CONQUÊTE DES GAULES

 

LIVRE CINQUIÈME. — CINQUIÈME CAMPAGNE.

 

 

PASSAGE DE CÉSAR EN ITALIE. - EXPÉDITION CONTRE LES TRÉVIRES. - SECONDE CAMPAGNE DANS L'ILE DES BRETONS. DESCRIPTION DE L'ILE. - GUERRE D'AMBIORIX. - MORT D'INDUCIOMARE.

(Avant J.-C. 54. — An de Rome 600)

 

Nous avons laissé César envoyant ses légions chez les Belges, sans indiquer dans quelles contrées elles devaient se rendre. C'est à ses lecteurs à s'en rendre compte. Le commencement de ce livre nous met sur la voie, puisqu'on y lit qu'à son départ pour l'Italie il ordonna aux lieutenants qu'il avait placés à la tête de chaque légion de faire construire, pendant l'hiver, le plus grand nombre de navires possible et de radouber les anciens : Legatis imperat quos legionibus prœfecerat uti, quam plurimas possent, hieme naves cedi ficandas veteresque reficiendas curarent. Cette désignation de nouveaux légats nous apprend encore une fois que les légions n'avaient pas toujours le même chef, et le texte, que toutes furent employées à la création d'une flotte pendant l'hiver. Il prescrit lui-même la forme et la grandeur de ces navires : earum modum formamque demonstrat. Il les veut longs et larges, afin qu'ils puissent porter plus de bagages et de chevaux que les embarcations ordinaires. Tous devront être à rames et bons voiliers, à quoi leur peu de hauteur devait contribuer. Ces détails prouvent qu'il s'entendait parfaitement aux choses de la navigation.

Il ordonne ensuite qu'on envoie d'Espagne tout ce qui est nécessaire à leur armement : ea quœ sunt usui ad armandas naves ex Hispania apportari jubet. Ces choses consistaient évidemment en voiles, cordages, chaînes et ancres.

Il n'y avait donc pas encore d'arsenaux maritimes dans la Gaule. On n'aurait pas hasardé de pareils établissements à l'entrée de la Garonne, ni dans l'Aquitaine, située en dehors de la Province et non entièrement pacifiée, puisque Crassus n'en avait soumis qu'une partie : sed per P. Crassum quadam ex parte devicisset (lib. VIII).

Or, puisque l'on doit admettre que les légions restèrent chez les Belges et y construisirent des navires, il y a nécessité d'en laisser une à Itius, chez les Morins, pour réparer ceux de l'ancienne flotte.

De toutes les nations où il y en eut d'envoyées, César n'en cite qu'une seule : celle des Meldes, dont l'emplacement est fort contesté. Nous y reviendrons après avoir fixé le séjour des autres corps à l'aide des divers retranchements qu'ils ont laissés sur le sol.

Deux légions s'établirent, croyons-nous, aux bords de la Somme, et une autre dans quelques vallées, telles que celles de Veulettes et de Fécamp, qui aboutissent à la Manche et qui ont conservé les restes de leurs camps.

Mais les vents impétueux de la mer et les bas fonds de cette partie du littoral, qui rendaient les mouillages difficiles, durent engager les quatre dernières à se porter dans la Seine, dont les rives couvertes de bois convenaient d'autant mieux que les navires de charge, n'étant qu'à fonds plats, pouvaient aisément naviguer dans les rivières. Ceci résulte évidemment du passage de Strabon déjà cité, indiquant que la flotte romaine fut construite dans ce fleuve. Nous placerons donc trois légions depuis Caracotinum (Barfleur) jusqu'à Rouen, et la quatrième au delà de cette dernière ville. Au lieu de s'y renfermer dans des camps selon l'usage romain, elles tracèrent des enceintes et le plus souvent des barrages semi-circulaires en terre, à l'entrée des grands vallons, pour couvrir leurs arsenaux. La plage située entre Barfleur et Orcher s'appelle le Vieux-Port, probablement parce qu'il y fut établi des chantiers de construction.

Le premier barrage des vallées se voit à Tancarville, en arrière du château ; le second à Lillebonne, où existait une petite bourgade belge dont le nom restera toujours inconnu, et qui reçut, après la conquête, celui de Juliobona, en récompense, sans doute, de quelques services rendus aux légions dans le temps où elles y établirent leurs arsenaux.

A Aizier et au Vieux-Port, villages situés près de la forêt de Brotonne qui pouvait fournir en abondance des bois de construction, il est aisé de reconnaître, sur la déclivité de la côte, les campements des soldats romains.

Caudebec, l'ancienne capitale des Calètes, alors nommée Caledunum, et dont l'antique oppidum situé sur le mont voisin a conservé le nom de Caledu[1], paraît avoir beaucoup souffert du passage des conquérants sur son territoire. Ordéric Vital, auteur normand du mue siècle, rapporte la tradition suivante, très-répandue de son temps, à savoir que la ville principale des Calètes avait été renversée par suite de sa résistance à César. Or, comme ses légions ne sont jamais venues sur les bords de la Seine que pour y construire des navires, il est tout naturel de leur attribuer le sac de l'ancienne cité, bientôt remplacée par l'établissement gallo-romain de Juliobona, qui reçut le titre de capitale des Calètes.

Les cohortes envoyées en ce lieu durent camper dans l'île de Lotum, située devant Caudebec, y fonder un établissement qui devint par la suite assez important pour faire oublier Caledunum et prendre sa place, à titre de simple station, dans les itinéraires et chez les géographes romains.

En remontant toujours la Seine, on arrive à Jumièges, où l'on remarque une enceinte militaire des plus vastes, qui serait à jamais inexplicable si on ne l'attribuait aux travailleurs romains. Elle existe dans la presqu'île que forme une sinuosité de la Seine, et comme elle est accessible sur tous les points adhérant à la rivière, ceux qui l'occupaient ne craignaient donc pas d'être attaqués du côté de l'eau. On ne peut la considérer ni comme un oppidum gaulois, ni surtout comme un retranchement ordinaire des légions, car elle est en dehors de toutes leurs règles de castramétation.

La presqu'île tient à la plaine par un isthme d'une certaine étendue que barre un boulevard haut de quinze -à dix-huit pieds, près duquel court un large fossé. Ceux qui s'y étaient renfermés ne s'étaient donc préoccupés que de se garder du côté de la plaine.

A la pointe méridionale, et près du fleuve, on remarque quelques levées de terre que l'on a attribuées aux Normands, mais qui indiquent plutôt, selon nous, le lieu où existèrent les chantiers romains. L'intérieur de l'enceinte possède une forêt dans laquelle nous avons trouvé une hache antique en fer très-oxydé, dont le taillant présente la forme d'un croissant. Nous l'avons déposée au musée de Rouen, persuadé qu'elle avait appartenu aux charpentiers de la flotte.

La vallée de Duclair dut posséder quelques cohortes, car il existait à l'entrée une petite enceinte nommée le Catelier, que nous avons vu détruire lorsqu'on y a transféré l'ancien cimetière de la ville.

Au delà de Duclair, les bords de la Seine montrent des traces du séjour des Romains tant à Rouen que plus en amont du fleuve.

Ainsi durent se trouver réparties les sept premières légions. La huitième campa chez les Meldes, le seul peuple de la Belgique que César ait nommé au sujet de cette répartition. Nous n'y en enverrons qu'une, car on n'y construisit que quarante navires, c'est-à-dire le huitième environ des six cents qui furent faits par les huit légions : XL naves que in Meldis facte erant.

La position des Meldes est très-contestée : d'Anville leur assigne les environs de Bruges, parce qu'il y a un village nommé Maldefelt à 15 kilomètres à l'ouest de cette ville. Bien que la ressemblance entre le nom de Meldœ et celui de Maldefelt paraisse chimérique, M. de Saulcy s'y est pourtant arrêté en y ajoutant le nom de Melde-Ghelt, que porte un village situé dans les mêmes parages, et celui de Midelkerke, appartenant à une localité des environs d'Ostende, au sud de ce port.

Nous ne croyons pas que ces noms rappellent celui des Meldœ, car Malde et Meld, dérivant de Mulde ou de Mild, signifient marécages en langue germanique, et le mot Ghelt indique évidemment qu'ils étaient couverts de roseaux.

Quant au nom de Midelkerke, les enseignements philologiques et les usages existant chez les peuples germains prouvent qu'il signifie église du milieu, soit qu'on la place entre deux localités ou au centre de terrains marécageux. Midel se voit dans Middelbourg, où M. de Saulcy ne s'avisera jamais de placer les Meldes.

