GRANDEUR ET DÉCADENCE DE ROME

 

TOME IV. — ANTOINE ET CLÉOPÂTRE

CHAPITRE I. — VERS L'ORIENT.

 

 

Beaucoup d'historiens ont blâmé sévèrement l'indifférence avec laquelle Antoine à Alexandrie se désintéressa de la chute de Pérouse. Ils croient que, s'il était venu alors prendre en Italie le commandement de son armée, il aurait pu aisément avoir raison d'Octave[1]. Et tous, continuant le roman d'amour de Cléopâtre et d'Antoine qu'ils font commencer à l'entrevue de Tarse, décrivent le séjour à Alexandrie comme une longue fête insouciante, pendant laquelle Antoine s'abandonna aux plaisirs et oublia tout le reste[2]. Il faut remarquer cependant que le siège de Pérouse commença à la fin de l'automne de l'année 41, époque pendant laquelle la navigation de la Méditerranée était suspendue. Antoine n'en eut donc connaissance qu'au printemps de l'année 40, quand le siège était déjà fini. Il convient aussi de considérer que, s'il ne pouvait guère abandonner ses plus proches parents, il ne pouvait pas non plus approuver l'absurde politique de son frère et de sa femme, qui semblaient ne pas se rendre compte que le parti populaire était maintenant dans l'armée, qu'il était l'armée elle-même. Enfin, s'il n'est pas douteux que Marc-Antoine s'adonna aux plaisirs cet hiver-là dans l'immense et somptueux palais des Ptolémées, il est certain aussi qu'il s'occupa de choses sérieuses, voire même du problème le plus sérieux qui pouvait se présenter alors au chef de la République, au plus illustre magistrat de l'empire. Si Cléopâtre l'avait invité à venir à Alexandrie, ce n'était pas seulement pour en faire son amant et pour le distraire ; c'était aussi pour lui répéter les offres que probablement elle avait déjà faites à César, quatre ans auparavant, quand elle était revenue à Rome tout exprès. Elle lui offrait de devenir roi d'Égypte en l'épousant. Sans doute Cléopâtre se servait, pour persuader Antoine, de tous les moyens dont elle pouvait disposer ; mais il ne faut pas pour cela voir dans ce projet de mariage une simple tentative de séduction féminine. Il y avait dans ce projet un plan politique très ingénieux qui fait honneur à l'intelligence de Cléopâtre : elle voulait essayer de sauver par ce mariage l'Égypte du sort commun des autres peuples méditerranéens, je veux dire de l'esclavage romain. Par une politique très rusée, en l'achetant au poids de l'or aux partis qui s'étaient succédé au gouvernement de Rome, l'Égypte avait pu jusque-là garder son indépendance ; mais il était impossible qu'on se fit, même à Alexandrie, de grandes illusions sur ce point, pour l'avenir. La richesse de l'Égypte était trop grande pour ne pas réveiller les convoitises de l'Italie ruinée ; et son gouvernement trop faible et trop désorganisé pour résister longtemps. Au point de vue économique et intellectuel, l'Égypte était le seul pays complet du monde antique ; elle avait une agriculture florissante, une industrie prospère, un commerce étendu, des écoles célèbres, une vie artistique intense. Très fertile, admirablement cultivée, elle récoltait presque tout le lin dont étaient tissées les voiles qui s'ouvraient sur la Méditerranée ; elle produisait plus de grain qu'il n'en fallait pour nourrir sa population très dense, et elle pouvait en exporter. Son industrie était la première du monde méditerranéen, grâce aux nombreux et habiles artisans d'Alexandrie, qui fabriquaient chez eux les tissus les plus délicats, des parfums, des verres, des papyrus et mille autres objets que de riches marchands exportaient ensuite dans tous les pays. L'Égypte était le pays- du luxe et de l'élégance ; elle envoyait un peu partout, et même en Italie, ses peintres, ses décorateurs, ses stucateurs, ses modèles d'objets de luxe ; centre d'étude très fameux, elle voyait venir les étudiants des pays les plus éloignés, et même de la Grèce, fréquenter les écoles de médecine, d'astronomie et de littérature que le gouvernement royal entretenait à Alexandrie. Son commerce enfin était très étendu et très lucratif ; car elle n'exportait pas seulement partout ses produits industriels en échange des métaux précieux qu'elle accumulait ; elle détenait aussi la majeure partie du commerce avec l'Extrême-Orient, avec l'Inde, et avec la terre fabuleuse des Sères. Mais si brillant, quand on considère l'Égypte au point de vue de la richesse et de la culture, le tableau devient sombre quand on étudie son état politique et social. La vieille et glorieuse monarchie des Ptolémées agonisait. La division du travail, qui est un résultat véritable de la civilisation, avait été poussée à un tel point en Égypte, qu'elle avait étouffé tout esprit de solidarité sociale et nationale. Les métiers, les professions, les familles, les individus, ne songeaient qu'à leurs intérêts et à leurs plaisirs. Un égoïsme affreux, une indifférence invincible pour tout ce qui ne les touchait pas immédiatement, isolait les groupements sociaux dans toutes les classes, depuis les cultivateurs des grandes propriétés, des biens de mainmorte, des domaines royaux, qui vivaient dans une sujétion voisine de la servitude ; depuis les métayers libres, laborieux, mais qui s'appliquaient seulement à grossir leur épargne ; depuis la plèbe ouvrière et cosmopolite, qui travaillait avec intelligence, mais qui était remuante et sanguinaire, jusqu'à la classe opulente des marchands qui s'étaient fixés en Égypte comme au meilleur carrefour des grandes routes du monde ; jusqu'aux riches propriétaires qui déployaient un luxe merveilleux, qui considéraient la cour comme le modèle suprême du faste et de l'élégance, mais qui ne formaient pas une aristocratie politique et militaire, et qui, par indolence et par orgueil, se laissaient éloigner des hauts emplois par des eunuques, des affranchis, des aventuriers, des étrangers ; jusqu'à la caste sacerdotale qui ne songeait qu'à augmenter ses richesses et sa puissance ; jusqu'à la bureaucratie, nombreuse, bien disciplinée en théorie, mais corrompue, avide d'argent et peu consciencieuse ; et enfin, jusqu'à la cour, pieuvre insatiable, engloutissant l'argent et les métaux précieux, nageant dans les intrigues, les crimes, les petites révolutions_ dynastiques, que des factions minuscules ourdissaient dans l'indifférence universelle, avec infiniment d'ingéniosité et de scélératesse. Ce royaume en décadence était ainsi à la fois inerte et agité. Avec une administration grandiose, il laissait tout dans l'abandon, et même les canaux du Nil ; avec une monarchie où les rois étaient divinisés encore vivants, il était continuellement déchiré par des révolutions de palais, qui ne faisaient durer ses rois que quelques années, et empêchaient de porter remède à ses moindres misères politiques ; riche comme il l'était, il n'avait pas d'armée, et, pour disposer de quelques troupes, il était obligé de recruter les esclaves qui fuyaient des autres pays ; il était plein d'hommes de haute culture et de grande intelligence, mais il ne savait lutter contre Rome qu'au moyen d'intrigues bizarres et compliquées[3]. Peu à peu sa diplomatie en était à la fin arrivée à offrir sa reine comme une prostituée à un proconsul romain. Le gouvernement féminin de Cléopâtre avait de nombreux adversaires, surtout dans les classes élevées, sans que nous en sachions la raison ; peut-être à cause de la honte de ses intrigues avec César et avec Antoine, à cause de son avidité insatiable, de sa cruauté capricieuse, du désordre de son gouvernement de favoris[4]. Se sentant menacée, elle avait pensé à se sauver elle-même, et l'Égypte avec elle, par une alliance avec Rome ; et elle avait essayé de conclure cette alliance en se faisant épouser par César. Ce projet ayant échoué, elle essayait de le réaliser avec Antoine ; quand celui-ci serait roi d'Égypte, quand le gouvernement égyptien pourrait disposer des légions romaines, l'indépendance de l'Égypte et la monarchie de Cléopâtre seraient à l'abri de tout danger.

