GRANDEUR ET DÉCADENCE DE ROME

 

TOME I. — LA CONQUÊTE

CHAPITRE III. — LA FORMATION DE LA SOCIÉTÉ ITALIENNE.

 

 

Le signal des premières escarmouches de cette guerre terrible, qui devait durer un siècle, fut donné involontairement par Tiberius et Caïus Gracchus, fils de Tiberius Sempronius Gracchus, neveux de Scipion l'Africain, beaux-frères de Scipion Émilien, les derniers de cette grande famille qui, après eux, devait disparaître de l'histoire.

Dans la maison paternelle, où il avait été élevé par des philosophes grecs de valeur, le jeune Tiberius dut entendre souvent les hommes les plus remarquables de la république s'apitoyer sur les maux de Rome et sur sa décadence militaire, discuter de la nécessité d'une réforme qui empêchât la destruction complète de l'antique société, surtout de l'ancienne classe des paysans qui fournissait les soldats, en renouvelant cette protection publique des pauvres que l'État romain avait si bien exercée dans des temps meilleurs. Le préjugé universel et tenace qu'on ne peut guérir les maux d'une époque autrement qu'avec des expédients législatifs devait être d'autant plus répandu à Rome que, dans le passé, le Sénat avait toujours paternellement remédié au mal de la misère en distribuant des terres, en effaçant des dettes, en fondant des colonies[1]. Tiberius Gracchus, déjà imbu de ces idées dans la maison paternelle, avait été profondément impressionné d'abord par la guerre d'Espagne, à laquelle il avait pris part, et qui, coûteuse et honteuse, et durant depuis vingt ans, menaçait de ruiner les finances jadis si florissantes[2] ; ensuite par la grande révolte des esclaves qui avait éclaté en Sicile depuis peu et que Rome avait de la peine à réprimer. Épouvanté surtout de la décomposition rapide de l'armée, jeune homme plein de projets ardents et généreux, mais dépourvu encore d'une grande expérience de la vie, il se décida, pour guérir les maux de Rome et refaire l'armée, à reprendre vigoureusement l'ancienne politique agraire des assignations. Son idée était assez simple. Les vastes terres publiques de l'Italie, que les riches propriétaires avaient louées ou volées, pouvaient leur être légalement reprises chaque année ; si l'État se décidait à user de son droit ; s'il distribuait ces terres en petits champs à beaucoup de cultivateurs, en envoyant surtout dans l'Italie méridionale une partie des malheureux de Rome et du Latium, le problème serait résolu. Les villes d'Italie qui périclitaient se relèveraient et autour d'elles les terres seraient de nouveau peuplées par ces petits propriétaires[3] qui rendraient à Rome les invincibles légions de jadis. Cette idée avait de nombreux partisans[4], et Tiberius Gracchus, élu tribun du peuple pour l'année 133, se proposa de la mettre à exécution par une loi agraire qu'il avait préparée en se servant des conseils de deux savants grecs, Blossius de Cumes et Diophane de Mitylène[5]. En somme, pour faire profiter les pauvres de l'ager publicus comme autrefois il proposait clans sa loi qu'aucun citoyen romain ne pût posséder plus de cinq cents arpents de terres publiques, en y ajoutant deux cent cinquante arpents pour chacun de ses fils, jusqu'à concurrence de cinq cents encore[6]. On retirerait aux Latins et aux Italiens les terres publiques qui ne leur avaient pas été attribuées régulièrement, soit qu'ils les eussent achetées, ou occupées eux-mêmes[7] ; les citoyens romains, presque tous riches propriétaires, recevraient une compensation en argent pour les améliorations faites[8], tandis que les Latins et les alliés, parmi lesquels abondaient les petits et les moyens propriétaires, pourraient, comme dédommagement, participer à la nouvelle distribution des terres[9] en même temps que les citoyens romains pauvres ; ceux-ci toutefois paieraient tous les ans une petite somme à l'État et ne pourraient pas vendre les terres qui leur seraient assignées. Trois magistrats choisis chaque année par le peuple dans les comices des tribus assigneraient les terres et décideraient, en cas de controverse, lesquelles seraient publiques et lesquelles privées[10]. La loi fut accueillie avec une grande faveur par les paysans et les petits propriétaires[11]. Il semble qu'elle fut bien accueillie aussi de la plèbe urbaine des clients, des affranchis, des artisans qui, comme c'est souvent le cas pour les gens malheureux, se plaignaient de l'avarice des riches et de l'abandon du gouvernement comme de l'unique cause de leur propre misère. Elle ne fut pas mal vue de quelques conservateurs éclairés[12] et il est certain qu'elle fut regardée avec faveur par ces sénateurs de fortune modeste, qui se trouvaient à l'étroit au milieu de l'opulence des temps nouveaux et se réjouissaient en secret du tort que cette loi menaçait de causer aux richissimes propriétaires d'immenses troupeaux. Ceux-ci — et ils devaient être en petit nombre dans le Sénat — ne pouvant espérer faire échouer la loi dans les comices, tentèrent une manœuvre habile ; ils poussèrent un col lègue de Tiberius à interposer son veto, opposant ainsi aux desseins du législateur populaire la sacro-sainte autorité des tribuns, que le peuple avait toujours respectée religieusement. Mais la disposition croissante à la violence, provoquée par cette manœuvre, éclata pour la première fois contre l'inviolabilité tribunitienne elle-même. Les esprits s'irritèrent ; l'impétueux Tiberius, après avoir vainement tenté de vaincre l'obstination de son collègue, engagea le peuple à le destituer. C'était là un procédé nouveau et révolutionnaire. Le peuple exaspéré vota cette destitution, et, le tribun ayant été déposé, la loi fut approuvée. Les passions s'enflammèrent encore davantage ; l'oligarchie des riches concessionnaires des terres publiques commença à accuser Tiberius d'avoir attenté à la personne inviolable d'un tribun ; Tiberius, que l'opposition des grands révoltait, se mit résolument à exciter le peuple avec les théories démocratiques les plus radicales, et il affirma dans de grands discours que la volonté du peuple était la suprême autorité de l'État[13]. Puis quand on apprit qu'Attale, roi de Pergame, était mort en laissant son royaume en héritage au peuple romain, il fit décréter que son Trésor servirait à pourvoir d'outils les nouveaux colons trop pauvres pour en acheter et il proposa que ce fit le peuple et non le Sénat qui administrât la nouvelle province[14]. Cette fois ses ennemis l'accusèrent de vouloir devenir le tyran de Rome et masquèrent habilement par une opposition politique leur aversion pour la loi agraire. Tiberius chercha alors à se faire réélire tribun du peuple pour être à l'abri dune accusation capitale. Il semble qu'à cette fin il ait annoncé d'autres lois populaires[15] ; mais les haines s'envenimèrent, et aux élections les deux partis arrivèrent avec une grande méfiance mutuelle et de sourdes dispositions à la violence. Un petit tumulte survenu, croit-on, durant les comices les fit éclater. Un certain nombre de sénateurs, n'ayant pu obtenir que le consul proclamât l'état de siège, se ruèrent tout armés au milieu de la foule, et tuèrent Tiberius et beaucoup de ses amis[16]. Cette violence illégale dispersa le parti si nombreux de Tiberius, épouvanta les conservateurs éclairés et désireux de réformes qu'avait déjà dégoûtés l'agitation démocratique de Tiberius, abattit la fierté du peuple. Mais Rome frappée de stupeur vit, après tant de siècles d'ordre et de légalité, non seulement impunie, mais admirée, la violence de la première faction qui se Mt fait justice elle-même. Scipion Émilien lui-même, qui assiégeait Numance, approuva le meurtre de son trop démocratique beau-frère.

