GRANDEUR ET DÉCADENCE DE ROME

 

TOME I. — LA CONQUÊTE

CHAPITRE XVI. — LA PRISE DE JÉRUSALEM.

 

 

Pendant le siège de la petite capitale du petit peuple hébreu, Pompée et ses officiers avaient pu observer des phénomènes insolites. La ville, dont Ircanus avait ouvert les portes, avait été prise facilement ; mais une partie du peuple s'était réfugiée dans le Temple et y soutenait une lutte désespérée. Ce Temple était construit sur une colline qui dominait la ville et il était ceint d'une forteresse aux murailles très hautes. Pompée avait dû faire venir de Tyr un attirail de siège, faire dresser les machines, tandis que les Juifs lançaient avec acharnement sur les soldats des flèches et des pierres ; enfin il avait fallu organiser un siège long et difficile. Mais bientôt on remarqua un fait singulier ; périodiquement, tous les sept jours, les assiégés, comme frappés de stupeur, laissaient les Romains travailler à leurs machines et ne lançaient plus ni flèches ni pierres. Pompée interrogea Ircanus, qui lui apprit que tous les sept jours il y avait le sabbat, jour où la loi obligeait les fidèles à s'abstenir de tout travail, et que les fervents portaient le scrupule jusqu'à ne pas se défendre[1]. Pompée ordonna à ses soldats de travailler seulement le jour du sabbat, et il put ainsi, en trois mois, élever facilement les tours jusqu'à la hauteur des murailles et donner l'assaut. Faustus, fils de Sylla, fut, parait-il, le premier à sauter sur les remparts ; mais la défense fut acharnée et le massacre épouvantable. Quand Pompée se fut avec tant de peine emparé du temple, il voulut le visiter tout entier et jusque dans les sanctuaires les plus reculés où le grand prêtre seul pouvait pénétrer ; il y chercha en vain une statue ou un tableau qui représentât la divinité ; il admira l'étrange chandelier à sept branches que les Hébreux semblaient avoir en grande vénération, la table d'or, la provision énorme de parfums pour les cérémonies, et, enfouis dans les souterrains, les trésors qui auraient dû servir à récompenser de ses fatigues l'armée romaine. Mais le Dieu de la Bible donna alors la preuve la plus forte de cette puissance dont la crainte devait se répandre si loin dans le monde ; seul de tous les dieux de l'Orient, il fit, cette fois, respecter son or par un général romain. Pompée resta véritablement stupéfait en présence de cet étrange fanatisme et il n'osa pas emporter les trésors[2].

En Palestine, Pompée fut rejoint par une ambassade du roi d'Égypte, qui venait lui rendre hommage, lui présenter une grosse somme d'argent et lui faire une invitation étrange ; celle de se porter avec ses légions en Égypte pour aider le roi à vaincre une révolte qui avait éclaté depuis peu[3]. Inquiété par les projets de Crassus et de César, désespérant de se faire reconnaître comme roi par le Sénat, Ptolémée Aulète cherchait maintenant à gagner Pompée à sa cause par cette démarche. Si Pompée acceptait, s'il l'aidait à rétablir l'ordre dans son royaume, il se compromettait tellement en sa faveur qu'à son retour à Rome il aurait dû plaider sa cause au Sénat, pour lui obtenir le titre d'ami et d'allié du peuple romain. Néanmoins cette politique, à la fois rusée et audacieuse, avait plusieurs côtés dangereux, car Ptolémée risquait de livrer ainsi son royaume aux Romains. Qu'allait-il faire, si le général romain, après être entré dans ses États, refusait d'en sortir et les soumettait à Rome ? Avec un Lucullus ce danger aurait été sérieux. Mais Ptolémée avait à faire à Pompée, c'est-à-dire à un homme plus prudent même qu'il ne le désirait ; et Pompée redouta probablement d'irriter, en allant en Égypte, trop de gens à Rome ; ceux d'abord qui ne voulaient pas reconnaître Ptolémée, le parti qui s'opposait à la conquête de l'Égypte ; puis aussi la coterie qui réclamait cette conquête, c'est-à-dire Crassus et César. Il garda l'argent, mais repoussa poliment l'invitation ; puis il déclara la Palestine province romaine avec la Cœlésyrie ; il soumit Jérusalem à un tribut, donna la charge de grand prêtre à Ircanus et, emmenant avec lui Aristobule prisonnier, il revint dans le Pont[4].