Il n'est pas difficile de découvrir quel était le point faible de ce projet. Si peu profond que fût l'esprit d'Antoine, il ne pouvait pas ne pas l'apercevoir. Si la crise où se débattait la République concentrait depuis quelques années la direction de l'empire romain dans les mains de deux ou trois chefs militaires, ces chefs représentaient, mais ne personnifiaient pas l'État comme des rois régnant par droit de famille ; ils ne pouvaient donc pas conclure d'alliance par mariage. Un mariage entre un proconsul et une reine d'Orient aurait été jugé en Italie et par les soldats ou comme un crime de haute trahison, ou comme une étrange folie. Malgré cette difficulté, le projet de Cléopâtre avait quelque chance de réussir, au moins en partie, grâce aux difficultés de la situation où se trouvait Antoine, grâce surtout au nouveau projet qu'il préparait : la conquête de la Perse. Antoine était, bien plutôt qu'Octave, le disciple et l'héritier politique de César. Pendant les six derniers mois de la vie de César, tandis qu'Octave était à Apollonie, Antoine était devenu à Rome le confident le plus intime du dictateur ; il avait connu ses pensées les plus secrètes ; il s'était emparé après sa mort de tous ses papiers, entre autres des plans de la guerre que César préparait contre la Perse. Quoi de plus naturel que, la guerre civile étant terminée, une fois maître d'une situation exceptionnelle, l'idée lui vînt de reprendre les grands projets conçus par le dictateur dans le crépuscule orageux de sa vie, et dont il était peut-être le seul à connaître les détails ? Or, parmi ces projets, la guerre contre la Perse devait lui paraître le plus important. Si César lui-même, malgré son génie et ses victoires, n'avait pas cru pouvoir dominer la situation sans cet éclatant succès dans une guerre extérieure, pouvait-il, lui Antoine, se faire l'illusion qu'il réussirait dans une situation beaucoup plus désastreuse ? Tout manquait au gouvernement des triumvirs : l'argent et le prestige. Seule la conquête de la Perse, comme César l'avait dit, pouvait donner l'un et l'autre à son gouvernement et faire de lui, pour toujours, le chef de la République. Sans doute l'entreprise était difficile : mais César, c'est-à-dire le plus grand général de son époque, lui avait laissé un plan de campagne où tous les détails avaient été étudiés, depuis le nombre des légions jusqu'à la route à suivre. Antoine n'aurait qu'à exécuter avec intelligence et énergie ce plan. Les probabilités de succès devaient donc, et avec raison, lui sembler très grandes. En somme, la plus grosse difficulté pour cette entreprise était encore le manque d'argent ; et c'est sur cette difficulté que Cléopâtre pouvait compter pour réussir, au moins en partie, dans ses projets. L'Égypte était encore un pays très riche ; la famille royale y possédait le seul grand trésor de métaux précieux que Rome n'ait pas encore mis au pillage dans le monde méditerranéen. L'alliance avec l'Égypte, proposée par Cléopâtre, pouvait mettre à la disposition d'Antoine les moyens matériels nécessaires pour exécuter le grand plan de César.