Toutefois les trois commissaires, dont l'un était Caïus, frère cadet de Tiberius, se mirent en route, allèrent dans la Gaule cispadane et dans l'Italie méridionale, essayèrent de reconstituer dans la campagne l'antique et forte Italie qui avait vaincu Annibal. Ils arpentaient les terres publiques et les distribuaient[17]. Mais l'entreprise était difficile et ne pouvait s'accomplir sans beaucoup d'injustices, parce que l'antique ager publicus était malaisé à retrouver après tant d'années. Beaucoup de gens faisaient une vente simulée de terres quand ils en possédaient au delà de la mesure légale[18] ; d'autres avaient cultivé à grands frais les terres usurpées ; les documents de bien des ventes et cessions ne se retrouvaient plus[19]. Les propriétaires moyens, encore nombreux parmi les Latins et les alliés, souffraient particulièrement de ces recherches et de ces vérifications, et d'autant plus cruellement que dans ces années-là l'Italie, comme le dit Pline, commença à comprendre son intérêt[20]. Beaucoup de propriétaires à demi-ruinés s'ingénièrent à trouver des cultures plus lucratives, et ne pouvant plus vivre en cultivant, comme ils l'avaient fait jusque-là, la vigne et l'olivier pour leurs propres besoins, et le grain pour le vendre, ils songèrent au contraire à ne faire du grain que pour leur usage personnel et de l'huile et du vin pour les vendre. L'huile et le vin valaient davantage et pouvaient être plus facilement emportés et vendus au loin. Les grandes crises économiques de l'histoire ne sont pas résolues par des législateurs de génie, mais par les peuples eux-mêmes, qui en travaillant augmentent la richesse. Par malheur ce fut justement quand ils allaient se conformer à cette loi que beaucoup de propriétaires italiens, troublés dans leur œuvre par un législateur trop zélé, se virent offrir en échange d'une belle vigne un terrain marécageux. C'est pourquoi les Latins et les alliés recoururent à Scipion Émilien, bien disposé envers ces gens qu'il avait connus dans les guerres, et Scipion proposa au Sénat et fit certainement aussi approuver par le peuple une loi établissant que les consuls jugeraient à l'avenir au lieu des triumvirs des terrains publics et privés[21], de sorte que les triumvirs ne pouvant plus chercher de terres à partager, et les consuls, presque toujours opposés au parti populaire, laissant dormir les procès, l'exécution de la loi fut suspendue[22]. En 125 seulement, M. Fulvius Flaccus, membre de la commission agraire et ami de Tiberius, tenta, ayant été élu consul, de reprendre la réforme et proposa aux Latins et aux alliés de leur concéder le droit de citoyens[23], pour compenser les dommages que leur causait la révision de l'ager publicus. Mais il n'y réussit pas.

L'entreprise avortée de Tiberius fut recommencée dix ans plus tard par son frère Caïus, homme véritablement supérieur par la puissance et la grandeur de l'esprit. Caïus, qui était âgé de vingt et un ans quand Tiberius fut assassiné, avait donné durant les dix années suivantes un splendide exemple d'activité, de vertus privées et civiques à sa génération énervée. Il avait été membre de la commission agraire, et avait en diverses circonstances pris part aux luttes politiques qui avaient suivi la mort de son frère, et cherché à défendre sa mémoire et son œuvre. Il avait fait plusieurs campagnes et avait été questeur en Sardaigne, mais sans suivre l'exemple des jeunes élégants des grandes familles romaines ; il avait vécu au contraire comme les soldats et avait veillé à leur bien-être, dépensant son patrimoine au lieu de piller le pays et demeurant chaste[24]. Le métier militaire n'avait pu le distraire des études dont son esprit était si avide ; il avait même perfectionné cette éloquence que Cicéron admirait[25], tandis que les souvenirs des événements survenus après la mort de Tiberius et les longues méditations lui faisaient reprendre et mûrir les projets interrompus de son frère. Comme Tiberius, Caïus lui-même était pénétré de la nécessité de sauver une partie au moins de la vieille société ; mais ce dessein d'une réforme de restauration et de conservation commençait déjà, par la force des choses et comme il advient toujours de ces projets à ces époques critiques, à se transformer dans son esprit en une action révolutionnaire qui, au lieu de raffermir ce qu'il y avait de bon dans le passé, en aurait hâté la destruction. Le sort de son frère et de sa réforme avait démontré qu'on essayerait en vain de remédier aux maux de Rome sans avoir auparavant détruit ou du moins humilié la puissante faction des grands concessionnaires et des usurpateurs du domaine public ; que le plan de refaire une classe de propriétaires avec les gueux de Rome était trop simple et en réalité peu efficace. Caïus lui-même avait constaté, comme commissaire, quelle entreprise difficile, pleine d'injustice et de maux était la recherche de l'ager publicus. De plus, même en admettant que les nouveaux colons cultivassent avec zèle les terres distribuées, ce qui n'était pas sûr[26], il n'était pas facile de faire revivre chez ces quatre cent mille citoyens romains qui gouvernaient l'empire (le recensement de 125 en avait compté 391.375) les meilleures qualités de l'esprit antique. Le peuple romain était maintenant une petite oligarchie de propriétaires, de banquiers, d'entrepreneurs, de marchands, d'artisans, d'aventuriers et de loqueteux, avides de plaisirs et d'excitations, de gains subits, orgueilleux, turbulents, corrompus par la vie de la ville ; et cette oligarchie — il était inutile de se faire illusion — mettrait toujours son propre avantage et son plaisir au-dessus de toute réforme, même de la plus salutaire. Sans doute dans cette oligarchie un grand nombre de gens, et surtout le petit peuple pauvre, se plaignaient de la condition présente, mais seulement parce qu'ils ne pouvaient pas assouvir leurs désirs ; et si, pour donner cours à leur mécontentement et à leur haine contre les riches, ils approuvaient une réforme, ils n'étaient pas disposés, pour sauver l'État, à retourner à une vie plus laborieuse, plus honnête, plus simple. Et de nouvelles idées mûrissaient dans l'esprit de Caïus pendant les longues campagnes, loin de Rome.

