LES SOURCES DE TACITE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LES ANNALES.

CHAPITRE II. — LES HISTORIENS DE TIBÈRE, CALIGULA, CLAUDE ET NÉRON ANTÉRIEURS À TACITE.

 

 

I

Comme Tacite avait composé les premiers livres des Histoires non d'après les sources originales, mais d'après l'ouvrage de Pline l'Ancien, il composa les Annales d'après les historiens antérieurs des règnes de Tibère, Caligula, Claude et Néron. Il ne changea pas la nature de ses sources ; seulement, il en augmenta le nombre. Tandis que la partie conservée des Histoires est la reproduction d'une source dérivée à peu près unique, d'un bout à l'autre des Annales il a employé à la fois plusieurs sources dérivées. Cela résulte clairement de ses propres affirmations.

1. A propos des comices consulaires du règne de Tibère, Tacite fait cette déclaration (I, 8) : De comitiis consularibus... vix quicquam firmare ausim, adeo diversa, non modo apud auctores, sed in ipsius orationibus reperiuntur. Puisqu'il affirme avoir trouvé des divergences entre les historiens, c'est qu'il en a consulté au moins deux. Il est même certain qu'il en a consulté plus de deux : Non apud auctores rerum, non diurna actorum scriptura reperio, dit-il (III, 3) en parlant de l'absence d'Antonia aux funérailles de son fils Germanicus. S'il a eu recours, exceptionnellement, au volumineux recueil des Acta diurna, pour essayer d'y découvrir un détail qui l'intéressait, ce n'a été assurément qu'après s'être adressé en vain à plusieurs historiens. Sur la mort de Drusus il dit formellement qu'il a lu plusieurs récits (IV, 10) : In tradenda morte Drusi, quæ plurimis maximæque fidei auctoribus memorata sunt, rettuli. Un peu plus loin (IV, 11) il donne à entendre qu'il a lu tous les historiens du règne de Tibère, tous ceux au moins qui avaient quelque valeur à ses yeux : Neque quisquam scriptor tam infensus extitit, ut Tiberio objectaret, cum omnia alia conquirerent intenderentque. Il faut bien qu'il en soit ainsi, puisqu'il affirme hardiment (IV, 53) : Id ego a acriptoribus annalium non tradition repperi in commentariis Agrippinæ filiæ. Voici encore deux passages des six premiers livres qui démontrent la pluralité des sources pour cette partie. Dans l'un il s'agit du départ de Tibère (IV, 57) : Causam abscessus, quamquam secutus plurimos auctorum ad Sejani artes rettuli..... Dans l'autre, il s'agit des procès qui suivirent la chute de Séjan (VI, 7) : Neque sum ignarus a pleriaque scriptoribua omissa multorum pericula..... Nobis pleraque digne cognitu obvenere, quamquam ab allia incelebrata[1].

Pour ce qui nous reste du règne de Claude, nous n'avons aucune citation aussi concluante. Mais Tacite n'a certainement renoncé, ni dans cette partie ni dans celle qui était consacrée au règne de Caligula, à la méthode qu'il avait adoptée pour le règne de Tibère et qu'il suivit encore pour le règne de Néron. Car il a sûrement composé le récit de ce règne d'après plusieurs sources. Tradunt plerique corton temporum scriptores, dit-il au chapitre 17 du livre XIII. Au chapitre 20 du même livre, il nomme trois sources : Fabius Rusticus auctor est... Plinius et Cluvius... referent ; et il ajoute : Nos consensum auctorum secuturi, si qui diverse prodiderint, sub nominibus ipsorum trademus. Cluvius et Fabius sont encore cités ensemble au chapitre 2 du livre XIV, et il résulte de la citation qu'ils n'ont pas été à cet endroit les deux seules sources de Tacite : Tradit Cluvius... Fabius Rusticus... memorat... Sed quæ Cluvius, eadem ceteri quoque auctores prodidere... Enfin Pline est cité seul au chapitre 53 du livre XV : Quod C. Plinius memorat, et Fabius Rusticus au chapitre 61 du même livre[2].

2. Mais si la pluralité des sources est incontestable, il ne s'ensuit pas le moins du monde qu'elles aient été en très grand nombre. Pour le règne de Néron, il n'y en a pas eu plus de trois. Nous en avons la preuve au chapitre 20 du livre XIII. Tacite rapporte deux versions contradictoires, celle de Fabius Rusticus, qui prétend que la révocation de Burrus fut un moment décidée, celle de Cluvius et de Pline, qui ne mentionnent pas le moindre soupçon contre la fidélité de Burrus[3] et, par conséquent, ne disent pas qu'il ait été question de le révoquer. Tacite penche visiblement vers la seconde version, mais sans aller jusqu'à repousser la première d'une façon catégorique. Tout historien sérieux du règne de Néron devait raconter cette accusation intentée à Agrippine et dans laquelle Burrus aurait été compromis, d'après Fabius ; la chose en valait la peine. Et Tacite, puisque les témoignages des trois sources nommées ne lui donnaient pas la certitude, devait, s'il en avait d'autres, les produire. S'il ne l'a pas fait, c'est que Fabius, Cluvius et Pline étaient ses trois seules sources. C'est donc à ces trois auteurs seulement que se rapporte la déclaration qui vient ensuite : Nos consensum auctorum[4] secuturi, si qui diversa prodiderint, sub nominibus ipsorum trademus. Il promet ici de noter les divergences. Il tient sa promesse è plusieurs reprises (XIV, 2 ; XV, 53 et 61), et jamais il ne cite d'autres noms que ceux de Fabius, de Cluvius et de Pline[5]. Il est vrai qu'au chapitre 2 du livre XIV, contre l'opinion de Fabius il mentionne celle de Cluvius et des autres auteurs ; mais les considérations que nous venons de développer nous obligent à voir derrière ce pluriel un singulier, le troisième auteur, Pline. De même (XIII, 17) plerique[6] eorum temporum scriptores ne désigne pas plus de trois sources. Quant à quamvis quidam scriptores tradant (XVI, 6), ou bien cette citation désigne les trois auteurs que Tacite accuserait tous ensemble d'avoir parlé odio magis quam ex fide, ou bien elle ne désigne qu'un ou deux des trois auteurs. Si cette dernière supposition était fondée, Tacite n'aurait pas tenu la promesse, faite au chapitre 20 du livre XIII, de nommer les auteurs quand ils ne seraient pas d'accord, promesse qu'il a tenue au chapitre 2 du livre XIV. Cela n'a rien d'invraisemblable : nous verrons, en effet, que Tacite ne l'a pas toujours tenue, tant s'en faut[7].

Puisque, au chapitre 17 du livre XIII, il ne faut voir dans plerique scriptores, que trois historiens, il est fort possible que le même mot ne signifie pas un nombre plus grand au chapitre 7 du livre VI : Neque sum ignarus plerisque scriptoribus omisse multorum pericula et pœnas. Mais ici Tacite ne désigne qu'une partie de ses sources, ceux des historiens qui ont cru devoir omettre certains faits qu'il racontera : Nobis pleraque digna cognitu obvenere, quamquam ab anis incelebrata. Comme ce n'est pas, nous l'avons démontré plus haut[8], à l'aide des sources premières qu'il les racontera, il a dû avoir au moins une autre source dérivée. D'autres passages des six premiers livres montrent aussi qu'il a eu plus de sources pour le règne de Tibère que pour celui de Néron. Il dit (IV, 10) à propos de la mort de Drusus : In tradenda morte Drusi, quæ plurimis maximæque fidei auctoribus memorata sunt rettuli, à propos du départ de Tibère (IV, 57) : Causam abscessus quamquam secutus plurimos auctorum ad Sejani artes rettuli. Plurimi étant dans son vocabulaire plus fort que plerique, qu'il emploie dans le sens de multi, il faudrait conclure de ces deux passages qu'il a eu pour le règne de Tibère au moins quatre sources. Nous ne parlons, bien entendu, que des sources dont il a pu faire un usage courant, et non de celles qui ne comprenaient, comme les Guerres de Germanie de Pline[9] et les Mémoires de la seconde Agrippine[10], qu'une partie des événements du règne. Les Mémoires d'Agrippine sont une source première. En fait de sources dérivées partielles, il ne nomme pour les six premiers livres que Pline. Il n'en nomme aucune pour les derniers livres, puisque les Mémoires de Corbulon sont une source première.

Tacite nous met dans un grand embarras en ne nommant pour le règne de Tibère que des sources partielles, Pline et Agrippine. Quelles ont été ses sources générales ? Nous en sommes réduits à passer en revue tous les historiens de cette époque, à nous demander qui ils étaient et ce qu'ils valaient, afin de voir par cet examen quels sont ceux d'entre eux dont il est vraisemblable que Tacite a fait usage. Peut-être n'arriverons-nous pas ainsi à retrouver toutes ses sources : car il est possible à la rigueur, sinon très probable, que le nom de quelque historien de valeur ait péri avec ses œuvres. Mais ce qui n'est guère possible, c'est que cela soit arrivé aux plus remarquables historiens de l'époque, à ceux que Tacite dut mettre au premier rang parmi ses sources. Nous retrouverons donc, sinon toutes les sources de Tacite, au moins les plus importantes. Pour le règne de Néron notre tache sera simple : il n'y a eu que trois sources et nous savons leurs noms. Nous les examinerons aussi, sauf Pline, que nous avons déjà étudié dans la première partie. L'examen des deux groupes de sources nous permettra sans doute de fixer les limites où finissait l'emploi du premier et où commençait l'emploi du second. Nous saurons de cette manière si, pour les règnes de Caligula et de Claude, Tacite a eu un troisième groupe de sources, ou bien s'il est passé sans intermédiaire du premier au second, et, dans ce cas, quelle partie des deux règnes en question revient aux sources du règne de Tibère, quelle partie aux sources du règne de Néron. Tout cela fait, il nous restera à établir, s'il est possible, un classement des sources de chaque groupe suivant l'importance du rôle que Tacite leur a fait jouer : ce classement fera l'objet d'un chapitre spécial.