Nous pensons d'ailleurs que César n'aurait pas agi prudemment s'il eût envoyé une seule légion construire des navires à 15 lieues au nord d'Itius, si près des Ménapiens toujours insoumis.

Pourquoi ensuite placer les Meldes entre les Morins et les Ménapiens, quand l'historien dit positivement que ces deux derniers peuples sont voisins du côté de la mer : Menapiis contermini sunt ad mare Morini (lib. IV) ? Aussi ne voit-on pas, lorsque les légions firent la guerre aux Morins et aux Ménapiens méridionaux, qu'elles soient passées sur les terres des Meldes, ce qu'elles auraient dû faire avant d'entrer sur celles des Ménapiens.

Nous terminerons par une objection qui sera difficile à réfuter : on a déjà vu que Saint-Omer était une ville maritime au moyen âge[2]. Nous ajouterons que Térouanne est citée dans un diplôme de Louis VII, roi de France, comme existant assez près de la mer : Ternacensis civitas secus mare fundata ; qu'Ypres, d'après la chronique de Saint-Bertin, n'offrait partout que des bois et des marécages : Ypram densis silvis et paludibus septam[3] ; que Bruges, enfin, entourée de bancs de vase, fut un port jusqu'au XIIe siècle : portus famosissimus mirœ amplitudinis[4] ; qu'il en était de même d'Axel[5] et de Dam[6], où la flotte de Philippe-Auguste fut détruite par les Anglais.

Il y avait donc, du temps de César, une large et profonde baie qui commençait au nord du promontoire des Morins et se prolongeait circulairement jusqu'à Dam, en passant devant les villes de Saint-Omer, Cassel, Ypres et Bruges ; d'où l'on doit conclure que celle d'Ostende et les terres où M. de Saulcy place les Meldes étaient précisément sous les flots. L'existence des villages qu'il se plaît à citer ne peut donc être antérieure au XIIIe siècle.

Que nous recherchions maintenant où réellement existaient les Meldes, nous les trouverons sur les bords de la Marne, ayant pour oppidum principal Iatinum Meldœ (Meaux). A la vérité, Strabon commet une erreur en les plaçant entre les Parisii et les Lexoves ; mais elle est peu grave, puisqu'elle consiste seulement à les mettre sur la gauche de Lutèce au lieu de les placer sur la droite. Toujours est-il qu'il ne les considère pas comme voisins de la mer ni des Ménapiens.

La légion envoyée en quartiers d'hiver chez les Meldes se répandit, selon nous, depuis Meaux jusqu'au bois de Vincennes, et occupa la presqu'île de Saint-Maur-les-Fossés, dont l'isthme a été clos par un boulevard semblable à celui qui défend le territoire de Jumièges. Cette analogie suffirait seule pour faire adopter ce sentiment, quand même le nom de Fossés ne rappellerait pas l'enceinte antique.

Dira-t-on que la Marne était trop éloignée de la mer pour qu'on y installât des chantiers de construction ? Nous répondrons qu'Amboise ne l'était pas moins lorsque l'on construisit sur la Loire les navires qui devaient opérer contre les Vénètes.

Revenons maintenant aux faits de la campagne qui va s'ouvrir. Au printemps, César quitta son gouvernement d'Italie et entra dans la Gaule pour aller rejoindre son armée : atque inde ad exercitum proficiscitur. Il dut nécessairement suivre la voie gauloise, devenue plus tard voie romaine, qui passait par Lugdunum, Matisco (Mâcon), Bibracte (Autun), Auxerre et Sens, pour arriver sur les bords de la Marne où étaient ses premiers chantiers. Il visite tous ses camps d'hiver : circuitis omnibus hibernis. Qu'on remarque bien ce mot circuitis, indiquant la courbe qu'il lui faut décrire pour suivre les bords de la Seine, de la mer et de la Somme.

Il trouve, sur sa route, plus de six cents navires faits tels qu'il les avait commandés, et vingt-huit navires longs, prêts à prendre la mer. Il loue ses soldats de leur travail, ainsi que les chefs qui l'ont dirigé, et donne l'ordre de les réunir au port d'Itius, éloigné de 12 lieues environ de la côte des Bretons et l'endroit le plus commode pour exécuter sa traversée : atque omnes ad portum Ilium convenire jubet, quo ex porto commodissimum in Britanniam transjectum esse cognoverat, circiter millium passuum XXX a continente. Cette mesure s'accorde parfaitement avec la distance qu'il y a des côtes d'Angleterre à Wissant.

Après avoir laissé assez d'hommes pour conduire sa flotte, il partit avec quatre légions sans bagages et huit cents cavaliers contre ceux de Trèves, qui, n'ayant pas envoyé de députés aux états, refusaient d'obéir et sollicitaient les Germains de passer le Rhin : Huic rei, quod satin esse visum est militum, relinquit, ipse cum legionibus expeditis IV et equitibus DCCC in fines Trevirorum proficiscitur.

Ces textes peuvent se résumer ainsi : César visite ses quartiers le long de la Seine, de la mer et de la Somme, laisse des hommes pour monter sur ses navires et les conduire à Itius où, sans doute, sous l'escorte d'une légion, il fait, en même temps, transporter tous ses bagages, puisqu'il va voyager à la légère.

Il est évident qu'il n'alla pas jusqu'au port des Morins, puisqu'il n'inspecte pas les navires qu'on y a réparés pendant l'hiver ; du moins il n'en parle pas. Comment admettre alors qu'il ait visité des chantiers que l'on place beaucoup plus haut, chez de prétendus Meldes occupant le territoire d'Ostende ? Il aurait pourtant dû s'y rendre, puisqu'il dit d'une manière absolue qu'il visita tous ses chantiers. Les Meldes n'étaient donc pas au delà d'Itius, sur le territoire des Ménapiens.

Nous croyons qu'il ne dépassa pas Samarobrive, lieu convenable pour la concentration des légions venant des bords de la Seine, et point de départ commode pour se rendre dans le pays des Trévires. H dut, en quittant cette ville, suivre la voie passant par Noyon, Pont-Arcy, Reims, Mouzon, Yvoy et Arlon, puis s'approcher à quelques lieues de Trèves pour établir son camp sur un coteau de la commune actuelle d'Altrier, près d'Echternach, où l'on en voit de superbes restes.

Deux factions existaient alors chez les Trévires. Induciomare, placé à la tête de l'une, représentait le parti national ; Cingétorix, son gendre, gouvernait le parti romain. Celui-ci vint au-devant de César avec ses partisans, et lui apprit qu'Induciomare levait une armée et faisait cacher ceux qui n'étaient pas propres au combat dans les Ardennes, immense forêt qui, partant du Rhin, traversait les terres des Trévires et s'étendait jusqu'aux frontières de Rhèmes : quœ ingenti magnitudine per medios fines Trevirorum a flumine Rheno ad initium Rhemorum pertinet. Il est bon de se rappeler ce texte, fort important pour la topographie de la contrée.

La démarche de Cingétorix inquiéta Induciomare, qui, craignant de se voir abandonné, envoya faire sa soumission, ajoutant que s'il n'était pas venu lui-même, c'était pour empêcher tout soulèvement de ses compatriotes, mais que si César l'ordonnait, il se rendrait dans son camp : seque si Cœsar permitteret ad eum in castra venturum. César lui commanda de venir le trouver. Il vint, en effet, avec deux cents otages qui lui avaient été demandés, et parmi lesquels se trouvaient son propre fils et tous ses parents spécialement désignés. César tâcha de le consoler, mais voulant favoriser Cingétorix, vu son attachement aux Romains, il manda les principaux des Trévires et leur recommanda de ne pas abandonner ce chef ni son parti : Nihilo tamen secius principibus Trevirorum ad se convocatis, eos sigillatim Cingetorigi conciliavit. Induciomare fut très-affecté de cette préférence et n'en eut que plus d'aversion pour les Romains.

Ce n'est donc pas sans raison que nous avons fait avancer César jusqu'à Echternach ; car s'il eût été plus éloigné de l'oppidum des Trévires, comment auraient pu avoir lieu des conférences si fréquentes, l'arrivée d'Induciomare au camp, la remise des deux cents otages et la convocation des principaux Trévires auxquels il prescrivit d'obéir à Cingétorix ?

