NOTE PRÉLIMINAIRE.La vie de Grégoire, le Prêtre ne nous est pas mieux connue
que celle de Matthieu d’Édesse, dont il s’est fait le continuateur ; tout ce
que nous en savons se réduit à quelques indications que fournit la lecture de
son livre. Il dut être le disciple de Matthieu, si l’on en juge par l’animosité
extrême qu’il témoigne, comme lui, contre les Grecs, et par la manière toute
semblable dont il apprécie les hommes et les événements. Il se qualifie d’Ërêts,
ou prêtre séculier, c’est-à-dire étranger à l’état monastique et marié.[1] Il jouissait, à
ce qu’il parait, d’un grand crédit parmi ses compatriotes, puisque le début
de sa Chronique nous le montre s’adressant aux grands et au gouverneur de
Kéçoun, lorsque, en 1137, la crainte des Turcs fit abandonner cette ville par
ses habitants, les exhortant à la défendre et s’y renfermant avec eux. Les
expéditions des empereurs Jean et Manuel Comnène en Cilicie et en Syrie, la
prise d’Édesse sur les Francs par l’atabek Emad ed-din Zangui, les relations
tour à tour hostiles ou pacifiques des sultans d’Iconium avec les princes
Roupéniens de L’exemplaire dont je me suis servi pour mon travail est la copie faite en 1849 par le R. P. Khoren Calfa, sur trois manuscrits de la bibliothèque du couvent de Saint-Lazare, à Venise. Cette copie appartient aujourd’hui à la Bibliothèque impériale de Paris, où elle est classée dans le supplément arménien. Le numérotage des chapitres y fait suite, comme ici, à celui de l’auteur précédent. CCLIV. Au commencement de l’année 586 ( Cédant aux suggestions fallacieuses des Francs, il se rendit à Schéïzar et de là à Antioche.[7] Mélik Mohammed (Mahmad), dont il a été question plus haut (ch. CCLIII), attaqua la forteresse de Schoublas ;[8] malgré des assauts multiplies et des nuées de flèches qu’il lança, il ne put réussir. Ensuite, se dirigeant à travers les sommets des montagnes de Goulla,[9] il regagna ses Etats. Nous rendîmes grâces au Seigneur, qui nous avait préservés du feu de ce siège, et nous avait délivrés de nos ennemis. L’hiver tirait déjà vers sa fin, tandis que notre empereur[10] continuait encore le siège de Bezah, qui appartenait aux musulmans. Après la sainte Pâque,[11] arriva le seigneur de Kéçoun, Baudouin, avec ses fantassins et sa cavalerie. A son approche, les habitants effrayés émigrèrent, abandonnant tous notre vile avec leurs familles. Ils se retirèrent, les uns à Béhesni, les autres à Raban, et d’autres encore à Hr’om-gla,[12] et Kéçoun resta dépeuplée. Il n’y demeura que quelques-uns des principaux habitants pour la garder, et le gouverneur, qui se nommait Vahram. Moi, l’humble Grégoire, prêtre séculier, je les exhortai à avoir le courage de défendre leur cité, afin que l’on ne vint pas y mettre le feu, appréhension qui, malheureusement, se réalisa. En effet, tandis que l’empereur s’en revenait, le fils de Davoud (Davouth), Kara Arslan (Kharaslan),[13] de retour de chez les musulmans, à la tête d’une nombreuse armée, feignant de fuir devant l’empereur, se dirigea vers Raban. Ceux qui étaient restés à Kéçoun, épouvantés par la pensée que c’était Mélik-Mohammed, abandonnèrent leurs maisons vers le soir. Le lendemain, quelques Turcs détachés du gros de l’armée, en traversant les montagnes, firent prisonnier l’un des gens de Kéçoun, et ayant appris de lui qu’il n’y avait plus personne dans ses murs, s’y rendirent au nombre de trente environ. Ils mirent le feu dans l’intérieur et aux portes. Après avoir contemplé les magnifiques palais construits par Kogh-Vasil, et les autres édifices majestueux de cette cité, ils se retirèrent à la hâte et vinrent rejoindre leurs compagnons. Cependant les habitants y rentrèrent le lendemain, et chacun d’eux revit ses foyers. C’était en l’année 589 (15 février 1140 - 14 février 1141).[14] Un des soldats, syrien[15] de nation, nommé Simon, lequel avait dans le cœur des craintes et de la rancune à l’égard du comte d’Édesse, lui enleva par surprise Amtab, ayant conservé cette place pendant un an, il la lui rendit par l’intermédiaire du Prince d’Antioche. CCLV. En l’année 591 ( CCLVI. En l’année 592 ( Le jeudi saint,[22] un signe se montra dans le ciel du côté du nord, sous la forme d’une colonne lumineuse, qui fut visible pendant huit jours. Ce fut après l’apparition de ce phénomène que moururent les trois souverains précités. Le 23 décembre, Un samedi, jour de la fête de saint Etienne, proto-martyr, la ville d’Édesse fut prise d’assaut par Zangui, fils d’Ak-Sonkor. Il en massacra impitoyablement les habitants, en haine de leur attachement à Jésus-Christ, qui les couronnera avec ses Saints. Amen. CCLVII. C’était sur la fin de l’année 593 (13 février 1144 - 12 février 1145). Antioche était gouvernée par le fils du comte de Poitou (Bédévin),[23] qui, quoique tout jeune, brillait par sa valeur et sa puissance, inférieur seulement sous ces deux rapports a Baudouin, seigneur de Kéçoun et de Marasch, et des provinces dépendant de ces deux villes, a partir des frontières de Mélitène jusqu’au territoire d’Antioche. Ce Baudouin était jeune d’âge, mais vieux d’expérience et agréable à Dieu dans toutes ses promesses. C’était dans le temps du comte Josselin le jeune,[24] fils du brave Josselin le grand, et sous le pontificat du seigneur Grégoire, patriarche de la nation de Thorgom.[25] A cette époque, c’est-à-dire pour la fête du proto-martyr saint Etienne, date sus-énoncée, la ville d’Édesse, déshéritée des grâces bienveillantes du Créateur, fut prise par les enfants d’Agar (Hakar), commandés par leur chef Zangui. Il versa des torrents de sang, sans pitié pour l’âge vénérable des vieillards et pour l’innocence des jeunes enfants, semblables à des agneaux. Les habitants épouvantés se précipitèrent vers la citadelle, qui est la forteresse de Maniacès, pour y chercher un asile. Le frère ne s’occupait plus de son frère ; le père abandonnait son fils ; la mère était sans entrailles pour sa fille ; l’ami ne jetait plus un tendre regard sur son ami. Dans ce jour fatal, les fugitifs ne purent réussir à pénétrer dans la citadelle : ils furent étouffés à la porte ; il en périt dix mille environ. L’archevêque (Babiôs)[26] des Francs fut étouffé aussi dans cette cohue. A ce spectacle, le tyran sentit la compassion naître dans son cœur ; il donna l’ordre a ses soldats, qui égorgeaient les hommes dans les rues comme des animaux, de remettre le glaive dans le fourreau. Mais tous les Francs faits prisonniers furent, par ses ordres et en sa présence, passés au fil de l’épée, et les femmes et les enfants emmenés en esclavage. Les chrétiens qui avaient échappé à cette boucherie, et qui étaient entrés dans la citadelle n’y tinrent pas longtemps, car l’eau leur manqua. Ils se rendirent à composition, sur la foi du serment qui leur fut donné, qu’ils auraient la vie sauve. Le vainqueur arrogant voulant pacifier la ville, fit proclamer l’ordre de ne plus faire de mal aux chrétiens ; tous ses soldats étaient rassasiés de sang et de butin. Il s’enorgueillissait avec insolence d’avoir remporté cette victoire signalée, en songeant que depuis longtemps aucun des plus redoutables, des plus puissants guerriers, n’avait pu s’emparer de la cité bénie par le Seigneur, au sujet de laquelle Jésus-Christ, pendant sa mission sur la terre, avait prononcé ces infaillibles paroles, consignées dans sa lettre au roi Abgar : « La famine et le glaive respecteront ta ville, pendant ton règne, et tant que les habitants observeront mes commandements[27] ». Mais dans la suite ils perdirent de vue les préceptes divins ; ils imitèrent l’exemple des Israélites, comblés des bontés du Seigneur, et qui, oubliant promptement les biens qu’il leur avait prodigués, et qui ne leur coûtaient aucun effort, regrettaient, en poussant des soupirs, l’oignon et l’ail, et la dure oppression des Egyptiens. Cette ingratitude alluma la colère d’un Dieu dont la patience est inépuisable, et il jura de ne pas leur laisser voir la Terre-Promise, de même ceux d’Édesse mirent en oubli les promesses divines et commirent des crimes énormes ; rebelles aux volontés du Christ miséricordieux, ils s’attirèrent le châtiment dû à leur conduite insensée. Un peu plus tard, le sanguinaire Zangui, ayant réuni ses troupes, se dirigea sur Kala’-Dja’bar, et pressa vigoureusement cette place. Mais il fut tué une nuit par ses gardes, un an après la prise d’Édesse.[28] Il ne fut pas jugé digne de jouir de sa gloire, et cette ville lui fut accordée comme compensation d’une illustration éphémère. Édesse succomba dans le temps de Josselin le Jeune. Tant que ce prince fut soumis aux ordres du Seigneur, il fut grand et victorieux des ennemis du Christ, comme l’avait été son père, qui pendant son règne fut glorifié par Dieu et par les hommes, et qui jamais n’enleva quoi que ce soit aux chrétiens. CCLVIII. Au bout de trois ans, le comte Josselin ayant
réuni des troupes et s’étant adjoint le grand prince Baudouin, qui était
maître des deux villes de Germanicia (Marasch) et Kéçoun, s’approcha des murs
d’Édesse et surprit cette ville pendant CCLIX. En l’année 598 ( Ce jour là, le fils de Zangui, que les siens appelaient
Nour ed-din, dénomination qui, d’après la vaine croyance de ces peuples
signifie Lumière de la foi,[33] fit passer les
uns sous le tranchant du glaive, et courba les autres sous le joug de CCLX. Un an auparavant [1148], le 30 janvier, un mardi, à l’aurore, le tonnerre gronda, la foudre éclata, et les éléments furent bouleversés. La croix qui avait porté un Dieu, et que le grand et invincible champion du Christ, Vasil, Sébaste,[43] avait élevée pendant son règne sur la coupole de la Sainte-Résurrection, à Garmir-Vank’, parut enflammée et comme entourée d’une lumière éclatante. Ce fut le troisième prodige qui eut lieu sur cette Croix glorieuse. Les sages l’interprétèrent dans un sens défavorable, comme un présage sinistre pour les chrétiens. Ce présage fut, en effet, justifié par l’événement. CCLXI. Cette même année, le jour de la Pentecôte, [22 mai], tandis que chacun était dans l’attente de la venue du Saint-Esprit, le sultan Maç’oud arriva avec une armée formidable. Le bruit des cloches,[44] les éclairs des épées, le choc des milliers de lances nous firent trembler. Nous étions terrifiés en contemplant ce spectacle, nous tous qui nous trouvions dans la ville de Kéçoun. Les habitants, redoutant Maç’oud et son fils, se hâtèrent de se soumettre, après avoir obtenu la garantie d’un serment. Au bout de huit jours, l’inexpugnable ville de Béhesni se rendit, et quatre jours après la noble cité de Raban. De là, Maç’oud vint dans la contrée de Tellbâscher, qu’il avait saccagée l’année précédente, et il y séjourna quelque temps. Mais il ne put s’emparer de cette place, défendue par le fils du comte,[45] les troupes de ce dernier et les habitants. Quoique les infidèles employassent tous leurs efforts contre eux, et fissent jouer sans relâche leurs machines de guerre, ils n’aboutirent à rien.[46] Maç’oud, abattu et affaibli par cet échec, reprit le chemin de ses Etats. Il céda les pays conquis par lui sur les chrétiens à son fils, qu’il avait désigné pour son successeur, et qui se nommait [Izz ed-din] Kilidj Arslan. CCLXII. En l’année 600 ( CCLXIII. L’année suivante ( Dans le temps de Josselin le jeune, on vit se révéler un jeune homme appelé Thoros,[47] lequel n’avait d’autre appui, d’autre ressource que la Providence, qui dispose les circonstances en vue des hommes, en suivant ses volontés, ainsi que le dit l’Apôtre : « Dieu est miséricordieux ou rigoureux pour qui il veut. » (Rom. IX, 18), comme il fit à l’égard du bienheureux Paul, qu’il appela du haut des cieux a son service et à l’œuvre de son ministère ; tel fut le Seigneur pour ce jeune homme. Les espérances et les efforts de Thoros ayant été secondés par Celui qui donne sans acception de personne, qui ne refuse jamais les dons de sa bonté, en peu de temps il se trouva en possession des Etats de ses pères. Il était fils de Léon, Sébaste, illustre et sage fils de Constantin, fils de Roupen. Ce jeune héros non seulement conquit le patrimoine de ses aïeux, mais devint maître de beaucoup plus de villes et de forteresses que ceux-ci n’en avaient jamais possédé. Témoin de ces succès, le général romain Andronic[48] conçut une atroce jalousie contre lui, et se refusa même à reconnaitre son titre de prince arménien. Andronic avait été envoyé par l’empereur Manuel, en qualité de préfet de Tarse et de Mécis. Dès lors il ne cessa d’avoir de la haine contre Thoros, et de harceler les Arméniens qui accouraient, par l’inspiration de Dieu, sous les drapeaux de ce dernier. Il marcha contre eux ci. Jour causa beaucoup de mal. Mais les Arméniens, retenus par l’amour et la crainte que le grand empereur des Grecs leur inspirait, n’osèrent opposer aucune résistance. Au contraire, ils firent tout pour conserver la paix, et conjurèrent Andronic de ne pas les troubler dans l’obéissance qu’ils lui avaient vouée. Mais loin de les écouter, il s’avança, plein d’orgueil, contre Mécis. Cependant Thoros le suppliait toujours avec les instances les plus pressantes : « Je suis, lui disait-il, le serviteur de ton souverain, ne te montre pas irrité contre nous. » Dans la ville, les habitants lui criaient : « Nous avons encore le fer avec lequel nous avons poursuivi ton père, nous nous en servirons pour te forger des chaînes. » Enfin Thoros, ne pouvant plus supporter tant d’arrogance
et de hauteur, et se confiant en la protection du Christ, qui l’avait tiré du
néant pour lui donner l’être, fit pratiquer pendant la nuit une ouverture au
rempart de Mécis. Et dès que le soleil eut répandu ses premiers rayons, il se
mit à la tête de ses troupes et vint présenter le combat au général grec. Il
l’attaqua et mit en fuite son armée, forte de 12.000 hommes, il les passa au
fil de l’épée ; en un clin d’œil il les eut terrassés. Au plus fort de la
lutte, les Arméniens firent prisonniers Oschin, seigneur de Lampron,[49] Basile, seigneur
de Partzerpert,[50]
frère de Tigrane (Dikran), ainsi que beaucoup d’autres officiers de l’armée
grecque, et les dépouillèrent. Mais ils laissèrent aller les lâches Romains
sur lesquels je dis : « Hélas ! » Il y eut dans cette journée
beaucoup de sang versé. Ensuite Thoros rendit maître, sans coup férir, de
Mécis, qu’il enleva par sa valeur à cet efféminé, vengeant ainsi son père,
jadis privé par Andronic de ses Etats héréditaires et exilé avec sa famille
en Occident. Le fourbe, furieux de l’échec et de l’outrage qu’il avait
essuyés, ainsi que de la perte de ses officiers et de ses troupes, s’enfuit
auprès de l’empereur et alla se plaindre à lui amèrement des Arméniens, et
les accuser de lui avoir infligé une défaite dont sa folie seule était CCLXIV. Après cette victoire éclatante et cet accroissement de prospérité obtenus par Thoros, Satan entreprit d’exciter les puissances de la terre contre les Arméniens. Les Grecs, qui ne cessaient de chercher les moyens de venger l’affront fait à la personne de leur César, envoyèrent des sommes considérables au sultan Maç’oud, chef de tous les musulmans. Ce prince, gagné par ces présents, se mit en marche avec une armée considérable, mais d’abord sans franchir les frontières de ses Etats. Quoique la terreur de son nom fut grande, cependant, par la grâce du Christ, les Arméniens reprirent courage et se dirigèrent vers la montagne[52] qui s’élevait entre eux et les infidèles. Ceux-ci étaient campés au-delà, sur leur territoire, tandis que les Arméniens étaient restés en deçà dans leur pays, en parfaite sécurité et sans se préoccuper de la multitude de leurs ennemis. Les infidèles, voyant la confiance des chrétiens, se disaient tout étonnés : Quels sont ces gens-Il qui s’exposent ainsi à la mort, en accourant comme s’ils avaient l’intention d’en venir aux mains avec nous ? Ces pensées roulaient dans leur esprit, lorsque tout à coup, par une inspiration de la Providence, le sultan des Turcs envoya des ambassadeurs au chef des Arméniens, Thoros, et lui fit dire ceci : Nous ne sommes pas venus pour miner votre pays, mais reconnais
notre obéissance et rends à l’empereur les contrées dont tu t’es emparé, et
tu seras pour nous un fils et un ami. Ces propositions remplirent de joie les
Arméniens ; ils glorifièrent le Maître de l’univers de ce qu’il avait apaisé
subitement cet homme indomptable et altier, qui maintenant les traitait sur
le pied d’une honorable égalité, et qui voulait faire alliance avec eux.