 

II

Parmi les devanciers de Tacite, les deux principaux historiens des premières années de l'époque impériale furent sans contredit Aufidius Bassus et Servilius Nonianus. Il nous sera facile de nous en convaincre et d'acquérir aussi la certitude que Tacite les a comptés au nombre de ses sources les plus importantes.

1. Les lettres de Sénèque à Lucilius furent écrites dans los dernières années du célèbre philosophe, qui mourut en 65. Or Aufidius Bassus[11] vivait encore quand fut écrite la trentième. Mais il était alors accablé par l'âge et épuisé par la maladie : Bassum Aufidium, virum optimum, vidi quassum, ætati obluctantem... magno senectus et universo pondere (Ep., 30, 1). Il n'a pas dû survivre longtemps. D'un autre côté, nous savons par Quintilien (X, 1, 102 sq.) qu'il était un peu plus Agé que Servilius Nonianus : Paulum ætate præcedens eum. La différence pouvait dire de quelque dix ans. Servilius Nonianus, consul en 35[12], était né sans doute dans les dernières années avant notre ère. De tout cela il résulte qu'on peut limiter approximativement la vie d'Aufidius Bassus entre 10 avant J.-C. et 65 après. La faiblesse de sa santé, constatée par Sénèque[13], l'empêcha certainement d'avoir une carrière militaire. S'il eut une carrière politique, nous l'ignorons. Les souffrances physiques ne domptèrent jamais son âme courageuse ; même dans sa vieillesse, il n'était pas abattu par le mal. C'est toujours Sénèque qui nous l'apprend : Bassus tamen noster alacer animo est. Il le devait à la philosophie : Hoc philosophia præstat. Ces indications de Sénèque, le titre de virum optimum qu'il ajoute au nom de Bassus, l'amitié qu'il a pour lui, nous donnent la meilleure idée du caractère de l'historien. Un fragment de son ouvrage cité par Sénèque le Rhéteur (Suas., VI, 18 et 23) nous renseigne sur ses opinions politiques : il admire la conduite et la mort de Cicéron. Il est certain que toute sa sympathie allait vers les institutions républicaines. Mais ce n'est pas à dire le moins du monde qu'il ait pris à l'égard du régime impérial l'attitude d'un opposant. Ses relations avec Sénèque font plutôt penser le contraire. Il a dû, comme tant d'autres[14], voir dans le principat un mal nécessaire et l'accepter avec résignation, se rendant bien compte que le retour au passé était impossible.

Aufidius Bassus avait-il écrit un seul ouvrage historique ou deux ouvrages historiques distincts ? L'origine du doute est dans ce passage de Quintilien (X, 1, 103) : Quam (historiæ auctoritatem)..... Bassus Aufidius egregie, utique in libris belli Germanici, præstitit. Nous savons[15] qu'il était l'auteur d'une histoire générale, d'un ouvrage annalistique d'où sont tirés les deux fragments sur la mort de Cicéron cités par Sénèque le Rhéteur. Les libri belli Germanici dont parle Quintilien étaient-ils un ouvrage à part, ou simplement une partie du grand ouvrage ? Mommsen[16] adopte la première opinion. Mais la seconde est la plus accréditée[17] et de beaucoup la plus vraisemblable : elle a été très solidement défendue par Nipperdey. D'abord, il ne faut pas s'étonner que l'auteur d'une histoire générale ait composé aussi une histoire particulière. Justement, le continuateur d'Aufidius Bassus, en même temps qu'un ouvrage annalistique, a composé un ouvrage particulier sur les guerres de Germanie[18]. Jusqu'à preuve du contraire, pour un titre spécial, il est logique d'admettre un ouvrage spécial. Quintilien accorde le mérite d'une auctoritas supérieure aux livres sur les guerres de Germanie : ne serait-il pas surprenant qu'une partie du milieu de l'ouvrage eût mérité cette distinction ? Rien de surprenant, au contraire, s'il s'agit de deux ouvrages d'époques différentes. D'ailleurs, pouvait-il y avoir dans le grand ouvrage de Bassus, dans ses Histoires, des livres consacrés aux guerres de Germanie ? Les historiens romains sont des annalistes, ils suivent l'ordre strictement chronologique : Bassus racontait donc les événements année par année. Or les guerres de Germanie ne forment pas dans l'histoire romaine une période à part. Prenons les années 16 avant J.-C. et 17 après, où les campagnes de Germanie sont importantes. Combien d'autres événements contemporains sont beaucoup plus importants ! D'une part, l'annaliste n'a pu isoler, dans un ouvrage d'ensemble, les guerres de Germanie pour leur consacrer entièrement un certain nombre de livres ; d'autre part, s'il ne les a pas isolées, il est impossible que Quintilien ait appelé libri belli Germanici des livres où se trouvaient mêlés aux campagnes de Germanie des événements aussi saillants ou même plus saillants. En réalité, il devait y avoir des récits de campagnes en Germanie un peu partout dans l'ouvrage de Bassus, comme il y eut un peu partout des campagnes en Germanie dans l'époque qu'il racontait ; et on ne voit pas à quelle partie de l'ouvrage, même en admettant que Quintilien ait appelé libri belli Germanici des livres qui n'étaient pas exclusivement consacrés aux affaires de Germanie, cette désignation aurait pu spécialement convenir. Mommsen fait, à l'appui de son opinion, cette remarque, que l'on cite dans l'antiquité les libri belli civilis de Tite Live. Le rapprochement n'est pas du tout concluant : les guerres civiles formaient une période à part dans l'histoire romaine, elles avaient leurs livres à part dans les Annales de Tite Live. Aufidius Bassus, avait donc, comme Pline le fit un peu plus tard, composé deux ouvrages historiques, une histoire générale de Rome et une histoire des guerres de Germanie.

Lequel des deux était le premier en date ? Du passage de Quintilien qui accorde la supériorité à l'histoire des guerres de Germanie au point de vue de l'auctoritas, on pourrait conclure qu'elle était postérieure à l'histoire générale. Mais cette conclusion n'a rien de nécessaire : le meilleur ouvrage d'un auteur n'est pas toujours le dernier. Il semble difficile d'admettre qu'Aufidius Bassus ait d'abord raconté les campagnes de Germanie à leur place dans un ouvrage d'ensemble et qu'il soit ensuite revenu dans un ouvrage spécial à ce sujet déjà défloré. On conçoit très bien, au contraire, qu'ayant écrit d'abord un ouvrage spécial, il ait écrit ensuite un ouvrage d'ensemble où il retrouva, sans doute, et dut raconter de nouveau les événements qui faisaient le sujet du premier, mais avec beaucoup d'autres, seulement comme partie intégrante d'un tout très vaste : la matière était neuve dans son ensemble, sinon de tout point. Tacite aurait-il fait un récit à part des campagnes de son beau-père en Bretagne, si Agricola était mort postérieurement à la publication des livres des Histoires où ces campagnes étaient racontées à leur place chronologique et parmi les événements contemporains ? Les Histoires déjà publiées l'auraient empêché, sans nul doute, d'écrire l'Agricola ; l'Agricola déjà publié ne devait pas le détourner de prendre pour sujet d'un grand ouvrage historique le règne de Domitien. Ce qui prouve encore mieux la priorité des Guerres de Germanie, c'est que Bassus, ayant poussé, comme nous le verrons tout à l'heure, son grand ouvrage presque jusqu'à la fin de Claude, a dû consacrer à ce grand ouvrage tous ses loisirs de malade jusqu'à sa mort, et n'aurait point, par conséquent, trouvé dans les dernières années de sa vie le temps de composer un autre ouvrage. Il est peu vraisemblable qu'il se soit interrompu à un moment donné dans la composition de son histoire générale pour composer l'histoire spéciale des guerres de Germanie. Celle-ci est donc antérieure au règne de Caligula, puisque dans les Suasoriæ de Sénèque le Rhéteur, qui mourut sans doute vers l'avènement de Caligula[19], l'histoire générale est déjà citée.

Nipperdey pense que les Libri belli Germanici commençaient avec la guerre d'Arioviste, ou même avec l'invasion des Cimbres et des Teutons, et finissaient au rappel de Germanicus (16 après J.-C.)[20], date à partir de laquelle il ne s'est plus rien passé de saillant en Germanie jusqu'à la mort de Bassus. Cette opinion est bien préférable à celle de Knabe[21], qui, insistant sur le singulier belli Germanici, prétend qu'il s'agissait d'une seule guerre, celle de Germanicus. Mais cette guerre elle-même n'est pas unique : elle se compose d'une série d'expéditions. Même en restreignant ainsi le sujet de l'ouvrage, le singulier n'aurait pas son sens rigoureux. Il vaut donc mieux lui donner la signification la plus étendue. Bellum Germanicum, c'est la guerre faite pendant de longues années par les Romains, sous les ordres tantôt d'un général, tantôt d'un autre, aux Germains. Ce qu'il y a d'à peu près sûr, c'est que l'ouvrage contenait les campagnes de Germanicus, c'est-à-dire la partie des guerres de Germanie que Tacite avait à raconter dans les Annales.