Au retour de la dernière expédition en Sardaigne, quand le vaisseau qui le portait, ayant remonté le Tibre, jeta l'ancre à Rome, il trouva une grande foule qui l'accueillit par des applaudissements[27]. Peu à peu, quand la terreur de l'assassinat de Tiberius se fut dissipée, le petit peuple de Rome se prit à désirer un protecteur et un vengeur ; et ce frère de la victime, connu pour ses vertus et déjà poursuivi par la suspicion des grands, parut l'homme attendu. C'est ainsi que le jour arriva enfin où, entraîné par la mémoire de son frère, par les événements, par l'attente de la plèbe, par la malveillance de ses ennemis, par son génie, Caïus fit connaître le plan d'une réforme universelle, où il faisait entrer les idées de son frère, mais plus mûries, et aussi les siennes, toutes originales et hardies, quelques-unes même dangereuses. Élu tribun du peuple pour l'année 123 dans des comices auxquels prirent part un très grand nombre d'électeurs de la campagne[28], il tenta avant tout d'enlever à la faction des grands concessionnaires de terres publiques l'appui qui leur venait des autres classes[29]. Les capitalistes et les sénateurs s'accordaient aisément pour piller l'État ; niais comme les riches chevaliers par orgueil, par désir d'un pouvoir encore plus considérable, par avarice, supportaient mal désormais le pouvoir absolu qu'exerçaient dans l'État, dans les tribunaux, dans l'armée, tant de nobles dont ils payaient eux-mêmes les dettes ou les orgies, Caïus, reprenant une des idées de Tiberius, proposa une lex judiciaria par laquelle les commissions permanentes (quæstiones perpetuæ) qui jugeaient les accusations contre les gouverneurs et les autres crimes politiques seraient composées non plus de sénateurs, mais de chevaliers et seraient peut-être pourvues d'une juridiction plus large[30]. A la même époque un de ses collègues, Manius Acilius Glabrion, proposait une grande loi, la lex Acilia repetundarum, contre les concussions des gouverneurs. La loi judiciaire était précieuse pour les riches financiers, qui pourraient désormais juger même les sénateurs ; mais Caïus fit encore mieux leur affaire en faisant passer une loi qui réorganisa définitivement la nouvelle province d'Asie, le royaume de Pergame dont Rome avait hérité dix ans auparavant et qui, l'insurrection nationale une fois réprimée, était désormais une possession assurée pour Rome. Caïus, contrairement à ce qu'avait fait son père en Espagne, proposa d'instituer dans la province d'Asie l'impôt romain de la dîme sur tous les produits, l'impôt de la scriptura ou affermage des terrains publics, l'impôt des portoria ou douanes ; mais il ajouta que la perception de ces impôts serait affermée, non pas à des capitalistes de la région comme on faisait en Sicile, mais à Rome, par les soins des censeurs et à des capitalistes romains. L'intention de Caïus était de se servir des grosses sommes que l'État aurait tirées de ces fermages et d'une augmentation des droits de douane sur les objets de luxe importés d'Orient[31] pour gagner la faveur du petit peuple en écartant pour toujours cette demi-disette qui se voyait à Rome même pendant les années d'abondance ; il proposa dans la lex frumentaria que l'approvisionnement devint un service public et que l'État eût à fournir Rome de blé en le vendant au prix de faveur de six asses et un tiers le muid[32]. Il pensait peut-être aussi que ces grands achats publics de blé dans toute l'Italie feraient l'affaire des propriétaires, et qu'en décrétant à Rome la construction de vastes greniers on aurait donné du travail aux entrepreneurs et aux ouvriers[33]. Puis, pour plaire aux citoyens et aux pauvres, il proposa de remettre en vigueur les lois de Tiberius, et de rendre aux triumvirs, par une lex agraria, le pouvoir de décider si un terrain était propriété publique ou privée[34]. Il y joignit, en reprenant sans doute une idée de son frère, une lex militaris, qui fixait à dix-sept ans l'âge minimum pour être enrôlé et d'après laquelle le soldat serait habillé non plus à ses frais, mais à ceux du Trésor public[35]. Il proposa enfin dans une lex viaria un grand projet de nouvelles routes à faire dans différentes parties de l'Italie et spécialement dans l'Italie méridionale, à la fois pour donner du travail aux entrepreneurs et aux ouvriers et pour favoriser la vente des produits agricoles.

En proposant ainsi aux comices tant de choses dont les unes plaisaient aux riches financiers ; les autres ou aux fermiers, ou aux citoyens pauvres, ou aux propriétaires, Caïus put facilement faire approuver tous ses projets[36] et inaugurer cette politique des intérêts mercantiles que le parti démocratique devait continuer pendant tout un siècle avec une énergie croissante. Cependant, par une illusion singulière, Caïus croyait pouvoir user de cette politique pour arriver à un but fort différent, le retour au moins partiel de la société romaine à sa forme et à sa simplicité primitives. Réélu tribun l'année suivante avec une grande majorité, il en vint à des propositions plus hardies. Trop d'artisans, de marchands, d'artistes, de savants, d'aventuriers, de mendiants accouraient à Rome de partout ; il en résultait des inconvénients sans nombre ; l'approvisionnement surtout était difficile ; le pain, les loyers étaient chers, et la foule misérable ; tandis que dans d'autres régions de l'Italie beaucoup de villes et de campagnes se dépeuplaient. La lex frumentaria n'était pas un remède sans dangers, tant devenait grande avec elle la dépense pour le Trésor public, auquel la guerre d'Espagne avait déjà porté atteinte. Rome étant trop peuplée, il fallait donc engager un certain nombre de ses financiers et de ses marchands à aller s'établir dans d'autres villes où une partie du petit peuple les eût suivis abandonnant la métropole. Caïus songeait à trois points de la côte méditerranéenne ; Squillace, Tarente et Carthage. Il y avait déjà à Squillace une douane pour les importations d'Asie ; Tarente avait été longtemps célèbre pour son commerce et sa richesse. Les marchands qui de Rome faisaient le commerce avec la Grèce, la Macédoine et l'Orient n'auraient-ils pas pu résider à Tarente et à Squillace plus commodément qu'à Rome ? Après la destruction de Carthage, Rome avait absorbé le commerce de Carthage ; ceux des commerçants romains dont le trafic se faisait surtout en Afrique auraient eu aussi intérêt à y résider. De fait, un grand nombre d'entre eux s'étaient déjà établis à Cirta. Ne pouvait-on bâtir sur les ruines de la Carthage punique une Carthage romaine à laquelle on eût donné le nom de ville de Junon ? Il proposa de fonder à Squillace, à Tarente, à Carthage trois colonies formées non pas d'indigents, comme autrefois, niais de gens aisés[37], marchands ou capitalistes, à qui on aurait concédé de vastes territoires pour les engager à quitter Rome.

Ces lois furent encore approuvées, non sans difficulté, semble-t-il, car on ne pouvait réduire la population de Rome sans léser beaucoup d'intérêts. Mais Caïus, de plus en plus passionné pour ses projets, en vint à exprimer l'idée suprême qu'il avait longtemps méditée en silence ; les droits de citoyen romain seraient accordés, comme l'avait déjà proposé M. Fulvius Flaccus à tous les Italiens[38] ; il comptait par cette loi faire participer dans une plus grande mesure aux bénéfices et aux responsabilités de l'empire toute la population italique, plus nombreuse et moins corrompue ; on rendrait ainsi des forces à la petite oligarchie de Rome, qui, avilie et diminuée, ressemblait à une mince colonne rongée par les années sur laquelle d'imprudents architectes faisaient peser une immense bâtisse qui grandissait sans cesse. Tel était le vaste dessein de Caïus ; Rome serait la tête d'une vivante nation italique ; l'empire reposerait non pas sur une oligarchie municipale et de marchands corrompus, mais sur des classes rurales ; on relèverait les villes détruites et déchues qui avaient été jadis des foyers de civilisation et de commerce ; on ferait une meilleure répartition dans les différents pays de la population et de la richesse qui, affluant à Rome, menaçaient pour ainsi dire d'une congestion ce cerveau de l'empire. C'était bien l'œuvre historique de Rome que Caïus avait entrevue ; mais il avait cru pouvoir l'accomplir lui tout seul, se substituer à six générations qui devaient encore travailler à cette tâche immense.

