est victorieux, le 17 juillet 923, à Fiorenzuola, près de Plaisance. Bérenger se réfugie à Vérone, mais ne s'avoue pas vaincu[34]. Le succès de Rodolphe II est en effet loin d'être décisif. Non seulement le roi de Bourgogne n'a pas entamé la domination de Bérenger dans le Frioul, mais il n'a pu se faire reconnaître en Toscane et il n'exerce pas la moindre influence sur l'Italie méridionale, Bérenger peut encore compter sur l'appui des Hongrois et, d'autre part, Hugue d'Arles, qui gouverne la Provence au nom de Louis l'Aveugle, s'affirme, semble-t-il, dès 923, comme un compétiteur possible[35]. Plus que jamais, le, sort de l'Italie reste incertain, La mort de Bérenger, assassiné par son filleul Flambert (7 avril 924)[36], va rendre la solution plus aisée. HUGUE D'ARLES ROI D'ITALIE. — Rodolphe II, qui était rentré en Bourgogne à la fin de 923, revient en toute hâte. Il est à Pavie le 18 août 924, à Vérone le 12 novembre[37], mais, au moment où l'Italie du nord-est, autrefois soumise à Bérenger, paraît prête à se rallier à son pouvoir, les seigneurs, du centre s'insurgent contre lui et optent décidément pour Hugue d'Arles qui a également pour lui l'archevêque de Milan et sans doute aussi le pape Jean X[38]. Rodolphe pourtant n'abandonne pas la lutte ; il appelle à son secours son beau-père, Burchard de Souabe, qui lui amène d'importants renforts, mais Burchard est tué devant Ivrée le 28 ou 29 avril 926 et Rodolphe II, universellement délaissé, regagne son royaume de Bourgogne, tandis que Hugue reçoit à Pavie (juillet 926) la couronne d'Italie qu'il devait conserver pendant vingt ans[39]. Liudprand de Crémone raconte que, par la suite — ce serait sans doute vers 933[40] — les Italiens rappelèrent encore une fois Rodolphe et que Hugue conjura le péril en cédant à Rodolphe toute la terre qu'il avait tenue en Gaule avant de monter sur le trône[41]. Il faut voir là sans doute une allusion au traité par lequel, en 933, Hugue d'Arles renonça à toute prétention sur la succession de Louis l'Aveugle, mort en 928 sans héritier légitime. En réalité, Hugue ne fut pas sérieusement inquiété en Italie, mais il renonça à toute autorité royale sur le versant occidental des Alpes[42]. FORMATION DU ROYAUME D'ARLES. — Rodolphe II de Bourgogne trouva en effet en Provence une heureuse compensation à son échec italien. Après le départ de Hugue d'Arles, Louis l'Aveugle avait remis le gouvernement du comté de Vienne à son bâtard, Charles-Constantin, qui réussit a s'y maintenir après la mort de l'infortuné souverain (928), mais, à la suite du traité de 933, Charles, tout en gardant le Viennois, dut reconnaître l'autorité du roi de Bourgogne transjurane. Les efforts du roi de France pour asseoir sa suzeraineté, un moment admise, sur le comté et, en même temps, sur le Lyonnais ne furent pas couronnés de succès et c'est ainsi que, par la volonté de Hugue d'Arles, soucieux d'éviter toute compétition en Italie, l'ancien royaume de Provence revint à Rodolphe II qui régna désormais sur le royaume d'Arles, depuis Bâle jusqu'au delta du Rhône[43]. L'existence de ce nouvel État parut, au début, assez précaire. Charles-Constantin, comte de Vienne, chercha un moment à substituer sur son fief la suzeraineté du roi de France à celle du roi de Bourgogne[44]. D'autre part, à la mort de Rodolphe II (937), Hugue d'Arles tenta de confisquer à son profit la succession du prince défunt. Grâce à l'intervention du roi de Germanie Otton Ier, le royaume d'Arles garda son indépendance qu'il conserva pendant un siècle (933-1032)[45]. APAISEMENT DES LUTTES POLITIQUES EN ITALIE. — La formation du royaume d'Arles, qui groupe deux des États formés par l'ancienne Lotharingie, tandis que le troisième, la Lorraine, est devenu un duché allemand, est sans doute la plus curieuse conséquence des luttes dynastiques qui ont affecté l'Italie de 900 à 926. Celles-ci semblent, à cette date, en voie de s'apaiser. Hugue, jusqu'en 