Ayant retenu les messagers pendant plusieurs jours, ils firent partir à leur
suite un ambassadeur chargé de transmettre ces paroles au sultan :
« Nous accédons volontiers à ces conditions ; nous nous soumettons à toi
comme à un roi, car tu n’as jamais été jaloux de nos progrès, et tu n’as pas
porté la désolation chez nous ; mais rendre notre pays à l’empereur, c’est
impossible. » Sur cette réponse, le sultan resta tranquille, et ayant
rédigé un traité d’alliance et de paix, sanctionné par un serment, il le leur
expédia par un messager, se moquant de cette manière de l’empereur et de ses
trésors, après quoi il rentra dans ses Etats sans avoir fait de mal à
personne. Ces événements arrivèrent en l’année 602 ( CCLXV. Trois ans après, l’empereur envoya au sultan des sommes d’or et d’argent beaucoup plus considérables que la première fois, et lui fit dire ces paroles : Apaise la colère qui m’anime contre les Arméniens, en
renversant leurs forteresses, brûlant leurs églises, et donnant a l’ordre que
tout leur pays devienne la proie des flammes ; a de cette manière l’irritation
de mon cœur se calmera. Le sultan ayant reçu les présents de Manuel, revint
avec une armée beaucoup plus nombreuse que Le même sort fut réservé auprès de Nisibe (Medzpin) à Cabadès, Gavad, petit-fils d’Iezdedjerd (Azguerd), roi des Perses.[60] Ayant oublié les traités d’amitié que ses ancêtres avaient conclus avec les chrétiens, il arriva comme un furieux, à la tête des Perses, pour ruiner ce pays. Il avait employé beaucoup de temps d’efforts à faire le siège de Nisibe, et à se rendre maître des fortifications de cette ville ; mais lorsque ses troupes voulurent y pénétrer, voila que tout à coup elles aperçurent sur le rempart le patriarche saint Jacques, ayant l’aspect d’un monarque, revêtu de pourpre, assisté des légions célestes, et partant sur sa tête une planche de l’arche de Noé. Cette planche lui avait donnée par un ange pour le dédommager des fatigues qu’il avait éprouvées en gravissant la montagne[61] [d’Ararad], afin d’y visiter l’arche de Noé. Le messager céleste ne lui permit pas d’achever son voyage, et renvoya en paix l’homme de Dieu, en lui remettant cette relique, comme une marque d’amitié. A ce spectacle, les Perses, saisis de frayeur, se gardèrent d’approcher du rempart déjà renversé par eux ; en même temps un châtiment vint les frapper. Des essaims de guêpes, de frelons et de moucherons assaillirent leurs chevaux, qui s’échappèrent avec impétuosité en rompant le frein qui les retenait ; pas un ne put être repris, tant étaient épaisses ces nuées d’insectes. Dieu fit tomber sur les Perses ce terrible fléau et leur envoya du haut de ciel cette humiliante punition, comme autrefois, lorsqu’il combattit en faveur des Israélites, et terrassa les Egyptiens de son bras irrésistible. Le petit-fils d’Iezdedjerd se retira après cette ignominieuse défaite qui lui fut infligée par la médiation du Christ, et grâces aux prières du patriarche saint Jacques. Car Dieu comble les vœux de ceux qui le craignent,[62] ce trait rappelle de tout point le fait qui se passa dans cette dernière occasion, et dont nous avons été les témoins oculaires. C’est ainsi que deux fois la nation des Turcs
(Thour-kasdan) se leva en armes contre Thoros et resta impuissante, malgré
ses efforts largement soudoyés par l’empereur, jaloux de réduire en cendres l’Eglise
et la Croix, objets de dérision et d’outrage pour les infidèles. Si les
Arméniens n’avaient pas été protégés par ce bras puissant qui a été étendu
sur la Croix, nos ennemis auraient mis à exécution l’œuvre criminelle des
hérétiques, en renversant CCLXVI. Leurs projets pervers n’ayant pu réussir, ils
imaginèrent de recourir à des voles pacifiques. Kilidj Arslan, qui avait été
investi de la royauté par son père, le grand sultan, parvint promptement à ce
but. Les Arméniens vivaient dans la sécurité et l’allégresse, glorifiant CCLXVII. Le sultan des Turcs [Maç’oud], de retour dans son
royaume, après cette expédition honteuse pour lui, ne survécut que dix mois.
Le cri des innocents qu’il avait immolés et des captifs condamnés à un
esclavage sans espoir monta jusqu’aux oreilles du Seigneur des armées. Etant
tombé malade, il manda son fils Kilidj Arslan, et le plaçant sur le trône, se
prosterna devant lui, en présence des grands de sa cour, et lui posa la
couronne sur la tête ; après quoi il expira, en lui laissant ses Etats. C’était
en l’année 604 (11 février 1155 - 10 février 1156).[63] Il avait encore
deux autres fils, dont l’un était d’une générosité sans bornes et d’une
figure beaucoup plus avenante que celui qui était devenu sultan. Ce dernier,
soupçonnant une opposition possible à ses volontés de la part de son frère,
qu’il redoutait comme étant beaucoup plus robuste que lui ; excité en outre,
au milieu des festins et de la débauche, par de perfides conseillers, l’étrangla
pendant Antérieurement à ces événements, et en l’année 605 ( CCLXVIII. En l’année 606, le 2 octobre, s’éleva un ouragan accompagné de pluie, qui fut suivie d’un torrent de grêle. Les vignes et les treilles en souffrirent beaucoup, partout où elle tomba. Maintenant je dirai quelques mots touchant le grand et
inexpugnable château de Béhesni. Sdéph’ané se rendit dans notre contrée de
Kéçoun, avec de mauvaises troupes, et contre le gré de son frère. Celui-ci
lui avait adjoint quelques hommes qui s’appelaient eux-mêmes K’armoud.[74] Thoros, sébaste,
lui avait conseillé de ne pas aller jusqu’au point de réduire tout à fait
cette forteresse. Nous ignorons si c’était là une idée suggérée par la
Providence ou née de la jalousie ;[75] car le seigneur
de Béhesni, tyran altier dont j’ai jugé à propos de taire le nom, avait
transgressé les ordres que le sultan son souverain lui avait donnés, d’épargner
les chrétiens, objets de la bienveillance de ce prince. Au contraire il n’en
était que plus acharné contre les prêtres et les diacres vénérables, les
pères de famille les plus recommandables, et contre tous les fidèles, qu’il
accablait indistinctement de vexations. Les habitants de la célèbre ville de
Béhesni étaient surchargés d’impôts. Qui donc leur fera un crime d’avoir, au
péril de leur vie, appelé Sdéph’ané pour essayer de tendre un piège à ce
scélérat ? Mais ils ne purent mener à bonne fin cette entreprise ; un
traître, violant le serment qu’ils s’étaient donné mutuellement, alla l’avertir
de ne pas aller aux bains publics, où il trouverait Mais que dirais-je de notre ville de Kéçoun, mot qui signifie belle [76] ? Le chef auquel l’empereur en avait confié le gouvernement et la défense fut impuissant à sortir des murs pour repousser l’ennemi. Lui et les siens, conjurés contre les habitants, expulsèrent de saints prêtres, d’illustres et honorables chefs de famille, ainsi que tous les hommes sans distinction, n’y laissant que les femmes et les enfants. Néanmoins, ce qu’il y avait de bon dans ce chef, c’est qu’il ordonna de respecter et de garder à l’abri même du soupçon les femmes des émigrés. Ces infortunés proscrits eurent pour habitation, non plus leurs magnifiques palais, ou leurs maisons, mais des villages et des monastères. Aucun d’eux n’avait la force de s’éloigner : ils choisissaient un gîte à l’ombre des arbres et des murs, et s’asseyaient là, silencieux, immobiles et n’ayant en perspective que la mort ou l’esclavage. Cette crainte leur faisait oublier leur exil et leur existence agitée par tant de vicissitudes. Ces calamités se prolongèrent du mois de maréri (mai-juin) au mois de juillet, jusqu’à l’arrivée du grand sultan à Pertounk. Alors le pays recouvra sa tranquillité, et les habitants rentrèrent dans leurs foyers. La forteresse de Pertounk fut remise à ce prince, d’après la volonté de Thoros, désireux d’obtenir son amitié, mais contre le gré de Sdéph’ané, dont la valeur l’avait enlevée au Turc qui la possédait, homme abominable qui avait en haine le Christ et qu’il tua de sa propre main. CCLXIX. Cette expédition terminée, le sultan rentra dans son royaume. Il délibéra avec les grands de sa Porte sur le projet de consolider les liens qui l’unissaient déjà aux Francs et aux Arméniens. Ses vues ayant été approuvées par ses conseillers, il envoya de nouveau des hommes de confiance à Jérusalem, à Antioche et auprès de Thoros, pour conclure une alliance cimentée par un traité librement consenti de part et d’autre. Il n’agissait pas en cela d’après l’entraînement de son cœur ; car qu’y a-t-il de commun entre le Christ et Bélial ? mais dans le but de chercher des appuis contre le fils de Zangui, seigneur d’Alep, et mari de sa sœur. En effet, après la mort du sultan Maç’oud, le fils de Zangui, dédaignant le fils et successeur de ce prince [Kilidj Arslan], s’empara du territoire des chrétiens, franchit les frontières des possessions de ce dernier, et occupa tout ce qu’il put prendre, les formidables forteresses d’Aïn-tab et de Ph’arzman,[77] et tous les villages qui en dépendent. Kilidj Arslan lui écrivit maintes fois de cesser ses injustes entreprises. « Rends-moi, lui disait-il, les pays qui m’appartiennent « et que mon père a destinés à servir de limite entre toi et moi. » Mais il ne tenait aucun compte de ces représentations et se montrait beaucoup plus hostile et arrogant envers cette race belliqueuse que vis-à-vis du roi de Perse. Pendant que le roi de Jérusalem et le seigneur d’Antioche, Renaud, étaient plongés dans une perplexité extrême, celui dont la puissance est plus élevée que les cieux, et qui jamais ne perd de vue, qui ne néglige jamais la verge qu’il tient en réserve pour les pécheurs, au milieu des fortunes diverses qu’éprouvent les bons, celui qui relève notre désespoir, se décida, dans sa justice infaillible, à infliger à Nour ed-din un châtiment soudain, en le frappant de la plus douloureuse maladie. Ce prince manda de tous côtes, auprès de lui, les plus habiles médecins, mais leur science, fut inutile ; au contraire, le bras de Dieu ne faisait que s’appesantir chaque jour davantage sur lui.[78] Après s’être lié avec le comte Josselin par des traités et les serments les plus solennels consentis de bon accord, il avait agi envers lui avec une inhumanité inouïe ; car jamais on n’avait entendu dire chez aucun peuple et dans aucun siècle, qu’un homme ayant fait prisonnier son ami, tombé dans les embûches qu’il lui avait fait dresser par d’autres, et en dehors d’une guerre réciproque, l’eût retenu dans les fers pendant neuf ans, après lui avoir crevé les yeux ; traitement qu’il infligea à ce héros si souvent victorieux, et maître de tant de provinces. Bénédiction, louanges et gloire aux très saints jugements de Dieu, de la part de toutes ses créatures ! CCLXX. Revenons maintenant à des faits que nous avons
omis. En 603 ( CCLXXI. Une trahison des Turcs (Scythes),[82] cette nation
athée, ayant été découverte, le roi, tout humain qu’il était, en fit passer
au fil de l’épée un nombre considérable, et leur fit expier le sang des
chrétiens dont ils s’étaient repus. il chassa de la ville ceux qui furent
épargnés, et fixa leur demeure hors des murs. A la place des blasphèmes
contre le Christ, on entendit retentir partout des louanges en l’honneur du
Nom vivifiant. La Croix rédemptrice s’éleva sur le faîte des plus hauts
édifices de ce peuple pervers, plongé dans les ténèbres et enclin au mal, en
signe de honte et d’opprobre pour lui, de gloire et d’allégresse pour nous
autres fidèles. Après ce magnifique triomphe, les Francs se donnèrent Un peu
de repos. Puis ils cherchèrent les moyens de tenter un coup de main sur
