NAPOLÉON III ET LES FEMMES

LIVRE I. — LES AMOUREUSES DU CONSPIRATEUR

 

II. — LA CONSPIRATRICE PASSIONNÉE.

 

 

Les débuts galants de Louis-Napoléon. — Anecdotes des libelles. — La fille d'Hudson Lowe. — Une fille naturelle. — Sentiments des dames suisses pour le prince. — Il se déguise en femme pour arriver à une belle. — Une bonapartiste cantatrice : Mme Gordon. — Ses origines. — Le passé galant de Mme Gordon. — Persigny. — Relations du prince et de la cantatrice. — Fut-il son amant ? — Légende d'une fille naturelle. — La conspiration de Strasbourg. — Claude Vaudrey, colonel sensible aux belles. — Un beau physique de militaire. — Mme Gordon, maîtresse de Vaudrey. — Galante machination de Persigny. — Une lettre d'amour du colonel. — Les préparatifs du coup d'État. — Rôle de Mme Gordon dans le complot. — Comment il échoue. — La conspiratrice devant la cour d'assises du Bas-Rhin. — Elle continue à conspirer. — Sa fin misérable et obscure. — Brillante destinée du colonel Vaudrey.

 

TOUTES celles que j'ai aimées se sont données à d'autres, écrivait avec mélancolie Louis-Napoléon, en 1845, sous les verrous du fort de Ham[1]. Au moment d'entreprendre par le menu l'examen de la vie amoureuse du prince, il importe de contrôler cette assertion et de se demander s'il ne cherche pas à en imposer à la sentimentalité de la correspondante de Ham. De la psychologie amoureuse de Louis-Napoléon, il convient de passer à celles-là envers qui il exerça les facilités de son tempérament. Une enquête attentive convaincra qu'en 1845 il exagérait manifestement l'amertume des amours manquées, des passagères et périssables tendresses de sa jeunesse précoce. Car il fut précoce. A treize ans, assure-t-on[2], il avait eu sa première aventure, aventure bien subalterne d'ailleurs. Évidemment. C'est ainsi que débutent tous les collégiens. Mais il paraît s'être expliqué lui-même là-dessus. Certain jour, aux Tuileries, le jeu des devinettes sévissait. L'une d'elles fut ainsi posée : Quelle femme a le plus de valeur en amour, au point de vue purement passionnel, la femme du monde ou la courtisane ? L'Empereur se chargea de répondre : Toutes les femmes se valent en amour, quelle que soit la qualité sociale de leur élégance, car, disait-il encore : Un jardin en lequel nul ne met le pied contient d'excellents fruits que goûte seul son propriétaire. Pourquoi un jardin ouvert à tous ne renfermerait-il pas d'aussi délicieux produits ?[3] Cette théorie facile et agréable explique bien des choses, mais, si elle fait comprendre le fait de certaines aventures ancillaires, elle n'autorise certainement pas les pamphlétaires à dire, à propos de la séduction d'une Elisa, soubrette bien imaginaire, de la reine Hortense, par le prince, que ce gredin en herbe débuta dans la vie galante par un viol[4].

Cette affirmation catégorique est tirée du plus sot libelle qui se puisse imaginer, ou, à chaque page, viols, meurtres, débauches, crimes et orgies se mêlent dans le plus ahurissant tohu-bohu, qui autorise à croire à la démence érotique de son crapuleux auteur. Il est, fort heureusement, d'autres témoignages propres à éclaircir cette période de la vie du prince. La correspondance de son précepteur n'offre sur ce point aucun détail[5]. Néanmoins, il n'en faudrait pas conclure à l'absence de la précocité de Louis-Napoléon. C'est une de ses parentes qui écrit qu'à Arenenberg la chronique intime du château s'occupait beaucoup des différentes amours du prince. Et, d'ajouter benoitement : Rien ne m'intéressait davantage ; il me semblait qu'il avait un cœur aussi volage que tendre[6]. C'est de ce cœur que lui-même a dit, plus tard, qu'il le lui fallait toujours plein[7]. En Suisse, il y tâcha avec zèle et une bien vive ardeur. En Thurgovie, et ailleurs, il s'appliqua à cueillir des lauriers autres que ceux que dispensent les études. On lui donna, — sous toutes réserves, il est vrai, — à cette époque, une fille d'Hudson Lowe comme maîtresse[8]. Fière conquête pour un Napoléon ! Il paraît aussi avoir, en vertu du principe du cœur plein, entretenu d'aimables relations avec une dame Laübly, femme d'un menuisier d'Ermatingen, près la maison du docteur Dobler. Sous le second Empire, une dame Knüssy lui écrit et se dit fille de Sa Majesté. Elle est née Laübly. Épouse d'un sculpteur, dont le ménage n'est guère heureux, à la veille de partir pour l'Amérique, elle parait solliciter un secours[9]. Serait-ce un enfant naturel à ajouter à tous ceux dont on sait, très authentiquement, Napoléon III le père certain ? Question posée. Quoi qu'il en soit, aux dames de Suisse, Louis-Napoléon laissa les plus charmants souvenirs. On le vit bien lors de son départ, en 1838. Les femmes surtout, par leur attitude et leurs paroles, accusaient la vivacité de leur douleur. Ainsi, publiquement, elles déploraient le départ de leur prince charmant et aimant. A Constance, aux fenêtres, les femmes agitaient leurs mouchoirs et au dernier moment on n'entendait que des sanglots[10]. C'était à croire qu'il avait caressé toutes les demoiselles du canton. C'était la politique qui le forçait, en 1838, à quitter la Suisse. A en croire d'aucuns, c'était l'amour qui, prudemment, lui avait fait abandonner l'Italie. Il y était tombé amoureux de qui, certes, en valait bien la peine, de cette comtesse Baraglini[11], sœur de la comtesse Morici, laquelle était délicieusement appelée, pour sa beauté, l'anticamera del paradiso. — L'antichambre du Paradis !... Subtils Italiens ! Pour pénétrer chez la comtesse Baraglini, la nuit venue, Louis-Napoléon s'habillait en femme[12]. Ici donc le pamphlétaire a raison, et il peut dire que l'Italie comme l'Allemagne, servit aussi de champ clos à l'ardeur amoureuse du fils d'Hortense[13]. C'est, très vraisemblablement, ce travestissement qui a donné lieu à la légende qui montre le prince déguisé en fleuriste, pénétrant chez sa belle et y tombant sur le mari, lequel le bâtonne d'importance.

Jeté à la porte par des valets, il refuse, le lendemain, par lâcheté, de se battre[14]. Ce peu brillant esclandre l'obligea, à ce qu'on dit, à quitter Florence où il eut lieu[15]. Vais-je discuter la vraisemblance de l'anecdote et examiner le fondement que peut avoir celle où il nous est montré se faisant, à New-York, le souteneur d'une basse prostituée[16] ? Je passe et conclus, provisoirement, à l'examen de quelques traits authentiques, que, là du moins, il ne connut et ne goûta pas l'amour au sens élevé du mot[17], et que sa figure se dégage de ces aventures, non comme celle d'un amoureux, mais simplement comme celle d'un amant, amateur de femmes et désireux d'en goûter les charmes, sans autrement y attacher d'importance[18]. Il en trouva, de ces femmes, à sa suffisance, et il est bien certain que c'est pour cela que nous sommes empressés à le lui pardonner avec facilité.

***

Cependant, au milieu de toutes ces aventures du temps où il élevait des aigles en Suisse pour remplacer les coqs de Louis-Philippe en France[19], il en est une qui semble marquer le début de la vie amoureuse de Louis-Napoléon d'une manière à ce point romanesque et curieuse qu'elle doit être étudiée en détail et avec l'intérêt qui lui convient.