Ces choses terminées, il se rendit au port /tins avec ses légions : Cœsar ad portum Itium cum legionibus pervenit. Qu'on remarque bien qu'il ne se sert pas de l'expression rediit, nouvelle preuve qu'il n'en était pas sorti pour entreprendre son expédition. Nous supposons qu'il arriva d'abord à Samarobrive, par la voie qu'il avait suivie pour aller chez les Trévires, voie qui se prolongeait jusqu'au port des Morins.

Il trouva ses navires assemblés, munis de toutes les choses nécessaires et disposés à prendre la mer : paratas ad navigandum atque omnibus rebus instructas invenit. Il n'y manquait que les quarante construits chez les Meldes, lesquels, battus par une violente tempête, avaient été rejetés dans le lieu d'où ils étaient partis : Ibi cognoscit XL naves, que in Meldis factœ erant, tempestate rejectas, tenere cursum non potuisse, atque eodem unde erant profectœ revertisse. Qu'on remarque bien qu'ils ne sont pas rejetés dans le lieu où ils ont été construits, mais bien dans celui d'où ils sont partis, probablement dans un port de relâche, voisin de la Seine ou de la Somme ; car il serait absurde de les faire rentrer dans la Marne. Si l'on plaçait les Meldes vers Ostende, ne parai-trait-il pas surprenant que les navires faits dans la localité la plus rapprochée d'Itius fussent précisément ceux qui y arrivassent les derniers ?

Nous ne savons si c'est pour tourner cette difficulté que, dans certains manuscrits des Commentaires, on lit : in Belgis au lieu de in Meldis. Cette correction n'est pas heureuse, puisque tous les navires avaient été construits chez les Belges. Il n'y avait donc pas nécessité que César rappelât ce fait au sujet de ceux attardés par la tempête.

Quatre mille cavaliers gaulois s'étaient rendus au port avec les principaux de chaque nation que César avait mandés, ne voulant laisser derrière lui que ceux dont la fidélité lui était connue. C'était, en un mot, transporter les otages de la Gaule chez les Bretons.

Dumnorix, de Bibracte, était un de ceux que César désirait surtout emmener, sachant qu'il était ambitieux, avide de nouveautés et qu'il avait dit, dans une assemblée, que les Romains voulaient lui donner la souveraineté de sa nation. Il pria César de le laisser dans la Gaule, prétextant qu'il n'avait aucune habitude de la mer et qu'il était retenu par des scrupules de religion.

Ne pouvant l'obtenir, il s'adressa aux chefs gaulois qui étaient avec lui, les engagea à ne pas suivre les légions, car le général romain les ferait tous égorger aussitôt qu'ils seraient passés dans l'île des Bretons.

César employa tous les moyens possibles pour réprimer ce fougueux caractère et fit éclairer ses démarches pendant les vingt-cinq jours qu'il resta dans le port, retenu par des vents contraires. Dumnorix, le voyant occupé du côté des navires à faire embarquer les légions et la cavalerie, sortit du camp avec ses escadrons et prit la route de son pays : Dumnorix cum equitibus Æduorum a castris, insciente Cœsare, domum discedere cœpit.

Le camp dont il est ici question doit être celui de Sombre-Haute, placé à plus de 2 kilomètres du port. L'autre, qui n'en était qu'à 500 mètres, aurait été trop rapproché pour que Dumnorix eût osé prendre un parti si dangereux sous les yeux des légions.

César, instruit de sa fuite, le fait poursuivre par sa cavalerie, qui avait ordre de le ramener mort ou vif. Bientôt rejoint et voyant qu'on voulait l'arrêter, il met l'épée à la main, conjure les siens de le défendre, en criant qu'il est libre et d'une nation libre. Les escadrons romains le cernent, le tuent, et ramènent au camp la cavalerie éduenne.

Le général romain, ne trouvant plus d'obstacles à son départ, laisse Labienus avec trois légions et deux mille chevaux pour garder le port et pourvoir aux vivres : ut portus tueretur et rei frumentarice provideret. Cette mission obligeait Labienus à se tenir lui-même dans le camp voisin du port, afin de pouvoir communiquer promptement avec les envoyés de César. Il dut néanmoins placer deux légions et sa cavalerie dans le quartier de Sombre-Haute pour surveiller l'extérieur et faire battre le pays par ses escadrons, depuis Ambleteuse jusqu'à Sangatte.

Ces dispositions prises, cinq légions étant embarquées et autant de cavalerie qu'on en avait laissé à Labienus, c'est-à-dire deux mille chevaux, César met à la voile au coucher du soleil et, malgré les courants contraires, débarque le lendemain, vers midi, sur les côtes des Bretons, à Hith, croyons-nous, dont la plage lui avait procuré un débarquement si commode lors de sa première expédition : qua optimum esse egressum superiore œstate cognoverat. Sa flotte se composait de près de huit cents voiles.

Il apprit bientôt par ses prisonniers que les barbares, effrayés à la vue de tant de vaisseaux, avaient abandonné les bords de la mer pour aller se cacher dans les montagnes.

Après son débarquement, il choisit un lieu propre à camper, y laissa pour garder la flotte dix cohortes et trois cents chevaux, sous les ordres d'Atrius, et marcha, vers minuit, contre les barbares. Il n'avait pas fait plus de 18 kilomètres qu'il les découvrit près d'une rivière où ils s'étaient avancés avec leurs chariots. Cette rivière doit être la Stowr, coulant à un peu plus de 4 lieues de Hith. Repoussés par la cavalerie, ils vont s'établir au milieu des bois, dans un lieu qu'ils avaient fortifié à l'occasion de quelque guerre civile. Les légionnaires avaient donc franchi, pour les joindre, la rivière à l'ouest d'Ashford, d'où ils s'étaient portés jusqu'au retranchement des Bretons.

On combattit bientôt de part et d'autre. L'ennemi fut débusqué de sa position et de la forêt. César devait le poursuivre le lendemain, lorsque des cavaliers d'Atrius vinrent lui apprendre que) la nuit précédente, une furieuse tempête avait jeté tous ses navires à la côte, où beaucoup s'étaient brisés. Il retourna vers sa flotte, trouva, en effet, quarante navires fracassés et d'autres qui pouvaient être remis en état à force de travail. Il mit à l'ouvrage les charpentiers des légions, en manda d'autres du continent : itaque ex legionibus fabros delegit, et ex continenti alios accersiri jubet ; puis il écrivit à Labienus de faire construire le plus grand nombre de navires possible par les légions placées sous ses ordres : Labieno scribit, ut, quam plurimas posset, iis legionibus, quœ sunt apud eum, naves instituat. Or, si ce général emploie les ouvriers de ses légions à construire des navires, ceux qu'il enverra du continent seront donc des charpentiers gaulois. Toujours est-il remarquable de voir qu'après chaque campagne les camps se transforment en chantiers et en arsenaux maritimes ; chaque légionnaire était donc un homme de métier et les officiers, d'habiles constructeurs.

Ces choses faites et son camp bien fortifié, César retourna au même endroit d'où il était parti. Il y trouva les forces des Bretons augmentées de celles du roi Cassivellaunus, que tous avaient choisi pour chef et dont les États, séparés des nations maritimes par la Tamise, étaient à 30 lieues environ de la mer : cujus fines a maritimis civitatibus flumen dividit, quod appellatur Tamesis, a mari circiter millia passuum LXXX. Ces États devaient donc se trouver à gauche du fleuve sur les territoires de Windsor, d'Oxford et de Buckingham.

Ici César interrompt le récit de ses travaux pour nous parler de l'île et des mœurs des Bretons. L'intérieur du pays était, dit-il, habité par des peuples qui passaient pour y être nés ; la côte l'était par des Belges que l'amour de la guerre et du pillage avait fait partir de chez eux. Ils avaient presque tous conservé le nom des nations d'où ils étaient sortis pour venir s'établir dans cette île. On ne doit donc pas être surpris de voir les rois des Suessions et des Atrébates avoir des relations suivies avec leurs anciens sujets devenus insulaires. Leurs maisons étaient bâties à la manière de celles des Gaulois. Ils avaient quantité de bétail, et pour monnaies ils se servaient de cuivre ou d'anneaux en fer d'un certain poids. Ils possédaient des mines d'étain dans le cœur du pays et des mines de fer sur la côte. Le cuivre y venait du dehors. Ils ne croyaient pas qu'il leur fût permis de manger des lièvres, des poules, ni des oies. Ils en nourrissaient cependant par récréation.

