GRANDEUR ET DÉCADENCE DE ROME

 

TOME II. — JULES CÉSAR

CHAPITRE XIII. — LA GUERRE D'ESPAGNE.

(L'an 49 avant Jésus-Christ.)

 

 

César ne resta à Brindes qu'une seule journée, et partit immédiatement pour Rome, en proie à une irritation violente, déclarant à ses amis que, puisque Pompée et la majorité du sénat voulaient une guerre à outrance, ils l'auraient sans quartier ; qu'il irait sans retard attaquer les armées de l'Espagne[1]. Curion et Cœlius, qui l'avaient vu jusqu'alors si modéré, ne revenaient pas de leur étonnement en l'entendant parler ainsi[2]. Mais César n'avait que trop sujet d'être préoccupé et furieux. après les incroyables événements de janvier et de février. La portée de ces événements était si grande, que l'Italie tout entière en avait été bouleversée ; et la situation qu'ils avaient créée était si obscure, si étrange, si imprévue, que César ne pouvait l'envisager avec tranquillité malgré les éclatants succès de ses armes. Si grand que fût le pessimisme des classes supérieures, habituées depuis longtemps à considérer la République comme un État en dissolution, les faits avaient dépassé les plus sombres prévisions. On avait vu cette chose incroyable : le sénat, les magistratures, tout l'édifice monumental et vénéré de la vieille République crouler en deux mois sous les coups de quelques légions ; la petite et vaillante armée de César mettre en pièces en un clin d'œil le gouvernement légal, balayer les débris du sol de l'Italie, et rester maîtresse de l'Italie. Rome n'avait pas encore vu une catastrophe si soudaine ni si bizarre. Or, c'était justement la grandeur inopinée de cette catastrophe qui épouvantait César. Il se rendait compte qu'il était dans la situation dangereuse d'un rebelle qui, par un premier succès éclatant sur le gouvernement légal, n'a fait que provoquer celui-ci à une action plus vigoureuse ; et il comprenait aussi qu'après l'humiliation de cette fuite, qu'il n'avait pu empêcher, Pompée et le sénat ne consentiraient jamais à rentrer en Italie sans l'avoir écrasé. Aucune force humaine désormais ne pouvait arrêter le cours fatal de cette guerre civile, pour laquelle ses adversaires, malgré leurs premiers échecs, disposaient de forces de beaucoup supérieures à celles de César. Ils possédaient presque tout l'empire, la mer, une grande armée en Espagne ; ils allaient en recruter une autre et plus formidable encore en Orient ; lui, au contraire, il n'avait que quatorze légions, peu d'argent, aucune flotte, et, préoccupation suprême, la Gaule à peine domptée à surveiller. S'il rappelait les légions de la Gaule pour la guerre civile, n'allait-il pas provoquer une nouvelle révolte générale ? Ses adversaires comptaient beaucoup sur cette difficulté.

César avait tout de suite compris que la seule chance de salut pour lui était dans une extrême rapidité d'action. Un examen plus calme confirma l'idée qu'il avait eue dans son premier emportement, quand il avait vu Pompée lui échapper. Il fallait attaquer les formidables forces de ses adversaires, tandis qu'elles étaient encore dispersées ; commencer à détruire l'armée d'Espagne, qui menaçait de près la Gaule et sur laquelle les amis de Pompée fondaient de grands espoirs. Le bruit courait même que Pompée irait prendre le commandement, pour reconquérir l'Italie avec elle[3]. En effet, avec sa rapidité habituelle, chemin faisant, César avait conçu un plan d'action très large, et il avait commencé à le mettre à exécution, lançant de tous les côtés des messages et des ordres, rendant présente ainsi par un effort suprême sa volonté dans cent endroits divers. Il installa des garnisons dans les principales régions de l'Italie méridionale[4] ; il ordonna à toutes les villes maritimes de l'Italie d'envoyer un certain nombre de navires à Brindes et d'en construire d'autres : il confia à Hortensius et à Dolabella le soin de tout cela[5] ; il prit sans tarder des dispositions pour s'emparer des greniers les plus voisins de l'Italie, et il chargea Q. Valerius d'aller avec une légion en Sardaigne, Curion d'occuper la Sicile avec deux légions, puis de passer en Afrique[6], Dolabella de se rendre en Illyrie[7]. Il comptait en même temps, à peine arrivé à Rome, convoquer les quelques sénateurs et les quelques magistrats qui y étaient restés ; restaurer un semblant de gouvernement qui se pourrait dire légal. C'était là une chose d'extrême nécessité , soit pour lui-même, soit pour l'Italie. Cette Italie sans magistrats, que Pompée lui avait abandonnée, était un très gros embarras pour lui[8] ; car, s'il avait pu en deux mois faire crouler avec son armée le gouvernement de la République, il ne pouvait le remplacer par son armée, dont il avait besoin pour la guerre, ni abandonner à elle-même sans aucun gouvernement l'Italie. En outre, étant le plus faible, il avait un grand intérêt à faire justifier par un pouvoir légal tout ce qu'il avait fait ou allait faire ; surtout à se faire autoriser à porter la guerre en Espagne et à prendre l'argent du trésor, dont il avait tant besoin.