Cependant l'Italie se remettait de l'effroi des derniers événements ; mais combien elle avait changé en peu de mois ! La conjuration de Catilina n'avait pas été un danger terrible, mais elle avait suffi pour bouleverser les classes, les partis, l'esprit de tout le monde, et pour hâter la fin de ce puissant parti populaire, ami des réformes mais modéré, dont Pompée avait été le chef vers l'an 70. Enhardi par le grand succès de la répression et par l'adhésion en masse des chevaliers ; profitant de la frayeur publique que les récits exagérés sur la conjuration alimentaient ; s'imaginant que cet état d'esprit durerait toujours, le parti conservateur devint une bande de réactionnaires féroces, dans laquelle les plus violents, qui avaient à leur tête Catulus et Caton, s'imposèrent facilement aux modérés et voulurent mener leur victoire jusqu'au bout, écraser le parti populaire, transformer les procès intentés aux complices de Catilina en une vaste persécution systématique de leurs ennemis. Le moment paraissait propice. Pompée était au loin ; Metellus Nepos, qu'il avait envoyé à Rome, n'était pas un personnage considérable ; Crassus épouvanté par la conjuration s'était hâté de sortir des intrigues et des dangers du parti populaire, à la tête duquel César restait tout seul, et discrédité, affaibli, détesté. Sur sa tête la tempête, apaisée un instant, allait éclater plus violente que jamais. Que fût-il advenu de lui s'il eût été d'un tempérament trop sensible et rendu trop délicat par des préjugés aristocratiques ou des scrupules moraux ? Mais César était devenu un parfait politicien, résolu, sans égards ni scrupules, et il n'hésita pas à précipiter l'évolution de la démocratie, commencée déjà depuis quatre ou cinq ans, et à faire d'elle le parti batailleur et grossier de la populace[5]. La classe aisée, les chevaliers, allaient-ils abandonner le parti populaire dans ce moment critique ? Mais il y avait à Rome, dans les immenses maisons construites par les spéculateurs, une innombrable populace d'affranchis, d'artisans, de colporteurs, d'humbles boutiquiers, d'aventuriers, de mendiants, de malfaiteurs venus de tous les points de l'Italie et de l'empire. Ces gens-là vivaient de tous les métiers, honteux ou permis, que leur laissaient les esclaves ; ils trouvaient de l'ouvrage dans les travaux publics ; ils faisaient les maçons, les tisserands, les fleuristes, les charretiers, les potiers, les tailleurs de pierre, les cuisiniers, les joueurs de flûte ; ils se mettaient au service des coteries politiques et des ambitieux comme sicaires, espions ou commissionnaires ; ils usurpaient le droit de cité, vendaient leur vote, volaient, trichaient, prenaient part aux distributions publiques du blé et aux banquets politiques ; ils avaient constitué un grand nombre de sociétés ou collegia, que le Sénat poursuivait depuis la conjuration, en cherchant à dissoudre celles qui étaient déjà formées et à empêcher qu'il ne s'en formât de nouvelles[6]. Besogneuse, toujours mécontente, pleine de haine contre les riches, cette population avait admiré Catilina et avait cherché à le faire réussir ; et elle était toujours prête, si elle trouvait des chefs, à emplir l'État de tumulte. C'est à la tête de ce monde-là que se mirent, scandale presque incroyable, l'arrière-neveu de Metellus Macedonicus et le pontifex maximus, pour repousser les attaques des conservateurs devenus frénétiques, en les attaquant à leur tour, non plus sur le terrain trop dangereux des réformes économiques, mais sur le terrain plus facile de l'opposition politique. A peine avait-il pris possession de la préture que César attaqua Catulus lui-même, l'accusa d'avoir mal géré les fonds avec lesquels il avait été chargé de réparer les dégâts subis par le Capitole pendant la guerre civile, et il proposa de confier ce travail à Pompée[7]. Cette proposition échoua devant l'opposition énergique des conservateurs ; mais vers la même époque Metellus, aidé de César, en mit en avant une plus audacieuse encore ; il demandait que l'on rappelât Pompée en Italie avec son armée, afin qu'il fût là pour empêcher à l'avenir que des citoyens fussent mis à mort illégalement. C'était poser ouvertement la question de savoir si les condamnations prononcées par le Sénat contre les complices de Catilina étaient légales, et menacer ouvertement le parti qui continuait à abuser des dénonciations et des procès ayant trait à la conjuration de Catilina. Les conservateurs frémirent. Fidèle à sa mission de semer la révolte, le parti populaire accusait ceux qui s'étaient exposés à de graves dangers pour défendre l'ordre ; il voulait charger officiellement Pompée de faire le coup d'État. Caton, qui était alors tribun du peuple, alla seul opposer son véto le matin du jour où la loi fut mise en délibération aux comices. César et Metellus le firent chasser à coups de pierre par des bandes de vauriens ; les conservateurs, encouragés par leur exemple, coururent, eux aussi, chercher des gens et ils revinrent à temps pour chasser César et Metellus avant que la loi n'eût été votée. C'est ainsi que la question fut pour le moment tranchée. Mais le scandale avait été trop grand et il grossit encore, quand Metellus, menaçant de se venger, sortit de Rome pour retourner auprès de Pompée. Le Sénat, où étaient cependant beaucoup de modérés, ne sut pas résister aux imprécations de la coterie réactionnaire et destitua Metellus et César ; mais celui-ci sut si bien se poser en victime de l'injustice des grands, que la populace tapageuse se souleva et que le Sénat, qui avait encore plus peur des émeutes que des réactionnaires, fut obligé de le réintégrer dans sa charge[8]. Les chefs du parti conservateur furent exaspérés et tentèrent de l'impliquer dans les procès dressés contre les complices de Catilina ; mais l'effervescence du bas peuple croissait tellement[9] que Caton lui-même, pour le tranquilliser et pour mieux le disposer envers le parti conservateur, proposa d'augmenter les distributions de blé au peuple pour une somme d'environ sept millions, en augmentant ainsi le nombre de ceux qui y avaient droit[10].

