GRANDEUR ET DÉCADENCE DE ROME

 

TOME I. — LA CONQUÊTE

CHAPITRE XVII. — LE MONSTRE À TROIS TÊTES.

 

 

Le méchant tour que ses ennemis venaient de lui jouer avait encore fait sentir à César combien il était urgent pour lui de consolider son patrimoine, et, à peine arrivé en Espagne, il s'occupa d'y amasser de l'argent. Après avoir recruté dix cohortes nouvelles et les avoir réunies aux vingt qui étaient déjà dans la province, il entreprit des expéditions contre les Callèces et les Lusitaniens ; il saccagea sans merci leurs villages, même ceux qui se rendaient[1]. Comme la province était chargée de dettes contractées pendant la guerre de Sertorius auprès de capitalistes italiens, il appliqua à l'Espagne la politique de Catilina ; il décréta une diminution légale des intérêts et se fit donner en compensation de grosses sommes par les villes[2].

A Rome Pompée avait déjà fait élire consul pour l'année 60 son général Lucius Afranius qui allait avoir comme collègue Quintus Metellus Celer, le beau-frère de Clodius. Mais Pompée différait encore son triomphe pour donner aux trésors conquis le temps d'arriver d'Asie. A la fin de septembre tout fut prêt, et le 29 le cortège se mit lentement en marche dans la voie Appienne. Il était précédé de deux grands tableaux où étaient récapitulées les entreprises de Pompée et où il affirmait avoir, avec les tributs des nouvelles provinces, fait s'élever le revenu annuel de la république de 50 à 80 millions de drachmes[3]. Après ces tableaux venait d'abord une interminable procession de chars chargés de cuirasses, de casques, de proues de navires des pirates ; puis des mulets chargés d'argent et portant environ 60 millions que le conquérant versait au Trésor ; puis, disposée avec art, la merveilleuse collection de pierres précieuses de Mithridate ; puis, chacun sur un char spécial, les objets de grande valeur dont on s'était emparé ; une table à jeu formée uniquement de deux pierres précieuses d'une grandeur démesurée ; trois lits splendides ; un lit d'or massif donné par le roi des Ibères ; trente-cinq couronnes de perles ; neuf vases de table énormes, en or et garnis de perles ; trois colossales statues en or de Minerve, de Mars et d'Apollon ; un petit temple des Muses garni de perles et surmonté d'une horloge ; un lit dans lequel avait dormi Darius, fils d'Istape ; le trône et le sceptre de Mithridate ; sa statue en argent, son buste colossal en or ; la statue en argent de Pharnace ; un buste de Pompée composé en perles par un très habile artiste oriental ; d'étranges plantes des tropiques, entre autres l'ébénier. Pendant des heures et des heures la procession des merveilleux trésors du dernier monarque hellénisant de l'Asie se déroula, comme elle put, dans les rues étroites de Rome, sous les yeux d'une foule immense et bruyante, qui endurait le soleil, la poussière, la cohue, les longues pauses du long cortège ; qui paraissait ne pas se lasser de voir des choses nouvelles, qui en attendait toujours de plus étonnantes, et qui commentait ou saluait d'exclamations, de cris, d'applaudissements les choses les plus étranges et les plus admirables. Les yeux des femmes brillaient surtout en voyant ces pierres précieuses si nombreuses, si grosses, si splendides.

Le jour suivant, qui était l'anniversaire de la naissance de Pompée, on fit défiler le butin vivant ; d'abord de longs groupes de prisonniers de tous les pays, depuis les pirates jusqu'aux Arabes et aux Juifs, tous libres et sans chaînes ; et c'était un pittoresque défilé ethnographique représentant l'immense variété des peuples sur lesquels Rome avait étendu son empire. Puis venaient une foule de princes et d'otages, deux célèbres chefs de pirates, le fils de Tigrane qui après s'être brouillé avec Pompée s'était révolté et avait été privé de la Sophène, sept fils de Mithridate, Aristobule avec un fils et deux filles, de nombreux personnages ibères et albanes ; puis de grands tableaux figurant des épisodes importants de l'expédition, tels que la fuite de Tigrane et la mort de Mithridate ; puis d'étranges idoles des Barbares. Enfin venait le triomphateur sur un char orné de perles ; il était vêtu d'une tunique qu'on disait avoir été portée par Alexandre le Grand, et il était suivi d'un splendide cortège de légats et de tribuns à pied et à cheval[4]. Mais ce qu'il y eut de plus merveilleux et qui rehaussait pour l'Italie l'orgueil d'être la première de toutes les nations, c'est que, la procession terminée, le triomphateur, qui affirmait avoir porté jusqu'au bout du monde les limites de l'empire, quittait le costume d'Alexandre et rentrait modestement, en simple citoyen, à la maison paternelle.