En réalité d'aussi magnifiques idées étaient encore prématurées. Le projet d'accorder les droits de citoyen romain aux Italiens ne fut du goût de personne, pas plus de la noblesse que du petit peuple ; celui-ci craignait qu'en augmentant le nombre des citoyens[39] on n'amoindrit le profit des guerres et des élections, et aussi les jeux et les divertissements publics. La faction des grands propriétaires profita de l'occasion et par d'habiles intrigues changea en haine la popularité dont avait joui Caïus. Certains auteurs disent qu'aux élections de 121 il ne fut même pas réélu ; selon d'autres, il eut une majorité si faible qu'il fut facile, en faussant le scrutin, de déclarer qu'il ne l'était pas. Caïus revint à la vie privée après son second tribunat et se tint à l'écart jusqu'au jour où, ses ennemis ayant proposé de supprimer la colonie de Carthage, il voulut parler dans les comices. Cette fois encore de part et d'autre les esprits étaient excités ; il en résulta des scènes violentes ; les ennemis de Caïus coururent au Sénat pour demander que l'état de siège fût décrété, et alarmèrent les sénateurs honnêtes et modérés ; puis soudain, l'état de siège ayant été décrété, le consul Lucius Opimius fit massacrer Caïus et ses partisans.

Si le sort du réformateur fut tragique, le sort de sa réforme fut étrange. Elle devait être un remède et elle devint un poison ; elle devait conserver la partie la meilleure de la vieille société, et au contraire elle en avança la décomposition. Le luxe, la haine du travail, l'orgie, la débauche, l'ivresse avaient déjà augmenté après la destruction de Carthage et de Corinthe ; mais ce fut bien pis quand Rome eut pris possession de l'héritage du roi de Pergame. L'année même où mourait Caïus Gracchus, les vignes plantées dix ans auparavant donnèrent une copieuse récolte, dont une partie fut portée à Rome, où l'on ouvrit des cantines dans toutes les rues[40]. Tout le monde, les nobles, les riches, les grands et les petits propriétaires achetèrent des esclaves, dont le commerce s'accrut considérablement[41]. Le mobilier du roi de Pergame, apporté à Rome et vendu aux enchères, fut disputé par une foule d'amateurs passionnés et, dispersé dans les riches maisons de Rome et d'Italie, y répandit le goût des meubles somptueux, des tableaux, des statues, des vaisselles d'or et d'argent[42]. Avec les besoins, dans l'aristocratie romaine et italique, les dettes augmentèrent. C'est toujours ce qui arrive quand une ploutocratie de parvenus surgit en face de l'aristocratie historique, et veut avec sa fortune avoir le pas sur les anciennes familles nobles. A l'exception d'un petit nombre de familles qui s'enrichirent grâce à l'habile avarice d'un de leurs membres, comme les Licinius Crassus, les Pompée, les Metellus[43], dans les autres familles nobles grandissaient des jeunes gens débauchés, vicieux, orgueilleux, parfois avides de science et d'art, toujours prodigues et dissipateurs. Les chevaliers, au contraire, s'enrichirent avec les dépouilles de l'ancien royaume de Pergame. Caïus, avec la loi sur l'Asie, avait créé une affaire nouvelle et très lucrative pour les capitalistes romains. De nombreuses sociétés se formèrent à Rome pour affermer ces impôts, et d'habiles financiers y engagèrent leurs capitaux, inaugurant ainsi, après l'expansion militaire et mercantile, l'expansion financière de l'impérialisme. Dans toutes les familles de la classe moyenne — elles devaient encore être nombreuses, bien qu'il soit probable que la fécondité diminuait de génération en génération —, beaucoup d'enfants rebutés de la pauvreté champêtre abandonnaient la maison paternelle ; ils allaient à la ville voisine ou à Rome pour y vivre d'un métier ou d'un trafic ; ils s'enrôlaient volontairement ou étaient pris par le recrutement et parcouraient le monde à la recherche de la fortune. Les colonies de marchands italiens devinrent plus nombreuses dans la Méditerranée et il s'en forma une à peu près à cette époque à Alexandrie[44]. Beaucoup d'Italiens émigrèrent en Asie ; ils s'y livrèrent, auprès des grandes compagnies de publicains, à la petite usure, et ils y firent aussi le commerce des esclaves et des produits asiatiques, qui étaient de plus en plus demandés à Rome. Délos devint florissante et fut peuplée de riches marchands italiens, grecs, syriaques et juifs. Souvent les pères eux-mêmes, ne voulant pas pour leurs enfants de leur propre médiocrité, les envoyaient, au risque de s'endetter, étudier à la ville voisine, afin qu'ayant appris à bien parler ils pussent devenir avocats, se faire connaître, s'attirer la protection d'hommes riches et puissants qui les aideraient à se faire élire magistrats[45]. Ainsi se perdait cette classe moyenne de propriétaires et de paysans qui avait défriché une si grande partie de la péninsule et qui avait vaincu Annibal. Dans toute l'Italie les petites propriétés se fondaient en de vastes possessions terriennes entre les mains d'acquéreurs cupides qui y substituaient les esclaves aux travailleurs libres, devenus paresseux, ambitieux et querelleurs ; et la population libre des campagnes émigrait pour aller chercher fortune dans les villes d'Italie ou dans les provinces et aussi pour aller chercher la puissance à Rome, où jusque-là un petit nombre de privilégiés étaient préteurs, consuls, sénateurs de père en fils[46]. Mais la force des traditions aristocratiques diminuait, elle aussi, et au milieu de cette aristocratie en dissolution qui dans la débauche perdait la fortune, l'énergie, les belles vertus des aïeux, on vit, après la mort de Caïus Gracchus, apparaître des self made men. Tel était Marcus Æmilius Scaurus. Fils d'un simple marchand de charbon, il appartenait à l'ordre équestre, et à force d'études, de flatteries, de services rendus à l'oligarchie corrompue, et tout en affectant habilement l'austérité et la vertu, il avait déjà su arriver à de hautes charges au moment de la mort de Caïus Gracchus, dont il avait été le violent adversaire, et il se préparait à briguer le consulat qu'il obtint, en effet, en 115[47]. Très différent de lui était Caïus Marius, homme d'une intelligence vive, mais peu cultivé, de mœurs simples mais ambitieux lui aussi et très énergique. Obscur chevalier[48] d'Arpinum, il semble avoir été d'abord un fermier de peu d'importance ; puis, ayant abandonné les affaires, il était entré dans la carrière militaire et dans la politique. Il s'était distingué au siège de Numance, et son mérite militaire lui valut d'être élu tribun du peuple en 119 ; il n'avait ni parents, ni clientèle, ni fortune ; mais il n'hésita pas non plus à mécontenter la noblesse et la plèbe, et il affronta avec indifférence et pour ainsi dire avec mépris la haine de tous les partis[49]. Tels étaient, avec des caractères différents, les deux champions les plus fortunés de la nouvelle bourgeoisie italique qui, secouant le joug séculaire de la noblesse, se formait dans les anciennes classes moyennes, avec l'ambition d'étendre sa puissance sur l'Italie et sur le monde. Les citoyens passaient d'une ville à l'autre et se mêlaient ; les mariages devenaient fréquents entre personnes de villes différentes, ainsi que les relations d'amitié ou d'affaires et les associations commerciales ; le latin se répandait et devenait la langue de tous ; on contractait partout en Italie les mêmes habitudes ; on s'adonnait aux mêmes vices ; on étudiait la même philosophie grecque, la même rhétorique et la même éloquence latines.

