GRANDEUR ET DÉCADENCE DE ROME

 

TOME III. — LA FIN D'UNE ARISTOCRATIE

CHAPITRE X. — TRIUMVIRI REIPUBLICÆ CONSTITUENDÆ.

 

 

Les nouvelles des événements de Modène arrivèrent à Rome, à ce qu'il semble, le 25 avril, mais très exagérées ; et le 26 le sénat se réunit. Sous l'impression de ces nouvelles, l'exil d'Antoine et de ses partisans fut décrété sans opposition[1] ; et les propositions les plus diverses furent faites par différents sénateurs. En l'honneur de Decimus Brutus, qui semblait alors avoir contribué plus que tous les autres à la victoire avec sa résistance opiniâtre, on proposa les décrets les plus extravagants : une supplication de cinquante jours, le triomphe et jusqu'à l'inscription de son nom dans le calendrier, le jour où la nouvelle était arrivée, et qui se trouvait justement être le jour anniversaire de la naissance de Brutus[2]. Tel était l'égarement général[3]. On décida de rendre aussi des honneurs à ceux qui étaient tombés sur le champ de bataille ; quelqu'un demanda que l'on accordât aussi aux soldats de Modène les récompenses promises aux soldats d'Octave[4] ; Cicéron, qui estimait qu'il ne fallait pas perdre de temps, proposa de confier à Decimus, puisque Hirtius était mort et que Pansa demeurait blessé à Bologne, le commandement suprême de l'armée[5]. Naturellement ces propositions ne furent pas approuvées toutes ; l'inscription du nom de Brutus dans le calendrier fut combattue[6], et la proposition de Cicéron au sujet de Pansa fut certainement repoussée. Mais, dans la journée, on apprit que Pansa était mort pendant la nuit du 22 au 23[7]. Il fallut convoquer le sénat le 27, pour s'occuper des légions et de la guerre contre Dolabella, qui avait été confiée aux consuls. Dans cette séance, Servilius reprit et fit approuver l'ancienne proposition de Cicéron, d'après laquelle on confiait à Cassius la guerre contre Dolabella, avec le proconsulat de la Syrie et le haut commandement sur tous les gouvernements des provinces asiatiques[8] ; on décida de délier Marcus Brutus de l'obligation où il était de se tenir non loin de l'Italie, en le laissant libre de venir en aide à Cassius, s'il jugeait la chose opportune, on proscrivit aussi Ventidius, qui, le jour précédent, dans la hâte et dans la joie où l'on était, avait été oublié[9]. L'Italie était en sécurité — tout le monde le croyait du moins — maintenant qu'Antoine s'enfuyait avec quelques troupes épuisées et en déroute[10]. Il semble aussi que, pour la direction de la guerre contre Antoine, on ait eu recours à une demi-mesure, et qu'on ait mis les quatre légions de Pansa sous le commandement de Decimus, propréteur plus ancien qu'Octave, mais qu'on ait toutefois laissé à celui-ci le commandement de ses cinq légions[11]. Tout le monde à Rome pensait du reste que Decimus Brutus et Octave s'étaient déjà élancés à la poursuite d'Antoine[12], et l'on était persuadé que celui-ci, au bout de quelques jours, finirait comme Catilina. Le parti conservateur semblait de nouveau à tout le monde, comme dans les premiers jours qui avaient suivi la mort de César, maitre de la république ; les amis, les parents, la femme du vaincu se virent accablés d'injures, de menaces, de procès ; Fulvie, qui avait à ce moment à payer une propriété achetée à crédit, n'aurait pas pu trouver à emprunter un sesterce sans le secours de l'aimable Atticus, qui restait fidèle à son habitude de donner de l'argent à tout le monde[13].

Personne ne se doutait à Rome que toutes ces prévisions optimistes ne correspondaient nullement à la réalité. Contrairement à ce que tout le monde croyait à Rome, Decimus Brutus et Octave ne s'étaient pas mis à la poursuite d'Antoine le jour même de la libération et ensemble. Pendant la journée du 22 avril, Decimus Brutus s'était rendu dans le campement de l'armée libératrice pour saluer Hirtius ; là apprenant la mort du consul et mis par Octave au courant de la situation militaire[14], il avait aussitôt compris que Ventidius Bassus essaierait de rejoindre Antoine sans donner dans leurs armées, en franchissant l'Apennin à la hâte et en descendant en Ligurie. Il avait donc tâché de décider Octave à passer la montagne avec ses légions pour fermer la route de Ligurie, tandis qu'il poursuivrait lui-même Antoine et tâcherait de le pousser dans les régions désolées de l'Apennin[15]. Mais Octave ne s'était servi que timidement des légions, alors qu'il était, en partie au moins, soutenu par l'autorité d'un césarien aussi illustre qu'Hirtius ; comment donc eût-il osé maintenant les conduire, en même temps qu'un des meurtriers de César, à l'anéantissement définitif d'Antoine et de ses vétérans[16] ? Aussi Decimus n'avait point réussi à le convaincre[17] ce jour-là ; et il songeait peut-être déjà à partir seul le lendemain, quand il avait reçu dans la nuit un message de Pansa qui l'appelait à Bologne. Il s'était donc dirigé le matin du 23 vers Bologne. Mais ayant appris en route que Pansa était mort, il était revenu sur ses pas ; il avait pris ses dernières dispositions ; et le 24 il avait marché avec ses légions à la poursuite d'Antoine. Ainsi, Antoine avait eu une avance de deux jours[18], et n'était poursuivi que par un seul général ; c'était là une première déception ; mais plus grave était l'autre déception qu'Antoine lui-même préparait à ses ennemis de Rome, en leur prouvant par les faits qu'il n'était ni abattu ni résigné à périr comme Catilina, bien qu'il fût abandonné de tous et n'eût plus avec lui que de faibles troupes. La rage de la défaite et l'imminence du danger avaient soudain surexcité dans cet homme, qui avait été si incertain pendant les derniers mois, l'imagination et la volonté, et lui avaient fait concevoir et mettre aussitôt à exécution un projet vraiment césarien : il prendrait décidément, pour se rendre dans la Narbonnaise, la route de la Ligurie ; il irait immédiatement escalader cet Apennin escarpé, sauvage et désert depuis Tortone jusqu'à Vado, où Decimus Brutus voulait le pousser à la mort comme un cerf blessé. C'était une entreprise audacieuse d'aventurer dans des montagnes désolées, où elle pouvait mourir de faim, une armée qui, si elle' n'était pas défaite, comme on le disait à Rome, avait certainement souffert dans les dernières rencontres. Mais l'homme qui avait lutté avec César contre Vercingétorix n'hésita pas à choisir cette route, qui, si elle était plus difficile, était aussi plus courte que celle du petit Saint-Bernard et qui lui rendait beaucoup plus facile et ,plus rapide sa jonction avec Ventidius, à qui il avait ordonné de franchir l'Apennin. En prenant la route de la Ligurie, il allait justement au-devant de Ventidius ; il pouvait se retrouver avec lui à Vado, il raccourcissait le chemin que son général aurait eu à faire seul, c'est-à-dire le plus dangereux et celui où les soldats et le chef, se sentant loin de lui, se seraient le plus facilement découragés. Avec les quatre légions la cavalerie qui était encore en bon ordre, avec les troupes de soldats qu'il avait recrutés, mais qui n'étaient encore ni formés en légions ni armés, il avait donc franchi, le 22 et le 23, les trente milles qui séparent Modène de Parme. Le soir du 23 il avait fondu sur Parme comme un tourbillon, et abandonné la ville aux soldats, qui y avaient fait quelques dégâts[19] ; le 24 et le 25 il avait parcouru les quarante milles qu'il y a de Parme à Plaisance ; le 26 il s'était dirigé sur la via Milvia, vers Dertona (Tortone), distante d'environ cent kilomètres, et où il arriva probablement le 28, pour faire reposer ses soldats un jour et entreprendre le 30 l'ascension des montagnes qui le séparaient de Vada Sabatia (Vado). Au contraire, Decimus avait trop présumé des forces de son armée, qui était en partie composée de recrues, qui était épuisée par les privations du siège et dépourvue de tout, même de mulets et de chevaux[20], car on les avait mangés pendant le siège[21] ; il ne put donc, pendant les premiers jours, avancer que lentement. Pendant ce temps, Octave se rendait avec son armée à Bologne, pour préparer le retour solennel des dépouilles d'Hirtius et de Pansa.