Mais la fête passée, vers la fin de l'année 61 et dans les premiers mois de l'année 60, la discorde se déchaîna de nouveau. Pompée désirait toujours se réconcilier avec les conservateurs, et dans ce but il avait demandé à Caton les uns disent deux nièces, d'autres deux filles, pour en épouser une et donner l'autre à son fils aîné[5]. La fortune de César ne courut jamais plus grand danger. Mais l'intransigeant Caton refusa. Il ne voulait pas mêler les affaires publiques aux affaires privées et il se défiait de la conversion de cet ancien transfuge du parti conservateur. Quant au petit monde réactionnaire, il était trop rancunier, et maintenant qu'il ne craignait plus Pompée qui avait congédié son armée, il ne songeait qu'à se venger de lui. Le parti conservateur répondit donc aux avances de Pompée par des attaques violentes. Quand il demanda au Sénat de confirmer les dispositions qu'il avait prises en Orient, il y eut aussitôt de nombreux sénateurs pour s'y opposer. Crassus et Lucullus le faisaient pour se venger, Caton et le parti conservateur pour lui faire perdre le crédit qu'il avait auprès des souverains d'Orient, et aussi peut-être pour mettre en danger les sommes énormes qu'il leur avait prêtées[6]. Les nouveaux revenus et l'usage que l'on allait en faire furent un autre sujet non moins grave de discorde. Pompée faisait la proposition raisonnable de donner une partie de cet apport à ses soldats en achetant pour eux des terres en Italie, et de faire bénéficier de l'autre l'Italie en supprimant les douanes d'importation. Le licenciement de soldats que Pompée venait de faire était, avec celui de Sylla, le plus nombreux qui eût été fait depuis que la milice était devenue un métier des basses classes. Mais comme, même en restant vingt ou vingt-cinq ans en Orient, tous n'avaient pas su mettre de côté les sommes suffisantes pour se suffire à eux-mêmes dans leurs vieux jours, il fallait leur faire une pension en leur donnant des terres, où avec l'argent économisé en Orient ils pourraient construire une petite maison, acheter quelques esclaves et essayer d'une culture lucrative. L'abolition des douanes d'autre part était désirée par toute l'Italie ; car la consommation des vins, des parfums, des meubles, des couleurs, des étoffes, des objets d'art de l'Orient augmentait, même dans les villes secondaires qui s'embellissaient. Si on leur ouvrait les frontières d'Italie, non seulement les marchandises orientales diminueraient de prix, mais on en aurait fini des contestations si fréquentes avec les publicains qui affermaient les impôts[7]. Aussi Pompée avait fait proposer par le tribun Lucius Flavius une loi agraire, et par Metellus Nepos une loi abolissant les droits de douane pour les marchandises importées en Italie. Malheureusement cette augmentation de revenus avait éveillé trop d'appétits. Les conservateurs désiraient que les nouveaux fonds restassent à la disposition du Sénat pour pouvoir augmenter les sommes assignées aux provinces et aux différents services publics, dans lesquels tant de sénateurs trouvaient leur profit. La puissante compagnie qui avait affermé les impôts d'Asie profitait de cette abondance pour demander au Sénat, avec l'appui de Crassus qui probablement en était actionnaire, une réduction du prix convenu, en se plaignant d'avoir offert un fermage trop élevé et en disant qu'elle y perdait[8]. Il en résulta des discussions, des intrigues, des querelles envenimées par les haines politiques qui désorientèrent Pompée et qui meurtrirent les nerfs déjà malades de Cicéron. Pompée qui, rassasié de succès, était revenu à Rome avait l'intention d'y goûter toutes les jouissances de la gloire et de la richesse, se trouva pris dans une misérable lutte d'intrigues qui l'indignait d'autant plus que, bien qu'il affectât de mépriser ses ennemis, il ne réussissait pas à les vaincre. Cicéron dégoûté des conservateurs, inquiet de la haine croissante des démagogues, affligé de la chute rapide de son crédit, pour ne pas s'attirer en outre l'inimitié des publicains avait pris au Sénat la défense des fermiers de l'impôt ; mais il écrivait à Atticus que leur cupidité était honteuse ; il tâchait de se rapprocher de Pompée, mais il en avait honte, et pour s'excuser il disait à Atticus qu'il espérait ainsi convertir le chef du parti populaire[9]. Il avait enfin publié l'histoire de son consulat écrite en grec[10]. Mais voulant, sans le dire ouvertement, se justifier des accusations de Clodius. il avait raconté, pour montrer qu'il n'avait pas accueilli à la légère les bruits publics, que Crassus lui avait apporté un soir des lettres et des dénonciations contre Catilina, et Crassus qui, la peur passée, était de nouveau avide de popularité, était furieux de cette révélation qui le mettait au nombre des persécuteurs de Catilina ; Crassus était donc, lui aussi, hostile à Cicéron[11]. Cependant, en dehors de l'abolition des douanes[12], les discussions nombreuses qui avaient lieu au forum et au Sénat n'aboutissaient à rien. On n'avait approuvé encore ni l'administration de Pompée en Orient. ni la loi agraire, ni la réduction des fermages ; et là-dessus encore des nouvelles plus inquiétantes arrivèrent de la Gaule. Malgré le décret de l'année précédente en faveur des Éduens, les Séquanes continuaient la guerre. Arioviste faisait de beaux présents au consul Metellus[13], et cherchait à se faire reconnaître par le Sénat l'ami et l'allié du peuple romain ; les Helvètes paraissaient sur le point de se mettre en marche pour leur émigration et ils faisaient déjà des incursions dans la province[14]. A Rome, quand on parlait de la Gaule tout le monde songeait à Brennus, aux Cimbres et aux Teutons. On crut donc un instant que l'Italie était menacée d'une grande invasion celtique. Toutes les autres questions furent écartées, et le Sénat décida que les deux consuls tireraient au sort les deux Gaules, la Cisalpine et la Narbonnaise ; que l'on ferait des levées ; que toutes les exemptions du service militaire seraient suspendues ; enfin que l'on enverrait en Gaule trois ambassadeurs pour étudier l'état de choses[15].

César cependant, vers le milieu de l'année 60, se hâtait de revenir d'Espagne pour briguer le consulat de l'année 59. Les candidats au consulat étaient trois cette année-là ; César ; un historien du nom de L. Lucceius, qui avait longtemps habité l'Égypte et qui était très riche, et un conservateur intransigeant, Marcus Bibulus, qui avait déjà été le collègue de César comme édile et comme préteur. Lucceius, qui n'était d'aucun parti et qui désirait seulement être élu, se vit sollicité par les deux candidats qui espéraient lui faire payer leurs frais d'élection ; mais César le démagogue populaire l'emporta sur le conservateur intransigeant, et Bibulus fut obligé d'avoir recours à ses amis, qui se cotisèrent pour le défendre[16]. Caton lui-même, cette fois, consentit à payer pour Bibulus, tant il redoutait d'avance le consulat de César. César et Bibulus furent élus, et le pauvre millionnaire qui avait payé les frais resta sur le carreau. Pour riposter à cette élection, le parti conservateur fit aussitôt décider par te Sénat que la charge proconsulaire des deux consuls pour l'année 59 consisterait dans la surveillance des forêts et des routes. C'était une petite mission administrative d'importance toute secondaire. On déjouait ainsi d'avance d'une façon presque ridicule l'ambition que l'on prêtait à César d'appliquer à son tour à quelque partie du monde la politique de Lucullus et de Pompée[17].

Ce qu'étaient exactement alors les projets de César, nous ne le savons pas. Il restait encore à la politique romaine trois grandes choses à entreprendre ; la conquête de l'Égypte, l'invasion de la Perse, l'extension de la domination romaine en Europe, du côté du Danube et du Rhin. Bien qu'une guerre parût imminente, César ne pouvait penser pour le moment à une entreprise en Gaule, car la Gaule cisalpine était échue à Metellus Celer, qui se disposait à aller prendre le commandement de ses légions[18]. On ne peut pas admettre non plus que César eût des visées sur l'Égypte, puisque le parti démocratique allait abandonner les projets de l'année 65 pour se montrer encore plus partisan que ne l'était le Sénat de la conservation de l'indépendance de l'Égypte. Ptolémée Aulétès était parvenu à accomplir cette conversion miraculeuse. N'espérant plus être aidé par Pompée, il avait conçu l'audacieux dessein d'obtenir précisément des mêmes chefs du parti populaire qui peu d'années auparavant voulaient le voir dépouillé de son royaume cette reconnaissance de son autorité que le Sénat hésitait encore à lui donner. Il était en train de traiter avec Crassus, Pompée et César en leur promettant une somme énorme, six mille talents, s'ils parvenaient à le faire reconnaître par Rome souverain légitime. J'incline donc. à croire, mais c'est une simple supposition sans preuves, qu'il pensait alors à la conquête de la Perse, que Lucullus avait autrefois méditée ; on avait ensuite engagé Pompée à l'entreprendre, et si tous les deux s'étaient arrêtés sur les frontières de la Perse, l'idée qu'il faudrait conquérir aussi ce grand empire était déjà populaire. Ce qui me confirme dans cette hypothèse, c'est l'empressement avec lequel, quatre ans plus tard, César poussa Crassus à cette entreprise. Quoi qu'il en soit, cette première manœuvre du Sénat invitait le consul désigné à ne pas se faire d'illusions sur les dispositions du parti conservateur. César se prépara aussitôt à la lutte, mais d'une façon que ne prévoyaient, pas ses ennemis. Ceux-ci s'attendaient à un consulat turbulent ; César revenait au contraire aux idées de modération qui convenaient le mieux à son caractère, à son rang social, à ses intérêts, et il imaginait pour combattre le parti conservateur un projet fort simple ; réorganiser le parti démocratique de l'an 70, modéré et réformateur, qui avait l'appui des hautes classes aussi bien que des classes moyennes. Affaissé d'abord par la faute des hommes et des événements, ce parti avait été enfin détruit par la conjuration de Catilina ; on pourrait le faire revivre, si on réussissait à mettre d'accord les chefs les plus puissants ; Crassus, Pompée et Cicéron.