Les luttes qu'on avait livrées depuis l'an 70 jusqu'à la conjuration de Catilina étaient oubliées ; des luttes nouvelles commençaient. Depuis un an la situation politique était entièrement changée ; et ce changement profond avait une grande importance, surtout pour deux. hommes, Pompée et Cicéron. On savait que Pompée se préparait à revenir, et tout le monde se demandait quel rôle il allait jouer dans cette lutte. Les conservateurs se montraient très inquiets, affirmaient qu'il se servirait de son armée pour se faire nommer dictateur et détruire la république. Et cependant, s'il n'était très difficile, même aux hommes les plus intelligents, de connaître réellement au milieu des luttes politiques les personnages que l'on hait simplement en tant qu'ennemis de son parti, ou que l'on admire parce qu'ils en sont les champions, personne n'aurait appréhendé de voir Pompée devenir un nouveau Sylla à son retour d'Orient. Il méditait tout au contraire à ce moment-là le projet de se réconcilier avec les conservateurs. Pompée était un véritable grand seigneur d'ancienne race, un exquis et intelligent dilettante en art, en littérature, en science, en politique, en guerre, comme il s'en trouve dans la noblesse aux époques civilisées ; mais il n'avait ni la ténacité de Crassus, ni l'impétueuse imagination et l'énergie de Lucullus, ni l'intelligence profonde de César. Superficiel, d'esprit versatile, il manquait de passions intenses ; ambitieux et orgueilleux, il n'était ni violent, ni insatiable ; habile et rusé, il se laissait cependant tromper par les intrigants actifs et troubler par les événements insolites. Il n'était ni méchant ni cruel, mais froid et égoïste, comme le sont souvent les nobles. Un tel homme était par nature un conservateur modéré et non un révolutionnaire. Dans sa jeunesse il avait été partisan fougueux et violent des guerres civiles ; puis ses premiers succès avaient fait de lui un intrigant difficile à contenter, qui s'était lié par ambition au parti populaire ; mais il avait fini par avoir tant de satisfactions qu'il avait assouvi tous ses désirs de gloire, de puissance et de richesse[11]. A son retour à Rome il était le plus célèbre de tous les généraux, grâce à ses grandes entreprises ; le plus riche de tous, grâce aux capitaux énormes qu'il avait recueillis et placés ; le plus puissant de tous, à cause des obligations personnelles que tant de rois de l'Orient avaient contractées avec lui ; mais ses grandes ambitions une fois satisfaites, son tempérament aristocratique et conservateur reprenait le dessus ; il détestait maintenant la démagogie turbulente et vulgaire de Rome, et son dégoût s'était accru quand il avait appris les intrigues de Crassus, l'adultère dont on accusait sa femme Mutia et César, et les scandales provoqués par César, devenu le chef de la canaille de Rome. Tandis que bien des gens redoutaient qu'il ne méditât les projets les plus ambitieux, il se préoccupait alors simplement de ne pas gâter son triomphe et de ne froisser personne ; il ne disait rien de l'affaire de Catilina[12] dans ses lettres au Sénat ; il songeait à divorcer d'avec Mutia, à contracter quelque nouveau mariage qui préparât sa réconciliation avec les conservateurs[13], à gagner du temps et à faire par un beau voyage royal à travers la Grèce sa dernière et sa plus riche moisson de satisfactions d'amour-propre. Ainsi il alla à Lesbos où il délivra Mitylène pour plaire à son favori Théophane, qui était né dans cette ville ; il y admira le beau théâtre et fit le projet d'en construire un semblable à Rome, mais plus vaste encore[14]. De Lesbos il alla à Rhodes, où il vit Posidonius. l'historien philosophe tant admiré des riches Romains, et il distribua de l'argent aux professeurs[15] ; puis il se rendit à Éphèse où s'étaient rassemblées l'armée et la flotte.