Quant au grand ouvrage de Bassus, nous avons vu[22], à propos de son continuateur, Pline l'Ancien, qu'il allait presque jusqu'à la fin du règne de Claude. Or Sénèque le Rhéteur, qui est mort sous Caligula, le cite relativement à la mort de Cicéron. L'ouvrage a donc été publié par parties ; le commencement avait déjà paru vers l'époque où Caligula monta sur le trône, vers 37. Les derniers livres, ceux qui étaient consacrés à Claude, furent écrits dans les premiers temps du règne de Néron, l'historien n'ayant guère pu songer à raconter le règne de Claude avant de savoir s'il serait en mesure de le raconter dans son ensemble, c'est-à-dire avant la mort de Claude. Le point initial des Histoires de Pline l'Ancien, et, par suite, le point final des Histoires de Bassus, ne peut, avons-nous dit, être fixé avec certitude, mais, très probablement, il était quelque part dans les derniers temps de Claude[23]. Mais où commençait Aufidius ? La citation de Sénèque le Rhéteur étant relative à la mort de Cicéron[24], Nipperdey pense que le récit commençait un peu plus tôt, à la mort de César. Faut-il adopter cette opinion ou préférer la conjecture de Mommsen[25], qui croit que Bassus, comme son contemporain Sénèque le Rhéteur, dont nous aurons bientôt à parler, avait commencé ab initio bellorum civilium ? Nous ne savons, et peu nous importe, en somme : il est certain, et c'est là ce qui nous intéresse le plus, que le récit d'Aufidius remontait plus haut que celui des Annales de Tacite, et que, comme Tacite a repris dans ses Histoires, pour trouver un point de départ plus net, une partie du récit de Pline l'Ancien, Aufidius avait repris, dans la même intention sans doute, une partie du récit de Tite Live, qui s'arrêtait en 745[26].

Du seul fait que Pline l'Ancien a voulu être le continuateur d'Aufidius Bassus et n'a pas cherché d'autre titre pour son ouvrage que ces mots : A fine Aufidii Bassi, on pourrait conclure qu'Aufidius était un historien de grande valeur. Pline jugeait inutile de raconter ce que cet écrivain avait raconté ; il en inscrivait le nom en tête de son propre ouvrage comme une sorte de garantie. Quintilien[27] et l'auteur du Dialogue des Orateurs[28] le nomment avec Servilius Nonianus : ils sont pour eux, ils étaient sans doute pour tous les hommes compétents de la fin du Ier siècle, les représentants les plus remarquables de l'historiographie romaine pendant la première moitié du siècle. C'est à la forme de l'histoire d'Aufidius que se rapportent les éloges de Quintilien : dans tout ce développement sur les historiens, il se place au point de vue du style : il vante les narrations pleines de charme et de clarté, les discours très éloquents de Tite Live, l'immortelle rapidité de Salluste ; il reconnaît que Servilius Nonianus est dari vir ingenii et sententiis creber ; mais il lui reproche d'être minus pressus quam historiæ auctoritas postulat. Cette qualité qui manque un peu à Servilius, Aufidius la possède à un degré éminent, surtout dans ses livres sur les guerres de Germanie : Quam Bassus Aufidius egregie, utique in libris belli Germanici præstitit, genere ipso probabilis, in operibus quibusdam[29] suis ipse viribus minor. Il avait donc parfois quelques défaillances, mais il avait moins sacrifié que Servilius au goût du temps, il avait su garder en général la gravité de tan qui convient à l'histoire. Nous ne pouvons aller jusqu'à dire qu'il n'y avait pas sacrifié du tout : les fragments conservés par Sénèque le Rhéteur contiennent des tournures assez recherchées. Mais s'il avait suivi la mode, il ne l'avait pas exagérée. Pour l'auteur du Dialogue des Orateurs, son style historique et celui de Servilius sont caractéristiques de leur époque : il oppose (ch. 23) leur éloquence à celle des vieux historiens Sisenna et Varron. Contemporain de Tibère, de Caligula et de Claude, Bassus fut à même de se renseigner exactement et abondamment sur les faits qu'il avait à raconter. Admirateur de Cicéron et ami de Sénèque, il ne dut avoir garde de se mettre, en écrivant l'histoire de Tibère, de Caligula et de Claude de leur vivant même, dans la nécessité de les flatter. Il attendit leur mort et pécha plutôt par excès de sévérité : il appartient au second des deux groupes d'historiens définis par Tacite : Tiberii Gaique et Claudii ac Neronis res, florentibus ipsis ob metum falsæ, postquam occiderant, recentibus odiis compositæ sunt (Ann., I, 1).

Que l'histoire générale d'Aufidius Bassus, dont Pline l'Ancien, Quintilien et l'auteur du Dialogue des Orateurs faisaient tant de cas, ait été parmi les sources de Tacite pour les règnes de Tibère, de Caligula et de Claude, qu'elle ait tenu parmi ses sources une place très importante, cela n'est guère douteux, surtout si l'auteur du Dialogue n'est autre que Tacite. Mais, pour raconter les campagnes de Germanicus, s'était-il servi aussi de l'ouvrage spécial sur les guerres de Germanie ? On serait tenté, au premier abord, de croire que non : Aufidius avait dû composer les parties de son histoire générale qui traitaient des affaires de Germanie, surtout d'après son histoire particulière ; et celle-ci, par conséquent, rentrait pour Tacite dans la catégorie des matériaux déjà exploités par la source, auxquels il n'y avait plus lieu de recourir. Cependant son récit des campagnes de Germanicus est bien détaillé (I, 49-51, 55-71 ; II, 5-26) ; peut-être, poussé par sa sympathie pour Germanicus, il a voulu lire et utiliser l'ouvrage d'Aufidius où les exploits de son héros préféré étaient racontés avec le plus de développement[30]. Ce qui nous affermit dans celle opinion, c'est qu'à partir du rappel de Germanicus, terme de cet ouvrage, d'après l'hypothèse très plausible de Nipperdey, les affaires de Germanie, moins importantes il est vrai, tiennent une place insignifiante dans les Annales[31] (II, 44-46, 62-63 ; XI, 6-90, et XII, 27-30). C'est qu'alors Tacite n'a plus pour sources que des histoires générales, entre autres celle de Bassus.

D'après Quintilien, les libri belli Germanici étaient, au point de vue de la forme, supérieurs à l'histoire générale. Egger[32] croit qu'au point de vue historique ils étaient bien inférieurs et s'explique par là que Pline l'Ancien ait écrit après Bassus[33] un ouvrage spécial sur les guerres de Germanie, ait recommencé Bassus. Surtout, Bassus n'avait pas rendu justice à Drusus : c'est pourquoi Pline racontait au début de son ouvrage que Drusus lui était apparu en songe et lui avait demandé de sauver sa mémoire de l'oubli. Le songe de Pline n'a pas, tant s'en faut, la portée que lui attribue Egger : c'est un simple artifice dont l'auteur se servait pour s'excuser implicitement de traiter un sujet déjà traité par un historien tel qu'Aufidius, et aussi pour donner plus de prestige à son œuvre. Pline, qui avait fait campagne en Germanie, était sans doute mieux renseigné que Bassus au point de vue géographique ; certaines inexactitudes commises par Bassus dans les descriptions du pays pouvaient le choquer vivement. Mais il serait étonnant qu'entre les deux ouvrages d'Aufidius il y ait eu une grande différence de valeur historique ; du moins ce que Pline a fait et a dit ne suffit pas du tout à le prouver.

2. L'historien Servilius Nonianus[34] parcourut la carrière des honneurs ; voici ce que Tacite nous apprend sur son compte quand il mentionne sa mort avec celle de Domitius Afer, en 59 (XIV, 19) : Sequuntur virorum inlustrium mortes, Domitii Afri et M. Servilii, qui summis honoribus et multa eloquentia vignerant ; ille orando causas, Servilius diu foro, mox tradendis rebus romanis celebris et elegantia vitæ : quam clariorem effecit, ut par ingenio, ita morum diversus. C'est évidemment lui qui est le M. Servilius consul en 35, d'après Tacite (VI, 31) et d'après Pline l'Ancien (H. N., X, 60, 123). D'un autre passage de Pline (H. N., XXXVII, 21, 81 sq.) il résulte qu'il était l'arrière-petit-fils de Nonius Struma, que le poète Catulle s'indignait de voir assis sur la chaise curule, et le petit-fils du sénateur Nonius, qui fut proscrit par Antoine à cause d'une pierre précieuse d'un très grand prix dont il était possesseur. Pline appelle ce sénateur Nonius avus Servili Noniani, quem consulem vidimus. Pline étant né en 23 et l'historien ayant été consul en 35, c'est évidemment de lui qu'il s'agit. M. Servilius, consul en 756 (3 après J.-C.), était sans nul doute son père. Le surnom de Nonianus qui lui est donné par Pline dans ce dernier passage, par Quintilien (X, 1, 102) et par le Dialogue des Orateurs (chap. 23), indique, ou bien que Servilius était son père seulement par l'adoption, ou bien que sa mère s'appelait Nonia[35]. C'est à son père qu'en 17 Tibère concéda la part qui lui revenait à lui-même dans l'héritage du chevalier Pantuleius, nobilitatem utriusque (de Servilius et de Lepidus, qu'il fit entrer en possession d'un autre héritage) pecunia juvandam præfatus (Tac., Ann., II, 48). Il est encore nommé par Tacite (III, 22), en 20, M. Servilium e consularibus, à propos du procès de Lépida. Quant à l'historien, le premier passage de Tacite (XIV, 19) nous apprend qu'il se signala d'abord comme orateur et qu'il se fit toujours remarquer par la distinction de sa vie, bien supérieur au point de vue du caractère à son égal par l'éloquence. Domitius Afer, qui était d'ailleurs un triste personnage — Tac., IV, 52 : Prosperiore eloquentiæ quam morum fama fuit —. Perse, le poète satirique, respectait Servilius comme un père[36]. Il était l'un des hommes les plus en vue de la noblesse romaine, et c'est bien è lui que se rapportent ces mots de Pline, qui parle visiblement d'un contemporain : M. Servilius Nonianus, princeps civitatis, non pridem... (H. N., XXVIII, 2, 29). Consul en 35, sous Tibère, il a dû naître tout à fait dans les dernières années avant notre ère. Mort en 59, il a très bien pu être entendu par Quintilien — qui et ipse a nobis auditus est.