Ce plan, comme toutes les créations de César, était hardi et grand ; mais quel prodigieux effort physique et moral ils auraient à accomplir, lui, ses amis et ses soldats, pour le mettre à exécution ! Les difficultés économiques, militaires, politiques, étaient immenses. L'opinion publique surtout, encore plongée dans la stupeur, et extrêmement désorientée, devait préoccuper César. Il est vrai qu'elle s'était un peu modifiée en sa faveur, à la suite des derniers événements. Le long de la route, un certain nombre de villes qui l'année précédente avaient fait à Pompée un brillant accueil fêtaient maintenant César[9] ; de nombreux sénateurs que Pompée avait fait sortir de Rome se préparaient à y rentrer avec lui[10] ; bien des gens étaient maintenant portés à donner raison à César et tort à Pompée, à reconnaitre que César n'avait pas été le provocateur ; qu'il avait fait preuve de modération et d'esprit conciliant. On se plaisait même souvent à exalter ses mérites, sa fortune et sa puissance ; à dire qu'il pourrait, s'il le voulait, tirer de la Gaule une armée innombrable, et qu'il possédait d'immenses trésors[11]. Mais au fond, l'Italie ne ressentait pour César, comme pour Pompée et pour tous les chefs de cette lutte qui l'ennuyait si profondément, que de la méfiance, de l'irritation, du dégoût ; et l'accueil que lui faisaient les villes italiennes, bien qu'amical, était différent de celui qu'elles avaient fait quarante ans auparavant à son oncle revenant d'Afrique. L'Italie avait trop changé dans ces quarante ans. Les fils et les petits-fils des nobles, des propriétaires, des paysans misérables qui, un demi-siècle auparavant, s'étaient sacrifiés sans le savoir pour l'avenir de l'Italie, possédaient maintenant des fermes cultivées par des esclaves et des maisons dans les villes ; ils étaient devenus des marchands actifs, des usuriers cupides, des hommes politiques qui, en se glissant habilement dans les différents partis, avaient acquis de la réputation et de l'aisance ; les uns étaient avocats et jurisconsultes amis des grands ; d'autres, de petits propriétaires industrieux. dont les enfants bien vêtus se rendaient accompagnés d'un esclave à l'école fréquentée par les enfants des meilleures familles. Or, tous ces gens-là formaient une opinion publique égoïste, exigeante et imbécile ; qui ne comprenait point la situation tragique créée par les événements ; qui, ayant une peur affreuse de la guerre civile, s'imaginait que la paix était une chose très facile et dépendait seulement de la volonté de César et de Pompée. Personne ne voulait reconnaître que César était maintenant obligé de combattre ; le faible revirement en sa faveur avait été, au contraire, en partie déterminé par l'espoir qu'il mettrait fin aux hostilités[12]. En somme, favorable ou contraire, l'opinion publique ne faisait que lui créer des embarras très graves, avec ses prétentions naïves, absurdes, contradictoires.

César put se rendre compte de cette difficulté, dans le colloque qu'il eut avec Cicéron. Il devait passer par Formie ; et voulant à ce moment critique s'assurer l'amitié du plus puissant écrivain de l'époque, il lui fit une visite, le matin du 28 mars[13], à ce qu'il semble ; mais ce colloque qui, un mois plus tôt, aurait pu être un événement de l'histoire universelle ne fut qu'une cérémonie inutile. César se montra aimable et invita poliment Cicéron à venir à Rome pour y négocier la paix : et quand Cicéron lui demanda s'il serait libre de s'y employer de la façon qui lui paraissait la meilleure, il répondit que oui, et qu'il ne pourrait jamais imposer des conditions à un homme comme lui. Cicéron lui dit alors qu'il voulait au sénat s'opposer aux expéditions d'Espagne et de Grèce qu'il songeait, disait-on, à entreprendre. César fut obligé de lui répondre que de tels conseils étaient inutiles, car il était dans la nécessité absolue de faire sans retard cette guerre. Je le savais, répliqua Cicéron, mais je ne pourrais parler d'une autre façon. Le colloque continua encore un peu froid et banal ; après différents propos, César, pour en finir, dit à Cicéron qu'il espérait qu'il réfléchirait encore ; Cicéron promit bien entendu de réfléchir, et César se remit en route pour Rome[14]. L'entourage de César avait produit sur Cicéron, irrité et dégoûté par ces discours, la plus mauvaise impression : il n'avait vu là que de jeunes vauriens, des hommes ayant fait faillite ou subi des condamnations, en somme une bande d'aventuriers ; et après le colloque il avait pris son parti. Cet homme et cette bande voulaient assurément la ruine de Pompée, la confiscation des biens des riches, le pillage de la République. Non, il n'irait pas à la séance du sénat ; il irait, au contraire, retrouver son ami en Grèce[15].

