HISTOIRE DE LA DÉMOCRATIE ATHÉNIENNE

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Origines de la démocratie athénienne. - Institutions de Solon. - Gouvernement tempéré.

 

La démocratie athénienne faisait remonter ses titres jusque dans la nuit des temps fabuleux. Pausanias, décrivant les fresques du portique royal, à Athènes, dit qu'on y voyait représentés, à côté de Thésée, la démocratie et le peuple. Cette peinture signifie, ajoute Pausanias, que ce fut Thésée qui établit à Athènes un gouvernement fondé sur l'égalité des citoyens[1]. En effet, la tradition athénienne voulait que Thésée eût remis au peuple la direction des affaires, et que le gouvernement démocratique eût subsisté sans interruption jusqu'à l'usurpation de Pisistrate. Rien n'est moins historique qu'une telle opinion, et Pausanias, qui nous l'a transmise, la rejette avec raison.

Ce qui est certain, c'est que l'Attique n'a point été le théâtre de ces invasions étrangères qui, dans d'autres parties de la Grèce, ont renouvelé violemment la population, et fondé sur la différence des mea la pilla dure aristocratie. Elle a dû ce privilège au peu de fertilité d'une grande partie de son territoire. Comme elle tentait, moins les conquérants, elle a conservé son indépendance et sa population primitive[2]. Thucydide la regarde comme un lieu d'asile où venaient se réfugier, de toutes les parties de la Grèce, ceux qui avaient été vaincus dans la guerre étrangère ou dans la guerre civile ; ils étaient sûrs d'y trouver un abri inviolable, et, devenus simples citoyens, ils contribuaient, pour leur part, à la grandeur de l'État. Là, peu à peu, toutes les populations se fondirent en une seule, où l'élément primitif, la race pélasgique, parait avoir toujours dominé.

Mais ce serait se tromper gravement, et retomber dans l'opinion populaire rapportée par Pausanias, que de croire qu'il y avait une égalité parfaite parmi les anciens habitants de l'Attique. Quand la vieille cité pélasgique devint une ville ionienne, la population fut divisée en quatre tribus : les Hoplites, les Ergadéens, les Géléontes et les Ægicores. Hérodote a cru retrouver, dans les noms de ces tribus, les noms des quatre fils d'Ion[3]. Mais Plutarque croit que ces dénominations exprimaient les professions diverses auxquelles se livrait primitivement chaque tribu : les guerriers, les artisans, les laboureurs et les pasteurs[4]. Si l'on adopte cette interprétation, qui nous parait la plus vraisemblable, on sera porté à croire que, dans le principe, ces tribus n'étaient pas égales entre elles, et que les guerriers et les laboureurs marchaient avant les pasteurs et les artisans. Quelques auteurs, réunissant dans la même tribu les laboureurs et les pasteurs, ont admis l'existence d'une caste sacerdotale, qui dominait les guerriers ou partageait le pouvoir avec eux, Il y eut sans doute une époque où la distinction des professions et des rangs se transmettait héréditairement dans les mêmes familles ; mais jamais les tribus attiques ne formèrent une rigoureuse hiérarchie, comme les castes de l'Inde ou de l'ancienne Égypte. Le génie grec répugnait à cette immobilité absolue, que la religion avait consacrée en Orient. Il est à croire, au contraire, comme le dit un savant étranger, M. Thirlwall, que ces quatre tribus s'unirent de bonne heure en un seul corps, et qu'en multipliant leurs relations, elles firent tomber en désuétude les distinctions primitives auxquelles elles devaient leurs noms[5]. Chaque tribu renfermait trois phratries, mot analogue à la curie romaine. Chaque phratrie était subdivisée en trente sections, qui correspondaient aux gentes des Romains. C'étaient, comme les clans d'Écosse ou d'Irlande, des agrégations de familles, réunies sous le nom et sous la protection d'une maison dominante. Chaque groupe (γένος) se composait de trente gennètes ou chefs de famille ; ce qui élevait à dix mille huit cents le nombre total des membres de la communauté[6].