Cependant les efforts que faisait la noblesse en décomposition pour ne pas tomber, et ceux que la nouvelle bourgeoisie faisait pour s'élever, accéléraient la ruine de l'ancienne société. Dans le désordre de cette décomposition et de cette recomposition sociale, tous les égoïsmes personnels de famille, de clientèle, de parti et de classe s'abattirent sur l'Italie avec une violence terrible. On manquait de soldats et d'argent ; le recrutement devenait de plus en plus difficile ; les finances de l'État, malgré les revenus considérables de la province d'Asie, furent bientôt ébranlées par les dépenses que nécessitaient l'approvisionnement de blé[50] et l'habillement militaire décrétés par Caïus Gracchus. La politique extérieure subit le contre-coup de cette décadence militaire et elle devint partout incertaine, timide, incohérente. On ne fit plus de conquêtes à moins qu'on n'y fût contraint ; on cessa de surveiller attentivement les États indépendants et voisins. Mal-tresse des anciens États du roi de Pergame, Rome avait bientôt étendu sa domination à l'intérieur de l'Asie Mineure, avec un vaste système de clientèle. Elle avait facilement imposé sa protection aux républiques de Rhodes, de Cyzique et d'Héraclée et à la confédération des républiques de Lycie et des États galates[51]. Mais elle négligea le vaste royaume du Pont qui s'étendait, baigné par la mer Noire au delà de ces États et qui s'était formé au commencement du troisième siècle avant Jésus-Christ, pendant la décomposition de l'empire d'Alexandre, avec des populations différentes de langue, de coutumes et de race, sous la dynastie des Mithridates, noble famille persane qui s'était hellénisée. De 125 à 121 pour secourir Marseille son alliée, et pour conserver les communications entre l'Italie et l'Espagne menacées par les Gaulois indépendants, Rome avait fait la guerre aux Arvernes, dont le roi Bituitus avait fondé une sorte d'empire gaulois en se faisant reconnaître comme chef suprême par bon nombre des populations celtiques qui vivaient entre les Alpes et le Rhin. l3ituitus avait été vaincu et fait prisonnier ; l'empire arverne avait été détruit, mais Rome s'était contentée de contracter une alliance avec les principaux peuples gaulois, les Éduens entre autres, et de réduire en province romaine la Gaule narbonnaise, c'est-à-dire la partie de la France comprise entre les Alpes et le Rhône. En 124, un Metellus avait conquis les Baléares ; mais on cessa bientôt de guerroyer contre les tribus barbares des frontières ou des pays déjà conquis. Le butin des guerres vint ainsi â manquer au moment même où augmentaient les besoins de la noblesse et de la classe moyenne, et l'Italie fut bientôt la proie de ses appétits. Le parti des grands propriétaires mettant vite à profit la puissance qu'il recouvrait après la mort de Caïus avait fait, l'année même du massacre, approuver parle Sénat une loi établissant que les terres désignées par les triumvirs pourraient être vendues ; et les comices deux ans après, en 119, avaient décidé que les lois agraires des Gracques seraient abolies, en prescrivant toutefois comme compensation que les sommes produites par le fermage des biens publics seraient distribuées au peuple[52]. Mais on tenta bientôt quelque chose de plus hardi. Effrayés par la révision des fermages ordonnée par les Gracques, un grand nombre de gens qui avaient commencé à faire des dépenses sur les terres publiques pour les cultiver voulaient être rassurés ; beaucoup de propriétaires tourmentés par leurs dettes et par la cherté croissante de la vie étaient anxieux de trouver une source nouvelle de revenus ; enfin beaucoup de gens que les Gracques avaient envoyés dans leurs colonies se rebutaient de la vie simple de la campagne et désiraient pouvoir vendre les terres qui leur avaient été assignées par les triumvirs. Une loi habilement élaborée en 111 par le tribun du peuple Spurius Thorius[53] donna satisfaction à tous. Par cette loi étaient déclarées propriété privée, c'est-à-dire inscrites dans le cens et pouvant être vendues, transmises par donation ou par héritage, les terres publiques dont les triumvirs avaient jugé la propriété légitime, cela jusqu'à 500 arpents par père de famille et autant pour ses fils[54] ; il en était de même pour les terres publiques données en compensation de celles qui avaient été reprises lors de la révision[55] ; de même aussi des terres qui avaient été distribuées d'une façon ou d'une autre à la suite des lois des Gracques[56] ; de même enfin pour les terres publiques qui avaient été occupées après les lois des Gracques, jusqu'à concurrence de trente arpents, à condition qu'elles eussent été mises en culture[57]. On abolissait en outre, en ce qui concernait ces terres publiques, la juridiction des triumvirs si gênante pour les gros propriétaires, et on la confiait à des magistrats, consuls, préteurs, censeurs, qui, par tradition, étaient presque toujours choisis parmi la noblesse. Enfin le bénéfice de la loi allait non seulement aux citoyens romains, mais aussi aux Latins et aux alliés[58]. Ainsi la loi put être approuvée. Les terres publiques converties en propriété privée augmentèrent aussitôt de valeur ; les propriétaires endettés purent vendre les champs dont ils n'avaient auparavant que les produits ; ceux qui avaient commencé à mettre des capitaux dans les terres furent rassurés, et les transactions sur les propriétés reprirent activement. Cependant l'État, déjà appauvri, perdait ainsi une grande partie de ce vaste domaine qui lui avait été d'un grand secours dans les vicissitudes des siècles passés. La loi pouvait donc paraître aux hommes clairvoyants et elle était en effet, dans l'intention de ses auteurs, un assaut donné au patrimoine public par des convoitises privées. Personne ne pouvait en prévoir les conséquences qui devaient être considérables et bienfaisantes. Cette loi en effet détruisit les derniers vestiges de l'ancien communisme agraire ; presque tout le sol de l'Italie devint propriété privée à la suite d'une révolution économique analogue à celle qui eut lieu au siècle dernier en Europe, quand on vendit à des particuliers les biens de mainmorte. Cela prouve une fois de plus que les œuvres des personnages de l'histoire doivent être jugées d'après les intentions et les motifs plutôt que d'après les résultats que souvent leurs auteurs eux-mêmes n'avaient pas prévus.

