I. — Le péril extérieur : Slaves et Hongrois. L'histoire de l'Allemagne au début du Xe siècle est dominée pour une large part par des contingences extérieures. La présence des Slaves sur l'Elbe et le Danube, l'apparition des Hongrois, dont les invasions périodiques commencent aussitôt après la mort d'Arnulf, ont lourdement pesé sur les destinées du royaume de Germanie. LES SLAVES DE L'ELBE. — Du côté du nord-est, la frontière allemande est formée par l'Elbe et par son affluent, la Saale, 'qu'elle n'atteint même pas toujours[1], Des tribus slaves se sont installées, en certains points, sur la rive gauche de ces cours d'eau ; quelques-unes se sont infiltrées, le long de la forêt r de Thuringe, jusqu'au Main. L'Allemagne se trouve donc à la merci du moindre incident. La politique purement défensive, suivie par Charlemagne et par ses successeurs, n'a eu que des résultats incertains et les positions slaves sur les rives de l'Elbe sont restées pour le moins intactes. Parmi ces peuplades on distingue généralement trois groupes principaux : tout à fait au nord, sur l'Elbe inférieure, les Obotrites qui englobent les Wagriens, établis dans le Holstein oriental, et toute la série des tribus qui occupent le Mecklembourg et le Lauenbourg, puis, au centre, entre l'Oder et la Baltique, les Wélétabes ou Wilzes et les Liutices qui ont été astreints au tribut sous Charlemagne, enfin, entre la Saale, l'Erzgebirge et l'Elbe, le puissant groupe des Sorabes ou Serbes du nord qui déborde au delà du fleuve jusqu'au Brandebourg actuel et auquel se rattachent, plus à l'est, les Daléminciens, les Miltchanes et les Luzitchanes[2]. Ces peuples sont restés païens et presque entièrement inaccessibles à l'influence allemande. Ils n'ont cessé d'attirer l'attention des rois de Germanie. Au début de son règne, Arnulf a été obligé d'entreprendre une expédition contre les Obotrites et une invasion de tribus, qui ne sont pas nommément désignées, est signalée en 902 par les annales saxonnes[3]. Toutefois, si des incursions isolées sont toujours à redouter, aucun mouvement d'ensemble ne se dessine à la fin du IXe siècle. Le danger existe ; il n'est pas imminent. L'EMPIRE MORAVE. — A l'est de l'Erzgebirge, un autre rameau slave est formé par les Tchèques, établis dans la vallée supérieure de l'Elbe, par les Moraves, fixés dans le bassin de la Morava, d'où ils rayonnent jusqu'aux Carpathes et au Danube, enfin, sur la rive droite du Danube, par les Slovènes. Les Moraves ont eu, pendant la seconde moitié du IXe siècle, les plus brillantes destinées[4]. Tributaires de l'empire franc à l'époque de Charlemagne, ils se sont affranchis et ont aggloméré la plupart des peuples voisins. Ils ont créé, au temps de Rastislas (845-870) et de Svatopluk (870-894), le grand empire morave qui s'étendait sur la Pannonie, donnée en fief à Svatopluk par Charles le Gros, sur la Bohême et même, à l'ouest, sur le pays des Sorabes, à l'est sur la Galicie orientale, soit du Fichtel-Gebirge aux sources du Dniestr et de la Saale à la Tizza et au Danube. Évangélisé par des missionnaires venus de Byzance, Cyrille et Méthode, ce qui ne l'empêcha pas d'être filialement soumis à l'Église romaine[5], l'empire de Svatopluk formait, aux portes de l'Allemagne, un État puissant qui fut, comme on l'a déjà noté, l'objet de sérieuses préoccupations pour les rois de Germanie[6]. La mort de Svatopluk (894) a été beaucoup plus fatale à l'empire morave que les vaines expéditions dirigées par Arnulf. Le duc laissait deux fils, Moimir et Svatopluk II, auxquels il confia le gouvernement de ses États ; il avait subordonné le plus jeune à son aîné et recommandé à tous deux de vivre dans la plus parfaite union, afin de mieux poursuivre la lutte contre la Germanie[7]. Moimir et Svatopluk II s'empressèrent toutefois de conclure la paix avec Arnulf[8]. Une opposition s'était dessinée contre la politique de leur père : certains seigneurs, qui désapprouvaient la guerre avec l'Allemagne et souhaitaient une entente pacifique avec les populations voisines de Bavière, n'avaient pas hésité, en juillet 895, à se rendre à Ratisbonne[9], où se trouvait Arnulf, pour manifester leurs sentiments. Une réconciliation entre Slaves et Germains semblait donc possible et elle paraissait d'autant plus nécessaire qu'un nouveau péril, de nature à les faire également trembler, venait de surgir à l'est. L'année même où disparaît le grand animateur de l'empire morave (894), les Hongrois pénètrent en Pannonie. APPARITION DES HONGROIS DANS LA VALLÉE DU DANUBE. — Originaires de l'Asie centrale, où ils menaient une vie essentiellement nomade, les Magyars, appelés plus tard Hongrois, ont pénétré en Europe au début du IXe siècle et se sont établis, autour de 860, entre le Don et le Dniepr où Méthode, alors archevêque de Pannonie, essaya, sans grand succès, de les convertir au christianisme[10]. L'arrivée dans ces parages des Petchenègues, qui venaient eux aussi du centre de l'Asie, les contraignit à franchir le Dniepr, puis le Dniestr. Un moment fixés en Moldavie et en Valachie d'où ils lancent déjà des expéditions vers l'ouest et vers le sud, ils franchissent les Carpathes en 895, cédant toujours à la poussée des Petchenègues. Cette fois, ils s'installent dans la région de la Tizza et du moyen Danube, où ils s'intercalent entre les Slovènes et f les Moraves qu'ils ont déjà attaqués à deux reprises, peut-être avec la complicité d'Arnulf qui, animé contre les Slaves d'une haine aveugle, n'a pas su apercevoir le nouveau péril. La crise intérieure qui avait suivi la mort de Svatopluk facilita ces progrès : les deux fils du prince défunt s'entendaient mal et, loin de favoriser une réconciliation nécessaire, la politique allemande entretint, à l'intérieur de l'empire morave, des divisions qui devaient être cruellement expiées[11]. La plaine du Danube moyen invitait les Hongrois à un établissement prolongé. Aucun autre occupant n'était capable de la leur disputer victorieusement. Le sol et le climat étaient propices à un développement agricole, source d'une prospérité certaine, mais il eût fallu, pour cela, que de nomades les nouveaux arrivants devinssent sédentaires. Or ce peuple, essentiellement guerrier, par-dessus tout pillard et amateur de razzias fructueuses, était incapable de se plier à une pareille transformation. Il n'essaya même pas de cultiver la riche plaine à laquelle il a attaché son nom ; il se contenta d'y pratiquer l'élevage du cheval et cela dans un but belliqueux, afin d'assurer le succès des raids extraordinairement rapides qui allaient, pendant de longues années, semer la terreur en Italie et en Allemagne. LA POLITIQUE D'ARNULF. — Ni d'un côté ni de l'autre on ne vit immédiatement le danger. En Allemagne, Arnulf, avec une extraordinaire inconscience, peut-être due à son fâcheux état de santé, persévéra dans ses anciens errements. Après avoir laissé les Hongrois prendre possession du Danube moyen, il ne sut pas mettre son royaume en état de défense ni lui procurer les alliances nécessaires. Un rapprochement avec les Slaves s'imposait. Au lieu de recourir à ce moyen de salut, le seul qui pût être vraiment efficace, le roi de Germanie, fidèle à son ancienne politique, chercha au contraire à anéantir l'empire morave en exploitant à son profit la guerre civile qui le désolait. En 898, les fils de Svatopluk, Moimir et Svatopluk II, qui s'entendaient mal depuis la mort de leur père, en viennent aux mains. Le plus jeune sollicite contre son aîné l'appui de l'Allemagne. Sur l'ordre d'Arnulf, les margraves Luitpold et Aribon vont ravager le pays, mais sans grand résultat, semble-t-il, car Moimir réussit à se saisir de son frère. En 899, les Bavarois accourent de nouveau pour délivrer le malheureux Svatopluk qu'ils ramènent triomphalement en Bavière, après avoir mis le feu au château où il était enfermé[12]. LES PREMIÈRES INCURSIONS HONGROISES. — A la même date, les Hongrois commencent leurs incursions. Sans doute l'Allemagne est tout d'abord épargnée et c'est sur l'Italie que s'abat le fléau. En 899, la Lombardie est saccagée, mais, au retour, les pillards vont compléter leur butin en Pannonie (juillet 900). Pendant ce temps, les Bavarois sont occupés à ravager la Moravie où ils ont pénétré par la Bohême[13]. Les cavaliers magyars, ne trouvant aucun obstacle devant