Indépendamment de ces distinctions primitives, il se forma en Attique une véritable aristocratie, au commencement du xne siècle avant l'ère chrétienne. Quand le Péloponnèse eut été conquis par les Doriens, les Éoliens et les Ioniens, chassés de l'ouest et du nord de la presqu'île, vinrent chercher un asile à Athènes. Là ils ne formèrent point, comme les Doriens à Sparte, une nation souveraine au milieu d'un peuple d'esclaves : ils furent incorporés dans les tribus attiques. Ils ne réduisirent point l'ancienne population à la servitude de la glèbe ; cependant, ce qui prouve qu'il y eut alors une sorte de conquête que la tradition athénienne paraît avoir dissimulée, c'est que les nouveaux venus se trouvèrent bientôt propriétaires des meilleures terres et maîtres des plaines, tandis que les indigènes étaient relégués soit vers le rivage, soit vers les montagnes. Telle est l'origine des trois partis qui plus tard ont divisé l'Attique. Ces émigrés du Péloponnèse sont les souches de ces grandes familles qui tinrent si longtemps le premier rang dans Athènes, telles que les Alcmæonides et les Pæonides. Maîtres du pouvoir comme de la terre, ils déléguèrent l'autorité souveraine à l'un d'entre eux, à Mélanthus, qui la transmit à son fils. Ils ne conservèrent des rois que pendant deux générations, tant qu'ils eurent besoin d'un pouvoir fort, pour se défendre soit contre les indigènes, soit contre les attaques du dehors.

Après Codrus, le pouvoir suprême fut modifié dans sa forme, mais sans sortir de la maison régnante. Le peuple athénien, dit Pausanias, ôta aux descendants de Mélanthus la plus grande partie de leur autorité. Par peuple, il faut entendre ici l'ensemble de la population athénienne, mais surtout les descendants des Éoliens et des Ioniens, ces riches propriétaires de la plaine, qui s'étaient eux-mêmes constitués caste dominante sous le nom d'Eupatrides. Ils changèrent la royauté en une magistrature responsable. Ce dernier mot caractérise la révolution qui s'accomplit alors dans le gouvernement athénien : la royauté, tout en restant héréditaire, devint responsable sous le nom d'archontat[7].

Ce n'était point assez pour les nobles d'avoir soumis à leur contrôle l'exercice du pouvoir souverain : ils travaillèrent à en restreindre la durée. Perpétuel sous les Médontides pendant près de quatre cents ans, l'archontat devint décennal au milieu du vine siècle avant l'ère chrétienne, et les quatre premiers archontes décennaux furent encore choisis dans la race de Codrus. Enfin, à dater de 684, l'archontat ne fut plus qu'annuel, et au lieu d'un archonte il y en eut neuf, qui se partagèrent les principaux attributs du gouvernement. Ce fut alors que les Eupatrides entrèrent vraiment en possession de la souveraineté, comme à Borne, après la chute des Tarquins, les familles patriciennes se partagèrent les dépouilles de la royauté.