Mais le projet de Cléopâtre était si audacieux et si étrange qu'il n'est pas surprenant qu'Antoine ne se soit pas décidé à l'adopter cet hiver-là Un événement imprévu vint d'ailleurs déranger, au printemps de l'an 40, les discussions d'Antoine et de Cléopâtre. De même qu'il y avait eu, en l'an 41, en Italie, une parodie de la guerre sociale, on vit commencer en l'an 40, en Asie, une parodie de la guerre contre Mithridate. Les petits princes de Syrie qu'Antoine avait chassés[5], et Antigone, le prétendant au trône de Palestine, auquel il avait refusé son appui[6], s'étaient entendus pendant l'hiver pour engager les Parthes à envahir les provinces romaines, en leur disant que la Syrie et l'Asie, effrayées des contributions énormes dont Antoine les accablait, accueilleraient volontiers les envahisseurs. A la cour de Ctésiphon, le fils de Labienus, qui y était venu après la bataille de Philippes, se proposait pour diriger une partie de l'armée des Parthes, imitant les fugitifs italiens qui, après la guerre civile, avaient dirigé l'armée de Mithridate[7]. Antoine était à Alexandrie ; dans la Syrie qui était gouvernée par Décidius Sacsa et dans l'Asie qui était gouvernée par Titus Munacius Plancus[8], il n'y avait que les anciennes garnisons de Cassius, qui avaient reconnu le nouveau maître. Une surprise pouvait réussir. Au printemps, en effet, vers le mois de février, Antoine fut informé qu'une armée sous les ordres de Labienus et de Pacorus, fils du roi des Parthes, envahissait la Syrie par Ctésiphon et Apaméia[9]. Antoine dut donc se résoudre pour l'instant à abandonner ses beaux et vagues projets d'un empire asiatique, et s'éloigner de Cléopâtre ; il partit d'Alexandrie au commencement du mois de mars avec une petite flotte et fit voile vers Tyr, où il semble s'être rendu compte que, pour repousser l'invasion, il fallait faire venir de sérieux renforts de Macédoine et d'Italie. Se résignant à abandonner momentanément la Syrie à l'ennemi, il résolut de se rendre par Chypre et Rhodes en Asie et de là en Grèce, pour y réunir une grande armée, et pour revenir ensuite en Orient et repousser les Parthes. Quand il fut parti, les petites garnisons des villes, surprises par des forces supérieures, ne tardèrent pas à se rendre. Décidius seul essaya un instant de résister à Apaméia, mais, comme Labienus cherchait à corrompre ses soldats qui étaient tous d'anciens légionnaires de Brutus et de Cassius, il eut peur d'être trahi et il s'enfuit bientôt à Antioche ; Labienus, informé de sa fuite, prit et fit mettre à mort la petite garnison presque tout entière, le poursuivit jusqu'à Antioche, mit le siège devant la ville et s'en empara, obligeant Décidius à s'enfuir encore une fois en Cilicie. La Syrie et la Phénicie étaient déjà à peu près au pouvoir des Parthes, à l'exception de Tyr, où s'étaient réfugiés les Romains des environs, comme en 74 ils s'étaient réfugiés à Chalcédoine, quand Mithridate avait envahi la Bithynie. Cependant Pacorus se rendait en Palestine avec une partie de son armée, tandis que Labienus marchait avec l'autre à la conquête de la Cilicie[10].

A Éphèse, Antoine trouva les courriers d'Italie, qui l'informèrent du siège de Pérouse, et de la confusion terrible qui était survenue dans son parti après la chute de cette ville. C'étaient là de nouvelles et très graves difficultés pour le triumvir, qui se trouvait déjà engagé dans une guerre contre les Parthes. L'édifice dressé avec tant de peine à Philippes, et qui quelques mois auparavant semblait défier les siècles, allait-il s'écrouler tout d'un coup ? Le massacre de Pérouse avait épouvanté ses amis et ses parents, et ils étaient tous en fuite. Fulvie, escortée de 3.000 cavaliers que lui avaient envoyés ses généraux, était allée s'embarquer à Brindes, pour se rendre en Grèce et attendre Antoine à Athènes[11] ; Plancus avait abandonné le commandement de ses trois légions et s'enfuyait avec Fulvie ; sa mère Julie s'était enfuie auprès de Sextus Pompée qui l'avait accueillie très aimablement[12] ; Asinius Pollion s'était jeté avec son armée dans le delta du Pô, où il allait se tenir sur la défensive[13] ; Ventidius Bassus, à ce qu'il semble, s'était dirigé sur Brindes[14]. Tous cherchaient à s'approcher du rivage pour être en communication avec Antoine ; un grand nombre des partisans de Fulvie et de Lucius s'étaient enfuis, les uns auprès de Sextus Pompée, les autres pour chercher un refuge auprès d'Antoine lui-même. Parmi ceux-ci étaient le fils de Servilia, Marcus Junius Silanus, et Tiberius Claudius Néron, qui s'embarqua furtivement à Naples avec sa femme, fille de ce Livius Drusus qui s'était tué à Philippes, et avec un jeune enfant d'un peu plus d'un an, qui, singulier caprice de la fortune, devait être un jour l'empereur Tibère[15]. Octave restait seul maître de l'Italie : maître cruel et terrible, dont le caractère semblait empirer chaque jour. Dans les procès intentés à des plébéiens, à des affranchis, à des étrangers, il rendait avec tant de facilité des sentences de torture, de mort, de crucifiement, que le peuple lui avait donné le nom de bourreau[16] ; il fréquentait la pire société et jouait avec frénésie[17] ; il remplissait Rome du scandale d'une débauche effrénée, envoyant demander chez elles les belles matrones qui lui avaient plu en passant. Et elles étaient obligées de se rendre aussitôt à son invitation[18]. Ombrageux et jaloux de tout le monde, malgré sa puissance, il ne se fiait à aucun de ses collaborateurs. Agrippa lui-même, dont il commençait à apprécier l'intelligence et qu'il avait fait cette année même préteur, bien qu'il Mt très jeune, se plaignait de cette jalousie et se tenait sur ses gardes, pour ne pas trop y donner prise[19]. En réalité, sa victoire et cette espèce de dissolution universelle qui l'avait suivie l'avaient jeté dans la plus grande frayeur ; et la peur le rendait cruel. Il savait que Fulvie, dont il exagérait comme tout le monde la puissance sur l'esprit de son mari, pousserait celui-ci à la vengeance. Il savait qu'Antoine était plus fort que lui, qu'il disposait d'armées puissantes et d'amis fidèles. Il savait que Sextus Pompée prodiguait à la mère et aux partisans d'Antoine des amabilités qui mettaient le comble à son inquiétude, en lui faisant entrevoir la possibilité d'une alliance entre lui et son collègue. Et il tâchait de se défendre en répandant autour de lui la terreur, en cherchant à s'attacher les soldats par tous les moyens, et en ourdissant des intrigues perfides. Il avait commencé par livrer l'Italie aux vétérans. Comme si l'horrible massacre de Pérouse n'eût pas encore assouvi sa cruauté, il avait confisqué presque tout le territoire de Norcia, parce que les citoyens avaient élevé un monument aux victimes de la défense de la ville, avec une inscription disant qu'ils étaient morts pour la liberté, et qui indiquait combien la bourgeoisie aisée d'Italie regrettait l'ancienne république[20]. Il avait hâté la création des colonies, fait des largesses à tous les vétérans de César, et remplacé dans la Cisalpine Asinius Pollion par Alfénus Varus. Maintenant il s'efforçait par tous les moyens de débaucher les légions d'Antoine. Agrippa avait réussi à faire passer sous ses enseignes deux des légions abandonnées par Plancus, mais la cavalerie était allée retrouver Sextus Pompée et la troisième légion avait rejoint Ventidius[21]. Un moment Octave semble avoir cherché à corrompre Calénus, Ventidius et Asinius, en dissimulant la chose sous des tentatives pour conclure la paix[22] ; mais il ne réussit pas, car personne ne se fiait plus à lui, et Antoine jouissait d'un trop grand prestige. Cependant Antoine approchait rapidement de la Grèce et Fulvie allait à sa rencontre. L'arrivée imminente de son collègue lui causa de si grosses inquiétudes, qu'à la fin de mai il s'adressa, pour qu'elle intercédât en sa faveur auprès de son fils, à la mère de Sextus, à cette Mucia que le grand Pompée avait répudiée à son retour d'Orient, parce qu'il la soupçonnait d'adultère avec César[23]. Il conclurait donc une alliance avec Pompée, plutôt que de s'humilier devant Antoine et devant Fulvie ? Véritable monstre, ayant tous les vices hideux des tyrans, la violences l'orgueil, la luxure et la perfidie, Octave faisait horreur à l'Italie. Cependant, chose étrange pour un tyran, il avait quelques vrais amis, entre autres son maitre Athénodorus de Tarse, et un certain Mécène dont nous ne savons comment il avait fait la connaissance, et qui était issu d'une famille qui avait autrefois régné en Étrurie. Octave les avait toujours auprès de lui, et acceptait d'être conseillé par eux. Chose encore plus extraordinaire de la part d'un tyran, il écoutait avec patience leurs remontrances, reconnaissait parfois ses torts et promettait de s'amender[24]. La perversité d'Octave venait-elle d'une nature mauvaise et incorrigible, ou n'était-elle qu'une crise violente d'une jeunesse maladive, corrompue par le pouvoir, endurcie par la haine et par la peur ? C'était là le grand problème que l'avenir devait résoudre.