eux, marchent vers l'ouest et s'avancent jusqu'à l'Enns, en traversant les terres de l'abbaye de Saint-Florian. Ils sont enfin arrêtés par le comte Luitpold et l'évêque Richer de Passau qui ont réussi, non sans peine, à improviser une armée (20 novembre 900)[14]. Ils battent en retraite. Le péril est momentanément écarté, mais, bien que douze cents ennemis soient restés sur le champ de bataille, les forces hongroises demeurent intactes et leur vigueur offensive n'est nullement brisée. LOUIS III L'ENFANT. — D'autre part, la Germanie n'a même plus de souverain qui soit capable de la défendre. Arnulf est mort le 8 décembre 899. Il a eu pour successeur son seul héritier légitime, son fils Louis, auquel il avait pris la précaution de faire jurer fidélité, dès 897, par les seigneurs allemands[15]. Ceux-ci n'osèrent pas se déjuger et, le 4 février 900, l'assemblée de Forçhheim proclama à nouveau le jeune prince roi de Germanie[16]. La Lorraine, que se disputaient Zwentibold et le roi de France, Charles le Simple, reconnut également Louis III qui vint aussitôt à Thionville recevoir le serment de ses sujets de l'ouest[17] et, malgré les efforts de Zwentibold qui fut vaincu et tué[18], elle resta, jusqu'en 911, unie à l'Allemagne. Né en 893, Louis, que l'on a surnommé l'Enfant, venait, en 899, d'accomplir sa sixième année. Il était donc incapable de gouverner et d'organiser la résistance à l'invasion. L'assemblée de Forchheim lui adjoignit un conseil de régence d'où sa mère, la reine Oda, fut écartée. Le royaume passa sous la direction des évêques, notamment de l'archevêque de Mayence, Hatton, et de l'évêque d'Augsbourg, Adalbéron, qui avaient été les plus intimes conseillers d'Arnulf pendant les dernières années du règne. Ils s'adjoignirent quelques seigneurs laïques comme le margrave de Bavière, Luitpold, personnage puissant et bientôt populaire - par sa victoire sur les Hongrois, les deux comtes franconiens Gebhard et Conrad[19]. CHUTE DE L'EMPIRE MORAVE (905-906). — L'avènement d'un enfant de six ans, au moment où il aurait fallu que le royaume eut à sa tête un chef militaire de premier ordre, avait la valeur d'une catastrophe. Les régents firent pourtant preuve d'un certain bon sens. Instruits par l'invasion de 900, qui inaugura le nouveau règne, ils s'empressèrent de réagir contre la malencontreuse politique d'Arnulf et de conclure là paix avec les Moraves (901)[20]. Il était malheureusement trop tard et l'ancien empire de Svatopluk avait été trop affaibli au cours des années précédentes pour résister aux attaques répétées des Hongrois. Ceux-ci, au printemps de 901, ont paru en Carinthie, et, bien qu'ils aient été repoussés, ils ne sont pas hors d'état de nuire[21]. La lutte continue pendant les années qui suivent. L'on n'en connaît pas les différents épisodes. Il semble que les Moraves, spécialement affectés par l'agression magyare, se soient bien défendus, mais, malgré des succès partiels, malgré quelques avantages du côté bavarois, leur empire s'effondre en 905-906 et passe sous le joug des Hongrois[22]. Cette fois, l'Allemagne est immédiatement menacée et les erreurs de la politique orientale d'Arnulf vont produire leurs effets. LES INVASIONS HONGROISES EN ALLEMAGNE JUSQU'À LA MORT DE LOUIS L'ENFANT (906-911). — Au cours des années 906 et 907, la poussée est particulièrement forte. Elle s'exerce à la fois sur l'Elbe et sur le Danube. Du côté de l'Elbe, les Hongrois ont obtenu des Slaves installés sur le cours moyen du fleuve, qui avaient subi récemment plusieurs attaques de la part des princes saxons, l'autorisation de traverser leur territoire et, à la fin de juin go6, ils pénètrent en Saxe où ils commettent toutes sortes de violences[23]. L'année suivante (907), la Bavière est envahie à son tour et elle paraît hors d'état de se défendre. Après la première randonnée hongroise dans ce pays, on a fortifié hâtivement les monastères destinés à devenir, en cas de nécessité urgente, des lieux de refuge, mais, en dehors de la place d'Ennsbourg, aucun obstacle n'est assez puissant pour retarder sérieusement les hordes redoutées. Une assemblée, tenue à Furth le 19 mars, sous la présidence du jeune roi et à laquelle assistent plusieurs comtes et évêques, essaie de recruter une armée. Celle-ci, obligée de combattre à peine constituée, se montre incapable de tenir le coup. Attaquée par les Hongrois le 5 ou 6 juillet, elle est presque totalement anéantie. Son chef, le valeureux duc Luitpold, périt dans la mêlée ; l'archevêque de Salzbourg et deux autres évêques sont faits prisonniers[24]. Après ce désastre, l'Allemagne est largement ouverte aux Hongrois qui, chaque année, renouvellent leurs visites sanglantes. En 908, c'est la Saxe qui est encore une fois ravagée ; une armée, composée de Franconiens et de Thuringiens, a le même sort que l'armée bavaroise en 907 ; l'évêque de Würtzbourg, Rodolphe, et le margrave de Thuringe, Burchard, périssent dans le combat[25]. En 909, selon l'alternance habituelle, l'invasion est déclenchée au sud : maîtres de la marche de l'est qui leur sert de base d'opérations, les Hongrois s'avancent jusqu'en Souabe et, comme cette région n'avait pas encore été pillée, le butin est particulièrement abondant[26]. Au retour, les envahisseurs sont surpris, près de l'Inn, par le jeune margrave de Bavière, Arnulf, fils de Luitpold, qui venge ainsi la mort de son père (30 juillet 909)[27], mais, l'année suivante (910), ils prennent une terrible revanche en dispersant près d'Augsbourg les contingents souabes, franconiens et bavarois que le roi Louis l'Enfant, parvenu à sa majorité, avait péniblement réussi à grouper sous son étendard[28]. MORT DE LOUIS L'ENFANT (911). — Cette nouvelle défaite, aussi grave que celles de 907 et 908, a précédé d'un an la mort de Louis l'Enfant qui disparaît, âgé seulement de dix-huit ans, le 24 septembre 911[29], en laissant une situation à bien des égards désespérée. II. — La formation des duchés nationaux. CONSÉQUENCES DES INVASIONS HONGROISES. — Les invasions hongroises ont épuisé l'Allemagne ; elles l'ont à la fois saignée et ruinée. A travers les récits des chroniqueurs et des hagiographes on peut, même en faisant la part des exagérations habituelles, deviner les traces douloureuses qu'elles ont laissées [30]. Massacre méthodique de toute la population virile sans distinction d'âge, outrages ignominieux aux femmes de toute condition qui, lors de l'expédition de 906 en Saxe, furent emmenées en captivité nues et attachées les unes aux autres par leur chevelure[31], cruautés préméditées envers les enfants, dévastation méthodique des campagnes, incendie des villes et des villages aussi bien que des forêts et des moissons, pillage en règle des églises et des monastères, profanation des reliques et vol des reliquaires, tel est le bilan ordinaire des incursions magyares qui semblent avoir dépassé en horreur tout ce que l'on avait vu jusque-là. Aussi les populations ont-elles vécu dans un état de terreur continuelle. Elles n'ont eu d'autre ressource que de se réfugier dans les places murées qui ne leur ont pas toujours offert l'abri parfaitement sûr qu'elles recherchaient. L'ANARCHIE INTÉRIEURE. — Aux maux provenant de l'invasion s'en ajoutent d'autres qui ont pour origine l'insécurité générale. Sauf dans quelques régions où l'autorité locale a été assez forte pour maintenir l'ordre, le brigandage a sévi avec une intensité peu commune. Les écrivains de tout ordre déplorent en termes émus l'état d'anarchie où, pendant le règne de Louis l'Enfant, se débat la malheureuse Allemagne. Rien de plus caractéristique à cet égard que l'épître en vers adressée vers 906 par l'évêque Salomon de Constance à son confrère de Verdun, Dadon : Il y en a bien peu parmi les nôtres, s'écrie-t-il, qui vivent en bonne intelligence. Tous se querellent, l'évêque, le comte et les vassaux. Concitoyens et hommes de la même race se combattent les uns les autres. Le peuple des villes murmure et, à l'intérieur des cités, la sédition est déchaînée. Pourquoi faut-il que la discorde vienne aussi exciter les proches de son aiguillon ? Le frère provoque le frère en une lutte armée. La populace exhale son acrimonie et sa rage. Tout le monde se bat, tandis que la loi est piétinée[32]. EFFACEMENT DE LA ROYAUTÉ. — La royauté s'est montrée aussi impuissante à