Non-seulement les Eupatrides régnaient tour à tour sous le nom d'archontes ; mais ils formaient le grand conseil et le tribunal suprême du pays, l'Aréopage, dont l'existence parait remonter aux premiers jours d'Athènes. Il résulte des paroles d'Aristote, que déjà avant Solon ce corps prenait une part considérable au gouvernement. IL se recrutait sans doute alors parmi les chefs des principales familles de la plaine, qui venaient y siéger par droit de naissance : c'était la citadelle de l'oligarchie. Les Eupatrides exerçaient aussi une grande influence dans-les tribus, par les fonctions de prytanes des naucrares, qui leur étaient exclusivement dévolues. Outre la division dont nous avons parlé, en phratries et en familles, la tribu se divisait en trois sections ou trittyes, et chaque trittye comprenait quatre naucraries. La naucrarie se composait des principaux propriétaires, sur lesquels pesaient les contributions publiques et l'obligation du service militaire. Chaque naucrarie devait à l'État deux cavaliers et sans doute aussi un certain nombre de fantassins ; on y joignit plus tard l'obligation de fournir un vaisseau. En compensation de ces charges, les chefs des naucraries, désignés sous le nom de prytanes, avaient une large part.de la puissance publique : c'étaient eux qui réglaient les dépenses. Quand le précurseur de Pisistrate, Cylon, osa aspirer à la tyrannie, les prytanes des naucrares, qui étaient alors les maitres d'Athènes, dit Hérodote, s'opposèrent à cette entreprise, et sauvèrent la liberté ; mais la liberté n'était encore que le privilège de quelques familles.

Aristote, qui avait si profondément étudié l'histoire et la constitution des États grecs, dit qu'avant Solon, Athènes était la proie d'une oligarchie qui ne connaissait aucun frein[8]. Plutarque, développant les paroles d'Aristote, dit que le menu peuple était comme esclave des Eupatrides : les uns, réduits à la condition de colons tributaires, cultivaient les terres des riches, et devaient aux propriétaires la sixième partie des fruits ; les autres livraient leur personne comme gage de leurs dettes, et devenaient la propriété de leurs créanciers ; un grand nombre étaient réduits à vendre leurs enfants, ou à abandonner leur patrie pour échapper à la rigueur des usuriers[9].

Dracon, archonte en 624, ne tenta aucune révolution politique ; il réforma la législation pénale, et la rendit plus sévère. Avant lui, les lois des Athéniens n'étaient point écrites. L'innovation de Dracon devait avoir pour résultat de limiter l'autorité des nobles, pour qui le droit coutumier, dont ils avaient été jusque-là les seuls interprètes, était un instrument commode. Il y a donc lieu de croire que ce changement ne fut point un acte spontané de la part des Eupatrides, mais qu'il leur fut imposé par les réclamations populaires. D'un autre côté, en rédigeant son code, Dracon n'avait certainement pas trahi les intérêts de la classe puissante à laquelle il appartenait ; on peut donc supposer que la rigueur excessive de ses lois était destinée à contenir l'opposition du peuple[10]. Le législateur introduisit quelques changements dans la juridiction criminelle : il confia à des magistrats appelés éphètes les causes de meurtre involontaire qui étaient auparavant du ressort des archontes. Les éphètes étaient choisis parmi les principaux citoyens âgés au moins de cinquante ans. C'était donc, comme l'Aréopage, une magistrature aristocratique.

Quelques années après l'archontat de Dracon, le Crétois Épiménide modifia quelques cérémonies religieuses ; mais l'ancienne oligarchie subsistait toujours. Ce fut Solon qui affranchit le peuple, et constitua la démocratie au commencement du VIe siècle (594).

Le législateur commença par proclamer inviolable la liberté du citoyen ; il défendit de réduire le débiteur en esclavage, et débarrassa les terres des hypothèques dont elles étaient grevées. Il était dû à Solon sept talents sur la succession de son père : il renonça à cette créance, et engagea ses concitoyens à imiter son exemple[11]. Quelques auteurs ont prétendu qu'il avait aboli toutes les dettes ; mais une telle mesure, qui aurait froissé tant d'intérêts, n'était point d'un esprit aussi prudent et aussi mesuré que celui de Solon. Il vaut mieux croire, avec un certain Androtion, cité par Plutarque, que la loi nouvelle avait seulement pour objet d'alléger le poids des dettes anciennes. Solon haussa la valeur des monnaies, et par là même facilita les payements : ainsi la mine, qui auparavant ne valait que soixante-treize drachmes, en valut désormais cent ; de telle sorte que, tout en rendant un égal nombre de pièces, le débiteur payait en réalité un peu moins qu'il n'avait reçu. C'était encore assez pour faire crier les créanciers, qui n'auraient rien voulu rabattre de leurs droits ; mais Solon ne pouvait aller plus loin, et il dut se garder d'abolir les dettes, aussi bien que de mettre les héritages en commun ; comme l'avaient déjà rêvé quelques meneurs populaires[12].