L'héroïne de ce roman avait nom Eléonore-Marie Brault. Elle était née à Paris le 6 septembre 1808, d'une mère dont il n'est rien à dire, et d'un père, lequel, en son vivant, fut capitaine dans la Garde Impériale. Élevée au couvent de la Congrégation de la rue de Sèvres, elle en sortit pour aller vivre avec son père à Barcelone. Je ne sais si ce valeureux guerrier prisait musique et théâtre, mais je puis affirmer que sa fille les aima pour lui, et avec passion. Au Conservatoire de Paris, où elle se hâta de voler, elle trouva deux maîtres éminents — du moins en ce temps-là —, Ponchard et Banderali. Elle trouva aussi, mais ailleurs, je le présume, Rossini, qui, gratuitement, lui accorda quelques leçons. Je m'étonne que ces soins eurent pour résultat de la faire entrer à l'Odéon. Le spectre de la faillite hantait et décorait alors le péristyle néo-grec de ce temple dramatique écarté et lointain. La pauvre Eléonore, qu'allait-elle faire dans cette galère ? Préluder par une banqueroute dramatique à ses futures banqueroutes sentimentales ? Apparemment, et ce ne manque point. Dame Fortune avait déserté cet endroit solitaire. L'Odéon ferma. Eléonore vend tout ce qu'elle possède, et, le jour même, elle part pour Milan. Charmante ville ! Là, tout au moins, on musiquait avec fureur et ferveur. Eléonore y trouva son Paradis, et, peut-être, quelques Séraphins ou Dominations, sous la figure d'amants généreux et magnifiques, car, vingt mois durant, elle fit les délices de Milan, et, selon toute apparence, de quelques Milanais amateurs des arts. De Milan elle passa à Venise, mais, hélas ! pour qui goûta aux beaux fruits de perdition de Paris, que sont Milan et Venise devant ce Paris dispensateur de toute gloire ? Oui, mais l'Odéon... Eléonore, malgré ce cuisant souvenir, franchit les Alpes, et un beau soir de 1831, le rideau des Italiens se leva sur ses débuts. Je ne dirai point qu'ils furent éblouissants et qu'ils bouleversèrent la critique. A preuve, c'est que la pauvrette, peu après, traversa le détroit et s'en fut à Londres. A défaut de succès elle y trouva, tout au moins, un mari. C'était un gentleman de condition : Sir Gordon Archer, commissaire des guerres à la légion anglo-espagnole[20]. Outre un mari, elle y fit rencontre d'un jaloux car, en décembre 1831, se promenant fort innocemment à Saint-James-Park, elle y reçut dedans et par le visage des coups de poignard d'un personnage excité qu'elle ne connaissait d'aucune manière. Ce la dégoûta vraisemblablement de la libre et vieille Angleterre, car elle repassa sur le continent, et y continua ses tournées dramatiques à Paris, Naples, Rome, Florence, — et Strasbourg où des succès d'un genre particulier l'attendaient en 1836, année où, le 7 mars, elle devint veuve, l'estimable Sir Gordon Archer ayant cru devoir mourir du typhus, à Vittoria, dans l'instant où on l'appelait à un grade supérieur[21].

Tel était le bilan de la vie de Mme Gordon en 1836. Dans ses aventures elle avait été servie par un physique qui ne devait pas être sans agrément[22]. Elle avait les cheveux noirs et une beauté virile qui faisait tolérer son talent douteux[23]. Elle avait, aussi, des manières cavalières et décidées. Avec activité elle faisait des armes, et elle s'y montrait de première force. Il paraît que cela l'aidait à développer sa voix de contralto[24]. Remède indiqué, en passant, à ces dames de nos diverses académies chantantes et dansantes. Cela en avait fait une manière de femme-homme, au dire d'un préfet de l'Empire qui la connut[25]. Aussi ne faut-il pas s'étonner si à sa physionomie on trouva quelque chose de dur et de trop prononcé[26]. Au résumé, dans une pièce judiciaire, je trouve d'elle un portrait à la fois physique et moral qui résume et clôt le croquis que j'ai essayé de tracer de cette héroïne romanesque : Elle était remarquable par les charmes de sa personne ; son esprit était en rapport avec sa beauté ; active, intrigante, de mœurs équivoques, et sans argent, elle offrait l'assemblage de toutes les conditions qui, d'un être doué de raison, font souvent un instrument docile[27]. Je crois pouvoir prouver que beaucoup de touches de ce tableau sont exactes.

En sa qualité de fille d'un soldat de l'Empire, Mme Gordon était bonapartiste. En 1836, et même avant, on l'eût été à moins. La cause que je défends à haute et intelligible voix, disait-elle en 1839, est si noble, si grande, si sainte pour moi, que c'est ma religion tout entière, religion à laquelle je serai toujours un disciple fidèle et dévoué[28]. Ses opinions, on en juge, étaient plus pures que son style. Mais demande-t-on de l'orthographe à Jeanne d'Arc et de la syntaxe à la chevalière d'Éon ? Donc, Mme Gordon, avec une ferveur fidèle, était bonapartiste. En raison même de cette ferveur on n'avait accès auprès d'elle que sous condition de bonapartisme[29]. C'est, sans doute, pourquoi, dans son intimité, elle avait admis Persigny.

Ce Persigny était né Jean-Gilbert-Victor Fialin, le 11 janvier 1808, à Saint-Germain-Lespinasse, dans la Loire. Élève à l'école de cavalerie de Saumur en 1826, on le trouve, en 1828, maréchal de logis au 4e régiment de hussards. En 1833, il était mis à la réforme. Il était de condition modeste, et quoique simplement Fialin, se disait et titrait vicomte de Persigny. Il parlait souvent, et avec ostentation, de ses ancêtres. Admettons donc qu'il avait des ancêtres, dit indulgemment un ministre du Second Empire[30]. En sa qualité d'ancien maréchal de logis, il affectait des façons qu'il croyait être de grand seigneur. Plus tard on observa qu'il ressemblait à un homme de bonne compagnie comme la chicorée ressemble à du café[31]. Où, cet avantageux hussard avait-il fait la con naissance de la cantatrice ? Il paraîtrait que ce fut à Londres, où, à l'époque de son mariage, Eléonore donna des concerts chez le roi Joseph Bonaparte, alors refugié en Angleterre. Ce qui apparaît certain, c'est qu'elle devint sa maîtresse. Ses rapports avec Persigny sont fort intimes, dit péremptoirement l'acte d'accusation du procès de Strasbourg[32]. De fait, elle était sa maîtresse, et c'est tout naturellement par lui qu'elle parvint à se rapprocher de Louis-Napoléon.

Ce fut à Baden-Baden, où elle donna des concerts, auxquels il assista, qu'il fit la rencontre de Mme Gordon[33]. Il est vraisemblable que ce fut là qu'il la vit pour la première fois, car il est manifestement inexact que la cantatrice ait été, à Arenenberg, attachée à la maison de la reine Hortense[34]. Je confesse que j'ignore à quel titre elle eût pu l'être ? Il est vrai que son bonapartisme n'y eût peut-être point répugné. Ce même bonapartisme la porta à s'attacher, fougueusement, à la fortune du prince. Il sera démontré plus loin à quelles extrémités elle poussa cette fougue. Alla-t-elle jusqu'à jeter Mme Gordon aux bras de Louis-Napoléon ? Cette assurance se trouve chez beaucoup d'historiens de l'époque, et, bien entendu, chez tous les pamphlétaires. A les en croire, Louis-Napoléon aurait connu Éléonore en Italie, la flétrit dans ses bras de satyre[35] et, de plus, lui escroqua sa fortune. Beaumont-Vassy assure même, et je me demande d'où lui sont venus ces renseignements confidentiels et surprenants, qu'il lui promit la gloire, la renommée, si elle voulait, en servant son amour, servir aussi ses projets et devenir sa confidente[36]. Et, intrépidement, à ce vœu, la maîtresse de Persigny sacrifia sa carrière et sa fortune. D'autre part, Louis Blanc, bien informé, lui, cependant, affirme qu'Éléonore aurait été initiée à Lille, à l'insu du prince, lui-même, à ses projets[37]. Le moyen de mettre d'accord tous ces contradicteurs ! Le moyen, de même, d'éclaircir l'obscure histoire d'une fille de Mme Gordon dont le futur Napoléon III serait le père ! Cette fille serait née en 1837[38], un an par conséquent après la connaissance faite à Baden-Baden par la cantatrice du prince, pour mourir, suivant un auteur anonyme anglais, en bas âge[39]. Un autre déclare que cette fille vivait encore sous le second Empire, s'appelait Marthe, et, devenue actrice distinguée, se serait suicidée après le suicide du comte Camerata, son amant[40]. Le suicide de Camerata est certain et celui d'une demoiselle Marthe, sa maîtresse, est authentique. Il eut lieu le 10 mars 1853. C'était une demoiselle née Élisa Letessier, connue au théâtre sous le nom de Mlle Marthe. Ce qui permet de croire qu'elle n'était pas la fille de Louis-Napoléon, c'est qu'elle avait vu le jour en 1827[41]. Au reste, je ne puis tirer cette histoire au clair. Je la signale, en passant, pour ajouter une touche à la biographie de Mme Gordon.

Nous savons que Louis-Napoléon aimait les femmes fortes[42]. Mme Gordon l'était, mais cette constatation est insuffisante pour attester de leur liaison amoureuse. Il est probable que Louis-Napoléon se montra galant à son égard, mais ce fut tout, sans doute[43]. Simple hypothèse. Le prince a nié cette aventure au moment même où elle devenait publique. En 1836, afin qu'il le répétât, il écrivait à un ami : Il est faux que j'aie eu la moindre relation intime avec Mme G...[44]. Et, elle-même, interrogée à ce sujet, répondit à quelqu'un qui lui demandait : L'aimez-vous ?Je l'aime politiquement. — De plus, elle paraissait le priser fort peu[45]. Les actes démentent ces paroles. En effet, dans l'aventure où elle se mêla, Mme Gordon apparaît comme la cheville ouvrière, et l'acte d'accusation dressé contre elle la montre, très exactement, comme Pâme de la conspiration de Strasbourg, car c'est par une conspiration que sa connaissance avec le prince Louis-Napoléon débuta.