réprimer ces désordres qu'à barrer la route aux envahisseurs. Les quelques tentatives de Louis l'Enfant pour organiser la résistance ont abouti à un lamentable échec. Personne ne songea pourtant à déposer le jeune souverain, si manifestement inférieur à sa tâche, mais son abstention détermina chaque pays à créer par lui-même ses moyens de défense : Luitpold en Bavière, Henri en Saxe, l'un en 900, l'autre en 906, ont ainsi assumé la protection des contrées qui relevaient de leur autorité. FORMATION DES DUCHÉS NATIONAUX. — Dès lors, il n'est pas surprenant que ces chefs militaires, qui en général se transmettaient leur fonction de père en fils, se soient transformés très vite en chefs nationaux. Forts de l'appui des peuples qui se groupaient autour d'eux, de comtes ou de margraves ils sont devenus des ducs, à peu près indépendants de la couronne[33]. Plusieurs circonstances ont favorisé la formation de ces duchés nationaux. L'existence de groupes ethniques ayant une individualité très accusée constitue le facteur le plus essentiel. Quoique incorporés dans l'empire carolingien, ces groupes ont gardé leur langue, leurs mœurs, leurs lois particulières et, comme le plus souvent ils correspondent à des régions géographiques nettement dessinées, on s'explique fort bien que, du jour où le pouvoir royal devint trop faible pour exercer son action, ils aient repris leur autonomie dans le cadre traditionnel, sous l'autorité d'un chef militaire, appartenant à l'aristocratie indigène. Ces chefs ont, avec le titre de duc, usurpé les droits régaliens ; dès la fin du règne de Louis III, ils ont hérité de toutes les prérogatives et de tous les pouvoirs qui appartenaient au souverain. RIVALITÉ DES ÉVÊQUES ET DES DUCS. — L'Église ne se montra pas favorable à cette évolution. Les évêques sont restés très attachés à la dynastie carolingienne qui les a enrichis et, le plus souvent, a choisi parmi eux ses conseillers. Ce sont eux qui ont gouverné pendant la minorité de Louis l'Enfant. Aussi ont-ils vu d'un assez mauvais œil se dresser en face de la royauté une nouvelle puissance qui risquait de jalouser et de combattre celle qu'ils avaient eux-mêmes acquise. Dans certains pays ils luttèrent avec âpreté contre les ducs, mais le pouvoir de leurs rivaux s'appuyait tout à la fois sur des nécessités actuelles trop urgentes et sur des traditions trop anciennes pour qu'il fût possible d'aller à l'en-contré d'une transformation provoquée par d'inévitables circonstances. LES CINQ DUCHÉS NATIONAUX. — Dès la fin du règne de Louis l'Enfant, l'Allemagne est partagée en cinq duchés nationaux, qui ont chacun leur physionomie. LE DUCHÉ DE SAXE. — Le plus ancien de ces duchés est la Saxe, bastion septentrional de la Germanie en face des Danois et des Slaves massés à sa frontière du nord et du nord-est[34]. La maison ducale a eu pour fondateur, au temps de Louis le Pieux, Liudolf qui, issu d'une vieille famille noble, portait déjà le titre de duc des Saxons orientaux. Son fils, Brunon, qui hérite de cette dignité, se distingue par sa lutte héroïque contre les Danois au cours de x laquelle il trouve la mort. Après lui, le second fils de Liudolf, Otton, agrège à la Saxe la marche de Thuringe qui suivra désormais ses destinées. Il réussit également, pendant les règnes de Charles le Gros, d'Arnulf et de Louis l'Enfant, à se rendre indépendant et à accaparer pour lui tous les droits régaliens, sans même se heurter à l'Église que ses prédécesseurs ont richement dotée. Otton a de telles allures de souverain que les derniers Carolingiens n'osent guère se montrer dans son duché où ils n'ont plus que l'ombre du pouvoir. Dès le début du Xe siècle, sans qu'il y ait eu même un soupçon de guerre civile, la Saxe, matée et annexée par Charlemagne, a repris ses anciens traits nationaux, et même sa physionomie plutôt archaïque. LE DUCHÉ DE BAVIÈRE. — Le duché de Bavière s'est constitué lui aussi sans violence, quoique dans des conditions quelque peu différentes[35]. Il doit son origine à une marche frontière, créée par Louis le Pieux pour protéger l'Allemagne contre les Slaves. Les margraves qui furent placés à sa tête et qui portèrent à plusieurs reprises le nom de ducs, se rattachaient généralement à la famille carolingienne. La Bavière a même un instant formé, avec Ratisbonne pour capitale, un royaume distinct pour l'un des fils de Louis le Germanique, Carloman et, lors de son avènement, Arnulf la gouvernait comme duc. Celui-ci, en prenant possession de la couronne, confia sa charge, avec mission de veiller à la frontière morave, à son ami Luitpold qui appartenait à une famille autochtone. Grâce au crédit dont il jouissait auprès du roi, plus tard grâce au rôle qui lui fut dévolu sous le règne de Louis l'Enfant, Luitpold put s'enrichir. Il acquit de nombreux fiefs, réunit sous son autorité la Carinthie et la Pannonie, arrondit encore ses domaines à la suite de son mariage avec Cunégonde, sœur des comtes souabes, Erchanger et Berthold. La guerre contre les Hongrois acheva de le mettre en relief et c'est en combattant les nouveaux envahisseurs qu'il trouva la mort (907). Du moins légua-t-il sa dignité à son fils, Arnulf, qui s'intitule duc de Bavière et des pays voisins par la grâce de Dieu[36]. A ce moment, la Bavière, comme la Saxe, a conquis sa pleine indépendance et Arnulf s'acquitte de la lourde mission qui lui incombe sans se soucier du roi qu'il feint d'ignorer. LE DUCHÉ DE FRANCONIE. — Un troisième duché allemand a pris corps en Franconie, dans ce pays des Francs de l'est qui a pour centre la vallée du Main. Il est loin d'avoir la même cohésion que la Saxe ou la Bavière : Franconie orientale et Hesse se sont longtemps opposées l'une à l'autre ; de plus la rivalité des deux principales familles nobles, celle des Bamberg et celle des Conradins, qui atteint son paroxysme au début du Xe siècle, a beaucoup retardé la formation du duché et, à la différence des deux autres, l'a fait naître dans une atmosphère empourprée de sang[37]. A la fin du règne d'Arnulf, la famille des Bamberg était représentée par Adalbert, Adalard et Henri, fils du comte Henri qui avait été tué au siège de Paris par les Normands en 886. Les Conradins avaient pour chef le comte Conrad l'Ancien, père du futur roi Conrad Ier. Arnulf n'avait cessé de favoriser les Conradins, en donnant notamment au plus jeune de ses membres, Rodolphe, l'évêché de Würtzbburg[38]. La rivalité, fort ancienne, qui opposait les Bamberg et les Conradins ; dégénéra alors en un violent conflit, les terres des premiers étant en partie enclavées parmi celles de l'évêché. En 902, Adalbert et ses frères, sortant de leur château de Bamberg, attaquèrent les frères de Conrad, Eberhard, Gebhard et Rodolphe, mais, après un combat meurtrier, ils furent complètement battus. L'un d'eux, Henri, avait été tué ; le second, Adalard, tombé entre les mains de Gebhard, eut la tête tranchée. Restait Adalbert qui avait dû son salut à la fuite, mais n'était nullement disposé à céder[39]. Malgré une sentence royale qui, en 903 donna tort à son parti et prononça la confiscation des biens de ses frères[40], il fit à trois reprises, en 903, en 904 et en 905, irruption dans les terres de l'évêché de Würtzbourg, contraignit Rodolphe à abandonner sa ville épiscopale et réussit à remporter, le 27 février 906, une grande victoire à Fritzlar. Conrad l'Ancien ayant succombé dans cette bataille[41], les haines n'en furent que davantage attisées, mais finalement Adalbert, traqué à son tour, dut se rendre. Il fut mis à mort le 9 septembre 906 et eut ses biens confisqués[42]. Conrad le Jeune, à qui allait échoir en 911 la couronne d'Allemagne, reçut, en attendant le titre de duc, avec tout le pays franconien au nord et au sud du Main. LE DUCHÉ DE SOUABE. — Le duché de Souabe, ancien pays des Alamans, à cheval sur le Rhin et le Danube, est né lui aussi à la fin du règne de Louis l'Enfant. Burchard, margrave de Rhétie, qui était, avec son frère Adalbert, lui-même comte de Scherrgau et de Thurgau, le plus puissant seigneur de la région, tenta de s'arroger le titre de duc, mais il se heurta aussitôt à l'opposition de l'évêque de Constance, Salomon III, et fut tué en 911. La haine du prélat ne fut pas désarmée par la disparition de son rival ; elle s'appesantit sur ses fils qui durent abandonner leurs