Le problème que Solon s'était posé, et que tout législateur doit résoudre, était de concilier le droit individuel avec le droit social. Jusqu'à cette époque, il n'avait point été permis aux Athéniens de donner leurs biens par testament ; si l'un d'entre eux venait à mourir sans enfants, sa fortune faisait retour à l'agrégation de familles, au genos dont il était membre : Solon leur rendit la libre disposition de leurs biens. Les lois nouvelles tendaient à dégager l'individu des liens des anciennes communautés. Dans sa constitution, le système de Solon était de substituer la fortune à la naissance comme garantie politique. Sans rien changer aux noms des anciennes tribus, il divisa le peuple en quatre classes, d'après le revenu des propriétés. La première était composée des citoyens qui possédaient cinq cents médimnes de revenu[13] ; la seconde, celle des chevaliers, comprenait ceux qui avaient un revenu de trois cents médimnes ; les membres de la troisième classe, désignés sous le nom de zeugites, en possédaient deux cents[14] ; enfin, tous ceux qui avaient un revenu inférieur à ce dernier chiffre, étaient confondus dans la quatrième classe, sous le nom de thètes, c'est-à-dire mercenaires, vivant non du produit de leurs propriétés, mais du travail de leurs mains.

Cette dernière classe, qui formait la plus grande Partie du peuple, n'avait aucun accès aux fonctions publiques. Les archontes ne pouvaient être choisis que parmi les pentacosiomédimnes. Mais tous les citoyens avaient le droit d'élire les magistrats et de leur faire rendre des comptes ; tous votaient dans l'assemblée du peuple et jugeaient dans les tribunaux. C'est ce dernier droit surtout, le droit de rendre la justice, qui constitue la démocratie telle que Solon l'a fondée. C'est là vraiment ce qui appartient en propre au législateur. En effet, comme le dit Aristote, il avait trouvé établis le Sénat de l'Aréopage et le principe d'élection pour les magistrats. Comment a-t-il constitué le peuple ? En lui donnant la puissance judiciaire.

Le droit de juger, en d'autres termes, le droit de décider de la vie et de la fortune des citoyens, est un des principaux attributs de la souveraineté. Dans les monarchies, ce droit est délégué par le prince aux magistrats qui rendent la justice en son nom. Dans les gouvernements aristocratiques, les classes dominantes se réservent le droit de juger comme le plus précieux de leurs privilèges. Aussi les partisans de la démocratie pure prétendent-ils que, sous cette forme de gouvernement, les fonctions judiciaires doivent être électives, temporaires, et accessibles à tous les citoyens. C'est ce que Solon avait établi dans la vieille Athènes. De là les reproches qu'on lui fait, dit Aristote, d'avoir énervé la puissance du sénat et celle des magistrats élus, en rendant la judicature désignée par le sort souveraine maîtresse de l'État[15].

Les Athéniens ne comprirent pas d'abord toute la portée de cette innovation. Ce droit de juger, dit Plutarque, semblait au commencement n'être rien ; niais on s'aperçut bientôt que c'était une très-grande chose. En effet, toutes les affaires, tous les différends qui s'élevaient entre les citoyens, étaient jugés sans appel par le peuple, qui devint ainsi l'arbitre souverain des fortunes particulières, comme de la fortune publique. Quand le texte des lois paraissait obscur ou équivoque, c'était aux juges qu'on s'adressait pour en éclaircir le sens, et le peuple se trouvait ainsi supérieur aux lois elles-mêmes, par le droit qu'il avait de les interpréter à son gré[16].

