II. Dans les premiers temps de la Révolution, catholiques et
réformés vivaient en bon accord, au midi de la France comme dans les autres
provinces. Tout s'opérait naturellement par le
concours des volontés, dit l'historien des troubles du Gard, et l'on n'y connaissait d'autre bruit que celui des fêtes,
chaque fois que l'on recevait de Paris la nouvelle de quelque évènement
favorable. Dans plusieurs communes on vit les protestants assister au Te
Deum des catholiques, et les catholiques, c'est un fait constant,
assistaient aussi aux chants d'actions de grâces des réformés[1]. Mais les divisions commencèrent à se manifester dès le jour où, sur la proposition de l'évêque de Talleyrand, l'Assemblée constituante décréta la vente des biens du clergé (2 novembre 1789). Les prêtres et les moines persuadèrent à la multitude qu'on voulait détruire l'Église, abolir la religion, persécuter les catholiques ; et les classes populaires du Midi, ne pouvant s'en prendre aux philosophes et aux Jansénistes qu'elles ne connaissaient point, tournèrent leur fureur contre les protestants, qui étaient complètement étrangers aux mesures dont on se plaignait. De là des séparations et des inimitiés ardentes. Ces éléments de discorde furent entretenus, agrandis, envenimés par quelques membres des classes privilégiées qui, à l'aide des collisions religieuses, espéraient donner le signal de la contre-révolution dans les provinces méridionales, soulever ensuite l'Ouest, marcher sur Paris, et ressaisir leurs anciennes prérogatives. Non seulement le fait a été avoué, on s'en est vanté hautement, publiquement, en 1814 et en 1815, comme d'une admirable combinaison pour relever la cause royale, sacerdotale et aristocratique. Il y avait, entre autres, un certain François Froment, devenu plus tard secrétaire du cabinet de Louis XVIII, qui, dans une brochure, publiée au mois d'octobre 1815, et intitulée : Précis de mes opérations pour la défense de la religion et de la royauté pendant le cours de la Révolution, a raconté, avec une franchise qui ne rougit de rien, et en accompagnant son récit de pièces officielles, tous les détails de ce complot, dont il fut l'un des principaux agents. Je me rendis secrètement à Turin
auprès des princes français, dit-il, pour
solliciter leur approbation et leur appui. Dans un conseil qui fut tenu à mon
arrivée (janvier 1790), je leur démontrai que, s'ils voulaient armer les
partisans de l'autel et du trône, et faire marcher de pair les intérêts de la
religion avec ceux de la royauté, il serait aisé de sauver l'un et l'autre.
Alors, comme à présent, j'étais convaincu de cette vérité, qu'on ne peut
étouffer une forte passion que par une plus forte encore, et que le zèle
religieux pouvait seul étouffer le délire républicain. François Froment raisonnait juste, à son point de vue. Le peuple des campagnes et des villes n'aurait pas défendu de lui-même des privilèges dont il souffrait le premier. Il devait aimer d'instinct une révolution qui l'avait affranchi de la Mme, des servitudes féodales, et lui avait donné l'égalité civile. Mais, en s'adressant à ses passions religieuses, en ranimant ses haines traditionnelles contre les hérétiques, on pouvait l'armer pour une cause qui n'était pas la sienne, et, une fois debout, le pousser en aveugle plus loin qu'il ne voulait aller. C'est le secret de tous les conspirateurs, et l'on aura recours à cette tactique sous plus d'un drapeau, tant qu'il y aura des ambitieux d'un côté, et des ignorants ou des fanatiques de l'autre. Froment eut peu de peine à faire adopter son projet. Les princes émigrés le chargèrent (c'est toujours lui qui le raconte) de former un parti royaliste dans le Midi, de l'organiser et de le commander. On lui remit de l'argent, avec promesse de secours en hommes et en munitions, dès que la lutte aurait commencé. Il revint donc en France, parcourut tout le Midi, s'entendit avec les nobles et les prêtres, dont les opinions correspondaient aux siennes, et, peu de temps après, les deux villes de Montauban et de Nîmes étaient ensanglantées. Les conjurés suivirent partout une marche réglée d'avance
et uniforme. Ils firent circuler d'atroces calomnies contre les protestants,
et répandirent à profusion, jusque dans les carrefours et sur les places
publiques, des libelles incendiaires. On pourra juger du style de ces
pamphlets par l'extrait suivant (et il s'y
trouve des injures encore plus grossières) : Fermez
aux protestants la porte des charges et des honneurs civils et militaires.