En 1836, le prince avait vingt-huit ans. Depuis quatre ans le duc de Reichstadt, fils de Napoléon, était mort dans la captivité autrichienne. Le roi Joseph qui, en vertu de l'article VI du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, était appelé à recueillir la succession impériale, vivait malade, vieilli, prudent, en exil, en Amérique et en Angleterre. A son défaut l'héritage devait revenir au roi Louis, père du prince. Mais le mari d'Hortense, perclus de douleurs, neurasthénique, infirme presque, se confinait dans sa solitude italienne. Louis-Napoléon, ivre du romanesque ambiant de son temps, nourri dans les grandes espérances de domination et de restauration impériales, se substitua à ces vieillards impotents, et ce qu'au déclin de leur vie ruinée ils se refusaient à faire ou n'osaient entreprendre, il se résolut de tenter, lui, à l'aurore d'une existence à laquelle il ne voulait point d'autre but. Comme son oncle, naguère au retour de l'île d'Elbe, il projetait de se présenter devant un régiment, de l'entraîner, de marcher avec lui sur Paris en le grossissant, en cours de route, des troupes ralliées à l'aigle qu'il ramenait sur les drapeaux de la France offensée[46]. Pour cette tentative Strasbourg avait été choisi par lui et Persigny. Il ne demeurait qu'à y gagner à la cause napoléonienne un colonel assez influent pour décider les troupes dès le premier instant. Ici entre en scène le colonel Vaudrey. De parents de petite bourgeoisie, Claude-Nicolas Vaudrey était né le 25 décembre 1784 à Dijon[47]. Les sonores cloches d'un clair Noël saluèrent et bénirent la venue de l'enfant. De son adolescence rien ne se sait. Pour l'histoire, sa vie commence ce 22 novembre 1802, où il entra à l'École Polytechnique. En 1804, c'est à l'École d'application de Metz qu'on le retrouve, d'où à vingt-deux ans il sort, le 9 mars 1806, lieutenant en second. Puis c'est la carrière qui commence, brillante, rapide, comme celle de ces soldats de fortune, qui, un jour, dans les bivouacs dévastés d'un ennemi écrasé et dispersé à coups de canon, trouvent, noir encore de poudre, le bâton des maréchalats impromptus. De 1806 à 1814, Vaudrey fait toutes les campagnes de la Grande Armée, dans l'artillerie. Prisonnier de guerre le 13 avril 1809, — il est alors adjudant major au Ier régiment d'artillerie à cheval, — il rentre au service le 10 août suivant, et, un an plus tard, il est capitaine en second. Il est intrépide et courageux, et, d'une ruée équestre vers l'ennemi qui, devant Grossen-Hayen lui dérobe ses canons, il revient l'épaule trouée. En 1814, il est chef de bataillon, ce qui, à la rentrée des Bourbons, le désigne pour la demi-solde. Le retour de l'Empereur l'appelle à la direction de l'artillerie à Auxonne, le 12 mars 1815, et, le 10 avril, à l'état-major de l'artillerie de l'Armée du Nord, — l'armée de Waterloo. Devant Mont-Saint-Jean, Vaudrey braque ses pièces et tire les derniers coups de canon de l'Empire. Donc : demi-solde le 1er novembre 1815. Alors il va végéter et goûter les loisirs accordés par les Bourbons magnanimes aux brigands de la Loire. De 1817 à 1830, comme lieutenant-colonel, ce centaure désarmé mène la morne vie des officiers suspects, condamnés à la médiocrité des carrières sans gloire. La monarchie de Juillet lui confie la direction de l'artillerie à Bastia et l'y laisse trois ans. Le 26 mai 1833, — colonel depuis le 21 septembre 1830, — Claude-Nicolas Vaudrey est appelé au commandement du 40 régiment d'artillerie à Strasbourg. Le poste est, certes, d'importance, mais n'a-t-il pas droit à mieux ? Il a des titres à être aide-de-camp du duc d'Orléans. Refus. Il a droit à une bourse pour son fils aîné. Refus. Et voilà Vaudrey mécontent, aigri, mâchant dans l'exil du Bas-Rhin l'amertume de ses rêves trahis.

Au physique, c'est un bel homme, l'image même du guerrier d'Empire. Jeune, la moustache conquérante, dans son bel uniforme éclatant, parmi les fifres et les tambours rythmant le On va leur percer le flanc, à la tête de ses pièces de bronze basses sur roues, emportées par les attelages du train, il devait faire belle figure à l'entrée des villes conquises. Il était grand, de nobles formes, doué de tous les avantages extérieurs du militaire de ce temps[48]. Les cheveux noirs, la royale aiguë sous des moustaches retombant en longues pointes, la figure mâle et sévère[49], le type même de l'officier destiné à laisser derrière lui des cœurs malheureux dans les châteaux des belles Polonaises et les tranquilles maisons des douces bourgeoises de Moravie et de Prusse. A trente-deux ans, ce magnifique artilleur s'était marié, avec une demoiselle Adeline Perier, d'Avallon, dans l'Yonne, laquelle était fille d'un ingénieur des Ponts et Chaussées et avait alors vingt ans, — l'âge auquel les petites oies se laissent piper au bel air de ces avantageux sabreurs[50]. — L'union paraît avoir été heureuse et pacifique. Deux fils en étaient nés, à l'éducation desquels la mère veillait, avec une obscure assiduité, dans le logis du colonel, place Saint-Étienne.

C'était là l'homme sur lequel Louis-Napoléon avait jeté son dévolu pour l'aider dans le coup d'État rêvé contre Louis-Philippe. Demeurent maintenant à examiner les moyens employés pour arriver à la séduction et le rôle joué par Mme Gordon dans cette comédie à la fois galante et politique.

Le 15 juin 1836, Eléonore arriva à Strasbourg et descendit à l'Hôtel de la Ville de Paris. Qu'y venait-elle faire ? Donner des concerts. Effectivement, le 24 ou le 25 juin, le général Voirol, commandant la place, organisa une soirée où elle se fit entendre[51]. Ce fut là que Vaudrey la vit pour la première fois. La séduction opéra sur-le-champ, et, d'autant mieux, qu'il avait le tempérament porté à la bagatelle. Ses mœurs n'étaient surtout ni de son âge ni de sa position, s'indignait vertueusement le procureur du roi à la cour d'assises du Bas-Rhin. On le présenta donc à Mme Gordon, et, ayant demandé à la revoir, elle lui apprit qu'elle s'en allait à Baden-Baden où d'autres concerts l'appelaient. De fait, elle partit le 28 juin, et, le 29, à son tour, Vaudrey était à Baden-Baden. Là, comme par hasard, il rencontra le prince, auquel il fut présenté par le colonel d'artillerie en retraite Eggerlé. Louis-Napoléon se hasarda à faire quelques timides ouvertures au colonel, mais le soin d'emporter la place fut laissé à Éléonore. Louis-Napoléon, accuse un pamphlet, donna au colonel Vaudrey, son plus fidèle ami (sic !), la belle madame Gordon pour maîtresse[52]. Si le fait de l'amitié intime du prince et du colonel est contestable, celui de la séduction ne l'est guère. Indigemment un auteur, dont la bonne volonté n'est malheureusement pas supérieure au souci de la documentation, a excusé le prince dans cette circonstance. Il n'était point dans la dignité de Louis-Napoléon, dit-il, d'employer les moyens que tout prétendant,j'ajouterai tout gouvernementest obligé d'adopter lorsqu'il veut s'attacher un homme. Un ami s'en chargea. Cet ami était M. de Persigny[53]. Voilà une hypothèse très plausible. Il était assez dans les habitudes de Persigny de déclarer : J'ai fait mon éducation politique dans l'histoire de Rome[54]. Sacrifier sa maîtresse à son prince, c'était être quelque peu Romain. Confessons qu'il fut Romain avec ampleur et stoïcisme. Dans la dangereuse et délicate partie, dont le colonel Vaudrey était l'enjeu, Éléonore était une partenaire de taille. Wolbert, le conseiller à la cour royale de Colmar, chargé de l'instruction du procès du coup d'État de Strasbourg, qui lui avait fait subir plusieurs interrogatoires, disait d'elle : Vingt femmes comme celles-là par an, et j'en perdrais la tête ![55] Comme elle était froide et réfléchie[56] elle était de taille à gagner la partie, et elle la gagna, disons-le, brillamment.

Revenue, avec Vaudrey et Persigny, à Strasbourg, Éléonore commença aussitôt ce qu'on doit, documents en mains, appeler la comédie. Fialin faisait la propagande le jour et Mme Gordon la nuit[57]. C'est un venimeux propos auquel on ajoute, à mon avis, bien gratuitement, en disant que Mme Gordon avait des bontés et des faveurs pour tous les conjurés[58]. Mais qui étaient ces conjurés, obscures, misérables et petites gens, au regard de Vaudrey, colonne des projets du prince ? Il est bien certain que la cantatrice ne tarda pas à le dominer et à l'éblouir complètement. Une lettre d'amour du colonel donnera la mesure de sa passion. Elle est doublement curieuse, car elle montre la tactique employée par la séductrice pour amener l'amant à une soumission totale. On devine que, derrière Éléonore, Persigny maniait les ficelles du jeu. Si Vaudrey allait se dérober au piège ? Si l'aveugle bandeau de son fol amour allait tomber ? Vaines craintes ! A Éléonore disant Je ne serai qu'à celui qui sera du parti du prince ! il avait fermement répondu : Sois à moi et je suis à lui ! et il ne songeait nullement à se dérober à sa promesse. Et, à sa maîtresse, il le disait et le répétait avec une abondante emphase :

Dix heures soir.