biens, puis prendre le chemin de l'exil, et sur son frère, Adalbert, qui fut assassiné à son tour[43]. C'est ainsi qu'à peine constitué le duché de Souabe traverse, par suite de l'opposition de l'Église, une crise qui menace d'être mortelle pour lui. Il ressuscitera un peu plus tard et ne tardera pas à connaître les plus brillantes destinées. LE DUCHÉ DE LORRAINE. — A l'ouest de l'Allemagne, un dernier duché apparaît au début du Xe siècle, celui de Lorraine. Il est issu de l'ancien royaume du même nom qui avait été réuni à celui de Germanie lors de l'avènement de Louis l'Enfant, tout en gardant son autonomie. Le jeune roi désigna comme duc, entre 900 et 903, non pas un seigneur du pays qui aurait pu acquérir une puissance redoutable, mais le Conradin Gebhard qui gouverna la Lorraine, jusqu'au jour où il périt dans un combat contre les Hongrois (910)[44]. Cette intrusion d'une famille franconienne dans une région très, fortement attachée à son indépendance, provoqua un vif mécontentement qui se transforma assez vite en une véritable révolte. Dès go6, deux comtes lorrains, Gérard et Matfrid, se soulevèrent, mais ils furent battus par Conrad le Jeune et durent s'exiler[45]. Après la disparition de Gebhard, Renier au Long Col, qui s'était jusque-là contenté d'un rôle de second plan, s'empara du pouvoir, puis, à la mort de Louis l'Enfant (911), la Germanie n'ayant plus de roi carolingien, la Lorraine se donna au seul survivant de la dynastie, Charles le Simple, qui d'ailleurs y rencontra de fortes oppositions, tellement les aspirations à l'autonomie étaient puissantes dans cette région[46]. CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA FORMATION DES DUCHÉS. — Si la Lorraine disparaît momentanément de la carte de la Germanie en 911, les autres duchés, à la même date, ont achevé, à l'exception de celui de Souabe, de conquérir leur indépendance. Leur apparition transforme la physionomie de l'Allemagne. L'unité carolingienne, longtemps combattue par les forces locales toujours persistantes, est définitivement brisée et les peuples qui composaient l'ancienne Germanie, Saxons, Bavarois, Francs de l'est, Alamans, ont politiquement recouvré leur individualité que Charlemagne et ses successeurs n'avaient jamais réussi à effacer entièrement. Le royaume, créé au traité de Verdun pour Louis le Germanique, ne se maintient qu'en vertu de la tradition et du sentiment, d'ailleurs assez vague, d'un péril extérieur commun, mais il est disloqué et son souverain n'exerce plus qu'une autorité théorique sur les États qui le composent. Sans doute les ducs ne songent pas à supprimer l'institution royale, mais, en fait, ils agissent comme si elle n'existait pas. Jusqu'à la mort de Louis l'Enfant, ils ont généralement vécu en bons termes avec le roi, parce que le roi, sans ratifier officiellement l'usurpation qu'ils ont commise, l'a tacitement acceptée. Ils le respectent, mais ils l'ignorent et gouvernent par eux-mêmes, sans jamais le consulter ni en référer à lui. La création des duchés consacre donc l'affaiblissement de la royauté. Elle menace également une autre puissance, plus solidement implantée sur le sol allemand, celle de l'Église. L'Église a joui dans le royaume carolingien d'une situation privilégiée. Grâce à la faveur des souverains qui, tout à la fois pour gagner le ciel et pour servir leurs intérêts politiques, ont multiplié les donations en sa faveur, elle s'est enrichie et a pu appuyer son autorité spirituelle sur des propriétés foncières souvent fort étendues. Auréolés du prestige sacerdotal de leur fonction, nantis de domaines qui sont pour eux la source d'importants revenus, les évêques sont devenus, sous les derniers Carolingiens, les premiers personnages de l'État et, à plusieurs reprises, le gouvernement est passé entre leurs mains. Ces avantages risquent d'être compromis par l'entrée en scène des ducs qui possèdent tous les droits régaliens. Ceux-ci ne sauraient tolérer la présence, au-dessus d'eux, d'un épiscopat richement doté et solidement organisé, obéissant aux directions d'un métropolitain qui parfois a son siège en dehors des limites du duché, se réunissant en conciles nationaux qui édictent des règles communes à toute l'Allemagne. De leur côté, les évêques ne sont nullement disposés à consentir un sacrifice qui leur paraîtrait aussi néfaste pour l'Église que pour l'État. Le conflit est fatal. Il a éclaté en Souabe dès le règne de Louis l'Enfant ; il est destiné à se propager partout. Pour se défendre, l'Église aura tout intérêt à ressusciter le pouvoir de la couronne, car, seule, une royauté forte peut la protéger contre les empiétements de ses rivaux. D'autre part, étant donné le caractère essentiellement national des duchés et la popularité grandissante de leurs chefs, elle est la seule alliée possible pour le roi, le jour où celui-ci voudra reconquérir l'autorité et le prestige qu'il a perdus. Cette entente, ébauchée sous le règne du successeur de Louis l'Enfant, Conrad Ier, sera définitivement consacrée par Otton le Grand. III. — Le règne de Conrad Ier (911-918)[47]. ÉLECTION DE CONRAD DE FRANCONIE. — Louis III l'Enfant est mort le 24 septembre 911, sans laisser de postérité. La dynastie carolingienne n'a plus, à cette date, d'autre représentant que le roi de France, Charles le Simple, auquel, selon les lois de l'hérédité, aurait dû revenir aussi la couronne de Germanie. Personne ne songea à la lui offrir. Réunis à Forchheim, les princes allemands se donnèrent pour roi le duc de Franconie, Conrad le Jeune, qui devint Conrad Ier (10 novembre 911)[48]. Il semble que la parenté de Conrad avec la famille carolingienne, à laquelle il se rattachait sans doute par sa mère, n'ait pas été étrangère à ce choix[49]. Le nouveau roi se recommandait aussi, au dire des chroniqueurs, par sa bravoure, sa piété et sa prudence qui s'alliaient mal avec une cruauté farouche et sans égard pour personne. Peut-être enfin a-t-il été désigné de préférence aux ducs de Saxe et de Bavière, parce que sa puissance personnelle était moindre et qu'il n'y avait guère à craindre de sa part une tentative de restauration monarchique[50]. PERTE DE LA LORRAINE. — Le règne de Conrad Ier est en effet jalonné par une série d'échecs. Il commence par une amputation territoriale : le duché de Lorraine se détache de la Germanie. Ce pays était très attaché à la dynastie carolingienne. De même qu'à la mort de Charles le Gros, il avait préféré Arnulf à Eude, il considère, en 911, Conrad Ier comme un usurpateur et se donne à Charles le Simple qui, dès le 20 décembre, délivre son premier diplôme pour la Lorraine[51]. Conrad ne se résigne pas à cet abandon : il veut reprendre le duché. Le 14 mai 912, il est à Strasbourg, puis, après une trêve de courte durée, il marche sur Aix-la-Chapelle, pendant que les Lorrains, de leur côté, tentent un coup de main sur la capitale alsacienne qu'ils incendient. Finalement chacun reste sur ses positions sans avoir obtenu aucun résultat. Une nouvelle expédition, en 913, aboutit également à un échec. La Lorraine reste à Charles le Simple et c'est seulement après la seconde déchéance, en France, de la dynastie carolingienne qu'elle sera réincorporée à la Germanie[52]. NOUVELLES INVASIONS HONGROISES. — La question lorraine a inutilement retenu l'attention de Conrad pendant les deux premières années de son règne et l'a détournée d'événements extérieurs ou intérieurs d'une exceptionnelle gravité. Accaparé par elle, le roi n'a pu ni conjurer l'invasion hongroise, ni prévenir l'opposition des ducs. L'invasion hongroise recommence dès 912, mais elle affectera désormais un caractère nouveau. La Bavière étant complètement épuisée, les Magyars vont étendre leur champ d'action et piller des contrées plus lointaines, susceptibles de leur fournir un butin plus abondant. De là une généralisation du fléau qui, jusque-là limité aux provinces septentrionales ou orientales, ravagera maintenant toute l'Allemagne et même la Lorraine, la Champagne, la Bourgogne. On connaît malheureusement assez mal le détail de ces expéditions. En 912, les Hongrois dévastent la Souabe et la Franconie, sans que Conrad Ier, enfoncé en Lorraine, ait rien fait pour prévenir cette calamité[53]. En 913, ils reviennent en Souabe, mais au retour, ils sont attaqués sur l'Inn par une armée bavaroise que