Certes il ne voulait pas la guerre, mais il ne voulait pas non plus s'humilier devant Fulvie et Antoine, ni se montrer faible aux yeux de l'Italie ; et, pour préparer sa défense, il précipitait la guerre. Dans la seconde moitié de juin, il avait appris que Mucia n'avait pas réussi à lui gagner l'appui de Sextus Pompée, et que celui-ci, enhardi par ses forces croissantes et poussé par les émigrés, se disposait à dévaster les côtes d'Italie[25] ; il avait aussi appris à la même époque que Calénus était mort en Gaule et que son jeune fils avait pris le commandement des onze légions. Dans l'embarras où il se trouvait, il avait alors pris le parti téméraire de charger Agrippa de défendre l'Italie contre Sextus et d'aller lui-même en Gaule tenter de suborner les légions de Calénus[26], espérant les détacher facilement de leur nouveau chef et avec cet appoint balancer l'alliance probable de Sextus et d'Antoine. Vers ce moment, et peu de temps après qu'Octave fut parti de Rome, Antoine arrivait à Athènes, où avait lieu sa rencontre avec Fulvie, rencontre d'où tout le monde craignait de voir sortir la guerre. Mais Antoine, lui non plus, ne désirait pas la guerre, car la situation était devenue trop mauvaise en Orient. Il n'était vraiment plus question là-bas, tant s'en faut, de l'empire de Cléopâtre ! Labienus avait envahi la Cilicie et l'Asie, il avait tué Décidius Sacsa ; il s'était emparé sans difficulté de toutes les villes à l'exception de Stratonice, de Mylasa et d'Alabanda[27], obligeant le gouverneur à s'enfuir dans les îles[28] ; en sorte que, même si Antoine en voulait à mort à Octave, il était obligé de s'occuper avant tout de ces provinces d'Orient qui étaient en train de lui échapper. Il semble en effet avoir reproché durement à Fulvie ses folies[29] ; et, en attendant qu'Octave revînt de la Gaule[30], il s'occupa de réunir des forces pour être prêt aux événements, mais sans céder nullement aux instigations de Fulvie et des nombreux ennemis de son collègue. Vers le mois de juillet arriva à Athènes sa vieille mère, que lui envoyait Sextus avec une escorte de personnages éminents, parmi lesquels étaient le proscrit Caïus Sentius Saturninus et Lucius Scribonius Libon ; cette ambassade venait lui proposer d'une façon très nette l'alliance de Sextus Pompée pour combattre Octave. Bien résolu à ne pas provoquer la guerre et à ne pas se laisser surprendre sans être bien préparé, Antoine répondit qu'il était reconnaissant à Sextus de sa proposition, et que si Octave ne tuait pas les engagements qu'il avait pris à Philippes, il consentirait à s'unir à lui ; dans le cas, au contraire, où Octave tiendrait ses engagements, il s'efforcerait de réconcilier Sextus avec son collègue[31]. Antoine et Octave s'observaient ainsi avec défiance ; ni l'un ni l'autre ne désiraient la guerre ; mais ni l'un ni l'autre ne voulaient non plus prendre l'initiative de la paix. Un tel état de choses ne pouvait guère se prolonger. Octave avait réussi en Gaule à débaucher les légions de Calénus ; et, après les avoir mises sous le commandement de Salvidiénus, il revenait à Rome vers la fin de juillet ou au commencement d'août, toujours plein de craintes et d'incertitudes. La révolte des légions d'Antoine était-elle pour lui un avantage bien réel ? Cela n'allait-il pas provoquer la guerre ? En outre, ces légions lui seraient-elles fidèles ? De retour à Rome, il put recueillir de plus amples renseignements sur les pourparlers qui avaient eu lieu entre Antoine et Sextus, sans savoir cependant avec certitude si l'alliance avait été conclue ou non. Sextus avait entrepris de tourmenter les côtes d'Italie, mais Octave ne savait pas s'il le faisait sur sa propre initiative ou d'accord avec Antoine. Quoi qu'il en soit, pour entraver l'alliance qui était au moins possible, Octave envoya Mécène auprès de Lucius Scribonius Libon, le beau-père de Sextus et son conseiller le plus influent à cause de la vieille amitié que lui avait portée son père, et il lui fit demander en mariage sa sœur Scribonia, qui était plus âgée que lui à ce qu'il semble, et qui avait déjà été la femme de deux anciens consuls[32]. Scribonius, se réjouissant fort de la chose, écrivit aussitôt à Rome qu'il fallait que ce beau mariage fût accompli sans retard ; et le triumvir, qui, depuis la trahison des légions, était certain d'être attaqué par Antoine, en pressa la célébration qui eut lieu probablement au mois d'août, excitant les risées de Rome tout entière. Octave s'efforçait en même temps de faire croire aux vétérans qu'Antoine ne s'alliait avec Sextus que pour restituer aux anciens propriétaires les terres qui leur avaient été assignées[33] ; et il chercha enfin à se réconcilier avec Lucius Antonius à qui il donna le gouvernement de l'Espagne[34]. Lucius accepta, et, à partir de ce moment-là on ne trouve plus trace de lui : il est probable qu'il ne tarda pas à mourir ; nous ne savons pas si ce fut de mort naturelle.