Damas. Vers le commencement de l’année 603 ( CCLXXII. Au commencement de l’année 604 ( CCLXXIII. Cependant le roi de Jérusalem résolut, dans un conseil qu’il tint, de s’allier par un mariage avec Manuel. L’empereur agréa avec empressement à la demande qui lui en fut faite, et envoya à Jérusalem sa cousine (fille du frère de son père),[84] avec une escorte de confiance attachée à la personne de cette princesse, un corps de cavalerie, et quantité, de trésors. En même temps il promit au roi de venir en personne au secours de Jérusalem et des chrétiens, engagement qu’il ne tarda pas à réaliser ; car aussitôt, cette même année, c’est-à-dire en 608 (10 février 1159 - 9 février 1160), il entra dans le pays qui appartenait à Thoros, depuis que celui-ci l’avait enlevé au gouverneur romain de Mécis.[85] Manuel avait sous ses ordres cinq cent mille combattants. Thoros, apprenant son arrivée et le redoutant, se sauva avec ses chevaux et toutes ses richesses, avec les grands de sa cour, sa femme et ses fds, chacun emportant tout ce qu’il possédait. Il se réfugia auprès du rocher que l’on appelle Dadjig, où depuis les temps les plus reculés, et de mémoire d’homme, personne n’avait habité ou cherché un abri. Il avait oublié l’avis du sage qui dit : « Ne t’attaque pas à plus fort que toi. » Thoros, à la tête de sa cavalerie, évitait de stationner dans un lieu déterminé ; il errait dans des endroits de difficile accès et boisés, espérant en la miséricorde divine, et comptant, pour lui et pour le seigneur d’Antioche qui gouvernait la principauté avec le titre de régent, sur la médiation probable du roi de Jérusalem auprès de l’empereur. Le motif principal qui les rendait craintifs et tout honteux l’un et l’autre devant les Grecs, c’est qu’auparavant le prince d’Antioche était allé avec une flotte, d’après les instigations de Thoros, et, en compagnie avec lui, un détachement que Thoros lui avait fourni, faire une descente dans l’île de Chypre. Ayant surpris les habitants dans une sécurité complète et sans moyens de défense, ils les traitèrent comme des infidèles, ravageant leurs cités et leurs villages, les chassant de leurs maisons, enlevant leurs richesses, maltraitant les populations et les ecclésiastiques grecs auxquels ils faisaient couper le nez et les oreilles.[86] Ces excès, ayant été connus à Constantinople, excitèrent le courroux de l’empereur et des grands ; mais pour l’instant il n’y pouvait rien. Lorsqu’il arriva à Mécis et qu’il eut occupé tout le pays, on était dans les premiers jours de novembre ; toutefois il ne fit aucun mal aux habitants. Cependant le roi de Jérusalem tardait d’arriver pour se concerter sur les moyens à employer, afin de vaincre les nations qui ne reconnaissent pas le Christ et l’affranchir l’Église ; mais Manuel n’avait, au fond de l’âme, aucun souci de délivrer les captifs. CCLXXIV. A la fin, le roi de Jérusalem arriva, accompagné des Frères, cette milice du Christ, et du seigneur d’Antioche. Celui-ci s’était rendu auparavant auprès de l’empereur, pour s’excuser de son expédition contre Chypre. Une foule de chrétiens, accourus vers Manuel, pour le motif qui a été énoncé plus haut, le supplièrent avec les plus pressantes instances de calmer la colère qui l’animait contre Thoros. Comme les Grecs nourrissaient des sentiments de liai no contre les Arméniens, quoiqu’ils n’eussent rien à leur reprocher, il n’accepta qu’en apparence la médiation et la garantie du roi de Jérusalem et des Frères. Lorsque Thoros se fut rendu auprès de lui, il fut d’abord exclu de sa table. Mais la Providence voulut qu’il plût à Manuel, qui, charmé de sa bonne mine, adressa de vifs reproches aux calomniateurs qui avaient noirci Thoros. Le prince arménien, étant resté au camp quelques jours, voulut s’en retourner chez lui. L’empereur y consentit, à condition qu’il reviendrait immédiatement. Thoros, réfléchissant judicieusement aux besoins de l’armée, ramena un convoi considérable de brebis, de buffles et de chevaux arabes ; puis il retourna auprès de l’empereur, et lui offrit ces présents venus dans un moment si favorable. Manuel, étonné et enchanté de voir une telle abondance de vivres, loua hautement la prudence de Thoros en présence des grands officiers du camp et des ennemis du prince arménien ; il le gratifia de trésors d’or et d’argent, et d’un costume, avec une générosité digne d’un monarque, et lui pardonna du fond du cœur sa désobéissance et sa rébellion envers son souverain ; Thoros lui promit de son côté une soumission pleine et entière, et il tint parole religieusement.[87] CCLXXV. Une généreuse résolution fut prise en commun par les deux monarques,[88] l’invincible milice des Frères, le seigneur d’Antioche et Thoros, résolution à laquelle adhérèrent tous les chrétiens avec foi et un cœur fervent ; ils voulaient mourir ou délivrer les captifs qui gémissaient depuis longtemps, sans espoir, dans les fers à Alep et à Damas ces villes bâties de sang.[89] L’armée chrétienne tout entière, se mettant en marche, fit son entrée dans Antioche, comme chez elle. Mais comme on était loin de penser que les habitants répondraient sur-le-champ à l’appel de l’empereur, Manuel exigea qu’ils lui remissent en otage les fils des principales familles. Ils s’empressèrent d’obéir et de faire acte de soumission, dans la crainte que les captifs ne fussent point arrachés à la servitude, et de violer le vœu qu’ils avaient fait au tombeau du Rédempteur, et la parole qu’ils avaient donnée au roi de Jérusalem, lorsqu’il s’allia par mariage à l’empereur. Les chrétiens s’avançaient en bataillons innombrables, rugissant comme des lions, ils rivalisaient à qui se devancerait l’un l’autre, comme des aigles qui fondent sur une troupe de perdrix. C’est ainsi qu’ils couraient avec intrépidité porter le ravage sur le territoire des Scythes (Turcs). En un jour de marche ils atteignirent Batanée, sur les limites d’Alep. Tous les fidèles rapprochés ou éloignés furent dans une allégresse extrême lorsqu’ils apprirent la ligue formée dans le but d’exterminer les infidèles et de délivrer du joug pesant de la servitude l’Église du Christ, rachetée au prix de son sang précieux. A la nouvelle de cette invasion sur leur territoire, toutes les populations musulmanes furent dans l’effroi. Cédant à la terreur extrême que lui causait la coalition du roi de Jérusalem et de l’empereur, Nour ed-din, seigneur d’Alep et de Damas, leur envoya des ambassadeurs, pour leur annoncer qu’il s’engageait à rendre les captifs qu’il retenait et qu’il traitait avec une rigueur impitoyable, au nombre de dix mille.[90] Il voulut d’abord, après les avoir habillés de neuf et avoir fait disparaître la trace des souillures qu’ils avaient contractées dans les fers, les envoyer à la rencontre des deux souverains, pour les disposer en sa faveur, et leur dire qu’il se courberait sous leur autorité comme un esclave. Mais les conditions, qu’il, proposait furent rejetées, et ses envoyés revinrent avec cette réponse, que Nour ed-din eût à quitter le pays, et à se retirer où il leur plairait, ou sinon, que toutes les populations musulmanes, jusqu’aux enfants à la mamelle, seraient exterminées. A tant d’audace l’armée chrétienne joignait une joie qu’elle faisait éclater comme en un jour de noce. Mais tandis que l’on ne pensait à rien autre chose, tout à coup et par la volonté du démon arriva de la ville impériale ! (Constantinople) une lettre annonçant qu’une insurrection avait éclate contre Manuel, ainsi que d’autres événements qui avaient pour mobile la magie.[91] Nous n’avons pu approfondir et savoir avec certitude ce qui produisit cette œuvre satanique ; mais à coup sûr, cette nouvelle imprévue fut le motif qui détermina l’empereur à rendre à Thoros les pays qu’il lui avait enlevés, regardant cet acte de spoliation comme un triomphe suffisant pour lui. Nous voyons en effet, par ce qui s’est passé dans les temps anciens, et nous lisons dans les chroniques, que les empereurs des Grecs n’ont jamais rien fait pour la délivrance des chrétiens, et qu’au contraire ils ont occasionné la ruine et la prise de leurs villes et de leurs provinces. C’est par les bons offices de ces princes que les Arméniens furent forcés de s’expatrier. que les infidèles devinrent puissants, et que dans leurs fréquentes irruptions ils s’emparèrent de toutes les contrées, et en premier lieu d’Ardzen (Erzeroum), de Mélitène (Meldéni), de Sébaste, de la cité royale d’Ani, et que ces hordes étendirent leurs conquêtes jusqu’au voisinage de Constantinople. Les Francs, cette race belliqueuse, tentèrent une troisième expédition pour la délivrance des chrétiens ; mais, grâce a la trahison et à la perfidie de l’empereur. Ils furent vaincus et détruits par les Turcs, comme nous l’avons vu nous-mêmes de nos propres yeux. Si c’était dans l’intérêt des chrétiens que l’empereur fut venu. it n’aurait pas dû prolonger son séjour sept mois à Mécis. C’est de la même manière que s’était comporté son père, qui emmena le baron Léon et d’autres chefs Arméniens. Ces explications suffiront à quiconque est doué de jugement. Les faits et gestes des souverains de Constantinople démontrent évidemment la haine implacable qu’ils ont vouée à notre nation. Ces Romains lâches et efféminés, après s’être concertés en conseil, dirent à leur maitre : « N’écoute ni les Arméniens, ni les Francs ; hâte-toi de retourner occuper ton trône, et puis tu reviendras. » CCLXXVI. Les orthodoxes,[92] instruits de cette résolution, tombèrent dans une douleur inconsolable, causée par l’abandon des Grecs. Maigre leurs supplications réitérées, ils ne purent faire changer l’empereur d’avis. Ils le conjuraient de s’arrêter, avant son départ, trois jours seulement devant Alep, mais il se montra sourd à ces justes représentations. Il envoya des ambassadeurs au seigneur de cette ville, alors tremblant de frayeur de tout ce qu’il apprenait, et consumé parle feu ardent de la terreur que les chrétiens lui causaient, pour lui demander de conclure un traité de paix. A cette proposition, les infidèles ne trouvèrent pas de paroles pour faire une réponse convenable ; ils s’imaginaient en effet que ces messagers étaient venus à eux comme espions. Mais sur les assurances qui leur furent données, ils promirent de se conformer aux volontés de l’empereur. Toutefois, violant leurs serments, ils ne renvoyèrent que cinquante prisonniers, choisis parmi les Francs les plus illustres et réel unes par cet indigne monarque. Il abandonna ainsi, par des considérations humaines, une multitude de captifs que le Christ allait lui rendre, le Christ auquel ils rendent un culte imparfait, tout en nous calomniant et en nous condamnant d’après les suggestions de leur haine et de leur malveillance ! Les musulmans ne nous trompent pas tout en nous immolant. Les Grecs se retirèrent en nombre immense, non comme le lion courageux, mais comme le faible renard ; pareils à des fugitifs, ils armèrent dans les Etats du sultan Kilidj Arslan. Ce n’est point comme ministre des ordres de Jésus-Christ que celui-ci tira vengeance de leur conduite ; il était chargé seulement de leur faire expier leurs malédictions et leurs blasphèmes, qui n’atteindront jamais les orthodoxes, et qu’ils avaient proférés, en refusant de porter secours à l’Église et aux captifs. La perverse et vile race de Turcomans, s’étant mise à leurs trousses comme après des fuyards, leur tua douze mille hommes, parmi lesquels était le beau-père de l’empereur, et leur prit vingt mille chevaux et mulets. Ce conflit engendra une inimitié implacable entre l’empereur et le sultan Kilidj Arslan.[93] CCLXXVII. Dans la faiblesse et l’impuissance de mon esprit, il me semble que si les secours qui nous étaient arrivés nous ont fait défaut, il ne faut en chercher la cause que dans la haine conçue contre nous et dans l’accomplissement de la prédiction du saint homme de Dieu, le grand Nersès, notre Illuminateur,[94] lequel, éclaire par une intuition supérieure et par une inspiration, céleste, consigna dans son livre véridique au sujet des souverains des Romains, qu’ils n’auront plus qu’une existence très courte, qu’ils n’accorderont désormais aucune attention à la guerre, et n’auront d’autre occupation que de lever des impôts et de susciter des discussions théologiques. Les choses s’étant ainsi terminées, le pansébaste[95] Thoros resta