Les conservateurs auraient pu trouver un allié dans celui qu'ils redoutaient comme leur plus grand ennemi. Ils ne trouvaient pas, au contraire, un appui énergique en Cicéron, qu'ils auraient eu droit de considérer désormais comme un de leurs chefs. La conjuration de Catilina est un événement capital de la vie du grand écrivain, car d'elle date un changement profond dans son caractère. Jusqu'alors il avait été un homme modeste, économe, qui n'aimait ni la puissance ni le luxe, qui se souciait surtout de sa gloire littéraire et qui avait accepté plutôt que recherché les grandes charges de la république. Depuis la conjuration, les louanges hyperboliques, l'admiration exagérée des chevaliers et même des nobles, d'habitude si orgueilleux avec les homines novi, les grands honneurs décrétés — entre autres le titre de père de la patrie — en somme toutes les exagérations qui suivent la répression d'une révolte peu dangereuse, auxquelles se livrent ceux qui ont eu une grande peur ou qui veulent exploiter la peur des autres, le grisèrent. Il finit par se persuader qu'il avait réellement sauvé la république d'un immense danger et qu'il était un grand homme politique ; des idées de grandeur commencèrent à exalter son esprit ; il ne se contenta plus ni de la gloire littéraire, ni de la vie modeste qu'il avait menée jusqu'alors. Justement cette année-là tandis que la lutte des partis devenait plus violente, il commettait une des plus graves erreurs de sa vie, en achetant à Crassus pour une somme énorme, 3.500.000 sesterces, une grande maison sur le Palatin[16]. Il voulait posséder une demeure plus digne de sa nouvelle situation que la vieille et modeste maison de ses pères ; mais il n'avait pas l'argent nécessaire et, pour se le procurer, il dut se départir de sa rigoureuse observance de la loi Cincia ; prier les amis qu'il avait défendus de lui prêter, sans intérêt naturellement, de fortes sommes ; emprunter de l'argent à un grand nombre de personnes. Un seul de ses clients, P. Sulla, lui prêta deux millions de sesterces[17]. Il est vrai qu'il comptait pour payer ses dettes sur son collègue Antoine alors en Macédoine ; car, lorsqu'il lui avait cédé sa province, il avait été convenu qu'Antoine lui donnerait une partie du butin qu'il ferait dans ses guerres[18]. Mais il contractait une dette immense avec des probabilités bien incertaines de les payer, et il commettait la même erreur que César, en liant sa liberté personnelle avec une chaîne qu'il ne réussirait plus à briser. En même temps, si son ambition s'exaltait, son énergie n'augmentait pas en proportion ; et tandis qu'il contractait des dettes énormes et qu'il s'imaginait conserver dans la république la situation exceptionnelle qu'il avait à la fin de son consulat, il se dérobait, laissait les autres défendre son œuvre, n'osait pas se ranger résolument du côté des conservateurs. Le parti populaire le respectait encore dans ses attaques contre les conservateurs ; et peut-être espérait-il par cette inertie garder sinon l'admiration de jadis, au moins un certain prestige auprès d'eux. Il restait donc inactif ; et alors que les partis en venaient aux mains sur le forum, il se bornait à répéter à tout propos le mérite et la gloire de son consulat ; il se disposait même à en écrire une histoire en grec.

Vers le milieu de l'an 62, Pompée était sur le point de quitter l'Asie. Mais avant de s'embarquer il distribua des récompenses à ses compagnons d'armes ; à chaque soldat 6.000 sesterces, environ 1.500 francs ; des sommes plus élevées aux centurions et aux tribuns, l'ensemble faisant un total qui équivaudrait à environ soixante-quinze millions de francs. Ses généraux eurent à eux seuls cent millions de sesterces ; si bien qu'en supposant qu'ils fussent vingt-cinq chacun d'eux eut une somme qui équivaudrait à environ un million de francs, grasse récompense pour des campagnes si peu périlleuses qui n'avaient duré que quatre ans[19]. Enfin il mit à la voile pour la Grèce avec son armée. Il alla d'abord à Athènes, où il séjourna pour entendre les philosophes, et il offrit cinquante talents pour restaurer les plus beaux édifices[20]. D'Athènes il envoya à sa femme Mutia une lettre où il lui signifiait son divorce[21] ; puis, s'étant embarqué pour l'Italie, il aborda à Brindes, vers la fin de l'année. Les conservateurs tremblaient, croyant voir arriver un Sylla démocrate, et Crassus se disposait à quitter Rome avec sa famille[22].