Tout ceci fut connu à Rome dans les premiers jours du mois de mai, au moment où l'idée fausse que tout le monde se faisait sur la défaite d'Antoine créait une nouvelle confusion. La victoire de Modène — et c'est là une contradiction curieuse qui montre à quel point de dissolution politique les hautes classes de Rome étaient arrivées — avait justement nui à l'autorité de l'homme à qui en revenait le mérite principal. Cicéron comprenait qu'il était nécessaire de profiter sans perdre un instant du grand désordre où se trouvait le parti césarien, pour le frapper à mort, en commençant par anéantir Antoine. Il était donc plein d'impatience et il rabrouait le sénat et les sénateurs, pour les empêcher de s'assoupir dans l'illusion béate d'une victoire qui était précaire ; mais, les consuls étant morts, le gouvernement de la république était confié à un obscur propréteur, Aulus Cornutus, c'est-à-dire qu'il n'y avait personne à la tête des affaires. Pendant le siège de Modène, le danger avait rendu quelque vigueur à l'assemblée fatiguée, mais, maintenant, le plus grand nombre des sénateurs, qui n'avaient consenti à la guerre qu'à contre-cœur, et qui désiraient seulement se faire l'illusion qu'il n'y avait plus de motifs d'inquiétude, d'effort ni de lutte, ne prêtaient plus la même attention à l'orateur des Philippiques et considéraient ses discours comme les folles harangues d'un vieillard exalté. On voyait en outre se ranimer dans l'ombre des querelles d'intérêt, de sourdes rivalités personnelles, de mesquines susceptibilités. On ne pouvait donc plus prendre aucune mesure sérieuse, car l'assemblée savait toujours faire traîner les discussions en longueur et les remettre à plus tard ; elle n'approuvait que des expédients dilatoires. Cicéron ne se sentait plus le sénat dans la main, comme le mois précédent ; et il s'apercevait que la mort de Pansa avait été pour lui-même un malheur, car, malgré ses tergiversations, l'illustre consulaire était du moins un homme d'énergie et de bon sens[22]. Mais dès qu'on apprit à Rome que Decimus marchait seul à la poursuite d'Antoine, de nouvelles difficultés surgirent. L'ancienne discorde entre les partisans d'Octave et ses ennemis, qui s'était apaisée pendant la guerre, se ralluma. De nombreux membres du sénat s'indignèrent contre Octave, qui demeurait inactif à Bologne[23] ; les parents des conjurés, toujours inquiets, les ennemis, les jaloux du jeune homme — et ils étaient si nombreux ! — profitèrent de ce mécontentement pour lui nuire ; et deux sénateurs, Lucius Æmilius Paulus, frère de Lépide, et Livius Drusus, proposèrent de donner à Decimus le commandement des légions de vétérans recrutés par Octave[24]. C'était une politique de lutte qui, menée avec énergie et esprit de suite, aurait pu ôter à Octave toute possibilité de nuire. D'autres, au contraire, parmi lesquels Cicéron, qui comprenaient que la victoire n'était pas encore définitive, recommandaient la prudence, et conseillaient de continuer à flatter Octave et de se servir de lui pour défendre l'Italie[25]. Cassius lui-même, le plus intelligent des conjurés, semble n'avoir pas été éloigné à ce moment-là d'engager des pourparlers pour conclure un accord avec lui[26]. Cette politique aussi, bien qu'opposée à l'autre, aurait pu amener à un résultat favorable, si on avait eu le courage de la suivre jusqu'au fond. Dans l'énervement universel, au contraire, le sénat ne sut se décider ni pour l'une ni pour l'autre politique ; et il adopta une solution moyenne, qui avait les dangers des deux propositions, sans aucun avantage. La proposition d'Æmilius et de Livius fut jugée trop hardie : et le sénat ne l'approuva pas, craignant que les soldats ne voulussent pas obéir[27] ; mais on n'engagea pas non plus de pourparlers pour se faire d'Octave un allié et on l'abandonna à lui-même, en le laissant sans ordres à la tête de ses légions. Mais le sénat se faisait illusion en croyant se débarrasser par cette politique de tous les soucis que pouvaient donner Octave et son armée. Au bout de quelque jours, on reçut à Rome des lettres d'Octave où il priait le sénat de donner à ses soldats les récompenses qui leur avaient été promises[28] ; c'est-à-dire non seulement les deux mille sesterces que le sénat avait décidé, le 4 janvier, de donner aux légions qui s'étaient révoltées, mais vingt mille sesterces promis par Octave si on était vainqueur à chaque soldat, non seulement des deux légions révoltées, mais des cinq légions tout entières[29]. Chef inactif d'une armée inutile, confiné dans une petite ville de la Gaule, n'osant se révolter contre le sénat, qui de son côté n'osait pas lui donner des ordres, Octave se trouvait alors à Bologne dans un grand embarras, et ne savait véritablement que faire de son armée. Il préparait les quatre légions de Pansa, pour les envoyer à Decimus[30] ; il laissait en même temps à Ventidius le passage libre dans l'Apennin. Il voulait seulement montrer aux soldats par cette démarche auprès du sénat qu'il s'intéressait vivement à leur sort. C'est pour cela qu'il était aussi difficile au sénat de répondre oui que de répondre non. Des tiraillements aussi longs qu'inutiles recommencèrent. A la fin, ceux qui ne voulaient rien accorder aux soldats et ceux qui voulaient au contraire se montrer généreux, s'arrêtèrent encore une fois à des dispositions intermédiaires et contradictoires : on décida que seules les deux légions révoltées, comme le portait le sénatus-consulte, recevraient une récompense, et non pas vingt mille, mais dix mille sesterces ; on décida aussi que cette réponse serait communiquée aux légions directement par une ambassade du sénat, comme pour leur faire voir qu'elles dépendaient effectivement du sénat et non d'Octave[31] ; on décida enfin comme compensation et sur la proposition de Cicéron, qui ne voulait pas irriter les soldats, de nommer une commission de dix membres, parmi lesquels serait Cicéron, pour payer aussitôt le donativum et chercher des terres à distribuer à quatre légions. Deux de ces légions étaient certainement les légions révoltées ; les deux autres, que nous ne connaissons pas, pouvaient être celles des vétérans de Decimus Brutus[32]. C'était aussi peut-être pour montrer quel intérêt il portait aux vétérans que le sénat, à cette séance, chargea Lépide et Plancus de fonder au confluent du Rhône et de la Saône cette colonie qui plus tard devint Lyon. En somme le sénat répondait aux soldats par des décisions équivoques qui devaient inspirer des soupçons au général, et par de nouvelles promesses qu'il n'était pas en état de tenir, car les terres que l'on pouvait distribuer en Italie étaient peu nombreuses, à moins qu'on ne voulût les acheter à un prix très élevé, et le trésor public était vide, les tributs des riches provinces de l'Orient ayant été séquestrés en route par Brutus, par Cassius et par Dolabella. Cicéron pensait avec effroi que pour tenir les promesses faites aux soldats il faudrait imposer à l'Italie le tributum ou emprunt de guerre forcé, et qu'il faudrait contraindre les gens à cet impôt au moment où l'or et l'argent se faisaient rares en Italie et où le crédit devenait très difficile, car, même dans la classe aisée, beaucoup de gens, pour se procurer de l'argent comptant, étaient obligés de vendre au rabais leurs maisons, leurs fermes, leurs champs, leurs objets d'art, leurs créances.

Tandis que le sénat prenait ces décisions à Rome, l'infatigable Antoine avait gravi, le 30 avril, les montagnes de la Ligurie ; il avait pendant six jours avancé sur la route d'Acquæ Statiellæ à Vado, dans les montagnes sauvages et désolées, en se demandant si Ventidius ne s'arrêterait pas, s'il ne serait pas défait, ou s'il ne le trahirait pas en route. Son sort dépendait en partie de Ventidius et du succès de sa mission. Le 5 mai, Antoine arriva enfin à Vada Sabatia (Vado). Il n'y trouva pas Ventidius, qui, ayant cinquante milles de plus que lui à parcourir, ne pouvait pas encore être arrivé ; mais il y trouva probablement des nouvelles de lui qui avaient été expédiées à l'avance, et qui le décidèrent à envoyer en avant-garde Lucius avec un corps de cavalerie[33] et quelques cohortes, et à l'attendre à Vado, pour empêcher que l'armée de Decimus pût s'interposer entre eux, si elle arrivait à Vado avant Ventidius. C'était là maintenant la grosse question : Ventidius arriverait-il avant Decimus ? Celui-ci avait réorganisé du mieux qu'il avait pu son armée, tout en avançant, et il en avait accéléré la marche. Le 5 mai, un peu avant l'arrivée d'Antoine à Vado, il était à Tortone, où il apprenait la fausse nouvelle, répandue par hasard ou avec intention, que Ventidius avait rejoint Antoine à Vado[34]. Decimus y ajouta foi un instant ; il écrivit une lettre désolée à Cicéron, en le priant aussi de lui faire envoyer de l'argent, parce qu'il se trouvait à court[35]. Mais pendant la nuit, il put sans doute se convaincre que la nouvelle n'était pas vraie, car le lendemain matin il fit avancer son armée dans la direction d'Acqui, et le 6, le 7 et le 8 mai il marcha sans s'arrêter et arriva dans la journée du 9 à trente milles de Vado[36]. Il eut enfin là des renseignements plus exacts sur Antoine. Ventidius était arrivé, probablement le 7, et Antoine avait pu un instant se croire en sécurité. Mais au bout de quelques heures il avait eu une amère déception : les trois légions étaient très fatiguées, et quand, le 8, Antoine leur avait parlé, en déclarant que son intention était de rejoindre Lépide, l'idée qu'il faudrait faire encore plus de cent milles dans ces régions sauvages les avait tellement effrayées, qu'elles s'y étaient refusées, en disant bien fort qu'elles voulaient rentrer en Italie, même au risque d'y mourir. Antoine avait dû leur promettre de les diriger dès le lendemain sur Pollenzo, tandis qu'il se rendrait lui-même avec ses troupes dans la Gaule narbonnaise[37]. Decimus Brutus, informé de tout cela, changea son itinéraire, et marcha en toute hâte sur Pollenzo, où il arriva en effet une heure avant l'avant-garde de Ventidius, en rendant ainsi un grand service à Antoine[38]. En effet, se voyant repoussées de Pollenzo, les trois légions se résignèrent à reprendre le chemin de la Gaule, et elles suivirent Antoine à deux jours de distance[39].

