LA SAINT-BARTHÉLEMY

LA VEILLE - LE JOUR - LE LENDEMAIN

 

LE LENDEMAIN.

 

 

X

Dans les lettres adressées, le 24 août, à ses ambassadeurs et aux gouverneurs des provinces, Charles IX fait uniquement allusion à la lutte engagée dans les rues de Paris entre les deux maisons rivales de Guise et de Châtillon, querelle particulière, menée avec une telle furie qu'il n'y a pu porter remède, et qu'enfermé au Louvre, il s'y est fait garder pour après donner ordre par toute la ville à l'apaisement de la sédition qui est, à cette heure, amortie, grâces à Dieu[1].

Cette première version officielle de la Saint-Barthélemy est reproduite dans une lettre du duc d'Anjou à M. de Matignon, gouverneur de la Normandie : Vous verrez par les lettres du Roy mon frère ce qui s'est passé cette nuit entre ceux de la maison de Guise et les gentilshommes et amis de mon cousin l'admirai de Châtillon, à mon très grand regret, et comme l'intention du Roy est de ne rien altérer à son édit de pacification[2].

Mais dans la soirée du 25, août, le duc de Guise, à son retour de la poursuite de Montgomery, ayant refusé d'assumer à lui seul la responsabilité de la Saint-Barthélemy, Charles IX se vit contraint de tenir le 26 un lit de justice et, en plein parlement, après avoir exposé comment le fait de Coligny avait eu lieu, il déclara que tout ce que M. de Guise avait fait l'avait été par son commandement et non pour cause de religion, et il mit la haute cour en demeure de faire le procès aux complices de l'amiral.

Dans sa réponse, le premier président M. de Thou ne trouve rien de mieux, pour faire l'éloge du Roi, que de rappeler ce mot attribué à Louis XI : Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner. L'avocat général Pibrac, se levant à son tour, demande à Charles IX s'il ne trouverait pas à propos que l'on inscrivît sa déclaration sur les registres du Parlement ; et que l'on fît cesser les meurtres et le pillage. Le Roi consent à cette insertion et commande sur-le-champ que l'on proclame dans tous les carrefours la défense de tuer et de piller.

Le 27 août, le Roi envoie dans les provinces de nouvelles lettres. Celle qui fut adressée au vicomte de Orthe mérite d'être reproduite : Je vous prie donner ordre à la sûreté de la ville de Bayonne. Il est à craindre que aucuns, se couvrant de ce prétexte, ne veulent exécuter leur vengeance, de quoy j'aurois un incroyable regret, vous priant, à ceste cause, faire publier et entendre par tous les lieux et endroicts de vostre charge qu'on y demeure en repos et seureté sans prendre les armes ni s'offenser l'un l'aultre, sous peine de la vie[3].

Le 28 août, jour où toute la cour assiste à une procession solennelle, à l'exception toutefois du roi de Navarre et du prince de Condé qui résistent encore, le premier aux caresses, le second aux menaces de Charles IX, parait une déclaration royale sur la cause et l'occasion de la mort de l'amiral et de ses complices. Le Roi promet toute sûreté, toute liberté aux protestants, mais provisoirement, pour obvier aux troubles et scandales, il interdit toutes assemblées quelconques sous peine de la vie et confiscation des biens ; il ordonne de relâcher ceux qui seraient encore dans les prisons, exceptant toutefois ceux qui aurait eu des commandements, pratiqué des menées et seraient imputés complices de la récente conspiration[4].

Le 30 août, le Roi, variant de nouveau, révoque les ordres verbaux qu'il a donnés en ces termes : Quelque commandement que nous ayons pu faire à ceux que nous avons envoyés, lorsque nous avions juste cause de craindre quelque sinistre événement, nous avons révoqué et révoquons tout cela, ne voulant pas que par vous ou autres, en soit aucune chose exécutée[5].

Ce retour à la pitié, le légat Salviati l'explique par la crainte qu'inspirait l'Allemagne protestante[6] et Tavannes, dans ses mémoires, par des sentiments plus humains. Le coup fini, le péril passé, le sang répandu blesse les consciences[7].

Mais qu'elle fut de courte durée, cette apparence de clémence ! Le 31 août, Charles IX écrit à Mondoucet, son envoyé à Bruxelles : Le duc d'Albe a dans ses mains plusieurs de mes sujets rebelles et le moyen de prendre Mons et chastier ceulx qui sont dedans ; s'il fait le contraire, j'auray très grande cause de me plaindre de luy et de l'accuser de tout le mal qui en succédera. S'il vous répond que c'est, tacitement, le requérir de faire mourir les dits prisonniers et faire tailler en pièces ceulx de Mons, vous luy direz que c'est ce qu'il doibt faire[8].

Le 8 septembre suivant, il prescrit de nouveau à Mondoucet de bien faire entendre au duc qu'il ne mécontentera personne en France, s'il fait mourir les prisonniers qu'il a en ses mains et les défenseurs de Mons.

Il justifie ainsi lui-même la parole qu'on lui attribue : Qu'il n'en reste pas un seul qui puisse me reprocher leur mort.

Hier encore il souriait à la vie, il rêvait la guerre, il rêvait la gloire ; aujourd'hui, son front s'est assombri ; quand on lui parle, nous dit le Vénitien Michieli, il ne regarde plus en face, il baisse la tête, et s'il relève les yeux, il semble ne le faire qu'avec peine ; après avoir regardé un instant celui auquel il s'adresse, il les abaisse tout aussitôt[9].

Quel contraste effrayant ! Cette mère qui a provoqué, surexcité dans son fils cette furie sanguinaire non encore assouvie, les mains rouges de sang, est restée en pleine possession d'elle même.

L'ironie aux lèvres : Suis-je aussi mauvaise chrétienne, dit-elle à Gomicourt[10], venu pour prendre congé d'elle, que le prétendait don Francès de Alava Retournez vers votre maître, racontez-lui ce que vous avez vu, dites-lui ce que vous avez entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, et n'oubliez pas d'ajouter : Beatus qui non fuerit in me scancializatus !

Elle est plus laconique en s'adressant à l'ambassadeur de Toscane : Il valait mieux que cela tombât sur eux que sur nous. Je ne m'en suis ouvert à personne ; et à d'Elbène l'envoyé du duc de Savoie : Ce qui a été fait était plus que nécessaire. Votre duc n'a pas à regretter l'amiral qui ne l'aimait guère[11].

En faisant part à son maître de ce dernier entretien, d'Elbène nous peint bien Catherine au lendemain de la Saint-Barthélemy : Elle a rajeuni de dix ans, et me fait l'effet d'une personne qui sortirait d'une grave maladie, ou qui viendrait d'échapper à un grand danger[12].

Dès le 25 août, les ambassadeurs vénitiens avaient écrit : Le Roi a expédié dans la nuit des courriers à Orléans et autres villes, afin que l'on fît de même qu'à Paris et il a envoyé à Chatillon-sur-Loing se saisir des enfants de l'amiral.

De son côté, le légat Salviati a écrit le 28 août : Je crois que le semblable de ce qui s'est fait à Paris sera fait dans les provinces.

Alors la question se pose ainsi : A qui attribuer le massacre ?

Est-ce aux premiers ordres verbaux du Roi, ordres révoqués, nous l'avons vu, le 30 août ?

Ou bien, est-ce aux passions des populations exaspérées par les maux soufferts durant les dernières guerres civiles ?

Il est donc indispensable de rechercher comment les choses se sont passées dans chaque ville, car partout il n'en a pas été de même.

A Paris, le massacre en partie a eu lieu en plein jour ; dans les provinces, surtout la nuit, dans les prisons, et à des dates éloignées les unes des autres. Un historien protestant anglais, Withe, en a conclu que le massacre en grand n'avait pas été prémédité ; car, à moins d'être de très maladroits conspirateurs, Catherine et ses conseillers italiens auraient pris leurs mesures pour qu'il eût lieu partout le même jour[13].

L'ambassadeur Cavalli, qui était sur les lieux, est plus affirmatif encore : L'on commit tant d'erreurs, écrit-il dans sa relation[14], l'on prit tant de décisions contraires qu'il fut facile de reconnaître que cette exécution avait été résolue à l'improviste et non pas préparée de longue main, comme je l'ai toujours cru.

Voyons maintenant comment les choses se passèrent dans les provinces, et commençons par Meaux : prévenu par un courrier arrivé à sept heures du soir, le jour même de la Saint-Barthélemy, Louis Cosset, procureur du Roi au baillage, fait, dans la nuit, emprisonner plus de deux cents protestants. Le lendemain, du haut de l'escalier qui conduit à la salle des audiences, la liste des détenus à la main, il en fait, un à un, le sinistre appel et au sortir de la geôle, tous sont égorgés jusqu'au dernier[15].

A Orléans, dans la nuit du 25, arrive un courrier porteur de l'ordre d'armer les catholiques et d'attendre de nouvelles instructions, elles parviennent le lendemain ; et une lettre de Sorbin, le prédicateur du Roi, les accompagne, véritable provocation au massacre. Un conseil est tenu à l'Hôtel de Ville, et le maire, les échevins, les officiers de justice décident la tuerie. Elle dure trois jours, et le nombre des victimes est évalué à cinq cents[16].

Le 30 août, à Troyes, le bailli Anne de Vaudrey fait rechercher et emprisonner les protestants. Le 4 septembre, une bande d'assassins envahit les prisons et massacre les détenus. Un tonnelier nommé Caclot se vante d'en avoir tué trente de sa main. Le lendemain, seulement, Anne de Vaudrey fait publier la déclaration du Roi du 28 août, qui lui enjoignait de ne rien attenter contre les protestants[17]. A Senlis, le voisinage du maréchal de Montmorency, alors à Chantilly, leur sauve la vie.

Arrivons à la Picardie : le duc de Longueville, qui en était gouverneur, en transmettant à Mr d'Humières, qui commandait à Péronne, la déclaration royale du 28 août, lui enjoint d'interdire toutes assemblées de protestants et prêches en leurs maisons, afin d'éviter tout trouble, tout doute ou soupçon qu'on pourroit concevoir, et il lui signale, pour s'en plaindre, la démolition d'un temple protestant par des catholiques, ce qui est un commencement d'altération à l'édit[18].

A Nantes, la modération est à l'ordre du jour tout comme en Picardie. Une lettre du duc de Montpensier, datée du 25 août, et parvenue aux échevins le 8 septembre, leur ayant fait entendre que l'exécution de Paris leur démontrait assez que l'intention du Roi était qu'ils en fassent de même dans leur ville, ils se réunissent à l'Hôtel-de-Ville, et, d'un commun accord, jurent de ne point contrevenir à l'édit de pacification et font défense aux habitants de se porter à aucun excès contre les protestants[19].

Il n'en fut pas de même à Beaupreau, à Saumur, à Blois, à Tours, à Angers où le duc de Montpensier et Mr de Puygaillard avaient envoyé de pareilles lettres. Le sang y coule et Mr de Montsoreau s'y signale par sa cruauté. En traversant le bas Poitou, il entre de force dans plusieurs châteaux, et, de crainte que ces violences ne fassent soulever les protestants, M. de Sanzay y accourt, le 18 septembre mande au Roi : Grâces à Dieu, ceux de la religion font démonstration de recevoir tous les commandements de Vostre Majesté ; aucuns vont à la messe, bonne partie se dispose à y aller au premier mandement, et les plus maulvais se résouldent d'obéir[20].

Chargé par M. de Montpezat de se mettre dans la ville de Périgueux, M. des Bories écrit au Roi, le 6 septembre, qu'il a reçu sa déclaration sur la mort de l'amiral et qu'à présent d'ailleurs aucune assemblée ne s'est faite en ce pays de Périgord[21].

A Limoges, les consuls préservent leur ville de tout excès, de toute violence.

A Clermont-Ferrand, Saint-Herem, à la première nouvelle de la Saint-Barthélemy, se borne à de simples précautions[22].

A Issoire, le 29 août, le capitaine Combelle ayant annoncé aux échevins les événements de Paris, ils dépêchent aussitôt un courrier à Saint-Herem qui leur prescrit d'emprisonner les protestants et de tenir étroitement fermées les portes de leur ville, dont on avait chassé les étrangers et les vagabonds. Elles ne se rouvrirent que le 28 septembre ; mais aucun meurtre à Issoire ne fut commis[23].

Ceux de Saint-Lô et d'Alençon durent leur salut à Matignon. Arrivé à temps dans son château de Lonray, situé aux portes de cette dernière ville, en attendant les ordres du Roi, il se fit remettre des otages par les protestants, ce qui lui permit de les faire profiter de la déclaration plus clémente du 28 août. Il y eut toutefois quelques meurtres isolés à Mortagne, et parmi les victimes, le grand bailli du Perche[24]. Mais, de sa propre autorité, et peut-être pour couvrir sa responsabilité, Matignon ayant fait imprimer les dépêches royales, Charles IX lui en exprima son très vif mécontentement : Je trouve merveilleusement étrange que vous permettiez que les lettres et dépêches que je vous ai faites depuis la mort de l'amiral, au lieu qu'elles doivent être tenues secrètes et non publiées, sinon ce qui est requis pour mon service, elles soient imprimées et divulguées par tout, comme vous verrez par une impression que je vous envoye, qui a été faite à Caen, ayant advisé de vous faire cette dépêche pour vous dire que je suis bien marry que cela se soit ainsi fait, d'autant que, par ce moyen, les dites impressions sont envoyées hors mon royaume ; vous priant ne faillir de faire regarder quels imprimeurs ont fait les dites impressions pour faire prendre et brusler tout ce qu'ils en ont imprimé et en ôter de dessus les presses les caractères, afin qu'il n'en soit plus fait ; mais il faut que ce soit incontinent et doucement, sans bruit ; afin qu'en réparant cette faute, on ne la fasse point plus grande[25].

A Rouen, nous dit Floquet, l'historien du parlement de Normandie, l'on usa tout d'abord vis-à-vis des protestants de feintes rigueurs. On les emprisonna, pour les soustraire aux fureurs populaires que l'autorité de Carrouges, le gouverneur, eut le pouvoir de contenir ; mais son absence et celle du parlement, dont siégeait seule la chambre des vacations, laissa le champ libre aux meurtriers[26]. Déjà, au mois de mars de l'année précédente, une violente émeute avait ensanglanté la ville ; plusieurs protestants et deux Anglais avaient été tués.

Catherine, dans une lettre du 27 mars aux échevins, en avait exigé une punition sévère, pour la conséquence fâcheuse que pareil fait traîne après soi ; mais les coupables n'avaient été qu'exilés. Rentrés à Rouen, et ayant à leur tête le capitaine Maronne, le 18 septembre, ils se portèrent aux prisons et ordonnèrent au geôlier de leur livrer les protestants. Il s'y refusa d'abord, mais contraint d'obéir, il tenta d'en sauver un, dévouement inutile, ils avaient la liste des prisonniers, se la firent remettre et tuèrent celui-là comme tous les autres.

En apprenant le massacre de Rouen, le duc de Longueville écrivit d'Amiens au Roi, le 22 septembre : Cette exécution a tellement esmu le peuple que je ne puis me promettre grande assurance de pouvoir empescher quelque désordre en mon absence[27].

Le 30 septembre, la bande des meurtriers de Rouen, sous les ordres du capitaine Caumont, voulut entrer dans Dieppe ; mais le gouverneur Sigognes le chassa de la ville ; néanmoins, tout en préservant les protestants du massacre, il exigea leur abjuration[28].

A Dijon, le 28 août, le comte de Chabot-Charny reçoit, par M. de Comartin, une première lettre du Roi, puis une seconde par M. de Ritan ; il tient un premier conseil et il y appelle M. de Ruffé, frère de M. de Comartin, M. de Vintimille, et Jeannin alors simple avocat au parlement de Dijon. C'est lui qui eut l'idée d'interroger les deux messagers du Roi, mais séparément. Mis en demeure de signer les ordres dont ils étaient porteurs, ils s'y refusèrent, objectant que le Roi ne leur avait rien donné par écrit, et que d'ailleurs leur parole de gentilshommes devait suffire. Jeannin rappela alors au conseil que l'empereur Théodose, rejeté de la communion par saint Ambroise, pour avoir trop précipitamment ordonné de mettre à mort un grand nombre de chrétiens, s'était vu forcé de promulguer une loi, ordonnant aux gouverneurs des provinces, qui recevraient tels commandements contraires à toutes les formes de la justice, d'attendre durant trente jours la signification de nouveaux ordres[29]. Les membres de ce conseil extraordinaire se rendant à son avis envoyèrent M. de Ruffé à Paris. Le Roi ayant tout rejeté sur les Guise, les protestants, que Chabot-Charny avait fait emprisonner, par mesure de prudence, furent ainsi épargnés.

Toutefois, le 22 septembre, le maire de Dijon, Millière, informa les échevins que, la veille, par l'ordre de M. de Charny et conformément aux lettres du Roi, le sieur de Traves, l'un des chefs des protestants, détenu au château, avait été tué par les gens du prévôt des marchands et son corps jeté dans le fossé[30].

A Mâcon, la Guiche épargna les protestants ; mais à la Charité, c'est la compagnie italienne du duc de Nevers qui se jeta sur eux.

Nous voici à Lyon, et, si nous nous y arrêterons plus que dans les autres villes, c'est que les documents y abondent et méritent d'être étudiés de près. Le mercredi, 27 août, entre huit et neuf heures du matin, Mandelot, gouverneur de la ville, est avisé de la blessure de l'amiral par une lettre du Roi datée du 22. De crainte d'une émotion populaire, il fait fermer les portes de la ville et place des corps de garde dans tous les quartiers. La nuit s'écoule sans trouble ; mais le lendemain jeudi, dès le matin, le peuple, écrit Ravot, le secrétaire de l'hôtel de ville, à MM. de Rubys et Masso, de résidence alors à Paris pour les intérêts de leur ville, a commencé à murmurer jusqu'à vouloir prendre les armes, faisant contenance de se vouloir jeter contre les personnes et les biens de ceux de la nouvelle religion[31].

Ce même jour arrive le courrier dépêché au consulat par MM. de Rubys et de Masso et porteur de leurs lettres. Après avoir fait le récit de ce qui s'était passé à Paris, ils ajoutaient que : l'intention de Sa Majesté était qu'il fût exécuté en ceste ville comme a esté fait à Paris, en laquelle un grand nombre de gens ont été tués. Le Roi le leur avait déclaré et commandé pour le faire entendre au dit consulat[32].

Le vendredi 29, à dix heures du matin, Maurice du Peyrat, chevalier de l'ordre, apporte à Mandelot une lettre du Roi du 24 août : N'ayant en cecy, disait-il, rien de la rupture de l'édit de pacification, lequel je veux au contraire être entretenu autant que jamais, je vous prie de faire entendre que chacun ait à demeurer en repos et sûreté en sa maison, ni prendre les armes, ni s'offenser l'un et l'autre, sous peine de la vie.

A la suite d'un long entretien qu'il eut avec du Peyrat, Mandelot mande à son hôtel les échevins. D'un commun accord, il est décidé que, non seulement les personnes, mais aussi les biens de ceux de la religion seront mis en sûreté et la milice bourgeoise convoquée et chargée de l'exécution des mesures arrêtées.

Mais Mandelot change brusquement d'avis, de crainte, dira-t-il plus tard, que tout le peuple ne s'en meslât[33].

Le samedi 30, il fait à son de trompe publier une ordonnance qui mettait tous les protestants en demeure de se rendre à son hôtel pour y entendre la volonté du Roi. Tous ceux qui y viennent sans défiance sont aussitôt saisis par des soldats et enfermés dans la prison de Roanne, à l'archevêché et dans les monastères des Célestins, des Cordeliers, des Carmes. Ce même jour, les biens des protestants sont placés sous le séquestre.

Dans la nuit du samedi au dimanche, il y eut des meurtres isolés, triste préface du massacre du lendemain.

Le dimanche 31 août, des groupes menaçants parcourent les rues. Sur les remontrances de Mandelot, il n'y a aucun désordre ; mais dans l'après midi, la nouvelle s'étant répandue qu'une émeute venait d'éclater à la Guillotière, Mandelot s'y étant rendu, le peuple, profitant de son absence, force les portes des prisons et égorge les huguenots. Mandelot est réduit à faire procéder par les officiers de justice à une enquête contre les meurtriers qui, leur forfait accompli, se sont tous enfuis[34].

Voici en quels termes Jean de Masso annonce ce massacre à son frère : Hier, entre trois et quatre heures, quelques uns du peuple entrèrent dans les prisons de Monsieur de Lyon et là occirent de VIIc à VIIIc huguenots et fut fait sans bruit ni émeute. Les deux frères Darutz avoient été tués dès vendredi. Il n'y avoit entre les prisonniers de marque que deux frères Vassan, Jacques d'Orlin et un des Grabots (1)[35].

Il oublie Goudimel, le grand artiste auquel nous devons la musique des psaumes de Marot[36].

Dans une lettre datée du 10 septembre suivant, Masso cite de nouvelles victimes, l'avocat Gordon, les capitaines de la Jacquière et la Sauge, Claude Lermé, Le Marchand l'orfèvre, L'Hoste de Notre-Dame, de Bourneuf, Mre Guillaume le menuisier. De son côté Ravot, le secrétaire de la ville, rend compte, le 3 septembre, à MM. de Masso et de Rubys, du massacre de Lyon et il ajoute : Afin que le peuple ne soit pas cy après molesté ne recherché pour raison de la susdite émotion, nous avons advisé qu'il est très requis obtenir de Sa Majesté déclaration telle que vous adviserez être nécessaire pour assurer le peuple de n'en tomber cy après en inconvénient ; et seroit bon que ce qui a été, fait en ladite ville fut advoué[37].

Il devait y avoir encore d'autres victimes. Les échevins furent avertis que plusieurs des protestants enfermés dans la citadelle avaient pu s'évader et s'étaient refugiés en Bresse ; ils en prévinrent sur-le-champ MM. de Masso et de Rubys, et dans un procès-verbal officiel protestèrent contre leur élargissement.

Mis par eux en demeure de s'expliquer, Mandelot se borne à répondre que ceux chargés de représenter les prisonniers en étaient responsables sur leur tête, et, comme s'il voulait se faire pardonner ce semblant d'indulgence, il fait emprisonner La Bessée, Benoît Sève, Georges Regnourd, Perceval, V. Locart, et Clément Gautier. Allant plus loin encore dans cette voie de rigueur, il somme ceux de la ville de Montluel de lui livrer les protestants qui s'y étaient réfugiés. Ils parurent d'abord vouloir obtempérer à cette injonction, mais, à la date du 12 septembre, le secrétaire de la ville, Ravot était encore à ignorer s'ils les livreraient[38].

Le conflit n'en demeura pas là : les échevins furent de nouveau prévenus par MM. de Masso et de Rubys, que l'on se plaignait à la cour de ce que l'exécution des protestants n'avait pas été aussi complète à Lyon qu'à Paris et au mépris des ordres du Roi. Une pareille dénonciation ne pouvait rester sans réponse. A la suite d'une longue discussion à laquelle, à leur honneur, MM. de Combelande et Daveyne refusèrent de prendre part, ils adressèrent de nouvelles remontrances à Mandelot[39]. Mis ainsi en suspicion, il ne s'en tient pas au premier mémoire sur les événements de Lyon, qu'il avait confié à M. de l'Isle pour le remettre au Roi, il en adresse un second à M. de la Rue chargé de ses affaires à Paris et sans attendre sa réponse, il écrit le 15 septembre à Charles IX :

Sire, Je n'ay aucune coulpe, n'ayant sçeu quelle étoit la Volonté de Votre Majesté que par ordre, encore bien tard et à demi, et ay craint qu'elle fut plustot courroucée de ce que le peuple aurait fait que de trop peu, d'autant que par toutes les provinces voisines il ne s'est rien touché[40].

Dans sa lettre, datée du 14 septembre, le Roi lui recommande de tenir sous bonne garde ceux de la religion réputés pour factieux, et de lui en transmettre les noms. Plus tard de nouveaux ordres lui seront transmis.

Quant à ceux des protestants qui avaient usé du bénéfice des édits, il lui enjoint de les remettre en liberté et de les laisser vivre paisiblement en leurs maisons, suivant la déclaration qui précédemment lui avait été adressée.

Mais, par rapport à l'exécution qui avait eu lieu, et que les échevins, nous l'avons vu, auraient désiré que le Roi avouât, la réponse est formelle : Sa Majesté est déplaisante que le peuple ait de son autorité privée entrepris telle exécution et ledit Sr de Mandelot donnera l'ordre qu'il n'advienne cy après le semblable[41].

Les biens des protestants leur seront rendus et ceux qui voudront abjurer seront renvoyés devant l'évêque ou son représentant.

De Lyon passons au Dauphiné : M. de Gordes qui y commandait, dès le 28 août, fut avisé par une dépêche venue de Lyon des événements de Paris. Si l'on s'en rapporte uniquement à l'historien Chorier, il convoqua Truchon, le premier président et les principaux conseillers du parlement de Grenoble, et il leur remontra que, dans les circonstances présentes, le mieux était de temporiser ; il lui semblait inadmissible que le Roi fût dans l'intention de faire retomber sur tant d'innocents les crimes imputés à l'amiral. Soutenu par Truchon, il fit adopter cette résolution[42].

Les propres lettres de Gordes nous feront encore mieux apprécier cette prudente conduite : il commence par défendre aux protestants de sortir de leurs maisons et les remet en garde à ceux des catholiques qui passaient pour être de leurs amis[43]. Grâce à ces mesures, l'ordre fut maintenu à Grenoble et dans le reste du Dauphiné. Dans les lettres qui lui sont adressées durant le mois de septembre de toutes les villes de son gouvernement, il est prévenu que l'on fait bonne garde, et que partout les protestants ont été mis en demeure de livrer leurs armes.

Le 27 septembre, le maréchal Damville, qui rentrait dans son gouvernement du Languedoc, lui écrit de Saint-Mathurin : Je vous envoie copie de la lettre du Roy, dont le vouloir et l'intention n'est point autre que de garder et entretenir son édit de pacification[44].

Cette lettre justifiait la conduite de Gordes.

Les protestants de la ville de Vienne durent leur salut à leur archevêque Grimaldi ; ceux de Die à leur gouverneur M. de Glaudage, et dans nos possessions au delà des Monts, ceux du marquisat de Saluces à Ludovic de Birague, qui y commandait.

Bellièvre du parlement de Grenoble, et frère de l'ambassadeur en Suisse, avait été envoyé en mission extraordinaire à Montpellier, en qualité d'intendant de justice. Dès le 8 août 1572, il avait écrit au Roi : Nous trouvasmes les habitans de cette ville d'asses mauvais accord, voulant les catholicques retenir l'advantage auquel ils se trouvoient et les aultres impatiens de telle subjection avec une animeuse poursuyte des injures passées, laquelle nous leur avons petit à petit faict délaisser non par peynes ou procédures criminelles, qui n'eussent servy qu'à aigrir davantage les parties ; mais plustôt en faisant cesser aucunes choses, que nous voyons se continuer contre vostre édit[45].

Tel était l'état des esprits dans Montpellier, quand dans la nuit du 30 août, sur les trois heures du matin, un courrier envoyé à M. de Joyeuse alors à Béziers annonça, en passant, à M. de Bellièvre le massacre de Paris. En attendant les ordres de M. de Joyeuse, il crut prudent de faire fermer les portes de la ville et, avant le jour, mit sous bonne garde tous les protestants mais sans offense de personne[46]. Le 8 septembre, la déclaration du Roi du 28 août, qui leur assurait la liberté de conscience et la sûreté de leur vie, fut promulguée et, grâce aux ordres transmis par M. de joyeuse, aucun meurtre ne fut commis à Montpellier. Le 10 septembre Bellièvre put donc écrire au Roi : Le dimanche, dernier du mois, au matin, arriva M. de Villeneuve, lieutenant de la compagnie de M. de Joyeuse avec une partie d'icelle, qui a si bien pourveu au surplus que l'ordre et l'asseurance y sont telz que Vostre Majesté le sçauroit désirer. Nous sommes après à essayer de pouvoir faire de mesme ès montagnes des Cévennes ; mais le principal et plus important est de se pouvoir asseurer de Nymes et, à ces fins, M. de Joyeuse a mandé M. de Portes, par lequel je leur ay aussi escrit. J'entens qu'ilz faisoient anses bonne démonstration de vouloir obéir, sinon que la nouvelle de ce qui est succédé à Lyon les aye effrayez. Si ladite ville est une fois asseurée, rien ne bougera en cette province[47].

Il se faisait d'étranges illusions, ou était mal renseigné ; car Caylus de son côté écrivait au Roi, le 28 septembre : Ayant entendu la mort de l'amiral par les lettres par lesquelles il a plu à Monseigneur le duc d'Anjou m'envoyer pour me commander de me saisir des villes de Montauban, Milhau et Saint-Antonin, dans ces contrées ceulx de la prétendue religion réformée firent si bonne dilligence qu'ils furent dans les dites villes, quatre jours après la mort du dit amiral, ce qui a esté cause que l'on n'a pu s'en emparer, et se sont retirez là tous ceulx du plat pays[48].

Nous venons de le voir, la grande préoccupation de Bellièvre, c'est que Nîmes ne vînt aux mains des protestants.

Tout s'y passa plus pacifiquement qu'il ne pensait. A la première nouvelle de la Saint-Barthélemy, le juge mage, M. de Montcalm, convoqua d'urgence un conseil extraordinaire pour aviser aux mesures à prendre. A la première réunion de ce conseil, un avocat nommé Villars émit l'avis que les portes de la ville fussent gardées sans distinction de religion par autant de protestants que de catholiques. Cette proposition fut admise et M. de Joyeuse, auquel avis en fut transmis, approuva la conduite qui avait été tenue et engagea ceux de Nîmes à maintenir l'ordre, ainsi qu'ils l'avaient fait jusqu'alors[49] ; mais ils s'obstinèrent à tenir leurs portes fermées aux troupes royales. Dans les premiers jours de janvier 1573, Charles IX écrivait au maréchal Damville : J'ay connu, par la réponse que ceux de Nîmes vous ont baillée pour ce que vous leur avez commandé de ma part, leur mauvaise intention ; à quoy j'ay délibéré ne faire aultre response, mais vous dire que vous poursuiviez et dilligentiez vos préparatifs pour en avoir raison par voie de la force, puisque celle de la douceur ne peut plus de rien[50].