Servilius Nonianus ne s'est occupé qu'assez tard d'écrire l'histoire romaine ; c'est du moins ce que semblent indiquer ces mots de Tacite : Servilius diu foro, mox tradendis rebus romanis celebris. Il n'a donc pas commencé son ouvrage avant le règne de Claude, et, sans nul doute, c'est de lui et de cet ouvrage qu'il s'agit dans le passage suivant de Pline le Jeune (Ep., I, 13, 3) : Memoria parentum Claudium Cæsarem ferunt, cum in Palatio spatiaretur audissetque clamorem, causam requisisse, cumque dictum esset recitare Nonianum, subitum recitanti inopinatumque venisse. — Nous ignorons quel était au juste son sujet. De ce que Quintilien et le Dialogue des Orateurs l'associent à Aufidius, on conclurait volontiers que leurs Annales embrassaient à peu près la même époque. Il y a tout lieu de croire qu'avec les règnes de Tibère et de Caligula il avait raconté celui de Claude ou tout au moins les premières années de ce prince ; car il lui survécut assez longtemps. Nipperdey croit, et avec beaucoup de vraisemblance[37], que ce passage de Suétone (Tib., 61) est une citation de Nonianus : Annalibus suis vir consularis inseruit, frequenti quondam convivio, cui et ipse affuerit, interrogatum eum (Tiberium) subito et clam a quodam nano astante mensæ inter copreas, cur Paconius majestatis reus tam diu viveret, statim quidem petulantiam linguæ objurgasse, ceterum post paucos dies scripsisse senatui ut de pœna Paconi quam primum statueret. Du moins, nous ne connaissons pas d'autre historien de Tibère qui remplisse la double condition de consulaire et de contemporain.

La haute situation que Servilius Nonianus occupa dans la société romaine de son temps, cette situation de princeps civitatis, suivant l'expression de Pline l'Ancien, le mit en mesure de connaître, mieux que personne, l'ensemble des événements des règnes de Tibère, de Caligula et de Claude. Les matériaux de son ouvrage devaient donc être excellents et riches. Pour la forme, l'auteur du Dialogue le place, nous l'avons vu, à côté de Basana, et les oppose tous deux aux anciens annalistes Sisenna et Varron. C'est dans la bouche d'Aper, le défenseur des modernes, qu'il met cette appréciation. Mais si Tacite est bien l'auteur du Dialogue, Aper exprime ici l'opinion de Tacite : Multa eloquentia viguerant, dit-il dans les Annales en parlant du même Servilius et de Domitius Afer. — Quintilien l'appelle (X, 1, 102) : Clari vir ingenii et sententiis creber, sed minus pressus quam historiæ auctoritas postulat. Il était éloquent, dans l'histoire comme dans ses plaidoyers, mais de cette éloquence préoccupée avant toute chose d'être brillante et ingénieuse, qui se substitua dès le commencement du premier siècle à celle de Cicéron et souleva des clameurs d'admiration dans ces lectures publiques où fut applaudi, nous l'avons vu tout à l'heure, l'ouvrage historique de Servilius. Il a commencé son ouvrage, il a raconté sans doute les règnes de Tibère et de Caligula, sous le règne de Claude ; s'il a raconté celui de Claude, c'est après l'avènement de Néron : du vivant de l'empereur il aurait été obligé de flatter, et il n'a pas flatté, puisque Tacite fait une mention purement élogieuse de sa réputation d'historien. Ayant écrit l'histoire de ces trois princes après leur mort, il appartenait, comme Aufidius Bassus, au groupe des historiens inspirés recentibus odiis. Le consulat dont Tibère l'avait honoré ne l'empêcha pas de mettre sa cruauté en lumière, si la citation de Suétone que nous avons transcrite est bien un extrait de ses Histoires. Que Tacite les ait eues parmi ses sources et en ait fait un grand usage, cela n'est pas douteux : nous en avons pour garants, non seulement la réputation de Nonianus, mais encore l'hommage qu'il rend lui-même à son talent.

3. Sénèque le Rhéteur[38] avait composé, nous dit son fils (De vita patris, III), historias ab initio bellorum civilium pæne usque ad mortis suæ diem, c'est-à-dire à peu près jusqu'à l'avènement de Caligula ; car il n'a pas dû survivre longtemps à cet avènement ; né vers 700 de Rome, 54 avant Jésus-Christ, il avait alors, en 37, environ quatre-vingt-dix ans. A coup sûr, il était mort quand son fils fut exilé, en 43[39]. Il y a tout lieu de croire qu' e Suétone emprunte à son ouvrage historique cette version sur la mort de Tibère (Tib., 73) : Seneca eum scribit, intellecta defectione, exemptum anulum quasi alicui traditurum parumper tenuisse, dein rursus aptasse digito, et compressa siniatra manu jacuisse diu immobilem, subito, vocatis ministris ac nemine respondente, consurrexisse, nec procul a lectulo deficientibus viribus concidisse. Son fils nous apprend aussi que cet ouvrage n'avait point paru du vivant de l'auteur, qu'il était même encore inédit. Ce fut donc lui qui le publia, comme Pline le Jeune devait être plus tard l'éditeur des Histoires de son oncle. Aufidius Bassus a fait parattre son histoire par parties ; Servilius Nonianus en a lu publiquement des passages ; Sénèque n'a pas recherché comme eux la renommée littéraire.

C'est déjà là une garantie. De plus, Sénèque le Rhéteur était, comme les deux autres et même plus complètement que les deux autres, le contemporain des événements qu'il avait racontés. Ce que nous avons de ses écrits dénote un esprit droit, un jugement s6r, un Romain de la vieille école, admirateur du style de Cicéron, peu enclin aux exagérations du beau langage à la mode. Moins brillant que ceux de Servilius et d'Aufidius, son ouvrage devait moins attirer Tacite. Nous sommes certains qu'il ne l'a pas placé au premier rang parmi ses sources. Il ne donne qu'une version sur la mort de Tibère, et ce n'est pas du tout celle de Sénèque (Ann., VI, 50). Il la donne sans hésitation, comme n'en connaissant pas d'autre ou du moins comme bien convaincu qu'elle est la vraie. Si Sénèque avait été l'une de ses principales sources, il aurait tout au moins mentionné la divergence et indiqué l'origine de la version préférée[40]. Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à conclure de ce fait que Tacite ne s'est absolument pas servi de Sénèque : il a pu l'avoir parmi ses sources secondaires.

4. L'empereur Claude, outre ses Mémoires, dont nous avons déjà parlé[41], avait écrit deux ouvrages historiques[42], l'un en deux volumes qui commençait après le meurtre du dictateur César : Initium autem sumpsit historiæ post cædem Cæsaris dictatoris... Prioris materiæ duo volumina... reliquit ; l'autre en quarante et un volumes qui commençait après les guerres civiles : Sed et transiit ad inferiora tempora cœpitque a pace civili... Posterioris (materiæ) unum et quadraginta reliquit (Suét., Cl., 41). Son récit devait donc aller assez loin et peut-être jusqu'à son avènement : l'ouvrage annalistique aurait ainsi rejoint les Mémoires, les huit volumes de Vita sua, dont parle également Suétone. Nous savons, toujours par Suétone, que dans sa jeunesse il avait eu pour maître Tite-Live. Son discours conservé sur les tables du musée de Lyon nous montre qu'il ne manquait pas de savoir, mais que son savoir était bien indigeste et bien pédantesque ; que, comme écrivain, il était lourd et emphatique. Son ouvrage n'aurait certainement guère plu à Tacite, si Tacite l'avait consulté. Mais l'a-t-il consulté ? Ayant pour cette époque des sources telles que Servilius Nonianus et Aufidius Bassus, il ne dut pas être tenté de s'adresser à un homme dont il avait une si mauvaise opinion au point de vue intellectuel, et qui, de plus, en sa qualité d'empereur, n'avait pas pu faire une narration impartiale des règnes de ses prédécesseurs. Les Histoires de Claude ne l'attirèrent pas plus que ses Mémoires.

5. Les ouvrages historiques d'Aufidius Bassus, de Servilius Nonianus et de Claude (Histoires et Mémoires) embrassaient, ou peu s'en faut, toute l'époque comprise entre la mort d'Auguste et celle de Claude ; l'ouvrage de Sénèque le Rhéteur contenait au moins tout le règne de Tibère. Les sources dont il nous reste à parler ont une bien moindre importance au point de vue de l'étendue. Ce sont l'Histoire romaine de Velléius Paterculus et l'Histoire des guerres de Germanie de Pline l'Ancien.

Velléius Paterculus[43] a servi sous les ordres de Tibère : c'est lui-même qui nous l'apprend. Il est parti pour la Germanie avec Tibère, en 4 après Jésus-Christ, comme préfet de cavalerie ; il est devenu ensuite légat de légion, et en cette double qualité il a été pendant huit ans cælestissimorum ejus operum... spectator... et adjutor (II, 104, 3). Il a pris place dans sa litière (114, 2). Il a eu le bonheur d'accompagner son triomphe (en 19) : Triumphus quem mihi fratrique meo inter præcipuos præcipuisque donis adornatos viros comitari contigit (121, 3). En 14, son frère et lui ont été désignés préteurs, comme candidats de l'empereur, les derniers candidats recommandés par Auguste, qui mourut cette année-là, les premiers candidats recommandés par Tibère : Mihi fratrique meo, candidatis Cæsaris... destinari prætoribus contigit, consecutis ut neque post nos quemquam divus Augustus, neque ante nos Cæsar commendaret Tiberius (124, 4). L'ouvrage, dans son ensemble, est une histoire romaine, en deux livres, depuis les origines jusqu'à l'époque contemporaine. Elle est dédiée au consul M. Vinicius. Le consulat de M. Vinicius étant de 30, nous avons ainsi la date de la composition. Déjà la partie antérieure à Tibère nous donne une très mauvaise opinion de Velléius comme historien. Ses recherches sont superficielles, ses jugements historiques pleins de partialité et d'arbitraire, les contradictions même n'y sont pas rares ; tout son intérêt se concentre sur les individus ; il n'a pas assez d'intelligence pour apercevoir la connexion des événements. Quand il arrive à César et à Auguste, il prodigue les flatteries. Mais pour louer Tibère, aucune expression ne lui paraît assez forte : il se livre à une véritable débauche de superlatifs. Toute la fin de l'ouvrage, à partir de II, g4, n'est qu'un panégyrique de ce héros. Ce qui l'excuse jusqu'à un certain point, c'est qu'il a vécu auprès de Tibère pendant ses meilleures années, qu'il a été comblé de ses bienfaits, qu'il a écrit avant les derniers jours du règne, les plus sombres. Il loue aussi Germanicus, qui fait partie de la famille impériale, mais il glisse rapidement sur les rapports de Tibère avec lui et n'en parle qu'en termes évasifs. Qu'il se soit fait illusion ou qu'il ait volontairement altéré la vérité, son témoignage, bien qu'étant celui d'un contemporain, ne mérite aucune confiance. L'écrivain ne vaut guère mieux que l'historien. Ce n'est pas un véritable écrivain : il n'a pas de talent naturel, sa jeunesse et son éducation ne l'ont pas préparé à ce métier ; c'est un soldat amateur de littérature. De plus, il a voulu terminer vite son ouvrage pour être en mesure de l'offrir à Vinicius consul. Cette hâte explique ses nombreuses négligences. La lourdeur, la monotonie, la vulgarité, l'emphase de son style viennent de son incapacité. Ce qui l'a rendu encore pire qu'il n'eût été de lui-même, c'est l'influence de la mode : il a recherché, en imitateur maladroit, les expressions poétiques, les pensées brillantes, les antithèses subtiles, les alliances de mots imprévues ; il est ridicule dans sa coquetterie.