sans crainte dans ses États héréditaires, et, protège par la volonté
bienveillante de l’empereur, il conserva la paix et CCLXXVIII. Au commencement de l’année 609 ( CCLXXIX. Cette même année, le fils du comte[97] fut fait prisonnier et emmené à Alep. Au mois d’octobre, un émir nommé Amir Miran,[98] fils d’Amir Ibrahim, fils de Soukman, maître des villes et districts de Khélath, Ardjèsch, Mousch,[99] Dogh’odaph et Mandzguerd, envoya son beau-père Adradin (Nasr ed-din ?)[100] à la tête d’une armée considérable en Géorgie. En ce moment le souverain de ce royaume, le vaillant Giorgi[101] se préparait avec les siens à aller ravager le territoire des Turcs. Les deux armées se rencontrèrent dans le district d’Okhthis,[102] et engagèrent une lutte acharnée. Les Géorgiens furent vainqueurs ; ils mirent les infidèles en fuite, leur tuèrent beaucoup de monde, et firent de nombreux prisonniers, parmi lesquels figuraient trois cents chefs Turcs. Le commandant de la cavalerie géorgienne, atteint à la main d’un coup de flèche, descendit de cheval et s’assit pour faire panser sa blessure. A l’arrière-garde des Turcs étaient restés des Géorgiens musulmans, venus à eux sous la conduite de Vaçag, renégat géorgien, et qui leur avaient servi de guides. Ils survinrent à l’improviste et surprirent le général géorgien descendu de cheval ; ils s’emparèrent de lui et If conduisirent à l’émir qui porte le titre de Schahi Armên. Ce chef, qui était surnommé Gagh’ (boiteux), fut le seul prisonnier qu’ils firent. CCLXXX. En l’année 610 ( CCLXXXI. Cette même année, le seigneur d’Antioche, qui porte le titre de Prince (Prindz), et qui se nommait sire Renaud (Siranaglid), vint pendant l’automne fondre sur la contrée d’Alexis,[107] tandis que les habitants étaient eu pleine sécurité. Il étendit ses incursions jusqu’à la forteresse du catholicos appelée Dzov,[108] et ravagea tout le territoire environnant, faisant prisonniers les Turcomans qu’il rencontrait. Il avait avec lui un millier d’hommes, cavaliers, fantassins et autres gens de guerre.[109] Cependant Medjd ed-din,[110] lieutenant de Nour ed-din, lequel avait réuni antérieurement un corps de 40.000 hommes, ayant placé son avant-garde en embuscade, surprit le détachement de sire Renaud. Ceux qui le composaient furent massacrés ou fait prisonniers. Lui-même fut pris avec trente cavaliers, et perdit quatre cents hommes.[111] Fier de cette victoire, Medjd ed-din rentra à Alep, traînant après lui ses captifs, et parmi eux le Prince, qu’il accabla d’outrages et de mauvais traitements. En même temps il fit prévenir de ce succès Nour ed-din, qui était alors à Damas, occupé à réunir de la cavalerie, dans le dessein d’aller combattre le roi de Jérusalem. A cette nouvelle, Nour ed-din revint et saccagea toute la contrée jusqu’It Tripoli, et y fit des prisonniers qu’il conduisit à Alep. De là il marcha sur Harem (Hêrim),[112] qu’il investit. Mais il fut obligé de suspendre le siège à cause de l’abondance des pluies et par la crainte que lui causait le roi de Jérusalem. Celui-ci était accouru avec Thoros, descendant de Roupen, à la tête d’un détachement de troupes grecques. Mais dès qu’il se fut retiré avec ses aui1iaircs. Nour ed-din revint, et ayant mis le siège devant l’inexpugnable forteresse d’Ardzkhan,[113] elle se rendit sous la garantie d’un serment. Malgré cela, il la démolit et la détruisit de fond en comble. Il fit prisonniers les chrétiens qui la défendaient et les emmena chez lui à Alep. CCLXXXII. Cette même année, le sultan Kilidj Arslan se rendit auprès de Manuel, en compagnie de l’émir Miran, frère de Nour ed-din, après avoir été comblé par l’empereur de présents, et avoir conclu un traité par lequel il s’engageait, sous la foi un serment, à lui rester soumis jusqu’au jour de sa mort. Il s’en retourna dans sa capitale,[114] emportant les sommes considérables qu’il avait reçues. Vers le commencement de l’année 611 ( CCLXXXIII. Cette même année, Sdéph’ané, frère de Thoros le Grand, Sébaste, et fils de Léon, périt par la trahison et la perfidie d’un duc scélérat.[116] Ce brave et illustre champion des chrétiens fut étranglé. Ses frères [Thoros et Mleh] vengèrent sa mort en immolant un millier de Grecs ; le duc auteur du meurtre de Sdéph’ané sera coupable de leur sang devant Dieu. CCLXXXIV. Cette même année eut lieu la prise de l’illustre ville de Tévïn, par le roi de Géorgie Korké. Il y entra à la suite des infidèles, qui, sortis des murs pour le repousser, avaient pris la fuite devant lui. Il les mit en déroute et les extermina. Ceux qui échappèrent au glaive ayant cherché à se réfugier dans Tévïn, les Géorgiens y pénétrèrent avec eux, massacrèrent tous ceux qui s’offraient sur leurs pas, firent des captifs et incendièrent les maisons. Après quoi ils reprirent le chemin de leur pays, chargés de butin, et traînant avec eux une masse de prisonniers.[117] Au Christ miséricordieux, gloire et bénédiction dans les siècles des siècles ! Amen. |
[1] Dans l’Église arménienne, comme dans toute l’Eglise
orientale, chez les Grecs, les peuples de race slave, etc. les prêtres
séculiers, qui forment le clergé des paroisses, sont obligés de se marier avant
de recevoir la consécration sacerdotale. Leurs pouvoirs se bornent à conférer
les sacrements et à la célébration de l’office divin ; c’est ce que l’on
appelle le clergé blanc en Russie. Les autres, engagés dans les vœux
monastiques (le clergé noir), doivent vivre dans le célibat. De la
classe de ces derniers seulement sortent les dignitaires ecclésiastiques, qui
sont, chez les Arméniens, les vartabeds ou docteurs investis du droit de
prêcher et d’enseigner, les évêques, les patriarches ayant rang d’archevêque,
et le patriarche universel ou catholicos. Dans les premiers temps de l’Eglise
arménienne, au ive
siècle, saint Grégoire l’Illuminateur et ses successeurs immédiats, c’est-à-dire,
ses fils et descendants, furent mariés avant de monter sur le siège patriarcal,
qui était dévolu de droit à cette branche de la famille des Arsacides, les
Sourên (Suréna) Bahlav, comme la royauté appartenait à la branche puînée de
celle qui régnait sur la Perse.
[2] Cette expédition de Jean Comnène dans la Cilicie
et la Syrie fut provoquée par le mécontentement qu’il ressentait contre les Latins
d’Antioche et les Arméniens ; il en voulait aux
premiers de ce qu’Antioche avait été donnée à Raymond de Poitiers, avec la main
de Constance, fille de Bohémond II ; il prétendait que toutes les conquêtes les
croisés devaient lui appartenir, parce qu’à leur arrivée à Constantinople ils
avaient promis par serment d’en faire hommage à son père Alexis. (Cf. Guillaume
de Tyr, XIV, xxiv.) Sa rancune
contre les princes Roupéniens était un sentiment héréditaire et inhérent à la
politique des empereurs de Byzance, qui ne pouvaient oublier que les Arméniens
leur avaient enlevé une partie considérable de
Ce n’est pas tout ;
Léon, après avoir été le compagnon d’armes et l’ami de Roger d’Antioche (cf.
Matthieu d’Édesse, chap. lxxvii),
avait eu récemment des démêlés avec Raymond de Poitiers, successeur de Roger.
Raymond, n’osant point attaquer Léon à force ouverte, s’entendit sous main avec
Baudouin de Marasch, qui invita Léon à venir avec lui faire une visite à Raymond. Le prince d’Antioche profita de l’occasion
pour se saisir du chef arménien et le renferma dans une forteresse. Apres y
être resté détenu pendant deux mois, Léon consentit à livrer pour sa rançon
deux villes, Mécis et Adana, à payer 60.000
tahégans et à donner un de ses fils en otage. A ces conditions, il recouvra
[3] Pendant que Jean Comnène assiégeait les villes de
la Cilicie qui étaient au pouvoir des Arméniens, il envoya un corps de troupes
à la poursuite de Léon. Ce prince, qui s’était sauve dans les gorges du Taurus,
fut surpris et cerné dans une vallée et, par le manque de vivres, forcé de se
rendre. Ses deux fils, faits prisonniers avec lui, étaient Roupen et Thoros.
Ses trois autres fils plus jeunes, Sdéph’ané, Constantin et Mleh [Milo
du texte de Guillaume de Tyr, XX, xxv]
; Mélik des Lignages d’outre-mer ;
de Cinnamus, étaient alors en
sûreté à Édesse, auprès de Josselin, leur cousin germain. L’empereur tint
pendant un an en prison Léon, Roupen et Thoros à Constantinople ; après quoi, à
la sollicitation de quelques amis du prince arménien, il les délivra, mais en
les retenant à sa cour, où ils furent traités honorablement. Quelques soupçons
qui lui furent suggérés contre Roupen le déterminèrent à priver de la vue le
jeune Arménien, qui mourut des suites de ce supplice. Pour éviter que Léon ne
cherchât à venger son fils, on le réintégra en prison avec Thoros. Il y finit
ses jours après sept ans de captivité. Cependant Manuel Comnène, en succédant à
son père Jean, touché du sort de Thoros, resté orphelin, le prit auprès de lui
et lui montra beaucoup d’amitié. C’est dans ces conjonctures que celui-ci s’échappa
secrètement de Constantinople et regagna la Cilicie, comme nous le verrons plus
loin.
[4] L’image de
[5] Aboulfaradj dit, à la même date que Grégoire le
Prêtre (1148 de l’ère des Grecs 1136 - 1137), que l’empereur, furieux contre
Léon, après s’être emparé de Tarse, d’Adana et de Meciça, fit prisonnier ce
prince avec sa femme et ses fils, et les envoya tous à Constantinople.
[6] Ibn Alathir et Nowaïri (Ms. de la Bibl. impér. de
Paris. suppl. arabe n° 738, fol. 60 v°) affirment, au contraire, que l’empereur
prit Bezah à composition le 25 de redjeb 532 (
[7] Cinnamus, qui décrit la marche de Jean Comnène,
nous dit (I, vii et viii) qu’après être entré en Cilicie
par les Pylae Ciliciae, ou défilé de Gougtag, il s’empara de Mopsueste,
Tarse, Adana, Anazarbe, et de la forteresse de Vahgà. De là il vint se
présenter devant Antioche, qu’il assiégea. Mais Raymond ayant fait sa
soumission et s’étant déclaré son vassal, l’empereur leva le siège et se
dirigea vers Alep, qu’il laissa sur sa route ensuite il prit Bezah, Hama,
Kafarthàb, et reçut la reddition de Scheïzar ; puis, retournant en Cilicie, il
plaça des garnisons dans les forteresses de Vahga et de Kapnispert ou Gaban, et
prit ses quartiers d’hiver dans la plaine qui s’étend entre Tarse et la mer.
(Cf. Guillaume de Tyr, XIV, xxx.)
Celle expédition comprend les deux années 1136 et 1137. Ibn Alathir, Aboulféda
et Kemal ed-din la fixent à l’année 531 (
[8] C’est sans doute la forteresse qui fut restaurée,
ainsi que Dorylée, par ce souverain et ensuite détruite en vertu du traité qu’il
fit avec le sultan Izz ed-din Kilidj Arslan, fils de Maç’oud, en 1170. Cinnamus
en fixe la position vers les sources du Méandre, c’est-à-dire dans la partie
occidentale du Thema anatolicum. Aboulfaradj
(Chron. syr.) mentionne, à l’année 1450 des Grecs (1er oct. 1138
- 1339), une invasion de Mélik Mohammed en Cilicie, dans laquelle il s’empara
des forteresses, de Vahga, et de Gaban conquises deux ans auparavant par Jean
Comnène. (Cf. la note précédente.). Le nom de la forteresse de Zoublas est
écrit Zoublou dans l’un de nos mss. Je pense que c’est Soubleou de
Nicétas Choniatès.