945, ne sera pas sérieusement inquiété, mais il n'a, en réalité, qu'une ombre de pouvoir. La royauté italienne, dans le second quart du Xe siècle, n'est pas plus forte que la royauté germanique au temps de Louis l'Enfant et de Conrad Ier de Franconie. IV. — L'Italie pendant le règne de Hugue d'Arles (926-947) ÉVOLUTION POLITIQUE DE L'ITALIE AU DÉBUT DU Xe SIÈCLE. — Les causes qui ont provoqué en Allemagne la formation des duchés nationaux ont déterminé en Italie une évolution politique du même ordre, quoiqu'assez différente dans ses effets. A la faveur des luttes dynastiques, particulièrement âpres dans la péninsule pendant les premières années du Xe siècle, l'autorité royale a subi une éclipse totale ; partout se sont édifiées des puissances locales qui ont acquis une indépendance à peu près complète. L'Italie, pendant le règne de Hugue d'Arles (926-947), est morcelée en principautés laïques et ecclésiastiques qui échappent totalement à l'emprise du souverain. LES MARQUIS DE FRIOUL ET D'IVRÉE. — Le royaume carolingien d'Italie avait son centre en Lombardie et Pavie en était la capitale. Il s'étendait, à l'est, avec la marche de Frioul, jusqu'à l'Istrie et, au sud-ouest, la Toscane en faisait partie. Au moment où mourut Charles le Gros, le marquis de Frioul, Bérenger, avait acquis une indépendance à peu près complète qui lui permit d'aspirer à la couronne. Il en était de même des marquis d'Ivrée Adalbert, puis Bérenger, dont relevaient les comtés de Turin et d'Asti ; solidement établis sur le rebord des Alpes, ils ont échappé à tout contrôle de la part des rois qui se sont succédé en Italie pendant le premier quart du Xe siècle[46]. LA TOSCANE. — Plus au sud, gardant les voies qui conduisent à Rome, la maison de Toscane a joué un rôle encore plus décisif. Le marquis Adalbert a pu, pendant plusieurs années, retarder le couronnement impérial de Bérenger auquel il ne reconnaît aucun pouvoir sur son État. La mort de ce prince aux allures toutes royales, survenue en 913, ne changea rien à la situation. Comme son fils et successeur, Guy, était mineur, Bérenger crut l'occasion propice pour s'emparer de la marche de Toscane. En 916, il fit saisir et emmener à Mantoue le jeune marquis et sa mère, Berthe, qui exerçait la régence en son nom. Aussitôt villes et châteaux se dressèrent contre le roi, si bien qu'il fallut rendre la liberté aux deux prisonniers[47]. L'indépendance de la Toscane se trouva accrue de ce fait. Par la suite, Guy augmenta très sensiblement sa puissance en épousant une des personnes les plus en vue de l'aristocratie romaine, Marozie[48]. LA FÉODALITÉ ECCLÉSIASTIQUE DANS L'ITALIE DU NORD. — A côté des marquis qui ont usurpé tous les droits régaliens, il s'est constitué une féodalité ecclésiastique, particulièrement forte en Lombardie. Pendant la période troublée qui a suivi la mort de Charles le Gros, les évêques, dont l'influence sur les populations n'a cessé de grandir à la faveur des invasions hongroises et des guerres civiles, ont arraché aux divers prétendants qui se disputaient la couronne d'importantes concessions qui leur ont assuré la plus large autorité temporelle sur les cités qu'ils dirigeaient au spirituel. C'est ainsi que, pour se concilier l'évêque de Modène, Guy de Spolète s'est empressé de lui abandonner la plupart des droits régaliens sur sa ville épiscopale. Bérenger, - contraint par des nécessités analogues, s'est dépouillé de la même façon au profit de l'église de Bergame. Celles de Crémone, Parme, Plaisance ont reçu des privilèges analogues. Dans beaucoup de cités, l'évêque perçoit les redevances qui autrefois alimentaient le trésor royal et, sous prétexte de défendre le pays contre les envahisseurs, construit un château qui lui permet d'accroître sa puissance matérielle[49]. ALBÉRIC PRINCE DES ROMAINS. — Le roi d'Italie, dont l'autorité tend à devenir purement nominale au nord et au centre de la péninsule, ne