Quand ces choses furent connues à Rome, dans la troisième décade de mai, Cicéron fut de plus en plus d'avis qu'il fallait ménager Octave ; mais les ennemis d'Antoine et les envieux qui jalousaient Decimus accusèrent celui-ci d'avoir maladroitement laissé échapper le fugitif[40]. Leur irritation fut d'autant plus vive qu'au bout de quelques jours d'autres lettres de lui arrivèrent, où il conseillait, comme Cicéron, de se montrer prévenant pour Octave et d'appeler en Italie Marcus Brutus[41]. Cette proposition avait été mise en avant à Rome aussi ces jours-là pour calmer l'inquiétude qu'avaient apportée les nouvelles d'Antoine, et il était également question de faire venir en Italie la légion qui était en Sardaigne et de hâter le voyage des légions d'Afrique[42]. On apprit sur ces entrefaites que Lucius Antonius était arrivé le 8 mai à Forum Julii[43]. Et l'irritation grandit encore, quand, sur la fin de mai, revinrent les ambassadeurs qui s'étaient rendus au camp d'Octave pour parler aux soldats. Le fils de César leur avait ménagé un accueil fort étrange. On les avait fait entrer dans le camp et on avait réuni les soldats, mais ceux-ci s'étaient refusés à entendre les ambassadeurs, si Octave n'était pas présent ; il avait fallu y consentir ; Octave était venu et les ambassadeurs avaient exposé les décisions du sénat : mais l'esprit de corps était à cette époque-là si puissant entre les compagnons d'armes, qu'il y avait eu une protestation générale, et que ceux à qui l'on offrait une récompense s'étaient indignés avec plus de violence que ceux qui étaient privés[44]. Ils n'étaient pas satisfaits non plus de la loi agraire : ils se plaignaient qu'Octave n'eût pas été choisi pour en faire partie[45]. C'était là un premier signe du danger qui menaçait du côté d'Octave. Malgré les illusions que se faisaient bien des gens à Rome, celui-ci ne pouvait rester longtemps sans agir. Si la force des choses n'y suffisait pas, il serait entraîné à l'action par son entourage, qui était tout composé d'anciens officiers et d'anciens soldats de César. Bien qu'ils eussent pris les armes contre Antoine, ils avaient tous pour les conservateurs une haine très vieille et très forte, et ils avaient très peur qu'il se fit une restauration conservatrice sur les ruines du parti césarien. Beaucoup d'entre eux cherchaient à brouiller Octave avec Cicéron ; on allait jusqu'à lui conter que Cicéron aurait dit qu'il fallait le faire tuer[46], et on l'engageait à montrer de l'audace[47]. Les conservateurs qui l'avaient fait propréteur allaient, lui disait-on, chercher à se débarrasser de lui, comme ils cherchaient déjà à le discréditer en l'appelant l'enfant. Puisque Antoine était presque abattu par la mauvaise fortune, il fallait qu'Octave se mît bien vite à la tête du parti césarien, qui n'avait plus de chef. N'avait-il pas lui-même, en suivant l'exemple d'Érophile, donné le branle à cette agitation pour la vengeance de César, qu'Antoine avait continuée si heureusement ? Lui, le fils adoptif et l'héritier de César, n'était-il pas l'homme le mieux fait pour continuer ce mouvement avec efficacité ? Les deux charges de consul étaient vacantes : des difficultés légales et les intrigues des aspirants trop nombreux avaient retardé les élections : il fallait qu'Octave se portât candidat au consulat, en se présentant au peuple comme le fils de César, et en disant qu'il était prêt à reprendre, pour le bien du peuple et des soldats, tous les projets que la conjuration avait empêché son père d'accomplir. On n'avait pas encore vu à Rome de consul de dix-neuf ans, mais les temps étaient si étranges ! Il serait sûrement élu, et il deviendrait ainsi le chef du parti césarien. Octave n'était pas insensible à ces projets flatteurs ; il conservait auprès de lui une des légions de Pansa et il était occupé à en recruter deux autres ; mais il hésitait. Il se rendait compte que certains conservateurs cherchaient à lui enlever son armée, et il en était inquiet[48]. Mais pouvait-il à lui seul se mettre à la tête du parti de César, sans être aidé au moins par quelqu'un des plus puissants gouverneurs des provinces voisines de l'Italie ? Il se demandait parfois s'il ne pourrait pas se réconcilier avec Antoine ; il traitait bien les soldats d'Antoine qu'il avait fait prisonniers ; il remettait en liberté certains de ses officiers, après leur avoir fait entrevoir qu'il ne serait pas très éloigné d'en venir à un accord[49]. Mais à Rome, bien peu de gens se doutaient de tout cela ; on se plaignait au contraire que le jeune homme fût obligé de rester inactif à Bologne ; et vers la fin de mai, tout le monde perdit l'espoir de voir Decimus infliger à Antoine le sort de Catilina. Son projet d'empêcher la jonction d'Antoine et de Ventidius ayant échoué, Decimus n'avait pas osé aventurer ses légions nouvellement recrutées dans la Ligurie sauvage ; il s'était dit que si les fuyards étaient bien accueillis par Lépide, il faudrait aussi faire la guerre à celui-ci ; et il avait décidé d'aller rejoindre Plancus dans les Gaules, en revenant dans la Cisalpine, et en traversant la région qui s'appelle maintenant le Piémont. Plancus devait être consul avec lui l'année suivante ; ils pouvaient donc déjà se considérer l'un et l'autre comme collègues et agir d'un commun accord. Il avait écrit aussitôt à Plancus et il avait laissé reposer quelque temps à Pollenzo son armée, qui souffrait de la dysenterie[50] ; puis, vers le 10 mai, tournant le dos à la Ligurie, il s'était acheminé vers la vallée du Pô. Il était donc désormais certain qu'Antoine pourrait arriver sain et sauf jusqu'auprès de Lépide. Tout le monde à Rome commença alors à se demander avec anxiété ce que Lépide allait faire. Traiterait-il Antoine en ennemi comme il le disait dans ses lettres[51] ? Où était-il déjà d'accord avec lui comme l'affirmaient de méchantes langues[52] ? Il était vraiment difficile de deviner d'après ses actes les intentions du proconsul. Comme Lucius Antonius approchait, son officier Culléon, qui gardait la frontière de la province, s'était réuni à lui au lieu de s'opposer à son passage[53] ; mais à la même époque, Lépide écrivait à Plancus, en lui disant qu'il était résolu à combattre Antoine, et en lui demandant des renforts de cavalerie. Que prétendrait-il donc faire ? Plancus, au contraire, semblait être pour les conservateurs un soutien fidèle : il avait descendu le cours de l'Isère jusqu'à Cularo (Grenoble) ; il avait construit un pont, et le 19 mai il avait fait passer l'armée, et envoyé à la hâte en avant 4.000 cavaliers, dès qu'il avait été informé de l'arrivée de Lucius à Forum Julii[54]. Mais tandis qu'à Rome tout le monde s'occupait de Lépide, Octave, comprenant qu'il était dangereux de perdre encore du temps, et ne pouvant arriver à prendre un parti décisif, cherchait de nouveau à jouer un double jeu. Il écrivait d'une part à Lépide et d'une autre à Asinius, pour savoir s'ils seraient disposés à le reconnaître pour chef du parti césarien[55] ; et d'une autre à Cicéron en lui conseillant de briguer le consulat et de le prendre pour collègue : il était si jeune qu'il se laisserait guider par lui sous tous les points, et qu'il l'aiderait à sauver la république[56] ! Et cette proposition ne déplaisait pas à Cicéron, mais il se sentait déjà découragé et comme paralysé par l'aversion et le mépris que les conservateurs témoignaient de plus en plus à l'égard du jeune homme ; et il n'osait pas se prononcer.