[9] Les montagnes de Goulla doivent faire partie de
la chaîne de l’Anti-Taurus, que traversa Mohammed en s’en retournant dans ses
Etats de Cappadoce, et en former la partie la plus élevée, si l’on admet que le
mot Goulla est l’arabe Koulla, qui entre autres significations à
celle de sommet d’une montagne.
[10] Cette expression, notre empereur ou notre roi,
prouve clairement que les princes arméniens de la Cilicie reconnaissaient alors
la suzeraineté de l’empire grec. On en verra une nouvelle preuve au chapitre cxiii, où Thoros II, s’adressant à
Andronic, gouverneur de la Cilicie, lui dit : « Je suis le serviteur de ton
souverain. » D’ailleurs, le témoignage d’Anne Comnène (liv. XIV) est
décisif sur ce point. Le traité conclu entre Bohémond et l’empereur Alexis, ou
plutôt l’acte d’hommage du prince de Tarente, contient cette clause :
« Excepté les possessions des Roupéniens, Léon et Théodore (Thoros),
Arméniens, qui sont les hommes liges de Votre Majesté. »
[11] En cette année 1137, Pâques tomba le 11 avril.
[12] Hr’om-gla’ ou Roum-Kalé, c’est-à-dire le Château
fort des Romains, forteresse célèbre dans l’histoire des croisades, située
sur la rive occidentale de l’Euphrate, dans la Comagène, au nord-ouest d’Alep.
Elle fut conquise en 1116 par Baudouin du Bourg, comte d’Édesse, sur le prince
arménien Kogh-Vasil. La veuve et le fils de Josselin le jeune la vendirent en
1150 au patriarche des Arméniens Grégoire III (Cf. ch. CCXIV), qui s’y
fixa et la transmit à ses successeurs ; elles y firent leur résidence jusqu’à l’an
1293, où elle fut prise par Mélik-el-Aschraf, fils de Kélaoun, l’un des sultans
mamelouks d’Egypte. —Tchamitch, T. III. Au rapport de Sempad (ad annum 5go),
cet acte de cession ou de vente existait encore de son temps, vers la fin du xiiie siècle. Ce témoignage
formel réfute suffisamment le conte que fait Aboulfaradj (Chron. syr. p.
345), à l’année 1461 des Grecs (1er oct. 1149 - 1150), sur la
manière dont Grégoire III entra en possession de Hrom-Gla, conte qui lui a été
suggéré par la haine qu’en sa qualité de Syrien et de Jacobite il avait vouée
aux Arméniens, et dont il fait preuve en maints passages de son livre. Selon
lui, un Arménien nommé Michel, gouverneur de Hrom-Gla, envoya proposer à la femme
et au fils de Josselin d’appeler à son aide Grégoire, qui résidait dans le
monastère du Lac (de Kharpert). Celui-ci, ajoute Aboulfaradj, étant arrivé,
ourdit une intrigue contre Michel, et ayant réussi à l’expulser, lui enleva ses
lie liesses, et resta seul maître de la place.
[13] Fakhr ed-din Kara Arslan, souverain de
Hins-Keïfa, dans la Mésopotamie, fils de Rokn-eddaula Daoud et
arrière-petit-fils de Soukman, fils d’Artoukh. Cf. ch. CLI. Il succéda à son
père, d’après Aboulfaradj (Chron. syr.), en 1455 de l’ère des Grecs, (1er
oct.
[14] Cf. sur cette expédition de Jean Comnène en
Cilicie, Nicétas Choniatès, ch. VI et VII ; Cinnamus. — Aboulfaradj (Chr.
syr.) rapporte à l’année 1448 des Grecs (1er oct. 1136 - 1137),
que l’empereur Jean, après avoir occupé Tarse, Adana et Meciça et avoir fait
prisonnier Léon, sa femme et ses enfants, marcha sur Antioche ; mais il ne put
s’en emparer. Josselin étant venu le trouver, ils convinrent entre eux que si l’empereur
prenait Alep et d’autres villes de Syriec, il les remettrait aux Francs, et que
ceux-ci à leur tour lui livreraient Antioche. Jean Comnène et Josselin ayant
réuni leurs forces, allèrent investir Bezah, et envoyèrent un détachement attaquer
la forteresse de Schéïzar. A cette époque, Maç’oud, sultan d’Iconium, étant
entré en Cilicie, assiégea et prit Adana, et ayant chargé de chaînes l’évêque
de cette ville et tous les habitants, les emmena à Mélitène. A cette nouvelle,
l’empereur mit le feu à ses machines de siège, rentra en Cilicie, et après
avoir fait la paix avec Maç’oud, revint à Constantinople.
[15] Le texte arménien est ici altéré ; il porte srimah
: J’ai cru devoir lire Souri ou Açori, « Syrien », d’après une
conjecture que je regarde moi-même comme très douteuse. Peut-être aussi faut-il
lire sriga, nom sous lequel étaient connus chez les Arméniens et les
Syriens les Mardaïtes ou Maronites du Liban. — Cf. mon Extrait de la
chronique de Michel le Syrien, Journal Asiatique, avril-mai 1819. En
lisant dans notre texte, sicaire, brigand, on peut supposer que Grégoire
le Prêtre a dû employer la même expression dont s’est servi Michel le Syrien
(voir mon Extrait de sa Chronique, dans le Journal asiatique, cahier d’avril
mai, 1849), pour désigner les Mardaïtes ou Maronites du Liban. Ce dernier
historien dit (fol. 81 du manuscrit de la Bibliothèque impériale de Paris,
ancien fonds arménien. n° 96) ce qui suit : « En la neuvième année de Gosdant
(l’empereur Constantin Pogonat, en 677) des brigands firent une irruption et
vinrent se fixer dans le Liban ; on les appela rebelles. Les Syriens
leur donnèrent le « nom de Djourdjans (audacieux). J’ai montré comment l’origine
de ces populations vient de la secte des monothélites, qui furent condamnés par
le sixième concile œcuménique, tenu à Constantinople, en 680-681, sous ce même
empereur, et comment ils furent chassés des villes de la Syrie, et forcés de se
retirer dans les montagnes du Liban et de l’Anti Liban. J’ai rapporté en même
temps la circonstance, diversement interprétée, qui donna naissance à cette
dénomination de mardaïtes ou rebelles. On sait qu’ils ont été depuis lors
convertis au catholicisme et avec quelle ferveur ils s’y sont ralliés. Si la
restitution que j’ai admise est vraie, il y aurait eu des Maronites dans les
armées des Latins de Syrie, et le nom de Simon, que porte le chef dont il est
ici question, rend cette conjecture très vraisemblable.
[16] La traduction des RHC Documents arméniens
porte « Jean y fit son entrée en secret. » Elle était plus
« récente » (1869) que la Chronique de Matthieu d’Édesse
(1858). Dulaurier a peut-être révisé sa traduction entre ces années.
[17] Jean Comnène étant venu mettre le siège devant
Antioche, et Raymond, seigneur de cette ville, se voyant impuissant à résister,
traita avec lui, et le reconnut pour suzerain. Il fut convenu que l’empereur
aurait la liberté d’entrer dans Antioche avec sa suite, quand bon lui
semblerait. Il y fit effectivement son entrée solennelle : le prince d’Antioche
et Josselin, comte d’Édesse, tenaient la bride de son cheval ; le patriarche,
suivi du clergé et du peuple, vint en procession au-devant de lui, chantant des
hymnes et des psaumes, au son des instruments de musique. On le conduisit ainsi
à la grande église, et de là au palais. Mais Josselin ayant excité sous main le
peuple contre les Grecs, l’empereur fut forcé de quitter la ville. — Cf. Nicétas
Choniatès, ch. VIII, et Cinnamus I, 8.
[18] Cette année, Pâques tomba le 4 avril. Suivant
Nicétas Choniatès, Cinnamus et Othon de Freysingen (VII, 8), d’accord avec
Grégoire le Prêtre, Jean Comnène mourut le
[19] Foulques, comte de Tours, du Mans et d’Anjou,
fils de Foulques, dit le Réchin, et de Bertelée de Montfort. Il avait
épousé en secondes noces Mélissende ou Mélusine, fille aînée de Baudouin du
Bourg et de sa femme arménienne Morfia, roi de Jérusalem, auquel il succéda. Il
régna 11 ans et mourut le
[20] Baudouin III avait 12 ans quand il perdit son
père. Mélissende sa mère fut régente pendant sa minorité. Il mourut le
[21] D’après Aboulfaradj (Chron. syr.), Mélik
Mohammed mourut à Césarée en 1454 des Grecs (1er oct. 1142 - 1143) ;
il avait désigné pour lui succéder son fils Dsou’lnoun ; mais la Khatoun, sa
veuve, ayant épousé Yakoub Arslan, frère de Mohammed et fils d’Amir Gazi, fit
reconnaître l’autorité de Yakoub à Sébaste. Dsou’lnoun s’enfuit à Sémendav (en
arménien, Dzamëntav), puis il s’empara de Césarée. De là il alla assiéger Mélitène
avec son frère Iounous, émir de Maçara, mais sans succès. Ensuite tous les deux
marchèrent contre Arka. Sur ces entrefaites la Khatoun envoya deux mille hommes
pour occuper Mélitène et donna l’ordre d’en faire venir à Sébaste les Turcs qui
s’y trouvaient ; mais ces derniers, furieux d’être rappelés, brisèrent à coups
de hache la porte appelée Bouridieh, que le gouverneur refusait de leur ouvrir,
mirent en fuite ces deux mille hommes, et, ayant appelé Dolah, oncle paternel
de Dsou’lnoun, lui remirent la ville.
[22] Le 1er avril 1143.
[23] Raymond Ier de Poitiers, fils puiné de
Guillaume IX, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers. Né à Toulouse vers 1099 ou
1100 ; il était allé se fixer à la cour de Henri Ier, roi d’Angleterre,
dans les armées duquel il avait pris du service, tandis que son frère aîné.
Guillaume X, gouvernait l’Aquitaine, dont il avait hérité de son père.
(Guillaume de Tyr, XIV). Voir la note 5 du chap. CCLIII.
[24] Josselin II dit le Jeune, fils de Josselin de
Courtenay et de la fille du prince arménien Léon Ier, fut adonné des
son enfance à l’ivrognerie et à
[25] La nation ou maison de Thorgom, est un des noms
que se donnent les Arméniens, comme descendants, par Haïg, leur ancêtre et leur
premier roi, de Thorgom (Thogarmah), fils de Thiras, fils de Gomer, fils de
Japhet, suivant la généalogie rapportée par Moïse de Khoren dans son Histoire
d’Arménie, I, v.
[26] Après la prise d’Édesse, les plus prudents ou les
plus alertes des habitants coururent avec leurs femmes et leurs enfants
chercher un refuge dans les parties fortifiées de la ville pour préserver leur
vie, ou au moins
[27] Ces paroles sont apocryphes, car elles ne se
trouvent point dans la lettre de Jésus-Christ au roi Abgar, telle qu’on la lit
dans l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe, I, 13.
[28] Suivant Ibn Alathir, Zangui fut tué le 5 de rabi’
second 541 hég. =
[29] On lit dans Aboulfaradj (Chron. syr.) qu’au
mois de novembre 1458 des Grecs = 1147, Josselin et Baudouin, seigneur de Kéçoun,
étant venus auprès d’Édesse, les fantassins francs se mirent d’accord avec les
Arméniens qui défendaient les remparts et escaladèrent deux tours. Les Turcs,
cédant à cette surprise, se réfugièrent dans
[30] Cette Oraison funèbre est publiée parmi les
documents qui se rattachent à l’histoire des croisades. Les Turcs, poussant en
avant avec leurs chevaux les captifs mis à nu et garrottés, les emmenèrent pour
les vendre. Josselin se réfugia à Samosate. L’évêque syrien d’Édesse, Basile,
réussit à s’échapper, mais l’évêque arménien tomba entre les mains des
infidèles.
[31] Le titre de Prince, Prindz, en arménien,
est celui qui était affecté spécialement aux seigneurs d’Antioche. On le trouve
en arabe sous la forme elbrins, que Reiske a lu Barnas, et
Deguignes, Bornos. II s’agit ici de Raymond de Poitiers. — Nour ed-din,
souverain d’Alep, étant venu attaquer la forteresse d’Anab (Nepa, Guill. de
Tyr, XVII), Un combat fut livré non loin de ses murs, dans lequel les Francs
furent mis en déroute, et Raymond périt, le mercredi 21 de séfer 544 (
[32] D’après ces paroles, Baudouin de Marasch était
frère de Raymond de Poitiers, et, par conséquent, fils de Guillaume IX, duc d’Aquitaine.