L'entreprise était difficile ; elle n'était pas impossible. Pompée avait besoin que son administration en Orient fût approuvée. Crassus, discrédité auprès des conservateurs par ses projets ambitieux sur l'Égypte, auprès du parti démocratique par son attitude louche pendant la conjuration, désirait regagner la faveur populaire. Quant à Cicéron, il serait content de faire oublier la condamnation des complices de Catilina. César manœuvra si adroitement pendant les mois qu'il passa à Rome comme consul désigné, qu'il parvint à réconcilier Pompée et Crassus, en secret naturellement, car aucun des trois ne voulait que cette réconciliation Mt, connue, de peur que leurs puissants ennemis, alarmés, ne redoublassent d'énergie pour les combattre[19]. En même temps un Espagnol de Cadix, P. Cornelius Balbus, que Pompée avait fait citoyen romain et qui était l'ami de plusieurs grands personnages romains, était chargé de traiter avec Cicéron, et de lui proposer une alliance avec Crassus et Pompée. Peu à peu le projet de la coalition devenait plus précis ; en prenant une attitude conciliante et avec l'appui de Cicéron, de Crassus et de Pompée, César espérait amener à lui les sénateurs raisonnables, qui étaient en majorité, mais que la peur, depuis la conjuration de Catilina, faisait toujours voter pour le petit clan des conservateurs intransigeants ; on reviendrait aux belles journées de l'année 70, et les affaires publiques seraient administrées par eux quatre. La grande bataille engagée alors contre la coterie conservatrice n'avait-elle pas été gagnée, au Sénat, aux comices, au forum, par lui, par Pompée, par Crassus et par Cicéron qui marchaient ensemble ? Malheureusement Cicéron, qui était rebuté de tout et vivait dans une irrésolution perpétuelle, ne sut répondre ni oui ni non[20]. C'était une déception. Mais elle ne compromettait pas tout le projet ; même sans Cicéron, l'union de Crassus et de Pompée suffirait à reconstituer le parti ; et cette fois ce serait César qui en retirerait le plus grand avantage. Non seulement il se serait fait donner un important commandement proconsulaire, mais il aurait exploité sa charge pour faire de l'argent. Il était impossible désormais de jouer un rôle politique sans dépenser beaucoup. A son retour d'Espagne César n'avait rien donné à ses créanciers, à ceux du moins qui ne le tourmentaient pas trop ; il continuait à devoir plus de deux cent mille livres à Atticus et à être aussi le débiteur de Pompée[21]. Ainsi il acceptait maintenant les propositions avantageuses de Ptolémée Aulétès et, en outre, il s'engageait à faire obtenir quand il serait consul une diminution de fermage aux directeurs de la compagnie des impôts d'Asie. Les directeurs devaient en échange lui donner beaucoup de partes de la compagnie[22].

A peine entré en charge, il exprima dans un discours qu'il prononça au Sénat son espoir d'agir en toute occasion d'accord avec Bibulus ; et dans plusieurs actes, il témoigna de beaucoup d'égards pour son collègue[23]. Il fit aussi une réforme administrative qui devait plaire à la classe moyenne, et pour laquelle César mérite aussi une petite place dans l'histoire du journalisme ; ce fut lui qui créa à Rome ce que nous appellerions aujourd'hui un journal populaire. Avec la culture et la richesse, la curiosité croissait ; on était avide de nouvelles, et beaucoup de gens à home cherchaient à gagner leur vie en faisant quelque chose d'analogue à notre journalisme ; ils recueillaient les nouvelles publiques et privées qu'ils jugeaient les plus importantes et les plus curieuses ; à des intervalles réguliers, de quelques jours, ils les réunissaient en un petit cahier, en faisaient copier par un esclave plusieurs exemplaires qu'ils distribuaient à ce que nous appellerions les abonnés, c'est-à-dire aux gens qui pouvaient payer pour avoir ces fascicules[24]. Naturellement les gens riches seuls pouvaient s'abonner. César semble avoir fait décréter qu'un magistrat serait chargé de faire un résumé des nouvelles les plus importantes et qu'il les ferait écrire à différents endroits de la ville sur des murailles blanchies, faisant ensuite passer du blanc sur les nouvelles vieillies pour en écrire d'autres à la place[25]. De cette façon, le petit peuple lui-même pourrait être vite informé de tout. César prit aussi des mesures pour que les comptes rendus des séances du Sénat fussent faits d'une façon régulière et mis à la connaissance du public[26].

Croyant avoir ainsi bien préparé les esprits, César proposa une loi agraire, d'après laquelle vingt commissaires seraient chargés de distribuer aux vétérans et aux pauvres tout ce qui restait du domaine public, à l'exception de la Campanie, et en y ajoutant des terres que l'on achèterait dans des conditions raisonnables avec l'argent du butin de Pompée[27]. C'étaient là des propositions modérées et sages[28], et César les soumit au Sénat en disant qu'il voulait entendre les objections de tout le monde. Mais il fut bientôt déçu dans son espoir d'en revenir à la démocratie et aux victoires de l'année 70. Les temps et les esprits étaient trop changés. Les conservateurs intransigeants entraient en fureur quand ils entendaient parler de César et de lois agraires ; et les propriétaires, qui étaient nombreux au Sénat, ceux surtout qui possédaient des terres achetées pendant les proscriptions de Sylla, redoutaient une loi qui attribuait à vingt commissaires un pouvoir dont il était facile d'abuser. Ainsi les conservateurs parvinrent donc facilement, en donnant tantôt un prétexte et tantôt un autre, à faire ajourner la discussion de la loi par ce Sénat d'hommes faibles et sceptiques[29]. César patienta quelque temps, tandis que Calenus, qui était préteur, et Publius Vatinius, obscur aventurier politique, qui était tribun du peuple, proposaient des réformes de la loi judiciaire[30]. A la fin, voyant que ni lui ni Crassus ne réussiraient à faire discuter la loi par le Sénat, César déclara qu'il la proposerait tout simplement aux comices[31]. Les esprits s'échauffèrent ; Bibulus, avec l'aide de Caton et des conservateurs, se mit à faire un violent obstructionnisme liturgique pour empêcher les réunions du peuple[32] ; César s'entêta, agita le peuple, et après avoir fait tout ce qu'il pouvait pour gagner Bibulus, il en vint à un expédient suprême. Il appela ouvertement à son aide Crassus et Pompée, qui vinrent au forum et déclarèrent que l'obstructionnisme factieux des conservateurs devrait céder à la force, si la persuasion ne suffisait pas[33]. La loi fut approuvée au milieu de grands tumultes ; une clause qui y fut ajoutée obligeait les sénateurs à jurer de l'observer fidèlement. Mais ce succès n'était rien en comparaison du changement subit qui se fit dans les esprits lorsque l'on sut que ces trois personnages, que tout le monde croyait ennemis, étaient au contraire d'accord. C'était la lutte entre Crassus et Pompée qui, malgré les défaites et les scandales, avait permis à la coterie réactionnaire de rester aussi puissante ; et leur querelle était si ancienne et si envenimée que tout le monde la considérait comme éternelle. Au contraire, tout d'un coup et comme par enchantement, on voyait ces deux ennemis réconciliés et tous les deux unis à César, le chef si redoutable et si populaire de la canaille de Rome. Tout le monde en fut stupéfait. Il était évident que si Pompée, Crassus et César marchaient d'accord, ils disposeraient en maîtres des comices et des magistratures, seraient les chefs d'une coterie politique toute puissante, et que, sans leur consentement, il serait difficile d'obtenir une charge, un commandement, une délégation ou un emprunt. La majorité des sénateurs ne songeaient qu'aux honneurs, à l'argent et au pouvoir ; ils se rangèrent donc comme toujours du côté des plus forts, et s'éloignèrent en foule de la petite faction des conservateurs intransigeants qui, depuis la mort de Catulus, étaient dirigés par Caton.