Velléius appartient évidemment au premier des deux groupes d'historiens définis par Tacite[44] ; écrivant sous le règne de Tibère, il a défiguré l'histoire de cet empereur, mais par affection plus encore que par crainte. Tacite s'en est-il servi ? Ni l'esprit ni la forme de l'ouvrage ne lui plaisaient à coup sûr, et nous pouvons affirmer que, s'il l'a  consulté, il ne l'a consulté que rarement et avec précaution. Il est même fort douteux qu'il en ait fait usage dans cette mesure. Remarquons qu'à plusieurs reprises[45] il reproche à ses sources d'avoir dénigré Tibère et que jamais il ne leur reproche de l'avoir flatté ; ce qui nous porte à croire que toutes étaient défavorables à Tibère. S'il avait en Velléius parmi ses sources, même secondaires, n'aurait-il pas trouvé une occasion de flétrir sa partialité, lui qui a protesté dans les Histoires contre les tendances flaviennes de Pline l'Ancien[46] ? Tacite avait lu Velléius, il l'avait jugé ; il ne songea pas à s'en servir, quand il se mit à raconter le règne de Tibère.

6. Nous sommes sûrs, au contraire, qu'il s'est servi des Guerres de Germanie de Pline l'Ancien[47] ; dans quelle mesure, nous le verrons plus tard[48]. Bornons-nous pour le moment à constater qu'il cite (I, 69) C. Plinius, Germanicorum bellorum scriptor, pour un épisode des campagnes de Germanicus. A quelle époque Pline avait-il composé cet ouvrage ? Dans la liste chronologique dressée par son neveu (Ep., III, 5), il se place avant les Studiosi tres, le traité de rhétorique, in sex volumina propter amplitudinem divisi, que suivent Dubii sermons octo, écrits pendant les dernières années de Néron. Il est précédé par De vita Pomponi Secundi duo, écrits après la mort de Pomponius ; mais nous ignorons la date de cette mort[49]. Tout ce que nous pouvons conclure de cette chronologie relative, c'est que l'Histoire des guerres de Germanie fut achevée au plus tard dans les premières années du règne de Néron. Pline le Jeune nous fournit une autre indication qui concerne l'époque où l'ouvrage fut commencé : Inchoavit cum in Germania militaret. Nipperdey[50] conjecture, non sans vraisemblance, qu'il servait encore en Germanie sous le commandement de Pomponius Secundus, l'ami[51] dont il devait plus tard écrire l'éloge, c'est-à-dire en 50[52]. Il y servait déjà en 47 : car s'il a vu le pays des Chauques (H. N., XVI, 1, 2), c'est, sans nul doute, qu'il a pris part cette année-là[53] à l'expédition de Corbulon dans ce pays. Il n'est arrivé en Germanie qu'après 42 : il raconte en témoin oculaire un fait qui s'est passé pendant la construction du port d'Ostie (IX, 6, 14 sq.), qui eut lieu en 42[54]. Il a écrit en Germanie son premier ouvrage, De jaculatione equestri, alors qu'il était déjà præfectus alæ ; l'idée de raconter les guerres de Germanie n'a dû lui venir à l'esprit qu'après un séjour de quelques années dans le pays, quand il le connaissait et, par suite, s'intéressait davantage aux événements qui s'y étaient passés. — C'est donc au plus tôt vers 45, sous le règne de Claude, qu'il a commencé son histoire. A cette époque, Aufidius Bassus avait plus de cinquante ans. Si les libri belli Germanici sont le premier ouvrage de cet historien et s'il est mort vers 60, après avoir composé un ouvrage plus considérable, une histoire générale, il est certain que la priorité lui appartient. C'est pour cela que Pline avait senti le besoin d'excuser son entreprise et avait raconté dans sa préface[55] le songe dont parle son neveu : Inchoavit... somnio monitus adstitit ei quiescenti Drusi Neronis effigies, qui Germaniæ latissime victor ibi periit. Commendabat memoriam suam, orabatque ut se ab injuria oblivionis adsereret. Il peut se faire que Pline ait trouvé le récit de Bassus trop peu élogieux pour Drusus[56] ; mais ce qui le choqua surtout et l'engagea à reprendre un sujet tout récemment traité, quoique depuis le moment oh Bassus s'était arrêté, depuis le rappel de Germanicus sans doute, il ne se fût pas produit en Germanie d'événement bien important, ce fut l'inexactitude des descriptions géographiques de Bassus. Nous aurons occasion d'en reparler[57].

Pline le Jeune nous renseigne aussi sur l'étendue et le sujet de l'ouvrage : Bellorum Germaniæ viginti (libri), quibus omnia quæ cum Germanis gessimus bella collegit. Suétone[58] est entièrement d'accord avec lui : Bella omnia quæ unquam cum Germanis gesta sunt, XX voluminibus comprehendit. Pline l'Ancien remontait donc jusqu'aux origines, jusqu'à l'invasion des Cimbres et des Teutons, et, au lieu de s'arrêter comme Aufidius au rappel de Germanicus, poursuivait son récit jusqu'aux événements tout à fait contemporains. Mais nous avons vu[59] qu'il n'est pas du tout vraisemblable que, sous Vespasien, il ait repris l'ouvrage achevé au plus tard sous Néron, pour y ajouter la guerre de Civilis : cette guerre avait sa place toute marquée dans un autre ouvrage que Pline composait alors, sa continuation d'Aufidius Bassus. Il faut entendre, dans les textes de Pline le Jeune et de Suétone, toutes les guerres de Germanie depuis les origines jusqu'à l'avènement de Néron à peu près. Pour le fond et pour la forme, il ne devait pas y avoir de différence bien sensible entre la valeur de ce premier ouvrage historique et celle do l'histoire générale que Pline écrivit quelque vingt ans plus tard. Nous renvoyons donc à ce que nous avons déjà dit de celle-ci[60].

7. Suétone (Calig., 8) rapporte une version de Cn. Lentulus Gætulicus[61] sur le lieu de naissance de Caligula : Cn. Lentulus Tiburi genitum scribit. Il ajoute un peu plus loin : Gætulicum refellit Plinius, quasi mentitum per adulationem, ut ad laudes juvenis gloriosique principis aliquid etiam ex urbe Herculi sacra sumeret. Quant à Mine, Suétone lui emprunte aussi et réfute ensuite une version sur le même fait : ... Plinius Secundus in Treveris, vice Ambitarvio, supra Confluentes ; addit etiam pro argumente aras ibi ostendi inscriptas : Ob Agrippinæ puerperium. L'ouvrage de Pline que cite Suétone est sans nul doute l'Histoire des guerres de Germanie : Pline avait parlé du lieu de naissance de Caligula à propos du séjour de Germanicus et de sa famille en Germanie ; Tacite en parle lui aussi, beaucoup plus vaguement, il est vrai, dans le récit de la grande révolte qui suivit la mort d'Auguste (I, 41). L'ouvrage de Gætulicus était antérieur aux Guerres de Germanie de Pline, il avait été composé pendant le règne de Caligula : voilà tout ce que nous apprend la citation de Suétone. Mais était-ce un ouvrage historique ? Gætulicus est connu comme poète[62]. Rien ne prouve qu'il ait été aussi historien, pas même la citation de Suétone : elle peut fort bien se rapporter à quelque poème, à un Carmen de expeditionibus Romanorum contra Germanos et Britannos, comme le conjecture O. Jahn[63]. Si Gætulicus n'a pas été historien, il n'est point parmi les sources de Tacite : il n'est. pas possible, en effet, d'admettre qu'ayant à sa disposition des récits historiques tels que ceux de Servilius et de Ramus, Tacite se soit adressé, même subsidiairement, à un poète.

La même considération doit nous faire écarter Pedo Albinovanus. Ce poète[64] avait pris part à l'expédition de Germanicus, comme præfectus equitum (Tac., I, 70), et, probablement, il avait célébré dans une épopée les exploits de son général ; c'est ce qui semble résulter d'un passage de Sénèque le Rhéteur (Suas., I, 14) : Latini declamatores in descriptionem Oceani non nimis viguerunt... Nemo illorum potuit tanto spiritu dicere quanto Pedo, qui, navigante Germanico, dicit... Suit un fragment de vingt-quatre hexamètres. Höfer[65] a prétendu découvrir dans celte épopée la source de Tacite pour la campagne de Germanicus, en 16 après Jésus-Christ. La nature d'une telle source expliquerait, dit-il, la faiblesse du côté technique dans la narration de l'historien et aussi le ton, qui est celui d'un panégyrique ; ce sont là des défauts, mais ce qui nous dédommage, c'est que nous avons la tradition d'un témoin oculaire. Höfer se trompe : la description des côtes de la mer du Nord, dans Tacite, ne dénote pas du tout l'emploi d'un témoin oculaire comme source : nous y reviendrons à propos du rôle joué par l'ouvrage de Pline sur les guerres de Germanie[66]. Quant aux caractères de la narration de Tacite, la sympathie pour Germanicus, qui est très manifeste, prouve que la source lui était favorable, mais rien de plus ; la faiblesse du côté technique est commune à tous les récits de guerres qui se trouvent dans les Histoires et dans les Annales[67].