MA CHÈRE ÉLÉONORE,

J'ai reçu ta lettre... quelle lettre, Éléonore, et de toi !... Je vois maintenant, plus peut-être que tu ne l'eusses désiré, la cause de ton inconcevable silence et le motif pour lequel il t'a plu de me manquer de parole.

J'aime la franchise, la tienne me plait, tu en uses, dans toute son étendue ; c'est bien, c'est même un mérite rare. Il est échappé à ta plume que d'autres inspiraient, j'en ai la conviction, des expressions qui sont plus que des duretés. Je dois me taire. Tu es femme et la femme que j'aime par-dessus tout. Que puis-je répondre ? Il parait que ton silence était une punition ; il en est, sans doute, de même de ton séjour prolongé à Paris. Quel pitoyable système l Il est à peine bon pour les enfants. Tu savais 'pourtant ma position, elle était assez pénible. Pourquoi ajouter à des angoisses et à des cuisants chagrins ? Me supposes-tu insensible ?

Tu m'accuses de quitter, d'abandonner mes amis ! Cet odieux blasphème n'est pas de toi, dis à ceux qui se sont chargés de t'informer, soit de mes intentions, soit de ma conduite qu'ils en ont menti..., dis à ceux qui t'ont inspiré ta dernière lettre toute remplie de défiance — ce qui en a éveillé en moi une bien plus grande —, dis-leur, je t'en supplie, que leurs défiances, que leurs soupçons sont des injures, et que je n'ai pas l'habitude d'en endurer. Apprends-leur que je suis du petit nombre de ceux qui peuvent dire :

Examine ma vie et songe qui je suis.

Toi, eux, vous tous, enfin, vous n'avez pas rougi de penser que la menace pouvait avoir quelque influence sur moi et tu employes ce moyen des faibles. Vous supposez que ma volonté cédera... à qui, grand Dieu ? à des menaces ; — ah ! tu ne me connais guère ! Insensés, adressez-vous donc à ma conviction, convertissez-la, s'il en est besoin — et tu sais bien que non —, éclairez-la si elle s'égare, et vous verrez si ma volonté ne saura pas atteindre et dépasser les vôtres et si je resterai en arrière quand il faudra agir et se montrer. La plus grande preuve d'affection que je puisse te donner, c'est de croire que les inspirations de ta lettre ne sont pas de toi, car l'injure, quoique déguisée et parée d'une flatterie imméritée, s'y reconnaît trop bien ; ce n'est pas la main d'une femme et d'une amie qui porte de pareils coups. Mais tu sauras bientôt si je sais répondre à une provocation : attends seulement que je sois à Strasbourg.

D'après tout ceci, une entrevue entre nous est plus que jamais indispensable, ne fût-ce que pour détruire, s'il se peut, les fâcheuses et fatales préventions qui nous occupent l'un et l'autre et nous occuper de nos intérêts communs.

Malgré ta lettre toute martiale, toute menaçante, je ne t'en aime pas moins toujours de toute mon âme ; et, quoi que tu puisses dire, j'ai l'assurance que tu n'auras jamais à rougir de moi. Au revoir donc, chère amie, et le plus tôt que possible. Quoique bien souffrant, je volerai près de toi... Un doux baiser à toi de toutes les forces de mon âme[59].

 

Donc Vaudrey était enchaîné. Il s'était laissé prendre aux charmes d'Éléonore, à ce factice qu'apportent toujours avec elles les femmes de théâtre, et, pour elle, il avait déserté le foyer où, vieillie déjà, l'attendait l'épouse de 1816. Mais le moment de précipiter les événements approchait. Le 2 octobre, Mme Gordon descendait, à Dijon, à l'Hôtel du Chapeau-Rouge, et rejoignait le colonel à une maison de campagne qu'il possédait aux environs. Brusquement, une lettre de Persigny y arriva, qui troubla cette amoureuse quiétude. Le compagnon du prince les appelait à Fribourg-en-Brisgau. Ils partirent aussitôt, Éléonore ne laissant pas à Vaudrey le temps de quitter ses pantoufles[60]. Le 25 octobre, à midi, ils arrivaient à Colmar, où ils se gîtèrent sous le nom de M. et Mme de Cessay. Le même jour, ils rencontrèrent, à Fribourg-en-Brisgau, Persigny exact au rendez-vous, qui leur donna des indications pour le coup d'État fixé à la fin du mois. Le 26, Mme Gordon et son amant étaient de retour à Strasbourg.

Ce voyage avait resserré leur intimité. A l'audience de la cour d'assises du 7 janvier 1837, Vaudrey aura beau déclarer : Je n'ai rien à dire sur mes relations avec Mme Gordon ; elles ne regardent personne et appartiennent à ma vie privée[61], on n'en observera pas moins que, secouant toute pudeur[62] la cantatrice partageait sa chambre. A cette accusation directe elle rougira et expliquera que ce jour-là elle s'était démis l'épaule[63]. Cet accident l'excusera, car, dans ce cas ce n'est pas d'impudeur qu'il faut l'accuser[64]. Pudique ou non, moins de quatre mois lui avaient suffi pour amener le colonel là où le désiraient le prince et Persigny. L'acte d'accusation résumera cette habile manœuvre en déclarant que c'est la femme froide et réfléchie qui, usant de tous les moyens d'influence, spéculant sur l'affection qui lui est portée, entraîne à sa ruine l'homme qui l'aimait, et le fait sans qu'il soit possible d'assigner à sa conduite d'autre mobile qu'un bas et vulgaire intérêt[65]. Pardon,  monsieur le procureur du Roi, mais le bonapartisme de Mme Gordon, n'était-ce point un mobile, lui aussi ?

Le soir du 29 octobre, Louis-Napoléon, arrivé à Strasbourg, rencontrait le colonel sur le Quai-Neuf et enleva son adhésion à l'affaire du lendemain. Vaudrey promit. Il devait tenir. Le 30 octobre, à quatre heures du matin, sous la neige, après avoir passé la nuit avec sa maîtresse, le colonel présentait le neveu de l'Empereur sur le front de bandière de ses troupes et faisait ouvrir le ban en l'honneur des aigles qui sommaient les drapeaux de l'état-major de la conspiration. Il y avait, à cette date, trente ans, qu'à Berlin, Napoléon passait la revue des soldats de sa Garde, carabiniers et cuirassiers, vainqueurs des Prussiens écrasés dans le paysage dépouillé d'Iéna ; vingt-cinq ans, que, dans Nimègue, dans les Hollandes, il entrait avec Marie-Louise sous le feuillage jauni des arcs-de-triomphe ; vingt-trois ans qu'à la lisière des forêts d'Hanau son artillerie dispersait, vers les plaines, les bandes en déroute des Austro-Bavarois culbutés dans la boue.

Pendant que riche et paré de ces grands souvenirs familiaux, Louis-Napoléon tentait le coup de fortune avec Vaudrey, Mme Gordon, après être demeurée quelque temps au domicile du colonel, place Saint-Étienne[66], sortait, armée de deux pistolets. Sur la place elle rencontra le général Voirol, qui devait, quelques instants plus tard, faire échouer le complot. Elle le crut dans le secret de l'attentat. C'est à cette pensée que vous dûtes la vie ! lui dit-elle à la cour d'assises, plus tard, avouant, au reste, qu'elle était bien décidée à lui brûler la cervelle. De là elle se dirigea rue de la Fontaine, où, au n° 17, sous le nom de M. Manuel, Persigny avait loué une chambre donnant sur le quai[67]. Chemin faisant, elle le rencontra, et, par lui, apprit comment le complot venait d'échouer. Elle l'empoigna par le bras et l'entraîna[68]. Arrivés dans la chambre, tous deux se mirent à brûler les papiers compromettants, les chiffres de la correspondance secrète[69], les proclamations et les biographies du prince[70]. Un vigoureux : Au nom de la loi, ouvrez ! les fit bondir. C'était le commissaire central de police à Strasbourg, Michel Letz, accompagné de gendarmes. Mme Gordon, sans perdre la tête, barricada la porte avec des meubles. Les mouches, d'un coup d'épaule, l'enfoncèrent[71]. D'un regard, que Persigny ne comprit point, elle lui indiqua une porte demeurée libre. Mais, déjà, les gendarmes sautaient sur lui, tandis que le commissaire s'emparait du sac de la cantatrice, contenant 100 ducats en or. Je crus, dit ce fonctionnaire prompt à la cour d'assises, que cet or était acquis à la justice[72]. Éléonore estima cette opinion exagérée, et toute en ongles et hérissée de fureur, disputa le précieux sac à Michel Letz. Il en résulta une certaine confusion, qui permit à Persigny de gagner le large. Le soir il traversait le pont de Kehl, déguisé en cuisinier[73] ou en pâtissier, on ne sait, costume fourni par une dame Jordan[74]. Et, faute du merle, la police se saisit de la grive et l'écroua à la prison où était déjà Louis-Napoléon, avec l'état-major du coup d'État[75].