Il en est des esprits comme des corps qui perdent l'équilibre quand, ayant fait un trop grand effort contre un obstacle, celui-ci vient à céder tout à coup. C'est ce qui se passa pour César. Il avait été prudent et modéré au début ; mais enhardi par le succès de la loi agraire et par la révélation inattendue de sa nouvelle puissance, furieux de l'opposition factieuse des conservateurs, cet homme à l'esprit vif et passionné changea de plan ; il conçut le projet de fonder à Rome une démocratie analogue aux démocraties grecques, qui dans des assemblées du peuple, et sans Sénat, gouvernerait l'empire à elle seule. Ayant à sa tête trois Périclès pleins d'éloquence, de gloire et de richesse, elle trancherait seule dans les comices, comme elle avait fait en votant la loi agraire, les questions de diplomatie et de finances, dont le Sénat avait été jusque-là le seul arbitre. Un événement inattendu précipita les résolutions de César. Vers la fin de février, Quintus Metellus Celer, au moment où il allait partir pour la Gaule Cisalpine, vint à mourir, si jeune encore et d'une mort si subite, qu'on accusa sa femme Clodia de l'avoir empoisonné[34]. Le gouvernement de la Gaule, qui comportait en même temps le commandement de la guerre probable contre les Gaulois, devenait ainsi vacant[35]. C'est à ce moment-là, certainement, que César eut l'idée d'obtenir la Gaule avec des pouvoirs très étendus. Mais le Sénat n'y aurait pas consenti ; il fallait, comme Pavait fait Pompée, avoir recours au peuple. César ne perdit pas un instant ; il renonça à ses autres projets de conquête, si tant est qu'il en eût formé d'autres ; il chercha à faire croire qu'une grande guerre en Gaule était imminente[36], et, profitant de l'impression qu'avait faite la révélation de son alliance avec Crassus et Pompée, il fit aussitôt proposer au peuple par Vatinius une loi qui lui donnait le gouvernement de la Gaule Cisalpine et de l'Illyrie, avec trois légions, pour cinq ans et à partir du jour où la loi serait promulguée. Il pourrait ainsi, dans le cas où la guerre éclaterait avant la fin de l'année, aller bien vite en prendre le commandement, à l'exemple de Lucullus. Grâce à la stupéfaction où le monde politique était plongé, grâce à l'activité de César, à l'aide de Crassus et de Pompée, la loi fut approuvée sans difficultés et promulguée le 'Pr mars ; mais ce coup à peine réussi, César, rendu encore plus hardi par le succès, en prépara trois autres, non moins audacieux. Il fit reconnaître par le peuple comme ami de Rome Ptolémée Aulétès, roi d'Égypte, et il partagea avec ses amis la récompense qu'il en reçut ; il fit accorder par le peuple la réduction des fermages que les publicains demandaient au Sénat ; enfin, il fit approuver par le peuple l'administration de Pompée[37]. Les partes de la compagnie des impôts d'Asie furent en hausse au bout de peu de jours[38]. César marchait de succès en succès ; il profita avec une fiévreuse activité du bon moment, et il ne s'arrêta même pas après l'approbation de ces lois. Dans le but d'affermir pour longtemps la puissante alliance, il fit épouser à Pompée au mois d'avril sa fille Julia[39], qui était fiancée à Servilius Cepion ; celui-ci, comme compensation, épousa la fille de Pompée. Puis, vers la fin d'avril[40], César proposa une seconde loi agraire, d'après laquelle le territoire de la Campanie, dont l'État retirait un revenu considérable, serait aussi distribué à des citoyens pauvres ayant de la famille. Cette loi avait pour but d'appauvrir le Trésor et par suite le parti conservateur, qui, grâce à la puissance dont il disposait au Sénat, s'était souvent servi des fonds publics pour défendre ses intérêts ; mais elle eut surtout pour effet d'achever la révolution agraire commencée par Spurius Thorius en 118, et elle détruisait les derniers vestiges du communisme en Italie.

Le Sénat n'avait jamais été attaqué avec autant d'audace dans ses prérogatives les plus anciennes et les plus sacrées. Qu'étaient en comparaison de ces attaques celles pour lesquelles avait péri Caius Gracchus ? Mais César allait maintenant jusqu'à négliger de convoquer le Sénat ; il agissait, il se montrait partout comme le maître de Rome[41], sans que personne pensât à faire une opposition sérieuse. Des récriminations inutiles, des bons mots, des tentations isolées et vaines ; voilà tout ce que les classes conservatrices savaient opposer aux coups d'audace de ce révolutionnaire. Bibulus, en ergotant sur des points liturgiques, avait déclaré nulles toutes les dernières délibérations et il ne cessait de lancer contre César, contre Pompée et contre Crassus les édits les plus violents. Varron avait appelé l'alliance de César, de Pompée et de Crassus le monstre à trois tètes, et le mot avait fait fureur dans les salons aristocratiques de Rome où du matin au soir on médisait des trois chefs de la démocratie victorieuse ; de Crassus, l'usurier hideux qui vendait son vote en plein Sénat et recevait moyennant finances des criminels dans sa maison ; de Pompée, le ridicule vainqueur de guerres sans batailles et qui avait épousé la fille de l'homme qui l'avait trompé avec sa première femme ; de César, le complice de Catilina et le mignon de Nicomède. Dans la classe moyenne, dans la haute classe, parmi les gens riches et cultivés qui, sans prendre part aux querelles politiques, les observaient en juges impartiaux et suprêmes, l'immense puissance du triumvirat attirait sur César, sur Crassus et sur Pompée une grande partie de cette aversion qui à Rome comme dans toutes les démocraties était toujours réservée au parti et aux hommes, quels qu'ils fussent, qui détenaient le pouvoir. On se pressait, au point de ne plus pouvoir passer aux angles des rues où étaient exposés les édits furibonds de Bibulus qui devenait presque populaire[42]. César et Pompée furent souvent reçus très froidement à des fêtes et à des cérémonies publiques[43]. Les jeunes gens des hautes classes affectaient un grand mépris pour la démagogie vulgaire que César avait définitivement établie à Rome[44]. Cicéron, lui-même, écrivait à Atticus que Pompée aspirait certainement à la tyrannie, et que la république se changeait en monarchie, par la lâcheté des grands et l'audace de quelques ambitieux. Il était particulièrement affligé d'être tombé au rang de personnage secondaire[45] par sa répugnance sincère pour la tyrannie démagogique, par son épouvante devant l'audace croissante de Clodius, que Crassus, Pompée et César protégeaient ouvertement et qui demandait à déchoir du rang de patricien à celui de plébéien pour devenir tribun du peuple. Les difficultés légales étaient grandes, mais César vint à son secours, et avec une lex curiata de arrogatione parvint à le faire plébéien. Il serait certainement élu tribun l'année suivante[46].