Ils vous demandent de participer aux avantages dont vous jouissez ; mais vous
ne les y aurez pas plus tôt associés, qu'ils ne penseront plus qu'à vous en
dépouiller, et bientôt ils y réussiront. Vipères ingrates, que
l'engourdissement de leurs forces mettait hors d'état de vous nuire,
réchauffés par vos bienfaits, elles ne revivent que pour vous donner la mort.
Ce sont vos ennemis-nés ! Ces odieuses provocations ne manquèrent pas leur effet sur les masses populaires. Les protestants furent systématiquement exclus de tous les conseils municipaux, et en général de toutes les charges électives. C'était un premier pas : on pouvait disposer de l'autorité communale au profit de la contre-révolution, et donner aux projets des factieux une apparence de légalité. Un second moyen d'action fut d'exciter les catholiques à signer des adresses pour demander l'unité de religion. Beaucoup de conciliabules se tinrent à ce sujet, d'ordinaire chez les curés ou dans le couvents. Les dévots accouraient, pensant obéir à la volonté de Dieu en attaquant les droits les plus sacrés de la conscience humaine, et leur fanatisme s'exaltait jusqu'à la frénésie. Les femmes du peuple surtout, dressées à une servile bigoterie, s'abandonnaient à un emportement sauvage. Les protestants, de leur côté, voyant que l'on sollicitait contre eux une nouvelle révocation de l'édit de Nantes, s'en irritaient profondément. Tout cela entrait dans le plan des conspirateurs. Ce n'était pas assez : il fallait une force armée. Les troupes régulières étaient fidèles au gouvernement sorti de la Révolution. Dans la garde nationale, beaucoup de protestants avaient obtenu de hauts grades, parce qu'ils possédaient, en moyenne, plus d'instruction et de fortune que les catholiques. Comment donc avoir des soldats ? On se mit à organiser des compagnies de volontaires qui obéissaient à des chefs occultes. Recrutés pour la plupart dans la lie du peuple et parmi les travailleurs de terre, leur ignorance garantissait leur docilité, et l'on pouvait entreprendre la lutte avec quelques chances de succès. Ces malheureux ne criaient pas seulement : Vive le roi ! vive la croix ! ils criaient encore : A bas la nation ! comme s'ils n'appartenaient pas eux-mêmes à cette nation, qui venait de reprendre ses droits et ses libertés ! Plusieurs portaient, au lieu de la cocarde nationale, une croix blanche, à l'exemple des anciens ligueurs. Les confréries de pénitents, qui dataient des guerres de religion du seizième siècle, avaient fourni leur contingent d'hommes dévoués. C'était enfin la Ligue ressuscitée, la Ligue sans les Guises, la Ligue sans Philippe II et Sixte-Quint, la Ligue après Voltaire : vain fantôme qu'on essayait de faire tenir debout sur sa tombe sanglante. Le 10 mai 1790, jour des Rogations, que le conseil municipal avait choisi pour visiter les couvents qui devaient être supprimés, le peuple se soulève à Montauban. Six dragons, ou gardes nationaux d'élite, dont cinq étaient protestants et un catholique, sont tués à l'Hôtel-de-Ville, avant d'avoir pu préparer leurs moyens de défense. Beaucoup d'autres, après d'indignes traitements, sont jetés en prison, et y trouvent un refuge contre les coups des meurtriers. Nous supprimons les détails. Le 13 juin de la même année, la lutte connue sous le nom de bagarre commence à Nîmes, et dure quatre jours. On peut voir dans le rapport officiel présenté à l'Assemblée constituante, après l'enquête la plus minutieuse, quels furent les provocateurs et les agresseurs dans cette funeste collision. Le complot est évident. Il est facile d'en découvrir l'origine, d'en suivre les détours, et de se convaincre que la religion n'avait servi que de prétexte pour arriver à une contre-révolution. Les catholiques du dernier ordre, que les chefs de la
faction avaient armés et ameutés, commirent les actes les plus atroces. Nous
n'en citerons qu'un exemple, qui appartient à la journée du 14. Le jeune Peyre, âgé de quinze ans, portait à manger à son