Pour être complet, disons encore un mot d'un certain Tuscus. Nous savons par Sénèque le Rhéteur (Suas., II, 22) qu'il avait écrit un ouvrage historique dans la première moitié du premier siècle, mais nous en ignorons le sujet. Il est bien invraisemblable, si Tuscus avait traité une partie de l'époque qui est racontée dans les Annales, que Tacite lui ait donné une place quelconque parmi ses sources, puisque Sénèque le qualifie ainsi : Homo quam improbi animi, tain infelicis ingenii.

 

III

Des trois sources du règne de Néron, l'une, Pline l'Ancien, a été étudiée dans la partie de ce travail qui est consacrée aux Histoires ; nous avons dû y traiter aussi certaines questions relatives à Cluvius. Il nous reste donc à compléter notre étude sur celui-ci et à dire ce que nous savons de la troisième source, Fabius Rusticus.

1. Cluvius Rufus[68] est né, au plus tard, dans les premières années après Jésus-Christ, puisqu'il a été consul sous Caligula, mort en 41[69]. Il eut pour collègue, dans cette magistrature, P. Clodius[70], mais nous n'en connaissons pas la date. Josèphe lui donne le titre de consulaire à la mort de Caligula ; il était parmi les sénateurs présents au théâtre le jour du meurtre de cet empereur, et il fut favorable à ce meurtre, s'il n'en fut pas le complice. Quand Néron chanta pour la première fois en public, à Rome, le consulaire Cluvius Rufus lui servit de héraut et annonça qu'il allait chanter Niobé[71]. Tacite (Hist., IV, 43) lui fait rendre cet hommage par Helvidius Priscus, au début du règne de Vespasien : A laude Cluvii Rufi orsus, qui, perinde dives et eloquentia clarus, nuili umquam sub Nerone periculum facessisset. Sa conduite est opposée dans ce passage à celle du délateur Eprius Marcellus. Au commencement de 69, il était gouverneur de l'Espagne citérieure (Hist., I, 8) : Hispaniæ præerat Cluvius Rufus, vir facundus et pacis artibus, bellis inexpertuse ; (IV, 39) : Citeriorem Hispaniam ostentans (Mucien à Antonius Primus) discessu Cluvii Rufi vacuam[72]. Après la mort de Galba, il se déclara d'abord pour Othon ; mais aussitôt après il passa à Vitellius, non par préférence, mais par crainte et nécessité (I, 76). Il eut à réprimer la tentative du procurateur othonien d'Afrique, Albinus, sur l'Espagne (II, 58). Il abandonna sa province pour venir rejoindre à Lyon Vitellius, en route vers Rome, et il dut alors se défendre contre un affranchi de l'empereur, Hilarius, qui l'avait dénoncé comme ayant songé à faire de l'Espagne, pour lui-même, un État indépendant. Il eut gain de cause : Cluvius comitatui principis adjectus, non adempta Hispania, quam rexit absens (II, 65). A Rome, il assista comme témoin, avec Silius Italicus, aux négociations secrètes entre Vitellius et Flavius Sabinus, frère de Vespasien (III, 65). En 70, Mucien offre sa succession à Antonins Primus, qu'il veut éloigner de Rome : Citeriorem Hispaniam ostentans discessu Cluvii Rufi vacuam (IV, 39). Nous ignorons la date de sa mort. Nipperdey pense qu'il est mort au commencement de 70 et remplace, dans le texte que nous venons de citer, discessu par decessu. Cette correction est inutile[73]. Sans elle le texte de Tacite s'explique fort naturellement : Vitellius a laissé à Cluvius le titre de gouverneur d'Espagne, mais Cluvius ne gouverne pas effectivement la province, elle est en réalité sans gouverneur, vacua. Mucien veut à tout prix se débarrasser d'Antonius : il l'enverra prendre possession de cette province, qui ne peut pas rester indéfiniment sans autre chef qu'un gouverneur honoraire. Les gouvernements de provinces n'étant pas donnés à perpétuité, Mucien peut disposer de l'Espagne, du vivant même de Cluvius, sans léser en rien les droits de celui-ci ou même lui faire injure. L'éloge qu'Helvidius Priscus fait de Cluvius au sénat ne prouve pas davantage qu'il soit mort à ce moment (IV, 43) ; tout au plus prouve-t-il que Cluvius n'assistait pas à cette séance, ou plutôt donne-t-il lieu de le supposer. Cluvius a poussé son récit historique jusqu'à la mort de Néron[74] : il est probable qu'il n'a pas commencé à raconter ce règne avant d'en avoir vu la fin. Dans les derniers mois de 68 aurait-il trouvé assez de temps pour composer, même en admettant qu'il en eût préparé d'avance, au fur et à mesure, les matériaux, une œuvre aussi considérable ? L'année 69, si agitée, ne lui laissa guère de loisirs et surtout de tranquillité d'esprit. Pour qu'il ait pu achever son ouvrage, il faut donc qu'il ait vécu au moins toute l'année 70. Nous reconnaissons, avec Mommsen, qu'il ne survécut probablement pas à Vespasien[75].

Son ouvrage historique n'est jamais cité par les grammairiens, et Quintilien, dans sa liste des grands historiens romains, ne nomme pas plus Cluvius Rufus que Pline l'Ancien : ils sont compris dans cette désignation générale : Sunt et alii scriptores boni (X, 1, 104). Il est cité deux fois par Plutarque, dans les Questions romaines (107), sur l'origine du mot histrion, et dans la vie d'Othon (3)[76]. II est cité deux fois aussi par Tacite pour le règne de Néron (Ann., XIII, 20, et XIV, 9). Nous avons démontré que Cluvius n'avait pas dépassé de beaucoup, s'il l'avait dépassée, la mort de Néron, que son récit n'allait vraisemblablement pas au delà de l'année 68[77]. Où commençait-il ? Mommsen prétend qu'il avait raconté la mort de Caligula et s'explique ainsi seulement que Josèphe ait inséré dans le récit de cette mort une anecdote, insignifiante en soi, relative à Cluvius : Josèphe a eu Cluvius lui-même pour source. Si cette conclusion est fondée[78], l'ouvrage de Cluvius aura certainement été mis à contribution aussitôt que possible par Tacite, qui en fait, nous le verrons bientôt, le plus grand cas. Nous pouvons dire, avec certitude, que Cluvius a joué un rôle important dans la composition de la partie des Annules qui est consacrée au règne de Néron.

Cluvius n'était pas un homme de guerre : Vir... pacis artibus, bellis inexpertus, dit Tacite (Hist., I, 8). Mais il s'était fait une brillante réputation d'éloquence — I, 8 : vir facundus... ; IV, 43 : eloquentia clarus —. Son ouvrage historique devait donc avoir une certaine valeur littéraire : on voit pourtant que Quintilien lui préférait Bassus et Nonianus, puisqu'il ne l'a pas nommé. Sa qualité de contemporain, sa situation de sénateur, la place qu'il a occupée dans l'entourage de Néron, son expérience des affaires politiques, l'ont mis en mesure d'être bien renseigné. Modéré et circonspect, il a su vivre à la cour d'un Caligula et d'un Néron ; il a même accepté de remplir, quand l'empereur est devenu histrion, le rôle de héraut ; il a prudemment abandonné Othon pour Vitellius, dès qu'il a vu que la fidélité au premier, pour lequel il devait du reste avoir une médiocre estime, serait dangereuse. Mais il ne faudrait pas, d'après tout cela, concevoir une trop mauvaise opinion de son caractère : s'il n'avait pas l'énergie un peu raide d'un Thraséa Pætus on d'un Helvidius Priscus, sa probité était inattaquable : il était resté étranger aux délations, il n'avait nui à personne. Ce qui prouve qu'il jouissait d'une grande considération, c'est la façon dont tourna l'accusation que lui intentait Hilarius, affranchi de Vitellius : Auctoritas Cluvii prævaluit, ut puniri ultro libertum suum Vitellius juberet (II, 65) ; c'est surtout sa présence aux négociations secrètes entre Flavius et Vitellius, qui n'eurent que deux témoins. L'idée qu'il se faisait des devoirs de l'historien, nous savons combien elle était haute par cette déclaration que, d'après Pline le Jeune (Ep., IX, 19,  5), il fit un jour à Verginius Rufus : Scis, Vergini, quæ historiæ fides debeatur : proinde si quid in historiis meis legis aliter ac velis, rogo ignosras. Écrivant l'histoire de Néron sous Galba et sous Vespasien[79], il n'eut pas à altérer la vérité par prudence. L'altéra-t-il par haine, recentibus odiis ? C'est possible ; mais Tacite ne se livre jamais contre lui à la moindre polémique.

2. Fabius Rusticus[80] a été l'ami de Sénèque le Philosophe : Sane Fabius inclinat ad laudes Senecæ, cujus amicitia floruit (Tac., Ann., XIII, 20). Il vivait encore en 108 ou 109, s'il est bien, comme le pense Nipperdey, le Fabius Rusticus qui est nommé à côté de Tacite et de Pline le Jeune dans le testament de Dasumius[81]. Et alors il serait aussi, probablement, le Rusticus à qui Pline adresse la lettre 23 du livre IX, écrite vers la même époque. Il aurait donc été sensiblement plus jeune que Sénèque, qui mourut en 65, à l'âge d'environ soixante ans[82]. Nous n'en savons pas davantage sur sa vie.