Le 29 mars de l'année 48[16] César arriva à Rome, d'où il était parti neuf ans auparavant comme proconsul. Que ce temps-là était loin ! Que de choses s'étaient passées pendant ces années si pleines d'événements ! Que de changements et d'embellissements dans Rome ! Mais César n'eut guère le temps d'admirer tout cela. Il avait hâte de partir pour l'Espagne et de mettre la main sur le trésor que Pompée avait laissé. Antoine et Quintus Cassius convoquèrent hors du Pomœrium les sénateurs qui étaient restés à Rome ; César feignit de se trouver en face du sénat réuni légalement, et il prononça un discours modéré, justifiant ses actions, assurant qu'il n'userait de violence envers personne, et qu'il laisserait tous ceux qui le voudraient libres d'aller retrouver Pompée ; il proposa que l'on envoyât des ambassadeurs en Grèce pour négocier la paix ; puis il fit au peuple un discours analogue, donna des ordres pour que l'on distribuât du blé, et il promit trois cents sesterces par personne[17]. Mais ces déclarations ne firent que réveiller les premiers soupçons sur les intentions de César, dans l'opinion publique mécontente et incertaine. On fit observer que la proposition de négocier la paix ne pouvait être tenue pour sérieuse, si César ne suspendait pas ses préparatifs de guerre jusqu'à ce que la réponse fût venue[18] ; et on chercha vainement des ambassadeurs : personne ne voulait partir, tant les menaces de Pompée avaient produit d'effet[19]. Toutefois, dans les premiers jours d'avril, le sénat et César parurent travailler d'accord pour réorganiser le gouvernement avec les magistrats qui étaient restés à Rome. Il se trouva que Marcus Æmilius Lepidus, le fils du consul mort pendant la révolution de 78, le gendre de Servilia, ami d'enfance de César et préteur cette année-là était resté à Rome. A cause de sa parenté avec Servilia et de sa vieille amitié, César pouvait se fier à lui ; il fit donc décider par le sénat qu'il remplirait les fonctions de consul[20] ; Antoine, et ce fut certainement par un décret du sénat, fut mis à la tête des troupes résidant en Italie ; un autre décret du sénat ratifia le choix de Q. Valerius pour la Sardaigne, de Curion pour la Sicile et l'Afrique, de Marcus Licinius Crassus pour la Gaule transalpine, et de Dolabella pour l'Illyrie[21]. Mais quand César, poussé par la nécessité d'agir vite, brusqua les choses et demanda au sénat l'autorisation de se servir des fonds du trésor, la lutte éclata. Même s'il ne le déclara pas, on comprit que c'était pour la guerre d'Espagne ; et soit que le sénat ait donné ou refusé son approbation[22], l'idée que les fonds publics fussent employés par l'un des rivaux pour prolonger une guerre inique et calamiteuse, exaspéra à un tel point l'opinion publique qu'un tribun du peuple, Lucius Cæcilius Metellus, prit le parti d'opposer sa personne sacrosainte aux forgerons et aux soldats que César enverrait pour briser les portes du souterrain du temple de Saturne, où était déposé l'argent et dont les consuls avaient emporté les clefs. César perdit alors patience : il se présenta en personne au trésor à la tète de ses soldats et il menaça le tribun de le mettre à mort, s'il ne s'écartait immédiatement[23].

Par bonheur pour César, le tribun ne sut pas mourir pour la défense de la loi et de son droit sacré, et César put s'emparer de 45.000 livres en lingots d'or, de 35.000 livres en lingots d'argent et de 40 millions de sesterces en numéraire[24], sans verser le sang d'un magistrat inviolable Mais l'opinion publique dans toutes les classes fut profondément blessée par cette violence exercée sur le plus populaire et le plus sacré des magistrats. N'étaient-ce pas là les premiers signes d'une nouvelle tyrannie comme celle de Sylla ? Et le chef du parti populaire osait affirmer qu'il avait pris les armes pour défendre les droits des tribuns ? Les confiscations et le pillage allaient bientôt montrer ce qu'il en était. César fut tellement troublé par ce mécontentement qu'il se décida à partir brusquement, sans avoir obtenu une autorisation légale pour faire la guerre ; et qu'il renonça même à prononcer le grand discours au peuple qu'il avait déjà préparé[25]. Pour rassurer le petit peuple et lui montrer qu'il ne serait pas un nouveau Sylla, il fit encore proposer par Antoine aux comices l'abolition de cette monstrueuse loi de Sylla, qui, bien qu'elle fût presque oubliée, existait encore de nom, et excluait des magistratures les descendants des proscrits[26] : puis il partit, six ou sept jours après son arrivée, le 6 avril probablement[27], avec un petit cortège d'amis[28].

En réalité son court séjour à Rome lui avait été plus nuisible qu'utile. Il avait perdu pendant ces quelques jours dans la considération publique tout ce qu'il avait gagné pendant les quatre mois précédents. Bien des gens impartiaux, sur qui la modération montrée en janvier et en février avait fait une grande impression, se sentaient de nouveau portés vers Pompée ; la sincérité de César parlant de la paix devenait suspecte à ceux qui avaient été témoins de son acte de violence à l'égard d'un tribun, et qui avaient vu aussi la triste bande d'aventuriers dont il était accompagné[29]. Il était impossible de se faire illusion : avec de tels compagnons, ou il roulerait dans l'abîme, ou s'il était vainqueur, l'ancien ami de Catilina ne manquerait pas d'exaucer les espérances qu'avait mises en lui la lie de Rome. César n'en était que plus pressé de remporter en Espagne un grand succès. Pompée avait deux légions en Lusitanie sous le commandement du légat Marcus Pétrius ; il en avait trois dans l'Espagne citérieure sous celui du légat Lucius Afranius, et deux dans l'Espagne ultérieure, à la tète desquelles était Varron. C'étaient là sept légions, trop habituées peut-être à la guérilla dans la montagne et contre les barbares[30], mais des légions cependant ayant déjà fait campagne et commandées par des généraux sûrs et habiles. Pompée avait envoyé l'ordre de se tenir sur la défensive, pour retenir en Gaule, en menaçant de passer les Pyrénées, une partie de l'armée de César, ou pour contraindre celui-ci à faire en Espagne une périlleuse invasion. Les trois généraux, en effet, s'étaient entendus pour organiser la défense : Varron resterait dans l'Espagne ultérieure avec deux légions pour y tenir dans l'obéissance les populations les plus barbares et qui n'étaient encore qu'à demi soumises[31] ; Afranius et Pétrius, ayant réuni leurs cinq légions, s'avancèrent jusqu'à Ilerda (Lérida) ville fortifiée et bien située auprès de la frontière des Pyrénées, pour y attendre l'ennemi, s'il osait tenter une invasion. Pompée, dans le même temps, avait amené les notables de Marseille, à ne pas prendre le parti de César. Sans l'amitié de Marseille — Pompée s'en était aperçu dans la guerre contre Sertorius, — il était difficile d'entretenir une armée en Espagne, où les populations seraient certainement hostiles à César[32], car elles se souvenaient trop bien du vainqueur de Sertorius, tandis que César leur était presque inconnu[33]. Si les légions d'Espagne n'avaient pas rendu tous les services que les naïfs stratèges de Rome espéraient, elles n'en étaient pas moins avec Marseille une barrière formidable placée sur la route de César.