commande le duc Arnulf, entouré des comtes souabes, Erchanger et Berthold, et éprouvent un désastre, comme ils n'en avaient encore jamais connu[54]. C'est pour Arnulf, implacable ennemi de Conrad et bientôt chef de l'opposition, un vrai triomphe qui coïncide avec l'échec définitif du roi dans sa tentative pour récupérer le duché de l'ouest. La victoire de l'Inn a procuré à l'Allemagne une année de répit, mais, en 915, les Hongrois réapparaissent en Souabe d'où ils rayonnent sur la Thuringe et la Saxe[55]. En 917, l'Allemagne du sud reçoit encore une fois leur visite ; cette fois ils s'avancent, à travers l'Alsace, jusqu'en Lorraine où ils parviennent aux portes de Metz[56]. Ce raid lointain ne tarit pas leurs énergies sans cesse renouvelées : on les reverra dans la vallée de la Wéser en 918 et, en 919, de nouveau en Lorraine. Les chroniqueurs qui ont fait le récit lamentable de ces randonnées sanglantes ne mentionnent jamais l'intervention de Conrad Ier. Cette abstention, qui contraste avec le rôle si actif d'un Arnulf de Bavière, s'explique facilement : après avoir perdu deux années en Lorraine, le roi s'est trouvé aux prises avec une opposition intérieure qui désormais l'absorbera tout entier et préviendra ses efforts., LE CONFLIT DES DUCS AVEC L'ÉGLISE. — A l'origine, cette opposition n'est pas dirigée contre la royauté, mais plutôt contre l'Église que Conrad Ier, avec une claire vision des intérêts de la couronne, a été amené à défendre contre les ducs. Le conflit, qui s'annonçait dès la fin du règne de Louis l'Enfant, est partout engagé et, s'il ne revêt pas toujours la même allure, il se déroule avec une égale âpreté en Bavière, en Saxe et en Souabe. En Bavière, Arnulf, duc depuis 907, a inauguré très vite une politique de sécularisations qui l'a fait comparer à Charles Martel. Il a. dépouillé sans scrupule les grands monastères de Tegernsee, de Niederaltaich, de Pollin, d'autres encore, et distribué leurs biens, sous forme de fiefs, à des laïques qui sont devenus ses vassaux et ont constitué pour lui une clientèle sûre et dévouée. La débordante popularité, dont il jouit dans ses États par suite de ses victoires sur les Hongrois, a facilité cette opération dont seuls les évêques lui gardent une pro-onde et légitime rancune[57]. Henri, duc de Saxe, qui a succédé le 30 novembre 912 à son père Otton[58], est animé des mêmes tendances. Il n'a pas pour l'Église le respect traditionnel de ses prédécesseurs et, quand il s'agit de fortifier son pouvoir, tous les moyens lui paraissent bons, mais il lui faut compter avec l'archevêque de Mayence, Hatton, esprit vif, fertile en ressources, aussi ingénieux dans le choix des procédés que rapide dans les décisions à prendre et chez qui l'ardeur la plus courageuse s'allie avec une prudente ténacité. Avec son sûr coup d'œil, Hatton a deviné chez Henri un adversaire redoutable qu'il fallait immédiatement terrasser. C'est lui sans doute qui a persuadé à Conrad Ier de retirer au jeune duc la Thuringe sur laquelle avait régné son père[59], mais il mourut le 15 mai 913[60], sans avoir obtenu aucun résultat positif ; le duc Henri reste plus que jamais l'ennemi du roi et de l'Église. Un mouvement analogue se dessine en Souabe où Salomon III, évêque de Constance, avait réussi à se débarrasser par l'assassinat du duc Burchard. Le comte Erchanger affiche l'intention de venger le défunt et peut-être aussi de le remplacer. Il engage sans hésiter la lutte avec le terrible prélat ; en 914, il réussit à le faire prisonnier et l'enferme au château de Diepoltsbourg, sur le Neckar[61]. Ainsi, dans les trois duchés, la lutte avec l'Église est entrée dans une phase aiguë. Le roi qui, pendant deux années, est resté impassible ne peut persévérer dans cette abstention et, du jour où il renonce définitivement à revendiquer la Lorraine, il intervient en faveur des évêques qu'il considère comme les meilleurs soutiens du trône. POLITIQUE INTÉRIEURE DE CONRAD Ier. — Conrad tente tout d'abord d'apaiser les querelles qui risquent d'aboutir à une guerre civile. Il cherche à se rapprocher du duc de Bavière et des comtes souabes, peut-être afin d'isoler éventuellement Henri de Saxe, plus immédiatement dangereux pour la t royauté. En 913, il épouse Cunégonde, sœur d'Erchanger, veuve de Luitpold de Bavière et mère d'Arnulf[62]. Ce mariage, tout diplomatique, ne donne pas les résultats attendus : l'année suivante, Erchanger, devenu le beau-frère du roi, attaque l'évêque de Constance. Conrad ne peut laisser cet attentat impuni. Il est d'autant plus urgent de sévir que d'autres, du même genre, viennent de se produire : Otbert, évêque de Strasbourg, a été assassiné (913) ; Einhardt, évêque de Spire, est tombé sous les coups des comtes Bernard et Conrad[63]. Un exemple s'impose : Conrad marche contre Erchanger, le saisit, l'oblige à rendre la liberté à Salomon de Constance et prononce contre lui une sentence de bannissement[64]. Cet acte de répression énergique, loin de maîtriser les passions, ne fait que les exaspérer. Le jeune comte Burchard se révolte à son tour contre le roi et décide Arnulf de Bavière à prendre lui aussi une attitude hostile[65]. Erchanger ne tarde pas à rentrer d'exil, et, uni à Burchard, remporte une victoire sur les partisans de Conrad et de Salomon à Wahlwies, près de Stockach (915)[66]. Enfin Henri de Saxe, auquel Conrad a prétendu enlever la Thuringe, prend ouvertement parti contre son souverain. Sûr de la fidélité de ses Saxons, il poursuit les comtes Burchard et Bardon qui avaient été avantagés à son détriment, inflige une défaite à Eberhard, frère du roi, et paraît un instant en Franconie[67]. A la fin de 915, la situation est devenue tout à fait critique. Pour y faire face, le roi n'a manqué ni d'habileté ni de sang-froid. Il a su, par des concessions dont on ignore le caractère exact, calmer Henri de Saxe et obtenir sa retraite[68], puis, négligeant pour le moment la Souabe, il va s'efforcer tout d'abord d'abattre Arnulf qu'il considère à juste titre comme le plus dangereux de ses ennemis. Dans l'été de 916, il fait irruption en Bavière où il est chaleureusement accueilli par les évêques, achève de conquérir les sympathies cléricales par des donations aux églises et aux abbayes, remporte une victoire sur son adversaire et s'empare de Ratisbonne, mais il ne sait pas user avec modération des avantages qu'il a conquis et, donnant libre cours à ses cruels instincts, met le duché à feu et à sang[69] ; Il ne réussit, par ces atrocités qui pèsent lourdement sur sa mémoire, qu'à se rendre odieux et à accroître la popularité d'Arnulf qui, sans doute réfugié chez les Hongrois et confiant dans son étoile, n'a pas voulu faire la paix. CONCILE DE HOHENALTHEIM (916). — Les armes n'ont pas eu raison de l'opposition des ducs. Pour la dompter, Conrad Ier, recourant à des moyens plus pacifiques, va se servir de l'Église. Il provoque la réunion, pour le 20 septembre 916, d'un concile national à Hohenaltheim, aux confins de la Bavière, de la Souabe et de la Franconie, avec l'espoir qu'une conversation entre les évêques des différents duchés pourra acheminer vers une réconciliation générale. Il a pu intéresser à cette assemblée le pape Jean X qui s'y fait représenter par le légat Pierre d'Orta, porteur d'une bulle pontificale[70]. Cette fois, il obtient un vrai succès. Les prélats allemands répondent en masse à son appel ; seuls, les Saxons, retenus sans doute par le duc Henri, ne sont pas là pour prendre part aux délibérations[71]. On a conservé les canons du synode de Hohenaltheim[72]. Les uns, d'une portée générale, ont trait à la discipline ecclésiastique qu'ils tendent à fortifier en insistant sur la nécessité pour les évêques de prêcher et de commenter les saintes Écritures, pour les laïques de respecter les biens des églises, de s'abstenir de juger les clercs, de payer les dîmes, pour tous d'éviter les rapports avec les excommuniés. Les autres sont au contraire d'une actualité significative : après avoir rendu hommage au pouvoir royal, indispensable aux progrès de la foi, les prélats prononcent par avance l'anathème contre ceux qui conspireraient contre le roi avec l'intention de le mettre à mort ou de le déposer ; ils blâment pour leur absence leurs collègues saxons et les menacent de les déférer à Rome, s'ils ne modifient leur