A Toulouse, on n'usa pas de la même modération qu'à Montpellier. Dans les premiers jours de septembre, M. de Rieux ayant apporté aux capitouls une lettre de Charles IX, ils répondirent, le 8 septembre, au Roi qu'ayant appris que ceux de la religion dans les villes environnantes avaient fait emprisonner des catholiques, ils s'étaient saisis de tous ceux qu'ils avaient pu appréhender, au nombre desquels se trouvaient trois ou quatre instigateurs des derniers troubles[51].

De son côté, Daffis, le premier président du Parlement en prévenait Sa Majesté ; mais la nouvelle du massacre qui avait eu lieu dans plusieurs villes étant venue à se répandre, Lanthomy, l'un des violents du Parlement, demanda hautement que l' on en fit de même à Toulouse. Le président Daffis, soutenu par plusieurs de ses collègues, s'y opposa, et obtint qu'un député fût envoyé à Paris pour prendre les ordres du Roi. La réponse ne parvint qu'à la fin de septembre. Sa Majesté ordonnait de tenir les protestants en bonne et sûre garde, de les traiter toutefois humainement et de lui adresser leurs noms avec la désignation des charges et des offices qu'ils occupaient.

Le fait de Paris, écrivaient les échevins de Carcassonne au Roi, n'a produit aucun effet. Rien n'a été altéré ni changé[52]. De ce côté-là, tout désordre fut donc écarté pour le moment.

Parlons maintenant de la Guyenne : Montpezat écrivait du Fou, le 27 août, au duc d'Anjou : J'ai dépesché un courrier à Bordeaux pour avertir Messieurs de la cour de l'intention de Sa Majesté. J'envoie en Saintonge vers M. de Strozzi pour apprendre ce que sont devenus les soldats qui ne se seront embarqués[53].

Dans les jours qui suivirent, l'ordre fut maintenu à Bordeaux, et Charles IX put écrire à Lagebaston, le premier président du Parlement : Nous avons très grand contentement du bon ordre qui a esté donné par le sieur de Montferrand pour contenir toutes choses en vostre ville, suivant nostre intention, comme aussi du bon debvoir duquel vous y êtes particulièrement acquitté. Vous êtes maintenant bien informé de nostre volonté et des causes qui nuus ont meu et contraint permettre et lâcher la main à cette exécution qui a esté faite[54].

Le même jour il manda à M. de Montferrand : Je vous prie que je demeure obéi et mon commandement suivi, usant de toute hostilité à l'endroit de ceux qui s'opposent à ma volonté et défendant de toute oppression ceux qui se contiendront et demanderont à vivre paisiblement en leurs maisons[55].

Durant la première quinzaine de septembre, la tranquillité se maintint donc à Bordeaux, et Montferrand répondit le 20 septembre au Roi : Ceux d'ici vivent en paix les uns avec les autres et ont tous promis à M. de Montpezat, de se contenir et de suivre la volonté de Vostre Majesté (3)[56].

Nous verrons plus loin qu'il ne persévéra pas dans cette voie.

Il ne nous reste plus qu'à parler de Bayonne. La plupart des historiens ont attribué au vicomte de Orthe, qui en était le gouverneur, cette belle réponse : Il n'y a pas de bourreaux à Bayonne, il n'y a que des soldats.

Une lettre de lui, datée de cette ville, le 31 août, tout en faisant un grand honneur à sa modération, amoindrit un peu le prestige de la glorieuse légende dont a profité sa mémoire.

J'ay entendu ce qui est arrivé à Paris, le XXII et XXIIIe du présent mois d'août, écrit-il au Roi, et puisque ce sont querelles particulières, j'espère vous rendre si bon et fidèle compte de ceulx que m'avez baillez en charge que de les faire vivre en tel point qu'il ne se attentera chose quelconque à votre dessein[57].

De cette longue excursion à travers les provinces, une conclusion se dégage, c'est que l'ordre ou le désordre ont dépendu du plus ou moins d'autorité des gouverneurs sur les populations, et de leur plus ou moins de souci de la vie humaine. Si certains se sont montrés faibles et indécis comme Mandelot, cruels comme Montferrand et Montpensier, d'autres ont prudemment attendu les ordres du Roi, et préservé ainsi la vie des protestants. Aussi l'histoire a-t-elle retenu les noms de Chabot-Charny, du duc de Longueville, de Saint-Herem, de Matignon, de Leveneur, de Hennuyer, de Fumichon, de Bouillé, de la Guiche, de Gordes, du comte de Tende, de Villars, de Bellièvre, de Joyeuse, du vicomte de Orthe et enfin de Glandage, et elle a glorifié leur mémoire.

 

XI

Il nous reste à voir maintenant comment la Saint-Barthélemy fut acceptée et appréciée par l'Europe ; puis pour compléter cette étude, nous rechercherons les conséquences fatales dont elle fut l'unique cause. La fin du règne de Charles IX et celui tout entier de Henri Ill en seront troublés.

Un courrier parti précipitamment de Lyon arriva le 2 septembre à Rome ; il était porteur d'une lettre de Danès, le secrétaire de M. de Mandelot, à M. de Jou, commandeur de Saint-Antoine. Danès le priait de faire savoir sur le champ au Saint-Père, qui l'en récompenserait largement, que les principaux chefs protestants avaient été tués à Paris et que le Roi avait donné l'ordre aux gouverneurs des provinces de se saisir de tous les huguenots.

Averti le premier, le cardinal de Lorraine fit remettre deux cents écus au courrier, et prenant avec lui Férals, il alla annoncer cette grande nouvelle au Saint-Père. Grégoire XIII ne put maîtriser un premier mouvement de joie ; il fit remettre cent écus au porteur de la lettre et voulait même que l'on allumât des feux de joie dans Rome. Férals lui objecta qu'avant tout il fallait attendre une lettre officielle du Roi et celle de Salviati son propre légat[58].

Elles ne se firent pas attendre : le 5 septembre, Beauville arriva à Rome, et Férals fit remettre au pape la lettre du Roi et celle de Salviati, dont Beauville s'était chargé[59].

Très Saint-Père, disait le Roi dans la sienne, nous envoyons présentement devers Vostre Sainteté le sieur de Beauville pour dire et faire cognoistre à Vostre Sainteté aucunes choses, de nostre part, sur lesquelles nous prions et requérons Vostre Sainteté tant et si affectueusement que faire pouvons lui accorder bénigne et favoable audience et ajouster la mesme foy à ce qu'il vous dira, comme vous vouldriez faire à nostre propre personne[60].

Charles IX gardait le silence et sur le massacre et sur ses causes ; mais une lettre du duc de Montpensier au Pape les expliquait et les motivait. Après avoir rappelé la bonté, la clémence dont Sa Majesté avait usé envers les huguenots et l'amiral, le duc les accusait lui et les siens d'avoir voulu tuer le Roi, sa mère, ses frères et les principaux seigneurs catholiques pour bâtir un Roi à leur dévotion et abolir tout autre religion que la leur ; mais le jour où devait s'exécuter cette damnable entreprise Dieu avoit illuminé l'esprit du Roi, qui avoit fait tomber l'exécution sur l'amiral st ses complices. Leur nombre est si grand en cette ville, ajoutait-il, que je ne le sçaurois déclarer a Vostre Sainteté, et ce que j'en loue le plus, c'est la résolution que Sa Majesté a prise d'anéantir toute cette vermine et de remettre l'église catholique entre ses bons sujets au repos et splendeur qu'ils la désirent[61].

Nous ne détacherons de la dépêche du légat Salviati au cardinal de Côme, que cette seule phrase qui exclut toute idée de préméditation du massacre en grand des huguenots : Si l'amiral était mort du coup d'arquebuse qu'on lui tira, je ne puis croire que tant de personnes eussent été tuées. Lorsque j'écrivis ces jours passés à votre Seigneurie et, par lettre chiffrée, que l'amiral s'avançait trop et qu'on lui donnerait sur les doigts, j'étais convaincu qu'on ne pouvait plus le supporter et j'étais resté avec cette persuasion, lorsque dans ma dépêche ordinaire j'écrivis que j'espérais donner bientôt à Sa Sainteté quelque bonne nouvelle ; mais je ne croyais pas à la dixième partie de ce que je vois présentement de mes propres yeux[62].

Dans une lettre datée de Paris du 27 août, et qui ne parvint à Rome que plus tard, Salviati entre dans de nouvelles explications : La Reine-mère est décidée non seulement, à supprimer l'édit, mais aussi à rétablir la religion catholique, par les voies légales dans toute son observance. L'on ne peut en douter depuis la mort de l'amiral et de tant d'autres personnages de valeur, ce qui est d'ailleurs conforme aux entretiens que j'ai eus avec elle à Blois à l'occasion du mariage de Navarre et d'autres affaires qui se traitaient alors. Je puis l'attester devant Notre Saint-Père et l'univers entier[63].

L'historien protestant Soldan a ingénieusement observe que l'interprétation de la lettre de Salviati dépend de la ponctuation et que si l'on adoptait la sienne, et telle que nous la reproduisons dans la note ci-dessous, ce mot conforme aux entretiens que le légat avait eus avec la Reine à Blois[64], s'appliquait uniquement à l'intention de Catherine de rétablir partout la religion catholique et non à celle de faire tuer l'amiral.

D'autres historiens ont relevé la contradiction qui ressort des deux lettres de Salviati ; à les entendre, c'est un argument de plus en faveur de la préméditation de la Saint-Barthélemy.

Si l'on veut bien se reporter à l'entrevue que Catherine eut à Metz, en 1569, avec l'ambassadeur d'Espagne et à l'aveu qu'elle lui fit d'avoir promis des sommes importantes à ceux qui tueraient Coligny, Grammont et Larochefoucault, il est admissible qu'à Blois, et avant l'arrivée de l'amiral, elle ait fait à Salviati la même confidence. Si elle ne donna pas suite alors à cette pensée homicide, c'est qu'à ce moment-là Coligny lui était utile pour les deux mariages qu'elle poursuivait, celui de Marguerite avec le prince de Navarre, et celui du duc d'Alençon avec Élisabeth, et utile encore pour la négociation d'alliance entamée avec les princes protestants d'Allemagne et la reine Élisabeth.

Tuer l'amiral, c'était bien la ressource suprême qu'elle n'avait cessé d'envisager et, si les nécessités de la politique l'en détournèrent momentanément, elle n'y renonça pas.

Dans cette même journée du 5 septembre, Beauville fut conduit chez le Pape par le cardinal de Lorraine et Férals. Après avoir fait le récit de tout ce qui s'était passé à Paris, il supplia Sa Sainteté, en récompense du fait accompli, d'accorder la dispense refusée jusqu'alors, et de vouloir bien l'antidater de quelques jours avant la célébration du mariage de Marguerite de Valois ; en même temps, il réclama l'absolution pour les cardinaux de Bourbon et de Rambouillet et pour tous les évêques qui avaient assisté à la cérémonie.

Grégoire XIII répondit simplement qu'il y réfléchirait et aviserait[65].

Le lendemain, les dépêches du légat Salviati furent lues en plein consistoire, et, le choix d'un légat à envoyer en France s'étant porté sur le cardinal Ursin, le Saint-Père, suivi de tout le sacré collège, fit chanter le Te Deum dans la chapelle du palais de Saint-Marc qu'il habitait alors.

Le 8 septembre, toutes les troupes papales faisant la haie, Grégoire XIII alla entendre une messe d'actions de grâces dans la chapelle française de Saint-Louis. Le cardinal de Lorraine l'attendait sur le seuil. Au-dessus du porche une inscription placée par son ordre, et écrite en lettres d'or, proclamait que Charles 1X, en faisant massacrer les protestants, n'avait fait que suivre les conseils qu'on lui avait donnés. C'était à la fois s'attribuer la meilleure part dans la préméditation de la Saint-Barthélemy et compromettre Rome aux yeux de l'Europe protestante[66].

En agissant ainsi, le cardinal de Lorraine, si profondément personnel, n'avait en vue que sa propre fortune, et sa propre ambition. De longue date, Férals s'était plaint à Charles IX et à Catherine d'avoir été très mal secondé par lui dans la négociation de la dispense, et lui avait, à bon droit, reproché d'avoir, à dessein, adouci toutes ses remontrances. Allant au-devant de ces justes soupçons, le cardinal avait cherché à s'en justifier[67] ; mais trop habile pour ne pas s'être aperçu que tout son crédit à la cour de France était en pleine baisse, il cherchait à se remettre au mieux avec la papauté.

Sa main est encore plus visible dans la première édition de l'apologie du massacre du 24 août, qui parut à Rome le 18 septembre 1572. Sous la plume de Camille Capilupi, la Saint-Barthélemy change de nom et ne s'appelle plus que le Stratagème de Charles IX, dont la dissimulation est hautement glorifiée[68].

Dans ce pamphlet évidemment inspiré par les vues intéressées de ceux qui lui en avaient suggéré la première idée, Capilupi rapporte que peu après son arrivée à Rome, le cardinal de Lorraine avait dit au cardinal de Sermoneta que de jour en jour il s'attendait à recevoir de Paris une semblable nouvelle, et, à l'appui de la préméditation, il ajoute que lorsque le cardinal entendit de la bouche de l'envoyé du duc d'Aumale les particularités de la sanglante journée, aux questions qu'il lui adressa sur ce qui s'était passé, les personnes présentes virent bien qu'à l'avance il était au courant de tout.

Dans la seconde édition du Stratagème de Charles IX, qui parut dans le mois d'octobre suivant, le premier passage a été supprimé ; ce retranchement coïncide avec la nouvelle orientation politique de la France. Nous en trouvons la preuve dans l'avertissement mis en tête de l'édition française de 1574 du Stratagème. Quand ce livre parut, nous dit l'anonyme éditeur, chacun en a eu copie, qui a voulu en avoir, et mesme avoit été commencé d'imprimer. Le cardinal de Lorraine qui, au commencement, le trouvoit bon, ayant eu advertissement que tout n'étoit achevé en France, comme on avoit présumé et qu'on avoit usé d'autre langage envers plusieurs princes étrangers, joint que cela eut pu rompre l'élection du roi de Pologne, empêcha que l'édition s'en parachevât[69].

Rapprochement instructif et qui indique bien que même à Rome les arguments invoqués par le cardinal de Lorraine, en faveur de la préméditation de la Saint-Barthélemy, dont il cherchait à s'attribuer le conseil et le mérite, ne rencontraient que peu de créance : le jour même ou une messe d'actions de grâces était dite en grande pompe, à Saint-Louis, l'ambassadeur d'Espagne à Rome, écrivait au Roi son maître : Bien que les Français veuillent donner à entendre que leur Roi méditait ce coup depuis qu'il fit la paix avec les huguenots, et lui prêtent des stratagèmes qui ne paraîtront pas permis même envers des hérétiques et des rebelles, je tiens pour certain que, si l'arquebusade donnée à l'amiral fut dessein projeté quelques jours auparavant et autorisé par le Roi, tout le reste fut inspiré par les circonstances[70].

Le 11 septembre, un jubilé fut annoncé aux fidèles et fixé, chaque année, au jour anniversaire de la Saint-Barthélemy pour remercier Dieu de la victoire de Lépante et de la grâce qu'il avait faite à Charles IX d'échapper à une si détestable conjuration. Pour en perpétuer le souvenir, une médaille fut frappée. D'un côté elle représentait l'effigie de Grégoire XIII, de l'autre, l'ange exterminateur frappant de son glaive les huguenots et tout à l'entour l'exergue suivant : Ugonotorum strages[71] ; enfin Vasari fut appelé de Florence pour peindre sur les murailles du Vatican les principales scènes de la sanglante journée.

Les salves d'artillerie du château de Saint-Ange, les Te Deum chantés dans toutes les églises, les feux de joie, les peintures murales de Vasari, le jubilé, les médailles commémoratives, ont fait accuser la papauté d'être la complice de la Saint-Barthélemy ; mais ce qui est hors de doute, c'est qu'à Rome, à la fin de septembre, on croyait encore à la réalité de la conjuration des huguenots : Sire, écrivait Férals le 22 de ce même mois à Charles IX, je rends grâces à Dieu de ce qu'il lui a plu conserver et préserver Votre Majesté, celle de la Reine sa mère et de Messieurs ses frères de l'abominable conspiration qu'ils avoient pourpensée. Je ne crois pas qu'il y ait histoire qui fasse mention d'une si cruelle et si mauvaise volonté[72].

Dans la première quinzaine de novembre suivant, l'homme qui avait arquebusé l'amiral Coligny vint à Rome et fut amené au Vatican par le cardinal de Lorraine. Cette visite fut vivement blâmée, et Grégoire X I II, ce qui est entièrement à sa décharge, s'en montra très irrité : C'est un assassin, s'écria-t-il, en parlant de Maurevel[73].

L'éminent historien qui a compulsé toutes les archives de l'Europe pour soutenir la thèse de la préméditation de la Saint-Barthélemy affirme qu'il n'a trouvé aucune preuve de la complicité de Rome[74].

L'historien protestant Soldan l'affirme également, et invoque à l'appui les lettres de Salviati qui excluent toute entente avec Rome[75].

De Rome passons à Vienne :

Vulcob, l'ambassadeur de France, ne reçut que le septembre les deux lettres du Roi du 22 et du 28 août. Sur-le-champ il se rendit auprès de l'empereur Maximilien, et il commença par lui lire la première lettre de Charles IX, afin qu'il pût bien apprécier en quels termes le Roi avait désapprouvé l'attentat commis sur la personne de l'amiral et les ordres sévères qu'il avait donnés pour poursuivre et punir le meurtrier.

C'était une sorte de préface pour arriver à de plus graves aveux. L'Empereur l'écouta sans faire une seule réflexion ; alors Vulcob en vint à ce qui avait suivi au grand regret du Roi, par l'occasion que les protestants sur qui l'orage étoit tombé avoient d'eux-mêmes donnée, puis il se pressa d'ajouter qu'il n'étoit en cela question ni de la religion, ni de la rupture de l'édit, que tout procédoit de la malheureuse conspiration de l'amiral et de ses adhérents.

Je m'attendais, répondit Maximilien, à tout ce que vous venez de me dire. Il n'y a pas trois semaines, l'on m'a écrit de Rome et à propos des noces du roi de Navarre : A cette heure que tous les oiseaux sont dans la cage, l'on pourra les prendre tous ensemble. Quant à ce que vous m'affirmez que le Roi votre maître ne veut pas rompre son édit de pacification, on le croira malaisément. Au reste nous verrons ce que le temps et les effets nous en apprendront.

Je conviens, reprit Vulcob, qu'il n'y a pas faute de personnes qui, de longue date et sans aucune occasion, n'ayent désiré que l'on fît mourir tous ceux de la religion, à quelque prix que ce fût ; mais je vous affirme que l'intention du Roi est de maintenir l'édit de pacification, à moins, toutefois, que les protestants ne donnent l'occasion de le rompre[76].

Ce jour-là l'entretien ne se poursuivit pas ; mais Vulcob revit l'Empereur dans la première semaine d'octobre, et comme il cherchait à bien établir que les huguenots avaient conspiré, sans le laisser achever : On m'écrit de Rome, lui dit Maximilien, que le cardinal de Lorraine affirme que ce qui a été fait à Paris a été délibéré et résolu avant qu'il ne quittât la France[77].

Les protestations de Vulcob ne purent donc modifier en rien cette mauvaise impression ; au mois de novembre suivant, étant venu annoncer à l'Empereur que le prince de Condé et le roi de Navarre avaient assisté à la messe le jour de la fête de la Saint-Michel : Je le crois aisément, répondit-il, ils ne pouvaient guère faire autrement.

L'entretien s'étant de nouveau porté sur la Saint-Barthélemy et les causes qui y avaient déterminé le Roi : Quand on veut faire une chose, dit l'Empereur, les prétextes ne manquent pas. On m'a bien accusé moi-même d'y avoir participé et pourtant il n'en est rien.

Puisque on a conçu cette opinion de Votre Majesté, riposta Vulcob, on ne doit pas s'étonner que le Roi mon maître ait été également calomnié[78].

Maximilien avait une raison toute personnelle de parler ainsi. Affirmer la préméditation de la Saint-Barthélemy, c'était, en la rendant plus odieuse, affaiblir les chances du duc d'Anjou à la royauté de Pologne et doubler celles de son fils l'archiduc Ernest.

En Espagne, tout au contraire, le massacre de la Saint-Barthélemy s'accordait avec les propres vues de Philippe ll ; de longue date il l'avait conseillé, et encouragé, dans son propre intérêt et comme le plus sûr moyen d'en finir avec la rébellion des Pays-Bas.

Parti de Paris le 24 août, Jean de Oalegni[79], le secrétaire de Cuniga, arriva à Madrid le samedi, 7 septembre.

Tandis que j'écris, disait l'ambassadeur, ils les tuent tous : ils les mettent nus et les traînent par les rues, ils pillent les maisons et n'épargnent pas un enfant. Béni soit Dieu qui convertit les princes français à sa cause ! puisse-t-il inspirer à leurs cœurs de continuer comme on a commencé ![80]

Philippe Il s'attendait à la guerre et s'y préparait ; en apprenant la mort de ses plus mortels ennemis, pour la première fois il ne fut pas maître de lui ; son visage glacial s'anima d'une joie sauvage. Le même jour il alla au monastère de San Geronimo faire chanter le Te Deum ; et, avant de partir, il chargea le secrétaire d'état Cayas d'aller annoncer cette grande nouvelle à l'ambassadeur de France.

Le lendemain, Saint-Gouard étant venu le visiter, il se prit à rire en le voyant, ce qu'en sa vie il n'avait jamais fait ; puis avec les expressions les plus exagérées, il loua la profonde dissimulation de Charles IX et félicita Catherine d'avoir si bien, et à son image, élevé un pareil fils. C'était bien maintenant et, à juste titre, le Roi très Chrétien.

A ces éloges intéressés, Saint-Gouard fit une réponse regrettable dans la bouche d'un ambassadeur de France : Avouez, Sire, que c'est au Roi mon maître, que vous devez vos Pays-Bas[81].

A quelques jours de là, Philippe II, s'entretenant de la Saint-Barthélemy avec le prince d'Eboli : Vous rappelez-vous, lui dit-il, que Saint-Gouard m'a naguère prévenu que je verrais des choses admirables, et cela au moment où j'avais de si graves soupçons. J'ai pensé depuis que, puisqu'il me parlait avec tant d'assurance, il fallait que ce fût chose concertée et que le Roi mon frère la lui avait confiée[82].

Resté sous cette idée, il écrit à Cuniga son ambassadeur : C'est une des plus grandes joies de ma vie entière ; allez exprimer à la Reine mère la satisfaction que j'ai ressentie d'un acte si utile à Dieu, et à la Chrétienté ; ce sera le plus grand titre de gloire du Roi mon frère auprès de la postérité ![83]

Mais une nouvelle lettre de Cuniga, datée du 31 août, vint jeter du froid sur l'enthousiasme irréfléchi des premiers jours et remit les choses à leur véritable point de vue.

Le massacre n'a pas été prémédité, mandait-il, ils ne voulaient que la mort de l'amiral et l'imputer au duc de Guise ; mais l'amiral n'ayant pas été tué du coup d'arquebuse et sachant d'où il partait, de crainte de sa vengeance, ils se sont décidés ii ce qu'ils ont fait[84].

Catherine s'était réservé la tâche délicate d'écrire à Philippe II. Dans sa lettre du 28 août, pour motiver vis-à-vis de lui la nécessité de la Saint-Barthélemy, elle a recours à la prétendue conspiration dont Dieu leur a fait la grâce de les préserver. Bientôt l'on en reconnaîtra les fruits, et elle s'en réjouit d'autant plus que cette occasion, c'est ainsi qu'elle la qualifie, augmentera l'amitié entre les deux couronnes, son unique désir. Le Roi son fils, ayant donné charge à son ambassadeur de raconter comment tout s'est passé, elle s'en remet à sa suffisance.

Mais dans une lettre adressée le même jour à Saint-Gouard, ses défiances à l'égard de l'Espagne se font déjà jour :

Je sais bien que ceux de par de là sont malaisés de émouvoir, sinon en tant qu'ils cognoissent y aller de leur profit. L'on estime que la crainte qu'ils avoient que le Roy mon fils favorisât les troubles de Flandres, les inviteroit plus tôt à non seulement entretenir ; mais à fortifier et estreindre amitié avec nous que tout autre respect ; maintenant, comme à cause de cette mutation, nous sommes embarqués à courir pareille fortune qu'eux, il est à croire qu'ils ne se donneront aujourd'hui autant de peine de rechercher notre amitié, comme ils eussent fait, s'ils en eussent eu besoin pour la conservation de leur pays[85].

Mais, tout en ne dissimulant pas ce qu'elle aura plus tard à craindre de la politique si personnelle de l'Espagne, à l'heure où nous sommes, elle ne pense encore qu'à se servir de la Saint-Barthélemy au profit du duc d'Anjou, à la fortune duquel elle subordonnera désormais toute son action à l'extérieur.

Pour bien comprendre Catherine, et pour bien saisir sa pensée du jour dans toutes ses perpétuelles variations, il faut avoir recours aux lettres qu'elle adresse à ceux des ambassadeurs en qui elle a le plus de confiance. Je désirerois, mande-t-elle de nouveau à Saint-Gouard, que la démonstration que le Roi mon fils a faite de son intention au service de Dieu à l'endroit de ceux de la nouvelle religion, servît à persuader au Roi Catholique de donner en mariage sa fille aînée au duc d'Anjou, le plus sûr moyen d'assurer l'union des deux royaumes[86].

Toutefois, ne se départant pas de sa prudence habituelle, elle n'autorise pas Saint-Gouard à en parler en son nom. C'est une simple idée qu'elle se borne à émettre ; à lui de la produire et de la poursuivre en temps utile et favorable.

Ce mariage qu'elle ambitionnait pour le duc d'Anjou, Saint-Gouard, avant même qu'il eût reçu sa lettre, en avait eu aussi l'idée. et voici ce qu'il lui avait écrit à ce sujet : Un personnage attitré (il ne le nomme pas), est venu me dire : Ne seroit-il pas à propos de faire le duc d'Anjou roi d'Angleterre ?Je le trouverois très bon, ai-je répondu, si c'étoit chose dont on pût disposer, mais en France, il y a un proverbe qui dit que l'on n'achète pas la peau de l'ours, paravant qu'il soit mort ; mais le Roi catholique étant déjà vieux pourroit bien faire épouser l'Infante au duc d'Anjou et lui donner un Etat de tant qu'il en a et après on aviseroit aux choses d'Angleterre. Il ne m'en a plus reparlé, avait-il ajouté, je crois qu'ils voudroient bien nous désunir du côté de l'Angleterre pour être ainsi assurés de toutes parts[87].

Nous en avons fini avec l'Espagne, passons à l'Angleterre : un courrier débarqué à la Rye apporta le premier la nouvelle de la Saint-Barthélemy, bientôt confirmée par des protestants échappés de Dieppe.

Killegrew remit à La Mothe-Fénelon la lettre de Charles IX, datée du 24 août, dont le courrier était porteur, simple reproduction de toutes celles écrites ce jour-là et faisant la même allusion à la lutte engagée entre les deux maisons de Châtillon et de Guise, et à la sédition populaire dont l'amiral et les principaux chefs protestants avaient été victimes.

La Mothe-Fénelon s'empressa de mettre cette lettre sous les yeux de Killegrew à l'effet d'atténuer l'opinion déjà répandue que la Saint-Barthélemy était de longue date concertée avec Rome et Philippe II, et que les noces du Roi de Navarre et de Marguerite de Valois n'avaient été qu'un piège pour avoir sous la main tous les huguenots[88].

Charles IX, dans une nouvelle lettre datée du lendemain, changeait de langage :

Je vous fis, hier, une dépêche de l'émotion qui advint dès le matin, qui continua hier et qui véritablement, à mon grand regret, n'est encore apaisée ; mais pour ce que l'on a commencé à découvrir la conspiration que ceux de la religion prétendue réformée avoient faite contre moy-même, ma mère et mes frères, vous ne parlerez point des particularités de cette émotion et de l'occasion, jusqu'à ce que vous ayez plus amplement et certainement de nos nouvelles[89].

Sans perdre une heure, La Mothe fit demander une audience à Elisabeth ; mais elle la remit au S septembre et l'invita à se rendre au château de Woodstock où elle était alors.

Au jour fixé, elle s'entoura de tous les membres, de son conseil, de toute sa cour, ce qui n'était pas d'usage. A l'entrée de l'ambassadeur dans la salle de réception il se fit un grand silence, des regards irrités se portèrent sur lui. Vêtue de noir, en signe de deuil, la Reine s'avança de quelques pas à sa rencontre et, l'emmenant dans une embrasure de fenêtre : les bruits qui courent sont-ils vrais ? dit-elle d'une voix brève et sévère.

La soudaineté du danger, répondit La Mothe, n'a même pas laissé au Roi le temps de la réflexion ; il a été contraint de laisser exécuter contre l'amiral et les siens tout ce qu'ils avaient prémédité contre sa personne.