De fait César fut bientôt arrêté dans sa marche. Arrivé, le 19 avril probablement[34], sous les murs de la ville, il trouva les portes fermées et le sénat décidé à ne pas les ouvrir, sous le prétexte, disait-il, de rester neutre dans le conflit. Comme il était nécessaire d'avoir Marseille pour faire une guerre énergique en Espagne, César résolut aussitôt de la prendre de force et fit venir trois légions de Gaule ; mais avant qu'il fût rejoint par ses soldats, Domitius arriva par mer dans la ville et commença à organiser la défense. Avec Domitius pour adversaire, le siège de Marseille devenait une entreprise plus longue et plus difficile. Or, César avait besoin de venir à bout de l'armée d'Espagne avec la plus grande rapidité possible. Irrité par ce retard inattendu, et résolu à tout risquer pour finir vite, César prit brusquement deux décisions tout à fait téméraires ; il voulut retirer toutes ses troupes de la Gaule et pousser en même temps les opérations sous les murs de Marseille et en Espagne. A peine les trois légions furent-elles arrivées, qu'il commença le siège ; et il ordonna en même temps aux trois légions qui étaient déjà dans la Narbonnaise sous les ordres de Caïus Fabius et aux deux dernières légions restées en Gaule d'envahir l'Espagne[35]. Fabius devait tâcher de détacher de Pompée les populations de l'Espagne, tandis qu'il assiégerait Marseille : la ville une fois prise, il irait dans l'Espagne déjà à moitié conquise, détruire les armées de Pompée.

Pour ce qui concerne la Gaule, ce coup d'audace réussit pleinement. Grâce aux mesures que César avait prises et à un heureux concours de circonstances, aucun mouvement ne se produisit en Gaule. César avec sa rapidité et sa souplesse ordinaires avait su préparer cet événement en changeant encore une fois sa politique de terreur en politique d'apaisement ; et non seulement il s'était efforcé de réparer de son mieux les dommages causés par les dernières guerres, mais au lieu de persécuter impitoyablement les chefs survivants de la révolution, il avait cherché à faire la paix avec eux. C'est ainsi qu'il semble avoir réussi à s'entendre même avec Commius[36]. Il y avait plus encore. Les nobles gaulois étaient pour la plupart des hommes d'épée ; un grand nombre de ces cavaliers et de ces guerriers qui étaient à la solde des riches se trouvaient inoccupés ; beaucoup de nobles à demi ruinés auraient saisi volontiers une occasion d'acquérir gloire et richesses. César avec l'argent du trésor et celui qu'il se fit prêter par les tribuns militaires et les centurions — c'était une contribution utile et un gage de fidélité, — avait enrôlé en Gaule des cavaliers et des fantassins, pris à son service beaucoup de nobles en leur promettant les biens qu'il avait confisqués ; de sorte qu'il pouvait alors envoyer en Espagne, outre les cinq légions, 5.000 auxiliaires et 6.000 cavaliers gaulois[37]. En somme, avec sa merveilleuse habileté, il réussissait à trouver un appui dans la Gaule, qui, d'après ses adversaires, aurait dû lui créer les plus grands embarras. Au contraire ses efforts pour finir vite la guerre n'eurent au commencement que des résultats bien mesquins. Tandis qu'il activait les travaux du siège de Marseille et faisait construire une petite flotte, Fabius avait franchi les Pyrénées, et repoussé si facilement les troupes d'Afranius et de Pétreius qu'on se demande s'il n'y eut pas là une fuite simulée afin d'engager l'ennemi à s'avancer ; il avait campé sur les bords du Sègre, à quelques milles de Ilerda, s'était mis à répandre de grosses sommes d'argent dans les villes et dans les populations voisines pour les détourner de l'amitié de Pompée, et bien que rejoint par les deux autres légions[38], il se tenait sur la défensive, attendant la chute de Marseille. Mais le mois de mai se