Ce fut le 6 janvier 1837 que le procès s'ouvrit à Strasbourg, dans cet ancien palais de justice de la rue au nom charmant et archaïque : rue de la Nuée-Bleue. Un jour livide et triste éclairait la salle étroite tapissée d'un lugubre papier gris marbré. Dans des ouvertures cintrées, au-dessus du banc des accusés, se tassaient, toilettes chiffonnées et chapeaux en danger, les belles dames de l'endroit. A Mme Gordon, dont Me Liechtenberger assumait la défense, toute l'attention était réservée. Elle apparut le teint clair et rose, fort aisée, en chapeau de satin blanc et robe de soie noire avec collet à grandes broderies[76]. Entre les accusés de Gricourt et de Bruc, elle fut invitée à prendre place. Ce Raphaël de Gricourt était un mince petit jeune homme de vingt-trois ans, en habit bleu à boutons dorés qui laissait voir un gilet noir à grandes fleurs bleues sur lequel tombait un joli jabot. Avec élégance il lissait ses moustaches blondes, qu'il avait fort longues[77]. Il paraît que c'est sa mère qui avait vendu à la reine Hortense le château d'Arenenberg. Ce avait paru suffisant au fils pour devenir bonapartiste[78]. Quant au comte Frédéric de Bruc, qui avait, le 15 août 1836, touché de Persigny, 4.500 francs pour sa part dans le complot[79], il avait la mine rude et sévère. En habit bleu boutonné jusqu'au cou, il décorait sa boutonnière de la pourpre de la Légion d'honneur gagnée à la bataille de Reims. Ce chef d'escadron en non activité revenait de loin, ayant reçu à Breslau deux fiers coups de lance, et, à Hanau, une mauvaise balle dans le cou. Il portait des moustaches et une chevelure partagée par une raie[80]. Il était romantique, ce qu'il prouva en publiant, en 1855, un petit in-12, Une Fantaisie de duchesse, où il s'essayait à démontrer que les femmes ne se passionnent que pour les monstres[81]. Eléonore aurait-elle repoussé ses hommages ? C'eût été une tentative indiscrète, à deux pas du colonel Vaudrey, assis sur le même banc, en grand uniforme, la croix sur la poitrine[82]. Il ne manquait que le prince à l'appel des accusés. Mais le gouvernement qui, à tout prix, réduit à cuisiner le jury, voulait éviter le scandale d'un acquittement[83], avait, dès les premiers jours, soustrait Louis-Napoléon à la juridiction de la cour d'assises. Embarqué sur l'Andromède, on l'envoyait en Amérique pour ne pas laisser séduire les juges par l'exemple d'une infortune impériale assise sur un banc de cour d'assises.

Le procès de Strasbourg ne nous touche qu'en ce qu'il concerne Mme Gordon. Elle y fit excellente figure, un peu émue cependant, et forcée de recourir aux sels, à la lecture de l'acte d'accusation où les qualifications peu flatteuses lui étaient prodiguées[84]. Son interrogatoire eut lieu sans incident et le tout se termina de charmante manière : l'acquittement fut général. Éléonore en faillit s'évanouir[85]. Le soir, à l'Hôtel de la Ville de Paris, avocats et accusés burent à la santé de ce paternel jury. Dommage ! Persigny manquait à ce beau banquet ! Si Vaudrey était à la droite de Mme Gordon, il avait bien droit, lui, à la gauche ! Autant que la vérité peut se saisir à travers une documentation presque illusoire, il apparaît que le procès de Strasbourg porta un coup mortel aux amours de la cantatrice et de l'artilleur. Désormais, semble-t-il, leurs vies se séparent, et aucune pièce ne permet de croire qu'à cette aventure leur tendresse ait eu la force de survivre. L'un et l'autre, cependant, demeurèrent fidèles au prince dont le projet avait ruiné leurs existences. Éléonore continua la propagande de son bonapartisme militant. En 1838, elle était à Paris, et la police perquisitionnait inutilement chez elle. En 1838, on la voit derechef inquiétée par la mouche. Dame police, dit-elle plaisamment et avec une bonne humeur allègre, Dame police est du genre féminin, c'est vrai, mais moi aussi et j'avoue sans détours que je me crois moins stupide qu'elle[86]. Elle conspirait donc encore, et presque ouvertement, puisqu'elle figure dans le Club des cotillons, qui, concurremment avec le Club des culottes de peau, s'était formé en 1839, pour réunir tous les bonapartistes obstinés[87]. Vaudrey, lui, s'affichait moins ostensiblement. Il avait cédé aux larmes de sa mère éplorée en promettant de ne plus s'occuper de politique[88]. Le 3 novembre 1836, quelques jours après le coup d'État, par décision royale il avait été mis en non-activité par retrait d'emploi, et, après le procès, le 4 février 1837, il était admis à faire valoir ses droits à la retraite, que, le lendemain, les bureaux de la Guerre liquidaient à 2.790 francs de pension[89]. En 1840, Louis-Napoléon le pressentit pour le coup d'État de Boulogne qui se préparait alors. Il refusa d'y coopérer[90]. Il n'en embaucha pas moins, en juillet 1840, à Dijon, un nommé Noël-Michel Buzenet, ancien sergent au 36e régiment de ligne, qui fut expédié à Londres comme domestique du prince, et qui débarqua avec lui sur les plages boulonnaises pour le second du coup d'État du fils d'Hortense[91]. A Londres, pour la même affaire, Mme Gordon s'employait activement. The Times la dénonçait comme l'agente la plus active de la nouvelle conspiration. Voilà donc le bonapartisme tombé en quenouille ! pouffait-on en France[92]. Son influence y fut, assure-t-on, définitive. C'est encore The Times qui affirmait que le prince ayant voulu débarquer à Boulogne en novembre, ce fut elle qui le lui déconseilla et fit remettre la tentative à l'été. Entre temps, elle s'occupa de visiter les places fortes du Nord[93]. Quand le coup eut échoué, elle fut des visiteuses de Louis-Napoléon dans sa prison de Ham[94]. 1848 et son renouveau bonapartiste la trouvèrent, naturellement, sur la brèche. Quand Persigny dressa à cette date la liste des fidèles du prince, on y voit figurer Mme Gordon, 57, rue de Provence[95]. C'est elle que le prince va visiter quand il vient à Paris en 1848 ; c'est par elle, tactique qui sent celle de Strasbourg, qu'il essaie d'amener à son parti Louis Blanc[96]. Elle s'agite beaucoup, et au point, qu'en juin 1848, compromise dans les menées bonapartistes, elle est arrêtée avec Persigny, Tremblaire, le journaliste officiel et officieux du prince, Thomassin, l'imprimeur, et écrouée à la Conciergerie, sans que, toutefois, il paraît que des poursuites furent exercées[97].

Mais, enfin, voici que le parti triomphe et porte Louis-Napoléon, le 20 décembre 1848, à la présidence de la République. Quelle va être la récompense de la conspiratrice de la première heure ? Un papier venu des Tuileries nous l'apprend laconiquement : 4.800 francs de pension[98]. Pauvre denier ! C'est avec cela, qu'à quarante ans, usée, vieillie, sans métier, Éléonore est invitée à vivre ! Que s'est-il donc passé ? Quel nuage obscurcit l'amitié de ses relations avec le prince ? A en croire un libelliste, elle était jalouse de la dernière conquête amoureuse de Louis-Napoléon, Miss Howard, pour le moins autant que celle-ci était jalouse d'elle. Dans cette lutte entre les deux femmes, la plus vieille, selon la norme ordinaire, fut vaincue, et Persigny fut chargé par le prince — je prie qu'on remarque que c'est toujours le libelliste qui parle —, de signifier à Mme Gordon son congé avec, comme petit souvenir et fiche de consolation, une bourse contenant 5.000 francs. Éléonore le prit de haut et sur le vif, à la suite de quoi, par les laquais, elle fut jetée à la porte de l'Élysée, et, la conscience tranquille, Persigny empocha les 5.000 francs, comme étant de bonne prise[99].

Je crus que cet or était acquis à la justice, disait, en 1836, le commissaire de police de Strasbourg. Persigny n'avait peut-être pas oublié ce petit trait délicat et naïf.

Les renseignements manquent totalement sur la fin de Mme Gordon. Il parait qu'elle mourut dans la misère[100], et à l'hôpital[101], le 11 mars 1849[102]. L'Élysée eut la charité de payer son convoi. Ce n'en coûta que 720 francs à la cassette du prince[103]. Où dort cette épave de l'aventure impériale ? Dans quel cimetière la fosse commune a-t-elle happé cette proie sans gloire, ce fantôme de la jeunesse hasardeuse de Louis-Napoléon ? Rien ne demeure et rien ne subsiste de cette faiseuse d'empire, et c'est la poussière des greffes des cours d'assises qu'il faut remuer pour retrouver l'éclat éteint du rayon qu'elle fut.