Jusqu’à présent ou ne connaissait que trois fils de Guillaume IX, savoir :
Guillaume X, qui lui succéda dans le comté de Poitou et dans les duchés d’Aquitaine
et de Gascogne ; Raymond, qui devint prince d’Antioche, et Henri, dont fait
mention Guillaume de Tyr (XIV, xx),
et qui fut religieux de Cluny. (Cf. Dom Vaisselle, Hist. de Languedoc,
XXVI, lxxxiii.) Les deux premiers
étaient nés à Toulouse, l’un vers le commencement de 1099, et l’autre dix mois
plus tard ; comme semble l’indiquer l’auteur de ta Chronique de Maillesais,
pendant que Guillaume IX faisait son séjour dans cette ville, dont il s’était
emparé en l’absence de Raymond de Saint-Gilles, alors en Terre sainte. Dom Vaisselle,
Hist. de Languedoc. — L’assertion de l’auteur arménien sur le degré de
parenté qui unissait le comte de Marasch à Raymond de Poitiers concorde
parfaitement avec les paroles du docteur Basile dans son oraison funèbre de
Baudouin, et mérite d’autant plus de confiance que Basile habitait la ville de
Kéçoun et était le confesseur de ce prince. Les relations intimes qui
existaient entre Raymond et Baudouin viennent
encore à l’appui de cette assertion. Les deux villes de Kéçoun et de Marasch,
dont celui-ci était seigneur, se trouvaient dans la partie du territoire de
[33] C’est en effet la signification qu’a en arabe le
nom de Nour ed-din, littéralement « Lumière de la religion. »
[34] Voir sur cette expression, cité bâtie avec du
sang, ch. CCLXXV.
[35] Après la mort du prince d’Antioche, dit
Aboulfaradj (Chron. Syr.), et du seigneur de Kéçoun, cette dernière
ville et celle de Bethhesna (Béhesni), furent données à Josselin.
[36] Dans le langage des auteurs arméniens, les
Ismaélites, descendants d’Ismaël, fils d’Abraham, sont les Arabes, et
quelquefois, comme ici, les musulmans en général.
[37] Maç’oud était fils de Kilidj Arslan Ier,
de la dynastie des Seldjoukides d’Iconium. Il régna de 1119 à 1155 environ.
[38] La Fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix, qui
est mobile dans l’Eglise arménienne, et se célèbre toujours le dimanche, tomba
cette année le 11 septembre. Voir ma Chronologie arménienne, IIIe
partie, tableau I).
[39] Suivant Aboulfaradj (Chron. syr. p. 343),
ce fut Kilidj Arslan II, fils de Maç’oud, qui fit cette expédition contre
Marasch. — En l’année 1460 des Grecs, 543 hég. (1148-1149), Kilidj Arslan s’étant
emparé de Marasch, promit avec serment aux cavaliers, a l’évêque et aux prêtres
francs de les faire conduire sains et saufs a Antioche ; mais après les avoir
congédiés, il les fit massacrer par les Turcs qui les accompagnaient. Dans le
pillage de la ville, le trésor de l’église des Syriens, l’urne ou le vase qui
contenait le saint-chrême, les calices, les burettes, les encensoirs d’argent,
les vêtements sacerdotaux et les tentures devinrent la proie des infidèles.
[40] Kara Arslan est appelé par Aboulfaradj seigneur
de la forteresse de Zaïd, place située près du monastère syrien de Mar Bartzouma,
non loin de Gargar’, dans
[41] Voici comment Aboulfaradj (Chron. syr.)
raconte l’attaque de Kara Arslan contre Gargar’ : « Des éclaireurs envoyés
dans la contrée de Gargar’ rapportèrent à Kara Arslan que les habitants s’étaient
retirés avec tout ce qu’ils possédaient dans la montagne du voisinage, où était
le monastère de
[42] Cette année (1460 des Grecs = 1148 - 1149),
Josselin partit de Tellbâscher pour Antioche avec 200 cavaliers. Ceux-ci étant
tombés pendant la nuit au milieu d’un petit détachement de Turcomans, et
pensant qu’ils avaient affaire à des ennemis nombreux, prirent la fuite,
effrayés par la voix des Infidèles. Les Turcomans s’étant mis à leur poursuite,
prirent Josselin et le vendirent au prix de mille dinars à Nour ed-din, qui le
fit charger de chaînes et jeter en prison à Alep. La captivité du prince
chrétien dura 9 ans, pendant lesquels ni menaces ni séductions ne purent le déterminer
à abjurer sa foi et à se faire musulman, et cette captivité ne finit qu’à sa
mort. Dans ses derniers moments, il fit appeler Ignace, évêque syrien d’Alep,
qui le confessa et lui donna
[43] C’est le prince arménien Kogh-Vasil, dont le nom
figure avec tant d’éclat dans les pages de Matthieu d’Édesse. Ce titre honorifique
avait été accordé aux chefs des trois principautés arméniennes les plus
considérables de la Cilicie par les empereurs, jaloux de rattacher à eux ces
chefs et de faire acte de suzeraineté. — Le titre de Sébaste ou Auguste était d’abord
réservé, dans l’étiquette de la cour de Byzance, aux seuls princes de
[44] Il est curieux de voir les cloches employées à
cette époque comme instruments de musique militaire chez les musulmans.
[45] Josselin III, fils de Josselin II, et petit-fils
de Josselin de Courtenay, dit le Vieux. Après que son père fut tombé entre les
mains de Nour ed-din, et que celui-ci eut achevée de lui enlever ses Etats, il
se retira auprès du roi de Jérusalem Baudouin III, et épousa Agnès, troisième
fille de Henri de Milly, dit le Buffle, qui lui apporta en dot le Château du
Roi et Montfort.
[46] Cette expédition de Maç’oud est ainsi racontée
par Aboulfaradj (Chron. syr.) « En 1461 des Grecs (1149-1150), les
habitants de Kéçoun voyant la puissance considérable des Turcs, envoyèrent à
Maç’oud l’évêque Mar-Ioannès, et convinrent avec lui que les Francs qui étaient
chez eux pourraient se retirer sains et saufs à Aïn-tab. Lorsque cet accord eut
été exécuté, ils livrèrent leur ville au sultan. C’est ainsi qu’il devint
maitre de Kéçoun, Béhesni, Raban, Pharzman et Marasch. Pendant qu’il faisait le
siège de Tellbâscher, son gendre Nour ed-din vint le trouver. Maç’oud n’ayant
pu s’emparer de cette place, se retira ; après quoi le roi de Jérusalem en fit
sortir la femme de Josselin et ses fils, ainsi que les Francs qui l’occupaient,
et les conduisit à Jérusalem. Il mit à Tellbâscher un corps d’impériaux qui s’établit
aussi à Aïn-tab et à Azaz ; mais cette garnison, attaquée et affamée par Nour
ed-din, lui livra ces forteresses avant qu’il en eût entrepris le siège. »
[47] Thoros II, le cinquième des princes de la
dynastie roupénienne. Il partagea d’abord la captivité de son père Léon à
Constantinople. Deux ans après la mort de Léon, Thoros parvint à s’échapper, et
arriva par mer, sons un déguisement de marchand, sur le territoire d’Antioche,
d’où il gagna les gorges du Taurus. Là il se fit connaître à un prêtre, qui le
tint caché dans sa maison, où, suivant une autre version, qui le travestit en
berger. Ce prêtre ayant fait savoir l’arrivée du jeune prince aux Arméniens qui
habitaient le Taurus, et qui, impatients des vexations et de la tyrannie des
Grecs, aspiraient à recouvrer leur indépendance, Thoros vit accourir à lui plus
de dix mille hommes. A leur tête, il attaqua les Grecs et leur enleva nombre de
villes et de forteresses qui avaient appartenu à ses ancêtres. Sur ces
entrefaites survinrent ses deux frères Sdéph’ané et Mleh (Milo, Guill.
de Tyr, XX, 25 ; Melier ou Meslier, trad. franc.), qui s’étaient
sauvés d’Édesse lors de la prise de cette ville. Réunissant leurs efforts à ceux
de Thoros, ils parvinrent à chasser les Grecs de la Cilicie. — Tchamitch, T.
III.
[48] Andronic Comnène, qui paraît être le même qu’Andronic
Euphorbéne, oncle de l’empereur Manuel. Cf. Du Cange, Fam. byz.
[49] Oschin, second du nom, était fils de Héthoum Ier,
fils de cet Oschin que nous avons vu (ch. CLI) figurer parmi les chefs
arméniens qui envoyèrent des secours aux Croisés pendant le siège d’Antioche.
Les seigneurs de Lampron se reconnaissaient vassaux de l’empire grec, et en
cette qualité ils se montrèrent, toujours dévoués à la cour de Byzance et
opposés aux Roupéniens, jusqu’à ce que le mariage de Héthoum, fils de Constantin,
petit-neveu d’Oschin II, avec Zabel (Isabelle), fille du roi roupénien Léon II,
eut fait asseoir les Héthoumiens sur le trône de
[50] Partzerpert, c’est-à-dire forteresse haute,
château très fort situé au milieu du Taurus, à l’extrémité septentrionale de la
Cilicie, au nord de Sis, à une journée de marche de cette ville et sur un des affluents du haut Pyramus ou
Djeyhan. C’était la place la plus forte des rois de
[51] Andronic, adonné à la mollesse, aux plaisirs et à
l’amour des jeux scéniques, laissait Thoros étendre ses conquêtes en Cilicie.
Le prince arménien, voulant garantir Mopsueste, où il s’était renfermé et qu’Andronic
assiégeait avec toutes ses forces, pratiqua par une nuit sombre, où le ciel
versait des torrents de pluie, plusieurs brèches au rempart, et tombant à l’improviste
sur les Grecs, les mit en déroute. Andronic, averti tardivement, sauta à
cheval, s’élança contre les Arméniens et fit des prodiges de valeur ; mais
obligé de céder à la supériorité du nombre, il se sauva avec peine de la mêlée,
et partit pour Antioche. Quelque temps après il revint à Constantinople.
(Cinnamus, III. xv, et IV, xiii.) Ce combat, dans lequel les Arméniens avaient
pour auxiliaires les Francs, suivant Aboulfaradj (Chron. syr.), fut
livré, en 1465 des Grecs (1er oct. 1153 - 1154), à la porte de
Tarse, et trois mille Grecs y perdirent la vie ; le reste s’enfuit par mer.
Andronic se précipita sur Thoros, et d’un coup de lance le jeta à bas de son
cheval ; mais le long bouclier et la cuirasse en fer du prince arménien le
préservèrent. Quelques jours après, Andronic, abandonnant les soins de la
guerre et cédant à la passion que lui inspirait
[52] Grégoire le Prêtre veut parler de cette partie de
la chaîne du Taurus qui sépare la Cilicie de la Lycaonie.
[53] L’endroit appelé par les Arméniens Tour’n, Porte,
est l’un des passages resserrés qui se trouvent entre le mont Amanus et le rivage
de la mer, Pylae Ciliciae ou Pylae Amanides, et qui terminent
[54] Par le mot Frérk’ que les Arméniens
empruntèrent aux Francs à l’époque des croisades, Grégoire entend ici les
Templiers. Il paraît que cet ordre était déjà établi dans la Cilicie avant le
règne de Léon II (1188). Plus tard, ce même prince, après qu’il eut pris le
titre de Roi (1198), y appela les Hospitaliers et les chevaliers Teutoniques.
Un des domaines que possédaient les Templiers, Gaston ou Gastim, était situé au
nord et non loin de
Aboulfaradj (Chron.
syr.) raconte, à l’année même où nous sommes parvenus dans te récit de
Grégoire le Prêtre (1467 des Grecs= 1er oct.
[55] L’Arménien Thoros, chef de la Cilicie, étant
entré dans la Cappadoce, pilla les Turcs et puis retourna chez lui. Alors Maç’oud,
sultan d’Iconium, s’étant ligué avec Yakoub Arslan, auquel ii avait donné sa
fille en manage, se prépara à envahir la Cilicie ; mais comme les avant-postes
arméniens étaient sur leurs gardes et composes d’hommes très courageux, les
Turcs s’en revinrent honteusement sans pénétrer dans les gorges de
[56] Je suppose que le mot Dabakh est l’arabe Dsoubha,
douleur à la gorge, étouffement causé par l’afflux du sang à cette partie du
corps, angine.
[57] Aboulfaradj (Chron. syr.) dit qu’en 1465
des Grecs (1er octobre
[58] Il y a dans le texte Hedjoub, en arabe Hadjeb,
chambellan, officier attaché au service personnel d’un souverain. Ce titre
était quelquefois donné à des généraux d’armée ou à des commandants militaires
de villes ou de provinces.
[59] En l’année 1465 des Grecs (1153 - 1154), Maç’oud
étant entré en Cilicie avec une armée considérable, assiégea Thil de Hamdoun ;
mais Dieu lui envoya des myriades de mouches et de moucherons qui rappelaient
le souvenir de la plaie dont furent frappés les Egyptiens, au temps de Moïse.
Au bout de trois jours, la pestilence de l’air répandit la maladie dans le camp
des Turcs, et comme ce fléau augmentait de jour en jour, ils prirent la fuite
en abandonnant leurs bagages. Thoros, à la tête des Arméniens, descendant de
ses montagnes, poursuivit les Infidèles et ne cessa de les tailler en pièces
que lorsque ses bras tombèrent de lassitude. — Aboulfaradj, Chron. syr.
[60] Cabadês ou Coadès, en arménien Gavad, roi
de Perse, de la dynastie des Sassanides. Il était fils de Béroz (Firouz) ou Pérozès
II, fils d’Iezdedjerd II. Il régna de 486 à 497 et de nouveau de 501 à 531.
[61] L’auteur ne nomme point cette montagne ; mais il
est probable qu’il a voulu désigner le Macis ou Ararad en adoptant l’opinion
qui a toujours eu cours parmi les Arméniens et qu’ils conservent encore avec
amour comme un antique souvenir national, opinion d’après laquelle l’arche de
Noé t’arrêta sur l’Ararad. On sait que chez les juifs et les chrétiens de la
Mésopotamie et de la Syrie, des les premiers siècles de notre ère, prévalut une
autre tradition d’après laquelle l’arche se serait reposée sur une des cimes
des monts Gordyéens dans l’Assyrie. (Cf. Saint-Martin, Mémoires sar l’Arménie,
t. I", p. 260 et suiv.)