frère ; il passe devant une troupe postée au pont des Îles ; un homme lui
demande s'il est catholique ou protestant. Le jeune homme répond : Je suis
protestant. Aussitôt un homme lui tire un coup de fusil, et l'enfant tombe
mort. — Il aurait autant valu tuer un agneau,
s'écrie un compagnon du meurtrier. — J'ai
promis, répondit-il, de tuer quatre protestants pour ma part, et celui-ci
compte pour un[2]. Des négociations furent ouvertes ; mais, des coups de fusils, tirés de l'enceinte du couvent, les interrompirent. Les catholiques attachés à la cause de la Révolution s'unirent aux protestants, et il y eut de terribles représailles. .0n compta de part et d'autre cent trente-quatre individus tués dans ces fatales journées. Que ceux qui ont préparé, soudoyé, organisé, excité les soulèvements en soient responsables devant l'impartiale postérité ! Il est consolant de pouvoir ajouter que plusieurs curés des environs de Nîmes, n'écoutant que la voix de leur conscience, vinrent à la tête des gardes nationaux de leurs communes, afin de concourir au rétablissement de l'ordre et de la paix entre les deux communions. Dans le rapport lu à l'Assemblée constituante, M. Alquier
atteste, dans les termes les plus formels, que ce ne sont pas les protestants
qui ont provoqué les conflits. Ils ont été,
dit-il, en butte à la haine d'un parti, aussitôt
qu'un parti s'est formé contre la constitution, à l'époque de vos premiers
décrets sur les biens du clergé ; et devenus l'objet d'un vil ramas de
calomnies artificieusement pratiquées contre eux pour exciter des troubles et
faire éclater une contre-révolution, ils n'ont eu d'autres ennemis que les
ennemis de la Révolution même. Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Marseille, où les protestants étaient trop peu nombreux pour permettre d'y subordonner la question politique à la question religieuse, ne remuèrent point. Leur attitude préserva le Midi de la guerre civile, et les conspirateurs durent chercher hors de France la force qu'ils ne trouvaient plus dans leur patrie. Quand la tranquillité fut bien rétablie à Nîmes, les réformés y ouvrirent un temple, selon le droit qui leur était garanti par la constitution. Ils avaient fait graver sur le frontispice l'inscription suivante : Édifice consacré à un culte religieux par une société particulière : paix et liberté. Le vénérable Paul Rabaut prononça d'une voix émue, et le visage baigné de larmes, la prière d'inauguration. Dans les autres provinces de la France, les protestants s'occupèrent aussi de leur nouvelle organisation payant les pasteurs de leur propre bourse, comme ils y étaient depuis longtemps habitués, et ne demandant rien de plus au pouvoir civil que le maintien de leur liberté sous la sauvegarde de la loi commune. La Révolution, cependant, devenait de plus en plus hostile au clergé catholique. Après lui avoir ôté ses biens, elle voulut lui imposer une constitution et un serment. Ce fut l'œuvre des Jansénistes, et en particulier du représentant Camus. Ils étaient aigris par le souvenir des longues injures que leur avait fait subir la majorité des prêtres, et ils furent malheureusement assez puissants pour entraîner dans leur querelle le côté gauche de l'Assemblée constituante, qui pressentait qu'il allait commettre une faute grave. Les protestants demeurèrent étrangers à ces débats. La constitution civile imposée à l'Église catholique précipita la Révolution hors des bornes qu'elle aurait dû respecter. Une grande partie du clergé résista. Les prêtres insermentés ou réfractaires, comme on les appelai., prirent le chemin des bois et des cavernes, poursuivis des insultes de ce même peuple qui avait tant de fois outragé les pasteurs de la Réforme. La France n'avait pas assez appris de ces conducteurs spirituels à s'incliner devant l'indépendance de la conscience humaine, et les ministres de Rome furent les victimes des leçons de persécution qu'ils lui avaient