A Rome, cependant, tandis qu'on y attendait avec anxiété son retour, un scandale retentissant avait éclaté dans les premiers jours de décembre[23]. La femme de César, Pompeia, avait une intrigue avec Clodius, le suborneur des légions de Lucullus ; mais la sévère belle-mère faisait une garde sans pitié. Comme Pompeia, à titre de femme du préteur, devait présider la cérémonie de la Bonne Déesse, à laquelle les femmes seules pouvaient assister, Clodius, qui aimait les choses bizarres et scandaleuses[24], eut la fantaisie de s'habiller en femme et de donner un rendez-vous à Pompeia pendant la cérémonie. Mais il fut découvert. Une société aussi sceptique et aussi incrédule aurait dû rire de ce scandale, d'autant plus que les sujets graves dont le public pouvait s'occuper ne manquaient pas. La frayeur que causait l'arrivée de Pompée venait, il est vrai, de s'évanouir. Débarqué à Brindes il avait, à la joie et au grand étonnement des conservateurs, licencié son armée, et il approchait de Rome avec une petite suite pour demander son triomphe. Mais on recevait de la Gaule des nouvelles inquiétantes ; les Allobroges s'étaient soulevés et avaient dévasté une partie de la Gaule narbonnaise[25], que le Sénat, toujours faible et incertain dans la politique extérieure, avait depuis quelque temps abandonnée à elle-même ; les Helvètes, qui avaient pris part à l'invasion des Cimbres et des Teutons et qui s'étaient établis autour du lac de Genève, étaient inquiétés par les Suèves et voulaient émigrer sur les côtes de l'Océan en traversant la province romaine[26]. Mais le parti conservateur, négligeant tout, ne voulut s'occuper que de Clodius et il prit la chose au tragique ; il fallait non seulement punir un sacrilège horrible, niais réprimer par un nouvel exemple, puisque celui de Catilina n'avait pas suffi, l'insolence de cette jeunesse qui promettait de devenir encore plus séditieuse et plus dissolue que ne l'avait été la génération précédente. Le Sénat consulta le collège des pontifes pour savoir si l'acte de Clodius constituait un sacrilège ; et, le collège ayant répondu affirmativement[27], il chargea les consuls de l'année 61, M. Pupius Pison et M. Valerius Messala, de proposer une loi qui fixerait une procédure et établirait un tribunal spécial pour juger un procès aussi grave[28]. La proposition d'un tribunal extraordinaire, faite alors que le parti populaire protestait tous les jours contre la condamnation illégale des complices de Catilina, parut une provocation au parti populaire, qui prit aussitôt Clodius sous sa protection. Une vive agitation contre la loi commença, fomentée surtout par un tribun du peuple de naissance obscure, Quintus Fufius Calenus, qui désirait faire parler de lui. Par représailles, les conservateurs s'obstinèrent à réclamer la condamnation du sacrilège. L'aventure galante de Clodius déchaîna ainsi, au commencement de l'an 61, une véritable bagarre politique, dans laquelle les hommes les plus éminents furent obligés d'entrer.

César, qui allait partir pour l'Espagne, sa province, dut ajourner son départ ; mais il profita du scandale pour divorcer d'avec Pompeia, dont le parentage aristocratique lui était plus nuisible qu'utile, maintenant qu'il était en guerre ouverte avec le parti aristocratique. Pompée fut sollicité par les deux partis et, bien qu'il se débattit le plus qu'il pût, il dut finir par faire des déclarations qui dans leur ambiguïté parurent plus favorables aux conservateurs qu'au parti populaire[29]. Cicéron lui-même ne pût rester à l'écart ; il fut entraîné plus loin qu'il n'aurait voulu par une intrigue singulière de Clodius. Celui-ci, pour obtenir son appui, avait essayé de le faire séduire par une de ses sœurs, la seconde, qui était la femme de Quintus Metellus Celer[30], et qui avait une très mauvaise réputation. Elle avait, disait-on, acheté un jardin sur les bords du Tibre à l'endroit où les jeunes gens se baignaient nus, et on lui attribuait un nombre infini d'amants. Mais la femme de Cicéron, Terentia, intervint et, accablant son mari de reproches, le força à lui donner, pour avoir la paix à la maison, la plus grande preuve de fidélité en s'employant à faire approuver la loi judiciaire contre Clodius[31]. Celui-ci, furieux, attaqua Cicéron pour sa conduite dans l'affaire de Catilina et, faisant une allusion malicieuse aux affirmations faites par Cicéron au Sénat, l'appela l'homme qui sait tout[32]. Ces attaques arrivaient à un moment fâcheux, car Cicéron avait alors d'autres sujets d'inquiétude et de chagrin. Antoine ne lui envoyait rien ; bien plus, comme il avait échoué dans une expédition contre les Dardanes, on voulait à Rome le rappeler, et Cicéron dut intervenir pour lui faire conserver son commandement[33]. Mais la convention que Cicéron avait faite avec son collègue s'était ébruitée ; le parti populaire commençait à l'attaquer ; on prétendait que les chevaliers l'avaient payé pour faire condamner les complices de Catilina. Les attaques de Clodius, l'ayant trouvé dans cet état d'irritation et d'inquiétude, l'exaspérèrent, et il se jeta pour se venger au plus fort de la mêlée. La loi fut approuvée, mais avec des modifications favorables à Clodius et que proposa Calenus. Crassus, un peu tranquillisé maintenant, était prêt à entrer dans de nouvelles intrigues politiques et, sous l'instigation de César, il consentit à débourser de l'argent pour corrompre les juges. Les conservateurs, de leur côté, préparaient contre Clodius les témoignages les plus infamants. Quand le procès eut lieu, Clodius nia effrontément être allé à la fête de la Bonne Déesse ; l'homme que l'on avait surpris était un autre que lui, car il n'était même pas à Rome ce jour-là César, interrogé comme témoin, déclara qu'il ne savait rien[34] ; Lucullus vint révéler l'inceste de Clodia avec son frère[35] ; mais Cicéron fit une déposition accablante en déclarant que Clodius, ce jour-là était à Rome et qu'il était venu le voir chez lui trois heures avant le sacrilège[36]. Tout le monde croyait la condamnation certaine. Cependant l'or de Crassus fut plus fort que la vérité. Clodius fut absous, à la grande joie du parti populaire et à la grande confusion des conservateurs.