peut pas davantage faire prévaloir son influence à Rome et dans la région avoisinante. Depuis la disparition de l'empire carolingien, Rome est tombée au pouvoir de l'aristocratie qui, contenue et bridée par Charlemagne et ses successeurs, a relevé la tête depuis la mort du pape Jean VIII (882). Elle a notamment exploité en sa faveur les incidents qui ont suivi la mort de Formose, et finalement s'est emparée du gouvernement de Rome où le pape lui-même est désigné par elle[50]. Son chef, au début du Xe siècle, est le vestiaire pontifical, Théophylacte, qui, comme tel, a la garde du trésor ; il ajoute à cette charge les fonctions de dux et de magister militum grâce auxquelles il domine la campagne romaine, puis le double titre de consul et de senator romanus, source pour lui de la toute-puissance à Rome même[51]. Théophylacte a subi, au plus haut point, l'influence de sa femme, Théodora, puis de sa fille aînée, Marozie, une des femmes les plus dévergondées de l'histoire. En premières noces, Marozie avait épousé le marquis de Spolète, Albéric, dont elle eut un fils, également nommé Albéric, qui est peut-être le seul homme d'État véritable qu'ait engendré l'Italie pendant la première moitié du Xe siècle. C'est lui qui a été le vrai maître de Rome pendant le règne de Hugue d'Arles. Hugue avait imaginé, pour asseoir sa puissance sur la ville éternelle, d'épouser Marozie. Par elle, ou plus exactement par le fils qu'elle avait eu de son union illicite avec le pape Serge III, il espérait devenir empereur. Albéric eut assez de volonté et d'énergie pour faire échouer cette manœuvre qui risquait d'étouffer ses propres ambitions. Il souleva les Romains contre son beau-père qui s'empressa de prendre la fuite et contre sa mère qui fut mise en lieu sûr, puis il s'empara du gouvernement de Rome qu'il exerça avec autant de modération que de fermeté (932)[52]. Au lieu de chercher à supplanter Hugue d'Arles, Albéric observa à son égard une attitude purement défensive et se contenta de repousser en 933, en 936, en 941, ses attaques successives[53]. Il n'a eu d'autre ambition, semble-t-il, que de reconstituer à son profit le duché de Rome. Dans la ville, il entend être le maître et il Veille à ce que lés papes, nommés par lui, se confinent dans leurs fonctions spirituelles. Il manifeste d'ailleurs à l'égard de l'Église des dispositions conciliantes ; les pontifes, qui lui doivent leur promotion, Léon VII (936-939), Étienne VIII (939-942), Marin II (942-946), Agapit II (946-955) sont moralement très supérieurs à ceux qui les ont précédés au temps de Théophylacte et de Marozie. Albéric laisse aussi saint Odon de Cluny réformer les monastères italiens ou romains ; il collabore même à dette œuvre d'assainissement par ses largesses et ses interventions. Son administration proprement dite reflète les mêmes tendances. S'il gouverne par lui-même sous le titre, qui figure sur ses monnaies, de princeps et omnium Romanorum senator, il sait se montrer tout à la fois équitable et pacifique ; cela lui vaut une réelle popularité parmi les Romains qui lui font confiance et sut lesquels il peut exercer jusqu'à sa mort (954) le pouvoir le plus absolu[54]. LE DUCHÉ DE SPOLÈTE. — A l'est et au sud de Rome, le duché de Spolète couvre la vallée moyenne du Tibre et une bonne partie des Abbruzzes. Ses princes ont un moment obtenu la royauté italienne et la dignité impériale. Après la disparition de Lambert, le comte de Fermo, Albéric, a recueilli son héritage en se débarrassant du dernier représentant de la famille de l'empereur qui fût capable de le lui disputer, Guy IV, qu'il fit jeter dans le Tibre[55]. Il put ainsi régner en maître à Spolète et à Camerino. Ses succès sur les Sarrasins le mirent en relief et, grâce à son mariage avec Marozie, fille de Théophylacte, il espéra même un moment dominer Rome, mais la mort le surprit en 926 avant qu'il eût pu réaliser son rêve[56]. L'ITALIE