Les plus civilisés de tous ces peuples, ajoute César, sont ceux de Kent, dont tout le pays est maritime. Leurs coutumes diffèrent peu de celles des Gaulois. Ceux de l'intérieur n'ensemencent point leurs terres, vivent du lait et de la chair de leurs troupeaux. Ils se teignent le corps avec du pastel qui forme un vert de mer et leur rend dans la mêlée la figure horrible. Ils laissent croître leurs cheveux et se rasent le corps, excepté la tête et la lèvre supérieure. Une femme, chez eux, est commune à dix ou douze, surtout entre frères et parents. S'il en vient des enfants, ils appartiennent à celui qui l'a épousée. Revenons aux opérations de la campagne.

La cavalerie bretonne, soutenue par des chariots, attaqua celle des Romains et fut repoussée. Peu de temps après, ils sortirent de leurs forêts et vinrent fondre sur quelques cohortes de légionnaires qui travaillaient aux retranchements. César envoya à leur secours et les dégagea. Labérius Durus, tribun des soldats, fut tué dans cette expédition.

On comprit alors que la manière ordinaire de combattre ne convenait pas contre de tels ennemis, qui faisaient semblant de fuir, s'élançaient ensuite de leurs chariots et attaquaient à pied la cavalerie avec avantage.

Le lendemain, ils allèrent se porter sur des collines éloignées du camp romain. César, ayant envoyé trois légions et sa cavalerie fourrager de ce côté, ils vinrent subitement fondre sur les fourrageurs et sur les légions. Ces troupes les combattirent et en tuèrent un grand nombre. Alors les Bretons n'attaquèrent plus avec toutes leurs forces. César, qui connut bientôt leur nouvelle tactique, marcha sur les États de Cassivellaunus, qui étaient près de la Tamise : Cœsar.... ad flumen Tamesim, in fines Cassivellauni, exercitum duxit. Il trouva les insulaires en bataille sur la rive opposée et devant le seul gué où l'on pût la traverser. S'il fût débarqué à Deal, il aurait dû passer la Stowr près de Cantorbéry, côtoyer la Tamise jusqu'au lieu où il la traversa, et parler aussi bien de ce fleuve que des grands bois et des montagnes qu'il rencontra chemin faisant. Il y a donc lieu de croire qu'il suivit la route de Mardsdone et de Guildford.

II traversa à son tour le gué, que l'on doit placer du côté de Reading. Les légionnaires avaient de l'eau jusqu'au cou, ce qui ne les empêcha pas de marcher avec tant de promptitude et d'impétuosité que l'ennemi abandonna le rivage et prit la fuite.

Alors, Cassivellaunus congédia ses troupes et ne retint que quatre mille hommes, qui ne s'étudièrent qu'à fondre sur la cavalerie romaine lorsqu'elle s'écartait pour fourrager.

Les peuples d'Essex envoyèrent, dans le même temps, prier César de prendre sous sa protection Mandubracius, fils d'Imanuencius, leur ancien roi, que Cassivellaunus avait fait mourir. Il en obtint des vivres et des otages. D'autres peuples firent également leur soumission. Ainsi se détraquait, peu à peu, la nationalité des Bretons.

César apprit alors que l'oppidum de Cassivellaunus n'était pas éloigné : non longe ex buco oppidum Cassivellauni abesse, qu'il était défendu par des bois et des marais, et que la plupart de ses sujets s'y étaient retirés avec leurs troupeaux. Tout porte à croire que cet oppidum ne se trouvait pas sur les bords de la Tamise.

Les Bretons donnent le nom de ville, ajoute l'historien, à un bois épais, fortifié d'un rempart et d'un fossé qui leur sert de retraite lors des invasions ennemies : Oppidum autem Britanni votant, quum rayas impeditas vallo atque fossa munierunt, quo incursionis hostium vitandœ causa convenire consueverunt. Nous recommandons ce texte, dont la science moderne nous semble avoir beaucoup trop abusé en plaçant sur la même ligne que ces oppida un grand nombre de villes gauloises qui leur étaient bien supérieures. César n'a fait cette remarque que parce qu'il a été réellement surpris de cette prétentieuse dénomination, et ne dit rien de pareil au sujet de la Gaule. Les Belges eux-mêmes ne possédaient pas des oppida si barbares, puisque ceux des Atuates et des Éburons, peuples vivant au milieu de leurs bois et de leurs marais, paraissent avoir été constamment habités.

César s'empare de l'oppidum de Cassivellaunus et met en fuite tout ce qui ne tombe pas sous le glaive des légions. D'un autre côté, ceux du pays de Kent qui avaient attaqué la flotte furent défaits, ce qui engagea le chef breton à traiter par l'entremise de l'Atrébate Comius, dont César exploita encore une fois le crédit qu'il avait parmi les insulaires. Cassivellaunus promit de fournir des otages et de payer tous les ans tribut au peuple romain.

Ces affaires terminées, César résolut de rentrer dans la Gaule. L'armée repassa le détroit en deux voyages ; car elle avait un grand nombre d'otages à transporter, et il lui restait peu de navires. Beaucoup n'avaient pu être réparés, et il n'était arrivé sur les côtes des Bretons qu'un petit nombre des soixante que Labienus avait expédiés du port Itius. Tous, ayant été faits à la hâte, n'étaient guère en état de tenir la mer ni de résister aux tempêtes.

Ces navires ayant été mis à sec et la session des états de la Gaule tenue à Samarobrive (Amiens) étant terminée : subductis navibus concilioque Gallorum Samarobrivœ peracto, César songea à mettre ses légions en quartiers d'hiver. Ce texte fait juger qu'il n'assista pas à cette assemblée. Il ne serait pas, d'ailleurs, allé à Samarobrive sans être accompagné au moins d'une seule légion, et ce n'est qu'après la tenue des états que toutes partent pour leurs hiberna.

La sécheresse de l'année ayant été suivie d'une disette de grains, il fut obligé de les disperser comme il avait déjà fait trois fois les années précédentes.

Fabius alla avec la sienne hiverner sur les terres des Morins : ex quibus [legionibus] unam in Morinos ducendam Fabio legato dedit. Quelques-uns la placent à Cassel (Castellum Morinorum), sans réfléchir qu'il n'eût pas été prudent d'envoyer un seul corps si loin des autres et si près des Ménapiens, qui n'étaient pas soumis.

D'autres la font séjourner à Itius même, pour garder les navires. Nous ne partageons pas ce sentiment, puisque César dit qu'il envoie conduire sa légion chez les Morins : unam ducendam dedit. Il n'aurait pas été besoin de la conduire à Itius, puisque toutes y étaient. Nous préférons Montreuil, situé à 9 lieues au sud de ce port, et où il existe un vaste camp romain. Cette légion pouvait, de ce lieu même, avoir l'œil sur la flotte, qui, d'ailleurs, était en sûreté depuis que Comius avait réuni l'État des Morins à celui des Atrébates. Qui sait même si César tenait beaucoup à la conservation de ces navires, dont il ne sera plus désormais question ?

Un autre corps fut envoyé, sous le commandement de Cicéron, chez les Nerviens (peuples de Bavay). Il y éleva, à la limite orientale du village de Rouvroy, à peu de distance de Mons, l'enceinte nommée le Catelet[7], dont les contours les plus escarpés s'appuient à la rivière de Trouille.

Une légion, composée de troupes levées sur les bords du P6, et cinq cohortes allèrent, sous les ordres de Sabinus et de Cotta, chez les Éburons (Liégeois) : Unam legionem quam proxime trans Padum conscripserat, et cohortes y in Eburones, quorum pars maxima est inter Mosam et Rhenum, misit. On lit dans le VIe livre qu'elles occupèrent Atuatuea, devenue Tongres d'après les géographes romains. Elles durent s'y rendre par l'antique voie de Némétocenne, de Cambray et de Bavay, laquelle a porté depuis le nom de Chaussée-de-Brunehaut.

Une autre légion fut envoyée chez les Rhèmes, près de la frontière des Trévires, sous le commandement de Labienus : in Rhemis cum Titurio Labieno in confinio Trevirorum hiemare jussit. Nous croyons qu'après être passée par Cambray et Landrecies elle alla fonder le camp situé dans le voisinage de Maquenoise, à 2 lieues d'Hirson et à 8 de la Meuse, qui servait de frontière aux Trévires. La situation de ce camp s'accorde parfaitement avec les faits militaires qui s'y rattachent et la description de l'historien, disant qu'il était fortifié par la nature et de grands travaux militaires : cum et loci natura et manu munitissimis castris contineret. Les curieux restes qu'on y voit encore, et qui consistent en épaisses murailles et silos profonds, prouvent que Labienus n'avait rien négligé pour le fortifier dès son arrivée.