Octave ne se trompait pas cette fois. Quand on sut en Grèce que le fils de César avait enlevé à son collègue sa meilleure armée, Fulvie et le parti de la guerre l'emportèrent[35]. Antoine prit aussitôt l'offensive ; il fit monter une partie des légions de Macédoine sur des vaisseaux qu'il avait trouvés en Asie, et il se prépara à attaquer l'Italie. A ce moment critique, un secours lui arriva. De son refuge dans le delta du Pô, Asinius Pollion avait engagé des pourparlers avec Domitius Ænobarbus, le maitre errant de l'Adriatique, dont le royaume mobile avait pour limites les planches de ses vaisseaux, et il l'avait persuadé de tenter de faire la paix avec Antoine. Les propositions de Domitius arrivèrent au bon moment ; Antoine avait besoin de bateaux ; il accepta donc, oubliant que Domitius était un des conjurés condamnés par la Lex Pedia[36] ; et, ayant reçu le renfort des vaisseaux et des deux légions auxquelles Domitius commandait, il partit. laissant Fulvie à Sicyone, au mois de septembre, après avoir écrit à Sextus Pompée qu'il acceptait son alliance. Les opérations militaires commencèrent bientôt des deux côtés. Après avoir pris Siponte, Antoine vint assiéger Brindes. Sextus débarqua sur les côtes de Lucanie un corps de troupes qui assiégea Cosenza ; il en dirigea un autre sur Thurium dans le golfe de Tarente ; il envoya une flotte avec quatre légions sous les ordres de son affranchi Ménodore ou Ména pour tenter la conquête de la Sardaigne[37]. A son tour, Octave envoya Agrippa reprendre Siponte ; il partit lui-même au secours de Brindes, et donna à P. Servilius Rullus l'ordre de réunir d'autres forces et de le suivre[38]. Mais il ne tarda guère à s'apercevoir que dans cette guerre, comme dans celle de Modène et de Pérouse, la plus grande difficulté venait du mauvais vouloir des soldats qui s'obstinaient à désirer la concorde entre Octave et Antoine et ne prenaient qu'à regret les armes contre le vainqueur de Philippes. Agrippa avait en vain tenté d'appeler sous les armes les vétérans à qui on avait donné des terres dans l'Italie méridionale ; Octave, dans son voyage à Brindes, avait persuadé à beaucoup de vétérans de le suivre, mais ils ne l'avaient fait que dans l'espoir de l'amener à conclure la paix[39] ; Siponte avait été délivrée par Agrippa, mais Servilius, surpris par Antoine auprès de Brindes, avait été défait et abandonné de presque tous ses soldats[40], et sous les murs de Brindes les soldats de César recevaient sans trêve des objurgations et des reproches de ceux d'Antoine[41]. Chose plus grave encore, Salvidiénus entamait, semble-t-il, des négociations avec Antoine pour lui rendre l'armée qu'Octave lui avait prise, car il lui semblait impossible de la maintenir dans la fidélité à son nouveau maître. Avec une armée si peu disposée à se battre, il était difficile à Octave d'agir vigoureusement : les triumvirs étaient à la fois les maîtres de l'empire et les esclaves des légions. D'autre part, Antoine se disposait à faire venir des renforts de Macédoine ; Sextus Pompée avait réussi à s'emparer de la Sardaigne et à faire passer sous ses enseignes les deux légions d'Octave[42]. Les choses allaient tourner mal. Octave aurait bien voulu engager des négociations, mais ni lui ni Antoine ne voulaient faire les premières démarches. Il fallait que quelqu'un voulût bien s'entremettre, et personne n'osait : on avait trop peur de Fulvie. Par un singulier hasard, au milieu de ces difficultés, la nouvelle arriva justement que Fulvie était morte à Sicyone[43]. Alors enfin un ami d'Antoine, qui était auprès de lui, Lucius Cocceius, eut le courage de s'employer à rétablir la paix entre Octave et Antoine. Il alla faire une première visite à Octave, revint trouver Antoine, se rendit de nouveau auprès d'Octave, tirant petit à petit de l'un et de l'autre des justifications, des propositions, des réponses. Octave le chargea de dire à Antoine qu'il avait voulu lui rendre un service en prenant les légions de Calénus pour ne pas laisser entre les mains d'un jeune homme des légions que Sextus Pompée pouvait chercher à attirer à lui[44] ; Antoine, d'autre part, le chargea de dire à Octave qu'il reconnaissait que Fulvie avait eu tort[45]. Pendant que Cocceius causait avec Antoine et avec Octave, les soldats faisaient de grandes démonstrations en faveur de la paix[46]. Pouvait-on ne pas les contenter ? Antoine envoya Domitius en Bithynie et écrivit à Sextus Pompée de se retirer en Sicile[47] ; on put donc décider qu'un nouvel accord serait discuté, non pas directement par les deux triumvirs, mais par Asinius Pollion et par Mécène, le premier représentant Antoine et le second Octave[48]. C'est ainsi que pendant l'automne de l'année 40, un accord tout à fait nouveau fut conclu à Brindes. C'était un nouveau partage de l'empire romain, dans lequel étaient comprises cette fois les provinces d'Orient dont on ne s'était pas occupé à Philippes. Octave eut toutes les provinces de l'Europe, y compris la Dalmatie et l'Illyrie ; et par suite la Gaule narbonnaise et la Gaule transalpine qui appartenaient auparavant à Antoine ; celui-ci, d'autre part, eut toutes les provinces d'Orient, la Macédoine, la Grèce, la Bithynie, l'Asie, la Syrie, la Cyrénaïque. L'Afrique seule fut réservée à Lépide[49]. Octave restitua à Antoine les légions de Calénus[50], mais il obtint les deux légions que lui devait Antoine, les trois légions que Lépide ne lui avait pas encore données, et il conserva les trois légions que Plancus venait de recruter : il eut ainsi une armée de seize légions (Sextus lui en ayant pris deux) ; Antoine conserva les deux légions de Domitius, ce qui porta son armée à dix-neuf légions, et il se réservait le droit de faire des levées en Italie[51] ; Lépide eut les six légions qui avaient été recrutées récemment par Lucius Antonins. Sextus Pompée fut abandonné par Antoine. Octave pouvait lui faire immédiatement la guerre.