Je voudrais de bon cœur, reprit-elle, que les crimes imputés à l'amiral et aux siens fussent encore plus grands que ceux qui leur ont été autrefois reprochés, et que cette nouvelle conspiration dépassât toutes celles du passé ; car je suis jalouse de l'honneur et de la réputation du Roi, que j'estime et que j'aime plus que tout le reste du monde. Tout d'abord j'ai pris sa défense et cherché à le justifier ; mais, depuis que j'ai appris qu'il a tout fait approuver par le parlement, je ne sais plus que penser ni que dire, je prie Dieu de détourner de sa tête les malheurs que j'entrevois.

La Mothe, après l'avoir vivement remerciée, affirma que rien n'avait été prémédité, que la religion n'y était point mêlée et que l'édit serait intégralement maintenu et observé, et il exprima le désir que le bon accord entre les deux couronnes n'en fût ni refroidi ni diminué.

Je crains bien, dit-elle, que ceux qui ont fait abandonner au Roi ses propres sujets ne le fassent renoncer à notre amitié.

Et comme il se récriait et qu'il exprimait le désir sincère de Leurs Majestés de poursuivre le projet de mariage avec le duc d'Alençon et de recevoir bientôt Leicester à la cour de France, ainsi qu'il l'avait projeté : je ne permettrai pas, répliqua-t-elle, qu'il expose sa vie en allant en France et je réglerai ma propre conduite sur celle qui sera tenue[90].

Au sortir de chez la Reine, La Mothe-Fénelon s'entretint avec tous les ministres, et il eut à essuyer les reproches les plus violents pour cet acte trop plein de sang. Ils n'étaient en cela que les interprètes des colères soulevées par la Saint-Barthélemy en Angleterre. L'évêque de Londres, en guise de représailles, demandait la tête de Marie Stuart et Killegrew venait d'être envoyé en toute hâte en Ecosse pour signifier au régent, le comte de Mar, que leur reine devenait un danger pour Burghley portaient qu'il ne s'agissait pas seulement d'un simple changement de prison, mais qu'il attendait plus des Écossais[91].

Une lettre de Leicester à Walsingham nous fait encore mieux apprécier l'état des esprits en Angleterre : Si le jeune Roi est l'auteur de cet affreux guet-apens, qu'il en subisse la honte et la confusion ; mais, si l'imminence du danger qu'on lui a fait entrevoir l'a porté à cette extrémité, ainsi que son ambassadeur veut nous le faire accroire, quelle que soit l'horreur d'un tel acte, si vraiment il a cédé à la crainte et si son cœur est touché d'un sincère repentir, qu'il en donne une juste satisfaction tant à Dieu qu'aux hommes, en faisant poursuivre et punir ceux qui lui ont donné de si funestes conseils[92].

Mais l'Angleterre était encore plus effrayée qu'indignée : L'ambassadeur de France, écrivait Burghley à Walsingham, a tout fait auprès de Sa Majesté, afin de lui ôter de l'idée que le Roi son maître n'est pas coupable du massacre, et il lui a donné l'assurance qu'elle n'a rien à craindre de la flotte de Strozzi ; néanmoins nous avons sujet de nous défier de tout ce qu'on peut dire aussi travaillons-nous à mettre nos côtes en état de défense et de faire prendre la mer le plus tôt possible à notre flotte[93].

Continuons à jeter un regard sur l'Europe : de Bruxelles, Mondoucet avait écrit à Charles IX le 29 août : Les Espagnols font de telles réjouissances que Votre Majesté peut penser la prospérité que telles choses apportent à leurs affaires[94].

Effrayé du parti qu'ils se promettaient d'en tirer, il alla au camp du prince d'Orange lui apporter la nouvelle des événements de Paris. Si inattendue, si fatale qu'elle fût, le Taciturne ne se départit pas de son calme habituel : J'avais appuyé, dit-il, le meilleur de mes affaires sur le Roi votre maître ; il me semble impossible que jamais il puisse se purger de ce fait à l'endroit des princes protestants de l'Allemagne et autres de cette religion. Il est bien nécessaire qu'il prenne de bons conseils, car je prévois que son royaume retournera dans de nouveaux troubles[95].

C'était prophétiser l'avenir.

Mais il ne dissimulait pas le coup irréparable porté par la Saint-Barthélemy à sa propre fortune : S'il ne fût intervenu cette exécution, écrit-il à son frère, Jean de Nassau, nous étions pour cette heure maîtres du duc d'Albe et nous aurions capitulé à notre plaisir.

De son côté, Schomberg jette un cri d'alarme : je vous laisse à penser, Madame, écrit-il à Catherine, le 6 octobre, si les adversaires et compétiteurs du Roi votre fils sont soucieux et diligents à ne perdre ceste occasion, qui se présente[96].

Plus explicite encore, dans une lettre du même jour au duc d'Anjou : L'opinion que les princes d'Allemagne se sont imprimée en la teste et de laquelle il est impossible de les détourner en ceste première heure, est que tout ce qui est advenu en France s'est fait par préméditation. Ces calomnieuses opinions et plusieurs autres que j'ai mandées au Roi et à la Reine nous renversent quasi tout dessus dessous. Je meurs de dépit, Monseigneur, de voir que, par les plus exécrables mensonges du monde, votre compétiteur ne s'endort pas ; prenez-bien garde de donner occasion aux électeurs protestants de soupçonner et de s'imprimer davantage dans la teste que vous favorisez les affaires du roi d'Espagne en quoi que ce soit. Ne lui faites pas acte d'ennemi, si vous voulez ; mais sus, holà, si vous ne voulez vous faire désarçonner du tout[97].

Il ne s'en tient pas là, et écrit également à l'évêque de Limoges : Avant tout, il faut consolider la playe que la mort de l'amiral et l'effusion du sang des huguenots ont faite au cœur des princes de la Germanie ; car présentement on n'aura nulle raison d'eux. C'est au Roi à faire connoistre par effet et par un gracieux traitement qu'il fera aux huguenots, qu'on ne veut exterminer la religion, et surtout on doit finir toute intelligence secrète avec l'Espagnol et ses adhérents. Au surplus, le Roi et Monseigneur le duc d'Anjou doivent rechercher, caresser, et chérir de tout leur possible les princes d'Allemagne, pour ne leur donner occasion de se précipiter par désespoir aux lacs des ennemis de la couronne de France[98].

En Suisse, cette terre amie, qui, de longue date, nous fournissait de braves et fidèles soldats, l'indignation n'était pas moindre : Grantrie, l'un de nos résidents, écrivait à Catherine le 19 septembre : Il vint nouvelles de toutes parts, à tous les cantons protestans d'une vespertine donnée à tous les huguenots par tout le royaume et que mesmes l'on n'avoit pas pardonné aux femmes et enfans, criant si haut et avec tant d'exécrations que je ne l'oseray jamais écrire. Brief, Madame, ils disent que c'estoit une délibération et résolution que Vostre Majesté, Monseigneur d'Anjou avec Mrs de Guise, auroient machinée, il y a longtemps, exemptant le Roi de cela et que Vostre Majesté avoit establi les noces du roi de Navarre avec Madame, pour mieulx attrapper ceux là et que l'on voit bien en un même temps ce que le Sieur Strozzi a fait à la Rochelle, feignant aller aux Indes, et ce qui s'est exécuté à Orléans, à Lyon et autres lieux. Il ne sera pas hors de propos de faire imprimer une apologie où tout le succès de tout cecy fust bien discouru, avec mention de quelques uns de la religion qui auroient entendu ces malheureux conseils, avec aussi. les confessions de ces secrétaires du feu amiral et autres-prisonniers que Vos Majestés tiennent, pour cela estre publié par toute l'Allemagne ici, et autre part[99].

De Pologne où il allait soutenir la candidature du duc d'Anjou et où il n'avait pu parvenir qu'au risque de sa, vie, Monluc, l'évêque de Valence, adresse au secrétaire d'Etat Brûlart cette lettre énergique, qui, sans aucun' doute, dut être mise sous les yeux de Catherine : Vous entendrez comment ce malheureux vent qui est venu de France a reculé le navire que nous avions condui à l'entrée du port. Vous pouvez penser coment celuy, qui en avoit la charge, a occasion d'estre à jamais content, quand il voit que, par, la faute d'aultruy il a perdu le fruit de ses labeurs. Je dis faulte d'aultruy, parce que, puisque on avoit envie de ce royaume de Pologne, l'on pouvoit et devoit surseoir l'exécution qui a esté faite[100].

Krassowski, ce nain polonais, si goûté à la cour, où il fit un si long séjour et qui, retourné en sa patrie, y était devenu un des plus utiles auxiliaires de la candidature du duc d'Anjou, écrit à Catherine : les Allemands, qui ont déjà dépensé en pure perte soixante mille thalers pour l'élection de l'archiduc, se sont mis à écrire de telles calomnies que je n'ose les répéter. Ils ont été jusqu'à dire que le Roi et le duc d'Anjou couroient les rues de Paris, criant : mort aux Huguenots ! Tous les protestants de ce royaume, et ils sont nombreux, qui étoient de notre parti, ne savent que faire ni où aller[101].

Notre faveur, s'écrie tristement Choisnin dans ses Mémoires, ne dura que vingt-quatre heures, car il survint incontinent quelqu'un qui apporta la fatale nouvelle, enrichie de tant de particularités, qu'en peu d'heures la plus part détestèrent le nom français. Toutes les semaines on apportoit des peintures où l'on voyoit toutes manières de mort cruelle dépeintes. L'on y voyoit fendre des femmes pour en arracher les enfants qu'elles portoient. Le Roy, le duc d'Anjou y estoient dépeints spectateurs de cette tragédie ; avec leurs gestes et des paroles écrites ils monstroient qu'ils estoient marris que les exécutions n'estoient assez cruelles. Tels écrits et telles peintures irritoient tellement le cœur de plusieurs qu'ils ne vouloient pour rien endurer qu'en leur présence le nom du Roy fust prononcé ; les dames en parloient avec telles effusions de larmes, comme si elles avoient esté présentes à l'exécution[102].

Mais les remontrances les plus vives, les plus hardies vont être faites à Catherine par du Ferrier, l'ambassadeur de France à Venise : Madame, la vérité est certaine, indubitable, que les massacres advenus partout le royaume de France non seulement contre l'Amiral et autres principaux chefs de la religion ; mais aussi contre tant de pauvre peuple innocent ont si fort esmu et altéré l'humeur de ceux qui sont par deçà affectionnés à vostre couronne, encore qu'ils soyent du tout catholiques, qu'ils ne se peuvent contenter d'excuse aucune, imputant tout ce qui a esté fait à vous tant seulement et à Monseigneur d'Anjou. Par le moyen susdict, il s'est osté la couronne impériale, n'ayant aupisavant rien tant desiré les Allemands, mesme les protestants, que de le faire Empereur et de remettre l'Empire en la maison de France, et disoient estre bien informés que le dit Amiral et aultres ne conspiroient jamais contre Vos Majestés ou aucuns des vostres, et ne se peuvent assez émerveiller que par tels moyens on ait voulu faire si grand et évident tort à Monseigneur d'Anjou et si fort agrandir le Roi d'Espagne, qui se peult dire aujourd'hui le seul prince de la Chrétienté qui commande à tous aultres ; et disent encore que, pour venir à bout des dicts chefs, il y avoit d'autres moyens aussi certains et qui n'eussent pas tant offensé les étrangers et donné à parler à la postérité. Et combien, Madame, que je ne croye à rien de tout ce que dessus, je vous ai bien voulu escrire et vous supplier de vous garder mieux que vous n'avez faict d'aulcuns désespérez, qui passent par icy, lesquels sont si fols et téméraires, de dire que vous avez mieux aimé ruyner le royaume de France en vous vengeant de l'Amiral que l'augmenter et que vous ressentir du mal de celuy qui a faict mourir vostre fille[103].

Pareille lettre ne pouvait rester sans réplique : Je n'ai rien fait, conseillé, ni permis, lui répond Catherine, le 1er octobre, que ce que l'honneur de Dieu, le devoir et l'amitié que je porte à mes enfants me commande, d'autant que ayant l'Amiral, depuis la mort du feu Roi Henri Monseigneur, monstre par tous ses actes et déportements qu'il ne tendoit qu'à la subversion de cet Etat et de ôter la couronne au Roy mon fils, et que, au lieu de se reconnoître comme sujet, il s'étoit si bien établi et agrandi qu'il avoit les mêmes pouvoirs et commandements que lui à l'endroit de ceux de la religion, tellement que, étant rebelle à son prince, il a pris par force des villes, n'ayant pas craint donner plusieurs batailles et esté cause de la mort d'un si grand nombre de personnes, et encore depuis la dernière paix et édit de pacification, il a conspiré si malheureusement contre la personne de son Roi et de ses frères, comme les princes étrangers seront bientôt éclairés par le procès qui sera bientôt en sa cour de parlement à Paris, que je m'assure que l'on dira que le Roy mon fils a fait ce qu'il appartenoit à sa grandeur, estant Roy et prince souverain et que l'Amiral, estant si fort, si puissant en ce royaume, comme il estoit, ne pouvoit estre autrement puny de sa rébellion que par la voie que l'on a esté contraint de prendre tant en sa personne que de ceux qui tenoient son party, et ayant esté bien marry que sur l'émotion plusieurs autres personnes de leur religion ont été tuées par les Catholiques qui se ressentoient d'autres maux, pilleries, meurtres et autres meschants actes que l'on avoit commis contre eulx.

Pour le regard de ce que me mandez de celui qui a fait mourir ma fille, c'est chose que l'on ne tient point pour certaine, et, si elle estoit, le Roi mon fils n'en pou-voit faire la vengerie en l'estat que son royaume estoit lors ; mais, à présent qu'il est tout un, il aura assez de moyen et de forces pour s'en ressentir, quand l'occasion s'en présentera et m'assure que, quand les princes protestants auront bien sçeu la vérité et considéré tout ce que dessus, ils continueront à l'endroit de mon dit fils la mesme volonté qu'ils avoient auparavant que ceci fast advenu[104].

 

XII

Dans le précédent chapitre nous avons retracé l'impression produite par la Saint-Barthélemy en Europe.

Retournons sur nos pas, revenons à Catherine, et voyons-la aux prises avec les difficultés et les dangers du lendemain. Les ambassadeurs de tous les princes d'Italie et ceux du duc de Savoie et du roi d'Espagne ne lui avaient pas ménagé les félicitations et les encouragements ; mais de la part de l'ambassadeur d'Angleterre, Walsingham, l'ami, le confident de Coligny et de tous les chefs protestants, elle n'avait à attendre que d'énergiques remontrances, et elle était réduite à tenir un tout autre langage.

Le 26 août, il avait envoyé l'un de ses secrétaires la remercier d'avoir veillé à sa sûreté et à celle de ses compatriotes, et il l'avait priée de lui faire connaître les causes qui avaient pu motiver cette sanglante exécution ; car divers bruits ayant cours, il tenait à transmettre à la Reine, sa maîtresse, ce qui en était au vrai. Au lieu de répondre, ce qui lui eût été difficile, elle préféra s'en entretenir avec lui.

Le premier septembre, Lansac et Mauvissière, suivis de douze gentilshommes, car les rues étaient encore peu sûres, vinrent le chercher à son hôtel et le conduisirent au Louvre. Charles IX le reçut le premier et, en l'abordant, il lui dit que, pour couper court à tous les bruits répandus, il avait ordonné qu'on procédât au procès de l'amiral et de ses complices, et qu'il s'empresserait d'en adresser le résultat à la Reine, sa sœur. Il affirma qu'il avait été contraint, et à son extrême regret, à ce qui avait eu lieu, pour préserver sa vie, celle de sa mère et de ses frères, et protesta de la sincère affection qu'il portait à la reine Elisabeth, espérant à l'avance qu'elle ne prendrait pas occasion de ce qui venait de se passer pour croire le contraire.

Walsingham répondit que, si la culpabilité des protestants pouvait être démontrée, sa maîtresse en ressentirait plus de joie que personne, car elle mettait la vie de Sa Majesté au-dessus de toute autre considération. S'étant plaint du meurtre de trois Anglais, Charles IX s'en montra très peiné et promit de faire punir sévèrement les coupables si l'on parvenait à les découvrir[105].

De chez le Roi, Walsingham fut mené chez Catherine. Elle se borna à lui répéter ce que son fils lui avait dit et, au moment où il se retirait, elle l'assura que l'édit de pacification serait maintenu et la conscience des protestants respectée.

A la suite de cette première entrevue, Mauvissière vint le visiter et ayant amené l'entretien sur le duc d'Alençon, il le pria d'appuyer le projet de son mariage avec le même zèle que par le passé.

Tout ce que je vois, répondit Walsingham, ne m'y encourage guère.

Pourquoi alors, répliqua Mauvissière, ne vous en expliquez-vous pas de nouveau avec la Reine mère ?

J'y suis tout disposé, mais à la condition qu'elle me fera appeler.

C'était un jeu joué ; Catherine l'envoya chercher tout aussitôt, et allant droit au fait : J'ai su par Mauvissière que vous avez émis des doutes sur notre sincérité à vouloir le mariage de mon fils d'Alençon avec votre Reine, dites-les moi et je vous répondrai.

Il les motiva sur les étranges procédés dont on avait usé dans la négociation du mariage du duc d'Anjou ; l'on avait donc cru y voir une ruse pour tromper les protestants et préparer la Saint-Barthélemy ; puis il se plaignit de la violation de l'édit de pacification.

Evitant de répondre directement : La ligue que nous avons récemment conclue, dit-elle, l'a été avec votre Reine et non avec l'amiral ; en quoi y avons-nous manqué ?

Je le reconnais, Madame, mais la liberté de conscience avait été accordée à l'amiral et à ses coreligionnaires, et pour nous c'était là une garantie de sécurité ; puis faisant brusquement allusion aux conventions secrètes de la conférence de Bayonne, il osa lui dire que la Saint-Barthélemy était une véritable déclaration de guerre à tous les princes protestants.

Ce que vous me rappelez de Bayonne, reprit-elle, avec aigreur, est une des inventions de l'amiral pour nous rendre odieux et nous faire des ennemis de tous nos amis. D'ailleurs, sachez-le bien, Votre Reine n'a pas tant à se louer de lui ; dans un testament qu'il fit lors d'une maladie à la Rochelle, il recommandait au Roi mon fils, d'abaisser, autant qu'il le pourrait, les Espagnols et les Anglais afin d'assurer la tranquillité de ses propres Etats.

C'est son éloge, Madame, que vous venez de faire, riposta-t-il.

Laissant de côté ces questions irritantes, elle revint au projet de mariage de son fils d'Alençon, et de nouveau mit en avant l'idée d'une entrevue.

En supposant, Madame, qu'elle pût avoir lieu, permettez-moi de vous poser deux questions : la première au sujet de l'exercice de la religion, la seconde relative à l'édit de pacification.

Aucune difficulté, répondit-elle, en ce qui regarde la religion ; toute satisfaction sera donnée à votre Reine par mon fils d'Alençon, n'en doutez pas ; quant à l'édit de pacification, le Roi mon fils laissera à ses sujets protestants toute liberté de conscience ; mais ne permettra à l'avenir que l'exercice de la seule religion catholique.

Mais, Madame, vous m'avez dit tout le contraire lors de notre première entrevue.

De nouvelles menées, tout récemment découvertes, motivent la suppression de l'exercice de la religion protestante. Toutefois les huguenots auront en France la même liberté que les catholiques en Angleterre.

Notre Reine, Madame, n'a pas publié d'édits ; si elle l'avait fait, elle tiendrait sa parole.

Elle est libre de ses actions, comme nous des nôtres.

Alors, Madame, en cas d'une guerre avec l'Espagne, l'Angleterre peut-elle toujours compter sur la France ?

Certainement, même en cas d'une attaque du roi d'Espagne ; vous le voyez, je ne fais aucune difficulté de vous le nommer. Notre seul désir, c'est de maintenir notre royaume en repos. Et sur cette dernière réplique, l'entretien se rompit.

Jusqu'ici Walsingham n'avait parlé qu'en son propre nom ; de nouvelles instructions d'Elisabeth et de ses ministres l'ayant laissé libre de soumettre leurs remontrances soit au Roi soit à Catherine, il préféra s'adresser d'abord à elle, car on lui attribuait toutes les cruautés qui" se commettaient par toute la France.

La Reine, ma maîtresse, lui dit-il tout d'abord, ne sait que croire ni que penser, en voyant que, sans distinction d'âge ni de sexe, ceux de la religion sont massacrés ; elle a donc tout lieu de craindre que l'honneur du Roi n'en soit entaché, et elle s'étonne qu'une princesse si prudente et si expérimentée que Votre Majesté y ait prêté les mains. Il eût été aussi facile d'arrêter ces malheureux que de les égorger, et revenant sur ce qu'il avait déjà dit : Ma maîtresse ose espérer que le Roi s'en justifiera et devant Dieu, et devant les hommes.

Je ne suis point surprise, dit elle, de l'étonnement de votre maîtresse ; cette exécution a été faite avec plus de cruauté que le Roi mon fils n'aurait voulu. Il n'est pas un tyran ; l'on a eu bien de la peine à le contraindre à faire ce qu'il a fait. Le procès qui se poursuit démontrera l'imminence du danger auquel nous avons échappé ; nous avons été prévenus par des personnes non suspectes d'agir par passion religieuse, mais plutôt liées d'amitié avec l'amiral ; et elle prétendit que le matin même Montgomery était prêt à monter à cheval avec une forte troupe de cavalerie.

Mais, Madame, le jour où l'amiral a été blessé, il est venu me trouver pour savoir s'il y avait des troubles à craindre, et je lui ai répondu que je ne le pensais pas ; d'ailleurs il n'avait avec lui que quarante cavaliers.

Soit, je veux bien croire qu'il n'est pas aussi coupable que les autres ; depuis sa fuite, il a offert de se soumettre. Priez la Reine, votre maîtresse, de s'en rapporter uniquement aux explications que notre ambassadeur lui donnera. Et elle le congédia[106].

De ces divers entretiens, Walsingham en vint à cette conclusion qu'il y avait moins de péril à avoir la France pour ennemie que pour amie, et ce qui allait se passer en Picardie ne pouvait que le rendre encore plus défiant et plus hostile.

Sans tenir compte des remontrances de Charles IX qui avait insisté pour qu'il ne fît aucun quartier aux compagnons de Genlis et aux défenseurs de Mons, remontrances qui lui avaient été soumises par Mondoucet et appuyées par Philippe il, le duc d'Albe avait traité de la reddition de la place, accordé aux assiégés d'en sortir avec les honneurs de la guerre, enseignes déployées, et il avait reçu Ludovic de Nassau avec les plus grands égards. Philippe II, écrivait Gassot, au duc de Nevers, dont il était l'un des familiers, en est très mécontent, estant les affaires en si bons termes, le prince d'Orange dégoûté de son entreprise, et n'ayant aucune espérance du côté de la France[107].

Si, pour la première fois de sa vie, le duc d'Albe se montrait humain, c'est qu'il tenait à rendre la Saint-Barthélemy encore plus odieuse, et laisser à Charles IX le rôle de bourreau dont il ne voulait plus.

Ces malheureux Français qui, depuis des mois, luttaient si vaillamment à Mons avaient trouvé un généreux défenseur dans Mondoucet. Le 18 septembre il avait écrit à Charles IX : Ils pensent avoir agi par votre ordre et maintenant, voyant la démonstration que Votre Majesté a faite en France, ils ne savent plus de quelle part aller ; et, au sortir de Mons, ils ne demandent qu'à venir se jeter aux pieds de Votre Majesté et obtenir son pardon[108].

A ces touchantes supplications, le Roi répondit en donnant l'ordre de leur courir sus, et le duc de Longueville, chargé de leur souhaiter la bienvenue, les fera traquer, de ville en ville, de village en village, comme des bêtes fauves[109].

Un seul fut épargné, La Noue. Avait-on déjà jeté les yeux sur lui pour ramener ceux de La Rochelle à l'obéissance, ce que ni les lettres du Roi, ni les remontrances de Biron, n'avaient pu jusqu'alors obtenir ? Tout porte à le croire.

Avant de rentrer à Paris, il eut un entretien avec le duc de Longueville, et le conseil qu'il en reçut sur la conduite qu'il aurait à tenir, lorsqu'il serait en présence du Roi, indique bien dans quel état d'irritation était resté Charles IX, depuis la Saint-Barthélemy : Advisez bien d'estre sage et parlez sagement ; car vous ne parlerez plus à ce Roy doux, bénin et gracieux, que vous avez veu cy devant ; il est tout changé ; il a plus de sévérité ast'heure au visage qu'il n'a jamais eu de douceur[110].

Pendant que la Picardie était le théâtre de cette chasse à l'homme, Walsingham tombé malade, et ne se sentant pas assez bien rétabli pour demander audience, pria la Reine de lui envoyer un gentilhomme de confiance avec lequel il pût s'entretenir en toute sécurité.

Le 7 octobre, il reçut la visite de Mrs de Mauvissière et Brûlart. Catherine s'obstinant à croire que le mariage de son fils d'Alençon était encore possible, les avait envoyés pour lui en parler ; mais à la première ouverture de Mauvissière, Walsingham l'arrêta tout court : Après toutes les cruautés qui sans relâche se continuent contre ses coreligionnaires, comment voulez-vous, dit-il, que notre Reine puisse penser que le duc soit l'époux qui lui convienne ? puis brusquement il lui demanda des explications sur la flotte formidable que Strozzi rassemblait entre La Rochelle et Bordeaux, et sur le procès des prétendus complices, de l'amiral. Mauvissière lui promit de lui donner des assurances satisfaisantes sur la flotte de Strozzi et l'assura que le procès touchait à sa fin. Le 8 octobre, Brûlart vint tout seul le revoir ; il lui dit qu'on travaillait sans relâche au procès de l'amiral et de ses complices et qu'il lui en ferait bientôt connaître le résultat. Deux mille hommes détachés de l'équipage de la flotte de Strozzi venaient d'être envoyés à la frontière des Pays-Bas où les Espagnols massaient de grandes forces, et le Roi tenant avant tout à l'amitié de la Reine, sa maîtresse, elle n'avait rien à redouter.

Mais en dépit de ces pacifiques protestations, Walsingham resta avec tous ses soupçons. Autant, écrit-il à Smith, j'avais mis de bonne volonté à me fier à leur sincérité, autant maintenant j'ai des raisons de croire qu'ils ne veulent que nous endormir.

J'ai toujours eu bonne opinion du duc d'Alençon ; mais, la Reine mère ayant promis de passer en Angleterre et revenant sur sa parole, il me semble que l'on ne cherche qu'à gagner du temps ; aussi tout considéré, je vois plus de mal à craindre d'eux, que d'amitié à espérer ; il n'y a pas de fin à leurs cruautés ; il n'y a pas de ville qui échappe au massacre, là où il se trouve des gens de la religion[111].

Ce qui venait de se passer à Toulouse et à Bordeaux, et qu'il ignorait encore, allait donner raison à cette sinistre prédiction.

A Toulouse, calme complet jusqu'au 3 octobre. Ce jour-là, arrive de Paris Delpech, l'un des riches marchands de la ville. Il dit publiquement que l'on devait suivre l'exemple de Paris et qu'il en a l'ordre du Roi. Averti de pareilles provocations, Daffis, le premier président de la cour, et M. de la Valette, de passage à Toulouse, font défense à Delpech et à la bande qu'il avait recrutée d'user de violences à l'égard des protestants détenus encore dans les prisons. Au mépris de cet ordre, le soir même, sur les dix heures, Delpech, son fils et les deux conseillers, Richard et Lanthomy, suivis d'une soixantaine de batteurs de pavés, se font ouvrir les portes de la prison des Capitoul, en donnant le mot de guet, Saint-François, celles de la Conciergerie : sur l'ordre de Lanthomy, et massacrent jusqu'au dernier tous les prisonniers. L'historien de Thou évalue à deux cents le nombre des victimes[112].

Le bourreau logeait en dehors de la ville, il est mandé, et le lendemain on lui fait pendre à l'orme de la cour du palais de justice deux des conseillers du parlement de la religion, Latger et Ferrières, revêtus de leurs robes rouges. Coras, l'illustre jurisconsulte, avait refusé de sortir de la prison et y avait été tué. Il ne faut pas accuser le peuple de ce massacre, nous dit l'auteur anonyme de ce récit : ce sont les riches bourgeois de la ville qui y mirent la main, et il nous livre leurs noms[113].

A Bordeaux, dès la fin de Septembre, une certaine agitation s'était manifestée, et Montpezat avait écrit ait Roi : J'ai trouvé que Messieurs de la cour avoient arrêté que Mr Emond prescheur, seroit appelé en la dite cour pour lui faire des remontrances sur quelque langage qu'il tenoit en ses sermons, tendant à sédition, à ce qu'ils disoient, ce que j'ai bien voulu ernpescher, craignant que s'il y eût esté appelé, cela eût animé les habitants et été cause de quelque émotion[114].

Ces mesures de prudence furent insuffisantes : le 2 octobre, le bruit se répandit que le Roi avait envoyé à M. de Montferrand l'ordre de mettre à mort, sans autre forme de justice, quarante des principaux de la religion dont il avait désigné les noms dans un rôle signé de sa main. Les deux nuits suivantes, Montferrand fait entrer dans la ville un grand nombre de soldats, et ayant gagné tous les capitaines de la ville, qui auraient pu empêcher le massacre, il mande les jurats à son hôtel.

Et, sans leur montrer les ordres du Roi, il les emmène assister aux exécutions qui vont suivre. Le Parlement averti trop tard de pareils attentats l'appelle à sa barre ; mais il n'obéit pas, et, durant que la cour est encore en séance, il parcourt les rues à cheval et fait massacrer par sa bande trois conseillers du Parlement et d'autres notables personnages au nombre de quatre-vingts ; puis les prisons sont de nouveau forcées, et tous ceux, qui y étaient encore enfermés, égorgés. Quand il n'y eut plus de victimes à frapper, une proclamation défendant le pillage est affichée sur toutes les murailles de Bordeaux[115].