Ils essayèrent de se venger sur César, qui se disposait à partir pour la province. Plusieurs créanciers, subornés par ses ennemis politiques, exhibèrent une liasse de vieilles syngraphæ (nous dirions aujourd'hui des lettres de change) non payées, et ils le menacèrent, s'il ne payait pas, de saisir les gros bagages qu'emportaient avec eux tous les gouverneurs. Ces menaces étaient assurément le résultat d'intrigues politiques, sans quoi ces créanciers auraient été bien sots de retenir César à Rome, au moment même où il allait chercher en province l'argent nécessaire pour les payer. César s'adressa encore une fois à Crassus ; celui-ci offrit sa garantie, que les créanciers n'osèrent pas refuser. César ainsi libéré partit aussitôt[37], laissant à Rome Pompée en train de préparer son triomphe, Lucullus au repos désormais et tout à fait retiré, Cicéron en proie, après l'échec subi dans le procès de Clodius, à des inquiétudes grandissantes. Il voyait maintenant le parti populaire, excité par son ennemi, reprendre avec violence toute l'affaire de Catilina, mettre en doute sa bonne foi ; affirmer que le 5 décembre on n'avait pas jugé, mais assassiné des citoyens romains. Si au moins, pour compenser cette ingratitude, il lui était venu assez d'admiration d'autre part ! Mais bien des gens qui l'avaient tant applaudi et admiré aux jours de frayeur, impressionnés maintenant par l'agitation populaire, commençaient à se demander si Cicéron n'avait pas exagéré le danger. Que faire ? Cicéron était trop honnête et trop orgueilleux pour renier son œuvre dans le but de plaire au parti populaire ; mais il n'avait pas non plus le courage ni l'énergie nécessaires pour s'unir aux conservateurs à outrance.