données. Malheur à ceux qui prennent le glaive de l'intolérance : il se retourne tôt ou tard contre eux-mêmes ! Ces douloureuses luttes n'appartiennent point à notre sujet. Le clergé catholique, nous le disons hautement, fit alors son devoir, et les hommes politiques manquèrent au leur. Ils avaient outrepassé les limites de l'autorité civile, en prétendant régler des points ecclésiastiques dans lesquels la doctrine était nécessairement impliquée ; et, après avoir eu ce premier tort, ils en commirent un second : celui d'attaquer, de proscrire la religion même, pour se venger des légitimes résistances qu'ils avaient rencontrées. Il n'y eut jamais, à la vérité, de loi expresse, contre la liberté religieuse. La constitution de 1793 contenait encore un article 22 qui devait garantir à tous les Français le libre exercice de leur culte. Mais la Convention renversait par les actes arbitraires de ses agents les droits qu'elle écrivait dans sa législation, et fit elle-même des décrets qui blessaient toutes les communions religieuses. Ainsi, le 22 septembre 1793, elle remplaça l'antique division de la semaine par celle de la décade, et voulut forcer tous les Français à travailler le dimanche, quels que fussent les scrupules de leur foi. Cette injustifiable tyrannie ne s'exerça point sans
opposition, malgré la terreur qui pesait sur la France. Voici un fait que
Rabaut le jeune raconte dans son Répertoire ecclésiastique, et qui appartient
à la communion protestante ; il eut lieu dans la commune de La Salle (Gard) : Un travailleur
de terre, nommé Alègre, âgé d'environ soixante ans, fut arrêté et mis en
prison pour n'avoir pas travaillé un jour de dimanche. Huit jours après, cet
homme revêtu de ses habits de fête, se
présente au Comité. On lui demande ce qu'il veut ; il répond qu'il est déjà
vieux ; que lorsqu'il a travaillé toute la semaine, il a absolument besoin de
repos ; que s'il allait à la journée le dimanche, il volerait l'argent de
celui qui l'emploierait, et qu'il préférait venir se remettre en prison. Le
Comité, qui s'attendait sans doute à quelque dénonciation, fut étonné de
cette réponse, et le renvoya chez lui. Le 7 novembre 1793, Gobel, évêque constitutionnel de Paris, vint abjurer la foi catholique à la barre de la Convention, accompagné de quelques prêtres bien dignes de marcher derrière lui. Il déposa surie bureau les insignes de sa charge, en déclarant qu'il ne fallait plus d'autre culte que celui de la liberté, de l'égalité et de la morale. Certains membres de l'Assemblée, ecclésiastiques catholiques et protestants, suivirent son exemple. L'évêque Grégoire eut seul le courage de monter à la tribune pour désavouer cette apostasie : Rabaut-Saint-Etienne était absent alors et proscrit. L'abjuration de Gobel fut le signal de l'envahissement des églises et de l'abolition de tous les cultes. On ne parlait plus, selon le langage du temps, que d'invoquer la Raison, d'écouter la voix de la Nature, d'allumer sur les autels le flambeau de la Vérité, et de rendre tous les hommes heureux en étouffant le monstre de la Superstition. Les temples des protestants, qui ne s'étaient rouverts que de la veille, furent fermés comme les églises catholiques, et les pasteurs, sous peine d'être tenus pour suspects, et par conséquent pour dignes de mort, durent cesser toute fonction. Le délégué de la Convention dans le Gard et la Lozère publia, le 16 prairial an II, un arrêté qui enjoignait aux prêtres et aux pasteurs de se retirer, dans un délai de huit jours, à vingt lieues des communes où ils avaient exercé leur ministère. L'homme de la terreur n'avait rien inventé : il s'était borné à copier une ordonnance dictée par les Jésuites sous le règne de Louis XIV. Quelques pasteurs périrent sous la hache révolutionnaire, d'autres furent emprisonnés, et parmi eux le vétéran du désert, Paul Rabaut, qui fut conduit à la citadelle de Nîmes sur un âne, son âge et ses infirmités ne lui permettant plus d'y aller à