Roscius alla avec une légion chez les Essui : tertiam in Essuos Roscio.... ducendam dedit, c'est-à-dire aux environs de Sagium (Séez). Ce mot tertiam a fait commettre une faute grave à Galleron, archéologue normand des plus zélés. En effet, César l'emploie pour indiquer l'ordre dans lequel il répartit ses différents corps ; Galleron a cru qu'il se rapportait au numéro de la légion, et comme on lit plus loin que Roscius commandait la treizième, le même antiquaire a cru que ce général était entré deux fois dans le pays des Essui : la première avec la troisième légion, la seconde avec la treizième. On voit combien il est utile de lire son auteur avec la plus grande attention.

Walckenaer place les Essui dans le duché de Luxembourg ; c'est à tort, puisque, dans les attaques qui auront lieu contre plusieurs hiberna romains, on ne voit pas figurer celui de Roscius, qui pourtant se serait trouvé autant exposé que ceux de Cicéron, de Labienus et de Sabinus aux injures des Éburons et des Trévires.

La nation des Essui étant tranquille et pacifiée : quietissimam et pacatissimam, Roscius paraît avoir fait hiverner sa légion sur deux points assez rapprochés l'un de l'autre : à Goul, touchant à Séez, et au Chatelier, près Montmerrey, localités où se voient ses deux camps.

Trois légions furent enfin placées dans le Belgium par César : in Belgio collocavit. Comme il ne dit pas ce qu'il entend par le Belgium, nous sommes obligé de le découvrir par l'étude de certains textes. On voit dans le VIIIe livre des Commentaires qu'il y envoie quatre légions et vient rejoindre l'une d'elles à Némétocenne (Arras) : IV legiones in Belgio collocavit... ad legiones in Belgium se recepit, hibernavitgue Nemetocennœ. L'Artois faisait donc partie du Belgium.

Samarobrive, dans l'Amiénais, s'y trouvait aussi comprise, puisque César était dans cette ville avec une des trois légions placées dans le Belgium lorsqu'il y appela Crassus, pour le constituer préfet du corps qui devait garder cette place.

Mais Crassus lui-même venait du Belgium, où il avait été envoyé avec sa légion, et nous trouvons cette légion chez les Bellovaces : nuntium in Bellovacos ad M. Crassum quœstorem mittit [Cœsar] ; donc l'Amiénais, le Beauvoisis et l'Artois faisaient partie de cette contrée. Nous y ajouterons le pays des Silvanectes (Senlis), appartenant aux Bellovaces.

Les géographes Sanson et le P. Briet ont introduit le Vermandois dans le Belgium ; aucun passage des Commentaires ne vient étayer leur opinion. Ce pays possède, à la vérité, la superbe enceinte militaire de Vermand dans laquelle on a trouvé des médailles du temps d'Auguste ; nous la regardons comme un camp de l'espèce des stativa, occupé par une garnison permanente, chargée de tenir en respect les peuples belliqueux de la rive maritime, après que l'oppidum des Véromandui (Saint-Quentin), devenu important, eut pris le nom d'Augusta Veromanduorum.

Maintenant que nous sommes fixé sur l'étendue du Belgium, il convient d'y répartir les trois légions qu'on y envoya. Nous placerons la première, commandée par Trébonius, avec lequel se trouvait César, à Samarobrive, sur la hauteur voisine de l'oppidum où depuis a été construite la citadelle d'Amiens. Dans ce camp étaient réunis les bagages de l'armée, les otages des cités, les archives militaires et les approvisionnements de blés : quod ibi impedimenta exercitus, obsides civitatum, litteras publicas, frumentumque omne quod eo tolerandœ hiemis causa devexerat.

La seconde, celle de Crassus, alla s'établir à 8 lieues de Samarobrive, dans le pays des Bellovaces : in Bellovacos.... cujus hiberna aberant ab eo millia passuum XXV. Nous croyons qu'elle fonda, près de Roye, le camp nommé Vieux-Castil, qui se trouvait en ligne avec celui de Labienus, placé chez les Rhèmes, près de la frontière des Trévires.

Quant à la troisième, expédiée pour le Belgium sous les ordres de Plancus, on verra qu'elle s'établit aux environs de Bratuspantium (Beauvais), près du village de Bresles, où existe un retranchement qui porte le nom de Camp-de-César. Il n'y en eut pas d'envoyées chez les peuples d'Arras.

Toutes ces légions ainsi placées, dit l'historien, sauf celle de Roscius, qui était chez les Essui, pouvaient aisément se procurer des vivres, et se trouvaient contenues dans un espace de cent mille pas (33 lieues environ) : millibus passuum C continebantur.

Cette distance, exacte à l'égard de plusieurs camps, a été reconnue fausse envers d'autres par tous les commentateurs de César. Nous ne citerons que l'exemple suivant : au lieu de 33 lieues, il y en a presque 66 de Montreuil à Tongres (Atuatuca), et 58 d'Amiens (Samarobrive) à la même ville. César aura donc voulu dire que les légions les plus éloignées l'une de l'autre ne l'étaient pas à plus de 33 lieues ; c'est ainsi que l'entend M. Schays, dans son savant ouvrage sur la Belgique : Toute l'armée romaine, dit-il, se trouva concentrée de manière à ne laisser qu'une distance de cent milles (33 lieues) d'un camp à l'autre.

Ce texte, différemment interprété, a fait naître des doutes, tantôt sur le véritable emplacement de Samarobrive, tantôt sur celui d'Atuatuca. Il faut donc admettre qu'il y a une erreur quelconque, soit dans l'évaluation des distances, soit dans la désignation précise du lieu où se trouvaient ces deux villes. Or, on ne peut croire que César ait commis la dernière faute, lui qui a séjourné à Samarobrive et dit qu'Atuatuca, où il était passé, se trouvait au milieu du pays des Éburons : Hoc [Atuatuca] castellum fere est in mediis Eburonum finibus (lib. VI).

Aussitôt qu'il eut appris le campement des légions, il résolut de passer l'hiver dans la Gaule. Nous le verrons à Samarobrive. Il n'y fut pas plus tôt arrivé qu'il apprit l'assassinat de Tasgétius, auquel il avait conféré la souveraineté des Carnutes. Craignant que la révolte ne se propageât, il fit partir aussitôt la légion campée dans le Belgium sous les ordres de Plancus : L. Plancum cum legione ex Belgio celeriter in Carnutes proficisci jubet. Nous n'avons donc pas eu tort de placer cette légion dans le camp de Bresles, près de Bratuspantium. En effet, puisqu'il fallait faire diligence, il importait d'envoyer chez les Carnutes celle du Belgium, qui en était la plus rapprochée. Elle dut passer par Gisors, Mantes et Rambouillet pour aller occuper le camp de Changé, créé, avons-nous dit, par Sabinus, après la seconde campagne de César, à 3 lieues d'Autricum, principal oppidum des Carnutes.

Ce soulèvement n'eut pas de suites sérieuses, mais il en survint un autre qui donna plus d'inquiétudes au conquérant. A peine Sabinus et Cotta furent-ils établis chez les Éburons qu'Ambiorix et Cativule, les deux chefs du pays, s'empressèrent de leur envoyer des provisions de blés. Mais bientôt, gagnés par les émissaires des Trévires, ils oublièrent les anciens bienfaits de César et la protection qu'il leur avait accordée contre les Atuates. Ils levèrent des troupes, qui fondirent tout à coup sur les légionnaires sortis pour faire du bois et vinrent attaquer leur camp. Les Romains prirent les armes et bordèrent le rempart. De son côté, la cavalerie espagnole fit une charge heureuse et força l'ennemi d'abandonner l'attaque.