Mais si l'aristocratie en dissolution et la bourgeoisie en formation dilapidaient ensemble, en Italie, le domaine séculaire de Rome, l'aristocratie dilapidait au dehors, dans la même impatience d'appétits violents, un patrimoine encore plus précieux, le prestige de Rome dans le monde. Nulle classe ne perd plus complètement le sens du bien et du mal qu'une aristocratie endettée, besogneuse, envieuse de la ploutocratie de millionnaires récents, anxieuse de conserver le premier rang, le luxe, la facilité des jouissances qui disparaissent avec la pauvreté. Rome avait vu bien des scandales dans son aristocratie ; des juges qui s'étaient vendus ; des gouverneurs qui avaient commis des exactions ; des sénateurs qui avaient volé des terres publiques ; Lucius Cornelius Sylla, le dernier descendant d'une famille très noble mais déchue, homme intelligent et cultivé qui perdait son temps au milieu des mimes, des bouffons, des chanteurs, des danseurs, et qui avait refait la fortune de sa famille en héritant d'une courtisane grecque[59]. Mais le respect que l'on porta à une aristocratie très vieille, ainsi que l'admiration que l'on a pour un état qui a été puissant pendant des siècles persistent chez les hommes longtemps après que la décadence a commencé, et c'est ainsi que Rome se faisait encore illusion sur sa noblesse, comme se fait peut-être illusion aujourd'hui un pays dont l'aristocratie va à une ruine semblable, je veux dire l'Angleterre. borne ignorait quels progrès avaient fait depuis vingt ans dans la noblesse contemporaine des Gracques la fièvre malsaine des voluptés, des jouissances insatiables, la vénalité, l'agiotage, le cynisme. Le scandale d'Afrique commencé en 412 devait révéler tout d'un coup à Rome toutes ces horreurs. Micipsa, roi de Numidie, lorsqu'il était mort en 118, avait laissé comme régent et comme tuteur de ses deux fils légitimes Jugurtha, son fils bâtard, homme rusé et ambitieux ; mais bientôt Jugurtha pour régner seul avait tué un de ses frères et était entré en guerre contre l'autre, suscitant des troubles dans lesquels le gouvernement romain dut intervenir. On vit alors cet État qui avait abattu Annibal et réduit Carthage en cendres, vieilli brusquement au point de ne pouvoir avoir raison d'un chef de tribus barbares et nomades, et cela parce que celui-ci achetait les commissaires envoyés pour épier ses manœuvres, les sénateurs chargés de le juger, les généraux qui devaient le combattre, si bien qu'on eut beaucoup de peine à trouver dans la noblesse un homme, un Metellus qui lui fît vraiment la guerre, au lieu de lui escroquer de l'argent. Ce formidable scandale de l'aristocratie mit soudain le feu à toutes les passions démocratiques qui couvaient sourdement depuis trente ans dans la classe moyenne, dans le petit peuple, parmi les riches financiers, détruisit le respect de la noblesse déjà affaibli par l'esprit inquiet de l'époque, par les ambitions nouvelles et par la diffusion de la philosophie grecque, particulièrement du stoïcisme qui enseignait que tous les hommes sont égaux ; et l'effet s'en fit sentir aux élections des consuls pour l'année 107. Marius pendant ce temps avait été préteur et propréteur en Espagne ; il s'était enrichi et apparenté avec la famille patricienne mais un peu obscure des Jules, en épousant la sœur d'un Caïus Julius César, noble mais peu illustre[60], et il servait alors comme legatus dans l'armée de Metellus en Afrique ; mais il s'y trouvait mal à l'aise parce que les nombreux nobles qui occupaient les hauts commandements ne perdaient pas une occasion d'humilier cet obscur chevalier, cet ancien fermier, ce bourgeois, comme nous dirions aujourd'hui, parvenu à une si grande renommée[61]. Irrité par ses provocations, enhardi par l'état de l'esprit public en Italie, Marius demanda au généralissime d'aller à Rome briguer le consulat pour l'année 107. Metellus, qui était un honnête homme, mais qui partageait lui aussi les préjugés aristocratiques, chercha à le décourager et à l'empêcher de partir ; Marius s'en offensa ; consul et légat se brouillèrent et la fortune de Marius se fit ainsi. Quand on sut à Rome que Metellus ne voulait pas qu'un soldat d'une aussi grande valeur tilt consul, simplement parce qu'il n'était pas noble. Marius devint l'idole des artisans, des paysans, de la classe moyenne, et des financiers[62] ; et il fut élu. Alors il voulut avoir et il obtint le commandement qui avait été confié à Metellus ; mais avant de partir pour l'Afrique il fit, en sa qualité de consul, une grande innovation dans la levée des soldats ; il enrôla même les pauvres qui n'étaient inscrits dans aucune des cinq classes de propriétaires et qui, selon la vieille constitution, n'avaient pas le droit de porter les armes[63]. Les marchands, les fermiers, les riches propriétaires qui composaient les cinq classes n'avaient plus guère d'aptitude ni de goût pour le service militaire. Depuis trente ans les esprits éclairés sentaient la nécessité urgente de refaire une armée solide ; c'était dans ce but que les Gracques avaient tenté leurs réformes. Marius, sans différer, prit des mesures radicales ; il usa d'un procédé plus hardi, plus rapide, plus révolutionnaire. Au lieu de travailler à. de pénibles et vaines réformes pour rendre des forces à la classe moyenne des campagnes qui était l'ancienne pépinière de soldats, il prit ses recrues dans la plèbe infime et pauvre des villes et des champs, sans se rendre compte probablement de tous les changements qu'une semblable innovation entraînerait dans l'organisation militaire et dans la politique de Rome[64].