Cependant tant de malveillance et de rage ne semblait avoir aucun effet. Pompée, il est vrai, qui avait cru comme en l'an 70 devenir le chef d'un nouveau parti populaire, composé d'hommes distingués et amis de la légalité, avait été un peu surpris de se trouver avec César et Crassus à la tête d'une démagogie qui répugnait à son tempérament d'aristocrate. Par exemple la pensée que Rome tout entière pouvait répéter contre lui les violentes invectives de Bibulus lui était insupportable[47]. Il était aussi un peu effrayé de l'audace de César et il cherchait par d'habiles sophismes à séparer leurs responsabilités[48]. Mais Crassus, plus sceptique et plus égoïste, jouissait de sa nouvelle puissance, et César, de plus en plus hardi et fougueux, était le maître à Rome, sans que ni l'un ni l'autre fût beaucoup gêné par la malveillance des hautes classes. Personne ne leur faisait plus d'opposition ; personne n'osait répéter en public ce que tout le monde disait dans les réunions privées. Il venait peu de monde aux rares séances du Sénat, et encore moins aux réunions du parti conservateur, qui se tenaient à la maison de Bibulus, tant il était réduit[49]. Cicéron, dans ses lettres à Atticus, flétrissait en termes violents la lâcheté des sénateurs ; mais il faisait comme les autres[50]. Cependant si le parti démocratique n'était pas, comme le prétendait Caton, composé uniquement d'ivrognes[51], César, Pompée et Crassus n'étaient que les chefs d'une clientèle politique détestée des hautes classes qui possédaient la richesse et la culture. Comment cette clientèle pouvait-elle triompher dans une république libre où les fonctions étaient électives ? Quel mystérieux maléfice détruisait tout d'un coup la force des classes supérieures et de cette assemblée qui avait, pendant tant de siècles, gouverné le petit Latium d'abord, puis l'Italie, puis un immense empire mondial ? C'était le mercantilisme qui avait achevé son œuvre dévastatrice et ruiné les vieilles institutions. Dans l'ancienne société agricole, aristocratique et guerrière, le Sénat avait eu son énergie et son autorité, tant qu'il avait été l'organe d'une classe unique qui dirigeait toutes les autres ; de cette aristocratie de grands propriétaires, dont toute l'éducation avait trait à la guerre et à la politique ; qui était soumise à une forte discipline dans la famille et dans la société ; qui était d'accord sur le peu de questions essentielles que comportait une politique simple dans une civilisation simple. Mais avec l'impérialisme et les progrès de l'esprit mercantile, du luxe, des jouissances ; en un mot de ce que l'on a l'habitude d'appeler la civilisation, les vieilles traditions s'étaient perdues ; les passions personnelles, la cupidité, l'ambition, la débauche s'étaient développées, et elles avaient distrait des affaires publiques bien des gens des hautes classes. On ne voyait plus de citoyens comme ceux du vieux temps, disciplinés, prêts à exercer les charges publiques, tous coulés dans le même moule ; mais au contraire une infinie variété d'hommes, dont chacun était avide de certains plaisirs, porté à certaines occupations ou à certains vices ; dont nul ne voulait plus augmenter ses fatigues ou interrompre ses plaisirs en s'occupant des affaires publiques ; tous trop occupés chez eux, trop égoïstes et aussi trop différents les uns des autres pour pouvoir travailler ensemble dans un intérêt commun à tous.

C'est à cette époque justement qu'apparut à Rome pour la première fois un grand poète lyrique, dont les vers passionnés et personnels reflètent cette grande crise morale et sociale de la république. Caius Valerius Catullus, né en 84, d'une riche famille de Vérone[52], avait reçu une admirable éducation littéraire ; puis il était venu à vingt ans à Home où, introduit par Cornelius Nepos dans la haute société, il avait bientôt connu tous les hommes célèbres, les riches marchands et les grandes dames ; et tout en continuant à acheter des livres et à étudier, il s'était mis à mener une vie galante effrénée ; il avait dépensé sans compter, fait des dettes, se querellant avec son père trop avare. Il était ainsi tombé passionnément amoureux de la très belle et très lascive Clocha, femme de Metellus Celer. Cette conquête lui avait coûté d'abord peu de peine, car les transports frénétiques du jeune homme ingénu durent plaire à Clodia, comme une distraction agréable après tant de brutales amours. Mais tandis que cette relation n'était pour Clodia qu'un caprice fugitif, elle devint pour le jeune poète une passion violente, jalouse et exclusive, qui avec une femme si légère et capricieuse l'obligea à passer son temps' en querelles et en réconciliations, en injures et en supplications, en désespoirs et en résignations[53]. Pour se consoler au milieu de ces tourments, Catulle eut recours à son merveilleux génie poétique, et dans des vers d'une sincérité presque brutale, d'une puissance et d'une variété merveilleuses de rythme, de motifs et d'expression, il traduisit tous les instants les plus frivoles et les plus douloureux de sa vie ; les appétits des sens violents et soudains ; les douces confidences de l'amitié ; les tristesses comiques d'un homme qui a des dettes ; la mélancolie des départs pour de lointains voyages ; le deuil d'un frère mort jeune en Asie ; les mots grossiers des colères soudaines et passagères ; les souvenirs attendris et fugitifs quand, au milieu du tumulte de Rome, il pensait à son beau lac de Garde bleu, solitaire et tranquille, à sa petite maison de Sirmion qui l'attendait comme une vieille nourrice attend un fils vagabond qui s'est égaré dans un monde immense et lointain ; l'amour enfin, l'amour violent et jaloux, avec ses tortures, et l'insoluble contradiction qui lui rongeait le cœur ; Je hais et j'aime. Peut-être me demanderez-vous pourquoi ?Je ne le sais pas, mais je le sens et mon mal me dévore[54].

La poésie de Catulle nous aide à expliquer le succès de la révolution politique accomplie 'par César pendant son consulat. Des accents aussi personnels et aussi passionnés n'étaient possibles qu'à une époque où les classes cultivées n'avaient plus d'autre but que la recherche des plaisirs les plus variés, la richesse ou l'amour, le jeu ou la philosophie, et abandonnaient les affaires publiques à une classe de politiciens professionnels dont la majorité étaient toujours au service du parti qui semblait le plus fort. Maintenant que César avait usurpé à l'improviste par un coup de main les pouvoirs du Sénat, la plupart des sénateurs avaient trop peur de tomber en disgrâce auprès des trois chefs de la démocratie que leur union rendait si puissants ; Caton et Bibulus essayaient en vain d'organiser une opposition ; les hautes classes, mécontentes, mais inertes, se courbaient sous le joug de la tyrannie démagogique. Seul Lucullus voulut un moment faire de l'opposition aux triumvirs ; mais César le menaça de lui intenter un procès au sujet du butin qu'il avait fait dans les guerres d'Orient, et il ne dit plus rien.

Cependant César qui, au fond, était 'un homme prudent ne se faisait pas d'illusions ; Il comprenait bien qu'une puissance acquise si brusquement pouvait se perdre encore plus vite. Il avait fait approuver une série de lois révolutionnaires ; mais il savait que dès qu'il aurait quitté Rome, les conservateurs chercheraient à les annuler. Aussi, avec une activité vraiment admirable, il travailla pendant le reste de l'année à consolider la puissance du triumvirat. Il fallait avant tout faire élire consuls pour l'année suivante des hommes qui lui seraient dévoués, à lui et à ses amis. On choisit en effet comme candidats Aulus Gabinius, qui était tout dévoué à Pompée, et Lucius Calpurnius Pison, issu d'une ancienne famille noble, mais qui n'avait pas gardé l'empreinte de sa race. Son père, ayant perdu sa fortune, s'était mis dans les affaires, avait gagné de l'argent dans les fournitures militaires à l'époque de la guerre sociale, et avait épousé une riche plébéienne, fille d'un marchand de Plaisance[55]. Pison, autant qu'on en peut juger, était un homme intelligent, mais prêt à entrer au service de n'importe quel parti pour arriver à la fortune et aux honneurs. César, pour être plus sûr de lui, se fiança à sa fille Calpurnie. Il était, en outre, nécessaire d'éloigner de Rome le plus grand nombre des conservateurs de marque et de disposer dans les comices d'une majorité sur laquelle on pût compter, afin que même quand César serait au loin, le parti conservateur ne parvînt pas à faire abolir par le peuple ce que lui, César, lui avait fait approuver. Étant donné l'égoïsme civique et la malveillance des hautes classes et des classes moyennes, ce n'était que dans la populace pauvre et grossière, parmi les mendiants, les artisans et les affranchis que l'on pouvait trouver des essaims d'électeurs sûrs et prêts à voter sur les ordres d'un chef. Toutefois les événements des dernières années montraient quel danger il y avait à trop se fier à une plèbe éparse et mouvante comme le sable de la mer. César eut alors l'idée d'en organiser au moins une partie en un véritable corps d'électeurs ; et ayant besoin d'un homme pour cela, il choisit habilement Clodius, chez qui l'orgueil aristocratique de ses ancêtres s'était transformé en une passion pour tout ce qui est brutal et vulgaire et qui aimait à fréquenter les voleurs, les ruffians et la lie des tavernes. César lui proposa son appui pour le faire élire tribun du peuple, à la condition qu'il deviendrait son grand agent électoral. Clodius accepta par ambition, pour être pendant un an le maître à Rome comme tribun, et pour se venger de Cicéron, contre qui il nourrissait une haine féroce depuis la déposition qu'il avait faite dans l'affaire du sacrilège.