Dans cet accord, dont l'importance a été singulièrement méconnue par les historiens, on peut voir les premiers effets des intrigues de Cléopâtre. Tandis qu'un an auparavant, après la bataille de Philippes, Antoine réclamait sa part du gouvernement de l'Italie et voulait pour lui un morceau de l'Italie, maintenant, au contraire, il abandonnait à son collègue l'Italie et tout l'Occident barbare et pauvre, et il prenait pour lui cette partie de l'empire dont l'Égypte pouvait être considérée comme le centre : toutes les provinces de l'Orient riche et civilisé, et la Cyrénaïque qui était la meilleure province de l'Afrique. Ce changement fut certainement un résultat des discussions qui avaient eu lieu à la cour d'Alexandrie. Au milieu des splendeurs apparentes de l'Égypte en décadence, Antoine, comme César dans ses dernières années, s'était persuadé que l'Europe, sans même en excepter l'Italie, était un continent barbare et pauvre qui ne deviendrait jamais riche, et que, ne pouvant avoir l'empire romain tout entier, il fallait prendre l'Orient et en considérer l'Égypte comme la partie vitale. Maitre de l'Égypte, ayant les soldats de l'Italie et l'or de l'Orient, il ferait la conquête de la Perse et deviendrait le plus puissant des hommes. Il dut toutefois renoncer pour le moment à une partie de ce projet, au royaume des Ptolémées, à la domination sur le Nil, et au mariage avec Cléopâtre qui venait de lui donner un fils. Fulvie était morte à temps, mais les soldats croyaient toujours à la merveilleuse efficacité des mariages comme garantie de la concorde, et, pour rendre la paix plus solide, ils lui préparaient un nouveau mariage. Antoine dut consentir à épouser Octavie, la sœur d'Octave, qui était veuve depuis quelques mois et avait un tout jeune fils[52] ; il lui fallut modifier son genre de vie, cesser d'être un monarque asiatique avec un entourage de concubines et d'eunuques, et redevenir un pater familias latin, le mari d'une simple matrone romaine. Mais Cléopâtre avait fait entrer dans l'entourage d'Antoine beaucoup d'Égyptiens habiles et rusés, qui devaient informer la reine d'Égypte de tout ce qu'il faisait ou méditait de faire, et en outre agir patiemment sur l'esprit inquiet du triumvir pour qu'il demeurât favorable à leur reine et à ses projets[53]. Cléopâtre allait de loin travailler obstinément à transformer le mari d'Octavie en un monarque oriental.

Quoi qu'il en soit, ce mariage montre bien que ce qui avait retenu Antoine l'hiver précédent à Alexandrie, c'était moins son amour pour Cléopâtre que ses projets politiques. Quand les événements l'obligèrent à changer momentanément ces projets, il n'hésita pas non plus à remplacer le mariage de Cléopâtre par celui d'Octavie. Mais le traité de Brindes a une importance beaucoup plus grande, à un autre point de vue ; car il montre que l'empire était menacé par d'autres forces de dissolution que la révolution et l'anarchie : par l'antagonisme entre l'Occident et l'Orient. Ce traité, en effet, anticipait de trois siècles sur le partage du monde romain en empire d'Orient et en empire d'Occident, qui ne fut définitif qu'à l'époque de Dioclétien ; il dépouillait en quelques lignes l'Italie de vastes domaines qu'elle avait mis deux siècles à conquérir. L'Italie vivait depuis deux siècles en pillant l'Orient. Quand ces tributs de l'Orient s'étaient trouvés interrompus, elle en avait éprouvé une grande gène et elle en souffrait encore. Qu'adviendrait-il en Italie si ces tributs, au lieu de parvenir à Rome, étaient arrêtés à Athènes, où Antoine songeait à établir sa résidence, en attendant qu'il pût se fixer à Alexandrie ? Quelle révolution et quelle ruine dans l'ordre économique établi depuis plus d'un siècle, si ces tributs étaient dépensés, non plus en Italie et en Europe, mais en Orient ! Et cependant cette révolution profonde était une conséquence nécessaire du grand projet de la conquête de la Perse. Il était évident que, pour accomplir un si grand effort dans l'intérieur de l'Asie, il fallait déplacer le centre de l'empire vers l'Orient, surtout à une époque où l'Italie, presque ruinée, ne pouvait plus donner aucun appui financier à la grande entreprise. Le public italien avait du reste déjà deviné que la conquête de la Perse, après la conquête du Pont et de la Syrie, troublerait à l'avantage de l'Orient l'équilibre des provinces ; les bruits qui couraient que César voulait transporter la capitale en Orient, soit à Ilion, soit à Alexandrie, ne faisaient qu'exprimer la préoccupation d'un danger manifeste. Maintenant ce danger, vague jusqu'alors, se précisait dans les décisions prises à Brindes : Antoine transportait en Orient le centre de son activité politique et militaire ; et le seul lien, bien faible, qu'il conservait avec l'Italie, était le droit qu'il se réservait encore d'y recruter des soldats. Mais était-il possible que l'Italie, après avoir été la tète de la puissance romaine, consentit à n'en être plus que le bras, et à défendre avec ses hommes un empire dont on lui enlevait les meilleurs produits ? Antoine, de plus en plus féru de l'idée d'une guerre avec la Perse, entraîné par le succès, par son audace naturelle, par l'immense pouvoir dont il disposait grâce au grand désordre où l'on était, ne doutait plus de rien, et il s'enfonçait à l'aventure dans l'avenir ténébreux.