Alors les Éburons demandèrent à conférer, disant qu'ils avaient à faire des propositions susceptibles d'apaiser tous les différends. On leur envoya Arpinius, chevalier romain, et l'Espagnol Junius, auquel César avait déjà donné plusieurs missions près d'Ambiorix. Celui-ci reconnut que les Romains avaient déchargé son pays du tribut qu'ils payaient aux Atuates et délivré d'esclavage son fils et son neveu ; il ajouta qu'il en était reconnaissant ; que l'attaque du camp avait été faite malgré lui ; que sa nation n'avait pu s'opposer au torrent de toute la Gaule, et que son peu d'importance en était une preuve sensible : id se facile ex humilitate sua probare posse ; que les Germains passaient le Rhin ; que tous les Gaulois, d'un commun accord, avaient pris ce jour-là pour attaquer à la fois les quartiers romains ; qu'il conseillait à Sabinus de retirer ses troupes de leur retranchement avant que les peuples voisins ne s'en aperçussent, et de les conduire soit au camp de Cicéron, qui n'était pas à plus de cinquante milles de là, soit à celui de Labienus, qui n'était guère plus éloigné : eductos ex hibernis milites aut ad Ciceronem aut ad Labienum deducere ; quorum alter millia passuum circiter L, alter paulo amplius ab his absit ; qu'il jurait enfin de leur livrer passage pour reconnaître les bienfaits de César.

Voici encore de fausses mesures itinéraires, puisqu'il y avait 28 lieues et non 18 du camp de Tongres à celui de Cicéron, et 32 du même camp à celui de Labienus. Heureusement que César les rectifie lui-même en plaçant le premier chez les Nerviens et le second chez les Rhèmes. Or, des camps placés sur le territoire de ces deux peuples ne pouvaient se trouver à 18 et à 25 lieues seulement d'Atuatuca.

Arpinius et Junius rapportèrent à leurs généraux l'entretien qu'ils venaient d'avoir avec Arioviste. Ce changement subit les embarrassa. Ils ne crurent pas devoir négliger cet avis, pensant qu'il n'était pas probable qu'un État aussi faible que celui des Éburons eût osé seul et de lui-même entreprendre de faire la guerre au peuple romain. Ce passage est bon à noter et prouve que les terres des Éburons, quoique très-étendues, n'étaient pas fort peuplées.

It y eut de grandes contestations dans le conseil : Cotta et plusieurs tribuns étaient d'avis de ne pas sortir du camp sans l'ordre de César. Ils disaient que, étant bien retranchés, ils pourraient tenir contre les Germains et les Éburons, que les quartiers les plus proches viendraient à leur secours, et qu'on ne pouvait suivre le conseil d'un ennemi en des circonstances si importantes.

Sabinus soutenait, au contraire, qu'il serait bien tard de se retirer lorsque toutes les forces des Éburons auraient été jointes par les Germains, qui éprouvaient une grande douleur de la mort d'Arioviste et de leurs revers précédents : magno esse Germanis dolori Ariovisti mortem et superiores nostras victorias. On voit que le roi germain survécut peu d'années à sa défaite, que ses sujets ne lui surent pas mauvais gré, et qu'il mourut peut-être désespéré de ne s'être pas vengé des Romains.

Sabinus ajouta qu'on pouvait alors sans risque se réunir à la légion la plus rapprochée, et que le contraire aurait lieu si l'on attendait l'arrivée des Germains.

Les deux chefs étaient loin de s'entendre lorsque Sabinus s'écria qu'il ne craignait pas la mort, mais que l'avis contraire au sien exposait les troupes à périr par le fer ou par la faim.

Ceux qui étaient présents au conseil les supplièrent de se mettre d'accord, car leur division était capable de tout perdre. Il était minuit. Cotta se rendit enfin à l'avis de Sabinus. On convint de partir sitôt que le jour paraîtrait, et le soldat passa la nuit à se préparer, faute énorme, puisqu'on l'excédait de fatigues et de veilles au moment où il allait se mettre en marche.

On sortit du camp au point du jour ; les troupes cheminaient en longue file avec un bagage considérable. Les ennemis, qui avaient entendu du bruit dans le retranchement romain, étaient allés s'embusquer, en deux corps, dans un bois situé à 3 kilomètres de là. Un vallon se trouvait entre les deux embuscades. Quand ils y virent les légions engagées, ils descendirent des deux côtés du vallon et attaquèrent en queue, en même temps qu'ils empêchaient l'avant-garde d'avancer.

Sabinus n'avait pris aucune précaution et ne savait quel ordre donner. Cotta, plus prévoyant, ne négligeait rien de ce qui pouvait contribuer au salut commun. Il remplissait en même temps les devoirs de capitaine et de soldat. On abandonna le bagage et l'on se forma en rond. Cette manœuvre, prise ordinairement dans les cas extrêmes, découragea les Romains et augmenta l'ardeur de l'ennemi. Tout retentissait de cris et de gémissements.

Les légionnaires ne manquaient pas de se maintenir courageusement, bien que leurs chefs et Cotta lui-même fussent blessés dans leurs rangs.

Sabinus, apercevant au loin Ambiorix qui animait ses troupes, lui envoya son interprète Pompeius, pour le prier d'épargner le sang des soldats. Le chef éburon répondit que Sabinus pouvait venir traiter avec lui. Sabinus fit part de cette réponse à Cotta, en l'engageant à sortir de la mêlée et à l'accompagner près d'Ambiorix dont il espérait obtenir le salut de tous. Cotta proteste qu'il ne se rendra jamais près d'un ennemi armé, et persiste dans ce refus.

Sabinus va seul près du chef éburon avec quelques tribuns. Ils reçoivent l'ordre de mettre bas les armes, et, pendant un simulacre de conférence, ils sont tous enveloppés et massacrés. Alors les Gaulois redoublent d'ardeur, se jettent sur les troupes romaines et les mettent en désordre. Cotta et la plus grande partie de ses soldats périssent les armes à la main. Quelques-uns se sauvent dans le camp, résistent jusqu'à la nuit et finissent par se tuer eux-mêmes de désespoir ; d'autres, échappés à la défaite, gagnent les bois, et, par des chemins de traverse, vont porter cette triste nouvelle à Labienus.

Le vallon où l'on soupçonne que ce combat eut lieu se voit à 3 kilomètres de Tongres, sur l'antique voie conduisant de cette ville à Bavay.

César blâma la résolution de Sabinus et le trop de confiance qu'il avait accordée à des barbares. En effet, s'il fût resté dans son camp, il aurait pu s'y défendre, en sortir à point pour tomber sur l'ennemi et le repousser, manœuvre hardie qui lui avait réussi chez les Unelles et que Galba avait employée contre les peuples des Alpes.

Ambiorix, fier de ce premier succès, part de suite, marche jour et nuit avec sa cavalerie pour le pays des Atuates (Namur), ayant ordonné à son infanterie de le suivre. Il surexcite les aspirations guerrières de ces peuples par le récit de sa victoire, et va le lendemain chez les Nerviens, auxquels il raconte l'anéantissement des troupes de Sabinus et la mort des deux généraux romains, ajoutant que le moment était arrivé de venger leurs anciennes défaites. Les Nerviens, aisément persuadés, convoquent les Centrons, les Grudii, les Levaces, les Pleumosii et les Gorduni, peuples que l'on croit être ceux de Courtray, de Louvain, de Bruges, de Tournay et de Gand, qui faisaient partie de leur clientèle. César a donc exagéré la précédente défaite des Nerviens sur la Sambre, puisqu'ils sont maintenant en mesure de fournir des contingents très-respectables à ce soulèvement. Tous réunis partent pour le camp de Cicéron, où l'on ne connaissait pas encore la défaite et la mort de Sabinus. Leur cavalerie surprend en passant quelques légionnaires qui s'étaient éloignés pour aller couper des fascines et du bois devant servir à la défense du retranchement : qui lignationis munitionisque causa in silvas discessissent. Les premières occupations des soldats romains, lorsqu'ils avaient fait choix d'un emplacement pour camper, consistaient donc à le fortifier de tours en bois et de palissades.

Enfin, bientôt attaqués, les légionnaires courent aux armes et bordent le rempart. Ils essuient une rude journée. Cicéron tâche d'envoyer des messagers à César ; aucun ne peut sortir tant les passages sont bien gardés.

Pendant la nuit, on se sert, avec une promptitude incroyable, du bois qu'on avait apporté, et l'on construit cent vingt tours pour garnir le retranchement : Noctu ex ea materia, quam munitionis causa comportaverant, terres CXX excitantur incredibili celeritate. Les Gaulois reviennent dès le lendemain à l'assaut et comblent le fossé. On leur résiste comme la veille ; on fait les mêmes efforts les jours suivants. Chaque nuit on façonne des pieux brûlés par le bout, des dards, des claies, des mantelets, et l'on ajoute de nouveaux étages aux tours.