Le premier président du Parlement, Lagebaston, auquel nous empruntons ce lamentable récit, était de longue date tenu en suspicion, pour avoir épousé une protestante et continué des liaisons intimes avec ceux de la religion. Craignant pour sa vie, il s'enferma dans le château du Ha, d'où il écrivit au Roi :

Sire, il n'est point vraisemblable qu'il soit entré en votre cœur de commander tels exploits estre faits en ville fort paisible, non seulement parce que vous aimez vos sujets comme le père fait ses enfants ; mais aussi pour ce qu'avec l'Eglise catholique vous aimiez mieux leur retour à la vraie religion, comme par de çà ils y retournoient à trouppes tous les jours, que non pas de les faire massacrer et affoiblir vos forces d'autant. Il semble au plus clairvoyant qu'il n'y a rien ici de semblable à l'exemple de ce qui s'est fait à Paris, d'autant que là, Votre Majesté aussi et la Reine votre mère et Messeigneurs vos frères y estant, et la conspiration prête à exécuter et si pressante qu'elle ne pouvoit attendre la voie ordinaire de la justice, il a mieux valu commencer par prévenir que de estre prévenu, comme aussi vous avez déclaré en vostre cour de Parlement, l'avoir fait pour cette seule cause ; mais en cette ville, de laquelle vous êtes esloigné de six à sept vingt lieues, il n'y a rien de semblable. Telle exécution s'est faite ici et continue fort mal à propos, d'autant que Montauban, Castres et autres villes du Languedoc ne regardent que la mine et contenance de La Rochelle et que, faisant la rétive à se remettre entièrement en vostre obéissance, elle pourra pour son importance être la ruine de toute la Guienne déjà d'ailleurs presque ruinée[116].

Charles IX dont on s'est servi du nom et des prétendus ordres, peut-il, en bonne justice, être accusé de ces derniers massacres ? Une lettre de lui au duc de Longueville, datée du 30 septembre, ne peut-elle pas être invoquée à sa décharge :

Mon cousin, d'autant que sur ce qui est puis naguères advenu en ma ville de Rouen où le peuple assemblé a par force ou violence rompu les prisons où étoient aucuns de la nouvelle opinion, et là tué tous les prisonniers, quelque résistance et empêchement que ma cour de Parlement et autres, mes officiers, ayent pensé d'y faire, ceux des autres villes se voudroient, possible, servir de cet exemple et faire le semblable, ce que vous sçavez estre directement contre mon vouloir et intention, je vous prie, incontinent la présente reçue, faire de rechef expresses défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de tuer, piller, saccager en aucune sorte que ce soit, sous couleur et prétexte de religion, à peine contre ceux qui y contreviendront d'être punis de mort sur-le-champ sans aucune forme de procès[117]. Une lettre de Montpezat, très compromis pour n'avoir rien empêché à Bordeaux, et adressée d'Agen, le 22 octobre, au duc d'Anjou, témoigne également de la très vive irritation du Roi, en apprenant ce dernier massacre qui allait soulever les colères à demi apaisées d'Elisabeth et de l'Allemagne protestante :

Monseigneur, je vois bien que je tombe de fièvre en chaud mal, vous merciant très humblement de ce qu'il vous plaist me mander du mal contentement qu'a Sa Majesté de ce qui s'est passé à Bordeaux et de la bonne opinion qu'il vous plaist d'avoir qu'il n'y ait de ma faute[118].

Mais ce regret que Charles IX manifesta du massacre de Bordeaux ne profita en rien à Briquemault, et à Cavaignes, sacrifiés tous deux à la raison d'Etat.

Si de leurs aveux, en effet, la preuve était acquise de la conspiration imputée aux chefs protestants, la Saint-Barthélemy était assimilée au simple cas de légitime défense, et Charles IX et Catherine justifiés vis-à-vis de l'Europe.

Briquemault s'était d'abord réfugié à l'hôtel de la princesse de Condé, puis à l'ambassade d'Angleterre où il fut pris, au grand mécontentement de Walsingham. Cavaignes, auquel Renée de Ferrare avait donné asile, fut livré par sa fille, la duchesse de Nemours, à laquelle elle l'avait confié. Dans leur procès, les rôles furent intervertis : Briquemault, l'homme d'épée, le vétéran des guerres civiles, chercha, nous dit Petrucci, l'ambassadeur de Toscane, à sauver misérablement sa vie[119] et, si l'on en croit Mézeray, il proposa même le moyen de prendre La Rochelle, tandis que Cavaignes, l'homme de robe, se défendit avec dignité et courage[120].

Gassot, l'un des serviteurs du duc de Nevers, ce même Gassot qui sollicitera plus tard la confiscation des biens de Téligny, écrivit également au marquis de Villars que Cavaignes lui-même avait reproché à Briquemault de se montrer foible de cœur[121].

Pour donner plus d'autorité, plus de retentissement à la condamnation, décidée à l'avance, Coligny fut impliqué dans le procès. La cour, dans son arrêt, décréta que son effigie serait suspendue à une potence de la place de Grève, tout à côté de celles de ses deux complices, Cavaignes et Briquemault, qu'elle y resterait vingt-quatre heures, puis serait traînée à la queue d'un cheval par les rues de Paris et attachée au gibet de Montfaucon ; que tous ses portraits seraient brisés et foulés aux pieds par la main du bourreau, ses biens confisqués, ses armoiries rompues, ses enfants proclamés roturiers, sa maison de Châtillon rasée ; qu'en son lieu et place serait dressé un pilier et que sur une plaque de cuivre serait inscrit l'arrêt de condamnation ; enfin que, chaque année, des prières publiques et des processions solennelles auraient lieu, le 24 août, pour rendre grâces à Dieu de la découverte de sa criminelle conspiration.

Le 27 octobre, le jour même où Elisabeth d'Autriche donnait une fille à Charles IX, Briquemault et Cavaignes, mis sur une claie, furent traînés en Grève, injuriés par la populace massée sur tout le parcours.

Si nous nous reportons à douze années en arrière, une vieille gravure du temps nous montre toutes les femmes de la cour d'alors, assistant des fenêtres du château d'Amboise au supplice de Mazères et de Castelnau, les deux lieutenants de la Renaudie. Menée, malgré elle, à cet horrible spectacle, la jeune duchesse de Guise revint toute éplorée trouver Catherine de Médicis.

Qu'avez-vous donc, lui dit la Reine, à vous lamenter ainsi ?Ah ! Madame, je viens de voir la plus piteuse tragédie ; je ne doute point qu'en bref un grand malheur ne tombe sur notre maison et que Dieu ne nous extermine de tout pour les cruautés et inhumanités qui s'exercent[122].

Mais la guerre civile avait endurci les cœurs, et l'on s'était habitué à voir couler le sang. Toutefois, Brantôme, si indulgent d'ordinaire pour Charles IX, lui reproche d'avoir voulu voir mourir les deux condamnés : D'aucuns ne le trouvent beau, disant que c'étoit aux rois d'estre cruels seulement toutes et quantes fois que le cas le requiert, mais doivent encore moins estre spectateurs, de peur qu'ils ne s'accoustument à choses plus cruelles et inhumaines[123].

Et non moins sévère, Walsingham écrivit à Leicester[124] : Entre toutes les tragédies, la dernière est la plus surprenante, et la plus extraordinaire. Voir exécuter en, personne un de ses sujets, et un de ses plus vieux soldats est un exemple inusité parmi les chrétiens. Dieu ne permettra pas qu'un prince d'un tel caractère demeure longtemps sur son peuple.

En regard de ces dures appréciations, nous qui, à la distance où nous sommes du XVIe siècle, n'en partageons ni les passions, ni n'en subissons les influences, sans vouloir plaider les circonstances atténuantes, nous nous permettrons de dire que, dans la présence de Charles IX et de Catherine à ce supplice des deux condamnés, il entrait encore plus de politique que de cruauté. Par le côté théâtral de cette exécution, ils tenaient à affirmer devant l'Europe l'existence d'une conspiration à laquelle elle croyait si peu.

La nuit était venue et, pour que l'on ne perdît rien de la vue du supplice, des torches furent allumées autour de l'échafaud. Au moment où Briquemault montait à la sinistre échelle, le lieutenant du prévôt l'arrêta et lui demanda s'il n'avait pas de nouvelles révélations à faire. Le courage lui était revenu, et se tournant vers le peuple qui l'entourait : Tout ce que j'ai confessé est faux, s'écria-t-il, je n'ai jamais songé à conjurer contre le Roi ni contre l'Etat. Je prie Dieu au tribunal duquel, je vais bientôt comparaître de vouloir pardonner au Roi et à tous ceux qui sont cause que je meurs injustement, comme je souhaite qu'il me pardonne les péchés que j'ai commis.

Cela dit, il continua à gravir les échelons, puis s'arrêtant une seconde fois et prenant de nouveau la parole : J'ai quelque chose à révéler au Roi, mais je vois bien que je ne le peux ; puis il haussa les épaules, comme s'il voulait exprimer qu'il n'avait plus rien à dire et se livra au bourreau.

Quant à Cavaignes, jusqu'à la fin, il resta muet. Le supplice achevé, la foule se rua sur la potence, la renversa et, s'acharnant sur les deux cadavres, s'en disputa les lambeaux qu'elle promena dans toutes les rues.

Telle fut la dernière scène du drame qui depuis le 24 août ensanglantait la France.

 

XIII

Le supplice de Briquemault et de Cavaignes, sur lequel Catherine et Charles IX avaient compté pour affirmer de nouveau la conspiration des huguenots et innocenter ainsi la Saint-Barthélemy, n'avait en rien modifié l'état des choses. L'odieux du massacre était aussi profitable aux puissances protestantes qu'aux puissances catholiques, également intéressées à l'isolement de la France. Toutes les dépêches de nos ambassadeurs à l'étranger témoignent de leur hostilité, et ce qui allait tout à la fois ouvrir les yeux à Catherine et l'épouvanter, c'était le rapprochement qui se ménageait entre l'Angleterre et l'Espagne. Mondoucet, le premier, avait eu vent des secrètes menées du duc d'Albe et en avait prévenu le Roi : Le duc fait force dépêches, à cette heure, du côté de l'Angleterre, et a bonne envie de se remettre en ménage avec la reine Elisabeth ; en quoy j'entends qu'elle prête l'oreille, ayant par de çà quelqu'un de ses gens où l'on négocie avec lui pour la reprise du trafic (t)[125].

Ce que Mondoucet n'avait fait qu'entrevoir, La Mothe-Fénelon l'affirme, le 10 octobre : Je sens bien, Sire, que toutes choses ont commencé et continuent de devenir contraires par de çà et même pour l'horrible tragédie qui s'est jouée à Rouen ; ceux de ce conseil ne travaillent en rien tant, à cette heure, que de chercher comment la dite dame se pourra retirer de votre intelligence et observent le temps quand et à quelle occasion elle le pourra faire sans danger. Donc les partisans de l'Espagne ont le vent en poupe et sont ceux qui plus que les autres, bien que la ruine des protestants leur plaise, aggravent les meurtres et exécutions de France, élèvent jusques au ciel le duc d'Albe de ce qu'il a su par sa valeur repousser l'armée du prince d'Orange et reprendre Mons et a gardé la capitulation à ceux du dedans et n'en a tué pas un seul sous la sûreté de sa parole. Guaras est depuis deux jours à Windsor[126].

Il fallait donc à tout prix détourner l'Angleterre de ce rapprochement avec l'Espagne, qui semblait imminent. Fort heureusement l'accouchement de la jeune femme de Charles IX fournit à Catherine le prétexte de flatter l'orgueil d'Élisabeth, moyen infaillible de se la rendre favorable. Elle se hâta d'envoyer M. de Mauvissière à Londres avec la double mission de demander à la reine d'être la marraine de la petite princesse et de vouloir bien reprendre les propos de son mariage avec le duc d'Alençon. Un plus habile ambassadeur ne pouvait être choisi. Il s'était déjà fait apprécier et aimer en Angleterre par sa modération ; mais, à sa première ouverture, Elisabeth se déroba et avec une simulée sincérité : Vous me voyez, dit-elle, bien embarrassée, après ce qui vient de se passer en France ; si je m'adresse pour me représenter à n'importe quel personnage, il pensera que je le tiens en bien peu d'estime et que je veux me défaire de lui.

Mauvissière ayant cherché à effacer cette mauvaise impression : Il y en a même, reprit-elle, qui craignent le contre-coup de la Saint-Barthélemy en Angleterre ; puis venant au projet de son mariage avec le duc d'Alençon : Les choses en étaient en si bons termes qu'il n'y avait plus de grave difficulté ; mais, à cette heure, je m'aperçois que le physique, l'inégalité d'âge et la différence de religion, y mettent plus d'empêchements que je ne me l'étais d'abord figuré ; je vous reverrai dans quelques jours[127].

Il eut beau insister, il ne put obtenir une réponse plus favorable.

Dans une nouvelle lettre à Catherine, datée du 15 novembre, il en donne la véritable explication : Le roi d'Espagne a écrit à la reine Elisabeth une lettre fort pleine d'affection et d'offres et d'une quasi soumission qui semble ne convenir gueres à la grandeur d'un tel prince ni à la récordation des injures qu'il a reçues. Tant y a qu'en la dite lettre, après beaucoup de belles et bonnes paroles, il insiste au renouvellement des anciens traités et de l'ancienne confédération d'entre cette couronne d'Angleterre et la maison de Bourgogne et qu'il est prêt de la confirmer et de jurer de nouveau.

J'entends qu'il est arrivé un navire de La Rochelle et que quelqu'un de ceux qui étoient dedans, est allé jusqu'à Vindsor. Le soupçon et défiance croît de plus en plus en ceux-ci et ne peuvent, ni par mes paroles ni par les propres lettres de Votre Majesté, aucunement se rassurer[128].

A cette lettre Catherine répond le 28 octobre : Il n'a esté rien fait contre la reine d'Angleterre et ses sujets et ne lui a esté donné aucune occasion de penser que nous veuillons seulement enfreindre nostre traité. Si le Roi a esté contraint de châtier ses sujets rebelles et qui avoient conspiré contre sa personne et son Estat, cela ne la touche aucunement, et, pour ce qu'ils disent que, voyant les meurtres, qui ont esté faits en plusieurs villes du royaume par les catholiques contre les huguenots, ils ne se peuvent assurer de l'intention et volonté du Roy qu'ils n'en voyent quelque punition et justice et ses édits mieux observés, la reine Elisabeth connaîtra bientôt que ce qui est advenu aux autres lieux que cette ville a esté entièrement contre la volonté du Roy, lequel a délibéré d'en faire telle punition et establir bientôt un si bon ordre que chacun cognoistra quelle a esté en cet endroit son intention[129].

Mais ne faut-il pas chercher une autre cause aux hésitations d'Elisabeth ? Elle qui avait mis la main si avant dans nos premiers troubles ; elle qui, en 1563, s'était saisie du Havre en pleine paix, n'entrevoyait-elle pas, dans la guerre civile qui se rallumait sur tous les points de la France, la chance inespérée de ravoir Calais.que le traité humiliant de Troyes lui avait fait perdre en 1564 ? N'y était-elle pas d'ailleurs encouragée par les lettres incessantes qui lui venaient de la Rochelle ?

Le 16 novembre, Languillier, l'un de ceux qui y avaient le plus d'autorité, écrivait : Sentant l'orage prêt à tomber sur nos têtes, pour après s'étendre plus loin et ruiner la Sainte Eglise du Seigneur, et élever en plus grand triomphe celle de l'Anté-Christ, nous recourons plus hardiment à Votre Majesté, suppliant de nous faire tant de faveur et de grâce que de nous supporter, secourir et aider des grandes forces et infinis moyens que Dieu a mis en vos mains[130].

Au xvie siècle, l'idée de patrie n'avait pas sur les cœurs la puissance, l'empire qu'elle exerce aujourd'hui sur les nôtres. Elle n'était pas mise, comme maintenant, au-dessus de tout. A quelques jours de là, faisant allusion au massacre de Bordeaux, les habitants de la Rochelle écrivirent de nouveau à Elisabeth : Votre Majesté ne peut ni ne doit tenir la ligue avec ceux qui veulent exterminer votre peuple de la Guienne qui, de toute éternité, vous appartient, de quoy Votre Majesté leur fait encore cet honneur d'en porter les armes. Ce considéré, Madame, qu'il vous plaise de leur aider de vos forces et moyens et ils consacreront et exposeront leurs vies et biens pour vous reconnoître leur Reine Souveraine et leur princesse naturelle[131].

C'est donc vainement que Mauvissière prolongea son séjour à Londres, espérant toujours obtenir une meilleure solution. A son départ, Élisabeth se borna à lui dire que Walsingham ferait connaître sa réponse à la proposition si flatteuse d'être la marraine de la fille de Charles IX.

 

XIV

A Rome la situation s'était profondément modifiée et dans un sens non moins défavorable à la France. L'espoir, un instant conçu, de voir Charles IX entrer enfin dans la ligue catholique contre le Turc et appliquer en France les décrets du Concile de Trente, s'était bien vite évanoui. Néanmoins Férals avait pu obtenir du Saint-Père que le cardinal Ursin, qui déjà était en route pour la France, restât à Avignon et y attendît de nouveaux ordres ; il avait fait valoir les craintes que sa venue inspirerait aux princes d'Allemagne et à Elisabeth ; mais, dans les premiers jours d'octobre, revenant à sa première idée, Grégoire XIII lui représenta que le séjour en France du marquis d'Ayamonte, envoyé par Philippe II pour complimenter Charles IX de l'heureux succès de la Saint-Barthélemy, était un acte plus significatif et plus agressif que l'envoi de son légat. Férals répliqua que le marquis d'Ayamonte n'était qu'un ambassadeur ordinaire, tandis qu'un légat extraordinaire aurait à débattre les questions religieuses, le grand danger du moment[132].

Sur ces entrefaites le cardinal de Ferrare vint à mourir, et usant de représailles, le Pape, de sa propre autorité, ayant disposé de tous les bénéfices dont il jouissait, et, le conflit s'envenimant de plus en plus, Catherine, toujours prudente, écrivit au cardinal Ursin le 28 octobre : Le Roi mon fils, craignant vous voir en trop grande incommodité à venir le trouver, si la saison d'hiver prochain s'avance davantage, a advisé envoyer devers vous ce courrier exprès avec ses lettres, pour vous advertir que, lorsque votre commodité le portera, vous pourrez bien vous acheminer par de çà[133].

Les dangers qu'amènerait infailliblement la présence du légat à la cour de France, ainsi que Férals l'avait représenté au Saint-Père, n'étaient que trop réels. Charles IX les signale, dans une lettre du 2 novembre au comte de Retz, qui poursuivait alors à Metz une négociation secrète avec le comte Palatin et le duc Casimir son fils.

Je sais bien que la reine d'Angleterre à écrit aux princes Allemands, aux cantons protestants par messager exprès, que, pour certain j'avois délibéré et résolu d'entrer dans la ligue catholique et que ce n'étoit pas pour l'employer contre le Turc, mais contre elle et les princes de la Germanie ; sur quoy j'ay écrit à mon ambassadeur l'assurer du contraire, ce que vous ferez de notre part et aussi Schomberg, si vous êtes ensemble[134].

Schomberg ayant tardé à rejoindre le comte de Retz, Charles IX lui écrivit directement : Je m'assure que vous n'aurez rien oublié de faire entendre aux princes et seigneurs de l'Allemagne à qui vous aurez parlé ou écrit la vérité de toutes choses, et que les mauvais bruits que l'on y fait courir sur les choses qui sont advenues en ce royaume et les délibérations et intelligences que les dits bruits disoient que nous avions et avons encore, le Roy Catholique et moy, sont faux[135].

Toutes ces précautions étaient nécessitées par les mauvaises dispositions qui, sur tous les points de l'Europe, se manifestaient contre la France.

La reine d'Angleterre arme, écrivait, le 12 Novembre, le nouvel ambassadeur de Toscane, Vincenzo Alamanni, et ce ne peut-être que pour porter secours à La Rochelle. Le Roi a été averti que le roi d'Espagne cherche à s'accorder avec le prince d'Orange, et que le duc d'Albe l'y pousse[136].

Non moins défiant, Saint-Gouard mande, le 9 Novembre, au Roi : Le duc d'Albe, pour justifier sa mauvaise cause et son mal procéder aux affaires de Flandre, travaille par paroles mensongères à obscurcir l'honneur et la grâce que vous doivent le roy catholique et la salvation de ses Etats, lesquels étoient perdus sans remède par la faute du dit duc[137].

Mais le plus grand danger de la venue du légat, c'est qu'elle pouvait faire obstacle à la levée des six mille Suisses négociée par Bellièvre, les cantons protestants faisant mine de s'opposer à leur départ.

Durant que le cardinal Ursin, parti enfin d'Avignon, s'acheminait pour venir à la cour, les bruits les plus sinistres eurent de nouveau cours à Paris ; l'on n'y parlait rien moins que d'une nouvelle Saint-Barthélemy, et voici en quels termes Charles IX en fait part à Bellièvre : Ces jours-cy, étant allé à la chasse du côté de la Brie et la Reine ma mère et mon frère le duc d'Anjou à Monceaux, conduisant ma sœur de Lorraine qui s'en retournoit, aucunes canailles firent courir parmi le peuple un bruit, aussitôt que je fus parti, que je voulois qu'on exterminât et pillât ceux de la nouvelle religion estans en ceste ville[138].

Le duc de Nevers, le maréchal de Tavannes et le Cardinal de Gréquy eurent facilement raison de cette émeute, et Catherine, en les remerciant d'avoir maintenu l'ordre dans les rues, leur prescrivit d'en faire une punition exemplaire, de pareils bruits pouvant provoquer de nouveaux troubles[139].

A quelques jours de là, le 24 novembre, le Cardinal' Ursin entrait enfin dans Paris. Il n'a pas été reçu, se hâte d'écrire Walsingham, avec les égards dus à sa qualité, ce qui fait supposer que c'est pour aveugler les princes protestants[140]. Une lettre de Charles IX à M. de Bellièvre explique les véritables motifs de cette apparente froideur :

J'ai à vous louer, dit-il, du bon effort que vous avez fait pour oster hors de l'esprit des cantons protestants les mauvaises impressions que l'on leur avoit données des choses advenues au jour de la Saint-Barthélemy et depuis en aucunes villes de mon royaume, semblablement aussi l'impression qu'ils ont par là conçue que j'aye intention d'une ligue avec les autres princes catholiques, pour faire mettre à exécution par force en leur pays le concile de Trente ; à quoy servira beaucoup ce que vous en ayez rédigé par écrit et fait translater en Allemand, pour être répandu en plusieurs endroits de l'Allemagne où les esprits des protestants sont imbus des mêmes bruits, vous voulant bien dire que depuis votre partement je n'ay non plus pensé à l'établissement du concile que le faisois, lorsque vous êtes départy d'auprès de moy, ce que je vous dis affin que, si le séjour du légat, qui est plus long par déçà que je ne désirerois, donnoit quelque lieu à de semblables suspicions, vous soyez assuré, pour toute vérité, qu'il n'en est rien et que ce n'est chose à quoy je aye pensé ni pense en sorte du monde[141].

Mais le Cardinal Ursin ne se rebutait pas ; pour mieux décider Charles IX à entrer dans la ligue catholique, il en était venu à se contenter de sa simple adhésion, sans la moindre coopération, l'autorité de son nom leur suffisant, Ces nouvelles et incessantes instances ne furent pas mieux accueillies. L'état du pays ne le motivait que trop : Sancerre, Montauban, Nîmes, Sommières tenaient leurs portes fermées, tous les négociateurs envoyés à la Rochelle avaient échoué ; à bout de voies, Charles jeta les yeux sur La Noue, qui voulut bien accepter la délicate mission de porter à la Rochelle des paroles de conciliation et de paix.

Voilà sous quelles sombres prévisions finissait l'année 1572, lorsque, le 23 décembre, Mauvissière revint de sa mission en Angleterre.

Le jour même de sa rentrée à Paris, Walsingham vint le visiter et à la suite de leur entretien il demanda audience. Catherine n'étant pas encore remise de son opiniâtre catarrhe, il fut reçu le lendemain par Charles IX. Tout d'abord il revint sur les massacres qui avaient eu lieu dans les provinces, et se plaignit de ce qu'on forçait d'abjurer tous ceux qui avaient pu échapper à la mort ; c'était évidemment l'anéantissement de la religion protestante que l'on poursuivait. La reine, sa maîtresse, avait donc eu lieu de s'étonner que le Roi eût pu songer à elle pour être la marraine de sa fille.

Charles IX répondit que le massacre des protestants par la populace des villes était un fait accompli, qu'il le regrettait profondément ; mais qu'il n'était plus possible d'y remédier. Il ajouta que l'exercice de deux religions ne pouvait être toléré dans le royaume.

Le préambule un peu aigre de Walsingham n'avait pour but que de donner plus de prix aux concessions qu'Elisabeth l'avait chargé de faire en son nom. Si j'ai parlé du passé, reprit-il, c'est uniquement pour exprimer à Votre Majesté la douleur que ma maîtresse a ressentie d'entendre si mal parler de ce qui s'est passé en France. Si elle avait écouté l'avis de ses propres conseillers et ceux des princes ses voisins, non-seulement elle n'aurait pas accepté d'être la marraine de la fille de Votre Majesté, mais elle aurait rompu toutes relations. Ce qui l'a retenue, c'est l'attachement qu'elle a voué à Votre Majesté dès son âge le plus tendre ; elle n'a donc voulu voir dans l'offre que vous lui avez faite qu'une nouvelle preuve de l'amitié que vous lui portez. Et il s'empressa de lui annoncer qu'elle enverrait en France un personnage de distinction, pour, en son lieu et place, tenir sur les fonts du baptême sa fille nouveau-née[142].

Charles IX l'en remercia vivement et en profita pour lui parler de nouveau du mariage du duc d'Alençon et le prier de l'appuyer.

Si Elisabeth, après l'insuccès apparent de la mission de Mauvissière, était revenue sur son premier refus, c'est qu'une secrète intrigue s'était nouée entre elle et le duc d'Alençon. Le duc, c'est ici le lieu de le dire, avait hautement blâmé la Saint-Barthélemy, et n'avait pas caché à Walsingham les regrets, l'horreur qu'il en ressentait. L'on disait même qu'il avait promis aux chefs protestants de venger la mort de Coligny et qu'il s'était déjà secrètement lié à eux. Ce qui était plus grave, il avait formé le projet de se réfugier en Angleterre et, pour préparer sa fuite, il y avait envoyé un de ces personnages équivoques comme l'on en retrouve à toutes les époques troublées. Il se nommait Maisonfleur ; après avoir guerroyé en Italie sous les ordres du duc de Guise, il était devenu écuyer tranchant de Charles IX ; puis s'était fait protestant. On a de lui un recueil de psaumes, et Brantôme lui a dédié quelques-unes de ses poésies[143].

Le vaisseau sur lequel le duc d'Alençon devait s'embarquer resta longtemps en vue des côtes de Normandie. Il n'y a pas à en douter. Dans une lettre à Burghley, Maisonfleur lui révèle le secret et le but de sa mission : Sachez-donc, Monsieur, que lorsque je fus adverti que l'on avait découvert le fonds de ma négociation à Mauvissière, la crainte que j'ay eue que, lui étant de retour à la cour, par ce moyen il n'en arrivât inconvénient à la personne de Monseigneur le duc, je lui écrivis une bien longue lettre, par laquelle je l'advertissois de la susdite découverte et de ce qu'il lui en pourroit arriver, s'il ne donnoit bon ordre à ses affaires, et par ainsi qu'il s'advisât à se dépescher de venir en ce pays avant l'arrivée de Mauvissière à la cour ; qu'il n'oubliât pas aussi d'amener quant et lui son beau frère[144] et son cousin[145] ; et, quoi qu'il en fût, qu'il se hantât de s'en venir au Havre où le vaisseau armé l'attendait. Je ne veux point nier que je ne l'exhortasse et sollicitasse de venir en Angleterre, avec espérance que, quand il serait par deçà, il ne pourrait faillir, avec le temps, de parvenir au but où il prétendoit, à sçavoir d'épouser sa maîtresse, quand elle verrait qu'il se seroit mis en devoir de la venir trouver pour se ranger auprès d'elle et lui faire service, lui remontrant qu'encore qu'elle ne m'ait voulu jamais accorder de dire oui et me donner sa parole de l'épouser, si est-ce toutefois que je m'osois à quasi assurer, qu'estant par deçà, il y recevrait un accueil si favorable et un si bon traitement, qu'il ne devoit point faire de doute qu'en fin de compte il ne vint à bout de son entreprise, mais qu'avant de lui faire une entière démonstration de sa bonne volonté et lui accorder son désir, il fallait qu'il se séparât du conseil et de la présence de ses plus proches, autrement il m'estait advis que l'on ne se pouvait fier en lui ; car sa maîtresse avoit esté par tant de fois trompée de ce côsté-là, qu'elle n'estoit pas délibérée de s'y fier jamais que sur bons gages, et pour ce, tant pour la crainte que j'avois que le rapport de Mauvissière ne lui fisse tort, comme par l'extrême désir de le voir ici auprès de sa maîtresse, je le priois, je lui conseillois, je l'exhortois, je le sollicitois, je l'adjurois, par tout ce qu'il avoit de plus cher au monde, que, après ma lettre reçue, il ne faillit à monter à cheval et s'en venir au Havre où on l'attendoit avec le vaisseau[146].

Au dernier moment, le duc d'Alençon recula-t-il, ce qui était le propre de son indécis caractère, ou, par suite d'un avis transmis par Mauvissière, ne put-il se dérober à l'étroite surveillance de la reine sa mère ? Tout porte à le croire et Maisonfleur en prévint Burghley : J'arrivoy hier à Douvres où j'ay séjourné quatre jours attendant nouvelles du seigneur que scavez ; mais après avoir considéré que du vent qui régnait pour lors le vaisseau qu'avez envoyé devoit à son retour de çà plustôt prendre la route de la Rye que de Douvres, il m'a semblé que, pour l'incertitude du lieu où il arrivera, il estoit meilleur de revenir en cette ville pour y attendre les nouvelles, ce que j'ay fait[147].