La part du colonel Vaudrey fut plus large et plus belle. Le 9 février 1849, Louis-Napoléon le faisait commandeur de la Légion d'honneur et aide-de-camp de sa maison. Mis à la retraite le 31 mars 1837, il était, le 31 janvier 1852, rétabli sur les cadres de l'armée, et, cas unique de ce genre, avec le titre de général de brigade. Le prince-président le nommait gouverneur des Tuileries, et l'Empereur le faisait général de division, sénateur et grand officier de la Légion d'honneur[104]. Le 11 mars 1857, dans la splendeur de l'Empire ressuscité, il décédait dans la Côte-d'Or, à Cessay. Sa femme vivait encore. Le même jour le mini stère de la Guerre lui attribuait une pension de 750 francs[105]. Un sort glorieux l'avait compensé et récompensé de ses onze ans de retraite. Ces aigles, pour qui il avait fait battre le ban criminel sous la neige du 30 octobre 1836, il les avait vu revenir sur les drapeaux de la Patrie et décorer les Tuileries où il avait goûté la délicate et puissante saveur des revanches éblouissantes de la fortune vaincue...

 

 

 



[1] Fort de Ham, 15 février 1845. — Lettres de Ham, dans La Revue de Paris, 15 avril 1894, p. 9.

[2] Vicomte DE BEAUMONT-VASSY, Mémoires secrets du XIXe siècle... ; p. 320.

[3] PIERRE DE LANO, L'Amour à Paris sous le Second Empire ; Paris, 1896, in-18, pp. 12, 13.

[4] PIERRE VÉSINIER, Les Amours secrètes de Napoléon III ; Paris, 1884, in-8°, P. 4. — Dans un autre pamphlet, cette camérière (sic), est appelée Bettina. — Cf. VICTOR VENDEX, L'Empereur s'amuse ; Les passe-temps secrets de Napoléon III ; Londres, Bruxelles, Toulouse ; 1871, in-18, p. 8.

[5] Cf. STÉFANE POL, La Jeunesse de Napoléon III ; correspondance inédite de son précepteur Philippe Le Bas, de l'Institut ; Paris, s. d., in-8°.

[6] Comtesse STÉPHANIE DE TASCHER DE LA PAGERIE, Mon séjour aux Tuileries... ; t. I, p. 11.

[7] Fort de Ham, 6 mai 1844. — Lettres de Ham, dans la Revue de Paris, 15 avril 1894, p. 4.

[8] ANDRÉ LEBEY, Les trois Coups d'État de Louis-Napoléon Bonaparte ; Strasbourg et Boulogne ; Paris, 1906, in-8°, p. 109.

[9] Papiers et correspondance de la famille impériale ; édition collationnée sur le texte de l'Imprimerie nationale ; Paris [édit. Garnier], MDCCCLXXI, in-18, t. II, p. 157.

[10] H. THIRRIA, La Marquise de Crenay... ; p. 73.

[11] Dans VICTOR VENDEX, L'Empereur s'amuse... ; p. 11, cette comtesse Baraglini devient, on ne sait trop pourquoi, la comtesse Spinosa.

[12] H. THIRRIA, Napoléon III carbonaro, dans Le Correspondant, 25 février 1899, p. 744.

[13] PIERRE VÉSINIER, Les Amours secrètes de Napoléon III... ; p. 6.

[14] Le citoyen VINDEX, Le Clan des Bonaparte ; Le sieur Louis-Bonaparte, sa vie et ses crimes ; s. l. [Paris], s. d. [1871], in-8°, p. 3.

[15] Vicomte DE BEAUMONT-VASSY, Mémoires secrets du XIXe siècle... ; pp. 320, 321.

[16] L. STELLI, Les Nuits et le Mariage de César... ; p. 34.

[17] H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. I, p. V.

[18] Il n'apparaît point qu'il ait jamais aimé une femme, mais il aima la femme. — H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. I, p. V.

[19] Lettre de Félix Pyat à M. Louis-Napoléon Bonaparte ; Paris, 1851, in-8°, p. 7.

[20] C'était la légion, dite du colonel Evans, et dont lord Malmesbury écrit qu'elle avait été enrôlée par lord Palmerston au mépris des lois internationales pour assister Christine contre Don Carlos. — LORD MALMESBURY, Mémoires d'un ancien ministre... ; p. 43.

[21] Insurrection de Strasbourg présentée dans ses proportions historiques ; procès devant la cour d'assises de Strasbourg, plaidoiries entières revues par les avocats ; éclaircissements et documents nouveaux ; Paris, 1837, in-8°, pp. 62 à 65.

[22] Actrice d'un certain mérite et qui ne manquait pas de beauté. Vicomte DE BEAUMONT-VASSY, Mémoires secrets du XIXe siècle... ; p. 321.

[23] A. MOREL, Napoléon III ; sa vie, ses œuvres et ses opinions ; commentaire historique et critique ; Paris, 1870, in-18, p. 144.

[24] H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. I, p. 56.

[25] ANDRÉ LEBEY, Les Trois Coups d'État de Louis-Napoléon Bonaparte... ; p. 108.

[26] ALBERT FERMÉ, avocat à la cour de Paris, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg, d'après les documents authentiques réunis et mis en ordre ; Paris, 1868, in-18, pp. 37-38.

[27] ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; p. 23. Fragment tiré de l'acte d'accusation.

[28] Lettre au baron Larrey. — Collection d'autographes André Lebey. ANDRÉ LEBEY, Les Trois Coups d'État de Louis-Napoléon Bonaparte... p. 290.

[29] A. MOREL, Napoléon III ; sa vie, ses œuvres et ses opinions... ; p. 144.

[30] ÉMILE OLLIVIER, L'Empire libéral... ; t. II, p. 46.

[31] Mémoires du comte Horace de Viel-Castel... ; t. I, p. 133.

[32] ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; p. 24.

[33] Insurrection de Strasbourg... ; p. 65. — Le lieu et la date de la rencontre du prince et de la cantatrice ne souffrent pas la discussion. Un pamphlétaire de 1871 a cru, cependant, pouvoir affirmer, que c'est en Italie que Louis-Napoléon fit la connaissance de Mme Gordon. Comme preuve, il donne ce billet que lui aurait adressé le prince au lendemain d'une de ses représentations :

Madame, vous jouez Lucrèce à ravir. Voudriez-vous recevoir Tarquin sans poignard ?

LOUIS-NAPOLÉON.

Et, naturellement, tout aussitôt, Mme Gordon acceptait le rendez-vous du Prince. Mais, ai-je vraiment besoin d'insister sur ces pauvres sornettes ? — Cf. VICTOR VENDEX, L'Empereur s'amuse... ; p. 16.

[34] Insurrection de Strasbourg... ; p. 15.

[35] L. STELLI, Les Nuits et le Mariage de César... ; pp. 34, 35.

[36] Vicomte DE BEAUMONT-VASSY, Mémoires secrets du XIXe siècle... ; p. 321.

[37] LOUIS BLANC, Histoire de dix ans ; 1830-1840 ; Paris, 1846, in-8°, t. V, p. 121.

[38] PIERRE VÉSINIER, Les Amours secrètes de Napoléon III... ; p. 29.

[39] LE PETIT HOMME ROUGE, The court of the Tuileries ; 1852-1870 ; its organization, chief personages, splendour, frivolity, and down fall ; London, 1907, in-8°, p. 181.

[40] Mme V... S... (Mme de S...), Le Mariage d'une Espagnole ; London, 1866, in-18, p. 361.

[41] CHARLES NAUROY, Les Secrets des Bonaparte... ; p. 68.

[42] L'Empereur aime les femmes complètes à qui la nature a richement octroyé ce qu'il faut pour faire une forte femme. — Comtesse STÉPHANIE DE TASCHER DE LA PAGERIE, Mon séjour aux Tuileries... ; t. II, p. 205.

[43] ANDRÉ LEBEY, Les Trois Coups d'État de Louis-Napoléon Bonaparte... ; p. 109.

[44] H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. I, pp. 87, 88, tire la phrase de la brochure d'Armand Laity, ex-lieutenant d'artillerie, ancien élève de l'École Polytechnique, Relation historique des événements du 30 octobre 1836 ; Le Prince Napoléon à Strasbourg ; Paris, 1838, in-8°. — Or, tous les exemplaires que j'ai consultés, pas plus ceux de l'édition de Paris que ceux de l'édition de Bruxelles, 1838, in-8°, ne contiennent cette phrase. Ce texte a certainement paru à l'époque, car plusieurs historiens le citent. Je ne m'explique pas cette anomalie. — La brochure de Laity fut saisie et l'auteur arrêté le 21 juin 1838. Il comparut devant la Cour des Pairs et, le 10 juillet, il était condamné à cinq ans de détention et à 10.000 francs d'amende. D'après Émile Ollivier, L'Empire libéral... ; t. II, p. 57, la brochure serait du prince lui-même et Laity n'aurait fait que servir de prête-nom pour la publication.