Alors les plus notables des Nerviens demandent à parler à Cicéron. Après lui avoir répété tout ce qu'Ambiorix avait dit à Sabinus touchant l'armement général de la Gaule et l'arrivée des Germains, ils lui permettent de se retirer là où il voudrait. Cicéron se garda bien de prêter l'oreille à leurs propositions. Alors ils enferment son camp d'un rempart de onze pieds de haut et d'un fossé de quinze pieds de profondeur. On remarqua que, n'ayant pas d'instruments propres à remuer la terre, ils étaient obligés de couper les gazons avec leurs épées et de les transporter dans leurs habits ; on peut juger de leur grand nombre puisqu'en moins de trois heures ils achevèrent leur contrevallation, qui n'avait pas moins de 5 lieues de développement ; les jours suivants ils élevèrent des tours à la hauteur des remparts du camp, travail qui avait été dirigé par des prisonniers romains.

Un grand vent s'étant élevé, le septième jour de l'attaque, ils lancèrent dans l'enceinte du retranchement des boules d'argile garnies de feu et des traits enflammés sur les huttes des soldats couvertes de paille selon l'usage des Gaulois : ferventes fusili ex argilla glandes, fundis et terve facta jacula in casas, que more gallico stramentis erant tette, jacere cœperunt. Les soldats romains s'abritaient donc, pendant l'hiver, sous des cabanes assez semblables à celles des Gaulois. Certaines dépressions de terrain, de forme circulaire, que l'on remarque au pied du vallum des retranchements antiques, pourraient fort bien être les aires de leurs tuguria.

L'embrasement eut lieu aussitôt, et le vent l'étendit sur tout le camp. On se battit ce jour-là avec un acharnement sans pareil. Enfin les Gaulois finirent par être repoussés à coups de pierres et essuyèrent de grandes pertes.

Cicéron faisait tous ses efforts pour envoyer des messagers à César ; sitôt qu'il en sortait un il était arrêté et livré au supplice à la vue des assiégés. Un esclave du Nervien Verticon, attaché au parti romain, se dévoua et réussit, vu qu'il était Gaulois et ne causait nulle défiance, à traverser les lignes ennemies et à porter sa missive à César.

Celui-ci dépêcha de suite vers Crassus, campé chez les Bellovaces, à Roye, avons-nous dit, et lui notifia de partir dans le milieu de la nuit pour venir le rejoindre avec sa légion : statim nuntium in Bellovacos ad M. Crassum quœstorem mittit, cujus hiberna aberant ab eo millia passuum XXV. Jubet media nocte legionem proficisci, celeriter que ad se venire. Crassus s'empressa d'exécuter l'ordre de son général.

Fabius, campé à Montreuil, chez les Morins, fut mandé dans le pays des Atrébates où César devait le rencontrer : ut in Atrebatium fines legionem adducat.

Labienus, à son tour, eut ordre de se porter sur le territoire des Nerviens, c'est-à-dire de Maquenoise à Bagacum, par Avesnes, s'il pouvait quitter sa position sans danger. Il répondit que, depuis la défaite de Sabinus, l'armée des Trévires venait à lui : quum omnes ad eum Trevirorum copiœ venissent, et qu'elle était déjà arrivée avec sa cavalerie à cinq quarts de lieue de son camp. César approuva qu'il gardât sa position, et, ne pouvant avoir aucun renfort des légions envoyées au loin, il tira seulement quatre cents chevaux des camps voisins.

Vers neuf heures du matin, l'avant-garde de Crassus arrivait, et César sut par elle que ce général approchait : fora circiter III ab antecursoribus de Crassi adventu certior est factus. Il lui laissa une légion et l'investit du commandement de Samarobrive. Il était donc lui-même dans cette ville, puisque Crassus, mandé près de lui : ut ad se veniat, vient l'y remplacer. Le même jour, il fit une marche de 7 lieues et opéra sa jonction avec Fabius.

Cette rencontre dut avoir lieu à la frontière des Atrébates, devant Cambray, où Fabius se rendit par Hesdin, Saint-Pol et Arras, et César en suivant la voie de Samarobrive à Bapaume. De Cambray, il y avait une route directe passant par le Quesnoy et Bavay, et touchant, au-dessus de Mons, au camp du Rouvroy, qu'occupait Cicéron. C'est une partie de la voie que nous avons fait suivre à l'armée romaine, lors de sa première expédition contre les Nerviens.

Cet itinéraire contrarie un peu ceux qui placent Samarobrive à Saint-Quentin, car il existait une voie gauloise de cette dernière ville à Mons, et César n'aurait pas eu besoin, s'il eût été à Saint-Quentin, de passer sur les terres des Atrébates pour atteindre le camp de Cicéron.

Se trouvant seulement à la tête de deux légions après sa jonction avec Fabius, il marche à grandes journées et apprend chez les Nerviens le danger que courait son lieutenant. Il lui envoie une lettre par un cavalier gaulois, en l'exhortant à tenir bon jusqu'à son arrivée. Elle était écrite en caractères grecs : litteris grœcis, afin que, si elle venait à être interceptée, l'ennemi n'eût pas connaissance de son projet. Ce motif s'explique difficilement, puisque ces mêmes caractères se voyaient sur les médailles celtiques, dans les actes publics des druides et jusque chez les Helvétiens, qui avaient rédigé en lettres grecques les contrôles de leur armée. Les Gaulois ne possédaient donc pas de caractères particuliers, et, puisque ceux des Grecs leur étaient plus familiers que ceux des Romains, pourquoi César s'en sert-il ? Tout s'expliquera si l'on admet ici que les mots litteris grœcis signifient en langue grecque, langue que ne parlaient assurément pas les Gaulois.

César s'était assez approché du camp de Cicéron pour que la fumée des embrasements que les légions opéraient donnât la certitude de son arrivée. Les confédérés, au nombre de soixante mille, quittent aussitôt leur siége pour venir au-devant de lui. Cicéron en fait instruire César par un autre esclave de Verticon. César reçoit cet avis à minuit, en fait part à ses troupes, les encourage et décampe au jour : postero die luce prima movet castra. Il n'eut pas plus tôt fait une lieue qu'il aperçut les Gaulois au delà d'un grand vallon traversé par un ruisseau. Ne pouvant les attaquer, car il avait à peine sept mille hommes sans bagages, très-mince effectif pour deux légions, il préféra se retrancher dans un lieu peu étendu, voulant d'ailleurs faire croire à l'ennemi qu'il n'était pas à craindre.

Son premier soin fut d'envoyer des éclaireurs chargés de roconnaltre l'endroit le plus commode pour traverser le vallon. Il y eut quelques escarmouches de cavalerie sur les bords du ruisseau ; mais chacun se tint renfermé dans son camp. César désirait les attirer de son côté, afin de les combattre à la tête de son retranchement. Le lendemain, au point du jour, la cavalerie ennemie s'avança jusqu'aux portes du camp. César recommanda à la sienne de simuler la retraite et fit en même temps élever des fortifications de tous côtés, feignant beaucoup de crainte et de désordre.

Les ennemis, prenant le change, passent le vallon et viennent s'établir dans un lieu désavantageux ; puis, voyant que les légionnaires avaient abandonné leur rempart, ils s'en approchent et lancent des traits dans le camp romain. Leur assurance devient même telle que les uns commencent à escalader le vallum, tandis que les autres s'occupent à combler le fossé. Alors César fait sortir brusquement son infanterie et sa cavalerie par toutes les portes, attaque l'ennemi et le met en fuite sans qu'aucun ose résister. On en tue un grand nombre et tous jettent bas leurs armes.

Craignant de les poursuivre, à cause des bois et des marais, César rejoignit le même jour son lieutenant, sans avoir perdu un seul homme : omnibus suis incolumibus copiis, eodem die ad Ciceronem pervertit, résultat inexplicable après une attaque exécutée par soixante mille hommes qui s'étaient si bravement conduits devant le camp de Cicéron.

César admira les immenses travaux, les tours, les béliers et les retranchements faits par les barbares ; puis, ayant passé la revue de la légion, il trouva qu'il n'y en avait pas la dixième partie sans blessure : legione producta, cognoscit non decimum quemque esse relictum militera sine vulnere, d'où il jugea du danger qu'elle avait couru et du courage qu'elle avait montré. Ce résultat donne une idée des guerres de l'époque et du pauvre armement de l'armée gauloise : les Romains tuent à discrétion, les Gaulois font une infinité de blessures qui ne mettent pas même leurs adversaires hors de combat.