Dans cette confusion universelle personne ne savait plus ce qu'il voulait. Antoine seul courait droit à son but. Tandis que Decimus Brutus, rejoint par trois des quatre légions de Pansa, se dirigeait lentement par Verceil et Ivrea vers le Petit Saint-Bernard[57], Antoine, arrivé le 15 mai à Forum Julii (Fréjus)[58], se dirigeait hardiment dans la direction de l'armée de Lépide, composée de sept vieilles légions de César, et qui était à Forum Voconii, à vingt-quatre milles de distance[59]. Le moment critique approchait. Ces légions pouvaient-elles prendre les armes contre leur ancien général, qui à la tête de tant de vieux compagnons d'armes venait, vengeur persécuté de César, demander du secours pour lui-même et pour le parti qui réclamait le maintien des anciennes promesses et qui en ajoutait de nouvelles, à une époque où l'esprit de solidarité était devenu si puissant dans les armées du dictateur ? En réalité le proconsul de la Narbonnaise désespérait de pouvoir résister à l'inclination des légions pour Antoine ; mais, homme faible et médiocre, il voulait se faire forcer la main par ses soldats, donner aux autres et se donner à lui-même l'illusion qu'il agissait par contrainte. Antoine sut seconder habilement ce désir secret de son collègue, et il se mit à jouer une comédie fort étrange, quand les deux armées, entre le 15 et le 20 mai, se trouvèrent sur les deux rives d'un petit cours d'eau appelé l'Argenté[60]. Antoine ne fit même pas camper ses soldats, comme pour offrir sa poitrine à l'ennemi, s'il avait le courage de frapper ; Lépide, au contraire, se fortifia dans son camp, comme s'il avait en face de lui un nouvel Annibal[61]. Quand Silanus et Culléon parurent au camp, Lépide les réprimanda sévèrement de ce qu'ils avaient prêté leur aide à Antoine, mais, pour les punir, il se borna à les laisser en repos, par pitié pour eux, comme il l'écrivit au sénat[62]. Il fit faire des démarches auprès de Plancus, qui, après avoir reçu la lettre de Decimus, s'était arrêté pour l'attendre à Grenoble ; mais en même temps il laissait les deux camps communiquer l'un avec l'autre par un pont de bateaux[63] ; il accueillait un grand nombre de faux déserteurs qui, sous prétexte d'abandonner Antoine, venaient au contraire intriguer en sa faveur dans le camp de Lépide, en feignant de les prendre pour de vrais déserteurs ; il écrivait même au sénat que l'armée d'Antoine diminuait à vue d'œil[64] ; il rassurait le sénat en disant que ses légions ne failliraient pas à leur devoir[65]. Et cependant il laissait des officiers, et spécialement Canidius et Rufrénus[66], faire auprès d'elles des appels à la révolte, et il laissait parvenir auprès des soldats des messages d'Antoine, apportés on ne savait par qui, et qui, chuchotés dans l'ombre, exaltaient les soldats[67]. Antoine, croyant sans doute le moment venu, se rendit un jour, les cheveux en désordre, la barbe longue, et vêtu de noir, au bord de l'Argenté, à l'endroit où le ruisseau était le plus étroit, et il se mit à haranguer les soldats de Lépide qui étaient de l'autre côté. Ceux-ci arrivèrent en foule et il se produisit un grand tumulte dans le camp ; mais Lépide eut peur d'une trahison aussi manifeste ; il accourut et fit sonner les trompettes de façon à ce qu'il fût impossible aux soldats d'entendre un mot de ce que disait Antoine [68]. Les allées et venues d'un camp à l'autre et les intrigues recommencèrent ; les soldats de la dixième légion faisaient tous leurs efforts pour gagner à eux leurs compagnons[69] ; le seul officier qui fût sincèrement dévoué à la cause conservatrice, Juventius Laterensis[70], avertissait continuellement Lépide du danger d'une révolte, et lui conseillait de prendre tantôt une mesure et tantôt une autre[71]. Lépide feignait d'avoir peur ; il le remerciait, lui promettait de suivre ses conseils, mais ne faisait rien. Il écrivait au contraire à Plancus, qui était parti le 21 sans avoir détruit le pont qui devait servir à Decimus, de ne plus venir à son secours[72] ; il permettait aussi aux soldats de faire impunément des démonstrations en faveur d'Antoine, même en sa présence[73]. Enfin, le matin du 29 mai[74], Antoine passa à gué le ruisseau avec une petite troupe de soldats ; aussitôt, dans le camp de Lépide, les soldats brisèrent la palissade, vinrent au devant d'Antoine et le portèrent en l'acclamant jusqu'à la tente de Lépide : celui-ci, qui était encore au lit, vint sans prendre le temps de se vêtir embrasser Antoine[75]. Au milieu du tumulte, Laterensis se tua sous les yeux des soldats[76]. Le lendemain Lépide écrivit au sénat une lettre très brève qu'on pourrait prendre pour une moquerie : il disait que la pitié était venue à bout des soldats et de lui, et qu'il espérait qu'on ne ferait pas un crime aux légions ni à lui d'avoir été miséricordieux[77].

L'événement fut connu à Rome vers le 8 juin. L'indignation et la frayeur furent immenses. Affolé, le sénat prit brusquement un grand nombre de décisions que l'on réclamait depuis longtemps. Marcus Brutus et Cassius furent appelés avec leurs soldats en Italie ; on dépêcha des courriers aux légions d'Afrique pour hâter leur marche ; Sextus Pompée fut mis à la tête de la flotte, avec le titre de præfectus classis et oræ maritimæ et avec les pouvoirs qu'avait eus son père pendant la guerre contre les pirates[78] ; ou établit le tributum ou emprunt obligatoire pour la guerre ; enfin on confia à Octave le commandement de la guerre contre Antoine[79]. Mais une nouvelle difficulté se présenta, au sujet de la proscription de Lépide. Cicéron, toujours porté à prendre des décisions énergiques, l'avait aussitôt demandée ; mais Lépide avait à Rome trop de parents et trop d'amis ; et sa belle-mère, la puissante Servilia, travaillait de toutes ses forces à le sauver[80]. On vint à bout de faire différer la délibération, et on perdit ainsi l'effet de la rapidité, qui est le plus puissant dans les révolutions. De meilleures nouvelles arrivèrent bientôt : Plancus, ayant appris ce qui s'était passé le 29 mai sur les bords de l'Argenté, était revenu en arrière[81] ; Decimus, par Verceil et Ivrea, avait remonté la vallée d'Aoste, où les rusés Salassiens, en menaçant de lui barrer la route, lui avaient fait payer une drachme par soldat[82] ; après avoir passé le Petit Saint-Bernard, il avait opéré sa jonction avec Plancus à Grenoble dans la première moitié du mois de juin. Mais un scandale inattendu éclata alors. Octave commettait à ce moment suprême une erreur très grave : il tournait de nouveau sa pensée vers un accord avec les conservateurs, et pensant qu'il pourrait à ce moment de terreur obtenir du sénat l'autorisation de présenter sa candidature au consulat, il engagea de nouveau Cicéron à en faire la proposition[83]. Et Cicéron, séduit par l'idée de redevenir consul, y consentit. Mais cette fois, la nouvelle ambition d'Octave fut si mal jugée, non seulement par les conservateurs mais par tout le public impartial, qu'aucun magistrat n'osa prendre parti pour lui. Cicéron dut abandonner son idée, et chercher à dissuader Octave de briguer le consulat[84]. Les esprits, déjà montés contre le jeune homme, s'irritèrent encore plus : on alla jusqu'à affirmer qu'il avait fait assassiner Hirtius dans la bataille et qu'il avait fait empoisonner Pansa blessé, afin d'avoir plus de chances d'arriver au consulat[85]. Mais l'impression de ce scandale une fois évanouie, tout le monde retomba bientôt dans l'indécision ordinaire et vers la fin de juin personne ne faisait plus rien. Plancus et Decimus attendaient Octave ; celui-ci, ayant compris qu'il ne pouvait pour l'instant espérer le consulat, écrivait qu'il allait venir immédiatement, mais il ne bougeait pas[86] ; Antoine réorganisait ses légions avec l'aide de Lépide et demeurait dans la Narbonnaise. A Rome, on s'imaginait que Brutus et Cassius arriveraient d'un jour à l'autre, mais Cassius était loin et il avait à combattre Dolabella. Quant à Brutus, il était retombé dans une grande prostration physique et morale : il souffrait de l'estomac[87] ; il se laissait mener par le rusé Caïus Antonius, au lieu de lui appliquer le décret de proscription rendu le 26 avril contre les partisans de son frère et, trompé par lui, il réprouvait la bienveillance que Cicéron témoignait à Octave[88]. Il continuait à prétendre que le mieux était d'en venir à une entente avec Antoine. Il se préoccupait aussi beaucoup de la proscription imminente de Lépide et il écrivait à ses amis de Rome en leur recommandant sa sœur et ses neveux qui seraient ruinés par cette proscription[89] ; enfin, au lieu de faire ses préparatifs pour passer la mer et venir en Italie, il songeait à faire une expédition contre les Besses. C'est ainsi que Cicéron avait à lutter contre ses amis les plus chers, contre Brutus lui-même. Le 30 juin, Lépide fut enfin déclaré ennemi public ; mais on mit un nouveau délai entre la menace et le châtiment : on voulut laisser aux soldats le temps d'obtenir leur pardon, et on leur accorda jusqu'au 1er septembre pour abandonner le proconsul[90].