A son tour, Walsingham parle, mais à mots couverts, de ce projet de fuite dans une lettre à Burghley datée du 22 décembre : Davison souhaite que le vaisseau demeure encore huit ou dix jours, afin que, s'il change de sentiment, après avoir mieux réfléchi, il soit en mesure d'en profiter. J'ai pris des mesures avec eux pour en envoyer un au port[148].

Mais la défiance reprenant le dessus, Je sais bien, ajoute-t-il dans une nouvelle lettre à Leicester, qu'ils ne savent à quoi se résoudre. Si ceux, qui négocient de delà, clochent et ne parlent le même langage, je trouve la même inconstance et les mêmes variations en ceux qui négocient avec moi. Pour déguiser les choses, ils empruntent certains noms à l'Amadis des Gaules ; en quoi ils ont raison de donner des noms chimériques à des chimères[149].

C'était bien là le langage d'un diplomate pratique et circonspect ; mais Elisabeth, tout en possédant au plus haut degré les qualités d'un véritable homme d'Etat, n'en était pas moins femme, et par moments elle en reprenait toutes les futilités, tous les caprices. Une fois le duc d'Alençon dans ses mains, pour la rançon d'un pareil otage, elle eût peut-être exigé Calais, son éternelle convoitise ; mais sa fantasque imagination avait dû se laisser séduire par le côté romanesque de l'aventure, et ce semblant de rapprochement presque amical avec la France, en servant de couverture à cette dernière intrigue, lui permettait de la poursuivre encore plus secrètement.

Quant à Catherine, Madame la Serpente, ainsi que l'appelle Maisonfleur, ou elle fut, ainsi qu'il le craignait prévenue à temps par Mauvissière, de ce projet de fuite et avec sa dissimulation habituelle se borna à y mettre obstacle, ou, si elle ne le fut pas, elle crut avoir gagné sa partie en Angleterre, sans se douter qu'elle n'en était redevable qu'aux mystérieux projets de Maisonfleur.

 

XV

Le Cardinal Ursin quitta enfin Paris dans les premiers jours de janvier 1573.

A son audience de congé, en son nom personnel, et sans y mêler celui du Pape, il proposa à Charles IX de s'entendre secrètement avec le duc de Savoie pour la destruction de Genève, la citadelle imprenable du calvinisme. Pour mener à bonne fin cette entreprise, le duc se contenterait d'une simple lettre du Roi et en prendrait à sa charge tous les frais, à la seule condition qu'ils lui seraient remboursés plus tard. Charles IX répondit à cette brusque ouverture que son royaume était dans un tel état qu'à l'heure présente il ne pouvait songer qu'à lui rendre un bon et assuré repos et, en toute vérité, il put écrire à Saint-Gouard : Le légat est parti comme il était venu[150].

Dans les jours qui suivirent le départ du cardinal Ursin, une nouvelle alarme vint de la Bresse : Le duc de Savoie avait fait arrêter tous ceux de la nouvelle religion qui y résidaient et tous les réfugiés de la Saint-Barthélemy.

Charles IX s'empressa d'écrire à Bellièvre que le duc ne lui en avait jamais parlé et qu'en tout cas il n'en avait jamais donné le conseil[151] ; mais, en dépit de ces pacifiques déclarations, la situation intérieure s'était de plus en plus aggravée : La Noue n'avait pu vaincre l'obstination des défenseurs de la Rochelle, et le duc d'Anjou, suivi du Roi de Navarre, du prince de Condé et du duc d'Alençon, en avait pris le chemin, sans avoir à ses côtés le grand homme de guerre auquel il devait ses deux victoires de Jarnac et de Moncontour. La maladie, qui devait l'emporter, retenait Tavannes à son château de Sully. La Châtre et Damville, de leur côté, étaient devant Sommières et Sancerre ; c'était donc la guerre civile et sur tous les points. Un dernier espoir restait à Catherine, elle s'était mise en tête qu'Elisabeth, en se faisant représenter à la cérémonie du baptême de la fille de Charles IX, par Worcester[152], un bon catholique, était mieux disposée à poursuivre la négociation de son mariage avec le duc d'Alençon qu'elle ne l'avait été, lors du séjour de Mauvissière en Angleterre. La cérémonie du baptême ayant eu lieu le 2 février, dès le lendemain, elle s'en expliqua avec Worcester : Combien je regrette, lui dit-elle, que mon fils d'Alençon soit retenu au siège de la Rochelle, et que vous ne puissiez le voir. Il est bien changé à son avantage depuis le jour que lord Lincoln est venu ici. Son visage s'est amendé ; la barbe commence à lui venir, et sa taille ne le cède en rien à celle de ses deux aînés. A ce siège où le devoir l'appelait, il apprendra à commander.

Worcester lui représenta que reprendre en ce moment les propos de mariage, ce serait plutôt en retarder la conclusion, et il lui conseilla de laisser passer quatre mois sans en parler, afin de voir quelle tournure prendraient les affaires de France[153].

Cette réponse évasive n'était pas faite pour la contenter. Le matin du jour où Worcester partit, elle eut un entretien avec Walsingham, et de nouveau elle lui exprima combien elle regrettait que son fils d'Alençon n'ait pu venir voir Worcester, avant qu'il ne prît congé ; mais le devoir le retenait au siège de la Rochelle.

Il est fâcheux, répondit-il, que le Roi l'ait employé à une guerre contre ses sujets. Ne pas y aller, eut été préférable, et aurait été pris en borine part par notre Reine et par toute l'Angleterre.

Un prince qui a du sang dans les veines, répliqua-t-elle, ne peut pas rester dans l'inaction ; il était de son honneur d'aller partager les dangers de son frère[154].

Il y avait une arrière-pensée dans le conseil donné par Worcester à Catherine de laisser passer un si long délai avant de reparler du mariage du duc d'Alençon. Une lettre de la Mothe-Fénelon nous en révèle toute la perfidie : Les Anglais, écrivait-il le 15 février, veulent entreprendre de secourir La Rochelle ; et pour cela, Worcester avait l'ordre de ne pas trop séjourner en France[155].

Une lettre de lui, datée du même jour, est encore plus alarmante : Il ne se parle rien de plus chaudement en ce royaume que de secourir ceux de La Rochelle, et ce qui échauffe davantage les Anglais, c'est qu'il vient ordinairement des leurs par mer du dit lieu, par lesquels est mandé que, s'il se peut présenter quelques forces vers la Guienne, en faveur de ceux de la religion, qu'inévitablement il s'y suscitera bien forte guerre civile et qu'il se pourra facilement reconquérir une bonne partie de tout le pays que ceux de la religion avoient occupé aux derniers troubles ; en quoy, pour se prévaloir d'une si belle occasion, si d'adventure elle s'offroit, l'on m'a adverti qu'il a esté mandé vers le quartier d'ouest de tenir prêts dix mille hommes et mille chevaux les mieux choisis d'Angleterre ; mais cela, Sire, ne se peut bien résoudre jusqu'à la réponse de l'homme du comte Palatin, qui doit apporter les réponses des princes protestants d'Allemagne[156].

Tout était donc à redouter de l'Angleterre et, le 8 Mars suivant, Charles IX écrivit à son frère le duc d'Anjou : La Reine Elisabeth ne sait point encore quel parti elle prendra ; dans ses propos, il y a toujours de belles paroles ; mais peu d'effets. Elle attend ce que deviendra le siège de La Rochelle ; il faut toujours qu'on veille sur la flotte et qu'elle se tienne sur ses gardes[157].

Du côté de l'Espagne, les mêmes défiances, les mêmes craintes : Saint-Gouard commençait lui aussi à voir clair dans les secrètes menées de Philippe II : Je ne veux pas être pronostic de mauvais pensement, avait-il écrit le 6 janvier au Roi, si conseillerois-je à Votre Majesté, que, ne méprisant tous mes advis, elle mît un meilleur ordre à ses affaires, sans se travailler de leurs ambitions et gagner autant de temps sur eux comme ils ont toujours su bien faire durant ces extrémités[158].

Charles IX était sur ses gardes, et le 20 janvier il répondit à Saint-Gouard : J'ai eu beaucoup de peine pour remédier à leurs artifices, ayant publié et voulu faire croire par le monde que nous avons juré la ruine de tous ceux qui font profession d'autre religion que de la nôtre, et que ce que j'avois fait étoit prémédité de longtemps. Leurs persuasions ont été reçues pour si fort vraisemblables, étant confortées d'allées et venues de ceux qui sont envoyés vers moy que, si la pure vérité n'eut eu assez de force pour surmonter son contraire, je tiens qu'il fussent parvenus au dessus de leurs intentions et qu'ils ne m'eussent longtemps éloigné et distrait de l'amitié de la Reine d'Angleterre et des princes et cantons protestants ; mais ils se la fussent acquise et assurée à mon dommage. J'ai pris par vos lettres éclaircissement de plusieurs conjectures que j'avois déjà remarquées à l'intention du roy catholique, lequel, sous couleur de piété et de religion, veut, s'il peut, accommoder les affaires des Pays-Bas, se réconcillier avec la reine d'Angleterre et les princes protestants et me laisser sur les bras les ennemis que nous nous sommes acquis pour la défense de cette querelle, et pendant qu'il me connoît occupé à la réduction de La Rochelle. Le duc d'Albe est toujours à Nimègue, faisant tout ce qu'il peut pour s'accorder avec la Reine d'Angleterre et augmenter aux princes de la Germanie la méfiance qu'ils ont encore de moy[159].

Et le 22 février, dans une nouvelle lettre, il énumère tous ses griefs : Ils ont toujours fait leurs affaires à mes dépens, je cuide qu'ils voudroient encores faire le semblable, ne se contentant de l'exécution que j'ay faite en mon royaume, laquelle a esté la salvation entière de leur Estat ; mais la calommiant et desprisant autant qu'ils peuvent,s'efforçantde rendre mes actions odieuses en Allemagne, et jusques en Pologne pour traverser l'élection de mon frère, à Rome et ailleurs. Le duc d'Albe fait sous main tout ce qu'il peut pour appointer avec la reine d'Angleterre, pratiquer le comte Ludovic de Nassau, afin de me rejeter sur les bras tout l'orage et me laisser seul demesler en la querelle à laquelle ils ont autant d'intérêt que moy. Le duc publie que je leur ai promis secours, que nous sommes tellement conjoints ensemble que nous avons juré et promis l'un à l'autre tous services pour exterminer tous ceux qui font profession d'autre religion que de la nostre, afin d'accroître la défiance que les protestants d'Angleterre ont conçue de moy pour les choses passées[160].

Cette lettre, c'était à la fois la condamnation de la Saint-Barthélemy et le retour forcé, indispensable à la politique que sa mère lui avait fait abandonner.

Il fallait donc, au plus vite, et surtout en vue de la candidature du duc d'Anjou au trône de Pologne, dissiper en Allemagne les défiances que le duc d'Albe et Philippe Il y avaient semées à pleines mains ; et ne se fiant pas même à des lettres chiffrées, Catherine et Charles IX rappelèrent Schomberg à Paris. Muni de nouvelles instructions il repartit sur-le-champ pour cette difficile campagne.

Il vit d'abord le comte Palatin, et son thème était fait à l'avance, ses arguments tous prêts : le Roi n'a pas voulu recevoir le légat du Pape, le cardinal Ursin ; il est moins disposé que jamais à entrer dans une ligue catholique contre le Grand-Seigneur ; il n'a pris aucune part à la Saint-Barthélemy ; depuis ce jour aucun protestant n'a été inquiété. Le duc d'Anjou campe, il est vrai, sous les murs de la Rochelle ; mais il n'exige des Rochelais que leur simple soumission, et leur garantit la liberté de conscience et le libre exercice de leur religion ; puis, répudiant, au nom de Charles IX, toute intelligence avec l'Espagne, il rappela à l'appui la récente ligue conclue avec l'Angleterre et en terminant cet habile plaidoyer, il conjura le comte Palatin d'intervenir auprès de la reine Elisabeth en faveur du duc d'Alençon et d'appuyer également la candidature du duc d'Anjou au trône de Pologne.

Le comte l'écouta sans l'interrompre, mais s'enferma dans une prudente réserve dont Schomberg ne put le faire sortir. Toutefois, son fils, le duc Jean-Casimir se montra plus favorablement disposé.

De Heidelberg, Schomberg alla voir le Landgrave de Hesse. De prime abord, celui-ci ne lui cacha pas les difficultés de sa propre situation. Je ne puis, lui dit-il, me mettre mal avec l'Empereur sans encourir le blâme des autres princes protestants ; mais pour venir en aide au duc d'Anjou, je puis secrètement faire obstacle à tout accord entre le roi d'Espagne et les Provinces unies. Que le Roi, votre maître, continue à regagner le cœur des princes protestants, comme il a déjà bien commencé. Dieu exaucera les ardentes prières que je ne cesse de faire pour sa grandeur et, dans ce but, que la Reine mère fasse en sorte que le Roi reprenne en grâce les enfants et la veuve de l'amiral[161].

A force d'instances, Schomberg put obtenir du landgrave une lettre pour la douairière de Brunswick, sœur du roi de Pologne, dans laquelle il la priait de prendre en main les intérêts du duc d'Anjou.

Mais il fut moins heureux auprès du duc de Saxe. Il revenait de Vienne et s'était laissé gagner par l'Empereur. Il soutint que Charles IX était complice du meurtre de l'amiral, et qu'il avait donné l'ordre à tous les gouverneurs de province de massacrer les protestants. Schomberg jugea bien qu'un pareil langage lui avait été suggéré par l'empereur Maximilien, et dans l'intérêt de la candidature de son fils, l'archiduc Ernest, au trône de Pologne ; il n'insista donc pas et crut également inutile d'aller voir le margrave de Brandebourg, qui décemment ne pouvait pas renoncer à soutenir la candidature du duc de Prusse, le moins dangereux des prétendants à la couronne des Jagellons[162].

Cette première campagne terminée, il se rendit à Francfort-sur-le-Mein où il devait avoir une entrevue avec le comte Ludovic de Nassau, entrevue ménagée par Galéas Frégose, dont nous retrouverons la main dans toutes les négociations secrètes. Le prince d'Orange s'était montré d'abord très défavorable à ce rapprochement avec la France. Le roi Charles IX, avait-il écrit à son frère, est décrié non seulement par de çà, mais par tous les endroits du monde, estant fort blasmé de perfidie, lui qui pour son titre ordinaire vouloit usurper le nom de Charles le véritable[163].

Wenceslas Zuleger, le chancelier du comte Palatin, lui avait écrit également : Du côté de la France il n'y a que mensonges et tromperies ; Frégose est homme fait pour mentir et tromper.

Mais le comte Ludovic n'était pas à ignorer que, à la suite d'une conférence tenue à Nimègue, des relations amicales avaient été reprises entre l'Angleterre et l'Espagne, et un accord conclu[164]. La France venant à lui et au moment où l'Angleterre s'en éloignait, il se rendit à Francfort, bien décidé à traiter, si les conditions étaient acceptables.

Schomberg tenait en réserve les armes que Catherine lui avait fournies. J'ai fait écrire par Brûlart à Schomberg, avait-elle mandé au duc d'Anjou, comme de lui-même, — et en chiffres —, afin qu'il fasse publier en Allemagne la délibération où est le roy d'Espagne de faire tuer le prince d'Orange et comme il y a gens dépêchez expressément, et qu'il s'en serve envers les princes protestants selon que les occasions se peuvent présenter, et qu'il ne faille pas de prester des charités à ceux qui si évidemment font publier toutes choses fausses, afin qu'il puisse traverser ce qu'ils veulent négocier[165].

A la suite d'une entrevue qui ne dura pas moins de huit heures, Schomberg et le comte Ludovic arrêtèrent les conditions suivantes : Si le Roi de France déclare la guerre à l'Espagne, la Hollande et la Zélande seront remises entre ses mains ; s'il ne veut pas rompre ouvertement et s'il promet de fournir un subside de trois cent mille florins, toutes les conquêtes à faire lui appartiendront[166].

Schomberg s'empressa de rendre compte à Catherine de la convention qu'il venait de conclure avec le comte Ludovic, et voici en quels termes il lui en fit apprécier tous les avantages :

Madame, le sieur de Frégose vous aura amplement fait entendre ce que je lui ay communiqué touchant les occurences de par deça et principalement touchant les affaires des Pays-Bas. J'espère qu'il vous aura apporté une bonne résolution du comte Palatin, vers lequel le comte Ludovic avoit fait aller son frère le comte Jean pour cet effet. Il ne faut pas doubter que Vos Majestés sçauront bien embrasser cette tant belle occasion. Le repos du royaume, Madame, la sûreté de l'Estat, la ruine du capital ennemy du roi votre fils (Philippe II), la vengeance du tort qu'il fait à Monseigneur le duc d'Anjou, la subversion de tous les desseins de la maison d'Autriche et le comble de vos désirs est entre les mains de Vos Majestés et dépend de vos volontés. Si vous laissez échapper cette belle entreprise, je désespère que vous la puissiez jamais rattraper ; mais, Madame, le tout est de se hâter et de tenir cette menée aussi secrète que Vos Majestés désirent les susdites choses sortir à bon effet. Depuis le portement de Frégose, je me suis encore assemblé avec le comte Ludovic, et nous avons débattu sur les entreprises qu'il a en mains, qui sont assurément grandes et belles, et sur les conditions qu'on pourroit mettre en avant entre le Roi et le prince d'Orange sur ce fait. Nous les avons mises par écrit. Madame, ajoutait-il, elles ne vous obligent à rien et n'ont été traitées par moi avec le comte Ludovic que pour faciliter la résolution du Roi ; mais le comte m'a dit plus de vingt fois, que, s'il n'avoit bien tôt une résolution du Roi, il prendroit parti et qu'il ne pensoit être obligé à rien, si on traîne les choses à la longue[167].

 

XVI

L'opinion publique commençait déjà à devenir une puissance avec laquelle il fallait compter. Charles IX l'avait si bien compris que, dans une lettre du ii novembre 1572, à M. de Bellièvre, il lui disait : Il y a un nommé Brutus, qui fait une histoire latine sur les mémoires du feu amiral de Châtillon, vous adviserez de retirer la dite histoire et mémoires en promettant argent pour une fois ou pension au dit Brutus, ainsi que vous verrez être à faire[168].

De son côté, Catherine écrivait, le 3 décembre, à M. de Bellièvre : Le Roy mon fils a eu très agréable la translation en allemand et impression que vous avez fait faire des choses que vous discourûtes aux Seigneurs des Ligues sur le fait du feu 'amiral de Châtillon, afin qu'il soit publié en allemand[169].

La grande préoccupation du Roi et de la Reine était donc que le récit de la Saint-Barthélemy ne fût fait que par une plume officielle. Cette crainte se fait jour dans une lettre que Charles IX écrira plus tard à M. de Thou, le premier président du Parlement de Paris :

Affin que ce que vous avez dressé des choses passées à la Saint-Barthélemy ne puisse estre publié parmy le peuple et mesmement entre les étrangers où il y en a toujours qui se mêlent d'escripre, je vous prie qu'il ne soit rien imprimé ny du français, ny du latin ; mais, si en avez retenu quelque chose, de garder vers vous, comme je fais ce que m'en avez envoyé que j'ay faict seulement escripre à la main pour m'en servir en ung seul endroit[170].

Tandis qu'à Sancerre, à La Rochelle, à Sommières, l'on va se battre à coups de canons, à l'étranger ce sera à coups de pamphlets, et désormais cette guerre de la plume ne cessera plus.

François Hotman publie à Genève son livre de Furoribus Gallicis[171], bientôt suivi par la première édition du Réveille-Matin des Français, paru d'abord en latin et imprimé à Bâle, le douzième jour du sixième mois après la journée de la trahison, ainsi que nous le dira la traduction française de 1574.

Mais ce n'est encore là qu'un appel aux passions religieuses. Dans un livre de patiente érudition, et qu'il qualifie lui-même d'historique, Hotman demande au passé des armes contre la tyrannie, et il justifie par la tradition les doctrines démocratiques dont il s'est fait l'apôtre. Le remède aux présents maux, c'est le retour aux lois fondamentales de la monarchie, aux grandes assemblées. A l'entendre, l'homme libre n'est pas fait pour subir le bon vouloir, le bon plaisir ; au peuple seul appartient le droit d'élire et de déposer les rois. De dogmatique qu'il était, le pamphlet s'est donc fait antidynastique et dans la forme et dans le fond. Ce n'est ni à Charles IX, ni à Catherine que s'attaque Hotman dans sa Gaule franque, cette utopie du passé, mais à la royauté elle-même.

Dans une lettre au comte Palatin, il a précisé la pensée de son livre : Les guerres civiles n'ont été que le commencement de nos maux ; il faut en chercher la cause plus haut dans l'oubli de l'ancienne constitution du royaume, ouvertement violée depuis un siècle[172].

Et dans une autre lettre à Bullinger, il en détermine le but : Ce !ivre est de grande importance pour reconquérir notre gouvernement et rendre à notre France son assiète et bon repos[173].

Il n'en exagérait pas la portée : Palma Cayet, dans sa chronologie novennaire, a reconnu l'influence qu'il exerça : Il fut agréable aux réformés et à quelques catholiques qui aspiroient à la nouveauté.

Et de nos jours, Augustin Thierry en a dit à son tour : L'amour du gouvernement par les grandes assemblées s'y montre à chaque page. Il a eu une grande action sur les hommes et les idées.

Mais dans le camp des catholiques l'on forge aussi des armes. Un juriste natif de Toulouse, Pierre Charpentier, qui, à l'exemple de tant de lettrés d'alors, s'était fait protestant, sauvé par Bellièvre le jour de la Saint-Barthélemy, avait pu, grâce à lui, obtenir un passeport et s'était réfugié d'abord à Metz, puis à Strasbourg[174]. C'est là que, passé aux gages de Catherine, il composa en latin un livre sur la Saint-Barthélemy, peu après traduit en français.

Dans ce factum, Charpentier soutenait que les vrais auteurs des persécutions dont avaient eu à souffrir les églises de France étaient ceux qui avaient conspiré sous ce couvert. Dès que j'ai connu, disait-il, que cette damnable cause ne tendoit au service de Dieu, mais au contraire à une méchante et séditieuse rébellion, je m'en suis du tout retiré[175].

Toujours aux aguets, Walsingham fut un des premier avisés de l'apparition de ce nouveau libelle, et le 2 janvier il écrivit à Burghley : Je vous envoie un livre infâme de Charpentier pour défendre ce qui a été fait ici en dernier lieu. Plusieurs des exemplaires latins ont été envoyés en Allemagne ; mais l'auteur est si bien connu pour un misérable qu'on ne croit pas que cet écrit serve de grand chose. On en a aussi envoyé en Pologne[176].

C'est là en effet que s'engage la lutte la plus ardente, et Monluc, l'évêque de Valence, s'est jeté au plus épais de la mêlée.

Au diable soient les causes, avait-il écrit au secrétaire d'État, Brûlart, qui d'ung bon roi et humain, s'il en fust jamais, l'ont contraint de mettre la main au sang. Quant à moy, je n'ay pas loisir de prier, encore qu'en ceste saison il y eust du tonnère, car j'ay cinq cents dogues attirez à me mordre qui abboyent jour et nuit, et faut que responde à tout. Vous verrez ce que j'escris au Roy et à Monsieur le duc d'Anjou touchant le fait de La Rochelle. Je m'assure, et croyez-le, que si entre cecy et le jour de l'élection survient nouvelle de quelque cruauté, s'il y avoit icy des millions d'or pour gagner les hommes, nous n'y ferions rien[177].

Un instant il eut l'idée d'appeler Charpentier auprès de lui, mais il y renonça et, le 22 janvier, il écrivit de nouveau à Brûlart : Il n'est pas besoin de faire venir l'homme de Bâle, c'est-à-dire Charpentier ; car il ne seroit pas venu à temps, encore que j'en eusse eu bien à faire ; car toute la suite de M. de l'Isle, (Giles de Noailles) et moy n'avons pas tant de latin qu'il faudroit pour envoyer un diacre aux ordres, encores que ce fût au Puy en Auvergne. Je vous prie faire solliciter Mr de Pibrac pour la lettre que je demande[178]. A défaut de l'homme, il eut le pamphlet. Le doyen de Die, son nouvel auxiliaire, le lui apporta[179] et il fit répandre, à profusion, cette apologie de la Saint-Barthélemy pour suppléer à celle confiée à la plume de Pibrac qui tardait trop à lui parvenir. J'attends, avait-il écrit au Roi le 22 janvier, en grande impatience ce qu'il m'envoyera. Cependant en ma dernière réponse je n'ai pas oublié le meurtre fait en la personne de M. Fumel à coups de fouet. J'ai rappelé que La Mothe Gondrin fut pendu, et un conseiller de Paris, la journée de Saint-Michel, le siège de Paris. Si d'aventure, le sieur de Pibrac ne l'avoit repris de si haut, je vous supplie que l'on le refasse, car il y a temps assez de me l'envoyer.

Puis il insista pour qu'on fit un éloge pompeux du duc d'Anjou : Il faut dire que Monseigneur vostre frère est sorty d'une nation, qui a esté tout jamais amye de ceste cy, instruit au maniement des affaires d'Estat, pour avoir esté conducteur de deux armées, et que vous avez pensé que l'offre que vous faisiez de luy, qui vous est si cher, leur seroit agréable[180].

L'homme le plus influent de la Pologne, Albert Laski, le palatin de Siradie, était d'autant plus important à gagner qu'on le tenait pour rallié au Légat, le cardinal Commendon, jusqu'ici favorable à la candidature de l'archiduc Ernest. Catherine avait écrit, le 13 février, à Monluc : Il se dit que l'Empereur pense avoir meilleure part que jamais à l'élection de Pologne pour l'archiduc Ernest, ayant gagné par présents le Laski, qui est homme qui se conduit par tel moyen. On dit qu'il croit beaucoup à une femme, pour l'aimer grandement, et qu'elle peut infiniment à le faire tourner en telle part qu'elle voudra, qui est cause que je ay bien voulu donner advis de ce que dessus, et vous dire que, estant la puissance du dit Laski bien grande, je désire que vous regardiez le gagner avec les inesmes moyens qu'il veult estre pratiqué et mesmes par celuy de cette femme à laquelle vous regarderez de faire pour test effect quelques honorables présents et promesses, si bien que vous puissiez la disposer à persuader le Laski envers lequel elle a grande puissance à faire entièrement en cette élection pour mon fils d'Anjou[181].

Cette voie était la bonne, car désormais le Laski prendra en main la cause du duc, et lorsqu'on l'accusera de s'être vendu à Monluc : Mon père, s'écriera-t-il, la main sur la garde de son épée, a été ambassadeur de Pologne auprès de François ter qui l'honorait de son amitié ; mon oncle a combattu à ses côtés à la bataille de Pavie et il a partagé sa captivité à Madrid. Voilà pourquoi je suis pour le duc d'Anjou et je ne m'en défends pas.

L'apologie de Pibrac arriva enfin sous la forme d'une lettre adressée à un docte personnage qu'il appelait Elvidius[182]. Pibrac rappelait d'abord que, lors de leur visite à l'amiral, le jour de sa blessure, Leurs Majestés avaient cru remarquer, dans l'ambiguïté de son langage, l'ardeur de ses yeux, le son de sa voix, un étrange embrasement de haine et quelque méditation de hardi dessein ; mais faisant la part de son légitime courroux, elles l'avaient volontiers excusé.

Le lendemain soir, on était venu les avertir qu'au logis de l'amiral on conspirait pour les tuer, pour bouleverser l'Estat et disposer de la couronne ; et que la chose était si avant que, s'ils n'avisaient de suite, ils seraient tous tués le lendemain, à l'heure du souper.

Le même personnage ayant dévoilé le plan de la conspiration et nommé tous les complices, dans la nuit, le Roi avait rassemblé ses conseillers et leur avait manifesté sa volonté de procéder d'abord à une complète enquête, puis de faire arrêter tous ceux qui seraient convaincus d'avoir conspiré ; mais, sur l'observation que le temps pressait et que si, dans la nuit prochaine, l'on n'en finissait pas avec les conspirateurs, c'en était fait de Leurs Majestés et du royaume, Charles IX avait répondu : J'aime mieux courir le danger de ma vie que de me perdre de réputation et d'exposer mon âme ; du moment que la conspiration est découverte, l'on peut y parer, sans être reluit à tuer.

Renoncez, Sire, à cette espérance, s'était écrié le plus ancien du conseil ; ils sont trop nombreux, vous en prendrez peut-être un ou deux, et encore vous serez contraint de tuer.

Dans un dernier conseil tenu au Louvre, où il avait appelé ses plus intimes confidents et ceux qui lui semblaient les plus propres pour l'exécution, le Roi leur avait expressément ordonné de ne frapper que les conspirateurs dont tous les noms lui avaient été signalés ; mais, comme il arrive toujours, des coupables avaient pu s'échapper, et des innocents avaient été tués. Ce mal s'était étendu en plusieurs villes de France contre la volonté de Sa Majesté, qui en avait été plus douloureusement indignée que personne ; mais, telle est la nature de la populace que, ou elle vit paisiblement, ou elle se mutine et se laisse aller à toutes cruautés.

Avant tout il fallait innocenter vis-à-vis des Polonais le duc d'Anjou, accusé d'être le principal conseiller de la tuerie. Pibrac le montre secourant ceux qui étaient en danger, et faisant voir : qu'il pouvoit en temps de paix préserver ceux qu'en temps de guerre il avoit vaincus[183].