Cependant le législateur athénien s'efforça d'opposer des contrepoids à la puissance populaire. Il avait maintenu le prytanée des naucrares, et ce fut lui probablement qui imposa à chaque naucrarie l'obligation d'équiper une galère. Il conserva aussi l'Aréopage, mais en retirant aux Eupatrides le privilège d'en faire partie par droit de naissance. Solon composa l'Aréopage des archontes qui étaient sortis de charge et qui avaient rendu leurs comptes ; ils y siégeaient le reste de leur vie, à moins qu'ils n'en fussent exclus par suite de quelque grave délit.

Solon laissa à l'Aréopage la haute juridiction dont il était investi, la connaissance des meurtres commis avec préméditation, des blessures graves faites volontairement, des empoisonnements et des incendies. Cette haute cour jugeait aussi tous les crimes contre la religion, comme les sacrilèges, les tentatives pour introduire de nouvelles divinités, la profanation des mystères ou la violation du secret imposé aux initiés. L'archonte-roi, qui avait hérité des attributions religieuses de la royauté, traduisait les prévenus devant l'Aréopage, et siégeait lui-même parmi les juges, niais après avoir déposé la couronne, emblème de son autorité[17].

Aux anciennes attributions judiciaires de l'Aréopage, Solon avait ajouté de nouvelles prérogatives politiques. Il lui avait confié une surveillance générale, qui s'étendait à toutes les parties du gouvernement. Les aréopagites étaient chargés de veiller au maintien et à l'exécution des lois. C'est à ce titre qu'ils annulèrent quelquefois les décisions du peuple, comme on en voit des exemples même à l'époque de Démosthène. Ils exerçaient une sorte de censure sur les mœurs et de patronage sur les familles ; ils veillaient sur l'éducation des enfants, et nommaient des tuteurs aux orphelins[18]. C'étaient eux qui demandaient compte à chaque citoyen de ses moyens d'existence, et qui notaient d'infamie ceux qui, n'ayant ni revenu ni état, ne pouvaient subvenir à leurs besoins que par des moyens illégitimes.

L'Aréopage ne paraissant pas suffire à Solon pour réprimer les écarts du peuple et le contenir dans de justes limites, le législateur institua un sénat composé de quatre cents membres. Aristote dit que, sous toute espèce de gouvernement, il doit exister un certain nombre de conseillers chargés de préparer les décrets. Telles étaient les fonctions du sénat athénien. Il discutait d'avance toutes les lois, toutes les affaires qui devaient être portées à l'assemblée générale. Il ne décidait rien sans appel, mais il préparait toutes les décisions : c'était le conseil d'État du peuple souverain.

Le sénat était renouvelé tous les ans ; chacune des quatre tribus nommait cinquante sénateurs. Mais c'est une question de savoir si, dans les premiers temps Ces sénateurs étaient élus par les citoyens ou désignés par le sort. Plusieurs auteurs modernes, s'appuyant sur cette expression souvent répétée par les anciens, le sénat de la fève, ont avancé que, dans tous les temps, c'était le sort qui avait désigné les sénateurs aussi bien que les archontes. Mais cette opinion, peu vraisemblable en elle-même, est démentie par plusieurs textes anciens. On voit, par un passage d'Hésychius, que les poètes dramatiques avaient supposé l'usage de nommer les magistrats par la voie du sort beaucoup plus vieux qu'il ne l'était réellement[19]. La meilleure autorité sur ce point est Aristote, qui dit formellement que, d'après les lois de Solon, les juges étaient désignés par le sort, mais que les magistrats étaient élus. Au témoignage d'Aristote on peut joindre celui d'Isocrate. L'orateur, dans son Aréopagitique, exhorte le peuple d'Athènes à revenir à son ancien gouvernement, au gouvernement de Solon et de Clisthène. Alors, dit-il[20], les Athéniens ne distribuaient point les places par la voie du sort ; mais ils choisissaient pour chaque emploi les citoyens les plus honnêtes et les plus capables. Ils regardaient ce mode d'élection comme plus populaire. En effet, le sort peut favoriser des partisans de l'oligarchie, tandis que le peuple est toujours maitre de ne faire tomber ses suffrages que sur ceux dont il connaît le dévouement éprouvé à la forme démocratique. Il est donc évident que dans l'origine les sénateurs étaient élus, aussi bien que les archontes. Mais ceux-ci ne pouvaient être choisis que daim la première classe ; les sénateurs Pétaient dans les trois premières.