Marius vainquit enfin Jugurtha, avec l'aide de Boccus, roi de Mauritanie, et de son questeur Sylla, qui dans cette guerre fit preuve d'une vigueur physique, d'une énergie, d'une sûreté de jugement et d'une habileté diplomatique que l'on n'aurait jamais pu soupçonner chez un jeune homme aussi dissolu. Jugurtha fut conduit à. Rome enchaîné. Une partie de son royaume fut ajoutée à la province d'Afrique ; une autre partie fut donnée à Boccus ; une autre enfin à un frère de Jugurtha. Mais cette victoire avait coûté sept années de négociations et de guerre ; c'était trop pour un aussi grand empire aux prises avec un aussi petit roi. Et cependant l'Italie était tellement affaiblie par la terrible décomposition sociale que peu de temps après elle parut incapable de surmonter deux dangers nouveaux et imprévus. Dans ce royaume du Pont qui était resté jusque-là presque ignoré des Romains était monté sur le trône, en 111, un jeune souverain ambitieux et intelligent du nom de Mithridate Eupator qui, aidé par Diophante, Grec habile de Sinope, avait su en peu d'années se faire admirer en Orient comme le héros de l'hellénisme en lutte avec les Barbares. Il avait sauvé les colonies grecques de la mer Noire de la domination des Scythes et il avait conquis la Crimée ; puis, encouragé par ce premier succès, il avait cherché à réduire en son pouvoir tout le bassin oriental de la mer Noire, à étendre à l'intérieur le vieux royaume du Pont jusqu'à l'Euphrate ; à entrer en relations avec les populations barbares des Sarmates et des Bastarnes qui erraient entre le Danube et le Dniéper, avec les tribus gauloises qui étaient restées dans la vallée du Danube, avec les Thraces et les Illyriens[65]. Les rois scythes chassés de Crimée étaient accourus à Rome pour y demander du secours, et à Rome déjà on commençait à tourner son attention sur le jeune roi[66]. Mais là-dessus une nouvelle et terrible calamité s'abattit sur l'Italie. L'an 105 le proconsul Quintus Servilius Cépion et le consul Cneius Manlius Maximus, appartenant l'un et l'autre à l'aristocratie, furent envoyés pour refouler une invasion des Cimbres et des Teutons, à qui la destruction de l'empire arverne avait ouvert la Gaule et qui, après avoir dévasté ce pays menaçaient maintenant l'Italie. Mais les deux généraux romains étaient hostiles l'un à l'autre ; n'ayant pas su, même en présence de l'ennemi, faire trêve à leurs dissensions intestines, ils furent vaincus tous les deux par les barbares. Alors Mithridate, qui depuis quelque temps préparait une alliance avec le roi de Bithynie, envahit, au printemps de 104, à ce qu'il semble, la Paphlagonie et en chassa les souverains qui accoururent à Rome pour y demander main forte, à titre de clients de la république. Mithridate eut alors recours aux moyens employés par Jugurtha et envoya à Rome des ambassadeurs avec la mission de corrompre le Sénat[67]. Mais à Rome le dégoût qu'inspiraient les scandales africains, le succès du héros populaire dans la guerre contre Jugurtha, la défaite des généraux aristocrates dans la guerre cimbrique, avaient reporté toute la faveur publique sur le parti populaire, qui accablait d'accusations et de menaces la noblesse historique de Raine, et l'avait déjà contrainte à accepter, après trois ans, la réélection au consulat de Marius qui seul, selon l'opinion populaire, avait su vaincre les Cimbres. Cette fois les ambassadeurs de Mithridate, venus pour corrompre les grands de Rome, furent poursuivis par des démonstrations populaires suscitées par un ardent démagogue, Lucius Appuleius Saturninus, alors tribun du peuple[68]. Le Sénat, pour calmer le peuple, dut envoyer une mission en Orient et charger lé préteur Antoine de veiller sur la province de Cilicie ; celui-ci, corrompu par l'or du Pont, non seulement n'obligea pas Mithridate et Nicomède à évacuer la Paphlagonie, mais il leur laissa encore occuper la Galatie[69]. Par bonheur, grâce au héros populaire, les choses allaient mieux dans le Nord. Les Cimbres et les Teutons, qui avaient défait les deux consuls, n'envahirent pas immédiatement l'Italie, mais se replièrent sur la Gaule et sur l'Espagne. Marius eut ainsi le temps de poursuivre ses réformes militaires. Il abolit l'ordre des manipules, et en même temps la distinction entre les légions de citoyens romains et les cohortes d'alliés. Il organisa les légions de la même façon que les contingents italiques, par cohortes qui, plus compactes, plus pesantes et plus uniformes que les manipules, pouvaient être composées de soldats de moindre valeur, comme ceux qui se recrutaient dans la lie de la population. Il perfectionna les armes, le pilum et les bagages. Il entraina activement la nouvelle milice. Tandis qu'il préparait ainsi la revanche, le parti populaire allait à Rome de triomphe en triomphe. Bravant la haine de la noblesse, il faisait, malgré les lois, élire Marius au consulat d'année en année. Il faisait approuver des procédures plus sévères contre les gouverneurs déshonnêtes. Les collèges sacerdotaux, qui jusque-là avaient été renouvelés au choix dans un petit nombre de familles nobles, durent se former par élection populaire. Tous les ambitieux courtisaient ce parti ; les riches financiers lui étaient favorables ; il n'était pas jusqu'aux conservateurs modérés qui ne vinssent à considérer avec bienveillance son programme de réformes sociales et politiques. Il était même de mode[70] d'être partisan de ces lois agraires que l'on proposait toujours et que l'on n'avait jamais mises en vigueur. Beaucoup de gens se reprenaient à espérer que le salut pour leur malheureux pays viendrait de ce parti, qui avait hérité des traditions des Gracques. Pour confirmer ces espérances le héros de ce parti accablait deux fois les Barbares, à Aix en l'an 102, et aux Campi Raudi l'année suivante. Il débarrassait enfin l'empire de ces hordes, et était salué du titre de troisième fondateur de Rome, après Romulus et Camille.

 

 

 



[1] DURUY, H. R., II, 393.

[2] NITZSCH, G. V., 294.

[3] SICULUS FLACUS, De cond. agr., 136, 7.

[4] LANGE, R. A., 3, 7. — PLUTARQUE, Tib. Gr., 9. Cf. C. I. L., I, 551.

[5] PLUTARQUE, Tib. Gr., 8.

[6] C. I. L., I, 87.

[7] Cette clause ne nous a été transmise par aucun historien mais il me semble nécessaire de la supposer pour expliquer ce que rapporte APPIEN, B. C., I, 18, à savoir que les Latins et les Italiens se plaignirent d'avoir à produire les documents des assignations et des achats ; que souvent aussi les terres, qu'ils avaient occupées sans assignation, s'étaient confondues avec les terres assignées, au point de ne plus pouvoir les distinguer.

[8] APPIEN, B. C., I, 11. — PLUTARQUE, Tib. Grac., 9. — DURUY, H. R., II, 395, n. 2.

[9] Cette supposition aussi me semble nécessaire pour expliquer ce passage d'APPIEN, B. C., I, 18, dans lequel il est dit que les propriétaires latins et italiens se plaignaient qu'on leur donnât des terres incultes en échange de leurs terres cultivées, ce qui montre qu'ils participaient à la nouvelle distribution. Si on admet que parmi les Latins et les Italiens les petits propriétaires étaient plus nombreux que parmi les citoyens romains, tout s'explique et la clarté de l'explication renforce à son tour l'hypothèse. Tiberius Gracchus, qui entendait reconstituer la petite propriété, ne pouvait pas vouloir ruiner les petits propriétaires italiens et latins qui fournissaient tant de bons soldats.

[10] APPIEN, B. C., I, 9. — TITE-LIVE, P., 58. Selon Tite-Live, le pouvoir de décider si les terres seraient privées ou publiques fut ajouté après une nouvelle loi. Cf. LANGE, R. A., III, 13. — LANDUCCI, Histoire du droit romain, Padoue, 1895, I, 402, la reporte à l'année 129, c'est-à-dire après la mort de Tiberius.

[11] APPIEN, B. C., I, 14.

[12] NEUMANN, G. R. V., 166.

[13] PLUTARQUE, Tib. Gr., 15. — VALÈRE MAXIME, III, 2, 17.

[14] PLUTARQUE, Tib. Gr., 14.

[15] PLUTARQUE, Tib. Gr., 16.

[16] Cf. sur la catastrophe l'analyse minutieuse des sources faite par MEYER, U. G. G., 24 et suiv.

[17] BERNABEI dans Notizie degli scavi., mars 1807, C. I. L., I, 552-556. L'inscription plus récente, C. I. L., I, 583, se rapporte l'œuvre des tribuns dans la Gaule cispadane.

[18] APPIEN, B. C., I, 18.

[19] APPIEN, B. C., I, 18. — Cf. l'excellent travail de CALLEGARI, L. S. C., 35.

[20] Je place entre 130 et 120 avant Jésus-Christ le commencement de cette transformation agraire de l'Italie, et je m'appuie sur le très important passage de PLINE, H. N., XIV, 14, 94. Pline dit qu'en 121 on vit pour la première fois à Rome, par la grande abondance de vin, l'effet de cette transformation des cultures. Le changement dut donc commencer une dizaine d'années auparavant, si l'on considère la croissance lente de la vigne. Pline ne parle pas des oliviers, mais puisque l'olivier, comme nous le verrons, fut, avec la vigne, la culture la plus prospère de la nouvelle agriculture, et puisqu'on voit déjà dans Caton tomber la culture des grains et prospérer la culture des olives (MAX WEBER, R. A. G., 223), il n'est pas arbitraire de supposer que les progrès des deux cultures furent contemporains.

[21] LANGE, R. A., III, 22.

[22] NEUMANN, G. B. V., 215, 216.

[23] LANGE, R. A., III, 26. — MEYER, U. G. G., 17.

[24] AULU-GELLE, XV, 12.

[25] CICÉRON, Brut., 33, 125.