attitude ; ils somment Richwin, qui s'est emparé du siège de Strasbourg après l'assassinat d'Otbert, de se justifier devant l'archevêque de Mayence, Hériger, et ordonnent une enquête sur l'attentat commis contre Einhardt de Spire ; les comtes Erchanger, Berthold et Burchard, qui n'ont pas paru au concile où ils ont été pourtant cités, devront se soumettre à leurs évêques et accepter les pénitences qui leur seront infligées ; enfin Arnulf de Bavière est invité à comparaître, le 7 octobre, devant un synode, à Ratisbonne, et, s'il fait défection, il sera excommunié. CONRAD Ier NE PEUT TRIOMPHER DE L'OPPOSITION DES DUCS. — Ainsi l'Église prenait nettement parti et mettait son autorité spirituelle au service de la cause du roi qui était en même temps la sienne, mais on put bientôt constater l'inefficacité des sanctions canoniques. Les comtes souabes, Erchanger et Berthold. ne manifestèrent aucun empressement à apporter les satisfactions requises. Conrad les fit alors saisir et, sans égard pour les services qu'ils avaient rendus au royaume pendant l'invasion hongroise en 913, ordonna froidement de leur trancher la tête (21 janvier 917), Cette atroce sentence ne devait pas servir à l'apaisement des esprits : le comte Burchard prit la tête du mouvement et s'empara des biens d'Erchanger et de Berthold, sans que le roi pût l'en empêcher[73]. De son côté, Arnulf de Bavière n'obéit pas davantage aux injonctions des évêques. Persévérant dans son insoumission, il reprit sa capitale et les efforts de Conrad Ier pour l'en déloger, dans l'été de 917, demeurèrent vains[74]. Grâce à son activité, le duché bavarois, dévasté par Conrad Ier après l'avoir été tant de fois par les Magyars, put renaître de ses cendres. Partout la politique royale aboutissait à un échec. MORT DE CONRAD Ier (23 DÉCEMBRE 918). — Conrad Ier mourut le 23 décembre 918[75]. Le bilan de son règne se chiffre uniquement par des pertes : il a dû abandonner la Lorraine à Charles le Simple ; il n'a pu enrayer l'invasion hongroise, ni mater l'opposition. Du moins ce roi, qui vécut en des temps difficiles, a-t-il tracé à la monarchie allemande son orientation future en essayant de faire de l'Église son point d'appui contre les ducs. Otton Ier se contentera de reprendre son programme. Le successeur immédiat de Conrad, le duc de Saxe, Henri, avec lequel le roi s'était réconcilié dans ses derniers jours et qu'à son lit de mort il avait désigné, de préférence à son propre frère, pour lui succéder[76], suivra au contraire des directions toutes différentes. IV. — L'avènement de la dynastie saxonne. ÉLECTION DE HENRI Ier (MAI 919). — Réunis à Fritzlar en mai 919, les princes allemands ont ratifié les dernières volontés de Conrad Ier et remis la couronne à Henri, duc de Saxe, qu'ils s'accordaient à reconnaître comme le plus valeureux d'entre eux et comme le seul capable d'assurer aussi bien l'ordre intérieur que la sécurité extérieure[77]. HENRI L'OISELEUR. — Né vers 876, Henri, surnommé l'Oiseleur, était le fils du comte de Thuringe, devenu duc de Saxe en 880, Otton, auquel il succéda en 912. Par ses victoires sur les Slaves, puis sur les Hongrois qu'il a, en 906, chassés de l'État paternel, il a conquis de bonne heure un immense prestige. Outre ses qualités militaires incontestées, les chroniqueurs ont célébré sa naturelle droiture, son esprit, de justice, sa prévenante bonté qui ont contribué sans aucun doute à augmenter sa popularité[78]. A son avènement, il n'a d'autre intention que de rétablir la paix à l'intérieur comme à l'extérieur, d'une part en cherchant à ménager une entente entre la monarchie et les ducs, d'autre part en opposant une digue à l'invasion hongroise qui a de nouveau, malgré la victoire d'Arnulf en 913, déferlé sur l'Allemagne pendant les dernières années du règne de Conrad Ier. Grâce à son intelligence, à son énergique fermeté, à son sens politique, grâce aussi à la conscience très nette qu'il a de ses devoirs de souverain, il est de taille à mener à bien la tâche difficile qui s'offre à lui au lendemain de son élection. GOUVERNEMENT DE HENRI Ier. — Sa politique intérieure diffère totalement de celle de Conrad Ier. Conrad a gouverné avec l'Église contre les ducs. Henri prend au contraire son parti de l'existence des duchés nationaux ; au lieu de vouloir briser les nouveaux cadres qui lui sont imposés par d'impérieuses circonstances, il cherchera à les assouplir pour permettre à l'autorité royale de s'y adapter ou plutôt de se superposer à eux. Les premiers actes du nouveau règne sont, à cet égard, tout à fait significatifs. Quoique désigné par Conrad Ier pour lui succéder, Henri Ier a voulu tenir la couronne de ses pairs. En revanche, après avoir été élu, il refuse d'être sacré et couronné par l'archevêque de Mayence, Hériger, sous prétexte qu'il est indigne d'un si grand honneur[79]. Cette humilité affectée ne saurait donner le change : le nouveau roi témoigne par là qu'il ne veut pas renier son passé et affirme clairement sa volonté de se rendre indépendant de l'épiscopat, dont l'influence avait été si décisive sous le règne précédent. HENRI Ier ET LES DUCHÉS NATIONAUX. — Par la suite, ces tendances s'accentuent. Aussitôt élu, Henri Ier remet à Eberhard, frère du roi défunt, le duché de Franconie, dont il perpétue ainsi l'existence[80]. En Souabe, Burchard, qui a réussi à s'emparer de la dignité ducale, n'a pas pris part à l'assemblée de Fritzlar ; Henri l'oblige à faire sa soumission, mais s'empresse de reconnaître son pouvoir[81]. Le Bavarois, Arnulf, semble s'être lui aussi abstenu lors de l'élection de Henri Ier et a sans doute cru un moment qu'un duel à mort allait s'engager entre lui et le nouveau souverain que sa puissance pouvait inquiéter. Dès 921, un accord intervient ; Arnulf se reconnaît vassal de Henri Ier, en conservant toutefois le 'droit de nommer les évêques bavarois[82]. Cette dernière clause révèle les dangers de la politique suivie par le fondateur de la dynastie saxonne. L'Église est sacrifiée, tandis que la puissance des ducs reste intacte et se trouve même officiellement consacrée. Sans doute Arnulf de Bavière a seul bénéficié de cette fâcheuse concession qui lui subordonnait l'épiscopat de son duché, mais le précédent est créé et il eût pu être gros de conséquences pour la royauté, si le successeur de Henri Ier, Otton Ier, n'avait vigoureusement réagi contre l'orientation paternelle. Pendant le règne de Henri Ier les évêques bavarois ont eu leurs synodes spéciaux ; ils se sont tenus à l'écart des conciles généraux de Worms (928) et d'Erfurt (932)[83], ce qui pouvait faire craindre que l'Église, jusque-là puissance d'unité, ne fût entraînée elle aussi dans le mouvement qui désagrégeait le royaume de Germanie. Pour le moment, la politique conciliante de Henri Ier n'a donné que d'heureux résultats. La reconnaissance officielle des duchés a été bien accueillie par leurs titulaires qui sont devenus les auxiliaires de la royauté. Sûr de l'appui et du concours des ducs, Henri Ier pourra étendre l'Allemagne à l'ouest, et, en même temps la protéger contre les envahisseurs au nord et à l'est. ACQUISITION DE LA LORRAINE. — Il a tout d'abord annexé à l'Allemagne l'ancien royaume de Lorraine. Celui-ci n'avait joui, sous la domination française, que d'une tranquillité relative. A deux reprises, sans doute en 919 et 920, le fils du comte Renier, Gilbert, aussi intrigant et remuant que l'avait été son père, se révolta contre Charles le Simple[84] et il semble bien que sa seconde rébellion ait été encouragée par Henri Ier[85]. En tout cas, la guerre éclata cette année-là (920) entre les rois de France et de Germanie. On n'en connaît pas les diverses péripéties ; on sait du moins qu'elle se termina par le traité de Bonn, aux termes duquel, sous une forme très vague, les deux souverains se promettaient une mutuelle amitié et se reconnaissaient leurs possessions respectives[86]. La chute de Charles le Simple amena la solution du problème. Après de longues hésitations et surtout après deux ans de guerre civile au cours desquelles Gilbert opta tour à tour pour Henri Ier, roi de Germanie, puis pour Raoul, roi de France, enfin de nouveau pour Henri, les Lorrains finirent par reconnaître définitivement Henri Ier (925). Celui-ci, en 928, accorda à Gilbert, avec le titre de duc, la main de sa