MÉRIDIONALE. — L'Italie méridionale n'a jamais subi l'influence franque. Théoriquement elle a toujours été revendiquée par l'empereur de Constantinople qui n'a jamais formellement renoncé à ses anciens droits. Pratiquement, elle est, partagée entre les Grecs, les Lombards et les Musulmans. LES POSSESSIONS BYZANTINES. — A ne considérer que les textes grecs, on pourrait croire que la domination byzantine a survécu dans toute l'Italie du sud après la chute de l'exarchat de Ravenne et les conquêtes de Charlemagne. Constantin VII Porphyrogénète rattache les possessions de l'empire d'Orient en Italie à deux thèmes, celui de Sicile et celui de Longobardie[57], mais cette division officielle, si elle laisse supposer qu'à Constantinople on n'a pas abandonné l'espoir de restaurer la domination grecque partout où elle s'était exercée, ne correspond plus à la réalité. La Sicile est occupée par les Musulmans et l'ancien thème auquel elle a donné son nom se réduit à la Calabre avec Reggio pour capitale. Quant au thème de Longobardie, s'il englobe en principe l'Italie tout entière sur laquelle Byzance prétend à une véritable suzeraineté, en fait il ne s'étend pas au delà des territoires sur lesquels s'exerçait l'autorité du stratège de Bari, c'est-à-dire la Pouille et la terre d’Otrante[58]. L'influence byzantine, au début du Xe siècle, atteint encore le littoral campanien. Gaëte, après avoir, au IXe siècle, oscillé entre le pape et l'empereur grec, opte décidément pour le basileus, tout en cherchant à conquérir son indépendance qu'elle obtiendra vers 963[59]. Naples, malgré quelques tentatives passagères pour secouer la suzeraineté byzantine, n'a jamais complètement rompu avec Constantinople et il en est de même d'Amalfi dont le commerce s'accommode fort bien d'une certaine subordination à l'empire d'Orient[60]. Bref, si l'on songe qu'à l'époque de Charlemagne l'Italie byzantine se trouvait réduite d'un côté à Gallipoli et à Otrante, de l'autre à l'extrémité sud-ouest de la péninsule au delà de Rossano et d'Amantea, on ne peut méconnaître que les Grecs ont su prendre, au sud de l'Italie, une position qui, à ne considérer que la carte, paraît encore assez forte. Toutefois les progrès de l'hellénisation dans ces régions demeurent fort lents, au moins en Pouille où l'élément lombard, qui a poussé, depuis le VIlle siècle, de profondes racines, résiste victorieusement. On continue à parler latin, à se conformer au droit lombard et l'église de Constantinople n'arrive pas à supplanter celle de Rome. D'ailleurs les Grecs, installés seulement sur le littoral, sont peu nombreux et, pour lutter contre les Musulmans, ils seront obligés de faire appel aux milices lombardes[61]. La domination byzantine demeure fragile et la mauvaise administration qui l'accompagne disposera les populations, pressurées d'impôts par des fonctionnaires obligés de vivre à leurs dépens, à accepter, quand l'occasion s'en présentera, les nouveaux maîtres qui bientôt s'offriront pour les gouverner. LES PRINCIPAUTÉS LOMBARDES. — Entre les possessions byzantines de Pouille-Calabre et les petits États campaniens, plus ou moins vassaux de Constantinople, s'intercalent le duché de Bénévent et la principauté de Salerne, derniers vestiges de la domination lombarde en Italie. Le duché de Bénévent a connu un moment de réelle splendeur à l'époque de Sicard (832-839) qui, maître de Bénévent, de Capoue et de Salerne, a réussi à chasser les Grecs de Pouille et de Calabre, à occuper Amalfi et à imposer sa suzeraineté à Naples, mais, à la mort de ce prince entreprenant et actif, le duché a été démembré. Le frère de Sicard, Siconolf, dut se contenter de Salerne et de Capoue, tandis que Bénévent restait aux mains d'un usurpateur, Radichis. Bientôt Capoue se détacha de Salerne, pour s'unir ensuite à Bénévent. Les Grecs, de leur côté, récupérèrent les territoires perdus, mais ils ne réussirent jamais à imposer leur suzeraineté