[26] Il ne nous est pas possible de savoir l'effet des attributions faites après la loi de Tiberius. Selon TITE-LIVE, Per., 59 et 60, le nombre des citoyens romains, qui en 130 étaient 318.823, s'était élevé à 394.726 en 124 ; augmentation que BELOCH, I. B., 82. attribue aux partages des Gracques. Mais BELOCH, dans le B. A., IV, 351, pense que le second chiffre est erroné et doit se lire 294.726, auquel cas il y aurait eu diminution. — Cf. I. BLASEL, Die Motive der Gesetzgebung des C. Sempronius Gracchus, Trieste, 1878. — LANGE, R. A., III, 27.

[27] DIODORE DE SICILE, X XXIV, fr. 24.

[28] PLUTARQUE, C. Grac., 3.

[29] L'ordre dans lequel furent présentées les lois durant les deux tribunats de Caïus et surtout leur distribution furent l'objet de grandes discussions, car PLUTARQUE, C. Grac., 4-6 ; APPIEN, B. C., I, 21-23 ; TITE-LIVE, Per., 60 ; VELLEIUS, II, 6, racontent les choses d'une façon fort différente. Cf. CALLEGARI, L. S. C., 53 et suiv. Le mieux est par conséquent, comme l'a fait Callegari, d'inférer d'après l'esprit des lois l'ordre de toute la législation, parce que dans le système si logique de la législation de Caïus. les lois qui servirent de préparation précédèrent naturellement celles qui étaient le but final.

[30] Cf. TITE-LIVE, Épit. 60 ; APPIEN, B. C., I, 22 ; FLORUS, III, 13 ; TACITE, Annal., XII, 60 ; DIODORE DE SICILE, XXXIV, fr. 25 ; PLUTARQUE, C. Grac., 5. Sur les textes discordants de ces auteurs et sur les conjectures possibles pour les accorder, cf. CALLEGARI, L. S. C., 104 et suiv.

[31] VELLEIUS, II, 6.

[32] APPIEN, B. C., I,21 ; TITE-LIVE, Per., 60 ; PLUTARQUE, C. Gr., 5 (selon lui toutefois les pauvres seuls auraient profité de cette faveur).

[33] APPIEN, B. C., I, 23.

[34] C'est ce qu'on peut conclure d'un passage de TITE-LIVE, Per., 60, où il est dit que la lex agraria de Caïus était la même que celle de Tiberius. Cf. NEUMANN, G. B. V., 236 ; CALLEGARI, L. S. C., 80 et suiv.

[35] PLUTARQUE, C. Gr., 5.

[36] DIODORE DE SICILE, XXXIV, fr. 25.

[37] Ce point très capital, qui éclaire toute la pensée de Caïus et qui nous montre bien ce qu'il attendait des colonies, nous est rapporté par Plutarque, C. Gr., 9. CALLEGARI, L. S. C., 99, en a compris toute l'importance.

[38] VELLEIUS, II, 6 ; APPIEN, B. C., I, 23 ; PLUTARQUE, C. Gr., 5 ; CICÉRON, Brutus, 26, 99. Les détails de la proposition sont mal connus.

[39] MEYER, Orat. rom., frag. (Tubingue, 1842), 201.

[40] PLINE, H. N., XIV, 96.

[41] Ce fait important nous est rapporté par STRABON, XIV, V, 2.

[42] PLINE, H. N., XXXIII, XI, 148.

[43] Cf. DRUMANN, G. R., II, 37 et suiv. ; IV, 70 et suiv. ; 318 et suiv.

[44] HOMOLLE, B. C. H., VIII, 527.

[45] Nous connaissons deux cas de jeunes gens de la classe moyenne que l'on a ainsi envoyés faire leurs études ; Sertorius (PLUTARQUE, Sert., 2) et M. Æmilius Scaurus (AURELIUS VICTOR, De vir. ill., LXXII, 1 ; VALERIUS MAXIMUS, IV, IV, 41 ; DRUMANN, G. R., I, 2, 18 et suiv.). Ce ne sont pas deux cas isolés, mais deux cas typiques d'un phénomène fréquent.

[46] Voir dans DRUMANN, G. R., les tableaux généalogiques des Metellus (II, 6) ; des Domitius Ænobarbus (III, 12) ; des Julius (III, 143) ; des Licinius Crassus (IV, 53) , des Octavius (IV, 218).

[47] Voir DRUMANN, G. R., II, 48.

[48] MADWIG, K. P. S., 525, a démontré qu'il n'y a pas lieu de corriger dans VELLEIUS, II, II, natus equestri loto en natus agresti loto comme le font tant d'éditeurs induits en erreur par la tradition plus tardive qui fait de Marius un paysan. D'après DIODORE DE SICILE, XXXIV, 35, fr. 38 ; d'après PLUTARQUE, Mar., 3 et 13, Marius était d'une famille de l'ordre équestre ; Madwig a démontré par divers arguments que cette tradition est bien plus vraisemblable que celle qui le fait naître dans la plèbe pauvre.

[49] NEUMANN, G. R. V., 261.

[50] CICÉRON, De off., II, XXI, 72.

[51] REINACH, M. E., 86 et suiv.

[52] APPIEN, B. C., I, 27. Selon Mommsen, cette loi qu'Appien attribue faussement à Spurius Thorius est de 119. Voyez C. I. L., I, p. 77.

[53] NEUMANN, G. R. V., 264 et suiv., et KARLOWA, R. R. G., I, 433 et suiv., me paraissent, à l'encontre de l'opinion de Mommsen, avoir démontré que la loi de Spurius Thorius est celle-là et non la seconde. — CICCOTTI, T. S., 194, dont on pourra lire avec intérêt les belles considérations sur les lois agraires des Gracques, suit Mommsen. Cette loi dont APPIEN, B. C., I, 27, donne un court résumé, nous est heureusement parvenue en grande partie dans une inscription, qui est un des documents importants de l'histoire sociale de Rome. Le texte a été publié dans le C. I. L., I, 79-86 ; dans BRUNN, Fontes juris romani antiqui (Tubingen, 1860), 16-35.

[54] Lex Thoria, I, 1. La meilleure explication de pro vetere possessore me parait celle de Mommsen, C. I. L., I, p. 87.

[55] Lex Thoria, I, 9.

[56] Lex Thoria, I, 1.

[57] Lex Thoria, I, 3.

[58] Lex Thoria, I, 14.

[59] PLUTARQUE, Sull., 1-2.

[60] PAULY'S, R. E., IV, 1557.

[61] DIODORE DE SICILE, XXXIV, 33, fr. 33.

[62] SALLUSTE, B. J., 73.

[63] SALLUSTE, B. J., 86 ; AULU-GELLE, XVI, X, 14 ; VALERIUS MAXIMUS, II, III, 1.

[64] Voyez sur ce changement les considérations de E. BARONE, I Grandi Capitani sine alla Rivoluzione francese, Turin, 1898 ; Annibale, 32 et suiv.

[65] REINACH, M. E., 57 et suiv.

[66] REINACH, M. E., 95.

[67] REINACH, M. E., 95, 96.

[68] NICCOLINI, in S. I. F. C., V, 476.

[69] REINACH, M. E., 97.

[70] NEUMANN, G. R. V., 394-412. Voy. le discours sur la loi agraire de M. Philippus, en 104, dans CICÉRON, De of., II, XXI, 73. Voy. aussi BUSOLT, N. J. P. P., 141 et 321 et suiv., qui montre que les fragments de Diodore sur les Gracques pleins de faveur pour les réformes agraires des deux frères et d'aversion pour leurs réformes politiques, sont tirés, par l'intermédiaire de Posidonius, probablement, de Rutilius Rufus, honnête conservateur de marque du commencement du premier siècle.