Il ne se contenta pas de l'apologie de Pibrac, il en fit répandre une autre sous le titre : La relation sincère et vraie des troubles de Paris. Celle-là disculpait entièrement le duc d'Anjou, affirmait qu'il s'était retiré du conseil sans avoir voulu prendre part à la délibération dans laquelle la Saint-Barthélemy avait été résolue.

Cette suprême réclame ne lui ayant pas paru suffisante, il avait distribué à profusion des portraits du duc, dont les traits avaient été singulièrement adoucis. Contemplez-les, disait-il, apercevez-vous, dans ce visage, empreint de tant de bienveillance et de bonté, la moindre apparence de cruauté ?

A ces factums publiés à la décharge du duc d'Anjou, ses adversaires en opposèrent d'autres, et le plus perfide de tous est attribué par d'Aubigné aux jésuites d'Ingolstadt qui, à l'en croire, firent imprimer un panégyrique à la louange du duc comme premier inventeur, auteur, violent solliciteur, conducteur et brave exécuteur de la dernière bataille contre les ennemis de l'Eglise, donnée en la journée de la Saint-Barthélemy : sans luy le nez saignoit à tous, de quoy il fallait donc dire comme de David : Charles en a tué mille, mais Henri dix mille ; tout cela avec de belles inscriptions dédiées au libérateur[184].

D'Aubigné le confesse lui-même, le trop d'affectation de ce libelle servit aux François. Au lieu des François, c'est Monluc qu'il aurait dû dire : tout se résume en lui, attaque et défense.

C'est dans la soirée du 5 avril qu'allait se décider l'élection au trône de Pologne. Monluc avait à répondre à la fois à l'ambassadeur de Prusse et à celui de l'Empereur ; après avoir rappelé la conformité de mœurs, l'amitié et la grande conjonction des cœurs, qui avait toujours existé entre la France et la Pologne, les visites fréquentes des Polonais en France, et des Français en Pologne, la communauté de gloire des deux peuples l'excellence de leur chevalerie, la longue durée de leur empire, l'affection que les Valois leur avaient toujours portée ; enfin, après avoir fait un séduisant portrait du duc d'Anjou, de riche taille, de belle disposition de sa personne, de santé ferme et robuste, habile à manier les affaires de l'Etat, parlant le latin et l'italien, et en une seule année capable d'apprendre leur langue, il aborda de nouveau ce sujet brûlant de la Saint-Barthélemy : Ce qui est advenu à Paris, certainement c'est par cas fortuit. Le Roi, de sa nature enclin à la clémence, eût préféré faire prendre les conspirateurs, que non pas les massacrer ; mais comme il y a coustume aux tumultes soudains, la populace s'est portée de fureur à une chose autrement que l'on ne désiroit, dont le Roi fut très courroucé et troublé. Il faut rejeter la coulpe de cette journée sur autre que sur le duc d'Anjou. Il savoit bien que le bruit d'une si grande exécution et si inusitée vous détourneroit ou, pour le moins, vous détiendroit quelques jours lui faire ce qu'il désire, attendu que vous haïssez naturellement toute cruauté.

Et dans sa péroraison :

Très Révérends Seigneurs, et vous illustres palatins, très vaillants chevaliers, de la part du Roi très chrétien, je vous présente le Sérénissime duc d'Anjou, s'écria-t-il, recevez le tout prêt et apareillé à gouverner vostre chose publique, comme s'il étoit né pour vous et s'il étoit vostre fils. Il ne voudroit pour rien diminuer vos libertés ; si vous le faites votre roi, il a délibéré d'employer toutes ses pensées, toutes ses affections, tous ses conseils pour atteindre à ce seul but, que jamais vous ne vous puissiez repentir de l'avoir fait, et qu'il puisse être surnommé à bon droit, véritablement, par vous et par vostre postérité, le bon roi prudent et vaillant, et père du pays[185].

De chaleureuses acclamations saluèrent cette habile et brillante harangue. Sans trop de flatteries, Paul Manuce, dans l'épitre qui accompagne sa belle édition de l'Orateur, a pu comparer l'évêque de Valence à Cicéron dont s'enorgueillissait la Rome antique.

Tout le temps que l'orateur tint l'auditoire sous le charme de sa parole, une alouette, l'oiseau symbolique des anciens Gaulois, perchée au sommet de la tente royale, battit des ailes et chanta.

Le 15 mai suivant, à la dernière séance de la Diète, les conditions exigées de Charles IX en faveur de son frère et celles imposées au nouveau Roi furent soumises à la sanction de Monluc. Il avait été contraint de promettre que le duc d'Anjou épouserait l'infante et, bien qu'il ayt cuidé en mourir d'ennuy, nous dit Choisnin dans ses Mémoires, il mit sa signature au bas de cet inacceptable article et de tous les autres ; puis les envoyés de France, lui en tête, furent conduits en grande pompe devant l'archevêque et entre ses mains prêtèrent le serment obligatoire.

Schomberg eut la bonne fortune d'annoncer le premier l'élection du duc d'Anjou. Lorsque le courrier, porteur de son message, pliant le genou devant Catherine, lui dit : Je vous salue, mère de notre Roi, la parole lui manqua, elle se prit à pleurer de joie.

La meilleure partie de cette grande victoire diplomatique qui replaçait la France au rang qu'elle devait tenir en Europe lui appartient. Claude Vigenère a pu dire, et sans trop de flatterie, au duc d'Anjou dans la préface de la Description de la Pologne : Ce que je sais, et puis parler à la vérité, c'est qu'à sa Majesté seule, la Reyne, vostre mère, est venue l'opinion de vous acquérir une belle et plantureuse monarchie ; à quoy elle est toujours demeurée ferme, arrestée, nonobstant toutes les difficultés, empeschements et remontrances qu'on luy ayt sceu mettre devant[186].

Cet éloge n'a rien d'exagéré ; à aucune époque de sa vie, Catherine n'a eu l'occasion de déployer avec plus d'audace et d'habileté ce génie politique qu'elle tenait de sa race ; ce fut bien alors la digne nièce du pape Clément VII, l'homme le plus dissimulé de son temps, au dire de l'historien Guichardin, l'un de ses familiers et de ses amis.

Au risque de nous répéter, résumons cette glorieuse campagne :

Elisabeth, à la première nouvelle de la Saint-Barthélemy, avait mis sa flotte sur le pied de guerre, prêté une oreille complaisante aux envoyés du duc d'Albe et à ceux de La Rochelle ; trois mois à peine écoulés, elle accepte d'être la marraine de la fille de Charles IX, se fait représenter par Worcester, un catholique, et consent à reprendre les propos de son mariage avec le duc d'Alençon.

Grégoire XIII s'était flatté de faire entrer Charles IX dans la ligue contre le Turc et de faire appliquer en France les décrets du concile de Trente. Son légat extraordinaire, le cardinal Ursin, envoyé dans ce double but, a beau s'éterniser en France, il revient à Rome les mains vides, et Catherine, la veille encore, si obséquieuse, ose dire en pleine cour : Désormais je ne permettrai pas que le Pape mette la main dans les affaires de la France.

Guillaume d'Orange, qui avait dit à Mondoucet que jamais Charles 1X ne laverait ses mains de la tache de sang de la Saint-Barthélemy, accepte de lui un subside, et, en son nom, Ludovic de Nassau, son frère, signe à Francfort le double engagement de porter de nouveau la guerre dans les Flandres et de soutenir la candidature du duc d'Alençon au trône de Pologne.

Philippe II, en apprenant la nouvelle de la Saint- Barthélemy, avait ri pour la première fois de sa vie ; croyant la France désormais impuissante et asservie à sa propre politique, il avait fait d'humiliantes avances à la reine Elisabeth, et cherché à s'approprier l'alliance des Suisses, nos amis de tous les temps ; déçu dans toutes ses espérances, il voit se reformer contre lui la coalition dont, la veille de la Saint-Barthélemy, il était menacé.

Les princes protestants de la Germanie n'avaient plus sur les lèvres que des malédictions et des menaces pour Charles IX et Catherine ; ils s'étaient vantés de refuser au duc d'Anjou le passage à travers leurs États, eh bien, ils le recevront avec tous les honneurs dus à la royauté et lui feront respectueusement cortège jusqu'à la frontière de la Pologne.

L'empereur Maximilien avait exploité la tragédie de la Saint-Barthélemy au profit des prétentions de son fils l'archiduc Ernest au trône de Pologne ; pour la rendre plus odieuse, il avait jusqu'à la fin soutenu à Vulcob, notre ambassadeur, qu'elle avait été de longue date préméditée ; il avait répandu l'or à pleines mains et s'était fait assister par les ducats de l'Espagne ; à son tour, il a la honte de voir le duc d'Anjou l'emporter sur son fils à la presque unanimité des suffrages.

Telle est la grande œuvre de Catherine : perdre dans une seule journée tout le terrain gagné par deux années d'efforts et d'intrigues, briser tant d'alliances si péniblement conquises, encourir la réprobation universelle, et puis retourner comme un gant cette Europe frémissante et indignée, c'est bien là le triomphe le plus éclatant de la diplomatie française inspirée par elle et servie par des hommes oubliés aujourd'hui, mais dont il est juste de rappeler ici tous les noms si glorieux : Férals, les deux Noailles, le président du Ferrier, Vulcob, Lansac, Mondoucet, Vivonne de Saint-Gouard, Monluc, évêque de Valence, Paul de Foix, Schomberg, Mauvissière et la Mothe-Fénelon.

Mais, si cette victoire diplomatique, la plus grande du règne de Charles IX, n'a pas produit les fruits qu'on était en droit d'en attendre, la faute en est à la Saint-Barthélemy. Les protestants, que Catherine croyait à jamais anéantis, retrempés par ce baptême de sang, tiendront en échec toutes les forces royales dans les trois villes de Sancerre, de Sommières et de la Rochelle, et cette guerre fratricide se prolongera jusqu'à ce que la main pacifique et victorieuse de Henri I V vienne mettre fin à nos guerres civiles et religieuses.

 

XVII

L'élection du duc d'Anjou au trône de Pologne avait imposé à Charles IX l'humiliante nécessité d'en finir avec le siège de la Rochelle.

Le 24 juin 1573. les quatre délégués qu'il y avait envoyés, Brûlart, de Sauve, Pinart et Villeroy, à la suite de leurs pourparlers, arrêtèrent avec les Rochelais les conditions d'une suspension d'armes. Elles étaient bien dures et toutes à l'avantage de la place assiégée : le plein exercice de la religion réformée ; l'exemption d'une garnison ; l'interdiction de réédifier une citadelle ; un gouverneur non suspect et qui ne serait reçu qu'après que les troupes assiégeantes se seraient retirées ; la liberté de leur culte étendue à tous les hauts justiciers, et par suite celle de célébrer les mariages et les baptêmes à la façon huguenote. Les mêmes conditions étaient également accordées aux deux villes de Nîmes et de Montauban, de longue date, étroitement confédérées avec La Rochelle[187].

Le mois suivant, Charles IX, sous la forme d'un édit, ratifia toutes ces concessions. A ce prix, il se flattait d'obtenir la soumission du Languedoc, du Dauphiné et des autres provinces où la résistance se prolongeait ; mais cette illusion fut de courte durée : le 26 août il écrivait au maréchal de Damville :

Il me semble que mes sujets, faisant profession de la nouvelle prétendue religion en vostre gouvernement, ayent fort peu de volonté de recevoir mon édit de pacification, usant de remise et longueur comme ilz font, et continuant tous actes d'hostilité ; et, n'estoit que ilz se sont cogneuz pressés par les empêchemens que vous avez donnez, tant sur la récolte que autrement, ilz se montreroient encore plus insolens, chose que je ne veux croire procéder des bons et de ceux qui ont quelque bien, mais de plusieurs bélistres qui vivent et font leur profit de la guerre et du trouble[188].

Une sorte de transaction intervint : les protestants du Languedoc ayant demandé à Damville la permission de tenir deux assemblées à Montauban et à Mi]hau, le Roi y consentit ; mais le choix du jour anniversaire de la Saint-Barthélemy pour ces deux assemblées faisait pressentir les résolutions qui y seraient prises. Elles dépassèrent de beaucoup les concessions de l'édit, et nous nous bornerons à les résumer sommairement : exercice public de la religion réformée dans tout le royaume ; désaveu de la conspiration imputée aux protestants la veille de la Saint-Barthélemy ; poursuites juridiques contre les massacreurs du 24 août ; annulation de tous les jugements rendus depuis cette date ; restitution aux protestants de leurs biens, de leurs offices ; admission de leurs enfants dans toutes les écoles ; cimetières communs avec les catholiques ; garde des villes par leurs propres troupes payées des deniers de l'Etat ; une Chambre composée de juges de la religion dans chaque cour de parlement ; entretien de leurs ministres prélevé sur les dîmes ; deux places de sûreté par province ; enfin, dans le Béarn. retour aux règlements décrétés par Jeanne d'Albret[189].

Dans le Dauphiné, les mêmes exigences se produisent et Charles IX, qui croyait n'avoir plus rien à craindre de ceux de La Rochelle, se voit contraint d'écrire à M. du Lude :

Vous avez sagement fait de m'avoir mandé la continuation des déportements des Rochelois ; ils font tout le contraire de ce que j'espérois d'eux, attendu la bonne intention que j'avois de les confirmer en leurs privilèges. Parce que je n'ay encore eu aucunes nouvelles de M. de Biron, je ne me puis résouldre à ce que je dois faire, joint que je luy ay donné tout pouvoir de prendre tel parti qu'il cognoistra entre utile et nécessaire pour me rendre obéy. Mon intention est de tenter celuy de la douceur en tout ce qu'il me sera possible ; mais aussi où il cognoistra ne les pouvoir réduire par ce moyen au chemin de l'obeissance, je désire qu'il soit au plus tôt procédé à l'encontre d'eulx par les voies les plus rigoureuses pour les chastier de leur témérité sans y perdre temps[190].

Et dans une lettre à Biron, après l'avoir entretenu de toutes les difficultés du moment : Je suis délibéré, ajoute-t-il[191], incontinent que mon frère le Roi de Pologne sera parti, de mettre la main à bon escient et de rendre chascun content de la protection qu'il doit espérer de moy.

Si du moins pour se faire obéir, il avait eu sous la main des troupes disciplinées ; mais l'esprit de révolte les avait gagnées. J'ay été averty, écrivait-il, que, après que MM. de la Garde et Strozzi se sont embarquez, un grand nombre de soldats non seulement tiennent les champs, mais ont fait un chef contre eux sous la charge duquel ils demeurent ensemble dedans le pays, faisant tous les maux du monde[192].

Le désordre est partout. Le 30 août il mande au maréchal Damville :

Je suis assuré que mon pauvre peuple ne laisse d'être affligé et opprimé autant que jamais par plusieurs compagnies de gendarmes et autres soldats à pied qui tiennent les champs, vont rodant le pays et font des maux exorbitants, sans vouloir se retirer en leurs maisons[193].

Jusqu'aux Suisses, ces troupes si fidèles, qui deviennent un danger et une charge pour les populations. Truchon, le premier président du parlement de Grenoble, écrit à M. de Hautefort :

Leur séjour en Dauphiné, où ils sont depuis quinze jours, apporte grande ruine à cette pauvre province, comme il sera aussi du Languedoc, s'ils y viennent, ce que M. de Damville n'a voulu permettre ; il a écrit à Sa Majesté qu'il n'en avoit aucun besoin pour cet hiver[194].

Et il ajoutait : le plus grand souhait que j'aye en ce monde est de voir une bonne paix établie en ce royaume pour éviter son entière ruine, de laquelle il est plus près qu'il ne fut il y a mille ans, et ne sçay qui l'en pourra détourner[195].

Ce qui aggravait le danger de la situation, c'est que le duc d'Anjou, en dépit des instances des députés polonais, s'obstinait à ne pas quitter la France. Sa récente et insensée passion pour la princesse de Condé n'en était pas l'unique cause. Il s'ennuyoit, nous dit le duc de Bouillon dans ses Mémoires[196], d'aller commander à une nation si éloignée et si différente de mœurs. Dans l'état de santé du roi, c'étoit se mettre au hazard de perdre la France, et le duc d'Alençon ne manqueroit pas en faire ses menées.

De son côté, le cardinal de Lorraine cherchait par tous moyens à le retenir, et allait jusqu'à lui conseiller d'user de mesures rigoureuses envers les protestants, ce qui infailliblement amènerait la reine Elisabeth et les princes allemands à prendre parti pour eux et, nécessitant ainsi sa présence, rendrait impossible son départ pour la Pologne[197].

Dès le mois de mars précédent, Vincenzo Alamanni, l'ambassadeur de Toscane, témoin de la mauvaise intelligence qui régnait entre les deux frères, avait écrit au. Grand-Duc son maître : La trop grande autorité prise dans le royaume par Monsieur, plus obéi que le Roi lui-même, est un véritable danger pour le repos de la France. Son départ serait une grande garantie de sécurité[198].

La Huguerie le dit également dans ses Mémoires : Le Roy désiroit surtout voir son frère hors de son royaume, y ayant trop d'autorité, à son gré, par sa lieutenance-générale. Il entre déjà en quelque volonté de se ressentir de la Saint-Barthélemy sur ses auteurs, ses conseillers et exécuteurs d'icelle dont il ne voit le succès tel qu'on lui avoit promis[199].

Il faut que l'un de nous deux parte, s'était écrié Charles IX, dans un jour de colère et d'un ton menaçant. Catherine, qui idolâtrait son fils d'Anjou, n'avait pas encore eu le courage de se prononcer : Je suis marrie, avait-elle écrit au duc de Nevers, que cette grandeur me l'éloigne ; car autrement je pense que l'empêcherois.

Enfin pris d'impatience, Charles IX se décida à prendre les devants et s'arrêta à Vitry-le-François. Forcé de l'y rejoindre, le duc, là encore, chercha par tous les moyens à prolonger son séjour en France : mais cette fois, Catherine l'en dissuada et, surmontant sa douleur : Partez, mon fils, dit-elle, partez, vous ne serez pas longtemps en Pologne.

Avait-elle déjà lu dans les yeux du Roi son fils sa mort prochaine ?

Il n'eut pas la force de poursuivre sa route, et le 15 novembre il adressait à Damville cette lettre découragée : Je séjournerai encore quelques jours à Vitry, pour me fortifier ; mon frère le roi de Pologne part aujourd'hui, conduit par la reine, ma mère, mon frère d'Alençon et plusieurs autres princes et seigneurs, m'ayant laissé un extrême regret de ne pas lui avoir rendu cet office de le reconduire moi-même comme je l'ay toujours désiré et eusse fait[200].

C'eût été plutôt pour être bien sûr cette fois que son frère était hors du royaume.

Le duc d'Alençon, un peu malgré lui, avait accompagné son frère le roi de Pologne et suivi sa mère à Nancy. Depuis  longtemps, nous l'avons vu, il méditait de s'enfuir en Angleterre et, durant le siège de la Rochelle, il avait eu la criminelle pensée de se saisir de quelques vaisseaux de la flotte royale, et d'aller rejoindre celle de Montgommery qui tentait vainement de forcer l'entrée du port. Mme de Mornay y fait allusion dans la vie de son mari : Le duc projetoit diverses pratiques contre le Roi son frère, et en cas qu'elles ne réussissent pas, de passer en Angleterre et de relever le parti de la religion[201].

A l'heure où nous sommes, tous ses rêves d'ambition semblaient à la veille de se réaliser ; il était sollicité à la fois par les Flamands, qui déjà espéraient en lui, et par ceux que l'on appelait les politiques et dont les Montmorency étaient les chefs. Ce qui les avait jetés dans cette voie, c'est qu'ils tenaient pour certain que l'absence seule de leur frère aîné le maréchal les avait préservés du massacre, et ils emplissoient les esprits du mauvais gouvernement qui étoit dans le royaume, des édits violés, de la substance de la France qui alloit en Italie[202].

Ils ont pris le nom de politiques, dit François Hotman[203], et avec l'appui du duc d'Alençon, ils ont demandé que l'on fît revivre l'ancienne constitution française et que l'on convoquât les états généraux, seul remède à tant de maux et le plus grand coup porté à la tyrannie. Jamais plus grande confusion n'a régné dans le conseil d'un despote.

Le maréchal de Montmorency, de nature froide et prudente, ne s'associait que timidement à cette conspiration ; mais ses deux frères, Thoré, Méru, et le vicomte de Turenne, son neveu, s'y étaient mis entièrement et se servaient auprès du duc d'Alençon de La Mole, son favori. Si secrètes qu'elles fussent, leurs menées n'échappèrent point à la pénétration intéressée du Roi de Pologne. La veille de son départ, il supplia sa mère d'éloigner d'auprès de son frère un adversaire aussi redoutable. Le moment était mal choisi : La Mole était en pleine faveur. Grâce à la séduction de sa personne, dont Marguerite de Valois ne sut pas se défendre, il s'était poussé si avant dans l'intimité de l'inflammable Elisabeth, que Leicester avait eu quelque raison d'en être jaloux, et il avait si bien disposé la reine à accepter une entrevue avec le duc son maître que, sans la Saint-Barthélemy, tout porte à croire qu'elle aurait eu lieu. Pour son malheur, le duc ne consentit pas à s'en séparer, et continua à nouer de nouvelles intrigues. Le séjour de sa mère à Blamont allait lui en fournir l'occasion.

Durant les quatre jours qu'elle y passa, elle eut de fréquents et secrets entretiens avec le comte Ludovic et le duc Christophe, le fils cadet du comte Palatin, qu'elle y avait appelés. Si maintenant elle pensait à porter la guerre. dans les Flandres, cette guerre qui avait coûté la vie à Coligny, c'était pour empêcher les Nassau de venir, comme par le passé, secourir leurs coreligionnaires de-France et surtout pour ménager au roi de Pologne la sympathie de l'Allemagne protestante. Dans ce but, elle ratifia les promesses de Schomberg et promit au comte-Ludovic et au duc Christophe, qu'un subside de cent mille écus leur serait versé à Strasbourg ; mais en dépit de sa surveillance elle ne put empêcher qu'ils ne vissent secrètement son fils d'Alençon. Le matin de leur départ, il put glisser à l'oreille du comte Ludovic : Maintenant que je vais avoir le gouvernement, ainsi que l'avait mon frère, j'emploierai tout pour vous seconder[204].

Catherine y mit bon ordre : cette lieutenance générale du royaume, à laquelle il aspirait, et qui lui avait été promise, il ne put l'obtenir, et il ne lui resta plus que la ressource de se réfugier à Londres. Maisonfleur l'y poussait vivement : Si vous ne vous hâtez pas, lui écrivait-il, la reine Elisabeth aura lieu de croire que toutes les longueurs dont vous avez usé jusqu'à présent, tout le beau langage que lui avez tenu par vos. lettres n'ont été qu'autant de ruses pour la surprendre et que tout s'est fait par le conseil de Madame la Serpente, afin de prolonger les choses et les tenir en haleine pour quelque sien dessein. Que direz-vous à cela, Lucidor ? (C'est le nom qu'il lui donne.) N'est-ce pas là ce que vous demandez ? On vous appelle, l'on vous invite à vous hâter, ô Lucidor, le plus fortuné prince de la terre, s'il sait bien user de la fortune ![205]

 

XVIII

Charles IX put enfin quitter Vitry. Le 25 novembre il entra à Châlons. Il va un peu mieux, écrit Cavalli, l'ambassadeur de Venise, qui l'y vit le 2 décembre, et commence à assister aux séances de son conseil[206]. Ce même jour il put donner audience à l'envoyé d'Elisabeth, avec lequel il s'entretint des conditions d'un traité de commerce déjà soumises à la Reine sa mère.

Les Anglais sont avant tout des hommes très pratiques. Randolph était tout à la fois chargé de poursuivre la négociation du mariage de la Reine sa maîtresse avec le duc d'Alençon, amorce tendue pour obtenir de meilleures conditions pour les tarifs à débattre. Tout récemment, en causant avec la Mothe-Fénelon de ce projet, Burghley avait prétendu que les marques de la petite vérole, qui défiguraient le visage du duc n'avaient pas disparu. Randolph devait donc rapporter un nouveau portrait qui permît d'en juger. Charles IX, qui ne pensait alors qu'à éloigner ce frère devenu aussi redoutable que l'autre, y fait allusion dans une lettre du 2 décembre à La Mothe-Fénelon : Randolph a trouvé mon frère tout autre et plus agréable qu'il ne pensait.

Le 5 décembre il est à Pont-Favergier, le lendemain à Cormisy ; enfin nous le retrouvons à Reims, où sa mère vient le rejoindre le 10. Il profite du court séjour qu'il y fait pour décharger tous ses sujets de quatre sols du principal de la taille, espérant calmer par cette concession l'agitation des provinces.

De plus en plus effrayé, il écrit de Soissons, le 15 décembre, à Damville : Je désire que vous faciez bien rudement entendre aux députés de ceux de la religion le mécontentement que j'ai des leurs en ce que, contre la suspension d'armes accordée, ils ne cessent de courir, piller, et saccager tous les lieux où ils peuvent mettre le pied, y commettant les mêmes hostilités qu'ils feroient en guerre ouverte[207].

Ces plaintes n'ont rien d'exagéré : L'ambassadeur de Toscane écrit, le 23 décembre, au Grand-Duc : Les soulèvements en ce pays sont arrivés à un tel point que, s'il n'y est promptement porté remède, j'entrevois de nouvelles guerres que l'on sera dans l'impuissance d'empêcher[208].

A la fin de décembre 1573, La Noue, sous le prétexte de célébrer la Cène, vint à La Rochelle. Docile à ses conseils, la ville se mit en état de défense, et Henri de Rohan prit le commandement de la milice bourgeoise. Dans la seconde quinzaine de janvier, Saint-Sulpice y fut envoyé par le Roi ; il était porteur des plus pacifiques assurances, et chercha, de son mieux, à détourner les Rochelais de faire cause commune avec ceux du Languedoc ; mais le vent de la révolte soufflait partout : Jacques de Crussol, chargé d'une mission en Languedoc, écrivait au Roi, le 8 janvier 1874 : J'ai remarqué que ceux de la nouvelle religion se disposent plus à la guerre qu'à la paix[209].

Saint-Herem mande de Clermont, le 12 du même mois : Le peuple est tellement froid et les gentilshommes craignent tant la dépense et sont si mal contents à cause de l'exécution de justice qui a été faite contre quarante ou cinquante d'entre eux, que je crains, étant désespérés comme ils sont, s'il ne plaît à Votre Majesté leur pardonner, qu'ils ne se rendent du parti de la dite religion[210].

En Poitou, c'est le propre lieutenant du Roi. La Haye, qui prêche la rébellion[211].

En Dauphiné, Montbrun se saisit de deux postes importants sur la frontière de la Provence[212].

Maître du Béarn, Pons de La Case fait des courses dans toute la Gascogne[213].

Le plus grand danger, c'est que le duc d'Alençon est 4e chef accepté par tous les mécontents, tous les rebelles.

L'éloigner devient une nécessité. Si son mariage avec Élisabeth, toujours resté en suspens, venait enfin à se réaliser, ce serait la meilleure des garanties pour les protestants, et le plus sûr moyen de les ramener à l'obéissance. Dans toutes leurs lettres, Catherine et Charles IX invitent donc La Mothe-Fénelon à insister de nouveau auprès de la reine Élisabeth, à l'effet d'obtenir une solution favorable. Reçu par elle, le 2 janvier, La Mothe tente un suprême effort. Du moment que Randolph était revenu si favorablement impressionné, et qu'il lui avait parlé en si bons termes du duc, elle n'avait plus aucune raison pour différer de se prononcer. Elle s'excusa sur divers empêchements, qui ne lui avaient pas permis de réunir son conseil. Leicester, qu'il vit au sortir de cette entrevue, lui dit que le coup de main tenté sur la Rochelle venait fort mal à propos ; car le mariage n'était possible qu'à la condition d'une parfaite intelligence entre les deux royaumes et que, pour y parvenir, il fallait que le Roi son maître laissât vivre ses sujets en toute liberté de conscience et en toute sécurité[214].

Une partie de janvier se passa à attendre une réponse. Enfin, le 24, Elisabeth représenta à La Mothe les inconvénients qu'elle appréhendait d'une entrevue officielle et Publique. En cas que le mariage ne s'en suivît pas, ce pourrait être une cause fâcheuse de brouille. Elle ne consentit donc qu'à une entrevue privée, et sous la condition formelle que le duc ne se ferait pas accompagner par un personnage aussi haut placé que le duc de Montmorency.

La Mothe-Fénelon n'avait pas qu'à poursuivre la négociation du mariage du duc d'Alençon. Une autre tâche, plus difficile, lui incombait, celle de surveiller le comte de Montgomery dont tout était à redouter dans l'état précaire de la France.Alarmé des fréquentes visites à la cour d'Arthur Champernown, le beau-frère du comte, et craignant que ce ne fût pour solliciter la permission d'armer des vaisseaux, il s'en était expliqué avec les conseillers d'Elisabeth, qui avaient nié qu'il en eût été question.

Néanmoins resté avec tous ses doutes : S'il advenoit, avait-il écrit à Charles IX, que les Anglais fassent quelque exploit en France qui réussit avantageusement pour les prétentions de ce royaume, indubitablement leur reine l'avoueroit, et quand bien même elle n'auroit pas la volonté de le faire, ses sujets l'y contraindroient[215].

Il avait affaire à un habile et rusé adversaire. La paix une foi signée avec les Rochelais, Montgomery lui avait manifesté le désir de profiter de l'amnistie proclamée par le Roi ; plus tard, avec une apparente sincérité, il l'avait entretenu des dispositions plus favorables d'Elisabeth à la conclusion de son mariage avec le duc d'Alençon, et s'en était réjoui ; mais il lui avait incidemment fait part de la permission qu'il avait obtenue d'elle d'aller avec toute sa famille habiter Jersey, ne lui cachant pas qu'en attendant la réponse de Charles IX il irait passer quelques jours dans les environs de Londres.