aux princes lombards dont le pouvoir ne cessa de s'affermir, pendant la première moitié du Xe siècle, avec Landolf Ier à Capoue et Guaimar II à Salerne. Grâce à ces princes, qui surent faire régner l'ordre et la paix autour d'eux, les ruines accumulées par les invasions se réparèrent peu à peu. Les moines du Mont-Cassin, réfugiés à Teano depuis la destruction de leur abbaye par les Sarrasins en 883 ou 884, vinrent temporairement résider à Capoue où ils reprirent leurs travaux de copie et d'enluminure des manuscrits. Le monastère de Saint-Vincent de Vulturne fut également reconstruit entre 915 et 930. C'étaient là autant de signes indiscutables du réveil de la civilisation dans l'Italie lombarde qui est sortie la première de l'anarchie où se débattait la péninsule[62]. LA SICILE. — En revanche, la Sicile ne peut se dégager de la domination aglabite. Peu à peu chassés du continent, les Musulmans se maintiennent dans l'île où les Grecs n'occupent que la petite place de Rametta qu'ils perdront même en 965[63]. Ils ont là une excellente base d'opérations pour leurs courses dans la Méditerranée occidentale. La délivrance de la Sicile est le but commun vers lequel s'orienteront les efforts du pape, de l'empereur de Constantinople, bientôt aussi de l'empereur d'Occident, après la restauration de 962. MORCELLEMENT DE L'ITALIE. — Tel est l'état politique de l'Italie pendant le règne de Hugue d'Arles Le morcellement a atteint de plus larges proportions que dans l'Allemagne des duchés. Certaines unités ethniques, lombardes, grecques, musulmanes, ont également persisté, mais elles sont loin d'être aussi fortement accusées qu'en Germanie. Les princes, qui ont réussi' à s'affranchir de l'autorité royale, tiennent surtout leur pouvoir de circonstances de fait et les cadres sont moins résistants. Toutefois, par suite des luttes dynastiques, le pouvoir du souverain est plus faible que partout ailleurs et ce n'est pas Hugue d'Arles qui est capable de rendre à la royauté le prestige qu'elle a depuis longtemps perdu. LE GOUVERNEMENT DE HUGUE D'ARLES. — Hugue d'Arles sentait sa puissance si fragile que, pour assurer la succession au trône de son fils Lothaire, il crut bon, dès 931, de se l'associer comme roi[64]. Il chercha également à s'affermir en confiant les plus hautes dignités de l'État soit à ses proches parents, soit à des seigneurs bourguignons. Ses fils naturels, Boson et Tedbald, devinrent l'un évêque de Plaisance et archichancelier, l'autre archidiacre de Milan avec promesse de succéder à l'archevêque en fonctions. Un autre fils naturel, Hubert, reçut la Toscane à la mort de Guy, après que les héritiers légitimes eurent été éliminés par la mutilation ou par le meurtre. Les frères naturels et neveux ne furent pas moins avantagés, ainsi qu'un autre parent, l'archevêque d'Arles, Manassès, qui avait accompagné Hugue en Italie[65]. L'OPPOSITION DE BÉRENGER, MARQUIS D'IVRÉE. — Ces procédés ont rendu Hugue très impopulaire parmi les Italiens qui ont été furieux de leur exclusion systématique et l'on s'explique fort bien que le prince des Romains, Albéric, ait empêché ce roi foncièrement antipathique de se faire couronner empereur. De son côté, l'aristocratie italienne songea de bonne heure à se débarrasser d'un joug qui lui était odieux. Elle trouva un chef en la personne du jeune marquis d'Ivrée, Bérenger, qui, marié à la nièce de Hugue, avait observé pendant quelque temps, une certaine réserve. Le roi, qui le redoutait, projeta de se débarrasser de lui. A la fin de 941[66], Bérenger, se sentant menacé, s'enfuit en Allemagne, près du duc de Souabe, Hermann, qui le conduisit à la cour du roi Otton Ier[67]. Otton, à cette date, ne pouvait songer à intervenir ; la situation intérieure et extérieure de l'Allemagne n'était pas assez sûre, pour qu'il pût s'éloigner sans danger. Bérenger, déçu, resta en Souabe, mais, en 945, voyant l'impopularité de Hugue s'accroître