passa, sans que cet événement, si impatiemment attendu par le parti de César, se vérifiât : ce qui faillit amener une catastrophe. En Italie le revirement en faveur de Pompée, commencé après le départ de César, s'accentua ; si d'abord la résistance de Marseille avait semblé compenser pour le parti de Pompée la perte de la Sicile abandonnée par Caton et dont Curion s'était emparé[39], bientôt on jugea que le coup d'audace tenté par César à Marseille et en Espagne ne réussirait point[40] ; les bruits les plus étranges coururent ; on raconta même que Pompée passerait par l'Illyrie et la Germanie pour se rencontrer avec César en Gaule[41]. D'autres faits irritaient aussi l'opinion publique : c'était surtout l'attitude scandaleuse d'Antoine. Laissé par César à demi maître de l'Italie, ce jeune homme prodigieusement vigoureux de corps, sensuel, joyeux, grand mangeur, grand buveur et grand débauché, violent, courageux, sanguinaire ; ce noble de vieille race, élevé dans une indépendance sauvage, loin de toute tradition familiale et sociale, dans les mauvais lieux de Rome d'abord, puis dans les camps, n'avait pas tardé à scandaliser jusqu'à ses contemporains par sa licence effrénée, arrivant jusqu'à tenir à Rome un harem des deux sexes ; à se promener en ayant dans sa litière, comme si elle avait été sa femme, l'hétaïre grecque Cithéride[42]. On avait déjà vu, il est vrai. de pareils scandales, mais la conduite d'Antoine produisait plus d'effet en ce moment où l'on était si porté à blâmer César et ses amis, et où les esprits étaient si impressionnables. Plusieurs sénateurs indignés quittèrent Rome ; le bruit se répandit partout que Cicéron, — et c'était vrai — voulait partir lui aussi. Antoine en fut irrité, et il ne trouva autre chose à faire que de lui intimer l'ordre, d'abord dans une lettre assez polie[43], puis dans une autre d'un ton sec[44], de rester en Italie. Malheureusement vers la fin de mai la guerre prit une tournure encore plus mauvaise pour César. Marseille tenait bon ; Fabius ne réussissait pas dans ses incitations à la révolte ; les populations espagnoles demeuraient fidèles à Pompée, à cause de son renom, à cause des cinq légions d'Afranius et de Pétréius, à cause aussi des bruits que l'on faisait habilement courir. On allait jusqu'à dire que Pompée arriverait bientôt en Afrique avec une grande armée[45]. Fabius ne tarda pas à avoir de telles difficultés pour nourrir son armée qu'il eut peur d'être obligé de se retirer. Une bataille heureuse eût été nécessaire pour ramener à César l'esprit des populations espagnoles, pour les engager à porter et à vendre des vivres à ses troupes et non à celles de Pompée.

César se résolut alors à laisser Decimus Brutus et Trébonius continuer le siège, et à aller prendre en personne le commandement de l'armée pour tenter une bataille. Vers la mi-juin[46], il partit de Marseille avec une escorte de 900 cavaliers ; il franchit les Pyrénées, rejoignit l'armée et s'avança aussitôt jusqu'à Ilerda et à la colline où était campé Afranius, pour lui offrir la bataille. Mais Afranius, qui connaissait la condition critique de son adversaire, se refusa à accepter le combat[47]. César chercha alors un moyen pour obliger l'ennemi à combattre ; il avisa une petite hauteur située entre Ilerda et la colline sur laquelle était campé Afranius, qui dominait les communications d'Afranius avec la ville et le pont en pierre sur le Sègre ; et un jour à l'improviste il lança trois légions à l'assaut pour prendre cette position. Mais Afranius et Pétréius étaient sur leurs gardes : ils firent sortir leurs cohortes, et rejetèrent au bas de la hauteur, après une longue et sanglante mêlée, les légionnaires de César. L'échec dut être assez sérieux[48], puisque César, qui avait tant besoin d'une bataille, ne chercha plus à prendre l'offensive ; et les conséquences de cette défaite et de cette inertie ne tardèrent pas à se faire sentir. Les petites villes espagnoles, que Fabius avait gagnées à César, cessèrent d'envoyer des vivres ; les approvisionnements devinrent difficiles ; une crue soudaine des rivières au milieu desquelles César était campé emporta les ponts et augmenta encore les difficultés ; l'armée se trouva bientôt, comme sous les murs d'Alésia, aux prises avec un effroyable ennemi, la faim[49]. Au bout de peu de jours la situation fut tout à fait désespérée.

La nouvelle du grand danger où se trouvait César se répandit en un clin d'œil dans tout le monde romain, et parvint à Rome encore grossie[50]. Dans le même temps de bonnes nouvelles de Pompée arrivaient de Thessalonique, où il préparait activement la guerre. Il réunissait une flotte nombreuse fournie par les États alliés de l'Orient, et la plaçait sous le commandement de Bibulus ; il avait rappelé une légion de Cilicie pour la joindre aux cinq légions qu'il avait amenées d'Italie ; il en faisait recruter une parmi les soldats romains qui s'étaient établis en Grèce ou en Macédoine, et deux autres en Asie par Lentulus ; il avait donné à Scipion l'ordre de lui en amener deux de la Syrie ; il enrôlait à prix d'argent des cavaliers, des frondeurs, des archers parmi les Gaulois, les Germains, les Galates, les Cappadociens, les Dardaniens, les Besses ; il imposait des tributs ou l'obligation de fournir des contingents militaires considérables aux villes d'Asie et de Syrie, aux rois et aux souverains de l'Orient, aux grandes sociétés financières italiennes, qui faisaient des affaires en Orient[51]. Il serait bientôt le maître de la mer, le général d'une armée formidable, le chef d'une coalition de tous les États de l'Orient protégés par Rome. Ces nouvelles ne manquèrent pas de pousser encore plus l'esprit public si impressionnable du côté de Pompée ; et beaucoup de sénateurs suivirent l'exemple de Cicéron, qui, après de longues indécisions, était parti le 7 juin[52] de Formie pour rejoindre Pompée. Il ne croyait guère la victoire probable, et l'aventure lui semblait périlleuse ; mais irrité par les intimations grossières d'Antoine, dégoûté par l'attitude de César qui lui semblait vouloir provoquer en un duel à mort son ami et son bienfaiteur, il avait été saisi de remords et n'avait pas voulu se montrer ingrat et peureux, lui, l'écrivain du De Republica, le maître admiré par les anciennes comme par les nouvelles générations. Sa femme elle-même l'avait supplié en vain d'attendre au moins la fin de la guerre d'Espagne[53].