fille Gerberge[87]. En fin de compte, la Lorraine constituait un duché allemand, au même titre que la Franconie, la Souabe, la Bavière, la Saxe, et ce duché était créé par le roi lui-même qui par cet acte soulignait une fois de plus les tendances de son gouvernement. LUTTE CONTRE LES HONGROIS. — Tout en consacrant juridiquement la division en duchés telle qu'elle existait en fait avant son avènement, Henri Ier s'est préoccupé de relever le prestige de la monarchie, en prenant résolument la direction de la lutte contre les Hongrois, les Slaves et les Danois. Libérer l'Allemagne des menaces extérieures qui planaient sur elle, telle était à ses yeux la fonction essentielle de la royauté. L'INVASION DE 926. — Les invasions hongroises avaient recommencé dès la première année du règne et c'est sans doute pour conjurer une nouvelle attaque que le roi, en 919, aussitôt après l'assemblée de Fritzlar, a été appelé en Saxe[88]. Toutefois, au cours des années suivantes, l'Italie attire davantage les envahisseurs et il faut attendre 926 pour voir se déclencher une offensive vraiment sérieuse du côté de l'Allemagne. Cette année-là, pendant que des bandes vont ravager la Toscane et faire trembler Rome, d'autres se précipitent sur la Bavière et la Souabe qui viennent de renaître à la vie ; églises et monastères flambent de nouveau ; Augs bourg est pourtant sauvée par son évêque Ulrich, mais Constance, après une victorieuse résistance, est incendiée et l'abbaye de Saint-Gall mise à sac. Très rapidement, les hordes magyares atteignent la Lorraine et la Champagne où de nouveau d'affreux brasiers s'allument, tandis que les reliques sont profanées et les reliquaires emportés avec une foule d'autres richesses[89]. Henri Ier a été très affecté par ces événements. Au début de novembre 926, il réunit à Worms une assemblée d'évêques et de seigneurs laïques, où paraît aussi le roi de Bourgogne, Rodolphe, mais on ignore les décisions qui furent prises[90]. Par la suite, on négocia la retraite des Hongrois, L'invasion de 926 fut suivie d'une trêve de sept ans pendant laquelle Henri Ier paya un tribut à ses ennemis, mais qu'il utilisa pour mettre l'Allemagne en état de défense. L'ŒUVRE MILITAIRE DE HENRI Ier. — L'œuvre militaire du premier roi saxon est très remarquable. Il ne crée pas de nouvelles marches, de crainte sans doute qu'il n'en résulte un nouvel amoindrissement de la puissance royale, mais il entreprend autour des villes, surtout en Saxe et en Thuringe où il est le maître absolu, de vastes travaux de fortification et organise les habitants en vue de la résistance. Les ducs de Bavière, de Franconie, de Lorraine ne demandent pas mieux que d'unir leurs efforts aux siens et, connaissant le vœu des populations, apportent à leur souverain la collaboration qu'il souhaitait. Du même coup, l'utilité de la monarchie, trait d'union entre les duchés nationaux, se trouve démontrée et la puissance royale sort de là fortifiée[91]. VICTOIRE DE HENRI Ier SUR LES HONGROIS (933). — Une victoire sur les Hongrois devait souligner l'incomparable valeur de l'œuvre accomplie. En 933, Henri Ier se sent assez fort pour adopter une attitude plus énergique. Il éconduit les ambassadeurs magyars qui viennent, comme les années précédentes, chercher la rançon régulièrement payée depuis 926, et, de pied ferme, attend l'ennemi. Celui-ci se jette simultanément sur l'Italie et sur l'Allemagne. Une bataille s'engage en Thuringe, sans doute le 15 mars 933 ; Henri Ier est victorieux. Ce succès a en Allemagne un immense retentissement[92]. La dynastie saxonne a rempli la tâche qui incombait à la royauté, et son avenir paraît assuré. LUTTE CONTRE LES SLAVES (928-929). — En même temps qu’il protège le royaume contre les Hongrois, Henri Ier prend l'offensive contre les Slaves. Ceux-ci ne donnaient pourtant aucun signe d'agitation immédiate, mais les ducs saxons ont toujours eu la passion de la guerre et, non contents de maintenir, comme l'avaient fait les Carolingiens, les tribus installées autour de l'Elbe, ils ont été les attaquer chez elles : en 897, le père de Henri Ier, Otton, a contraint les Sorabes à lui payer tribut ; Henri lui-même a fait ses premières armes en combattant les Daléminciens[93]. Devenu roi, il reste esclave des traditions familiales. De plus, une défaite des Slaves ne peut que concourir à donner à la monarchie saxonne le lustre nécessaire à sa durée et c'est là une raison de plus pour se jeter sur l'ennemi héréditaire. L'attaque se déclenche au sud, en 928. Henri Ier détruit Jahua, impose un tribut aux Sorabes et aux Daléminciens, construit, pour surveiller le pays, la forteresse de Meissen. L'hiver ne l'arrête pas : il se retourne contre les Wilzes et les Liutices, enlève, malgré un froid très vif, la place de Brandebourg, ce qui entraîne la soumission générale à laquelle participeront bientôt les Obotrites. Seuls, les Rédariens ne veulent pas s'incliner devant le fait accompli ; ils essaient de provoquer un mouvement d'ensemble, mais ils sont battus à Lenzen et tous les pays de l'Elbe doivent subir l'influence saxonne (929)[94]. L'activité de Henri Ier s'étend aussi à la Bohême. En 929, il pénètre à Prague, après un siège qui a vivement frappé les chroniqueurs, et oblige le duc Venceslas à s'incliner devant lui. La Bohême rentre, elle aussi, dans l'orbite de la politique allemande, qui, sous le règne d'Otton le Grand (936-973), y favorisera, comme dans les autres pays slaves, la pénétration chrétienne. GUERRE CONTRE LES DANOIS (934). — Le dernier événement militaire du règne de Henri Ier fut une guerre contre les Danois. On connaît mal cette expédition qui eut lieu en 934 et au cours de laquelle le roi remporta une victoire que certains chroniqueurs ont célébrée comme le plus glorieux de tous ses exploits[95]. Les Danois furent astreints, eux aussi, au tribut, et, en même temps, le prince Chnuba, qui dominait le Schleswig, dut se convertir, au christianisme[96]. Les succès militaires de Henri Ier ont préparé et rendu possible le grand travail d'évangélisation, dirigé par l'église de Hambourg, qui s'annonce dès 935. MORT DE HENRI (2 JUILLET 936). — Henri Ier est mort le 2 juillet 936[97], après dix-huit ans d'un règne qui, surtout si on le compare à ceux qui l'ont précédé, paraît extraordinairement fécond. A l'extérieur, il a, par ses victoires sur les, Hongrois, les Slaves et les Danois, singulièrement limité le péril extérieur que son fils, Otton, parviendra à conjurer. A l'intérieur, il a restauré l autorité royale par des moyens qui pouvaient sembler dangereux pour l'avenir, mais qui, pour le moment, se sont montrés tout à fait efficaces. En reconnaissant l'existence des duchés, il à mis un terme aux guerres civiles qui désolaient le royaume et facilitaient l'invasion C'est là, à n'en pas douter, un grand résultat, mais cette concession, en consacrant une puissance rivale de la couronne et en affaiblissant la meilleure alliée de celle-ci, l'Église, aurait pu avoir de néfastes conséquences, si le fils et successeur de Henri Ier, Otton Ier, n'avait immédiatement aperçu le danger auquel, grâce à certaines intuitions de génie, il a porté remède dès le lendemain de son avènement. Avec lui, l'Allemagne va s'orienter dans des voies nouvelles : Henri Ier avait redressé la royauté annihilée par les ducs ; Otton Ier ressuscitera l'empire au profit de la Germanie. |
[1] Sur les Slaves de l'Elbe, voir : E.
O. Schillze, Die Kolonisierung und Germanisierung der Gebietâ twischen Saale
Und Elbe, Leipzig, 1896 ; L. Notrott, Aus der Wendenmission, Halle 1897
; H. Leo, Untersuchungen zur Besiedelungs und Wirlschaftsgeschichte des
thuringischen Osterlands, Leipzig, 1900 ; et surtout : Hauck, Kirchengeschichte
Deutschlands, t. Il, p. 686 et suiv. ; t. III, p. 70 et suiv.
[2] Hauck, op. cit., t. III, p.
73-76.
[3] Annales Hildesheimenses, a. 902 : Sclavi vastaverunt Saxoniam.
[4] Voir tome I, et aussi : Bretholz, Geschichte Böhmens und Mährens, bis zum Austerben der Premysliden, Munich et Leipzig, 1912.
[5] Cf. F. Dvornik, Les Slaves, Byzance et Rome au IXe siècle, Paris, 1926.
[6] Arnulf notamment a fait deux expéditions en Moravie, en 892 et 893.
[7] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 390, n. 2.
[8] Annales Fuldenses, a. 894.
[9] Annales Fuldenses, a. 895.
[10] Vita Methodii, c. XVI.