en Italie et croyant le moment propice, il franchit les Alpes rhétiques, descendit la vallée de l'Adige où il fut arrêté par la forteresse de Formicaria (aujourd'hui Botzen) que gardait, au nom de l'archevêque Manassès, le prêtre Adalard. En promettant à l'un l'évêché de Côme et à l'autre l'archevêché de Milan, il se fit ouvrir les portes de la ville. Les défections se multiplièrent parmi les partisans de Hugue ; le comte Milon de Vérone, l'évêque Guy de Modène passèrent à Bérenger. Hugue, se voyant abandonné de tous, manifesta son désir de se retirer en Provence, en laissant la couronne à son fils Lothaire, mais Bérenger qui, instruit par l'expérience du passé, redoutait qu'il ne revînt bientôt avec de nouvelles forces, le contraignit à rester en Italie et se contenta de gouverner sous l'autorité nominale des deux rois[68]. MORT DE HUGUE D'ARLES (10 AVRIL 947). — Hugue d'Arles ne survécut guère à ces événements. Il mourut le 10 avril 947[69]. Son fils Lothaire put lui succéder et régner dans les mêmes conditions, mais il disparaîtra à son tour en 95o. A ce moment l'Italie sera mûre pour l'intervention allemande et elle ne tardera pas à accueillir Otton Ier comme un libérateur. Elle n'a pas surmonté par elle-même la crise anarchique née du démembrement de l'empire carolingien, des invasions et des rivalités dynastiques. Le redressement de la monarchie ne s'y est pas opéré comme en Allemagne et le salut ne peut venir que du dehors. |
[1] L'ouvrage essentiel pour toute l'histoire d'Italie au Xe siècle est : L. M. Hartmann, Geschichte Italiens im Mittelalter (Collection Geschichte der europaischen Staaten dirigée par A. H. L, Heeren, F. A. Ukert, W. von Giesebrecht, K. Lamprecht), t. III, 2e p. Die Anarchie, Gotha, 1911. On trouvera également des renseignements et de nombreuses références pour la fin du IXe et le début du Xe siècle dans l'ouvrage déjà cité de Dümmler, Geschichte des ostfränkischen Reichs, t. III. Pour tout ce qui touche directement ou indirectement la papauté, voir : Duchesne, Les premiers temps de l'État pontifical, Paris, 1911.
[2] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p- 122 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 424, n. 3.
[3] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 122 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 425, n. 1.
[4] Cela résulte très clairement de la bulle J. W. 3511.
[5] Cf. Duchesne, op. cit., p. 296-297.
[6] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 426, n. 2.
[7] On connaît surtout le procès de Formose par les œuvres d'Auxilius (Dümmler, Auxïlius und Vulgarius, 1866). Le récit de Liudprand, Antapodosis, I, 30 contient des inexactitudes. Cf. Duchesne, op. cit., p. 298-300 ; Hartmann, op. cit., t. III, 2e p., p. 123-124
[8] Duchesne, op. cit., p.
300-302 ; Hartmann, op. cit., t. III, 2e. p., p. 125.
[9] Mansi, t. XVIII, col. 222 et 229.
[10] Hartmann, op. cit., t. III,
28 p., p. 132.
[11] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 176-179 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 507-510.
[12] Voir : Poupardin, Le royaume de Bourgogne, p. 48.
[13] Annales Beneventani, a. 922.
[14] Hartmann, op. cit., t. III, 2e p., p. 193-194 ; Poupardin, op. cit., p ; 49-50.
[15] Flodoard, Annates, a. 924 ; Cf. Chronicon Nemausense, a. 924. Cf. Poupardin, op. cit., p. 50-51.
[16] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 215-216.
[17] Sur les invasions musulmanes, voir surtout pour l'Italie : Hartmann, op. cit., t. III, 2e p., p. 156 et suiv. et Jules Gay, L'Italie méridionale et l'empire byzantin ; pour la Provence les ouvrages déjà cités de Poupardin, Royaume de Provence et Royaume de Bourgogne.
[18] Gay, op. cit., p. 155 et suiv. On trouvera tous les textes dans Hartmann, op. cit., t. III, 2e p, p. 173. n. 12.
[19] Gay, op. cit., p. 158-159.
[20] Gay, op. cit., p. 159-163.
[21] Gay, op. cit., p. 201-202.
[22] Gay, op. cit., p. 206-208.