[62] Evagre [Histoire ecclés. IV, xxviii) rapporte un miracle semblable
arrivé à Sergiopolis, ville de l’Euphratèse, lorsqu’elle fut assiégée par Chosroes,
fils de Cabadès.
[63] Cette date de la mort de Maç’oud concorde avec
celle qu’indique Aboulfaradj, 1466 des Grecs (1154-1155). — Avant de mourir,
Maç’oud partagea ses Etats entre ses enfants ; il donna à Izz ed-din Kilidj
Arslan, Klitzastklan, sa Capitale Iconium, avec toutes les contrées qui
en dépendaient ; à son gendre Yakoub Arslan, Iagoupasan, Amasie et
Ancyre, avec la Cappadoce et les contrées voisines ; et à Dsou’lnoun, Dadounès,
(Cf. note ci-dessous), Césarée et Sébaste. (Nicétas Choniatès, Manuel Comnène,
III, 5). — Aboulféda (ad annum 560) dit qu’Ancyre fut donnée à Schahinschah,
autre fils de Maç’oud, et qu’Ibrahim, (frère de Dsou’lnoun, eut Malathia
(Mélitène). Aboulfaradj ajoute que Kilidj Arslan, qui était impuissant à
défendre ses Etats contre les princes de Cappadoce, laissa Nour ed-din lui
prendre Ph’arzman et Aïn-tab.
[64] Le plus jeune des trois frères de Kilidj Arslan
II était Schahinschah, Sunisan. Dans une des guerres que Manuel Comnène soutint
centre Kilidj Arslan, il prit le parti de l’empereur (1158). La même année son
frère lui enleva ses Etats ; alors Schah Tuschah se retira auprès de Manuel.
Cinnamus, XIII-XIV.
[65] Gangra, ville principale du thème de Paphlagonie,
au nord-est d’Ancyre, dans le voisinage et au nord du fleuve Halys ou Kizil-Irmak
; elle est nommée aujourd’hui Kiangari.
[66] Dans le texte arménien il y a Khadi, mot
qui me paraît être ici une altération de l’arabe Katib, écrivain,
secrétaire.
[67] Yakoub Arslan était le frère de Mohammed, fils d’Amer
Gazi. Dans le texte syriaque d’Aboulfaradj, ce nom est écrit Yakoub Arslan,
comme dans Nicétas Choniatès et notre chroniqueur arménien. Cet accord semble
prouver que c’est la véritable forme de ce nom. Les auteurs arabes, Ibn
Alathir, Aboulféda et Ibn-Khaldoun, écrivent Bâghi ou Yâghi.
[68] Larissa, ville de
[69] Je pense que ce neveu ou fils de frère est Dsou’lnoun,
qui était établi à Césarée de Cappadoce, et à qui Kilidj Arslan enleva cette
ville. Il était fils de Mélik Mohammed ou Mahmoud, et arrière-petit-fils d’Ibn
el Danischmend. L’oncle de Dsou’lnoun, Yakoub Arslan, avait épousé comme lui
une fille du sultan Maç’oud. Les traducteurs d’Aboulfaradj, Bruns et Kirsch,
par une confusion ont lu et transcrit Damlanoun au lieu de Dsou’lnoun, qui est
la véritable leçon, autorisée par les textes des auteurs arabes et byzantins.
[70] Il y a dans le texte : les Gourra, qui est
l’arabe Kourra, pluriel de Kari, (lecteur du Coran, attaché en
cette qualité au service d’une mosquée. Ici ce mot, pris dans une acception
plus étendue, doit signifier imam, prêtre, desservant d’une mosquée ou docteur
de la loi.
[71] Renaud de Châtillon, qui avait suivi le roi Louis
VII en Palestine, prit ensuite du service dans les troupes de Raymond de
Poitiers, seigneur d’Antioche. Ce dernier étant mort en 1148, sa veuve
Constance choisit Renaud pour époux, et comme régent de la principauté pendant
la minorité de Bohémond III, fils de Raymond. Elle tint d’abord son union
secrète, jusqu’à ce que le roi de Jérusalem, dont elle était la cousine, et qui
était le protecteur de la principauté, eût donné son consentement. (Guillaume
de Tyr)
[72] Un autre ms. porte : « au commencement du
mois d’août. »
[73] Kemal ed-din, Ibn Alathir et Aboulféda
mentionnent ce tremblement de terre sous la date de 552, au mois de redjeb
(août-sept. 1157). Il désola toute la Syrie, et y détruisit quantité de villes
et de forteresses, Scheïzar, Kafarthàb, Maa’rra, Apamée, Emesse, le Château des
Kurdes, Arka, Laodicée, Tripoli et Antioche. Nour ed-din, craignant que les Francs
ne profitassent des dégâts occasionnés aux murailles et aux remparts des places
musulmanes, rassembla ses troupes et les posta sur ses frontières, jusqu’à ce
que ces dégâts eussent été réparés.
[74] Les Karmathes donnèrent naissance à la secte des
Ismaéliens ou Bathéniens. Leur origine n’est pas très bien connue, mais la tradition
la plus généralement suivie leur assigne pour fondateur un homme de basse
extraction, que quelques-uns nomment Karmatha, qui vint en 278 hég. (
[75] Aboulfaradj dit, sous la date de 1469 des Grecs
(1157-1158), que Sdéph’ané avait comploté de tuer son frère Thoros, mais que
celui-ci ayant découvert son projet, se saisit de lui et le tint en prison
pendant six mois, ou, suivant Michel le Syrien, dix mois.
[76] Grégoire le Prêtre, en prétendant que le nom de
la ville de Kéçoun signifie belle, rapporte peut-être l’origine de ce
mot à l’arabe Haçan, qui a une conformité de sens et quelque analogie de
prononciation.
[77] Ph’arzman, place forte de
[78] Ibn Alathir, Aboulféda et Kemal ed-din indiquent
cette maladie de Nour ed-din à l’année 554 hég. (
[79] Il y a dans le texte Gonthandjau, qui est
le titre de comte d’Anjou que portait Foulques avant d’être roi de
Jérusalem.
[80] Baudouin III, qui était âgé de douze ans à la
mort de son père Foulques (1152), devait avoir par conséquent vingt-trois ans à
l’époque de la prise d’Ascalon, et non dix-huit comme le prétend notre chroniqueur.
[81] Cette indication nous donne pour date le dimanche
16 août, jour où l’Eglise arménienne célébra en 1153 la fête de l’Assomption.
Ibn Alathir, Aboulféda et Aboulfaradj marquent l’année 548 hég. (
[82] Le mot Sguthatsik’, Scythes, est appliqué
par les Arméniens aux peuples de l’Asie centrale que nous connaissons sous le
nom générique de Tartares, et sous les dénominations spéciales de Turcs,
Turcomans, Mongols, etc. — Ascalon, à cette époque appartenait au khalife
fatimide d’Egypte Dhafer-billah.
[83] Ibn Alathir, ad annum 549 (
[84] Il faut lire sa nièce. C’était Théodora, fille du
sebastocrator Isaac, frère aîné de Manuel. Elle n’avait alors que treize ans,
(Guillaume de Tyr) Baudouin n’eut pas d’enfants de cette princesse ; mais après
la mort de son mari, elle entretint avec son parent Andronic, cousin de Manuel,
des relations criminelles, et lui donna un fils et une fille, Alexis et Irène.
[85] 2Cinnamus, IV, xviii, ajoute quelques détails qui
complètent le récit de Grégoire le Prêtre. Manuel était sur le point d’entrer
en Cilicie et approchait de Séleucie, lorsque Thoros, prévenu par un de ces
pèlerins latins qui se rendaient en mendiant dans la Palestine, s’enfuit dans
les gorges les plus reculées du Taurus, en cachant sa retraite à tous, excepté
à deux amis, Thomas et Korkè ; (Georges). Le surlendemain l’empereur, ayant
franchi les frontières de la Cilicie, prit sans coup férir le château fort de
Lemos, ensuite Cistramos et Anazarbe. De là il marcha sur Longinias, dont il s’empara
également ; puis, tandis qu’il allait prendre Thil, il envoya contre Tarse son
beau- frère Théodore Vatatzes. A l’approche de celui-ci, les défenseurs de
Tarse, effrayés, se précipitèrent du haut des tours, et la ville se rendit.
Il existait plusieurs
causes pour lesquelles Renaud de Châtillon évitait la présence de l’empereur,
et qui en éloignaient aussi Thoros. Manuel en voulait au premier de ce qu’il
avait obtenu la main de Constance, bile de Bohémond II, au préjudice du césar
Jean Roger, qui avait été trouvé trop vieux, et qui avait été refusé aussi par
la crainte que celle union ne soumit Antioche à la domination impériale, son
autre grief était l’expédition que Renaud avait entreprise contre l’île de
Chypre, qui appartenait alors aux Crées ; enfin il ne pouvait oublier que
Thoros lui avait enlevé les villes les plus importantes de la Cilicie, et il
lui gardait rancune de sa connivence avec Renaud. Thoros et Renaud, effrayés de
l’arrivée de Manuel, et n’osant pas lui envoyer directement des députes pour
implorer leur pardon, s’adressèrent à ses plus proches parents. A la fin,
Renaud arriva avec plusieurs habitants d’Antioche, la tête découverte, les
manches retroussées jusqu’au coude, les pieds nus, la coule au cou, et un
glaive a la main gauche. Il était resté d’abord en dehors de la tente impériale
sans oser entrer ; Manuel, cédant aux sollicitations les plus pressantes, finit
par le recevoir et lui pardonner. Cette scène se passa en présence des députés
des nations asiatiques venus du Kharazm de Suse, de toute la Médie, de Babylone
(Bagdad), du pays des Abasges et des Ibériens, de la Palestine et de l’Arménie,
de ceux de Nour ed-din, satrape de Berrhoea (Alep) de Yakoub Arslan, phylarque
des Perses. Le roi de Jérusalem, Baudouin, ayant intercédé pour Thoros, l’empereur
se laissa fléchir ; il consentit à recevoir le prince arménien, qui se présenta
dans une attitude suppliante et humble, et l’admit parmi les vassaux de l’empire
romain. La paix fut ainsi rétablie. Aboulfaradj (Chron. syr.) dit que
les médiateurs de cette paix furent le roi de Jérusalem elle patriarche ; mais,
dans son récit, il ne fait pas mention de Renaud de Châtillon.
[86] Cette expédition de Thoros II et de Renaud de
Châtillon contre l’île de Chypre, et l’arrivée en Cilicie de Manuel Comnène
sont ainsi racontées par Aboulfaradj : « En l’année 1468 des Grecs (1156 -
1157), le Prince seigneur d’Antioche envahit l’île de Chypre, qui appartenait
aux Grecs, et la saccagea, enlevant les habitants, leurs richesses et leurs
troupeaux. Les Chypriotes, arrivés au bord de la mer, s’engagèrent à payer une
grosse somme pour eux et leurs troupeaux, et furent mis en liberté par les
Francs. Néanmoins ceux-ci emportèrent les objets précieux dont ils s’étaient
emparés, et emmenèrent comme otages à Antioche l’évêque, les abbés des couvents
et les magistrats, jusqu’à ce que la rançon promise eut été payée. » (Chron.
syr.) — Selon Cinnamus, Renaud avait été d’abord repoussé par Jean Comnène,
neveu de Manuel, et Michel Branas, qui avaient le commandement de Chypre. Mais
ceux-ci l’ayant poursuivi jusqu’à Leucosie, il les battit à son tour et les fit
prisonniers (liv. IV). Cf. Guillaume de Tyr, xviii,
10.
[87] Ce fut conformément à ce pacte, fait avec Thoros,
qu’un peu plus tard Manuel, se préparant à marcher contre Kilidj Arslan, appela
comme auxiliaire le prince arménien ainsi que Dikran, et un certain
Chrysaphius, Cilicien. (Voir Cinnamus. IV. iv). Nicétas Chômâtes (Manuel
Comnène. III, i). En 1470 des Grecs (1158 - 1159), l’empereur Manuel entra en
Cilicie, et Thoros prit la fuite ; Manuel s’empara de Tarse, d’Anazarbe et autres
villes. Pendant qu’il hivernait en Cilicie, le roi de Jérusalem, le prince d’Antioche
et le patriarche des Francs vinrent le trouver, et le réconcilièrent avec
Thoros. L’empereur lui donna même le gouvernement de toutes les villes grecques
du littoral de
[88] Cinnamus (IV, xx-xxii) raconte en détail la
conférence de l’empereur Manuel et de Baudouin III et les rapports de ces deux
princes avec Nour ed-din. Les circonstances de son récit nous montrent la
hauteur arrogante que l’empereur affectait envers les princes latins de Syrie, et qu’il témoigna même au
roi de Jérusalem.
[89] Cette même expression est appliquée à Damas par
Guillaume de Tyr (XVII, 3) qui dit : (Damascus) interpretatur autem sanguinea vel
sanguinolenta.
[90] Parmi les prisonniers que rendit Nour ed-din
étaient Bertrand, fils naturel d’Alphonse, comte de Saint-Gilles et de Toulouse,
et le grand maître du Temple, Bernard de Tremblai, ainsi que nombre de
personnes de distinction. Il renvoya en même, temps six mille captifs, gens du
commun. Allemands principalement, qui étaient tombés entre ses mains. Il s’engagea
en outre à suivre l’empereur dans les guerres que celui-ci ferait en Orient. A
ces conditions Manuel consentit à se retirer. (Cinnamus, IV. xxii ; cf. Guillaume de Tyr, XVII, xxi ; XVIII, xxv.)