L'Italie maintenant laissait tout faire. Elle était accablée par trop de malheurs. Les disgrâces pleuvaient partout et n'épargnaient personne, pas même le poète qui chantait la rénovation du monde. Détournant les yeux de l'horrible réalité pour s'absorber dans la contemplation poétique d'un monde idéal, Virgile avait cette année-là donné comme suite à sa prophétie manquée son églogue V : un chant bucolique d'une imagination pure et tendre, plein d'exquises images champêtres et d'élans mystiques, mais profondément triste, où deux bergers pleurent la mort de Daphnis, le héros bucolique, et chantent son apothéose. Mais la réalité vint bientôt arracher le poète à ses songes. Alfénus Varus, ne pouvant plus résister à la cupidité et aux exigences des vétérans, avait dû leur partager les terres de Crémone comme celles de Mantoue, et la petite propriété que Virgile avait héritée de ses aïeux s'était aussi trouvée confisquée. Le poète avait eu recours à Alfénus qui était son ami et qui avait souhaité être célébré dans ses vers comme Pollion ; mais il ne put rien obtenir. Les vétérans étaient les maîtres de l'Italie. Virgile avait dû s'enfuir et chercher un refuge à Rome, dans la maison de son ancien maître de philosophie, Siron.

 

 

 



[1] Voy. SEECK, Kaiser Augustus, Bielefeld und Leipzig, 1902, p. 69.

[2] Voy. PLUTARQUE, Antoine, 28-29 ; DION, XLVIII, 27 ; APPIEN, B. C., V, 11.

[3] Voy. le beau travail de C. BATIBAGALLO, Le Relazioni politiche di Roma con l'Egitto, Roma, 1901.

[4] DION, LI, 5. Ce passage, bien que trop court, est important, et il explique toute la politique de Cléopâtre.

[5] APPIEN, B. C., V, 10.

[6] JOSÈPHE, Antiquités judaïques, XIV, XIII, 3.

[7] DION, XLVIII, 24.

[8] Le Plancus, gouverneur de l'Asie dont parle DION, XLVIII, 24, ne peut être Lucius, qui périt dans la guerre de Pérouse. C'est donc Titus.

[9] PLUTARQUE, Antoine, 30, dit qu'Antoine reçut les nouvelles de Syrie et celles d'Italie en même temps, à Alexandrie ; APPIEN, B. C., V, 52, dit au contraire qu'il ne reçut les nouvelles d'Italie qu'étant déjà en Asie, à Éphèse probablement. La version d'Appien est la plus vraisemblable ; en effet, Antoine en Égypte pouvait recevoir plus vite les nouvelles de Syrie que celles d'Italie. D'autre par' l'invasion des Parthes fut préparée pendant l'hiver ; il put donc en être informé à temps, et il dut partir immédiatement, car le danger était sérieux.

[10] Voy. DION, XLVIII, 24-26. — Dion indique (XLVIII, 25) la vraie raison pour laquelle Antoine ne s'arrêta pas à Tyr : il n'y avait en Syrie que d'anciennes garnisons de Cassius, faibles et peu nombreuses ; les légions d'Antoine étaient en Italie, en Gaule et en Macédoine. Dion, cependant, après avoir donné la raison plausible, y ajoute des considérations ridicules ; il s'obstine à considérer Antoine comme un homme à qui l'amour de Cléopâtre avait fait perdre son bon sens.

[11] APPIEN, B. C., V, 50. Cette fuite ne pouvait pas être très rapide, et cela explique comment Fulvie et Antoine se rencontrèrent à Athènes.

[12] APPIEN, B. C., V, 52 ; DION, XLVIII, 15.

[13] VELLEIUS, C., II, 76. C'est à cette époque que l'on dut imposer aux Padouans les contributions en armes et en argent dont parle MACROBE, I, XI, 21. Il me semble cependant qu'Appien ne pouvait guère avoir les sept légions que lui attribue Velleius.

[14] APPIEN, B. C., V, 50.

[15] VELLEIUS, II, 75 ; SUÉTONE, Tibère, 4.

[16] SUÉTONE, Auguste, 70 ; SÉNÈQUE, De clem, I, X, 4 : in adulescentia caluit, arsit ira.

[17] SUÉTONE, Auguste, 70.

[18] DION, LVI, 43 ; ZONARAS, X, 38 (544).

[19] Voy. DION, XLIX, 4.

[20] DION, XLVIII, 13 ; SUÉTONE, Auguste, 12.

[21] APPIEN, B. C., V, 50.

[22] APPIEN, B. C., V, 50-51.