Les choses cependant en étaient arrivées à un point où les événements devaient forcément se précipiter, malgré les craintes, les hésitations, les incertitudes, et tous les efforts que l'on faisait pour les arrêter. Ce n'était pas sans raison qu'Antoine et Lépide prolongeaient leur séjour dans la Narbonnaise. Les conjurés et les conservateurs, malgré la frayeur à laquelle ils étaient en proie, avaient reconquis presque tout l'empire dont Antoine, au mois de juillet et au mois d'août précédents, semblait leur avoir enlevé la domination. Ils avaient en Europe les dix légions de Decimus en qui ils pouvaient avoir pleine confiance, les cinq légions de Plancus et les trois légions d'Asinius, qui paraissaient devoir leur rester fidèles ; ils avaient en outre conquis l'Orient, où Brutus avait recruté de nouveaux soldats et élevé à sept le nombre de ses légions, et où Cassius, avec ses dix légions, devait bientôt vaincre Dolabella. En outre, Sextus Pompée, à Marseille, se procurait des navires dans tous les ports de la Méditerranée ; il achetait et enrôlait des marins en Afrique et préparait une flotte. Eux qui ne disposaient que de quatorze légions, que pouvaient-ils faire contre des ennemis si puissants ? Il était nécessaire de reconstituer une grande armée césarienne en Occident, en amenant la plupart des généraux de l'Europe à s'unir à eux, ou en leur enlevant leurs légions, s'ils refusaient. On ne pouvait donc plus s'obstiner à se montrer hostile à Octave. Heureusement, Lépide[91] pouvait devenir l'honnête courtier de ce grand marché politique, et réconcilier les deux rivaux. Il était le plus âgé des trois ; il avait été le grand ami de César, et il était demeuré à l'écart de la querelle. On fit donc des démarches auprès de Plancus et d'Asinius, qui avaient été aussi les amis de César ; on envoya auprès de leurs armées des gens chargés de répandre des invitations, des soupçons, des promesses, et de chercher à entraîner les soldats au moyen des généraux et les généraux au moyen des soldats ; Lépide fit en même temps, dans les premiers jours de juillet, des démarches pour une réconciliation avec Octave. Le moment était opportun. Octave venait d'être déçu dans ses espérances au sujet du consulat, et, ayant compris qu'il ne pouvait plus compter ni sur les conservateurs, ni sur le sénat, il se souvenait de nouveau qu'il était le fils de César, s'apprêtait à se montrer l'émule d'Antoine comme défenseur actif de la cause césarienne. D'ailleurs ses soldats, peu à peu gagnés eux aussi par cette espèce de folie césarienne qui envahissait les armées, faisaient continuellement des démonstrations dans lesquelles ils proclamaient qu'ils ne combattraient jamais contre des soldats de César[92]. Si Octave a7ait eu encore quelque doute, ses soldats les auraient vite fait disparaître. Il fit donc bon accueil aux propositions de Lépide ; il tint à ses soldats des discours enflammés, où il faisait l'éloge de son père ; il leur promit qu'une fois élu consul, il leur ferait donner les récompenses promises. Il amena de cette façon les soldats à décider d'envoyer à Rome une députation composée de centurions et de soldats pour demander qu'Octave fût élu consul, et que la proscription d'Antoine fût annulée[93]. L'ambassade arriva à Rome vers le 15 juillet[94], à un moment où les conservateurs étaient inquiets, parce qu'ils étaient sans nouvelles au sujet du retour de Brutus en Italie, à un moment aussi où les menées de plus en plus suspectes d'Octave avaient tout à fait discrédité Cicéron, et où on apprenait que partout en Italie le tributum[95] avait causé dans les classes riches un grand mécontentement. La députation arriva ainsi jusqu'à Rome sans avoir rencontré aucun obstacle sur son chemin ; et les centurions purent pénétrer dans la curia, où le sénat s'était réuni pour les recevoir, plein de crainte et de méfiance. Mais leur insolence fut telle qu'elle redonna de l'énergie et du courage même à ce sénat pusillanime, qui à la fin, irrité, les congédia brusquement[96]. Octave eut connaissance de ce refus dans la troisième décade de juillet ; et alors, enhardi par l'accord de plus en plus probable avec Antoine et avec Lépide, il en vint à une audace suprême. Quand les soldats se rendirent auprès de lui pour lui offrir les insignes consulaires, il les accepta, en feignant d'y être contraint, et il se mit en marche avec ses huit légions.

Si les premières menées de Lépide et d'Antoine avaient poussé Octave à prendre de nouveau l'attitude d'un césarien et d'un démagogue, la nouvelle attitude, si nette et si hardie, prise par Octave poussa également Antoine et Lépide à faire tous leurs efforts pour suborner les armées de Plancus et d'Asinius, et pour révolter celle de Decimus. Ils ne voulaient pas se laisser dépasser par leur ancien rival, devenu subitement leur ami. Dans toutes les armées les intrigues et le travail caché des agents du parti populaire redoublèrent d'intensité ; le fanatisme césarien s'échauffa ; la fidélité des légions chancela, sapée à ses fondements... Il ne fallait plus qu'une secousse pour précipiter les événements sur la pente fatale ; et cette secousse c'était Octave qui devait la donner, par son expédition sur Rome. S'il réussissait à s'emparer de la ville et à se faire élire consul, le fanatisme césarien éclaterait dans toutes les armées avec une telle violence, qu'il emporterait tous les esprits. Ainsi il y eut à Rome, à l'approche de l'armée, une grande panique. On mit les femmes et les enfants à l'abri dans les villas du voisinage ; on ferma les maisons[97] ; le sénat, pour arrêter les légions, leur envoya des délégués avec l'argent qui leur était promis ; le 25 juillet Casca, Labéon, Scaptius et Cicéron, qui était au désespoir, comprenant qu'il avait été le premier artisan de la puissance d'Octave[98], se réunirent pour étudier la situation dans la maison de Servilia, la Niobé de la dernière révolution de Rome, et qui symbolise avec sa famille la tragique discorde de l'aristocratie romaine. Elle avait à ce moment son gendre à la tête et un fils dans l'armée césarienne, qui voulait la vengeance de son grand ami ; un fils et un gendre à la tête du parti de la conjuration. On décida, dans cette réunion, de faire un nouvel appel à Brutus, pour qu'il revint en Italie[99]. Mais Octave sut persuader aux délégués du sénat de revenir sur leurs pas, en leur faisant croire que de nombreux sicaires étaient postés sur la route[100]. La majorité du sénat fut alors prise d'une telle frayeur qu'elle se tourna contre les Pompéiens, et dans un accès de lâcheté céda sur tous les points. Il fut décidé que l'on donnerait les vingt mille sesterces, non seulement à la légion de Mars et à la quatrième, mais à toutes les légions ; qu'Octave ferait partie de la commission pour la répartition des terres ; et qu'il pourrait demander le consulat, sans être à Rome. Des messagers furent envoyés en toute hâte pour avertir de tout cela le jeune général[101]. Mais les messagers étaient à peine partis que l'on apprit que les légions d'Afrique étaient arrivées à Ostie (la légion de Sardaigne était sans doute déjà à Rome depuis quelque temps). Tout à coup les Pompéiens, les parents des conjurés et Cicéron reprennent leur ascendant sur la majorité pusillanime ; et en l'effrayant de nouveau, ils lui font annuler les décisions prises. On ordonne une levée de soldats, on fortifie la ville ; on se met même à la recherche de la mère et de la sœur d'Octave pour les garder comme otages[102]. Les premiers délégués du sénat étaient donc à peine arrivés auprès de l'armée qu'ils furent rejoints par d'autres délégués qui rétractèrent tout ce qui avait été dit, sans obtenir d'autre résultat que d'irriter encore plus vivement les soldats[103]. Octave envoya alors à Rome des émissaires qui se mêlèrent au peuple dans les tavernes, sur le forum, dans les petites rues des quartiers populaires, pour rassurer les masses sur les intentions d'Octave, pour faire de grandes promesses aux légions d'Afrique qui étaient d'anciennes légions de César, et les pousser à la révolte. A son arrivée sous les murs de Rome, quand les légions d'Afrique et de Sardaigne se déclarèrent pour lui[104], l'entrain eurent fut général. La ville se rendit, les chefs du parti conservateur prirent la fuite ; et le jour suivant le fils de César put entrer à Rome avec une escorte. Il embrassa sur le forum sa mère et sa sœur que les Vestales avaient cachées ; il fit un sacrifice à Jupiter Capitolin : il reçut de nombreux sénateurs et Cicéron, avec qui il semble avoir eu un entretien plutôt froid ; puis il retourna auprès de son armée hors de la ville, tandis que le sénat préparait l'élection consulaire. Le 19 août, les formalités ayant été rapidement remplies, Octave et Quintus Pédius étaient élus consuls[105].