[45] LOUIS BLANC, Révélations historiques... ; t. I, p. 59.

[46] Cf. le plan de la conspiration dans F. de Persigny, aide-de-camp du prince dans la journée du 30 octobre 1836, Relation de l'entreprise du prince Napoléon-Louis et des motifs gui l'y ont déterminé ; Genève, 1836, in-S, p. 13.

[47] La plupart des historiens font naître Vaudrey en 1785. Voici son acte de naissance : Extrait des registres des baptêmes et mariages de la paroisse Notre-Dame-de-Dijon, pendant l'année 1784 : Le vingt-six décembre mil sept cent quatre-vingt-quatre a été baptisé Claude-Nicolas, fils de M. Claude Vaudrey, demeurant à Brognon, et de demoiselle Cécile-Anne-Justine Darentierre, né la veille de légitime mariage. Il a eu pour parrain M. Nicolas Darentierre, conseiller du Roi, ancien contrôleur général honoraire des Domaines et bois à Châtillon-sur-Seine, et pour marraine Mine Anne Rongeot, épouse de M. Claude Vaudrey, ancien directeur des Monnaies de Dijon, son ayeul paternel. — Archives administratives du Ministère de la Guerre.

[48] F. DE PERSIGNY, Relation de l'entreprise du prince Napoléon-Louis... ; p. 17.

[49] Insurrection de Strasbourg... ; p. 72.

[50] Sur le mariage de Vaudrey, je donne ici deux pièces inédites qui en fixent quelques détails et me paraissent curieuses. La première est la demande de mariage formulée par Vaudrey lui-même.

6e Division - Bureau de l'artillerie - Personnel

Dijon, le 8 mars 1816.

Vaudrey, chef d'escadron au corps royal de l'artillerie, à Son Excellence le Ministre de la Guerre, à Paris.

MONSEIGNEUR,

J'ai l'honneur de prier Votre Excellence de m'accorder la permission de me marier avec Mlle Adeline Perier, fille de M. Marie-François-Nicole Perier, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, et de Mme Rose Bernarde Lestré, son épouse, tous deux propriétaires de plusieurs domaines dans le département de la Côte-d'Or et domiciliés actuellement à Dijon, où ils jouissent, ainsi que leur famille, et sous tous les rapports, de la considération la plus méritée.

M. et Mme Perier assurent à leur fille par son contrat de mariage une dot de 30.000 francs, et par le même acte, Mme Marie Letré, veuve Menassier, sa tante maternelle, lui assure la possession d'un domaine situé près Vittaux, de la valeur de 20.000 francs. De plus, les prétentions de Mlle Adeline Perier, tant du côté paternel que du côté maternel, s'élèvent à la somme de 30.000 francs au moins.

Il ne peut être qu'honorable et avantageux pour moi de m'allier à la famille de M. et Mme Perier, et j'ose prier Votre Excellence de donner son consentement à ce mariage, qui a déjà celui des deux familles.

Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur.

VAUDREY.

Le maire de Dijon atteste et certifie la vérité des faits énoncés en la présente pétition, seulement en ce qui concerne la demoiselle ; elle est riche, très honnête et bien élevée, de sorte qu'il ne voit qu'avantage dans l'exécution du mariage projeté.

Ce 9 avril 1816.

DURANDE (?)

La lettre de Vaudrey, suivant la voie hiérarchique, fut transmise au duc de Feltre, accompagnée de cette missive :

18e Division militaire

Bureau des actes de l'état civil et militaire.

Dijon, le 14 mars 1816.

MONSIEUR LE DUC,

J'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence, une demande de permission de mariage de M. Vaudrey, chef d'escadron, au corps royal de l'artillerie en résidence à Dyon, avec Mlle Adeline Perier. Je prie Votre Excellence de vouloir bien accorder à cet officier, l'autorisation qu'il sollicite.

J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur le Duc, votre très humble et très obéissant serviteur.

Le lieutenant général,

Gouverneur de la 18e division militaire,

C. DE DAMAS.

A Son Excellence Monsieur le duc de Feltre, ministre de la Guerre.

Le mariage fut autorisé le 12 avril suivant. — Archives administratives du ministère de la Guerre.

[51] Déclaration du colonel Vaudrey ; audience de la cour d'assises du Bas-Rhin, du 7 janvier 1837. — Insurrection de Strasbourg... ; p. 85.

[52] Les Crimes de Bonaparte, ex-empereur ; troisième édition ; Londres et Bruxelles, 1870, in-32, p. 13.

[53] JEAN GUETARY, Un grand méconnu ; Napoléon III ; Paris, s. d., in-18, p. 8.

[54] ANDRÉ LEBEY, Dix lettres inédites de Persigny (1834, 1841, 1842, 1843) ; publiées avec une notice et des notes ; Paris, 1909, in-8°, p. 17.

[55] H. THIRRIA, Napoléon III ayant l'Empire... ; t. I, p. 56.

[56] Acte d'accusation. — Insurrection de Strasbourg... ; p. 24.

[57] TOUCHATOUT, Histoire Tintamarresque de Napoléon III ; s. l. [Paris], s. d., in-8°, p. 109.

[58] PIERRE VESINIER, L'Histoire du nouveau César ; Louis-Napoléon Bonaparte, conspirateur ; Strasbourg et Boulogne ; Londres, 1865, in-8°, p. 25.

[59] ALBERT MATHIEZ, Le Prince Louis-Napoléon à Strasbourg ; 1836 ; dans la Revue de Paris, 15 novembre 1899, pp. 304, 305. — Cet article contient quelques renseignements inédits, mais il contient encore bien plus d'erreurs. M. A. Mathiez y déclare, par exemple, p. 295, que la mère de Napoléon III tenait de Louis XVIII son titre de duchesse de Saint-Leu. Il serait impossible à M. A. Mathiez de donner le texte des lettres patentes érigeant la terre de Saint-Leu en duché, pour la raison péremptoire que Louis XVIII n'accorda jamais ce titre à Hortense de Beauharnais (Cf. H. THIRRIA, La Marquise de Crenay... ; pp. 3 à 11). M. A. Mathiez assure, p. 296, que la mort du duc de Reichstadt faisait de Louis-Napoléon l'héritier de l'Empereur. C'est, vraisemblablement, qu'il ignore le texte du sénatus-consulte du 18 floréal an XII, désignant directement Joseph Bonaparte pour cet héritage, le dit Joseph Bonaparte encore vivant lors du décès du roi de Rome. M. A. Mathiez parle aussi, p. 298, du célèbre Belmontet : Célèbre ?... Belmontet en 1835 ?... Hum !... M. A. Mathiez affirme, p. 301, que Mme Gordon ne se fit cantatrice que par suite de la gêne où la laissa la mort de son mari. Or, Mme Gordon débuta à Paris, aux Italiens, en 1831, et son mari mourut en 1836 ! (Cf. CHARLES NAUROY, Les Secrets de Bonaparte... ; pp. 24, 25). M. A. Mathiez publie, pp. 309 et suivantes, les proclamations de Louis-Napoléon relatives au coup d'État de Strasbourg, et il les imagine inédites. Il ignore que, l'année même, elles étaient publiées, et notamment dans le recueil intitulé Insurrection de Strasbourg... ; pp. 311 à 315. On voit donc qu'il importe de ne pas tenir compte de cette étude qui n'apporte rien qu'on ne sût déjà depuis longtemps, et surtout avec plus d'exactitude.

[60] LOUIS BLANC, Révélations historiques... ; t. II, p. 220.

[61] Insurrection de Strasbourg... ; p. 85.

[62] ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; p. 24.

[63] H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. I, P. 64.

[64] Insurrection de Strasbourg... ; p. 102.

[65] ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; p. 24.

[66] Interrogatoire de Mme Gordon ; audience de la cour d'assises du 7 janvier 1837. — Insurrection de Strasbourg... ; p. 101.

[67] Déposition d'Offacher, propriétaire à Strasbourg ; audience de la cour d'assises du 9 janvier 1837. — Insurrection de Strasbourg... ; p. 109.

[68] Interrogatoire de Mme Gordon ; audience de la cour d'assises du 7 janvier 1837. — Insurrection de Strasbourg... ; p. 101.

[69] ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; p. 33.

[70] ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; pp. 81, 82.

[71] TAXILE DELORD, Histoire du second Empire ; 1848-1869 ; Paris, 1869, in-8°, t. I, p. 31.

[72] Déposition du commissaire central de police ; audience de la Cour d'assises du 12 janvier 1837. — ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; p. 129.

[73] Souvenirs du général comte Fleury (1837-1867) ; Paris, 1899, in-8°, t. I, p. 4. — C'est du général Fleury qu'il est dit dans les Mémoires du comte Horace de Viel-Castel... ; t. I, p. 202, que c'est un mangeur dont le président [de la République Louis-Napoléon] paie assez souvent les dettes.