Fabius Rusticus avait écrit son ouvrage historique sous Vespasien ou Titus[83]. En effet, une citation de l'Agricola (chap. 10) montre qu'il partageait sur la configuration de la Bretagne une erreur de Tite Live, qui fut rectifiée lors de l'expédition d'Agricola en Calédonie, la sixième et la septième année de son gouvernement (Agricola, 25 et 38), c'est-à-dire en 83 et 84, puisque Agricola, consul en 77, fut envoyé en Bretagne à sa sortie de charge (Agricola, 9).

Quoique Fabius ait écrit sous Vespasien ou Titus, on conçoit très bien que Tacite l'appelle recens ; il est recens, par rapport à Tite Live, que Tacite lui oppose comme ancien et qui a écrit sous Auguste.

Nous avons valu[84] que l'ouvrage de Fabius, comme celui de Cluvius, ne dépassait pas la fin de l'année 68. Il comprenait certainement tout le règne de Néron : Fabius est cité trois fois par Tacite, au chapitre 20 du livre XIII, pour un événement de 55, tout à fait au début du règne ; au chapitre 2 du livre XIV et au chapitre 61 du livre XV, en ce dernier endroit pour un événement de 65. Remontait-il plus haut que le règne de Néron ? Nipperdey pense qu'il racontait aussi le règne de Claude[85] : car il avait décrit la Bretagne (Agricola, chap. 10), et l'expédition de Claude, en 43, dans cette île négligée depuis seize ans, fournissait à l'auteur une excellente occasion de placer ce développement géographique. Mais il reconnaît que la description de la Bretagne pouvait aussi avoir été faite par Fabius à propos de la grande révolte qui éclata sous le règne de Néron, en 6a (Tac., XIV, 29). Ceci est bien plus vraisemblable[86]. Sûrement, Fabius et Cluvius n'avaient pas raconté tous les deux le règne de Claude : Tacite ne signale leurs divergences qu'a partir de Néron ; il les aurait signalées plus tôt, s'il avait pu plus tôt comparer leurs récits. Si l'un des deux avait raconté ce règne, ce n'était probablement pas Fabius, trop jeune pour avoir sur Claude autant de connaissances personnelles que Cluvius, mais très bien renseigné sur son successeur, grâce à l'amitié de Sénèque. Son récit du règne de Néron empruntait à cette amitié un intérêt tout particulier : Sénèque l'avait renseigné en détail, il lui avait appris surtout ce qui se passait dans le Palatium. D'ailleurs Fabius a pu avoir lui-même une carrière politique : à défaut de preuve certaine, il nous est permis de le supposer, quand Tacite dit que, grâce à l'amitié de Sénèque, floruit. Mais ne fut-il pas poussé, par son affection et sa reconnaissance pour son protecteur, à la partialité ? Tacite le soupçonne de trop louer Sénèque (XIII, 20) : Sane Fabius inclinat ad laudes Senecæ... A cet endroit, Fabius prétend que, sans l'intervention de Sénèque, Burrus aurait été révoqué. Cluvius et Pline ne disent pas que sa situation ait été menacée. Fabius attribue la pensée de l'inceste, non à Agrippine, comme Cluvius et les autres, mais à Néron (XIV, 2). Cette opinion vient encore sans doute de Sénèque, nommé précepteur de Néron grâce à la protection d'Agrippine. Le détail que Tacite lui emprunte (XV, 61) est relatif à la mort de Sénèque. Si Fabius s'est montré un peu trop favorable à Sénèque et, par suite, à Agrippine, il a dû aussi avoir une tendance à noircir Néron, qui avait d'abord éloigné de la cour, ensuite fait périr son ami ; il a dû être inspiré par cette haine dont parle Tacite, recentibus odiis.

La valeur littéraire de l'ouvrage de Fabius était grande, au jugement de Tacite, qui le proclame le plus éloquent des modernes, titre qu'il donne parmi les anciens à Tite Live (Agricola, 10). C'est à lui aussi que se rapporte, sans aucun doute, l'allusion de Quintilien (X, 1, 104) : Superest adhuc et ornat ætatis nostræ gloriam, vir sæculorum memoria dignus, qui olim nominabitur, nunc intellegitur[87]. Il ne faut évidemment pas songer à Tacite : l'Institution oratoire a été publiée sous le règne de Domitien[88] et Tacite ne s'est fait connaître comme historien que sous Trajan. Il ne faut pas songer non plus à Vipstanus Messalla : il n'avait publié qu'une simple relation de sa campagne contre les Vitelliens, et rien ne prouve d'ailleurs qu'il vécût encore au temps où écrivait Quintilien[89]. L'éloge convient parfaitement à Fabius, à qui Tacite décerne l'épithète d'eloquentissimus recentium. L'expression superest adhuc, qui montre qu'il s'agit d'un vieillard, s'accorde aussi très bien avec son âge.

3. Nous connaissons toutes les sources dont Tacite s'est servi pour le règne de Néron : Fabius, Pline, Cluvius. Mais nous ne connaissons pas toutes celles qu'il a eues pour le règne de Tibère. Il en a eu, avons-nous dit, au moins quatre, sans parler des sources partielles[90]. Servilius Nonianus et Aufidius Bassus étaient sûrement de ce nombre et tenaient les deux premières places. L'emploi de Sénèque le Rhéteur est aussi très vraisemblable. Nous avons deux autres noms : celui de Claude et celui de Velléius Paterculus ; mais il n'est guère possible de songer ni à l'un ni à l'autre. Tuscus fut historien, mais nous ne savons pas au juste de quelle époque ; quant à Gætulicus, nous avons tout lieu de douter qu'il ait été historien. Il faut donc nous résigner à ne connaître que trois sources de Tacite pour le règne de Tibère, et ne pas trop regretter d'ignorer le nom des autres, puisque les plus importantes sont parmi celles que nous connaissons.

Aufidius Bassus avait raconté les règnes de Tibère et de Caligula, en entier, avec la plus grande partie du règne de Claude, et le récit de Pline l'Ancien commençait exactement là où finissait celui de Bassus. L'ouvrage de Servilius Nonianus allait à peu près aussi loin que celui de Bassus, peut-être jusqu'à l'avènement de Néron. Cluvius avait peut-être raconté la mort de Caligula, il n'avait sûrement pas fait commencer son récit plus tard qu'à l'avènement de Néron. Fabius avait composé lui aussi une histoire complète de Néron. Les sources que Tacite avait choisies pour le règne de Tibère le conduisaient donc jusqu'à celles dont il a fait usage pour le règne de Néron ; et nous n'avons pas à rechercher un troisième groupe de sources pour les règnes de Caligula et de Claude.

 

 

 



[1] Je laisse de côté Reperio apud scriptores senatoresque eorundem temporum (II, 88) ; tradunt temporis ejus auctores (V, 9). Ces pluriels ne sont pas aussi concluants que les autres : l'étude des Histoires (cf. 1re partie, chap. IV, § I, n° 3) nous en a fait découvrir au moins un de cette espèce qui n'était en somme qu'un singulier (Hist., I, 37). Je ne tiens pas compte non plus des simples mentions ordinaires de versions divergentes : nous savons, par les Histoires encore (cf. 1re partie, chap. I, § VII, n° 4), qu'il ne faut pas toujours y voir la trace de recherches directes. — Scriptores in eo dissentiunt (IV, 67) se rapporte à une digression sur le mont Cælius : les historiens dont Tacite constate ici le désaccord ne sont pas les sources historiques de l'époque impériale.

[2] Pour la raison que j'ai donnée dans la précédente note, je laisse encore de côté : Nam utrumque auctores prodidere (XV, 38), et : Quamvis quidam scritores tradant (XVI, 6).

[3] Nipperdey-Andresen (XIII, 20) montre fort bien que : nihil dubitatum... referunt égale dubitatum non referunt.

[4] Nipperdey-Andresen (Introd., 98 sq.), persuadé, au contraire, à cause d'un passage de XIV, 2, dont nous allons parler, que Tacite a eu encore d'autres sources, et constatant que dans cette phrase auctorum ne peut se rapporter qu'aux trois sources nommées, suppose qu'il y avait horum devant auctorum. Cette correction est inutile si l'on adopte notre opinion. Clason (Tac. u. Suet., 8 sq.) raisonne comme Nipperdey et incline à corriger comme lui.

[5] Corbulon (XV, 18) n'entre pas en ligne, il n'a pu être que source partielle ; nous y reviendrons tout à l'heure.

[6] On sait que pour Tacite plerique égale multi.

[7] Cf. chap. III, § IV.

[8] Cf. chap. I, § I, n° 1.

[9] Cf. I, 69.

[10] Cf. chap. I, § II, n° 2.

[11] Sur Aufidius Bassus, cf. Egger, Examen critique, p. 170 sqq. ; Harless, De Fabiis et Aufidiis, Bonn, 1853 ; Clason, Tac. u. Suet., p. 39 sqq., 71 sqq. ; Nipperdey, Rhein. Mus., t. 17, p. 438 sqq., et Introd., p. 26 ; Teuffel-Schwabe, n° 277, renvoi 2. — Sur les lettres à Lucilius, ibid., n° 289, renvoi 5.

[12] Cf. plus bas, n° 2.

[13] Scis ilium semper infirmi corporis et exsucci fuisse (ibid.).

[14] Comme Tacite, en particulier.

[15] Cf. 1re partie, chap. III, § II, n° 1.

[16] Abhandl. d. sächs. Gesellschaft d. Wissessch. 3 (1861), p. 558.

[17] C'est celle d'Egger, de Harless, de Nipperdey.

[18] Il est vrai que la matière des deux ouvrages de Pline était tout à fait distincte. Mais, après l'Agricola, Tacite a composé les Histoires, où il avait encore à raconter les exploits d'Agricola.

[19] Cf. Teuffel-Schwabe, n° 269, et 1re partie, chap. III, § II, n° 1.

[20] Cf. Tacite, II, 26.

[21] Page 92.

[22] Cf. 1re partie, chap. III, § II, n° 1.

[23] Cf. 1re partie, chap. II, § II, n° 1.