Ce que les conservateurs redoutaient depuis un an se produisit alors. Après avoir fait valider son adoption par les comices curiates, après avoir versé avec les deniers publics aux soldats une partie des récompenses et au peuple une partie du legs de César, Octave fit pleinement ce qu'Antoine n'avait osé faire qu'à moitié : il fit proposer par Quintus Pédius et approuver facilement par les comices une loi qui déférait tous les auteurs de la mort de César et tous leurs complices à un tribunal spécial, pour être condamnés à l'interdictio aqua et igni et à la confiscation[106]. La fortune capricieuse avait une fois de plus relevé un parti pour abaisser l'autre ; l'amnistie du 47 mars 44, le chef-d'œuvre politique de Cicéron, était annulée ; Érophile, cet obscur vétérinaire de la Grande Grèce qui, le premier, avait excité le petit peuple à la vengeance du dictateur assassiné, triomphait sur toute la ligne. En peu de jours, les amis d'Octave, alléchés par ce qui devait revenir à l'accusateur des biens du condamné, se répartirent les conjurés comme une proie, et chacun d'eux se chargea d'accuser tel ou tel. Ils furent donc bientôt tous condamnés par contumace. On ne fit d'exception ni pour Casca, qui était tribun ; ni pour Brutus, qui combattait alors contre les Besses ; ni pour Cassius, dont Agrippa fut l'accusateur ; ni pour Decimus, qui, s'étant uni à Plancus, attendait les secours d'Octave pour combattre Antoine ; ni pour Sextus Pompée, qui n'était entré pour rien dans l'assassinat de César, mais qui, faute plus grande, avait reçu les mêmes pouvoirs extraordinaires que son père dans la guerre des pirates[107]. Le parti césarien était le maître à Rome et en Italie, avec Octave à la tête d'une armée de onze légions, et dans la Gaule narbonnaise avec les quatorze légions de Lépide et d'Antoine. L'effet de ce succès ne se fit pas longtemps attendre. Asinius Pollion, dont les soldats étaient déjà hésitants, était, quant à lui, bien disposé à l'égard d'Octave par reconnaissance pour César ; d'ailleurs seul au fond de l'Espagne avec trois légions, il ne pouvait rien faire. Il finit donc par se décider, et au mois de septembre il partagea ses légions entre Antoine et Lépide, en en donnant deux au premier et une au second[108]. Restaient les deux armées de Brutus et de Plancus. Mais Plancus qui, dans la crainte de perdre le consulat pour l'année suivante, était demeuré jusque-là si fidèle au sénat, ne pouvait pas ne pas abandonner Decimus Brutus après sa condamnation, s'il ne voulait pas se brouiller à la fois avec Antoine, Lépide, Octave et Asinius[109]. Decimus et lui n'avaient que quinze légions, alors que les autres réunis en avaient vingt-huit ; pouvait-il continuer la lutte dans des conditions si graves d'infériorité ? Plancus trahit donc à son tour. De ses cinq légions, trois furent prises par Antoine et deux par Lépide[110]. Decimus, abandonné par Plancus et proscrit, essaya d'aller par voie de terre avec son armée rejoindre Brutus en Macédoine, et il se mit en marche ; mais les promesses qui avaient déjà eu raison de tant d'armées, l'exemple et une sorte de folie césarienne qui s'emparait des troupes entraînèrent sur la pente commune ses légions, déjà effrayées du grand et pénible voyage qu'on leur demandait. Le long de la route les soldats, les uns après les autres, par petits groupes, par cohortes, se mirent à abandonner Decimus pour passer à Antoine et à Octave. L'armée finit par se débander : et les quatre légions anciennes, qui étaient les meilleures, se mirent en marche pour rejoindre Antoine et Lépide, les six autres pour rejoindre Octave. Decimus, abandonné ainsi, et errant avec une escorte de quelques hommes seulement, fut pris dans les Alpes par un chef de barbares qui le mit à mort sur l'ordre d'Antoine, à qui Decimus avait cependant sauvé la vie pendant la conjuration[111]. Ainsi le parti conservateur avait perdu la dernière armée et le dernier général qui lui restaient en Occident ; il avait perdu l'Italie et les provinces de l'Europe, et cela définitivement, s'il ne survenait pas de désaccord parmi les chefs de la nouvelle révolution césarienne.

Mais cet espoir même, si certaines gens le nourrissaient, fut bientôt perdu. Quelque chose de plus fort qu'une volonté ou des caprices personnels imposait à ces chefs l'entente : les armées de Brutus et de Cassius. Celui-ci avait au mois de juin, à Laodicée, vaincu Dolabella qui s'était tué ; il lui avait pris deux légions, ce qui portait à douze le nombre des siennes ; Brutus et lui étaient donc, avec leurs dix-neuf légions, les maîtres de l'Orient, c'est-à-dire de la partie riche de l'empire. Pendant tout le mois de septembre un grand nombre de messages durent être échangés entre Lépide, Antoine et Octave ; et peu à peu un projet d'accord se dessina dans ses lignes générales. Ils s'entendirent facilement à distance pour rétablir la dictature de César, qu'ils se partageraient entre eux, en se faisant nommer triumviri republicæ constituendæ, avec les pleins pouvoirs que César avait eus pendant les dernières aimées. Mais si l'accord pour le dessin général était facile, il leur fallait avant tout se rassurer mutuellement en se donnant des gages de paix ; il y avait en outre un grand nombre de questions secondaires, mais graves, à résoudre, et pour cela une rencontre était nécessaire. La chose n'était pas facile, car Octave et Antoine se défiaient l'un de l'autre. Où et comment les deux rivaux pouvaient-ils se rencontrer ? On commença cependant par se rapprocher. Octave partit de Rome avec ses onze légions, en disant qu'il allait combattre Antoine et Lépide, selon les ordres du sénat[112] ; Lépide et Antoine, après avoir laissé Varius Cotila avec cinq légions dans la Gaule transalpine, descendirent en Italie avec dix-sept légions et dix mille cavaliers[113]. Tandis qu'ils avançaient, Octave fit proposer par Q. Pédius et approuver par le sénat une loi par laquelle la proscription prononcée contre Antoine et contre Lépide était annulée[114]. C'était leur donner une garantie considérable. Il demeurait cependant toujours difficile d'organiser une rencontre où il n'y eût place ni pour le soupçon ni pour la peur L'endroit finit par se trouver ; et il fut convenu que la rencontre aurait lieu, non loin de la via Æmilia et de Bologne, dans une petite île au confluent du Reno et du Lavino, qui sans doute, à cette époque-là se jetait non pas dans le Samoggia, mais dans le Reno. Cette petite île était reliée aux deux rives par deux ponts[115]. Les trois chefs pourraient se rendre dans File en laissant leurs soldats au-delà des deux ponts, et ils discuteraient sous les yeux des légions, sans pouvoir tenter aucune violence ni aucune surprise. Vers la fin d'octobre, les deux armées arrivèrent l'une en face de l'autre, de chaque côté du fleuve ; elles campèrent à une certaine distance ; on disposa une tente sur l'île ou la presqu'île ; et un matin Octave d'un côté, Lépide et Antoine d'un autre, s'approchèrent avec une escorte des deux ponts qui conduisaient sur ce continent minuscule. Lépide y entra le premier et tout seul, il regarda s'il n'y avait rien de suspect, puis il fit signe à Octave et à Antoine de venir. Ils s'approchèrent, se saluèrent, se fouillèrent mutuellement avec soin pour s'assurer qu'ils n'avaient pas d'armes ; puis ils pénétrèrent avec Lépide sous la tente[116].

 

 

 



[1] La comparaison des passages des lettres ad Br. I, 5 et I, 3, me semble bien indiquer que la proscription d'Antoine fut décrétée le 26, comme le dit LANGE, R. A., III, 524. La lettre I, 3 se compose, comme le démontre SCHMIDT, I. P. P., 1892, p. 331, de deux lettres : l'une composée des paragraphes 1, 2 et 3, et qui fut écrite après la bataille de Forum Gallorum et dont la date est peut-être celle placée au bas de toute la lettre ; l'autre composée du paragraphe 4 et écrite après l'arrivée de la nouvelle de la mort de Pansa. Il est question dans cette lettre d'une séance où Antoine et les siens furent déclarés ennemis de la république. Dans la lettre I, 5, du 5 mai Cicéron parle à Brutus d'une séance du 27 avril où il fut question des moyens de poursuivre Antoine et qui Semble différente de celle où Antoine fut proscrit. C'est pourquoi je suppose qu'il y eut une séance le 26 et une autre le 27. La nouvelle de la mort de Pansa, qui parvint entre le 26 et le 27, rendit nécessaire la séance du 27 ; APPIEN, III, 74, dit en effet que dans la première séance on ne voulut pas donner à Decimus le commandement suprême. La lettre de CICÉRON, ad Br., I, 3 § 4, fut donc écrite après la séance du 26, et avant la séance du 27, et à un moment où la nouvelle de la mort de Pansa, que l'on ignorait le matin, venait d'arriver, par conséquent dans la journée du 26. Cela démontre enfin quo la nouvelle de la mort de Pansa arriva à Rome le soir du 26.