César était donc de nouveau dans un péril extrême. Mais la fortune le sauva encore. Vers la mi-juillet Decimus Brutus remporta en mer une victoire considérable sur la flotte des Marseillais, et la nouvelle de cette victoire, qui paraissait rendre inévitable la chute de Marseille, grossie par les émissaires de César, causa une épouvante indicible dans les populations espagnoles, spécialement dans celles qui habitaient entre les Pyrénées et l'Èbre. Les légions, pensaient-elles, qui assiégeaient Marseille, allaient franchir les Pyrénées, et la victoire serait assurée à César. Par un retour subit des esprits, la plupart de ces populations abandonnèrent donc la cause de Pompée, et apportèrent dans le camp de César les vivres qu'elles fournissaient autrefois à Afranius et à Pétréius ; la famine passa d'un camp dans l'autre, et César fut ainsi miraculeusement sauvé[54], car le manque de vivres contraignit bientôt Afranius et Pétréius à lever le camp et à se retirer à travers une région montueuse sur Octagesa, pour passer l'Èbre et se réfugier dans la Celtibérie au milieu de populations plus amies. Informé de cette intention, César prit aussitôt ses dispositions pour marcher à leur poursuite ; il se rendit compte qu'il ne pouvait faire passer le Sègre à son armée sur des ponts de bois peu solides qu'avec une extrême lenteur ; il imagina de faire baisser le fleuve, en creusant sur ses bords des bassins et des canaux ; il formerait ainsi un gué artificiel que les soldats pourraient passer à pied. Les soldats prirent la pelle et la pioche, et menèrent vivement le travail ; mais ils n'étaient pas à moitié que les ennemis s'en aperçurent et précipitèrent leur retraite. Le fleuve était encore profond et torrentueux ; Afranius et Pétréius allaient fuir I Après une courte indécision. César fit suspendre les travaux, poussa son armée dans le gué, passa le fleuve sans perdre un homme. Sorti du dangereux îlot, il aurait pu attaquer Afranius et Pétréius en route et leur livrer bataille. Mais, craignant que les légions d'Espagne ne puissent faire preuve, dans ce danger suprême, d'un courage désespéré, il préféra amener l'ennemi à se rendre sans combattre ; et lançant ses légions allégées de leurs bagages à travers les collines et les vallons, hors de la-route et à marches forcées, il devança l'armée ennemie qui battait en retraite sur la route d'Octogesa ; il arriva le premier à une gorge formée par les collines et où passait la route ; et il obligea ainsi l'armée ennemie à rebrousser chemin dans la direction d'Ilerda. Mais dès qu'elle se mit en marche, il avança lui aussi, la talonna, la harcela. et 1 affama. Afranius et Pétréius firent tous leurs efforts pour sauver l'armée ; mais à la fin les soldats demandèrent si instamment à se rendre, qu'ils durent capituler le 2 août[55]. César fit des conditions magnanimes : il laissa à tous la vie et la fortune ; chacun fut libre de s'en aller où il voulut, de fuir vers Pompée, de s'enrôler sous les étendards de César, ou de rentrer dans la vie privée. Quelque temps après, Varron, qui était resté avec deux légions dans l'Espagne ultérieure, se rendit sans combattre ; ses deux légions passèrent sous les étendards de César[56], et toute l'Espagne se trouva ainsi au pouvoir du proconsul des Gaules. César tint à Cordoue une sorte de diète ; il fit un grand nombre d'Espagnols citoyens romains ; il imposa de nombreux tributs d'argent ; il se rendit à Cadix à qui il donna le droit de cité romaine[57] ; puis il alla par mer à Tarragone. Laissant enfin Q. Cassius pour gouverner l'Espagne avec quatre légions, il repartit par la voie de terre pour Marseille, où il arriva vers la fin de septembre, et il apprit que Marcus Lepidus, profitant de l'impression produite par la capitulation des Pompéiens, l'avait nommé dictateur vers le milieu du mois d'août, après avoir fait décréter par le peuple une loi d'après laquelle il lui serait permis, à lui préteur, d'indiquer le dictateur comme cela était permis au consul[58]. Pour cette loi et pour cette nomination Lépide et César s'étaient probablement entendus pendant les mois précédents. César se défiait des sénateurs qui étaient restés à Rome, et il ne voulait pas que les élections pour l'année 48 fussent présidées, en l'absence des consuls, par un interrex qu'ils auraient nommé. Il voulait, au contraire, les présider lui-même comme dictateur.

 

 

 



[1] CICÉRON, A., IX, XV A.