Cependant, pour le moment, tout était tranquille. Seules, les nouvelles de la Gaule causèrent un instant quelque inquiétude. Il se préparait évidemment une crise à la frontière septentrionale de l'Italie, et l'inertie confiante dans laquelle demeurait le Sénat depuis soixante ans vis-à-vis des Gaulois indépendants ne pouvait plus durer. Les peuples de la Gaule étaient divisés par des haines et des guerres de plus en plus violentes et compliquées, dans lesquelles Rome devrait fatalement intervenir un jour ou l'autre, malgré le mauvais vouloir du Sénat. Naguère, les Séquanes, une puissante tribu gauloise, avaient appelé à leur aide, d'au delà du Rhin, un roi germain, Arioviste, qui, avec ses Suèves, les avait aidés à vaincre les Éduens ; ceux-ci, qui étaient les alliés des Romains depuis la conquête de la Narbonnaise, avaient, en 61, envoyé à Rome le druide Divitiacus pour demander du secours. Cicéron lui avait donné l'hospitalité[38]. Mais l'inquiétude dura peu ; le Sénat se tira d'embarras en décrétant que le gouverneur de la Narbonnaise, qui ne disposait d'ailleurs que de forces militaires très restreintes, protégerait les Éduens contre toute tentative des ennemis[39] ; et bientôt personne ne se préoccupa plus à Rome de ce danger ; il y eut un moment d'arrêt pendant lequel les politiciens et les généraux se tinrent en repos ; et l'esprit de grandeur qui caractérise cette époque n'était plus représenté par des hommes d'épée, mais par un homme de lettres, un ami de Cicéron, qui habitait un coin caché de Rome et travaillait à une des plus grandes et des plus audacieuses œuvres de la littérature latine. C'était un certain Titus Lucretius Carus, modeste rentier probablement, qui vivait à Rome, dans sa petite demeure, des revenus de quelque propriété. Atteint d'une maladie terrible que les aliénistes appellent la folie alternante ou circulaire, et qui consiste en une succession d'exaltations violentes et de lourds hébétements[40], ce malade de génie avait dû abandonner la politique pour s'adonner à l'étude ; il vivait au milieu de ses livres ; avec quelques amitiés dans les hautes classes, sans ambition, sans désir de richesse, trouvant son plaisir dans la contemplation de l'infini que lui avait décrit Épicure ; tout inondé de la pluie des atomes, tout scintillant d'étoiles, tout peuplé de mondes, vibrant dans un énorme effort vital où Rome et son empire n'étaient plus qu'un petit écueil perdu dans l'immense océan mouvant de l'éternité. Mais Lucrèce n'était pas un simple dilettante qui fuyait un monde plein de passions violentes, pour distraire par d'égoïstes plaisirs intellectuels son esprit malade ; c'était au contraire un créateur ardent, un travailleur infatigable, et, dans sa solitude studieuse, un ambitieux aussi insatiable que Lucullus dans le tumulte des camps. Il composait un immense poème sur la nature, en invitant ses contemporains à renverser de leurs trônes les dieux menteurs que l'on avait vénérés jusque-là et en tentant à lui seul de conquérir, non pas une province nouvelle avec les armes, mais dans un effort titanique de la pensée, la domination spirituelle de la nature. La langue des paysans du Latium était encore trouble, pauvre, concrète et la versification grossière et imparfaite ; mais, de même que Lucullus avait osé partir avec trente milles hommes seulement, à la conquête de grands empires, Lucrèce osa faire violence à sa lourde langue maternelle, que bien des gens jugeaient encore inapte à exprimer autre chose que des textes de lois, des comptes d'hommes d'affaires et des querelles politiques. Il l'amollit, la purifia au feu de son enthousiasme, la martela longtemps sur l'enclume de la pensée et il parvint à lui donner de la douceur et de la clarté ; comme un puissant archer qui tend son arc, il ploya la métrique et lança avec vigueur dans l'infini le vol des hexamètres ; puis, avec cette langue et ce mètre il écrivit non pas le résumé aride et versifié d'une doctrine abstraite, mais une philosophie pittoresque et enthousiaste de l'univers ; il exprima l'exaltation la plus intense, et la surprise la plus voluptueuse que l'âme humaine ait jamais ressenties devant la révélation de l'éternel mouvement de la vie universelle ; il projeta sur la nature infinie l'ombre et la lumière, la mélancolie et la joie qui passaient dans son esprit malade ; il décrivit avec une vivacité merveilleuse les épisodes doux et terribles de l'existence, le rire printanier qu'ont après la pluie les prairies verdoyantes, les ébattements lascifs des animaux au milieu des pâturages, le déchaînement des tempêtes bruyantes sur les champs et sur les forêts, les grandes inondations des fleuves, le calme et la colère des mers, les efforts de l'humanité encore animale pour vivre et se civiliser, les horreurs des épidémies et des guerres ; les folles terreurs de la mort, la soif ardente d'amour de tous les vivants, l'éternité et l'identité de la vie qui circule dans l'univers à travers les formes périssables des êtres. L'exposition de la théorie épicurienne relie tous ces épisodes dans l'unité vivante du grand poème solennel, presque religieux qui, s'il n'est pas l'œuvre la plus parfaite. est du moins la plus grandiose de la littérature latine, et dans lequel il ne faut pas voir l'œuvre d'un penseur solitaire. détaché de son époque et de son monde, mais un de ces efforts si puissants vers la grandeur, la puissance et la science que tentait partout cette époque-là dans le monde des réalités et dans le monde de la pensée. Lucrèce, tout autant que Lucullus, que César, que Cicéron est une des figures caractéristiques de son temps. Il y représente l'effort héroïque de la raison qui, pour avancer dans la science, détruit les superstitions, les traditions, les religions. Son poème de la Nature fut une des plus belles créations de Rome ; peu admiré au début, il traversa les âges, alors que les trophées, les monuments et la gloire de tant de généraux ont été emportés par le temps.

 

 

 



[1] DION, XXXVII, 46 ; JOSÈPHE, Antiquités Judaïques, XIV, IV, 3 ; Guerre des Juifs, I, VII, 3.

[2] JOSÈPHE, Antiquités Judaïques, XIV, IV, 4 ; ZONARAS, V, 6 ; CICÉRON, Pro Fac., XXVIII, 67 ; ces témoignages annulent l'opinion opposée de DION, XXXVII, 16.

[3] APPIEN, Mith., 114.

[4] MASI, V. S. A., 25.

[5] PLUTARQUE, Caton d'Utique, 26 ; PLUTARQUE, Cæsar, 8. Le fait est aussi prouvé par le grand nombre de procès pour usurpation du droit de cité que les conservateurs firent faire cette année-là. Voyez LANGE, R. A., III, 258. Voyez aussi CICÉRON, A. I., XVI, 11.