[11]
Sur l'origine des Magyars, voir surtout : J. Marquart, Osteuropaische und
ostasiatische Streifzüge. Ethnologische und historisch-topographische Studien
zür Geschichte des 9 und 10 Jahrhunderts (840-940), 1903 ; Szinnyei, Die
Herkunft der Hungarn, 2e éd., 1924. — Sur les invasions hongroises, on
consultera : Csuday, Geschichte Ungarns, Berlin, 1899 ; R. Lüttich, Ungarnzage
in Europa im 10 Jahrhundert, Berlin 1910 (fasc. 84 des Historische Studien de Ebering).
[12] Annales Fuldenses, a. 898-899.
[13] Annales Fuldenses, a. 900.
[14] Dümmler, op. cit., t. III, p. 515, n. 3
[15] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 457, n. 1.
[16] Dümmler, op. cit., t. III, p. 495, n. 1 et 2.
[17] Réginon, a. 900 ; Parisot, Le royaume de Lorraine sous les Carolingiens, p. 552-553.
[18] Parisot, op. cit., p. 553-555.
[19] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 496-500.
[20] Annales Fuldenses, a. 901.
[21] Annales Fuldenses, a. 901.
[22] Dümmler, op. cit., t. III, p. 530, n. 4 et 6, p. 534, n. 1.
[23] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 546, n. 1.
[24] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 548, n. 1.
[25] Dümmler, op. cit., t. III, p. 551, n. 5.
[26] Annales Alemannici, a. 909. Cf. Dümmler, op. cit., t. III, p. 555, n. 2.
[27] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 555, n. 3.
[28] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 557, n. 1.
[29] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 559, n. 1.
[30] On trouvera sur ce point des textes probants dans : Dümmler, op. cit., t. III, p. 546, n. 1 et p. 563, n. 1.
[31] Annales Palidenses, a. 906.
[32] Mittheil der züricher antiq. Gezellschaft, t. XII, p. 233, v. 116 et suiv.
[33] Sur la formation des duchés nationaux, voir : Waitz, Deutscheverfassungsgeschichte, t. V, p. 33 et suiv. ; Hauck, Kirchengeschichte Deutschlands, t. III, p. 3-5 ; Schröder, Deutsche Rechtsgeschichte, p. 376 et suiv. ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 563 et suiv. ; F. L. Ganshof, Quelques aspects de l'histoire de l'empire au XIe siècle, Paris, 1928, p. 6-7.
[34] Sur les origines du duché de Saxe, cf. Waitz, Jahrbucher des deutschen Reichs unter Heinrich I, p. 5 et suiv., 179 et suiv. Cf. Dümmler, op. cit., t. II, p. 136.
[35] Sur les origines du duché de Bavière, cf. surtout : M. Dœberl, Entwicklungsgeschichte Bayerns, t. I, Munich, 3e édit. 1916. — On pourra également consulter, quoiqu'un peu ancien : Hirsch, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich II, t. I, p. 1 et suiv., et aussi : Dümmler, op. cit., t. III, p. 395, 488, 566 et suiv.
[36] Cf. Dümmler, op. cit., t.
III, p. 549, n. 2.
[37] Cf. Waitz, op. cit., t. V, p. 47-51 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 521 et suiv., et p. 563.
[38] Réginon, a. 897.
[39] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 524, n. 2.
[40] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 526, n. 1.
[41] Dümmler, op. cit., t. III, p. 540, n. 1 et 2.
[42] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 542, n. 1.
[43] Hauck, op. cit., t. III, p.
7-8 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 568-570.
[44] Parisot, Le royaume de Lorraine, p. 557 et suiv.
[45] Réginon, a. 906.
[46] Parisot, op. cit., p. 576 et suiv.
[47] Sur le règne de Conrad Ier voir : Fr. Stein, Geschichte des Königs Konrad I von Franken und seines Hauses, Leipzig, 1872, et surtout : Dümmler, op. cit., t. III, p. 574-620 ; Hauck, op. cit., t. III, p. 8-16.
[48] Dümmler, op. cit., t. III, p. 575, n. 1 et 2.
[49] Cf. Dümmler, op. cit., p.
576, n. 1.
[50] Widukind prétend (I, 16) que l'on aurait d'abord offert la couronne à Otton, duc de Saxe, qui aurait soi-disant allégué, pour la refuser, son grand âge. C'est là sans doute une pure légende destinée à prouver la popularité de la dynastie saxonne avant l'avènement de Henri Ier l'Oiseleur.
[51] Il semble bien que le comte Renier au Long Col qui, depuis la mort du duc Gebhard, exerçait un pouvoir de fait sur la Lorraine, ait mandé Charles dès l'été de 911, alors qu'il pouvait prévoir la mort prochaine de Louis l'Enfant et l'avènement d'un duc allemand. Cf. Eckel, Charles le Simple, p. 94, n. 2.
[52] Eckel, op. cit., p. 100 et suiv.
[53] Dümmler, op. cit., t. III, p. 591, n. 1 et 2.
[54] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 591, n. 4.
[55] Dümmler, op. cit., t. III, p. 596, n. 1.
[56] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 613, n. 1.
[57] Hauck, op. cit., t. III, p.
7-10.
[58] Waitz, Heinrick I, p. 195 ;
Dümmler, op. cit., t. III, p. 533,
[59] Hauck, op. cit., t. III, p.
II ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 585 ; Waitz, op. cit., p. 20.
[60] Hauck, op. cit., t. III, p.
11, n. 4 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 589, n. 1.
[61] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 594, n. 4.
[62] Annales Alemannici, a. 913.
[63] Dümmler, op. cit., t. III, p. 593, n. 1 et 4.
[64] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 595, n. 1.
[65] Dümmler, op. cit., t. III, p. 595, n. 2 et 3.
[66] Annales Alemannici, a. 915.
[67] Dümmler, op. cit., t. III, p. 586 et 596-597.
[68] Hauck, op. cit., t. III, p. 12-13 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 597.
[69] Hauck, op. cit., t. III, p.
12 ; Dümmler, op. cit., t. III, p. 598-599.
[70] Hauck, op. cit., t. III, p. 13 et suiv. ; Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, t. IV, p. 744 et suiv.
[71] Hauck, op. cit., t. III, p.
13, n. 2.
[72] On les trouvera dans Mansi, t. XVII, col. 325.
[73] Dümmler, op. cit., t. III, p. 611, n. 1 et 2.
[74] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 612, n. 1.
[75] Dümmler, op. cit., t. III,
p. 616, n. 1.
[76] Waitz, op. cit., p. 25, n. 3
; Dümmler, op. cit., p. 615, n. 4.
[77] Widukind, I, 26. Sur le règne de
Henri Ier, voir surtout : Waitz, Jahrbücher des deutschen Reichs unter König
Heinrich I, 1885 ; Hauck, op. cit., t. III, p. 18-22.
[78] Voir en particulier : Widukind, I,
27 ; Thietmar I, 2 ; Vita Mathildis ant., c. 1.
[79] Widukind, I, 26 ; Thietmar, I, 5.
[80] Waitz, op. cit., p. 41.
[81] Waitz, op. cit., p. 43-46. Suivant Widukind, I, 27, Henri Ier aurait été obligé, au début de son règne, de conduire une expédition en, Souabe pour se faire reconnaître par Burchard.
[82] Hauck, op. cit., t. III, p.
17 ; Waitz, op. cit., p. 53 et suiv.
[83] Hauck, op. cit., t. III, p.
18-19.
[84] Parisot, op. cit., p 624 et suiv.
[85] Telle est du moins l'opinion de Parisot, op. cit., p. 634, n. 2, contre Waitz, op. cit., p. 69 ; et il y a tout lieu de l'adopter.
[86] Constitutiones et acta, t. I, p. 1. Cf. Parisot, op. cit., p. 640-645.
[87] On trouvera le récit de la guerre lorraine dans Flodoard, a. 923-926. Cf. surtout Parisot, op. cit., p. 661 et suiv. et aussi : Pirenne, Histoire de Belgique, t. I. p. 49-51.
[88] Annales Corbeienses, a. 919. Cf. Waitz, op. cit., p. 41, n. 7.
[89] Flodoard, a. 926 ; Annales Augustani, a. 926 ; Annales Alemannici, a. 926.
[90] Waitz, op. cit., p. 90.
[91] Waitz, op. cit., p. 92 et suiv.
[92] Flodoard, a. 933 ; Widukind, I, 38.
[93] Hauck, op. cit., t. III, p.
74.
[94] Hauck, op cit., p. 74-76 ; Waitz, op. cit., p. 122 et suiv.
[95] Widukind, I, 40 ; Vita Brunonis,
c. 37 ; Liudprand, Antapodosis, III, 21.
[96] Hauck, op cit., t. III, p.
80-81.
[97] Waitz, op. cit., p. 174.