Les personnes qui visitent l'enceinte du Rouvroy peuvent facilement reconnaître l'endroit où César livra sa mémorable bataille. Il a été, en effet, découvert à une lieue au sud du camp de Cicéron, sur le territoire de Vieux-Reng, dont le nom, venant de Ring, signifie lieu de campement, et où l'on trouve depuis longtemps des débris d'armes antiques et des ossements humains.

La nouvelle de cette victoire fut portée à Labienus par les Rhèmes avec une vitesse incroyable ; car, bien qu'il se trouvât à 18 lieues des quartiers de Cicéron : ut cum ab hibernis Ciceronis millia passuum L abesset, ils étaient aux portes du camp de Labienus le même jour, à minuit, et, par leurs cris de joie, lui apprenaient le succès des légions. On voit combien les Rhèmes étaient attachés à la fortune de César.

Induciomare ne tarda pas à être instruit de cet événement. Au lieu d'attaquer Labienus le lendemain, comme il l'avait résolu, il s'enfuit au plus vite pendant la nuit et ramena ses troupes chez les Trévires : copiasque omnes in Treviros reducit. Ces deux textes se rapportent parfaitement au camp de Maquenoise, qui était, d'une part, à 18 lieues de celui de Cicéron, et de l'autre chez les Rhèmes, puisque les Trévires retournèrent dans leur pays après en avoir abandonné l'attaque.

Ces choses terminées selon ses désirs, César renvoya Fabius dans son camp (de Montreuil) : Cœsar Fabium cum legione in sua remittit hiberna, et résolut de passer l'hiver avec trois légions qu'il plaça dans trois, quartiers différents, aux environs de Samarobrive : ipse cum in legionibus circum Samarobrivam trinis hibernis hiemare constituit. Ces trois corps devaient se composer de la légion de Crassus, laissée à Samarobrive, et des légions de Trébonius et de Cicéron. L'une de ces deux dernières dut occuper le camp de Bresles, élevé par Plancus avant son départ pour le pays des Carnutes, et l'autre celui de Roye, d'où partit Crassus lorsqu'il fut appelé au commandement de Samarobrive.

Ces corps, ainsi placés, se trouvaient à peu de distance de l'oppidum des Ambiani et non autour. C'est ce premier sens que l'historien donne au mot circum, en parlant dans sa première campagne des légions qui campaient près d'Aquilée : circum Aquileiam. Nous ne voyons pas pourquoi certains antiquaires en envoient une fonder le camp de Vermand, trop éloigné de Samarobrive pour que l'on puisse dire qu'il était aux environs.

César, arrivé lui-même dans cette ville, s'aperçut bientôt que la défaite de Sabinus, colportée dans la Gaule, y avait entretenu un esprit de fermentation et de révolte qu'il devrait bientôt réprimer. D'abord Roscius, envoyé avec la treizième légion chez les Essui : quem legioni XIII prœfecerat, lui manda que de nombreuses forces appartenant aux cités armoricaines (la Normandie et la Bretagne) s'étaient réunies et approchées à 3 lieues environ de ses quartiers, d'où elles étaient reparties en apprenant la délivrance du camp de Cicéron et le châtiment des confédérés. Les Essui composaient donc définitivement la cité de Séez, puisqu'ils avaient pour voisins les peuples de l'Armorique.

Il est probable que Roscius, apprenant ce soulèvement, se porta avec sa légion jusqu'aux frontières occidentales des Essui et campa sur le mont Mirat, en face de l'oppidum de Falesia, où nous avons découvert les traces d'un camp romain qui interceptait l'antique voie venant de la Bretagne et des autres cités maritimes.

De leur côté, les Sénons, en grande autorité parmi les Gaulois, venaient de chasser Cavarinus, que César leur avait donné pour roi, et lui avaient envoyé des députés pour se justifier. Il leur prescrivit d'amener leur sénat, car la déposition de Cavarinus avait eu lieu par une délibération publique. Ils refusèrent d'obéir, et leur rébellion sera punie à l'ouverture de la prochaine campagne. Enfin, le mécontentement était tel parmi les Gaulois qu'il n'y avait pas de peuple, sauf les Éduens et les Rhèmes, dont César ne dût soupçonner la fidélité.

Les Trévires, suivant l'exemple des autres, étaient toujours partagés en deux factions, à la tête desquelles se voyaient Induciomare et son gendre Cingétorix. Le parti national, qui reconnaissait le premier pour chef, convoqua, selon la coutume, les états sous les armes : armatum concilium indicit. Tous ceux qui étaient propres au service devaient s'y rendre, et celui qui arrivait le dernier était massacré en présence de tous les autres : hoc more Gallorum est initium belli. Strabon ajoute (lib. IV) que tous ces hommes portaient de longs cheveux, étaient vêtus de saies (nos blouses actuelles), de braies qui les couvraient depuis la ceinture jusqu'aux genoux, enfin de brodequins en cuir qui se rattachaient à leurs braies. Ils avaient de longs boucliers en osier recouverts de cuir, assortis à leur taille. Leurs armes étaient des lances, des frondes et des sabres, auxquels les légionnaires opposaient le javelot, dont ils usaient contre l'ennemi avant d'approcher avec leurs épées.

Induciomare fit déclarer criminel Cingétorix, son gendre, attaché au parti romain ; il instruisit ensuite l'assemblée que, étant appelé par les Sénons, les Carnutes et plusieurs autres peuples de la Gaule, il traverserait les terres des Rhèmes et les ravagerait ; mais qu'il attaquerait auparavant le camp de Labienus : ac priusquam id faciat, castra Labieni oppugnaturum. S'il ne ravage les terres des Rhèmes qu'après avoir attaqué le camp romain, ce camp était donc à l'extrême frontière de ce peuple, position qui convient parfaitement au territoire de Maquenoise.

Labienus, fortifié comme il l'était, ne craignait rien pour lui ni pour sa légion. Il épia seulement l'heure favorable de faire un coup de main, et fit entrer de nuit dans son camp la cavalerie des cités voisines.

Induciomare ne tarda pas à se présenter et vint plusieurs fois à la tête des siens reconnaître la position. Il y passa même une partie du jour, faisant lancer des traits par ses cavaliers sur les légionnaires et les défiant au combat. Comme on ne leur répondait rien, ils se retirèrent sur le soir sans garder aucun ordre : sub vesperum dispersi ac dissipate discedunt. Labienus, qui attendait ce moment avec impatience, fit promptement sortir sa cavalerie par deux portes, avec ordre de courir droit à Induciomare et de ne frapper personne avant qu'il n'eût été tué, promettant de grandes récompenses à ceux qui le lui amèneraient mort ou vif. Ce coup de main réussit, car tous avaient la même préoccupation et n'en voulaient qu'à un seul. Ayant été atteint au gué d'une rivière, Induciomare fut tué et l'on apporta sa tête au camp. La cavalerie, en rentrant, fit main-basse sur tout ce qu'elle rencontra.

L'action n'ayant eu lieu que le soir : sub vesperum, les légions durent avoir peu de chemin à faire pour atteindre la rivière, aussi adopterons-nous celle qui passe par Rocroy et dont l'une des branches coule entre la Meuse et le camp romain.

Cette victoire ayant été connue, les Éburons, les Nerviens congédièrent leurs troupes, et les légions purent passer l'hiver tranquillement dans la Gaule.

 

 

 



[1] Les médailles gauloises sur lesquelles se voit le nom de Caledu appartiennent à l'antique oppidum des Calètes. (Voir notre mémoire inséré dans la Revue archéologique, 14e année.)

[2] Le nom d'Andomaropolis, ou cité près de la mer, que cette ville a porté ferait croire qu'elle prit un certain accroissement du temps de Gratien, temps où Acusio changea son nom gaulois en celui de Gratianopolis (Grenoble). Cette terminaison grecque fut alors admise dans le nom de beaucoup de villes impériales.

[3] Sanderi, Flandre illustrée, t. Ier, page 167.

[4] Chron. Castel., in Rob. Frisi.

[5] Rigord, in vit. Philippe le Bel.

[6] Guillaume le Breton, Philippide.

[7] Beaucoup d'auteurs diffèrent sur l'emplacement du camp de Cicéron. Il aurait existé, selon les uns ou les autres, à Velsig, entre Gand et Alost, à Wandrez, entre Mons et Binche, à Tournay, à Tervueren, à Castres, entre Bruxelles et Enghien, à Mons, dont l'emplacement portait encore au VIIe siècle le nom de Castrilocus. Nous adoptons l'opinion, la plus neuve et la plus probable, de M. Piérart, qui, dans son Histoire de Maubeuge, le place au Catelet.