[23] La chronologie de ces intrigues est très obscure ; j'ai essayé de la rétablir en partant de la seule date précise que nous donne DION, XLVIII, 20 ; c'est qu'Octave partit pour la Gaule à un moment tel que Sextus, l'ayant su, put préparer une attaque sur les côtes d'Italie, à l'époque des jeux apollinaires (c'est-à-dire vers le milieu de juillet). Cela veut dire qu'Octave partit dans la seconde moitié de juin. Puisque DION, XLVIII, 20, dit qu'Octave partit quand il sut que les démarches auprès de Sextus avaient échoué, celles-ci durent donc avoir lieu en avril ou en mai. Les démarches auxquelles fait allusion DION (XLVIII, 20) sont celles dont il a déjà parlé (XLVIII, 16), c'est-à-dire celles dont fut chargé Mucia ; elles semblent avoir été faites au moment du mariage de Scribonia, et, comme ce mariage, à la suite de l'alliance proposée par Sextus à Antoine. APPIEN, B. C., V, 53, raconte les choses d'une façon différente : il dit qu'Octave eut connaissance de l'alliance proposée par Sextus à Antoine à son retour de Gaule ; et c'est après ce retour qu'il place les démarches pour le mariage sans parler de Mucia. La chronologie d'Appien doit être exacte, car il n'est pas possible que ce mariage ait été aussi l'objet des démarches du mois de mai ; ces démarches, d'après Dion lui-même, échouèrent, on sorte qu'a la fin de juin Octave savait que Sextus se disposait à attaquer les côtes d'Italie, et alors il n'aurait pas célébré le mariage qui lui devenait parfaitement inutile. Les démarches doivent donc avoir eu lieu plus tard, à une autre époque. Mais la contradiction peut être résolue, si l'on ne mêle pas, comme l'a fait DION, XLVIII, 16, l'intervention de Mucia avec les démarches pour le mariage. Au mois de mai, Octave envoya Mucia auprès de Sextus, pour l'amener à la paix, mais sans résultat ; au mois de juin, il partit pour la Gaule où il resta tout le mois de juillet ; de retour au mois d'août, il eut connaissance des pourparlers engagés entre Sextus et Antoine, et il chercha alors à les entraver en proposant ce mariage. Le fait qu'Appien parle des démarches pour ce mariage, sans nommer Mucia, confirme bien cette hypothèse.

[24] DION, LV, 7 ; LVI, 43 ; ZONARAS, X, 38 (544). — Ces faits doivent appartenir à la première moitié de sa vie, car ils sont trop en désaccord avec la modération qu'Octave montra, quand il eut pris le titre d'Auguste.

[25] DION, XLVIII, 20.

[26] Au sujet du départ d'Octave, voyez DION, XLVIII, 20. APPIEN, B. C., V, 51, nous dit qu'il partit de Rome après avoir appris la mort de Calénus, et la chose est vraisemblable. DION, XLVIII, 20, en nous disant qu'Octave avait déjà tenté de corrompre l'armée, fait allusion aux premières et vagues tentatives do corruption faites par Octave. Celles-ci ayant échoué, Octave se rendit auprès des légions dès qu'il sut que Calénus était mort.

[27] DION, XLVIII, 26. Voyez au sujet de Mylasa la lettre d'Octave qui a été retrouvée dans une inscription. LEBAS-WADDINGTON, 3, Asie Mineure, 441.

[28] DION, XLVIII, 26.

[29] Voy. APPIEN, B. C., V, 52.

[30] Si on suppose qu'Antoine arriva en Grèce tandis qu'Octave était en route pour la Gaule, on s'explique que l'on ne retrouve pas trace de pourparlers engagés entre Octave et Antoine. Celui-ci attendit le retour d'Octave ; mais, quand Octave revint, les pourparlers n'étaient plus possibles, parce que l'on avait eu connaissance de la révolte des légions en Gaule.

[31] APPIEN, B. C., V, 52.

[32] APPIEN, B. C., V, 53 ; SUÉTONE, Auguste, 62.

[33] APPIEN, B. C., V, 53.

[34] APPIEN, B. C., V, 54.

[35] Aucun historien ne nous dit que le motif des hostilités ait été la révolte des légions de la Gaule ; mais on ne voit pas d'autre raison qui ait pu amener Antoine à sortir de l'expectative où il se tenait. Cette raison d'autre part est suffisante. Il y a une allusion é ce motif dans les négociations pour la paix telles que les résume APPIEN, B. C., V, 60. C'est aussi l'avis de CICCOTTI, A., p. 6.

[36] APPIEN, B. C., V, 55 ; VELLEIUS, II, 76.

[37] APPIEN, B. C., V, 56.

[38] DION, XLVIII, 28 ; APPIEN, B. C., V, 57-58.

[39] APPIEN, B. C., V, 57.

[40] DION, XLVIII, 28 ; APPIEN, B. C., V, 58.

[41] APPIEN, B. C., V, 59.

[42] APPIEN, B. C., V, 56.

[43] DION, XLVIII, 28 ; APPIEN, B. C., V, 59 ; PLUTARQUE, Antoine, 30.

[44] APPIEN, B. C., V, 60-63.

[45] PLUTARQUE, Antoine, 30.

[46] APPIEN, B. C., V, 63.

[47] APPIEN, B. C., V, 63.

[48] APPIEN, B. C., V, 64.

[49] APPIEN, B. C., V, 65 ; DION, XLVIII, 28 ; PLUTARQUE, Antoine, 30.

[50] APPIEN, B. C., V, 66 : mais la raison donnée n'est pas exacte. Octave restitua l'armée de la Gaule, non parce qu'elle lui était suspecte, niais parce que c'était une clause de la convention de Brindes. Il est impossible de supposer qu'Antoine eût fait la paix si Octave ne lui eût pas rendu son armée.

[51] APPIEN, B. C., V, 93.

[52] WEICHERT, Imp. C. Auguste scr. rel., p. 118, n. 13, et MOLL, Zur Genealogie des Jul. Claud-Kaiserh., p. 9-10, soutiennent qu'Octavie, qui épousa Antoine, était l'aînée des deux sœurs d'Octave, celle qui avait épousé le consul Marcellus en l'année 49. DRUMANN, G. R., IV, 235, n. 83, dit au contraire que c'était la plus jeune. Une inscription découverte à Pergame (Ergebnisse der Ausgrabungen von Pergarnon, 1880-1881, p. 50-51), dans laquelle il est question d'une Octavie, sœur d'Octave et femme de Sextus Apuléius, nous montre que ce ne fut pas la plus âgée, celle qui épousa Marcellus, et que par suite la femme d'Antoine fut la plus jeune. Voy. GARDTHAUSEN, Augustus und seine Zeit, II, 102, n. 43.

[53] Voy. dans PLUTARQUE, Antoine, XXXIII, l'anecdote du devin égyptien.