Mais Bibulus renvoya les élections de juillet en octobre. Cependant Cicéron, qui était revenu de la Campanie vers le commencement de juin[56], voyait son crédit renaître rapidement au milieu de cette agitation. Pompée ne manquait pas une occasion de se montrer gracieux pour lui[57] ; César lui proposait de le nommer son général en Gaule[58], tous les deux désirant ne pas l'avoir pour adversaire ; les hommes de l'opposition, les mécontents, les conservateurs, les jeunes gens assiégeaient sa maison comme aux temps de Catilina. On semblait croire qu'il était le seul homme capable de rétablir la constitution[59]. Il n'y avait que Clodius qui emplissait Rome d'invectives et de menaces contre lui[60]. Mais Cicéron était fatigué et en proie à des doutes continuels. Les flatteries de César et de Pompée avaient peu de prise sur lui, car son aversion pour la tyrannie démagogique était profonde et sincère ; il n'avait pas non plus le courage d'entreprendre une opposition énergique ; il était toujours ondoyant, tantôt impatient de grandes batailles, tantôt découragé par l'inertie des conservateurs[61]. Dans leurs réunions privées ils disaient tous du mal de César ; mais ils n'osaient rien dire, ni rien faire en public. Un seul des candidats pour l'année 58 avait refusé de prêter serment à ses lois. En outre, les menaces de Clodius commençaient à inquiéter Cicéron au point de lui faire oublier les malheurs publics. Il en avait parlé à Pompée, qui l'avait rassuré en lui disant que Clodius s'était engagé auprès d'eux à ne rien faire contre lui[62]. Il avait été tranquillisé pour quelque temps ; mais bientôt son inquiétude recommença quand il vit Clodius continuer ses invectives. Il écrivit à Atticus de venir vite à Rome pour s'informer des intentions de Clodius par l'intermédiaire de Clodia, avec qui Atticus semble avoir été fort lié[63]. En réalité Clodius trompait Pompée ; il voulait faire condamner Cicéron à l'exil en l'accusant d'avoir fait exécuter illégalement les complices de Catilina ; mais il était assez rusé pour cacher à tous ses intentions, sachant combien il était difficile de chasser de Rome un orateur aussi célèbre, et il voulait le prendre à l'improviste[64].

Sur ces entrefaites César proposa une loi fort précise et fort bien faite, quoique d'une application difficile, sur les abus des gouverneurs, et il fit proposer par Vatinius qui fut payé de ses peines avec des partes des sociétés de publicains une autre loi qui l'autorisait à amener à Côme cinq mille colons jouissant du droit latin[65]. Il intervint encore, semble-t-il, pour faire donner par le Sénat au roi des Suèves, Arioviste, qui était en guerre avec les Éduens, le titre d'ami et d'allié, ce qui prouve combien était incertaine et contradictoire cette politique de Rome, qui se déclarait à la fois l'amie de deux adversaires. Mais Pompée était hésitant ; il regrettait d'être entré dans la mêlée des partis. Cela inquiétait César, et pour triompher de ses hésitations il eut recours à une habile tromperie ; il fit croire à Pompée que la noblesse romaine tramait un complot contre lui. Vatinius persuada à un agent provocateur du nom de Vétius de pousser certains jeunes gens frivoles de l'aristocratie à ourdir une conjuration contre Pompée, puis à la dévoiler. Vétius en parla au fils de Scribonius Curion ; mais celui-ci, plus rusé, le dit aussitôt à son père, qui dévoila tout à Pompée. Vétius, mis en prison, dénonça plusieurs jeunes gens, entre autres Brutus, fils de Servilia. Il n'est pas impossible, et cela prouverait que cet agent provocateur se connaissait en hommes, que Vétius ait en effet parlé de la chose à ;Brutus, et que Brutus ait commis une imprudence. En tout cas Servilia s'empressa d'aller trouver César, qui alla voir Vétius dans sa prison ; puis César réunit le peuple et fit amener Vétius, qui raconta la longue histoire d'un complot où il n'était plus question de Brutus, niais où au contraire de vagues accusations tombaient sur des hommes puissants du parti conservateur, sur Lucullus, Domitius Ænobarbus, Cicéron lui-même. Puis il ne fut plus question de la chose. On prétendit même que César avait fait tuer Vétius dans sa prison[66].

Au mois d'octobre, Pison et Gabinius furent élus consuls, Clodius tribun du peuple ; différents conservateurs, parmi lesquels Lucius Domitius Ænobarbus, préteurs. Peu de temps après, le Sénat où le parti conservateur avait perdu une grande partie de son pouvoir ajouta, sur la proposition de Crassus et de Pompée, à ce qui avait été donné à César, le gouvernement de la Narbonnaise, avec une légion[67]. Sûr désormais de son commandement proconsulaire, César s'occupa de consolider définitivement son pouvoir au forum, en organisant à Rome la Tammany Hall de l'antiquité. A peine entré en charge le 10 décembre, Clodius annonça une série de lois, toutes plus populaires les unes que les autres, et qu'il avait certainement préparées d'accord avec César. C'était d'abord une loi sur les blés d'après laquelle les citoyens pauvres seraient fournis de blé par l'État, non plus à un prix de faveur, mais gratuitement ; puis une loi qui permettait au peuple de se réunir et d'approuver les lois tous les jours de fête ; enfin une loi qui accordait une liberté entière d'association aux classes ouvrières de Rome[68]. Certains conservateurs, et Cicéron lui-même, voulaient s'opposer énergiquement à ces propositions ; mais Clodius les trompa habilement et les amena à rester tranquilles en leur donnant à entendre que s'ils consentaient à approuver ces lois, il n'attaquerait plus Cicéron[69]. C'est ainsi que dans les premiers jours de l'an 58 tout fut approuvé sans opposition. Aussitôt, par une nouvelle loi Clodius fit donner par le peuple à un de ses clients, Sextus Clodius, homme d'une famille obscure et pauvre, la mission de dresser la liste de ceux qui seraient admis à la distribution gratuite du blé[70].

Il arriva alors une chose fort curieuse et que l'on n'avait pas prévue. Beaucoup de boutiquiers, de colporteurs, d'artisans qui avaient des esclaves, dont l'entretien était fort cher à Rome à cause du haut prix du blé, les affranchirent pour en faire des citoyens qui seraient nourris par l'État[71], ce qui compensait largement le maître de la diminution de ses droits qu'entraînait l'affranchissement. Ainsi le nombre de ceux qui eurent droit aux distributions augmenta rapidement, car Sextus ne se montrait pas sévère pour mettre les noms sur les listes ; le petit peuple profita largement de cette loi, et cela accrut la popularité de César, de Pompée, de Crassus et de Clodius. Celui-ci, avec l'aide de Sextus et des consuls, organisa facilement dans la plèbe ouvrière de Rome et pour chaque quartier un grand nombre de sociétés à la fois ouvrières électorales ; il les divisa en décuries, organisa ainsi des troupes d'affranchis et même d'esclaves sous les ordres de caporaux prêts à les conduire voter au premier ordre reçu[72]. Cette armée électorale recrutée dans le petit peuple cosmopolite de Rome, et semblable à celle que la Tammany Hall recrute dans la plèbe cosmopolite de New-York, était au service de la clientèle de César, de Crassus et de Pompée, et elle était entretenue par l'État, grâce à la loi sur les blés. Pour pouvoir faire cette distribution de blé, Clodius fit approuver par le peuple une loi décrétant la conquête de Chypre et la confiscation des trésors de son roi, sous le prétexte que celui-ci continuait à venir en aide aux pirates[73].