[2] CICÉRON, A., X, IV, 8 ; X, IX A, 1. Ces témoignages de Curion et de Cœlius, qui voyaient alors César tous les jours, sont très importants. et nous font connaitre son état d'esprit après le départ de Pompée. Il n'est pas douteux qu'ils soient véridiques : Cœlius en effet n'avait aucune raison, quand il écrivait à Cicéron, pour prêter faussement à César des propos violents ; et Curion qui cherchait à attirer Cicéron dans le parti de son général aurait plutôt exagéré sa modération que son emportement. Ce sont des confidences d'une sincérité absolue et d'une grande valeur psychologique. Il n'y a pas du reste de contradiction entre cette violence de César et sa modération première : la situation était tellement changée, elle était devenue si périlleuse qu'il pouvait être hors de lui.

[3] CICÉRON, F., XVI, XII, 4 ; A., VII, XXVI, 1 ; VIII, II, 3 ; VIII, III, 1.

[4] CÉSAR, B. C., I, 32 ; APPIEN, B. C., II, 40 ; CICÉRON, A., IX, XV, 1.

[5] CÉSAR, B. C., I, 30 ; APPIEN, B. C., II, 41.

[6] CÉSAR, B. C., I, 30 ; DION, XLI, XVIII ; APPIEN, B. C., II, 40-41 (il se trompe en disant qu'Asinius Pollion fut envoyé en Sicile).

[7] Des passages d'OROSE, VI, XV, 8, et de DION, XLI, XL, il me parait résulter, contrairement à ce que dit APPIEN, B. C., II, 41, que ce fut Dolabella et non Caïus Antonius qui fut envoyé en Illyrie. Caïus Antonius parait être allé au secours de Dolabella, et il fut peut-être envoyé par son frère Marcus.

[8] Voy. CICÉRON, A., VII, XIII A, 1 ; IX, IX, 3.

[9] CICÉRON, A., VIII, XVI, 1-2.

[10] CICÉRON, A., VIII, I, 3 ; VIII, XI, 7 ; VIII, XVI, 1 ; IX, I, 2 ; IX, VIII, 1.

[11] CICÉRON, A., IX, XIII, 4 ; X, VIII, 6.

[12] DION, XLI, XVI ; Voy. APPIEN, B. C., II, 41.

[13] CICÉRON, A., IX, XVIII, 1 ; Voy. SCHMIDT, B. W. C., 161.

[14] CICÉRON, A., IX, XVIII, 1.

[15] CICÉRON, A., IX, XVIII, 2.

[16] GROEBE, App. à Drumann, I2, page 402.

[17] CÉSAR, B. C., I, 32 ; DION, XLI, XV-XVI ; APPIEN, B. C., II, 41 ; PLUTARQUE, César, 35.

[18] CICÉRON, A., X, I, 3 ; Voy. SCHMIDT, B. W. C., 166.

[19] CÉSAR, B. C., I, 33 ; PLUTARQUE, César, 35.

[20] APPIEN, B. C., II, 41 : c'est à tort cependant, qu'il attribue ceci à César. C'est aux préteurs que la constitution donnait le pouvoir de remplacer les consuls absents.

[21] APPIEN, B. C., II, 41. Il me parait vraisemblable que toutes ces délibérations furent ratifiées par le sénat. ZUMPT, S. R., 203, suppose le contraire.

[22] En l'absence de documents on peut conjecturer l'un ou l'autre. Voy. DION, XLI, XVII.

[23] DION, XLI, XVII ; APPIEN, B. C., II, 41 ; PLUTARQUE, César, 35. Voy. CÉSAR, B. C., I, 33 : on remarquera les termes qu'il emploie pour dissimuler un fait aussi grave.

[24] Ce sont les chiffres de Pline, Histoires Naturelles, XXXIII, 47. — OROSE, VI, XV, 5, donne des chiffres moins vraisemblables.

[25] Nous avons un témoignage très sûr nous montrant que César fut très-troublé en voyant l'indignation du petit peuple après la menace qu'il avait faite à un tribun ; c'est celui de Curion. CICÉRON, A., X, IV, 8 ; Voy. aussi CICÉRON, A., X, VIII, 6.

[26] DION, XLI, XVIII ; PLUTARQUE, César, 37, place cependant cette réforme après le retour d'Espagne.

[27] CICÉRON, A., X, VIII, 6 ; Voy. GROEBE, App. à Drumann, G. R., I2, p. 402.

[28] Des six légions que César avait à Corfinium (B. C., I, 25), trois, les trois nouvelles certainement, furent mises en garnison à Brindes, à Tarente et à Siponte (CICÉRON, A., IX, XV, 1), une fut donnée à Q. Valerius, et deux à Curion (CÉSAR, B. C., I, 30). La guerre d'Espagne et de Marseille fut donc menée avec les huit légions qui étaient restées en Gaule.

[29] Voy. la lettre très importante de CICÉRON, A., X, VIII et surtout les paragraphes 6 et 7.

[30] CÉSAR, B. C., I, 44.

[31] Tel semble avoir été, à en juger par ce que dit César, B. C., I, 38, le vrai motif pour lequel Varron resta dans l'Espagne ultérieure ; le motif, au contraire, ne fut pas celui que donne César dans B. C., II, 17. Ce récit, où l'on sent la méchanceté et même la calomnie, ne peut être véridique et dut être écrit dans un moment d'humeur contre Varron, car il n'est pas seulement en contradiction avec le récit de César lui-même dans B. C., I, 38, mais avec le caractère de Varron, réservé et froid, il est vrai, mais digne et honnête.

[32] On ne peut comprendre cette campagne que si l'on se rend compte que les opérations militaires en Espagne et le siège de Marseille étaient choses étroitement liées. C'est ce que Cicéron avait très bien compris et qui a pourtant échappé à beaucoup d'historiens modernes. Voy. CICÉRON, A., X, III, 6.