[74] GEORGES DUVAL, Napoléon III... ; p. 225.

[75] J'ai, déjà, deux ou trois fois cité des sottises de ce claquepatin de Victor Vendex, qui, en 1871, a publié un si plat pamphlet contre l'Empereur tombé. En voici une autre. Cet historien vengeur s'imagine que Mme Gordon ne fut point arrêtée après l'avortement du coup d'État, et demeura dans la ville. Il raconte ceci avec calme et suffisance : Mme Gordon restait à Strasbourg, cherchant par tous les stratagèmes imaginables de faire arriver de ses nouvelles [au prince]. Les argus du pouvoir surent déjouer ses entreprises, et elle partit pour rejoindre sa petite fille, fruit de ses amours avec son impérial séducteur. J'observe que Mme Gordon, chez cet auteur, a l'accouchement prompt, car en octobre 1836, elle ne connaissait pas le prince depuis six mois. — Cf. VICTOR VENDEX, L'Empereur s'amuse... ; p. 21.

[76] H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. I, pp. 91, 92.

[77] Insurrection de Strasbourg... ; pp. 72, 73.

[78] Charles-Simon-Raphaël de Thery, marquis de Gricourt, était né à Paris, le 17 février 1813. Napoléon III le fit sénateur le 1er juillet 1863. Il avait épousé Jacqueline-Adrienne Bourgeois de Jessaint, et il mourut à Paris le 30 janvier 1885. D'Alton-Shee, qui fut de ses amis, écrit de lui : Le marquis de Gricourt, un Français de la Fronde, aimable, galant et brave ; en 1835, il avait été présenté au Jockey-Club par du Hallay ; celui-ci, prenant d'office envers son jeune ami le rôle de tuteur, lui avait ménagé avec le marquis de Jumillac, un premier duel suivi de plusieurs autres. Après peu d'années de la vie de plaisirs, Gricourt était entré, à Baden, en relation avec Louis-Bonaparte. Sa hardiesse, sa gaieté donnait au complot quelques traits de ressemblance avec les conspirations sous Louis XII, de l'abbé de Gondy, de Saint-Ibal, de Varicarville, etc., contre le cardinal de Richelieu. COMTE D'ALTON-SHEE, ancien pair de France, Mes Mémoires (1826-1848) ; première partie ; 1826-1839 ; Paris, in-18, pp. 184, 185.

[79] ALBERT MATHIEZ, Le Prince Louis-Napoléon à Strasbourg... ; dans la Revue de Paris, 15 novembre 1899, p. 299.

[80] Insurrection de Strasbourg... ; pp. 72, 73.

[81] Revue anecdotique des lettres et des arts ; Paris, 1855, in-8°, p. 273.

[82] M. Vaudrey est abattu, il a la conscience de sa position, il se repentirait s'il en était encore temps de le faire. — LOUIS MUCÈNES, Souvenirs de l'échauffourée de Strasbourg... ; p. 49.

[83] Lettre de Persil, garde des Sceaux, à Rossée, procureur général prés la Cour de Colmar ; Paris, 19 novembre 1836. — ALBERT MATHIEZ, Le Prince Louis-Napoléon à Strasbourg... ; dans la Revue de Paris... ; p. 322.

[84] Insurrection de Strasbourg... ; p. 75.

[85] Mme Gordon est tremblante et tellement émue, qu'à peine elle peut se soutenir. — ALBERT FERMÉ, Les Grands Procès politiques ; Strasbourg... ; p. 209.

[86] Lettre au baron Larrey. — Collection d'autographes André Lebey. — ANDRÉ LEBEY, Les Trois Coups d'État de Louis-Napoléon Bonaparte... ; p. 290.

[87] TAXILE DELORD, Histoire du second Empire... ; t. I, p. 36 ; H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. 1, p. 157.

[88] Interrogatoire du prince Louis-Napoléon, 26 août 1840. — Cour des Pairs ; attentat du 6 août 1840 ; Interrogatoire des inculpés ; Paris, MDCCCXL, in-4°, p. 26.

[89] Archives administratives du Ministère de la Guerre.

[90] Interrogatoire du prince Louis-Napoléon, tg août 1840. — Cour des Pairs ; attentat du 6 août 1840 ; interrogatoire des inculpés... ; p. 10.

[91] Interrogatoire de Noël-Michel Buzenet, 22 août 1840. — Cour des Pairs, attentat du 6 août 1840 ; interrogatoire des inculpés... ; p. 213.

[92] L'Annotateur, journal politique, commercial et littéraire de l'arrondissement de Boulogne-sur-Mer, 3 septembre 1840.

[93] PIERRE VÉSINIER, Histoire du Nouveau César... ; pp. 262, 263.

[94] Le Temps, 20 septembre 1906. — De 1840 à 1848, il est assez difficile de savoir, avec précision, ce que fait Mme Gordon, mais voici sur elle, à la date du 17 juin 1841, une bien curieuse note que je dois à l'amabilité de M. Joachim Kühn, un des plus brillants historiens de la jeune école allemande : Mme Gordon, bien connue par ses relations encore existantes avec le prince Louis, a quitté Paris pour longtemps ; on dit qu'elle s'est rendue en Russie, du moins elle a obtenu un passeport à la Préfecture de Police pour se rendre là-bas, mais l'ambassade de Russie a refusé de le viser. On croit que cette intrigante compte sur ce que le duc de Leuchtenberg et la princesse Mathilde, mariée au comte Demidoft, appuyront le prince. Elle doit avoir traversé l'Allemagne. Elle a d'ailleurs laissé des dettes considérables ; de nombreux réclamants se rendent du moins à son domicile. — Allgemeine Zeitung [von Augsbourg] ; Gazette Universelle [d'Augsbourg], n° 198, 17 juin 1841. — La Gazette tire ces détails d'une lettre de Paris datée du 11 juin 1841.

[95] ARISTIDE FERRÈSE, Révélations sur la propagande napoléonienne faite en 1848 et 1849, pour servir à l'histoire secrète des élections du prince Napoléon-Louis Bonaparte ; Turin, 1863, in-8°, cit. par H. THIRRIA, Napoléon avant l'Empire... ; t. I, p. 58.

[96] ANDRÉ LEBEY, Louis-Napoléon Bonaparte et la Révolution de 1848... ; t. I, pp. 168, 247.

[97] Le Duc de Persigny et les doctrines de l'Empire, précédé d'une notice par Joseph Delaroa ; Paris, 1865, in-8°, p. 22 ; JOSEPH DELAROA, Notice biographique sur M. le comte de Persigny ; Paris, 1854, in-8°, p. 44 ; H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. I, p. 306.

[98] Papiers et correspondances de la famille impériale... ; t. II, p. 132.

[99] PIERRE VÉSINIER, Les Amours secrètes de Napoléon III... ; pp. 99-126.

[100] Vicomte DE BEAUMONT-VASSY, Mémoires secrets du XIXe siècle... ; p. 326.

[101] Louis Bonaparte et ses principaux séides... ; dans VICTOR HUGO [apocryphe], Les Deux Cours et les Nuits de Saint-Cloud... ; p. 98.

[102] CHARLES NAUROY, Les Secrets des Bonaparte... ; p. 25. — C'est par erreur que M. Georges de La Bruyère, dans La Grande Aventure ; roman d'histoire contemporaine ; Strasbourg, 1836 ; Paris, s. d., in-18, p. 344, dit que Mme Gordon mourut le 13 mars 1849.

[103] Papiers et correspondance de la famille impériale... ; t. II, p. 132.

[104] H. THIRRIA, Napoléon III avant l'Empire... ; t. II, p. 37.

[105] Archives administratives du Ministère de la Guerre. — La veuve de Vaudrey mourut, à Paris, le 22 avril 1869. On apprendra peut-être avec curiosité, qu'en 1857 un dramaturge anonyme, et bien extraordinaire, l'a mise en scène dans la plus étonnante des pièces : Strasbourg, Boulogne ; avant et après ; scènes historiques, en 5 actes et 12 tableaux ; Paris, 1857, in-8°. Avec Mme Vaudrey, le héros principal de ce spectacle, que je déclare surprenant, est M. Perier, son frère et beau-frère du colonel. Ce M. Perier, montrant le drapeau tricolore aux ouvriers de son usine, déclare avec simplicité :

Amis, honorons tous ce fruit des ordonnances...

Devenu, on ne sait trop comment, chef de gare à Nuits-sous-Ravière, il gémit mélancoliquement :

Je crois, parfois, vraiment que ma raison s'égare,

Quand ici je me vois installé chef de gare...

Exposant à sa sœur les bienfaits du Crédit Foncier, les avantages du gaz pauvre, l'intérêt des prêts populaires, il se fait répondre :

A ce juste calcul, je ne réplique rien,

Et ce que j'en puis dire est qu'il m'étonne bien.

Il me paraît bien difficile de ne pas voir le lecteur s'en tenir à cet avis après examen de cette pièce dont, dans la littérature baroque, je ne connais point l'équivalent.