[6] Voyez dans WALTZING, C. P. R., I, 87-89, l'énumération des sociétés ouvrières de Rome et d'Italie dont on a retrouvé des traces à cette époque-là. Les lois contre les confréries d'artisans auxquelles il est fait allusion ici sont celles dont parle ASCONIUS, In Corn., p. 67 (ed. Kiessling et Schœll) ; et In Pis., p. 6, 7. Il me parait douteux que la dissolution ait eu lieu en 64 ; en effet un passage de Q. CICÉRON, De pet. cons., V, 49 et VIII, 30, nous montre qu'en 64 il existait de nombreux collegia et sodalitates ; et d'autre part WALTZING, I, p. 98, a démontré, à l'encontre de ce qu'avançait Mommsen, que ces lois étaient dirigées contre toutes les sociétés. En outre le texte d'ASCONIUS, In Pis., p. 6, 7, est altéré. De toute façon il s'agit des tentatives que faisaient à cette époque-là les conservateurs pour retirer aux ouvriers le droit de s'associer.

[7] DION, XXXVII, 44 ; SUÉTONE, 15.

[8] DION, XXXVII, 43 ; PLUTARQUE, Cicéron, 23 ; SUÉTONE, Cæsar, 16, 17 ; PLUTARQUE, Caton d'Utique, 26-29. Il y a cependant dans ces récits certaines variantes entre lesquelles il est difficile de décider. Selon Suétone, César et Metellus furent destitués ; selon Plutarque (Cat. 29), Metellus ne fut pas destitué, parce que Caton intervint en sa faveur.

[9] PLUTARQUE, Cæsar, 8.

[10] PLUTARQUE, Caton d'Utique, 26, place cette loi avant la proposition de Metellus, ce qui parait peu vraisemblable. Ce n'est qu'après le scandale de cette proposition que Caton a pu être amené à proposer lui-même une loi si en opposition avec ses idées. Voyez Lange, R. A., III, 258.

[11] Voyez sur ce changement du caractère de Pompée le beau chapitre de DION, XXXVII, 23, qu'il me semble avoir tiré de Tite-Live.

[12] CICÉRON, F., V, 7.

[13] PLUTARQUE, Caton d'Utique, 30.

[14] PLUTARQUE, Pompée, 42 ; VELLEIUS, II, XVIII, 42.

[15] PLUTARQUE, Pompée, 42.

[16] CICÉRON, F., 5, 6, 2 ; VELLEIUS, II, 14.

[17] AULU-GELLE, Nuits Attiques, XII, 12

[18] On peut se rendre compte de cette intrigue en lisant les lettres de Cicéron à Atticus, 1, 12, 13 et 14, où Teucris est certainement le nom donné à Antoine ; et les lettres ad F., 5, 5 et 6. Voyez DRUMANN, G. R., I2, 394 ; V, 428 et suiv.

[19] APPIEN, Mith., 116 ; PLINE, H. N., XXXVII, II, 16. Il me parait résulter du passage d'Appien que les 100 millions de sesterces dont parle Pline n'étaient pas compris dans les 16.000 talents (384 millions de sesterces) distribués aux soldats.

[20] PLUTARQUE, Pompée, 42.

[21] PLUTARQUE, Pompée, 42 ; CICÉRON, A. I., XII, 3.

[22] PLUTARQUE, Pompée, 43.

[23] LANGE, R. A., III, 261.

[24] DRUMANN, G. R., II, 205.

[25] DION, XXXVII, 47, 48.

[26] CÆSAR, B. G., 4, 2.

[27] CICÉRON, A. I., XIII, 3.

[28] CICÉRON, A. I., XIV, 2.

[29] CICÉRON, A. I., XIV, 2.

[30] PLUTARQUE, Cicéron, 29.

[31] PLUTARQUE, Cicéron, 29.

[32] CICÉRON, A. I., XIV, 5.

[33] CICÉRON, A. I.,12, 13, 14 ; F, V, 5 et 6.

[34] PLUTARQUE, Cæsar, 10.

[35] CICÉRON, Pro Mil., 27, 73. Voy. DRUMANN, 2, 382, n. 67.

[36] VALERIUS MAXIMUS, VIII, V, 5 ; CICÉRON, A. I., XVI, 4.

[37] PLUTARQUE, Cæsar, 11 ; APPIEN, B. C., II, 8.

[38] CICÉRON, De div., I, XLI, 90.

[39] CÆSAR, B. G., I, 35.

[40] S. HIÉRON, ad Ann. 660 U. C. — STAMPINI, Il suicidio di Lucrezio, in R. S. A., I., fas. 4, p. 45, a démontré que ces renseignements donnés par saint Jérôme et qu'il avait pris dans Suétone, sont dignes de foi. Voy. aussi GIRI, Il suicidio di Lucrezio, Palerme, 1895.