[2] DION, XLVI, 39-40 ; APPIEN, B. C., III, 74 ; CICÉRON, ad Br., I, XV, 8.

[3] En racontant ces événements, les historiens modernes se sont laissés tromper par les récits tendancieux qu'en ont fait dans l'antiquité les amis d'Auguste et dont on trouve de nombreuses traces dans TITE-LIVE, Per., CXIX ; VELLEIUS, II, 62 ; DION, XLVI, 39-40 et APPIEN, B. C., III, 74. Ces récits cherchent à justifier l'abominable conduite d'Octave envers le parti conservateur, en la considérant comme une conséquence de la mauvaise foi et de l'opposition du sénat. Nous verrons que cela n'est vrai qu'en partie. Nous y trouvons aussi une tendance à représenter les honneurs attribués à D. Brutus après sa délivrance, comme une offense voulue à l'égard d'Octave. Mais cela est absurde, et c'est en vain que les historiens de l'antiquité remarquent que Decimus Brutus n'avait rien fait, alors qu'il avait résisté avec courage au lieu de capituler. Dans toutes les guerres où on envoie une armée pour délivrer une autre armée assiégée les premiers honneurs sont pour ceux qui sont délivrés : on veut les récompenser de leur ténacité et consoler leurs souffrances. En rendant des honneurs à Decimus Brutus on n'avait donc pas l'intention de faire un affront à Octave.

[4] DION, XLVI, 40.

[5] C'est ce que dit APPIEN, B. C., III, 74 et la chose me parait vraisemblable. En effet Decimus Brutus (F., XI, X, 1) dans une lettre datée de Tortone et du 5 mai, se plaint que certains citoyens s'opposent à ce que des honneurs lui soient rendus et cherchent même, dit-il, quo minus respublica a me commode administrari possit, ce qui est probablement une allusion à la proposition de Cicéron qui ne fut pas approuvée.

[6] Voy. CICÉRON, ad Br., I, XV, 8.

[7] CICÉRON, F., XI, XIII, 2.

[8] CICÉRON, ad Br., I, V, 1 ; DION, XLVI, 40.

[9] CICÉRON, ad Br., I, V, 1.

[10] Voy. CICÉRON, F., XI, XII, 1 ; XI, XIV, 3.

[11] TITE-LIVE, Per., 420. — DION, XLVI, 40, dit que le commandement de ses légions ne fut pas retiré à Octave, et ceci est confirmé par les lettres de CICÉRON, F., XI, XIV, 2 ; XI, XIX, 1, qui montrent que la proposition de Drusus et de Paulus ne fut pas approuvée. Au contraire, il résulte des lettres de CICÉRON, F., XI, XX, 4, que trois des quatre légions de Pansa furent envoyées par Octave à Decimus Brutus qui se plaint que la quatrième ne lui ait pas été remise ; cela signifie que son droit de commander les quatre légions était reconnu même par Octave, et que le sénat les avait mises sous le commandement de Decimus Brutus. C'est du reste ce que disent DION, XLVI, 40 et APPIEN, B. C., III, 76. Cette décision ne pouvait non plus être un affront pour Octave.

[12] CICÉRON, ad Br., III, 4.

[13] CORNELIUS NEPOS, Att., 9.

[14] CICÉRON, F., XI, XIII, 1. Tout ce que raconte au sujet de cet entretien APPIEN, B. C., III, 73 est une invention ou, à tout le moins, une exagération venant d'un homme favorable à Auguste. On peut s'en rendre compte en lisant la lettre de CICÉRON, F., XI, 13, qui en montre très nettement la fausseté.

[15] CICÉRON, F., XI, X, 4.

[16] Decimus Brutus le dit clairement : CICÉRON, F., XI, X, 4 : sed neque Cæsari imperari potest, nec Cæsar exercitui suo.

[17] CICÉRON, F., XI, XIII, 1.

[18] CICÉRON, F., XI, XIII, 2.

[19] CICÉRON, F., XI, XIII, 3. Voy. CICÉRON, F., X, XXXIII, 4 : Parmam direptam. Les ennemis d'Antoine ont dû exagérer les choses pour faire de lui un brigand et un suborneur d'esclaves. Antoine n'avait pas assez de temps à perdre pour s'occuper à saccager les villes ou à vider les ergastula.

[20] CICÉRON, F., XI, XIII, 2.

[21] APPIEN, B. C., III, 49.

[22] CICÉRON, F., XI, XIV, 1 ; CICÉRON, ad Br., I, X, 1.

[23] Les historiens de l'antiquité trop attachés aux traditions favorables à Auguste n'ont pas compris que le refus d'Octave de prendre part à la poursuite d'Antoine fut la première cause de la discorde entre le sénat et Octave.

[24] Voy. dans CICÉRON la lettre F., XI, XIX, 1, qui fut écrite le 21 mai. Les propositions furent donc faites dans la première décade de mai, et non aussitôt après la nouvelle de la victoire de Modène. Cela montre que la proposition ne fut pas une provocation gratuite, comme le voudrait DION, XLVI, 40, mais qu'elle fut faite, quand on sut, dans les premiers jours de mai, qu'Octave ne partait pas à la poursuite d'Antoine.

[25] CICÉRON, XI, XIV, 1 : mirabiliter, mi Brute, lætor mea consilia measque sententias probari de decemviris, de ernando adulescente. La lettre fut écrite à la fin de mai, en réponse à une lettre de Cicéron expédiée vers le commencement de mai. Ceci prouve : 1° que la proposition des decemviri fut faite par Cicéron : 2° qu'au commencement de mai Cicéron était d'avis qu'il fallait ornare adulescentem et (puisqu'il se réjouit de ce que Decimus Brutus est d'accord avec lui) qu'il y avait des opposants.

[26] Cela semble résulter de DION, XLVII, 28, selon lequel Cassius τώ τε Καίσαρι περί τών συναλλαγών έπέστειλε.

[27] DION, XLVI, 40, le dit, et CICÉRON, F., XI, XIX, 1 ; XI, XIV, 2, le confirme.

[28] APPIEN, B. C., III, 86 et 88, parle de deux ambassades de soldats d'Octave à Rome, dont la première aurait eu lieu à ce moment-là Mais j'ai peine à croire qu'il ait eu recours deux fois à un procédé aussi révolutionnaire, et pour la première fois à un moment où la situation n'était pas encore désespérée. Toutefois, comme il n'est pas vraisemblable que le sénat, si inactif après la délivrance de Modène, ait pris l'initiative d'envoyer cette espèce de message aux soldats, je suppose que le message fut décidé à la suite de démarches faites par Octave.

[29] DION, XLVI, 40 ; et APPIEN, B. C., III, 86, disent en substance la même chose en se complétant l'un l'autre. Dion dit que l'on décida de donner 10.000 sesterces à une partie des soldats et rien aux autres ; Appien dit qu'on envoya aux deux légions révoltées la moitié du donativum qu'on leur avait promis. Il faut donc admettre qu'il y eut désaccord sur l'interprétation du sénatus-consulte du 3 janvier ; que le sénat l'appliqua à la lettre pour ce qui concerne le nombre de ceux qui avaient droit au donativum, mais qu'il y eut pour la somme une transaction et que l'on décida de n'en donner que la moitié.

[30] CICÉRON, F., XI, XX, 4.

[31] DION, XLVI, 40 ; APPIEN, B. C., III, 86.

[32] Decimus Brutus, dans la lettre F., XI, 20, écrite le 25 mai d'Ivrea, parle, en même temps que des décemvirs, des distributions de terres et du paiement des sommes en argent, ainsi que des plaintes des soldats à ce sujet. Cela semble indiquer que toutes ces décisions furent prises en même temps, dans la première décade de mai : c'est pourquoi je les rattache aux démarches d'Octave. APPIEN, B. C., III, 86, dit d'ailleurs que les décemvirs devaient s'occuper de payer les sommes d'argent.

[33] CICÉRON, F., X, XXXIV, 1 ; F., X, XV, 3 : L., Antonium, præmissum cum equitibus.

[34] CICÉRON, F., XI, X, 3.

[35] CICÉRON, F., XI, X, 5.

[36] CICÉRON, F., XI, XIII, 3.

[37] CICÉRON, F., XI, XIII, 3.

[38] CICÉRON, F., XI, XIII, 4.

[39] CICÉRON, F., XI, XIII, 4 : voy. CICÉRON, F., X, XVII, 1 : Ventidius bidui spatio abest ab eo.