Clodius, qui avait ainsi servi les triumvirs avec zèle et habileté, voulait avoir sa récompense ; la condamnation de Cicéron, que César, Crassus et Pompée, auraient voulu éloigner de Home, mais d'une façon honorable. César, déjà sorti de Home et sur le point de partir pour la Gaule, lui offrit même de nouveau de le prendre pour légat. Mais le rusé Clodius, qui avait assuré à plusieurs reprises les trois chefs du parti populaire qu'il ne voulait qu'épouvanter Cicéron, attendit qu'il eût organisé ses associations électorales, et alors, à l'improviste, comme un animal aux aguets qui se précipite sur sa proie, il proposa une loi qui menaçait d'interdiction quiconque condamnerait ou aurait condamné à mort un citoyen romain sans qu'il ait pu en appeler au peuple[74]. C'était justement le cas des complices de Catilina. En même temps, pour engager les consuls à lui permettre de persécuter librement Cicéron, Clodius proposa une lex de provinciis d'après laquelle, en dépit de la récente loi de César, la Macédoine était attribuée pour cinq ans à Pison et la Syrie à Gabinius, avec le droit de faire la guerre en dehors de la province et de rendre la justice chez les peuples libres[75]. Cicéron et ses amis tentèrent de résister ; une députation de sénateurs et de capitalistes se rendit auprès des consuls ; Cicéron demanda à Pison, à Pompée et à Crassus d'intervenir ; ses amis essayèrent de convoquer des meetings populaires, pour protester contre la loi de Clodius. Tout fut inutile. Pompée, Crassus et César se plaignirent de Clodius qui les avait si habilement trompés, et qui les faisait en partie responsables de ce scandale, car c'en était un que l'exil d'un citoyen aussi illustre ; mais ils n'osèrent pas entrer en conflit avec le tout puissant démagogue. Crassus se borna à laisser agir à sa place son fils Publius, jeune homme d'une grande intelligence et de nobles aspirations, qui devait partir pour la Gaule avec César et qui avait une admiration passionnée pour le grand orateur. Mais le public, intimidé par Clodius et découragé par le silence des trois chefs de la démocratie, n'osa rien faire en faveur de Cicéron. Frappés par ce coup imprévu, ses amis durent lui conseiller de se soumettre pour le moment à son malheur, et de s'exiler lui-même, avec l'espoir d'un retour prochain et honorable. Cicéron commença par se désespérer, par protester, par refuser ; puis, vaincu par la nécessité, il prit le seul parti sage qui lui restait, et il quitta Rouie dans les premiers jours de mars de l'an 58. Quand il fut parti, Clodius fit confirmer son exil par une loi, et il détruisit ses maisons et ses villas[76].

Peu de temps après, César qui avait reçu des nouvelles inquiétantes de la Gaule, s'éloignait aussi de Rome, et Caton partait pour Chypre, Clodius l'ayant chargé par une loi de cette entreprise. César emmenait en Gaule beaucoup d'amis qui allaient servir sous ses ordres dans son armée ; parmi eux étaient Labienus, le tribun de l'an 63 ; Mamurra, chevalier de Formie, qui probablement avait été jusque-là fermier de l'impôt, et qui allait être son chef du génie, et Publius, fils de Crassus. Quant à Caton, il avait hésité à accepter la mission extraordinaire de Chypre. Il comprenait bien que Clodius ne cherchait pas à lui ménager des honneurs ; mais qu'il voulait éloigner de Rome le chef du parti conservateur, de façon à affermir la puissance des triumvirs et la sienne. Considérant toutefois que Clodius lui aurait fait un procès pour désobéissance à un ordre du peuple, et que d'autre part il ne pouvait plus rien faire à Rome, tandis qu'à Chypre il assurerait du moins à la caisse de la république les trésors du roi que l'on allait saisir, il se décida à partir, emmenant avec lui son neveu, Marcus Brutus, à qui, après l'affaire de Vétius, il convenait de faire un voyage. C'était un jeune homme qui aimait les études avec passion et qui avait déjà à Rome une belle réputation, tant à cause de ses goûts studieux que pour la pureté de ses mœurs, chose rare dans la jeunesse débauchée de cette époque-là.

 

 

 



[1] APPIEN, B. C., II, 8 ; DION, XXXVII, 52, 53 ; SUÉTONE, Cæsar, 54 ; PLUTARQUE, Cæsar, 12.

[2] PLUTARQUE, Cæsar, 12 ; SUÉTONE, Cæsar, 54.

[3] D'environ 38 à environ 61 millions de francs.

[4] Les éléments de cette description sont pris dans APPIEN, Mith.,116, 117 ; PLINE, H. N., XXXVII, II, 16, et PLUTARQUE, Pompée, 45. Ces écrivains cependant ne sont pas d'accord sur les sommes que Pompée aurait versées au Trésor. Plutarque donne le chiffre le plus élevé, 20.000 talents, dans lesquels il comprend la valeur des objets d'or et d'argent. Pline donne la somme plus faible de MO millions de sesterces. J'ai choisi la somme moyenne donnée par Appien.

[5] PLUTARQUE, Caton d'Utique, 30.

[6] DION, XXXVII, 49 ; APPIEN, B. C., II, 9.

[7] Des passages de CÉSAR, B. C., III, XXXI, 2 ; III, XXXII, 6, et de DION, XXXIX, 59, attestent l'existence de sociétés de publicains en Syrie à l'époque de la guerre civile et dans les années précédentes. Il semble donc probable que ces sociétés se formèrent à cette époque-là, aussitôt après la conquête. Je crois que c'est à ces sociétés que fait allusion CICÉRON, A., I, XIX, 4, quand il parle de l'adventicia pecunia... quæ ex novis vectigalibus per quinquennium reciperetur.

[8] CICÉRON, A., I, XVII, 9.

[9] CICÉRON, A., I, XVII, 10 ; I, XIX, 7 ; II, I, 6.

[10] CICÉRON, A., I, XIX, 10.

[11] PLUTARQUE, Crassus, 13.

[12] DION, XXXVII, 51.

[13] PLINE, Histoires naturelles, II, LXVII, 170.

[14] CICÉRON, De div., II, XLI, 90 ; Id., A., I, XIX, 2.

[15] CICÉRON, A., I, XIX, 24.

[16] CICÉRON, A., I, XVII, 11 ; SUÉTONE, Cæsar, 19.

[17] SUÉTONE, Cæsar, 19. Je suis ici Suétone, et non DION, XXXVII, 54, PLUTARQUE, Cæsar, 43 ; Pompée, 47 ; Crassus, 14 ; APPIEN, B. C., 2, 9, qui placent avant les élections la réconciliation de Crassus et de Pompée par l'intermédiaire de César. Il me parait plus vraisemblable qu'elle ait eu lieu après les élections, car elle dut être l'effet d'un long travail pour lequel César, arrivé à Rome peu de temps avant l'élection, n'aurait pas eu le temps nécessaire.

[18] CICÉRON, A., I, XX, 5.

[19] DION, XXXXII, 58.