La réponse du roi fut toute bienveillante ; il adressa à La Mothe-Fénelon deux passeports pour Madame de Montgomery et sa belle-fille et il ne s'en tint pas à cette première faveur : Vous m'écrivîtes quelquefois, lui manda-t-il, que le comte de Montgomery avoit le désir, considéré le malheur qui lui est advenu à l'endroit du feu roi mon père, de ne plus revenir en France, si je voulois lui permettre de jouir de ses biens et lui bailler faculté de les vendre. S'il est encore en cette disposition, je la lui accorderai volontiers ; mais, en quelque façon que ce soit, je vous prie l'assurer que je ne manquerai à aucune chose que je lui promets[216].

Ainsi, dans la première quinzaine de février, au moment même où Montgomery se préparait à reprendre les armes, Charles IX croyait n'avoir plus rien à redouter de lui. Mais, d'un autre côté, effrayé de l'état plus menaçant de jour en jour du pays, il appela à Saint-Germain les membres du parlement de Paris, et là, en présence de quelques députés des provinces qu'il y avait également mandés, il leur fit part de son intention bien arrêtée de réformer la justice et les abus, regrettant amèrement de ne pouvoir, aussitôt qu'il l'aurait voulu, appliquer des remèdes aux maux dont souffrait la France. Le plus grand obstacle à son bon vouloir, c'était les profondes jalousies qui divisaient les grandes familles de la cour et notamment celles des Guise et de Montmorency. Pour se venger de ce que l'on n'écoutait plus ses conseils, le cardinal de Lorraine était accusé de pousser secrètement les catholiques de la Saintonge à se révolter. Catherine tenta bien de rapprocher ces deux maisons rivales ; elle obtint même l'échange, de part et d'autre, de paroles de conciliation. Mais l'on sait bien, écrivait Languet[217], ce que valent de pareilles promesses.

L'un de ces drames si fréquents à cette cour des Valois, cour de sang et de soie, allait raviver leur mutuelle inimitié. Le 16 janvier, un gentilhomme nommé Ventanbran, sortant, au matin, du Louvre, où sans doute l'avait retenu quelque galante aventure, en descendant le grand escalier, se trouva face à face avec le duc de Guise qui venait au palais. Ventanbran s'était mis d'abord à sa suite ; mais, proche parent de La Mole, et conseillé par lui, il avait passé dans la maison du duc d'Alençon. Guise lui en avait conservé rancune, et, une rivalité de femme y étant mêlée, il n'attendait que l'occasion de se venger de lui.

Des paroles injurieuses furent d'abord échangées. Guise, hors de lui, tira sa rapière. Ainsi menacé, Ventanbran remonta précipitamment l'escalier, mais, poursuivi par le duc et atteint d'un coup en plein corps, il tomba sur le plancher sans plus donner signe de vie. Le duc crut l'avoir tué, et alla chez le Roi qui était encore au lit. Sire, lui dit-il, j'ai tué Ventanbran, et je viens solliciter le pardon de Votre Majesté. Il a osé m'avouer qu'il a été gagné par M. de Montmorency pour m'assassiner, et comme je tiens le maréchal pour le plus loyal des hommes, j'en ai été si indigné que je l'ai frappé.

Catherine, le duc d'Alençon et la Mole entrèrent dans la chambre de Charles IX au moment où tout irrité il disait au duc : Comment, vous avez fait cela dans mon propre palais !

Prenant hardiment la parole : Vous n'aviez pas le droit, Monsieur le duc, s'écria La Mole, de tirer l'épée au Louvre.

Si c'eût été vous, riposta Guise, je vous en eusse fait autant.

Qui s'attaque à l'un des miens s'attaque à moi, s'écria le duc d'Alençon, prenant fait et cause pour son favori.

Ventanbran s'était relevé ; amené devant le Roi, il chercha à se justifier ; mais Catherine se rangea du côté des Guise et le fit mettre en prison. Appliqué à la question, il ma les propos que lui prêtait le duc[218] ; mais Catherine persista à soutenir qu'il avait été véritablement suborné par Montmorency pour assassiner le duc de Guise et qu'ainsi le Roi avait à se défier, tout à craindre du maréchal et de ses frères. La cause de ce subit revirement s'explique par l'insistance que Montmorency venait de mettre à faire donner la lieutenance générale du royaume au duc d'Alençon. Après lui avoir été promise, elle lui était maintenant refusée ; Catherine lui préférait le duc de Lorraine, dont elle était sûre et redoutait qu'il ne se servît de cette grande autorité au détriment du roi de Pologne.

Ces rivalités, ces accusations, que de chaque côté on se renvoyait, avaient troublé l'esprit du Roi. Menacé à la fois de voir le duc d'Alençon à la tête de toutes les forces du royaume, comme l'avait été le roi de Pologne, ou la France retomber dans la guerre civile, il ne savait plus à quoi se résoudre, et, conséquence fâcheuse de cette querelle, le duc de Montmorency, alors à la cour, et dont la présence seule aurait pu détourner l'orage que l'on pressentait, profita d'un court voyage de Catherine à Paris, pour se retirer à Chantilly.

Nous touchons au dénouement de la crise. De l'avis de La Noue, la prise d'armes avait été fixée au 14 mars et le duc d'Alençon en avait été avisé. Ce jour-là, le roi de Navarre et lui devaient sortir du palais, sous prétexte de chasse, en costume de veneurs. Duplessis-Mornay les conduirait à Mantes, dont le gouverneur, M. de Buhy, son frère, gagné à leur cause, ouvrirait les portes à Guitry, qui, à la tête d'une nombreuse troupe de cavalerie, en prendrait possession. De Mantes, le duc d'Alençon et le roi de Navarre se retireraient à Sedan, où le duc de Bouillon leur offrait asile. Tel était le plan d'évasion arrêté ; mais Guitry, par trop de précipitation, ou pour vouloir s'attribuer à lui seul l'honneur de cette entreprise, devança de dix jours celui fixé pour agir.

Réduit à se décider à l'improviste et suivant en cela le conseil de La Mole, qui redoutait peut-être de le voir passer dans d'autres mains que les siennes, le duc fit dire à Mornay par Thoré et Turenne qu'il ne sortirait pas du palais que la ville de Mantes ne fût prise. Il avait été arrêté que Buhy, au jour convenu, se tiendrait à la porte de Rosny et laisserait entrer Guitry et sa troupe. A cinq heures du matin, Mornay se porta devant celle du pont ; mais Guitry n'arriva qu'à huit heures, et il n'avait plus que quarante cavaliers. Les autres, qui s'attendaient à servir d'escorte au duc d'Alençon, ne le voyant pas venir, avaient jugé plus prudent de se retirer. Buhy feignit alors de poursuivre Guitry. Au retour de cette simulée démonstration de fidélité, peu rassuré sur sa propre personne, il se réfugia à Sedan, où Duplessis-Mornay vint le rejoindre[219].

Rien n'avait été encore ébruité. Charles IX, en toute sécurité, le matin même du 23 février, avait écrit à Damville :

Je persiste à vouloir chercher tous les moyens possibles pour venir à une paix, combien que il me semble que mes subjectz de la nouvelle opinion ausquelz vous avez affaire s'en rectifient autant qu'ilz peuvent ; car non seulement ils mesprisent les conditions avantageuses que je leur ay faict offrir, mais ne se laissent aucunement entendre et rechercher et refusent d'entrer en conférence, comment j'av veu par les dernières dépesches que vous m'avez faictes. Je vous ay mandé que je vous despescherois le sieur de Saint-Suplice, par lequel je vous ferois bien au long entendre mon voulloir. Depuis j'ai advisé retenir encore quelques jours le sieur de Saint-Suplice, à ceste fin de pouvoir avecques plus de loysir délibérer et résouldre sa dépesche, laquelle je désire rendre telle qu'elle soyt fructueuse. En attendant je vous fais la présente pour vous prier, mon cousin, adviser à faire prolonger la suspension d'armes, s'il est possible, jusques à la Saint-Jean prochainement venant, affin que nous puissions plus commodément faire négocier la susdite paix et que par le renouvellement de la guerre les choses ne se rendent plus difficiles ; il faut que ladite trêve soit telle et asseurée qu'il ne soit rien imposé ni entrepris sur nies sujets et nos villes et que chascun se contienne dans ses limites, sans tort ou dommage à aucun, ni assembler vivres, lever deniers, comme il a été fait jusques à cette heure contre la foi promise. Ce sera le chemin pour parvenir à une générale pacification pour à laquelle atteindre, je vous asseure que je n'épargnerai rien de ce que je pourrais faire avec dignité et raison[220].

Dans la soirée de ce même jour, le corps de cavalerie de Guitry est signalé. La peur en ayant grossi le nombre, La Mole, d'accord avec le duc d'Alençon, vient tout avouer à Catherine. Marguerite de Valois le dit dans ses Mémoires, sans confesser toutefois que c'est elle qui le lui avait conseillé, et elle ajoute : Nous fûmes contraints de partir à deux heures après la minuit, la Reine ma mère mettant dans son charriot mon frère et le Roy mon mary, qui cette fois là ne furent traités si doucement que l'autre[221].

Ce fut alors un sauve qui peut général : Nous trouvâmes, raconte ironiquement d'Aubigné, à moitié chemin de Saint-Germain, les cardinaux de Bourbon, de Lorraine et de Guise, Birague déjà chancelier, tous montez sur coursiers d'Italie ou grands chevaux d'Espagne, empoignans des deux mains l'arçon, et en aussi grande peur de leurs chevaux que des ennemis[222].

Une lettre d'un contemporain, M. de Taix, à l'évêque de Troyes, datée de cette ville, nous fournit de curieux détails sur cette folle panique qui, à Paris, faillit tourner au tragique : Samedi, sur les onze heures du soir, fut advertissement que mille ou X1P chevaux estans déjà à Montfort l'Amaury venoient envelopper Saint-Germain. Sur l'heure, l'on fit desloger toute la cour et gagner Paris, à l'arrivée de laquelle il se leva un bruit effroyable que le Roi estait pris et qu'il falloil refaire la Saint-Barthélemy et de fait, je crois que l'on y a commencé ; ainsi que le gentilhomme qui nous a apporté la nouvelle. nous le dit en avoir vu les préparatifs le dimanche matin[223].

Le Roi, pour montrer cœur et visage de prince, assura ne vouloir partir cette nuit, ayant disposé ses gardes à l'entour de luy.

Sa Majesté a eu certaines nouvelles que les Anglais sont à la Rochelle, y ayant été appelés par les huguenots de dedans.

Charles IX n'alla pas loger au Louvre, mais à l'hôtel du comte de Retz dans le faubourg Saint-Honoré. Un courrier envoyé par lui en toute hâte porta au roi de Pologne la nouvelle de cette prise d'armes. Tout aussitôt il répondit au Roi son frère : Si vous ne prenez garde à vous, je crains qu'on ne vous en fasse quelqu'autre. Vous voyez avec quels gens vous avez affaire, pensez-y bien, je ne veux vous mettre en soupçon de personne ; mais les actions de chacun vous doivent bien faire penser à vous conserver[224].

Ces conseils arrivèrent trop tard ; une vaste conspiration enveloppait la France de son réseau invisible, et le mot d'ordre donné fut exécuté partout le même jour :

Les armes ont été prises si soudain par ceux de la religion, écrit Mortemart de Poitiers, le 27 février, au Roi, que mardi dernier, 23 de ce mois, après avoir saisi diverses places, ils ont surpris Lusignan qu'ils détiennent, ils se seraient emparés de Niort sans l'arrivée du comte du Lude[225].

D'Urfé mande de Montbrison que la délibération des ennemis du Roi, qui sont en Vivarais est de venir en ce pays de Forêts[226].

Charles IX ne se dissimula pas la grandeur du danger : J'ai sceu, écrit-il le 7 mars à La Mothe-Fénelon, que l'ambassadeur d'Angleterre fait aujourd'hui partir un secrétaire pour persuader la Reine Elisabeth et ses ministres qu'ils n'auront jamais si belle occasion et moyen de faire quelque chose par de çà pour y remettre le pied et y ravoir un Calais. Ayez l'œil ouvert et faites tout ce qu'il vous sera possible pour entendre leurs délibérations et m'en advertir[227].

Chaque jour lui apporte une mauvaise nouvelle. Le 14 Mars, il écrit de nouveau à La Mothe-Fénelon : J'ai eu advis certain de Matignon que Montgomery a fait descente en ce royaume le 11 de ce mois[228].

Si menaçante que fût cette prise d'armes, elle manquait de chefs, et ceux désignés et acceptés par les protestants alliés aux politiques, le duc d'Alençon et le roi de Navarre, Catherine les tenait prisonniers. Alors dans l'enceinte de ces hautes murailles de Vincennes à l'abri desquelles Charles IX se croyait en pleine sécurité, une nouvelle conspiration se greffe sur la première. Les femmes de la cour y jouent le premier rôle.

Déjà du temps d'Henri II, Monluc leur reprochait amèrement de se mêler de trop de choses : Le Roi, disait-il, devrait leur fermer la bouche ; de là viennent tous les rapports, toutes les calomnies[229].

Le duc de Bouillon fait allusion dans ses mémoires à cette conjuration de palais : Parmi toutes ces choses, il y avoit des amours mêlées, qui font à la cour la plupart des brouilleries, où ne se passent peu ou point d'affaires que les femmes n'y ayent part et le plus souvent sont cause d'infinis malheurs à ceux qu'elles aiment ou qui les aiment[230].

En réalité, il ne s'agissait dans cette dernière conspiration que de faire évader le duc d'Alençon et le Roi de Navarre. Une lettre d'Hotman le confirme : L'on a bien répandu le bruit à la cour que l'intention des conjurés était de tuer le Roi et la Reine-mère, mais ceux qui viennent de France prétendent qu'il n'était question que de la fuite des deux princes[231].

Mais le danger n'en était pas moindre, car c'était donner à la guerre civile les chefs qu'elle attendait.

Le jour de leur évasion avait été fixé au 8 avril. Sous le prétexte d'une chasse, le duc d'Alençon avait fait demander un coche ; mais le capitaine qui était de garde à la porte du château refusa de le laisser entrer. Ce complot ourdi surtout par des femmes fut déjoué par l'espionne attitrée de Catherine, Charlotte de Sauve. Jamais plus beaux yeux n'avaient été mis au service de ce vilain métier.

Elle se partageait alors entre le duc d'Alençon et le Roi de Navarre qui s'entre-jalousaient ; elle feignit de s'intéresser à leur cause, et n'eut pas grand'peine à leur arracher leur secret et à se faire nommer tous ceux qui étaient de la partie, et en tête La Mole et Coconas. Marguerite de Valois et la duchesse de Nevers affectaient de la traiter de très haut ; elle se vengea de leur dédain en dénonçant leurs deux amants.

Catherine, une fois la conjuration déjouée, déploie une énergie virile ; elle ne se contente pas de faire arrêter La Mole, Coconas et leurs complices subalternes, elle fait mettre à la Bastille les deux maréchaux de Cossé et de Montmorency. Tous ceux que l'on estime coupables sont pris, écrit, le 10 avril, le secrétaire d'Etat Bridart, à M. Hautefort, ambassadeur en Suisse, par lesquels l'on espère bien avant pénétrer ce fait, et que cy après tels maux n'adviendront plus, quand ils auront été châtiez comme ils le méritent[232].

Pour mieux se renseigner, l'ambassadeur d'Espagne Cuniga étant venu visiter Catherine : Il faut, lui dit-elle en le voyant, que bonne justice soit faite de tous ces coquins.

Je ne puis, Madame, que vous approuver, répondit-il. Pour éteindre l'incendie, il est indispensable de se débarrasser de quelques uns des plus grands et d'abattre quelques têtes.

Il serait parfaitement raisonnable de le faire, dit-elle.

Quelques jours plus tard, il la revit et l'engagea de nouveau à en finir avec les maréchaux de Cossé et de Montmorency. Mais ils ne l'oseront pas, écrit-il à Philippe II, toutefois ils ont fait étrangler dans sa prison le secrétaire de la conjuration[233].

Le 25 avril, l'ambassadeur d'Angleterre, le docteur Dale, vint, à son tour, visiter Catherine. Son entrée en matière fut des plus habiles : La Reine ma Maîtresse, dit-il, est on ne peut plus satisfaite du témoignage d'affection que le Roi, dans sa lettre, lui a exprimé de votre part, et de ce que les choses que l'on prêtait au duc d'Alençon votre fils ne sont pas telles qu'au premier moment l'on en avait répandu le bruit. L'amitié qu'elle lui porte repose uniquement sur celle qu'elle a pour Votre Majesté et elle se ressentirait grandement de la voir amoindrie.

Catherine l'en remercia et affirma que le duc d'Alençon et le roi étaient dans la meilleure intelligence.

De ces compliments si flatteurs le docteur Dale passa au fait de La Mole : La Reine ma Maîtresse le tient pour un gentilhomme fort honnête ; elle a quelques raisons de croire qu'il ne lui est point tombé au cœur la méchanceté qu'on lui impute. Elle ignore de quoi on l'accuse ; mais si l'offense n'est pas de celles que l'on ne peut pardonner, elle intercède de grand cœur pour lui ; et ce qui l'y encourage, c'est la clémence dont le Roi votre fils a usé tant de fois envers ses sujets rebelles.

Le cas n'est pas le même, répliqua-t-elle ; si le Roi a pardonné à ses sujets, c'est qu'ils n'avaient pris les armes que pour cause de religion et pour l'unique satisfaction de leur conscience. Tout au contraire, La Mole a été nourri de notre pain, je puis le dire ; le Roi mon fils ne l'a jamais traité en sujet, mais en compagnon, en ami. Son crime est donc plus grand que celui de ses autres complices. Lorsque de pareils accidents se sont produits en Angleterre, votre Reine n'a pas même pardonné à ses propres parents et les a laissés aux mains de la justice. Il en sera de même pour La Mole ; il est entre celles des gens du Parlement de Paris que tout accusé ambitionne avoir pour juges, eu égard à leur grande intégrité.

Cette réponse qui mettait en cause Elisabeth troubla singulièrement l'ambassadeur. Toutefois Catherine lui promit de faire connaître à la Reine sa sœur toute la vérité, comme à la personne qui lui était la plus chère en ce monde.

Le procès fut donc déféré au parlement et le duc d'Alençon et le roi de Navarre, sans être mis directement en cause, eurent à donner des explications sur leurs relations avec les accusés.

Le duc d'Alençon se défendit misérablement : à Blamont il avait repoussé les propositions du comte Ludovic ; il avait également refusé, et du conseil de Montmorency, de présenter au Roi la requête des protestants et de s'enfuir de Saint-Germain. A la première alarme qui fut donnée, La Mole, son ami sûr et fidèle, l'avait engagé à tout avouer à la Reine sa mère, ce qu'il avait fait, Le Roi et sa mère s'en étaient montrés reconnaissants et lui avaient promis d'oublier le passé. Turenne, au retour du camp de Guitry, lui avait affirmé que, de sa vie, il n'avait vu si belles troupes de gentilshommes et si bien disposés à le servir, et qu'il ne devait pas perdre une si belle occasion, et pourtant il s'y était refusé.

Son évasion, il est vrai, avait été résolue. Le jour en avait été fixé et la Mole lui en avait donné le conseil. Il ne s'est pas enfui, parce que le lendemain matin il voulait communier[234].

Le roi de Navarre adressa, lui, à la Reine mère son mémoire justificatif et d'accusé se fit accusateur ; il rappela qu'à la Saint-Barthélemy il avait vu tuer sous ses yeux tous ses amis, tous ses serviteurs venus à la cour sur sa propre parole. Lors du séjour à Vitry, il avait été question de le tuer lui et le Roi, et de faire roi le duc d'Anjou. Si la Rochelle avait été prise, il eût été inévitablement mis en prison. Tout récemment, à l'hôtel de Gondy, on l'avait de nouveau averti que l'on en voulait à sa vie ; c'est le duc d'Alençon qui lui a proposé de s'enfuir. N'avait-il pas juste occasion de le faire ?

Voilà tout ce que je sais, Madame, ajoutait-il en terminant. Que désormais il plaise à vous et au Roi de me traiter comme je dois l'être, étant ce que je suis[235].

L'astrologue Cosme Ruggieri passait pour l'un des amis les plus intimes de La Mole ; arrêté dans l'hôtel de l'ambassadeur de Florence où il s'était réfugié, il commit l'imprudence de demander à ceux qui l'emmenaient à la Conciergerie si le Roi n'avait pas eu des vomissements[236].

Ces paroles furent rapportées à Catherine ; superstitieuse comme elle l'était, elle se persuada qu'il était l'auteur de quelque maléfice à l'encontre du roi son fils et écrivit au procureur général La Guesle : Ce soir, l'on m'a dit, de votre part, que Cosme ne disoit rien. C'est chose certaine qu'il a fait ce que mon fils d'Alençon avoit sur lui et que l'on m'a dit qu'il a fait une figure de cire à qui il a donné des coups à la tête, et que c'est contre le Roi et que ladite figure a été trouvée parmi les besognes de La Mole ; aussi que où il logeoit à Paris, il y a beaucoup de méchantes choses et des livres et autres papiers. Je vous prie avertir, de ma part, de tout ce que dessus le premier président et le président Hennequin et me mander si ladite figure a été trouvée, et, au cas qu'elle soit faite, que je la voye[237].

Et dans une lettre du même jour à La Guesle elle ajoutait ces mots terribles : Faites tout dire à Cosme ; qu'on sache la vérité du mal du Roi. S'il a fait quelque enchantement pour faire aimer La Mole à mon fils d'Alençon, qu'il le défasse[238].

Le parlement ne perdit pas de temps à juger La Mole et Coconas. Son arrêt ne se fit pas attendre et en voici les termes : La Mole et Coconas seront décapités en place de Grève, leurs corps coupés en quatre quartiers, qui seront attachés à quatre potences placées hors des quatre portes principales de cette ville, et leurs têtes exposées sur des poteaux plantés en ladite place de Grève. Préalablement ils seront mis à la torture pour savoir de leur bouche tous ceux qui sont participants de ladite conspiration[239].

Le vendredi 30 avril, le matin, La Mole et Coconas furent donc menés dans la chambre de la question ; le président Jean Hennequin était chargé de les interroger.

La Mole fut tourmenté le premier.

Je vous adjure, lui dit Hennequin, de tout avouer[240].

Je ne sais que ce que j'ai dit, j'en prends Dieu à témoin. Faites-moi la grâce de parler au duc mon maître.

Sans lui répondre : — Vous avez assisté, reprit Hennequin, à l'assemblée où la conjuration a été décidée. Le duc d'Alençon l'a affirmé.

On le lui a fait dire par force.

Voulez-vous parler avant de subir la question ?

Faites de moi ce que vous voudrez. Vous trouverez sur mon corps les cicatrices des blessures reçues pour le service du Roi. Je suis condamné à mort, je ne pense plus qu'à bien mourir.

Si vous n'attendez plus rien des hommes, avant de paraître devant Dieu, avouez tout, reprit Hennequin.

Mon maître me fait mourir, je n'ai plus rien à dire.

Le bourreau se saisit de lui et le dépouilla de ses vêtements. Il portait au cou un Agnus Dei.

Il fut lié aux boucles puis placé sur le petit tréteau.

Qu'on m'ôte de là, s'écria-t-il, et je parlerai.

Délié et mis devant le feu : — Je ne sais rien, dit-il ; que le Roi me fasse enfermer dans un couvent, je prierai Dieu le reste de ma vie.

Repris par le bourreau, il avoua que le duc et le roi de Navarre devaient se réfugier à Sedan, et de là entrer dans les Flandres. Il invoqua pour sauver sa vie les révélations qu'il avait faites à la Reine mère à Saint-Germain.

Cela ne suffit pas à Hennequin ; la Reine lui avait ordonné de l'interroger sur Ruggieri et les figures de cire trouvées chez le nécromancien.

Le bourreau le reprit et lui versa de l'eau dans la poitrine.

Suffoqué : — Je parlerai, je parlerai, s'écria-t-il d'une voix étranglée.

Délié et remis devant le feu : — Que je sois damné, dit-il, si cette figure n'est autre que l'image d'une femme que je voulais épouser ; elle était destinée à me faire aimer d'elle. Et il ajouta : — Si le Roi me laisse la vie, je tuerai ce méchant Thoré qui est cause de tout.

Ses membres étaient brisés, la parole lui manquait. Hennequin en eut enfin pitié et le remit à l'exécuteur qui lui lia les mains et le mena dans la chambre de la Tournelle, d'où il devait être conduit en Grève.

Tourmenté après lui, Coconas avait fait au Roi des aveux si complets que la question ne put lui arracher que ce que déjà il avait confessé. Tous deux montèrent sur la fatale charrette qui prit le chemin de la Grève.

La place était noire de peuple. Du haut de l'estrade, s'adressant à la foule dont les yeux étaient attachés sur lui :

Priez pour moi, dit La Mole.

Puis se tournant vers le bourreau :

Ne me bande les yeux.

Ainsi fut fait.

Il s'agenouilla sur le billot.

Avez-vous quelques nouvelles révélations à faire ? lui demanda le greffier criminel.

Non.

Le bourreau tenait sa hache levée, il la laissa retomber, et la tête roula et rebondit sur le plancher de l'échafaud.

Une note secrète du temps nous révèle toutes les démarches faites par le duc d'Alençon pour sauver La Mole et Coconas :

M. le duc, entendant l'estat du procès, supplia le Roy de leur pardonner ou à tous moyens de leur remettre la mort publique et ignominieuse. Il en a esté refusé, puis se retira à la Reine sa mère, et, à genoux, la supplia, puisqu'il a reçu tant d'honneur que d'estre son fils, qu'elle lui fasse cette faveur envers le Roy que ses gens ne meurent pas par supplice publique, et que, s'il est possible, elle obtienne leur rémission. Cette Dame obtint du Roy le supplice secret et que l'on escriroit au parlement pour surseoir l'exécution ; mais le porteur des lettres, arrivant à Paris, trouva la porte Saint-Antoine fermée, et l'heure de l'exécution du supplice fut avancée, ce que l'on dit avoir été fait par l'avertissement d'un parfumeur milanois nommé René, qui vint raconter le cas au premier président, disant davantage que la Reine-mère avait obtenu leur rémission, qui fut cause de les faire sortir plus tôt de la Conciergerie et de faire cheminer hastivement la charette[241].

Le sursis serait-il arrivé à temps et l'exécution aurait-elle été retardée, que ni La Mole ni Coconas n'auraient pu échapper à la vengeance du roi de Pologne.

Le 16 mai, jour où il n'avait pu encore savoir qu'ils avaient été exécutés, il écrivit à Nançay, son plus intime confident : Si jamais j'ai eu joie, ce a esté quand j'ay sçeu que La Mole et Coconas sont en cage ; mais jusques à ce que le seigneur qui les traitoit si doucement à la Rochelle, en anciens compagnons, les ait fait danser la volte avec la corde, je ne seray pas bien satisfait, non tant pour moy, comme pour le repos de la France ; car, si on ne les chatie, je ne sçay ce que feront Leurs Majestés à tous ceux qui sont si méchants que d'entreprendre contre eux. Je ne parle que de ce que je puis parler. Je n'ose rien dire ; mais je vous diray bien que Leurs Majestés me sont plus chères que les autres. Vous penserez bien ce que j'entends là dessous. Or, aymez-moi toujours et venez voir, car j'en ay une envie extrême.

Puis revenant à La Mole et à Coconas :

Écrivez-moi si on mettra la tête de ces deux seigneurs en montre ou en Grève ou aux Allées : car je suis gros de le sçavoir (2)[242].

Dans la nuit qui suivit le supplice de La Mole et de Coconas, à la grande colère de Charles IX, les quatre quartiers de leur corps furent détachés du gibet et emportés[243].

A qui faut-il attribuer l'enlèvement des restes des suppliciés ?

Brantôme n'a pas résisté à l'envie d'en parler, mais tout en le racontant, il a cherché à dépister ses lecteurs : j'ay cogneu deux belles et honnestes dames, lesquelles, ayant perdu leurs serviteurs en une fortune de guerre, firent de tels regrets et lamentations, et monstrèrent leur dueil par leurs habits bruns, plus d'eaubénistiers, d'aspergez d'or engravez[244], plus de testes de mort, et de toutes sortes de trophées de la mort en leurs affiquets, joyaux et bracelets qu'elles portoyent, qui les escandisèrent fort et cela leur nuict grandement ; mais leurs maris ne s'en soucioyent autrement[245].

Plus affirmatif que Brantôme, Gomberville, l'éditeur des Mémoires du duc de Nevers, sans toutefois les nommer, désigne clairement Marguerite de Valois et la duchesse de Nevers : Deux princesses leur avoient porté leur affection si avant que, après leur mort, firent embaumer leurs têtes et chacune garda la sienne. On pourroit deviner qui étoient ces princesses ; mais ce seroit une cruauté d'en avoir seulement la pensée[246].

Charles IX, sur la fin prochaine duquel les conspirateurs avaient compté, ne se doutait même pas de la gravité de son mal : Incontinent que l'estat des affaires de mon royaume, écrit-il à La Mollie-Fénelon le 11 mai, sera un peu remis, ce que j'espère dans peu de temps, je m'approcherai de Picardie pour effectuer l'entrevue de mon frère d'Alençon avec la reine Elisabeth[247].

Catherine. soit qu'elle ne crût pas à la mort si prochaine de son fils, soit que dans l'intérêt du roi de Pologne elle voulut en dissimuler la triste réalité, venait d'écrire au duc de Savoie : Je veux vous rassurer sur la santé de mon fils, lequel a été fort malade quelques jours ; il ne lui reste plus qu'une grande foiblesse et un peu de relique de son rhume[248].