[40] CICÉRON, F., XI, XIV, 3.

[41] CICÉRON, F., XI, XIV, 2. La lettre a dû être écrite à la fin de mai.

[42] CICÉRON, F., XI, 26, prouve que le 3 juin Decimus Brutus savait que cette proposition était dans l'air.

[43] CICÉRON, F., X, XV, 3.

[44] DION, XLIV, 41 ; APPIEN, B. C., III, 86.

[45] CICÉRON, F., XI, XX, 1.

[46] CICÉRON, F., XI, XX, 1 ; Voy. VELLEIUS, II, LXII, 6.

[47] CICÉRON, ad Br., I, XXX, 3, dit que ce furent les amis d'Octave qui le poussèrent à briguer le consulat, et la chose parait très vraisemblable.

[48] PLUTARQUE, Cicéron, 45.

[49] APPIEN, B. C., III, 80.

[50] APPIEN, B. C., III, 81.

[51] CICÉRON, F., X, XXXIV, 1.

[52] CICÉRON, F., X, XXXIV, 3.

[53] APPIEN, B. C., III, 83, confirmé par CICÉRON, F., X, XXXIV, 2.

[54] CICÉRON, F., X, XV, 2-3.

[55] APPIEN, B. C., III, 81.

[56] APPIEN, B. C., III, 82 ; PLUTARQUE, Cicéron, 45. Appien place ces tentatives avant la jonction d'Antoine et de Lépide ; DION, XLVI, 42 les place après. Dion est confirmé par CICÉRON dans sa lettre ad Br., I, X, 3, qui fut écrite après la trahison de Lépide. Mais on peut mettre d'accord les deux récits, en supposant que les négociations furent engagées une première fois, puis suspendues, puis reprises.

[57] Voy. CICÉRON, F., XI, 19 ; XI, 20 ; XI, 23.

[58] CICÉRON, F., X, XVII, 1.

[59] CICÉRON, F., X, XVII, 4 ; X, XXXIV, 1.

[60] CICÉRON, F., X, XXXIV, 1.

[61] PLUTARQUE, Antoine, 18 ; APPIEN, B. C., III, 83.

[62] CICÉRON, F., X, XXXIV, 2 ; DION, XLVI, 51, avec certaines inexactitudes que corrige la lettre de Lépide qui est citée.

[63] APPIEN, B. C., III, 83.

[64] CICÉRON, F., X, XXXIV, 1.

[65] CICÉRON, F., X, XXXIV, 2.

[66] CICÉRON, X, XXI, 4 : corrupti etiam per eos qui presunt, per Canidios Rufrenos et ceteros...

[67] DION, XLVI, 51.

[68] PLUTARQUE, Antoine, 18.

[69] APPIEN, B. C., III, 83.

[70] DION, XLVI, 51 ; APPIEN, B. C., III, 84.

[71] APPIEN, B. C., III, 84.

[72] CICÉRON, F., X, XXI, 2.

[73] CICÉRON, F., X, XXI, 4.

[74] CICÉRON, F., X, XXIII, 2 ; APPIEN, B. C., III, 84.

[75] APPIEN, B. C., III, 84 ; PLUTARQUE, Antoine, 18 : les deux récits se complètent l'un l'autre.

[76] DION, XLVI, 51.

[77] CICÉRON, F., X, 35.

[78] DION, XLVI, 51. Voy. APPIEN, B. C., IV, 84. — Il est vrai que DION, XLVI, 40, dit qu'un décret semblable en faveur de Pompée avait été voté après la bataille de Modène, en même temps que celui qui donnait le commandement de la guerre contre Dolabella à Cassius et la Macédoine à Brutus. Mais Dion, qui confond déjà au sujet de Brutus la décision prise en février avec la faculté qui lui fut donnée alors de prendre part à la guerre contre Dolabella, se trompe aussi au sujet de Sextus. En effet la lettre de CICÉRON, ad Br., I, V, 1-2, montre que dans la séance du 27 avril, où l'on prit des décisions au sujet de Brutus et de Cassius, il ne fut pas question de Pompée. Cicéron n'aurait pas manqué d'en parler à Brutus, car il eût été important de lui faire savoir qu'ils pouvaient compter sur une flotte. Le titre officiel de la charge confiée à Pompée nous a été conservé par les monnaies : voy. COHEN, M. R., 1, p. 19, 20. Au sujet des légions d'Afrique, voy. APPIEN, III, 85.

[79] APPIEN, B. C., III, 85 ; DION, XLVI, 42 et 51, confirmé par CICÉRON, F., X, XXIV, 4.

[80] CICÉRON, ad Br., I, XII, 4.

[81] CICÉRON, F., XX, XXIII, 3.

[82] STRABON, IV, VI, 7 (203).

[83] DION, XLVI, 42.

[84] CICÉRON, ad Br., I, X, 3.

[85] C'était là probablement l'origine des bruits que l'on faisait courir et dont parle SUÉTONE, Auguste, 11.

[86] CICÉRON, F., X, XXIV, 4.

[87] CICÉRON, ad Br., I, XIII, 2.

[88] Voy. sa lettre à Atticus, dans CICÉRON, ad Br., I, 17. Voy. aussi CICÉRON, ad Br., I, XV, 4 et suiv.

[89] CICÉRON, ad Br., I, 13.

[90] CICÉRON, J., XII, X, 1.

[91] TITE-LIVE, Per., 119 et Eutr., VII, 2, nous disent que Lépide fut l'agent de la réconciliation.

[92] DION, XLVI, 42.

[93] DION, XLVI, 42-43 ; APPIEN, B. C., III, 87-88 ; SUÉTONE, Auguste, 26.

[94] Plancus, dans les Gaules, était informé de cette tentative le 28 juillet. CICÉRON, F., X, XXIV, 6. Il y a peut-être une autre allusion dans la lettre de CICÉRON, ad Br., I, XIV, 2, qui fut écrite le 11 juillet. Voy. aussi CICÉRON, ad Br., I, XVIII, 4.

[95] CICÉRON, ad Br., I, XVIII, 5.

[96] DION, XLVI, 48.

[97] APPIEN, B. C., III, 89.

[98] CICÉRON, ad Br., I, XVIII, 1-3.

[99] CICÉRON, ad Br., I, XVIII, 1-2.

[100] APPIEN, B. C., III, 88.

[101] APPIEN, III, 90 ; DION, XLVI, 44 : Dion se trompe certainement en disant que le sénat nomma Octave consul.

[102] DION, XLVI, 44 et APPIEN, III, 90, parlent l'un et l'autre de ce revirement dans la politique du sénat, mais sans en donner la raison ; DRUMANN, G. R., I2, 244, la trouve justement dans l'arrivée des légions d'Afrique dont parle APPIEN, B. C., III, 91.

[103] APPIEN, B. C., III, 92.

[104] APPIEN, B. C., III, 92 : cette révolte dut se produire au moment même de l'arrivée d'Octave, sans quoi on ne comprendrait pas qu'il fût entré dans Rome sans coup férir.

[105] DION, XLVI, 4546 ; APPIEN, B. C., III, 92-94. La date du 19 août est donnée par DION, LVI, 30, et TACITE, Ann., I, 9. Ce sera aussi la date de la mort d'Auguste. VELLEIUS, II, LXV, 2, se trompe. Voy. C. I. L., X, 3682.

[106] DION, XLVI, 47-48 ; APPIEN, B. C., III, 95 ; TITE-LIVE, Ép., 120 ; VELLEIUS, II, LXIX, 5.

[107] PLUTARQUE, Brutus, 27 ; VELLEIUS, II, LXIX, 5 ; DION, XLVI, 48-49.

[108] APPIEN, B. C., III, 97.

[109] PLUTARQUE, Antoine, 18 ; DION, XLVI, 63 ; VELLEIUS, LXIII, 3.

[110] APPIEN, B. C., III, 97.

[111] DION, XLVI, 53 ; APPIEN, B. C., II, 97-98 ; VELLEIUS, II, 64.

[112] DION, XLVI, 52 ; APPIEN, B. C., III, 96.

[113] PLUTARQUE, Antoine, 18 ; DION, XLVI, 54.

[114] DION, XLVI, 52 ; APPIEN, B. C., III, 96.

[115] Les textes anciens où est décrit l'endroit de la rencontre sont : SUÉTONE, Auguste, 96 ; PLUTARQUE, Antoine, 19 et Cicéron, 46 ; DION, XLVI, 55 ; APPIEN, B. C., IV, 2 ; FLORUS, IV, 6. — On a beaucoup écrit au sujet de cet endroit. Voy. Giornale Arcadico de 1825 ; BORGHESI, Œuvres, Paris, 1865, vol. 4, p. 91 ; FRATI, dans les Atti della R. Deputazione di Storia patria delle Romagne, 1868, p. 1 et suiv.

[116] APPIEN, B. C., IV, 2 ; DION, XLVI, 55.