[24] Pline l'Ancien (H. N., VI, 27) cite Aufidius (sans ajouter le surnom de Bassus) à propos de l'Arménie. Il n'y a rien à tirer de cette citation, quant au point initial de l'ouvrage ; elle peut se rapporter à l'expédition d'Arménie où fut blessé Caïus César, fils d'Agrippa (Egger) ; cf. Tacite, I, 3. Krauss, Hist. rom. fr., p. 299, croit qu'il s'agit, non d'Aufidius Bassus, mais du vieux Cn. Aufidius.

[25] Abhandl. d. sächs. Gesell., etc., p. 559. A cet endroit, Mommsen réfute l'opinion de Harless, qui croit que l'histoire d'Aufidius remontait jusqu'à l'origine de Rome. Harless a été induit en erreur par ce passage de Cassiodore (à la fin de la chronique) : A Bruto et Tarquinio usque ad consulatum vestrum, sicut ex T. Livio et Aufidio Basso et Paschali clarorum virorum auctoritate firmato colligimus, anni suret M XXXI. De ce que Bassus est cité conjointement avec Tite-Live, il conclut à tort que leurs œuvres commençaient au même point. Mommsen a expliqué que Tite-Live avait servi de source à Cassiodore jusqu'en 745, et qu'à partir de cette date Cassiodore avait eu recours à Bassus.

[26] Cf. Teuffel-Schwabe, n° 256.

[27] X, 1, 102 sq.

[28] Chap. 93.

[29] Ici, comme ailleurs, je cite Quintilien d'après Halm : accepter cette leçon, c'est admettre que Bassus avait écrit plusieurs ouvrages. La vulgate est : probabilis in omnibus, sed in quibusdam...

[30] Cf. Clason, Tac. u. Suet., 73 sq.

[31] Je ne cite que les passages antérieurs à l'avènement de Néron, Bassus n'ayant sûrement pas dépassé cette date dans son histoire générale.

[32] Examen critique, p. 274.

[33] La priorité de Bassus est incontestable ; nous y reviendrons tout à l'heure à propos de l'ouvrage de Pline ; cf. n° 6.

[34] Sur Servilius Nonianus, cf. Egger, 175 sqq. ; Nipperdey-Andresen, Introd., 25 sq. ; Clason, Tac. u. Suet., 43 sq., 46 sq., 71 sqq. ; Teuffel-Schwabe, n° 191, 2, et 302, 2.

[35] La première opinion est celle de Teuffel, Pauly Real Encyclopadie, VI, p. 1122, n° 78 ; la seconde, celle d'Egger, loc. cit.

[36] Coluit ut patrem Servilium Nonianum. (Vie de Perse, attr. à Suétone ; éd. Reifferscheid, p. 72 sq.)

[37] Quoi qu'en dise Knabe, 22. — Thamm, p. 47, croit que dans ce passage de Suétone, et ipse se rapporte, non à l'historien, mais à Tibère. C'est impossible : Suétone n'a pas besoin d'insister sur la présence de Tibère ; la chose n'aurait pas pu se passer s'il n'avait pas été là. Et ipse indique donc bien que l'annaliste en question a été témoin oculaire. — F. Bücheler (Rhein. Mus., t. 42, p. 473) a cru reconnaître une citation, sans importance d'ailleurs, de Servilius Nonianus dans un passage de Charisius, Gl., I, 145, 19.

[38] Cf. Egger, 137 sqq. ; Teuffel-Schwabe, n° 269.

[39] Cf. Sénèque le Philos., Ad Helv., 2, 4 sq.

[40] Cf. Clason, Tac. u. Suet., 43. Mais il va trop loin en disant qu'il est douteux que Tacite ait consulté Sénèque.

[41] Chap. I, § II, n° 1.

[42] Sans parler de ses ouvrages historiques grecs ; cf. Suétone, Claude, 42.

[43] Sur Velléius Paterculus, cf. surtout les prolég. de l'édit. Kritz, Leipzig, 1840. — Egger, 120 sqq. ; Reichau, 6 sq., 10 sqq., 16 sq. ; Andriessen, 22 sqq. ; Thamm, 2 sqq., 49 sqq., n'apportent rien de bien intéressant.

[44] Annales, I, 1.

[45] Cf. surtout IV, 11. Nous y reviendrons, chap. IV, § II.

[46] Histoires, II, 101.

[47] Nous avons déjà dit un mot de cet ouvrage, 1re partie, chap. IV, § I, n° 3.

[48] Cf. chap. III, § IV, n° 2.

[49] Sur ce personnage, qui fut célèbre de son temps comme poète tragique, cf. Tacite, V, 8 ; XII, 27 et 28. Cf. aussi Nipperdey-Andresen, à V, 8.

[50] Introd., 25.

[51] A quo singulariter amatus hoc memoriæ amici quasi debitum munus exsolvit. Pline le J., Ep., III, 5, 3.

[52] Cf. Tacite, XII, 27 et 28.

[53] Cf. Tacite, XI, 18.

[54] Dion, LX, 11.

[55] Pline le Jeune ne dit pas formellement que son oncle avait raconté ce songe dans la préface ou ailleurs ; mais cela est fort probable (Ep., III, 5, 4).

[56] Sur l'ouvrage de Baume, cf. plus haut, § I.

[57] Cf. chap. III, § IV, n° 6.

[58] Fragm., Reifferscheid, p. 99 sq. = Roth, 300. D'ailleurs, Suétone a sans doute pris ce renseignement dans Pline le Jeune.

[59] Quoi qu'en dise Clason, Tac. u. Suet., 75 et 94, dont Froitzheim a déjà signalé l'erreur, p. 34 sqq. Cf. 1re partie, chap. IV, § I, n° 3.

[60] Cf. 1re partie, chap. III, § II.

[61] Sur Gætulicus, cf. Egger, 168 sqq. Voir aussi les indications biographiques de Tacite, IV, 42 et 66 ; VI, 30 (avec les notes de Nipperdey à ces endroits) ; de Dion, LX, 22, et de Suétone, Claude, 9.

[62] Cf. les témoignages dans Teuffel-Schwabe, n° 291, renvoi 1.

[63] Proleg. zu Persius, p. CXLII, note 1 (éd. de Perse, Leipzig, 1843).

[64] Cf. Teuffel-Schwabe, n° 252, renvois 2-6.

[65] Paul Höfer, Der Feldzug des Germanicus im Jahre 16 n. Ch. ; cf. Burzians Jahreb., t. 39, p. 156 sqq., et t. 48, p. 262 sqq. ; et Knoke, Dis Kriegszüge des Germ. in Deutschland, Berlin, 1885.

[66] Cf. chap. III, § IV.

[67] Nous avons déjà cité le mot de Mommsen, qui appelle Tacite le moine militaire des historiens (Hist. rom., IX, p. 230).

[68] Cf. Nipperdey, Introd., p. 27 ; Schmidt, p. 7 sqq. ; Clason, Tac. u. Suet., p. 5, p. 16 sq., p. 38 sq. ; Mommsen, Hermes, t. 4, p. 328 sqq. ; Bellezza, p. 308 sqq. ; 1re partie de notre ouvrage, chap. III, § I, n° 3 ; Teuffel-Schwabe, n° 324.

[69] Josèphe, Antiq., XIX, 1, 13.

[70] Corp. Inscr. Lat., X, 826.

[71] Il s'agit bien d'un spectacle donné à Rome. Les indications de Suétone sont très précises ; cf. les premières lignes de Néron, 21. D'après Dion, LXIII, 1 4, c'est pendant le voyage de Néron en Grèce que Cluvius remplit cet emploi. Les deux versions ne sont pas incompatibles.

[72] Cf. Plutarque, Othon, 3.

[73] Elle est adoptée par Dieckmann, p. 12. Avant Nipperdey, Knabe, p. 26, et Bornbardy, note 490 de sa Litt. rom., avaient émis la même opinion.

[74] Cf. 1re partie, chap. III, § I, n° 3.

[75] Consul sous Caligula, avant 41, il devait être très âgé déjà en 70.

[76] Nous avons expliqué (1re partie, chap. III, § I, n° 3) que cette citation ne prouvait pas du tout une consultation directe, qu'elle avait été empruntée à la source commune.

[77] Cf. 1re partie, chap. III, § I, n° 3.

[78] Nipperdey penche vers la même opinion. Clason (38 sq.) croit qu'il commençait avec le règne de Néron. — Cf. plus loin, chap. III, § III, n° 3 à la fin.

[79] Egger affirme, p. 210, sans aucune preuve, qu'il écrivit sous Domitien et lui refuse à cause de cela toute autorité.

[80] Cf. Nipperdey-Andresen, Introd., p. 27 sq. ; Schmidt, p. 6 sq. ; Clason, Tac. u. Suet., p. 4 sq., 17, 38 sq., 87 sq. ; Bellezza, p. 317 ; Teuffel-Schwabe, n° 314, renvoi 4.

[81] C. I. L., VI, 10229.

[82] Cf. Teuffel-Schwabe, 187, renvoi 1.

[83] Fabius ne put guère se mettre à l'ouvre qu'après la mort de Néron, et son travail de préparation ou de composition dut lui prendre plusieurs années ; il est donc impossible que ce double travail ait été terminé au moment où les deux autres historiens de Néron, Pline et Cluvius, étaient eux aussi à l'œuvre ; c'est-à-dire qu'en somme les trois ouvrages furent contemporains.

[84] 1re partie, chap. IV, § I, n° 1.

[85] C'est aussi l'avis de Ziegler, prog. de 1884, p. 10.

[86] C'est l'opinion adoptée sans hésitation par Clason et Schmidt.

[87] Le reste du passage : Habet amatores, etc., se rapporte, non à Fabius, mais à Cremutius. Cf. le texte de Halm, et Nipperdey, Philol., t. 6, p. 193.

[88] Teuffel-Schwabe, n° 325.

[89] Cf. 1re partie, chap. IV, § II.

[90] De même, dans ce que nous disons des sources du règne de Néron, nous faisons abstraction des sources partielles.