La démocratie athénienne, à son origine, avait, comme on le voit, une certaine analogie avec ce que nous appelons aujourd'hui les gouvernements tempérés. L'Aréopage et le Sénat étaient, dit Plutarque, comme deux ancres qui empêchaient le navire d'être le jouet des vents et des flots[21]. Aristote dit que l'honneur de Solon est d'avoir fondé un gouvernement mixte[22]. Expressions remarquables, qui prouvent, avec les traditions pythagoriciennes et les fragments d'Archytas, que l'équilibre des pouvoirs n'était pas une idée inconnue à l'antiquité grecque !

C'est ainsi que Cicéron, dans sa République, préfère à la monarchie, à l'aristocratie et à la démocratie pure, un gouvernement qui participe jusqu'à un certain point à ces trois formes politiques. Il faut, dit-il, qu'il y ait dans l'État une autorité dominante, et Cicéron réclame, non le titre de roi, suspect aux Romains, mais quelque chose d'équivalent. Une juste part doit être faite à l'influence des principaux citoyens. Enfin, certaines choses, mais non pas toutes, doivent être réservées aux suffrages et à la volonté de la multitude. Ce gouvernement peut seul assurer, continue Cicéron, cette grande ét véritable égalité, nécessaire à des êtres libres. C'est la seule constitution qui ait des chances de durée ; car, s'il n'y a qu'un roi, ce sera bientôt un tyran ; s'il n'y a que des grands, ils se diviseront en factions rivales ; s'il n'y a que le peuple, ce sera le trouble et le chaos. Et ces gouvernements se succéderont tour à tour, par des révolutions perpétuelles. Au contraire, celui qui est heureusement formé des éléments divers ne peut être renversé, à moins que les chefs de l'État n'aient commis de grandes fautes ; car il n'y a plus de causes de révolution là où chacun est fortement établi à la place qui lui appartient[23].

 

 

 



[1] Pausanias, Attique, chap. 3.

[2] Thucydide, livre I, chap. 2.

[3] Hérodote, V, 66.

[4] Plutarque, Solon. — Strabon, VIII, 8.

[5] M. Thirlwall, History of Greece, chap. 44.

[6] Pollux, VIII. — Wachsmuth, Hellen. Alterthumskunde, III.

[7] Pausanias, Messénie, chap. 6.

[8] Aristote, Politique, II, 9. — Voir l'excellente traduction et les savants commentaires que nous devons à M. Barthélemy Saint-Hilaire.

[9] Plutarque, Solon.

[10] M. Thirlwall, History of Greece, chap. 11.

[11] Diogène de Laërte, Solon.

[12] Plutarque, Solon.

[13] Au temps de Solon, le médimne (51 litres, 84) de blé valait une drachme (96 centimes). — Voir Bœckh, Économie politique des Athéniens, livre IV, chap. 5.

[14] Plutarque et les autres auteurs classent les Athéniens dans l'ordre que nous avons indiqué. Aristote seul met les zeugites au second rang, et les chevaliers au troisième.

[15] Aristote, Politique, II, 9.

[16] Plutarque, Solon.

[17] Pollux, VIII.

[18] Isocrate, Aréopagitique.

[19] Hésychius, au mot Κύαμος.

[20] Isocrate, Aréopagitique.

[21] Plutarque, Solon.

[22] Aristote, Politique, II, 9.

[23] Cicéron, République, I, 45.