pied. Après avoir vu périr son fils strié et avoir eu à gémir de la proscription de ses deux autres enfants (Rabaut-Pomier et Rabaut-Dupuy), il fut lui-même incarcéré, et nous sommes témoin de la résignation dont il donna des preuves dans ce terrible moment. D'un calme imperturbable pour lui, il ne témoigna quelque inquiétude que pour ses enfants, et pour ceux des autres captifs qui partageaient son sort, et qu'il consolait et soutenait tous par son exemple[3]. Le protestantisme compta proportionnellement autant de victimes que le catholicisme, sinon davantage, soit pasteurs, soit laïques, dans les jours de 93. Le Dictionnaire des condamnés indique pour le département du Gard, où les réformés ne composent pas la moitié de la population totale, 46 protestants, 91 catholiques et 1 juif. Les membres du tribunal révolutionnaire de Nt-mes étaient tous catholiques, à une seule exception près. La Réforme française, pour employer les expressions de M. Aignan, ne fut jamais nommée dans le deuil et l'épouvante de la France, et paya deux fois l'impôt du sang : d'abord à l'intolérance de Rome, ensuite à celle de l'impiété. Nous ne pouvons suivre la trace du culte protestant à cette époque. Il parait qu'à Sainte-Foy et dans les environs, l'exercice public de la religion ne fut jamais complètement interrompu. Les souvenirs des vieillards en ont conservé d'autres exemples, sans doute, mais les livres n'en parlent point. La piété, généralement bien affaiblie, se renferma presque partout dans le fond des consciences ou dans l'asile du toit domestique. La journée du 9 thermidor marqua le terme de cette
oppression ; car dès que l'opinion publique put élever la voix, elle
redemanda et obtint la liberté religieuse. Un décret du 3 ventôse an III (21 février 1895) autorisa le libre exercice
des cultes, en laissant aux fidèles le soin d'entretenir les pasteurs de
leurs propres deniers, et en leur défendant de célébrer aucune cérémonie sur
la voie publique. La constitution de l'an III confirma ces dispositions par
l'article suivant : Nul ne peut être empêché
d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi ; nul ne peut
être forcé de contribuer aux dépenses d'un culte ; la République n'en salarie
aucun. Une loi de police, rendue le 7 vendémiaire an III (28 septembre 1795),
ordonna de faire une déclaration préalable pour l'ouverture des lieux de
culte, et obligea les ministres des différentes communions à signer cette
formule : Je reconnais que
l'universalité des citoyens français est le souverain, et je promets
soumission et obéissance aux lois de la
République. Plus tard, on
y ajouta la condition d'un serment ainsi conçu Je jure haine à la royauté et à l'anarchie, attachement et fidélité à la République et à
la constitution de l'an III. La promesse d'obéir aux lois purement
politiques était juste ; l'ordre de jurer haine à la royauté ne l'était point
et souleva de légitimes réclamations. Quelques Églises réformées profitèrent de l'apaisement des esprits et de la protection du pouvoir pour se relever. Cette restauration fut laborieuse et lente. Il y avait peu de pasteurs ; les uns étaient morts pendant l'orage révolutionnaire ; d'autres avaient définitivement abandonné le ministère de l'Évangile, et les jeunes gens du séminaire de Lausanne s'étaient dispersés ; il y avait également peu de zèle chez les laïques : le scandale de quelques apostasies avait produit sur eux une déplorable impression, et plusieurs se laissaient dominer par les négations du scepticisme ou par les chimères de la théophilanthropie. Au milieu de ce pénible relèvement du protestantisme, Paul Rabaut rendit son âme à Dieu. Il avait été remis en liberté après le 9 thermidor ; mais le poids des années ne lui permettait plus de prendre part à la reconstruction du sanctuaire. Il mourut à l'âge de soixante et seize ans, le 26 septembre 1795, en invoquant le nom du Seigneur qu'il avait confessé devant quatre générations de chrétiens. |