[20] CICÉRON, A., II, III, 3. Les tentatives faites auprès de Cicéron sont, pour moi la preuve décisive que le premier dessein de César était de reconstituer le parti populaire, ami de la légalité, de l'année 70. Ainsi la modération dont César fit preuve au début de son consulat n'était pas simulée comme le suppose APPIEN, B. C., II, 10. D'ailleurs à quoi eût servi à César de dissimuler pendant quelques semaines, s'il était déjà décidé à la révolution radicale qu'il fit pendant son consulat ? Cotte politique fut le résultat d'un changement rapide d'intentions et de programme dont on verra la raison. Il me semble en outre peu probable que Pompée et Crassus se fussent unis à César, s'ils avaient su que son consulat se terminerait par une révolution tout à fait démocratique.

[21] Un passage de CICÉRON, A., VI, I, 25 nous montre qu'en l'année 50 Atticus et Pompée étaient créanciers de César. Ces créances devaient remonter à une époque antérieure au consulat, puisqu'il ne me parait pas vraisemblable que le consul des Gaules se soit fait prêter cinquante talents par Atticus.

[22] Nous connaissons cette intrigue par de brèves allusions de CICÉRON, In Vat, XII, 29. Cicéron nous apprend que Vatinius en 59 extorqua à César et aux publicains partes... carissimas, c'est-à-dire celles de la compagnie d'Asie qui avait profité de la réduction du fermage. Il est évident que les publicains les lui offrirent en échange de la peine qu'il s'était donnée pour obtenir l'approbation de la loi qui réduisait le fermage. Il me parait donc presque certain que les parles qu'avait César, et qu'il donna à Vatinius pour le récompenser de certains services, lui avaient été données à lui aussi, en échange de services rendus, par les directeurs de la compagnie.

[23] APPIEN, B. C., II, 10 ; DION, XXXVIII, 1.

[24] Voy. DAREMBERG et SAGLIO, D. A., I, 50 ; HUEBNER, De senatus populique romani actis, Lipsia, 1860 ; E. CAETANI LOVATELLI, I Giornali dei Romani dans la Nuova Antologia, 1er novembre 1901. Voy. aussi CICÉRON, F., VIII, I, 1 ; VIII, II, 2 ; VIII, II, 4 ; SUÉTONE, Cæsar, 20.

[25] DAREMBERG et SAGLIO, D. A., I, 50.

[26] DAREMBERG et SAGLIO, D. A., I, 51 ; Voy. SUÉTONE, Cæsar, 20.

[27] Je crois que César proposa deux lois agraires, et à quelques mois de distance. Les arguments décisifs à mon sens sont les passages de CICÉRON, A., II, XVI, 1, 2 ; II, XVIII, 2. Voy. SUÉTONE, Cæsar, 20 ; PLUTARQUE, Caton d'Utique, 32 et 33 ; APPIEN, B. C., II, 10 ; DION, XXXVIII, 1 ; NAPOLÉON III, J. C., I, 381, n. 2. LANGE, R. A., III, 279.

[28] DION, XXXVIII, 1.

[29] DION, XXXVIII, 2.

[30] LANGE, R. A., III, 275.

[31] DION, XXXVIII, 3.

[32] DION, XXXVIII, 6 ; APPIEN, B. C., II, 11.

[33] APPIEN, B. C., II, 10 ; PLUTARQUE, Pompée, 47 ; Cæsar, 14.

[34] CICÉRON, Pro Cœl., XXIV, 59.

[35] LANGE, R. A., III, 283 a vu la liaison qui existe entre la mort de Q. Metellus Celer et la loi qui donnait aussitôt à César le gouvernement de la Gaule Cisalpine. Il me semble que c'est de cette façon seulement que l'on peut expliquer que César eut l'imperium à partir du 1er mars 59, et que la Gaule narbonnaise lui fut donnée plus tard par le Sénat. César se fit donner le commandement immédiatement après la mort de Metellus, pour déjouer les intrigues des conservateurs ; la loi dût être promulguée le 1er mars. Les autres tentatives qui ont été faites pour expliquer la chose sont peu satisfaisantes.

[36] CICÉRON, In Vat., XII, 30. Voy. LANGE, R. A., III, 282.

[37] DION, XXXVIII, 7 ; APPIEN, B. C., II, 13 ; SUÉTONE, Cæsar, 20.

[38] Cela semble résulter du passage de CICÉRON, In Vat., XII, 29 ; partes illo tempore (en 59) carissimas.

[39] CICÉRON, A., II, XVII, 2 ; APPIEN, B. C., II, 14 ; PLUTARQUE, Cæsar, 14. C'est seulement après le succès imprévu de l'alliance qu'on dut avoir l'idée de cc mariage, puisque la jeune fille avait déjà été fiancée à, un autre. Cela montre bien que ce succès était inespéré, et que la politique du consulat fut fort différente de ce qu'on avait cru pendant les mois précédents.

[40] CICÉRON, A., II, XVI, 1.

[41] SUÉTONE, Cæsar, 20.

[42] CICÉRON, A., II, XIX, 2 ; II, XX, 4 ; II, XXI, 4.

[43] CICÉRON, A., II, XIX, 3.

[44] CICÉRON, A., II, XIX, 4.

[45] CICÉRON, A., II, XVII, 2.

[46] LANGE, R. A., III, 277.

[47] CICÉRON, A., II, XXI, 3.

[48] CICÉRON, A., II, XIII, 2.

[49] APPIEN, B. C., II, 12. Ce qu'Appien appelle βουλή est assurement la réunion des fidèles de Caton. Bibulus ne pouvait pas avoir une maison assez grande pour y réunir tout le Sénat.

[50] Voy. CICÉRON, A., II, XV, XVI, XVII, XXI.

[51] SUÉTONE, Cæsar, 53.

[52] Au sujet de la date, voyez GIUSSANI, L. R., p. 158.

[53] Voy. CATULLE, 5 ; 42 ; 51 ; 68, v. 131 et suiv., 70 ; 72 ; 77 ; 92.

[54] CATULLE, 85.

[55] CICÉRON, In Pis., XXXVI, 87.

[56] DRUMANN, G. R., II, 230 ; V, 16.

[57] CICÉRON, A., II, XIX, 4.

[58] CICÉRON, A., II, XVIII, 3 ; XIX, 5.

[59] CICÉRON, A., II, XXII, 3.

[60] CICÉRON, A., II, XX, 2.

[61] CICÉRON, A., II, XVIII, 3 ; XXII, 6.

[62] CICÉRON, A., II, XX, 2 ; XXII, 2.

[63] CICÉRON, A., II, XXII, 4 et 5.

[64] DION, XXXVIII, 12.

[65] LANGE, R. A., III, 284.

[66] DION, XXXVIII, 9 ; CICÉRON, A., II, XXIV ; SUÉTONE, Cæsar, 20 ; CICÉRON, In Vat., 10, 11. La chose n'est pas invraisemblable, mais ce n'est qu'une conjecture. Les textes sur ce point sont très confus.

[67] DION, XXXVIII, 8 ; SUÉTONE, Cæsar, 22 ; CICÉRON, Prov. cons., XV, 36.

[68] LANGE, R. A., III, 239 et suiv.

[69] DION, XXXVIII, 14.

[70] CICÉRON, De dom., X, 15.

[71] DION, XXXIX, 24.

[72] CICÉRON, Pro Sext., XV, 34 ; XXV, 55, In Pis., V, 11 ; De domo, XXI, 54 ; P. red. in sen., XIII, 33.

[73] TITE-LIVE, Per., 104 ; CICÉRON, Pro Sext., 26, 57.

[74] LANGE, R. A., 3, 292.

[75] PLUTARQUE, Cicéron, 30 ; LANGE, R. A., 293.

[76] LANGE, R. A., III, 294 et suiv.