[33] CÉSAR, B. C., I, 61.

[34] SCHMIDT, B. W. C., p. 176.

[35] CÉSAR, B. C., I, 37.

[36] Il me semble que l'on peut interpréter ainsi le passage obscur de DION, XL, XLIII.

[37] CÉSAR, B. C., I, 39.

[38] Le texte de CÉSAR, B. C., I, 39, où sont énumérées les forces envoyées en Espagne est corrompu. Mais il devait y avoir plus de quatre légions et il ne devait pas y en avoir plus de cinq. Plus de quatre, puisque dans la bataille dont parle César, B. C., I, 40, Fabius fit sortir du camp quatre légions contre les quatre de l'ennemi, et qu'il en resta certainement une pour garder le camp. Pas plus de cinq, puisque César avait alors quatorze légions : il en laissa trois pour garder les villes maritimes d'Italie (CICÉRON, A., IX, XV, 4) ; il eu envoya une en Sardaigne, deux en Sicile ; il en employa trois au siège de Marseille (CÉSAR, B. C., I, 36). Il subsiste cependant encore une difficulté : avec quelles forces Dolabella fit-il sa campagne en Illyrie, et où furent prises les quinze cohortes envoyées à son secours, sous le commandement de Caïus Antonius et dont parle OROSE, VI, XV, 9 ? Il ne reste plus qu'à conjecturer qu'elles furent prises dans les garnisons des villes maritimes, et cette conjecture est d'autant plus vraisemblable que les légions devaient aller par mer en Illyrie.

[39] PLUTARQUE, Caton d'Utique, 53 ; CÉSAR, B. C., I, 30 ; DION, XLI, XLI.

[40] CICÉRON, A., X, XII, 6.

[41] CICÉRON, A., X, IX, 4.

[42] CICÉRON, A., X, X, 5.

[43] CICÉRON, A., X, VIII A.

[44] CICÉRON, A., X, X, 2.

[45] CÉSAR, B. C., I, 39.

[46] Cette date résulte de ce que dit César, B. C., II, 32 ; il nous apprend que ses opérations contre Afranius et Pétréius durèrent quarante jours, et aussi du C. I. L., I, p. 398, d'après lequel Afranius et Pétréius capitulèrent le 2 août.

[47] CÉSAR, B. C., I, 41.

[48] Voy. DION, XLI, XX.

[49] Ce que dit César, B. C., I, 43-56, mérite d'être examiné avec soin et comparé à DION, 41, 20 et suiv. César décrit (c. 43-48) l'assaut donné à la hauteur comme un incident de peu d'importance, et qui n'eut aucun effet décisif sur la suite de la guerre ; il donne au contraire, dans les chapitres 48-56, la crue des rivières comme la cause de la situation critique où il se trouva tout à coup. Mais dans ce récit il y a un fait qui n'est pas expliqué : pourquoi César, qui était si pressé de livrer une bataille, qu'il avait pour cela quitté le siège de Marseille, ne chercha-il plus à en venir à un combat sérieux après cette première rencontre, qui, selon lui, eut une issue douteuse ? Il est étrange en outre que la crue des rivières fût suffisante pour occasionner une telle famine. Il est vraisemblable que cette famine provenait plutôt de l'attitude hostile des populations espagnoles, attitude qui empira encore après la demi-défaite subie par César. Ceci nous est confirmé par une importante et lumineuse observation de DION, XLI, XXI, qui dit que les premiers revers de César occasionnèrent la famine, et que l'abondance revint dans le camp de César, non pas quand les rivières se retirèrent, mais quand la nouvelle de la victoire de Decimus Brutus à Marseille ramena à César l'amitié des populations espagnoles des pays voisins. En d'autres termes, il me semble que la nécessité de finir rapidement cette guerre fit commettre à César l'erreur de vouloir assiéger Marseille et combattre en même temps en Espagne, que cette erreur et l'issue peu heureuse de la première bataille l'exposèrent à un grand danger, et qu'il chercha ensuite à dissimuler son erreur du mieux qu'il put, en disant que l'inondation avait causé tout le mal.

[50] CÉSAR, B. C., I, 53.

[51] CÉSAR, B. C., III, 4 ; APPIEN, B. C., II, 49.

[52] CICÉRON, F., XIV, VII. C'est donc injustement que Duruy, H. R., III, 305, reproche à Cicéron d'avoir fui vers Pompée quand César paraissait perdu en Espagne. Le 7 juin César était encore à Marseille.

[53] CICÉRON, A., X, IX, 2. Voy. CICÉRON, A., X, VIII, 7.

[54] CÉSAR, B. C., I, 59-60, fait à peine allusion à ce changement qui se produisit parmi les populations espagnoles, et il ne laisse pas voir que ce fut la vraie cause de la commutatio rerum. Au contraire la marche véritable des événements est bien décrite par DION, XLI, XXI : c'est là encore une preuve que Dion suit le texte d'un auteur qui avait étudié avec discernement l'histoire des guerres de César et qui n'avait pas suivi aveuglément les Commentaires.

[55] C. I. L., p. 398. Cette partie de la guerre est racontée par César, B. C., I, 61-87.

[56] OROSE, VI, XV, 7.

[57] DION, XLI, XXIV.

[58] CÉSAR, B. C., II, 21 ; DION, XLI, XXXVI ; Voy. ZUMPT, S. R., 205 et suiv.