[23] Gay, op. cit., p. 212-218.
[24] Cf. Poupardin, Royaume de Provence, p. 248 et suiv.
[25] Flodoard, Annales, a. 931.
[26] Flodoard, Annales, a. 942.
[27] Sur ces expéditions, cf. Poupardin, Royaume de Bourgogne, p. 91-93.
[28] Cf. Poupardin, Royaume de Bourgogne, p. 94 et suiv.
[29] Pour l'itinéraire de Louis de Provence, voir : Poupardin, Le royaume de Provence sous les Carolingiens, p. 164 et suiv.
[30] Cf. Poupardin, Royaume de Provence, p. 179-180.
[31] Hartmann, op. cit., t. III, 28 p., p. 181-182 ; Poupardin, Royaume de Provence, p. 181, 189.
[32] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 187-188.
[33] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 188-189.
[34] Hartmann, op. cit., t. III, 2 ? p., p. 191-192 ; Poupardin, Royaume de Provence, p. 216-218, et Royaume de Bourgogne, p. 34 et suiv.
[35] Cf. Poupardin, Royaume de Provence, p. 218-219.
[36] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 192-193.
[37] Sur l'itinéraire de Rodolphe II, voir : Poupardin, Royaume de Bourgogne, p. 5 I-52.
[38] Hartmann, op, cit., t. III, 2e
p., p. 195-196.
[39] Hartmann, op. cit., t. III, 28 p., p. 197 ; Poupardin, Royaume de Provence, p. 219-225, et Royaume de Bourgogne, p. 53-58.
[40] Cf. Poupardin, Royaume de Bourgogne, p. 59, et Royaume de Provence, p. 231.
[41] Liudprand, Antapodosis, III, 48.
[42] Cf. Poupardin, Royaume de Provence, p. 230-233.
[43] Sur la formation du royaume d'Arles, voir surtout : Poupardin, Royaume de Provence, p. 233 et suiv., Royaume de Bourgogne, p. 59-61.
[44] Cf. Poupardin, Royaume de Bourgogne, p. 60-61.
[45] Cf. Poupardin, Royaume de Bourgogne, p. 66 et suiv.
[46] Hartmann, op. cit., t.
III, 2e p., p. 182.
[47] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 188-189
[48] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 195.
[49] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 182-185.
[50] Voir plus loin chapitre IV.
[51] Sur le pouvoir de Théophylacte, voir : Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, t. III, p. 236 et suiv. ; Hartmann, op. cit., t. III, 26 p., p. 209-210.
[52] Duchesne, Les premiers temps de l'Etat pontifical, p. 32Z-323 ; Hartmann, op. cit., t. III, 2e p., p. 217-218.
[53] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 218.
[54] Duchesne, op. cit., p. 331-332 ; Hartmann, op. cit., t. III, 2e p., p. 221 et suiv.
[55] Hartmann, op. cit., t. III, p., p. 154 et 211.
[56] Duchesne, op. cit., p. 317-320.
[57] Constantin VII Porphyrogénète, De thematibus, édit. Bekker, t. II, p. 58-60.
[58] Cf. J. Gay, L'Italie méridionale et l'empire byzantin, p. 167 et suiv ; F. Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, t. I, 1907, p. i et suiv.
[59]
De 899 à 933, les actes sont datés des années de l'empereur de Constantinople. Cf. Chalandon, op. cit., t.
I, p. 9 ; Gay, op. cit., p. 251-253.
[60] Gay, op. cit., p. 240-251 ;
Chalandon, op. cit., t. I, p. 10-16.
[61] Cf. Chalandon, op. cit., t.
I, p. 26 et suiv.
[62] Nous renvoyons pour tous ces faits aux excellentes pages de J. Gay, op. cit., p ; 229-238, que nous n'avons fait que résumer.
[63] Gay, op. cit., p. 290-291.
[64] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 197, n. 12.
[65] Hartmann, op. cit., t III,
Z6 p., p. 200-201.
[66] Sur la date, cf. Hartmann, op. cit., p. 241, n. 14.
[67] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 233-234.
[68] Hartmann, op. cit., t. III,
2e p., p. 234-236 ; Köpke et Dümmler, Otto der Grosse, p. 136, 140.
[69] Hartmann, op. cit., t. III,
28 p., p. 242, n. 15.