Mais les forces du malade déclinaient à vue d'œil. Par l'indisposition de sa personne et longueur de maladie, lisons-nous dans une lettre du temps, il est réduit en telle maigreur et foiblesse qu'il n'a plus que la peau et les os et les jambes et cuisses si amoindries et atténuées,qu'il ne se peut soustenir. Mercredi dernier, il se trouva tant failly de haleine et paroles, à l'occasion du flux du sang par la bouche, qu'on en attendoit plus la mort que la vie ; vray est que, hier la nuit, il fut plus ému que de coustume et n'entroit-on point dans sa chambre ; mais, le soleil se haussant, la Reine y vint et y entrèrent assez de gens, mesmement les prêtres qui y firent le service. Depuis qu'il a entendu l'exécution de La Mole et de Coconas, il a meilleur visage que devant, disant qu'il espéroit tant vivre qu'il verroit la fin de ses conspirateurs contre lesquels il se montra fort ennemy en demandant fort la vengeance[249].

Le 25 mai, il put encore écrire à du Ferrier, son ambassadeur à Venise : Montgomery s'étant mis aux champs, pour essayer de s'estendre davantage, a été pressé et serré de si près qu'il a été contraint de se jeter dans la ville de Domfront assez foible et mal soutenable. Il a été aussitôt environné par les forces que conduit Matignon, de sorte qu'il est hors de toute apparence d'en sortir et pense que Dieu nous fera la grâce de l'avoir mort ou vif, pour lui faire porter la pénitence du premier malheur qu'il a causé en ce royaume et de tant de troubles et misères qu'il ait pu depuis susciter[250].

Enfin, à bout de forces, le 29 mai, il adresse une dernière lettre à Matignon :

Mon indisposition depuis un jour est fort accrue, et suis aujourd'hui en tel estat que j'attends ce qu'il plaira à Dieu faire de moy, en la main duquel sont toutes choses humaines, estant tout prêt de me conformer à sa sainte volonté. Cependant j'ay prié la Reine ma mère que, suppléant au défaut de ma maladie, elle veuille avoir plus grand soin que jamais de mes affaires et de celles de mon royaume, ainsy qu'elle s'en est très dignement acquittée jusqu'icy, désirant qu'elle soit obéye en tout ce qu'elle commandera tant durant ma maladie que là où il plaira à Dieu faire son saint commandement de moy, jusqu'à ce que le roi de Pologne, qui est mon légitime héritier, soit arrivé. J'ay fait entendre cette mienne volonté à mes frères, le duc d'Alençon, et le roi de Navarre, qui m'ont promis de l'ensuivre et obéir à ma dite dame et mère selon l'amour et bonne affection qu'ils lui portent[251].

La nuit du 29 au 30 mai s'annonçait terrible. Mazille, le premier médecin de Charles IX, fit sortir de cette chambre, déjà marquée par la mort, tous ceux qui y étaient. Il n'y laissa que la nourrice du Roi, qui depuis les premiers jours de sa maladie ne l'avait quitté ni jour ni nuit.

Le 31, au matin, Catherine, les yeux rayonnants de la joie du triomphe et de la vengeance satisfaite, vint lui annoncer que Montgomery, leur ennemi mortel, était enfin dans les mains de Matignon ; il ne répondit rien, et comme elle se plaignait de son silence : — Toutes choses humaines, murmura-t-il, ne me sont plus de rien.

Quelques heures plus tard, sentant la mort venir, il fit éloigner sa femme dont la douleur lui faisait mal et ne garda que sa mère auprès de lui. Il voulait lui parler encore, mais la parole lui manqua.

L'agonie commençait, elle se prolongea jusqu'à quatre heures du soir[252].

Au sortir de cette chambre où elle laissait son fils inanimé, Catherine prend la plume et elle écrit au nouveau Roi : Votre frère est mort, ayant reçu Dieu ce matin ; se portant bien, et, sur les quatres heures, il mourut, le meilleur chrestien qui fust jamais, ayant reçu tous les sacrements et la dernière parole ce fut : Et ma mère. Cela n'a pu estre sans une extrême douleur pour moy et ne trouve autre consolation que de vous voyr bientôt icy comme vostre royaume en a besoin et en bonne santé ; car, si je venois à vous perdre, je me ferois enterrer avec vous toute en vie. Quant à vostre partement de Pologne, ne le retardez en nulle façon, nous avons besoin de vous icy, avecques cela je meurs d'envie de vous revoir ; car rien ne peut me faire oublier ce que j'ay perdu que votre présence.

Vous sçavez combien je vous aime, et, quand je pense que ne bougerez jamais plus d'avec nous, cela me fait prendre tout en patience[253].

 

XIX

Quiconque se servira de l'épée périra par l'épée[254].

Cette loi de Lynch de tous les temps, ces paroles prophétiques de l'Evangile s'appliquent à tous ceux qui ont mis la main à la tuerie de la Saint-Barthélemy.

Maurevel, qui a arquebusé l'amiral, est frappé mortellement en plein jour et en pleine rue de Paris par de Mouy dont il a assassiné le père[255].

Besme, à son retour d'Espagne, où Philippe II l'avait de nouveau comblé de présents, fait prisonnier par les huguenots entre Châteauneuf et Barbezieux, est enfermé dans le château de Boutteville et paye de sa vie une tentative d'évasion[256].

Cosseins, qui, à la Saint-Barthélemy, n'espargna pas le sang, envoyé au siège de La Rochelle, est pris d'une si noire mélancolie, et son visage est si décomposé que Brantôme ne peut s'empêcher de lui dire : — Je crains que vous n'y restiez.

Je le sais, répondit-il, que maudite soit la Saint-Barthélemy !

Blessé d'un coup d'arquebuse et emporté à demi-mort de la tranchée, il aperçut Brantôme et l'appelant : — Vous aviez dit vrai, s'écria-il.

Les plus acharnés au massacre ont tous une fin tragique :

Coconas, deux ans plus tard, est décapité en Grève. Duguast, qui tua Lavardin, est tué, à son tour, dans son propre hôtel et dans son lit par Viteaux.

Chicot, le bouffon de Henri III, et son frère, le capitaine Raymond, ces meurtriers masqués du jeune La Rochefoucauld, succombent, Raymond au siège de La Rochelle, Chicot, frappé en plein corps par un gentilhomme qu'il avait fait prisonnier et qu'il amenait à Henri IV.

Le duc d'Aumale, au siège de La Rochelle, a la tête emportée par un boulet. Savigny y est également tué, et en annonçant sa mort à Burghley, Dieu, écrit Walsingham, par ce commencement, nous donne quelque espoir que le sang innocent sera vengé[257].

Bussy d'Amboise, qui avait arraché son cousin de Resnel des mains des soldats qui l'entraînaient à la Seine, et l'avait tué d'un coup de pistolet, Bussy, attiré au château de Méridor, par une lettre de Mme de Montsoreau, lettre que l'époux outragé avait forcé sa femme à écrire en lui broyant le poignet, lutte en désespéré contre vingt estafiers. Son pourpoint s'accroche au fer du balcon d'où il s'est élancé, et il est achevé d'un coup d'arquebuse[258].

Le bâtard d'Angoulême, le grand prieur, du talon de sa botte avait frappé le cadavre de l'amiral ; dans un duel, à Aix, il s'enferre sur le glaive d'Altovitti[259], qui lui-même est mortellement blessé.

La milice urbaine de Lyon, qui avait pris la plus grande-part au massacre, envoyée en garnison à Aubenas, est passée au fil de l'épée par les huguenots entrés de force-dans cette ville, Boydon leur capitaine est pendu à Clermont-Ferrand[260].

Le grand François de Guise, appelé aux États de Blois, tombe dans un sombre couloir sous les coups redoublés des Quarante-Cinq.

A son tour Henri III meurt du coup de couteau de Jacques Clément, dont la duchesse de Montpensier et la duchesse de Guise ont armé le bras.

Catherine, la grande coupable, ne survivra que de deux jours au duc de Guise dont la mort a hâté la sienne.

Charles IX, qui a vainement cherché à étouffer ses remords par des exercices violents et des chasses insensées, jusqu'à sa dernière heure est poursuivi par les furies vengeresses. La nuit qui précéda sa fin, il se lamentait si fort que sa nourrice, cette huguenote qu'il affectionna toute sa vie, l'entendant se plaindre, se leva du coffre sur lequel, brisée de fatigue, elle s'était assoupie, et accourut à son chevet. Ah ! nourrice, ma mie, que de sang, s'écria-t-il, que de sang ! Que j'ai eu de mauvais conseils ! Mon Dieu, pardonnez-moi ! je ne sais plus où je suis ! Que deviendra tout cela, que ferais-je ? Je suis perdu, je le sens !

Sire, lui dit-elle, les meurtres sont sur la tête de ceux qui vous les ont fait faire. Puisque vous en avez regret, croyez que Dieu ne vous les imputera pas[261].

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Voir dans les Mémoires de l'Etat de la France sous Charles IX la lettre adressée au gouverneur de Bourgogne, t. Ier, p. 296.

[2] Bibl. nat., fonds franç., n° 3193, f° 23.

[3] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 41.

[4] Mémoires de l'Estat de la France, t. Ier p. 319.

[5] Paulin Paris, Correspondance de Mandelot et de Charles IX.

[6] Theiner, Continuation des annales de Baronius, t. Ier.

[7] Panthéon littéraire. Mémoires de Tavannes.

[8] Bibl. nat., fonds franç., 16125, f° 187.

[9] Albéri, Relaz. venez., t. IV.

[10] Kervyn de Lettenhove, la Conférence de Bayonne.

[11] Archives de Turin.

[12] Archives de Turin.

[13] White, Massacre of Saint Bartholomew, London 1858, p. 457.

[14] Albéri, t. IV, 1re série.

[15] Marrot, Hist. de Meaux, voir Toussaint-Duplessis, Hist. du diocèse de Meaux.

[16] Baguenault de Puchesse, Hist. de la Saint-Barthélemy à Orléans, 1873.

[17] Mémoires de l'Estat de la France, t. I, p. 332.

[18] Bibl. nat, fonds franç. n° 15555 f° 88.

[19] Voir Dupin de Saint André, Hist. des protestants en Touraine, 1888.

[20] Bibl. nat., fonds franç.. n° 15555. Voir Leroux, Hist. de la Réforme dans le Limousin.

[21] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555.

[22] Imberdis, Guerres de religion en Auvergne.

[23] Communication de M. l'archiviste du Puy de Dôme, M. Houchon.

[24] Odolant-Desnos, Hist. d'Alençon, t. II, p. 586.

[25] Bibl. nat., fonds franç., n° 3256 f° 57.

[26] Voir Floquet, Hist. du parlement de Normandie, t. III, p. 123 et suivantes.

[27] Voir Floquet, Hist. du parlement de Normandie, t. III, p. 123 et suivantes.

[28] Vitet, Hist. de Dieppe.

[29] Négociations du président Jeannin, édit. de 1829, t. III, p. 619.

[30] Communication de M. Garnier, l'archiviste de la Côte-d'Or.

[31] Archives du Rhône.

[32] Archives du Rhône.

[33] Archives du Rhône.

[34] Archives du Rhône.

[35] Archives du Rhône.

[36] Voir Goudimel et son œuvre, Bulletin de l'hist. du protestantisme (année 1885)

[37] Archives du Rhône.

[38] Archives du Rhône.

[39] Paulin Paris, Correspondance de Charles IX et de Mandelot.

[40] Archives du Rhône.

[41] Archives du Rhône.

[42] Voir Chorier, Hist. du Dauphiné, édit. de 1670, p. 647.

[43] Chartrier de Monseigneur le duc d'Aumale, lettres de M. de Gordes qui nous ont été communiquées ; voir Long, Hist. du Dauphiné.

[44] Chorier parle du massacre de Montélimar, assertion contredite par les documents publiés par M. Coton et par ceux également publiés par M. Lacroix, archiviste de la Drôme.

[45] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 2

[46] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 2

[47] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 67.

[48] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 105.

[49] Voir Hist. du Languedoc, Toulouse, 1891, p. 345.

[50] Bibl. nat., fonds franç, n° 15556, f° 3.

[51] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 60.

[52] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 60.

[53] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 60.

[54] Bibl. nat., fonds franç., n° 15355, f° 187 (minute originale).

[55] Bibl. nat., fonds franç., n° 15355, f° 187 (minute originale).

[56] Bibl. nat., fonds franç., n° 15355, f° 48.

[57] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 47 ; voir Bulletin de l'hist. du protestantisme. Tamizey de la Roque, t. II de la Revue des questions historiques ; L. Lalanne, Curiosités biographiques, p. 372.

[58] Bibl. nat., fonds franç., n° 16140, f° 191, v°.

[59] Bibl. nat., fonds franç., n° 16040, f° 191, v°.

[60] Archives du Vatican.

[61] Archives du Vatican.

[62] Theiner, Continuation des annales de Baronius, t. Ier, p. 329.

[63] Theiner, Continuation des annales de Baronius, t. Ier, p. 329.

[64] Voici le texte de la lettre, tel que Soldan l'a ponctuée : Qual regina in progresso di tempo intende poi non solo di revocar tal editto ma per mezo de la giustiza di restituire la fede cattolica nel (nell') antica observanza parendogli che nessuno ne debba dubitare, adesso che hanno fatto morire l'Amiraglio con tanti altri huomini di valore, conforme a ragionamento altre volte havuto con esso meco, essendo a Blès e trattando del parentado di Navarra e dell altre cose che corrévano in quei tempi il che essendo vero ne posso rendere testimonianza e a N. S. e a tutto il mondo. (Soldan, la France et la Saint-Barthélemy, 1855, p. 141.)

[65] Bibl. nat., fonds franç., n° 16140.

[66] Voir cette inscription dans le tome VII de la Correspondance diplomatique de la Mothe Fénelon, et dans le tome Ier des cinq cents. Colbert (Bibl. nat., p. 119).

[67] Voir les lettres à ce sujet du cardinal dans le n° 16139 du fonds. français.

[68] La Bibliothèque nationale possède un exemplaire de cette rarissime édition portée au catalogue sous le n° 305 et mise aujourd'hui à la réserve.

[69] Voir page 4 de l'édition de 1574. L'éditeur se trompe ou volontairement ou involontairement : le livre fut imprimé le 18 septembre 1572 et dans la seconde édition, ainsi que nous l'avons dit, la phrase compromettante pour le cardinal de Lorraine fut retranchée.

[70] Gachard, Bulletin de la Commission d'histoire en Belgique.

[71] Elle a été reproduite par Bonnani, Numism. pontific, t. I, p. 336. Notre Cabinet des médailles en possède une.

[72] Bibl. nat., fonds franç., n° 16140 f°.

[73] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 395.

[74] Lord Acton, The Worth British Review, n° cl.

[75] Soldan, La France et la Saint-Barthélemy, p. 101.

[76] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 397, p. 337.

[77] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 397, p. 337.

[78] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 397, p. 337.

[79] M. Gachard a publié le récit de Oalegni sur la Saint-Barthélemy, récit incomplet et inexact sur plusieurs points. En voir la copie dans les Archives du Ministère des affaires étrangères.

[80] Archives nat., collection Simancas, K, 1530.

[81] Bibl. nat., fonds franç., 16104, n° 33.

[82] Archives nat., Collect. Simancas. K, 1530.

[83] Archives nat., Collect. Simancas. K, 1530, n° 53.

[84] Archives nat., Collect. Simancas. K., 1530.

[85] Bibl. nat., n° 16204, f° 153.

[86] Bibl. nat., fonds franç., n° 16104, f° 133.

[87] Bibl. nat., fonds franç., n° 16104, f° 92.

[88] La Mothe-Fénelon, Négociations diplomatiques, t. V, p. 115 et suivantes.

[89] La Mothe-Fénelon, Négociations diplomatiques, t. VII, p.325.

[90] Correspondances diplomatiques de La Mothe-Fénelon, t. V, p. 127-128.

[91] Calendar of State papers (1592).

[92] Lettres de Walsingham, p. 197.

[93] Lettres de Walsingham, p. 197.

[94] Bibl. nat., fonds franç., n° 16127.

[95] Gachard, Correspondance de Guillaume d'Orange, t. III, p. 29.

[96] Bibl. nat., cinq cents Colbert, vol 400 (non paginé).

[97] Bibl. nat., cinq cents Colbert n° 400 (volume non paginé).

[98] Bibl. nat., cinq cents Colbert n° 400 (volume non paginé).

[99] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 427, f° 155.

[100] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 7, f° 477.

[101] Bibl. nat., fonds franç., n° 3806, f° 37 (traduction de l'italien).

[102] Mémoires de Choisnin, p. 697.

[103] Bibl. Imp. de Saint-Pétersbourg, voir notre livre le XVIe Siècle et les Valois, p. 327.

[104] Bibl. nat., fonds franç., 15555, f° 112. (Minute originale).

[105] Lettres et Mémoires de Walsingham.

[106] Lettres et Mémoires de Walsingham.

[107] Bibl. nat., fonds franc., Lettres de Gassot au duc de Nevers, n° 3247, f° 68.

[108] Bibl. nat., fonds franç., n° 16127.

[109] Bibl. nat., fonds franç., n° 16127.

[110] Brantôme, édit. de L. Lalanne, t. V, p. 259.

[111] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 306.

[112] De Thou, Hist. univ., t. VI,

[113] Bibl. nat., fonds franç., n° 3250, p. 354.

[114] Bibl, nat., fonds franç., n° 15555.

[115] Bibl. nat., fonds franç., n° 3250, p. 354. Voir La Faille, Hist. de Toulouse, t. II, p. 310.

[116] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 124. Lagebaston était encore, à la fin d'octobre, au château du Ha d'où il adressait lettres sur lettres au Roi, à Catherine et au duc d'Anjou, les suppliant d'écrire à Mrs de Villars et de Montpezat, afin d'obtenir de pouvoir aller librement et de remplir ses fonctions. Ce n'est que plus tard qu'il fut réintégré dans sa charge de premier président.

[117] Bulletin de l'Hist. du protestantisme (année 1890).

[118] Bibl. nat., fonds franç., n° 15555, f° 156. De leur côté les jurats de Bordeaux déclarent au Roi que tout a été fait par le commandement de Montferrand. Ibid.

[119] Desjardins, Relations diplomatiques avec la Toscane, t. III, p. 845.

[120] Mézeray, Hist. de France, in-f°, t. III, p. 263.

[121] Bibl. nat., fonds franç., n° 3247, f° 65.

[122] Régnier de la Planche, Hist. de France sous François II, édit. de Mennechet, p. 162.

[123] Brantôme, édit de L. Lalanne, t. V, p, 358.

[124] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 339.

[125] Bibl. nat., fonds franç., n° 16127, f° 207.

[126] Négociations diplomatiques de La Mothe-Fénelon, t. V, p. 161.

[127] De La Motte-Fénelon, Négociations diplomatiques, t. V, p. 200.

[128] Correspondance diplomatique de La Mothe-Fénelon, t. V, p. 162.

[129] Correspondance diplomatique de La Mothe-Fénelon, t. VII, p. 375.

[130] Record office, State papers, France, voir notre livre le XVIe Siècle et les Valois, p. 334.

[131] Record Office, State papers, France ; voir notre livre le XVIe Siècle et les Valois (Plon).

[132] Bibl. nat, fonds franç., n° 16140.

[133] Theiner, Continuation des Annales de Baronius, t. Ier, p. 361.

[134] Bibl. nat., cinq Cents Colbert, n° 427, p. 576.

[135] Bibl. nat., cinq Cents Colbert, 400 (volume non paginé).

[136] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. III, p. 861.

[137] Bibl. nat., fonds franç., n° 16104, p. 240.

[138] Bibl. nat., fonds franç., n° 15902, f° 199.

[139] Bibl. nat., fonds franç., n° 3276, f° 60.

[140] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 341.

[141] Bibl. nat., fonds franç., n° 15902, f° 281.

[142] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 357 et suivantes.

[143] Brantôme, édit de L. Lalanne, t. XI.

[144] Le roi de Navarre.

[145] Le prince de Condé.

[146] M. Froude, dans son Histoire d'Elisabeth a publié une ou deux lettres de Maisonfleur. J'ai eu la bonne fortune de retrouver au Record Office toute sa correspondance et je l'ai publiée dans mon livre, le XVIe Siècle et les Valois.

[147] Le XVIe Siècle et les Valois, p. 339.

[148] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 356.

[149] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 383.

[150] Bibl. nat., fonds, franç., n° 16105, f° 14, v°.

[151] Bibl. nat., fonds, franç., n° 15902, f° 331.

[152] Voir les instructions qui lui furent données dans les Mémoires de Walsingham, p. 374.

[153] Voir additions aux Mémoires de Castelnau par Le Laboureur t. III, p. 285.

[154] Calendar of State papers (1572), p. 254 : Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 387 ; additions aux Mémoires de Castelnau, t. p. 285.

[155] Bibl. nat., fonds franç., n° 15556, 107.

[156] Bibl. nat., fonds franç., n° 15556, f° 107.

[157] Bibl. Impér. de Saint-Pétersbourg (original).

[158] Bibl. nat., fonds franç., n° 16105, p. 7.

[159] Bibl. nat., fonds franç., n° 16105, p. 7.

[160] Bibl. nat., fonds franç., n° 16105, p. 37.

[161] Bibl. nat, cinq cents Colbert, n° 400.

[162] Bibl. nat, cinq cents Colbert, n° 400.

[163] Van Groen Prinsterer, Archives de la Maison d'Orange, t. IV, p. 115.

[164] Son frère Guillaume d'Orange lui avait écrit : Quant à la reine d'Angleterre, elle ne veut s'en mêler ; il n'y a nulle apparence de ce côté. (Van Prinsterer, t. IV, p. 51.)

[165] Bibl. impériale de Saint-Pétersbourg.

[166] Voir les conditions du traité dans le t. IV des Archives de la Maison d'Orange, p. 119. M. de Lumble fut envoyé en France par le prince d'Orange pour traiter avec Charles IX. (Ibid., p. 132, 158.)

[167] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 400 (volume non paginé).

[168] Charles IX doit faire allusion au livre Vindicine contra tyrannos, paru en 1579, sous la rubrique de 1577 et par les soins de Duplessis-Mornay qui, dans la préface de la seconde édition, l'attribue, à juste titre, à Hubert Languet. Ce livre fut commencé à Genève en 1572, et Languet ayant pris le pseudonyme de Junius Brutus, il est à présumer que, par suite de quelque indiscrétion, le Roi fut prévenu qu'un nommé Brutus travaillait à un libelle et chercha à le gagner. (Bibl, nat. fonds franç., n° 15902.)

[169] Bibl, nat. fonds franç., f° 195. L'ambassadeur toscan nous parle également de mémoires laissés par Coligny. Négociations diplomatiques avec la Toscane, 15902, t. III.

[170] Revue rétrospective.

[171] De Furoribus gallicis et cæde admirali Castilionii, atque illustrium virorum vera et simplex Narratio, ab Ernesto Varamundo Frisio, Edimbourg, 1573, in 4°.

A la même date parurent une traduction en allemand S. L., in 4° et une traduction française.

[172] Dareste, Vie d'Hotman, 1850.

[173] Dareste, Vie d'Hotman, 1850.

[174] Voir l'Estat de la France, t. Ier, p. 450.

[175] Voir l'Estat de la France, t. Ier, p. 450.

[176] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 360.

[177] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 338, f° 61.

[178] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 338, f° 61.

[179] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 338, f° 61.

[180] Bibl. nat., fonds franç., cinq cents Colbert, n° 338, f° 49. Voir Mémoires de l'Estat de la France sous Charles IX, t. Ier, p. 450.

[181] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 33S, f° 61 (copie) ; l'original était en la possession de Mr Lucas Montigny.

[182] Ornatissimi cujusdam viri de rebus gallicis ad Elvitium, Epistola, Paris, 1573 (traduction à la même date).

[183] Mémoires de l'Estat de la France, t. Ier, p. 437.

[184] D'Aubigné, Histoire universelle, édit. de Ruble, t. III.

[185] Mémoires de l'Estat de la France, t. II, p. 19 et suivantes.

[186] Claude de Vigenère, la Description de la Pologne, Richer, 157, p. 7.

[187] Bibl. nat., fonds franç., n° 15558.

Voir dans le n° 15558 du fonds français la réponse faite par le Roi aux demandes de ceux de la Rochelle. La Popelinière, Hist. de France, t. II. — de Thou, Hist. univ., t. VI.

[188] Bibl. nat., fonds franç., n° 3246, t. I.

[189] Voir La Popelinière, Hist. de France, t. II, p. 180.

[190] Bibl. nat. fonds franç., n° 15558, f° 102.

[191] Bibl. nat. fonds franç., n° 15558, f° 102.

[192] Bibl. nat.. fonds franç., n° 15558, f° 155.

[193] Bibl. nat.. fonds franç., n° 3246, p. 4.

[194] Bibl. nat.. fonds franç., n° 15558.

[195] Bibl. nat., fonds franç., n° 15558.

[196] Panthéon littéraire, t. XI, p. 14.

[197] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. III, p. 858.

[198] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. III.

[199] Mémoires de la Huguerie, édit. de Ruble, t. I, p. 185.

[200] Bibl. nat., fonds franç., n° 3247, f° 49.

[201] Mémoires de Mornay, Edit. de la Société de l'Hist. de France, t. Ier, p. 25.

[202] Panthéon littéraire, Mémoires du duc de Bouillon.

[203] Dareste, Étude sur Hotman.

[204] Voir Van Prinsterer, Archives de la maison d'Orange.

[205] Record office, State papers, France ; voir notre livre le XVI Siècle et les Valois, p. 179.

[206] Bibl. nat., Dépêches des Vénitiens, Filza VII, p. 162.

[207] Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, t. III, p. 364.

[208] Négociations avec la Toscane, t. III, p. 892.

[209] Bibl. nat., fonds franç., n° 15559, f° 3.

[210] Bibl. nat., fonds franç., n° 15559, f° 10.

[211] La Popelinière, Hist. de France, t. II, p. 20.

[212] De Thou, Hist. univ., t. VII, p. 26.

[213] De Thou, Hist. univ., t. VII, p. 27.

[214] La Mothe-Fénelon, Correspondance diplomatique, t. VI, p. 1 et 24.

[215] Négociations diplomatiques de la Mothe, t. VI.

[216] Voir cette lettre de Charles IX, dans notre livre le XVIe, siècle et les Valois, p, 386.

[217] Languet, Arcana seculi decimi sexti.

[218] Négoc. dipl. avec la Toscane, t. III, p. 901. — Calendar of State papers (1572-1574). — Languet, Arcana Seculi decimi sexti.

[219] Négoc. dipl. avec la Toscane, t. III. — Calendar of State papers (1572-1574), p. 480.

[220] Bibl. nat., fonds. franç., n° 3247, fol. 10.

[221] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. Caboche., p. 53.

[222] D'Aubigné, Hist. univ., édit. de Ruble, t. III, p. 224.

[223] Bibl. nat., fonds Dupuy, n° 500, f° 23.

[224] Bibl. nat., fonds Dupuy, n° 211, f° 61.

[225] Bibl. nat., fonds franç., 15559, f° 13.

[226] Bibl. nat., fonds franç., 15559, f° 15.

[227] La Mothe-Fénelon, Négociations diplomatiques, t. VII, p. 44.

[228] Le Laboureur, Mémoires de Castelnau, t. III, p. 395.

[229] Monluc, édit. de Ruble, t. III, p. 135.

[230] Panthéon littéraire, Mémoires du duc de Bouillon.

[231] Dareste, Étude sur Hotman.

[232] Bibl. nat., fonds franç., n° 15559, f° 48.

[233] Archives nat., collect. Simancas, K, 1535.

[234] Calendar of State papers (1572-1574).

[235] Cimber et Danjou, Archives curieuses, t. VII.

[236] Cimber et Danjou, Archives curieuses, t. VIII.

[237] Bibl. nat., fonds Dupuy, n° 590, fol. 24.

[238] Imprimé dans les Mémoires de Nevers, t. I. p. 5.

[239] Mémoires de l'Estat de la France sous Charles IX, t. Ier.

[240] Mémoires de Nevers, t. Ier ; Record office, State papers, France.

[241] Record office, State papers, France.

[242] Bibl. nat., Fonds franc., n° 3191, f° 37.

[243] Bibl. nat., Dépêches des ambassadeurs vénitiens, Filza VIII.

[244] Asperges, goupillons.

[245] Brantôme, édit. L. Lalanne, t. IX, p. 122.

[246] Mémoires de Nevers, t. I, p. 5.

[247] Correspondance diplomatique de La Mothe-Fénelon, t. VII, p. 165.

[248] Archives de Turin.

[249] Record Office, State papers. Voir notre livre le XVIe Siècle et les Valois (Plon).

[250] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 366.

[251] Bibl. nat., fonds franç., n° 3236, f° 92.

[252] Voir le Vray Discours des derniers propos et trespas du feu Roy Charles IX, Rouen, Martin Le Mégissier, 1574.

[253] Bibl. nat., fonds Dupuy. n° 500, f° 88. Voir à l'appendice en son entier cette lettre de Catherine à son fils le roi de Pologne, et celle qu'elle écrivit, à Matignon pour lui notifier la mort de son frère et sa régence.

[254] Omnes enim qui acceperunt gladium, gladio péribunt (saint Mathieu).

[255] Brantôme, édit, L. Lalanne, t. IV, p. 300.

[256] Brantôme, édit, L. Lalanne, t. IV, p. 310.

[257] Lettres et Mémoires de Walsingham, p. 190.

[258] Voir Journal de l'Estoile (Août 1579) ; de Thou, livre XVIII ; Léon Marlet, Hist. de Bussy d'Amboise.

[259] Altovitti, le mari de la belle Châteauneuf.

[260] Péricaud, Notes sur Lyon, t. Ier, p, 72 et 73.

[261] Brantôme, édit. de L. Lalanne.