[91] Grégoire le Prêtre fait allusion à quelques
événements qui survinrent à Constantinople pendant que Manuel était encore en
Cilicie. L’un de ses secrétaires et courtisans intimes, Théodore Stypiotes,
préposé du Canicleum, fut accusé, et convaincu de trahison, et condamné. Il
allait répétant, comme s’il eût parlé d’inspiration, que la vie de l’empereur
était arrivée à son terme, et qu’il fallait confier la gestion des affaires
publiques non à un homme jeune et dans la force de l’âge, mais à un
gouvernement populaire. (Cf. Cinnamus, IV, xix)
Nicétas Choniatès (Manuel Comnène. III. iv) affirme que Théodore était
innocent, et fut la victime des dénonciations calomnieuses de Jean Camaterus,
logothète du dromos ou directeur des postes. Celui-ci était jaloux de ce que l’empereur
avait chargé Théodore de présider, dans la grande église de Blachernes, à la
prestation du serment qui assurait la succession de l’empire à Alexis (Béla)
fils puîné de Geisa, roi de Hongrie, et à sa femme Marie, fille de Manuel. Camaterus
prétendait que cette mission lui appartenait, comme étant dans les attributions
du logothète. Le récit de Radevic (De Gestis Friderici, III, xlvii)
présente des différences notables. C’est celui qu’a suivi Lebeau (Hist. du
Bas Empire, lxxxviii, § 33).
En même temps, le chef des joueurs de trompette impériaux, qui portait le titre
de primicier de la cour, Georges, surnommé Pyrrhogeorges, se rendit
coupable envers l’empereur d’une faute grave ; mais il obtint son pardon, et n’eut
d’autre punition que d’être révoqué de ses fonctions (Aboulfaradj, Chron.
Syr.). Cette conspiration avait rallié un assez grand nombre d’adhérents :
trois scélérats s’étaient engagés à aller tuer Manuel, et le secrétaire avait
pris ses mesures pour se faire proclamer empereur le jour même où ce crime
aurait réussi. L’impératrice, avertie à temps, dépêcha en diligence des
courriers à son mari. Les assassins furent découverts et arrêtés en Syrie. A
Constantinople on se saisit du chef de la conspiration et de ses complices. Au
retour de Manuel, ils furent tous punis ; le secrétaire eut les yeux crevés, et
par un nouveau genre de supplice on lui perça le gosier et on fit passer sa
langue par cette ouverture. — Cf. Cinnamus, IV, 25, Guillaume de Tyr, XVIII,
25.
[92] Grégoire le Prêtre entend par Orthodoxes
ses compatriotes, et peut-être les chrétiens de Syrie jacobites, à l’exclusion
des Grecs, dont les Arméniens étalent séparés par des dissidences religieuses
qui engendrèrent une animosité extrême entre ces deux nations. Cf. ch. LXV et
ch. LXXXV. Cette séparation s’était effectuée, comme lors du concile de
Chalcédoine.
[93] Manuel, désireux de hâter son retour à
Constantinople, laissa sur la gauche la Pamphylie, et prit directement par la
Lycaonie, malgré tous les efforts du sultan pour l’en détourner. Dès qu’il fut
parvenu à la ville d’Aranda ou Laranda, les Turcs s’enfuirent, persuadés qu’il
allait faire halte auprès d’Iconium. Cependant, voyant que les Grecs restaient
inoffensifs, ils reprirent confiance et vinrent leur apporter des vivres en
abondance ; mais, auprès de Cotyaeum (Kutaieh) ; ils tombèrent sur ceux qui s’étaient
écartés du gros de l’armée et les massacrèrent ou les firent prisonniers. L’empereur,
sans s’arrêter, rentra en triomphe à Constantinople. (Cinnamus, IV, xxii.)
[94] Saint Nersès le Grand.
[95] On a vu, ch. CCLXVIII, que Thoros portait déjà le
titre honorifique de Sébaste ou Auguste. Il est probable qu’il reçut celui de
Pansébaste ou Augustissime lors de sa réconciliation avec l’empereur.
[96] Rakka, ville de la Mésopotamie sur la rive
orientale de l’Euphrate ; autrefois Callinicum, à trois journées de Harran. On
l’appelait aussi Rafka. (Aboulféda)
[97] Comme dans nos manuscrits le nom propre de ce
comte est omis, il est impossible de connaître le personnage que l’auteur a en
vue. Il se peut qu’il ait voulu parler de Josselin III, et suivi la version
adoptée par Aboulfaradj, et d’après laquelle Josselin, qui sortait
continuellement de la contrée de Harem pour ravager le territoire d’Alep,
tomba, en 1471 des Grecs (1159 - 1160) dans une embuscade que lui avait dressée
Nour ed-din, fut conduit Alep et jeté dans la même prison où avait été renfermé
son père (Chron. syr.). Mais Ibn Alathir, Aboulféda et Guillaume de Tyr,
en retardant de quatre ou cinq ans cet événement, le rapportent avec de tout
autres circonstances. Ibn Alathir et Aboulféda, en rapportant cet événement au
mois de ramadhan 559 (août 1164), et Guillaume de Tyr, XIX ix) au 4 des ides ou 10 d’août de l’année
suivante, 1165. D’après ces trois historiens, Nour ed-din, ayant été battu et
forcé de prendre la ville à la Bocquée, auprès du château des Kurdes, revint l’année
suivante, avec son frère Kothb ed-din Mandoud, prince de Mossoul, Fakhr ed-din
Kara Arslan, prince de Hisn-Keïfa, Nedjm ed-din Albi, prince de Mardin, et
autres émirs, attaquer Harem, dont il s’empara. Les chrétiens accoururent pour
défendre cette place ; Nour ed-din, simulant la fuite, réussit à attirer la cavalerie
des Francs à sa suite, et, faisant tout à coup volte-face, fit un carnage
horrible de l’infanterie. Ce fut une déroute, et les chefs Francs, Bohémond,
prince d’Antioche, Raymond le Jeune, comte de Tripoli, Josselin III, comte d’Édesse,
Hugues de Lusignan (Hugo de Liniziaco) et Constantin Calaman, gouverneur
grec de la Cilicie, tombèrent au pouvoir des Infidèles. Kemal ed-din ajoute que
le seul qui parvint a s’échapper était Mleh, fils de Léon et frère de Thoros,
dont la fuite fut protégée par les Turcomans Yarouk (Maroquin de
Guillaume de Tyr et d’Olivier le Scholastique), avec lesquels il était lié.
[98] Miran, autrement appelé Soukman II, petit-fils de
Soukman Ier Elkothby et fils de Dhaher ed-din Ibrahim, régna de 1128
à 1185. Il reçut le surnom de Schah Armên ou roi d’Arménie, parce que ses
victoires lui assurèrent un rang supérieur à celui des autres émirs. Il
résidait à Manazguerd, et s’était rendu maitre des villes et des provinces dont
Grégoire le Prêtre nous fournit l’énumération, ainsi que de Meïafarékïn.
[99] Mousch, capitale du district de Daron, dans la
province de Douroupéran, à trois journées de marche au nord-ouest de Khélath.
[100] Suivant Ibn Alathir (apud M. Defrémery, Journ.
asiat., juin, 1849), c’était le beau-frère de l’émir Miran (Soukman II),
qui marcha cette année (1161) contre les Géorgiens. Le chroniqueur arabe le
nomme Mélik-Salik, prince d’Arzen erroum (Erzeroum). Sa sœur, mariée à Soukman
II, s’appelait Schah-banou ou Schah-banoun. On peut voir (loc. laud.)
les intéressantes recherches de M. Defrémery sur les princes d’Erzeroum, de la
dynastie des Salikides ou Saldoukhides, et le tableau généalogique de cette
dynastie qu’il a dressé d’après Ibn Alathir, Ibn Khaldoun, et le Schéref Nameh.
M. Brosset a donné de son côté, d’après les sources géorgiennes et arméniennes,
quelques notions sur ces princes, dans le Bulletin historico-philologique de
l’Acad. Impér. des sciences de Saint-Pétersbourg, T. I.
[101] Giorgi III succéda sur le trône de Géorgie à son
frère David III. Il était fils de Temédré (Dimitri II), fils de David II le
Réparateur. David III avait régné un mois, suivant Tchamtchian (t. III), ou six
mois, suivant l’Histoire de Géorgie, trad. par M. Brosset. Tchamitch place
son avènement à l’année 605 E. A. = 1156, et l’Hist. de Géorgie en 1155.
[102] Okhthis ou Okhdik’, aujourd’hui Olthis, ville et
district de la province d’Akheltskha / Akhaltsikh, anciennement province de
Daïk’, dans le nord-ouest de l’Arménie, sur les limites de
[103] La ville d’Ani avait été prise déjà par les
Géorgiens, commandés par le roi David II, en l’année 1144, à l’émir kurde Aboulséwar.
La seconde prise de cette ville est fixée, par Vartan comme par Grégoire le
Prêtre, à l’année 1161. — Tchamitch, T. III. Cf. Notice sur la ville d’Ani,
§ 89, dans le Voyage en Pologne (Léhasdan) du R. P. Minas (en
arménien), in-8° ; Venise, 1830. —Vartan dit : « Giorgi s’empara d’Ani sur
l’émir Ph’adloun, qui avait succédé à son frère, Schadad (Scheddad). Au bout de
cinquante jours arriva le Schahi Armên avec un corps considérable de troupes
légères pour attaquer cette ville, déjà ruinée et abîmée par les Sons
(habitants du Sounuêth). Giorgi, ayant appris l’arrivée du Schahi Armên, revint
et fit passer les infidèles sous le tranchant du glaive. Personne ne put savoir
le nombre de ceux qui périrent ; il y en eut quarante mille faits prisonniers.
Giorgi laissa, pour commander Ani, un chef nommé Satoun. Celui-ci, soupçonné de
projets de révolte, à cause de l’empresse ment qu’il mit à fortifier les
murailles, et dénoncé pour ce fait au roi, fut révoqué de ses fonctions. Dans
son mécontentement, il se retira auprès d’Ildiguiz (Eldigouz), atabek de l’Azerbaïdjan
; en suite, l’éristhaw (gouverneur) de Schaki, s’étant saisi traîtreusement de
lui, l’envoya au roi, qui le fit périr, Giorgi nomma à sa place Sarkis, fils de
Zakarè. Ibn Alathir (t. XI. édit. Tornberg) continue la date donnée par les
auteurs arméniens de la prise d’Ani, en indiquant le mois de chaban 556 (août
1161) ; il dit que le Schahi Armên, fils d’Ibrahim, fils de Soukman, s’avança
contre le roi de Géorgie avec une armée dans les rangs de laquelle servaient un
très grand nombre de volontaires, et qu’ayant été mis en fuite, il se sauva, ne
ramenant que quatre cents cavaliers.
[104] Le tang est la dixième partie de
[105] Le 27 juin, mardi. — Cf. mes Recherches sur la
chronol. arménienne, IIe part. Anthol. chronol. LXXVIII.
Le calcul précis des dates fournies par Grégoire le Prêtre dans ce chapitre
nous donne : 1° pour la prise d’Ani, le mardi 27 juin. En effet, cette année
Pâques ayant été le 16 avril, la Pentecôte le 4 juin, il s’ensuit que le lundi
de la semaine d’abstinence, qui dans l’Eglise arménienne précède la fête de
saint Grégoire l’Illuminateur, ou de la deuxième semaine du carême de l’été, se
rencontra le 26 juin ; c’est le jour où Giorgi arriva devant Ani, et le
lendemain 27 il prit cette ville. 2° Pour la défaite du Schahi Armên, le 4
août. En calculant par les Tables de M. Largeteau (Calcul des syzygies
écliptiques ou quelconques, à la suite du Résumé de chronologie
astronomique de M. Biot, t. XXII des Mémoires de l’Académie des Sciences),
on trouve qu’en 1161 il y eut une éclipse totale de lune le 7 août à
[106] En l’année 1472 des Grecs (1160-1161), Georges,
roi d’Ibérie, enleva aux Turcs la grande ville d’Ani, et s’en revint avec un butin
immense et un nombre considérable de captifs arabes. Aboulfaradj (Chron. Syr.)
ajoute à ce que nous savons d’ailleurs de la prise d’Ani un détail curieux :
« L’émir de Mossoul, Djémal ed-din, homme miséricordieux et qui répandait
d’abondantes aumônes, députa vers Georges le maphrian (docteur) Ignace pour
traiter de la rançon des Arabes prisonniers. Georges reçut cet envoyé avec honneur,
et non seulement il remit les Arabes sans rançon, mais encore le renvoya à
Mossoul comblé de présents, et en le faisant accompagner par un ambassadeur.
Lorsqu’à leur retour ils furent près de Mossoul, le préfet de cette ville vint
à leur rencontre. Le maphrian et les Georgiens y firent leur entrée avec des
croix placées à l’extrémité des lances. Ce spectacle fut une consolation pour
les chrétiens, et la libéralité du roi de Géorgie pour les musulmans. »
[107] D’après la suite du récit, on volt que cette
contrée d’Alexis doit être la Sophène ou Quatrième-Arménie, à l’est de l’Euphrate.
[108] La forteresse de Dzov ou Dzovk’ était un ancien
château fort bâti au milieu du lac de Kharpert, à l’orient de l’Euphrate, et
qui, à la fin du xie
siècle, était possédé par des princes de la famille de Grégoire Magistros. Il y
avait dans cette île un couvent arménien qu’Aboulfaradj appelle le monastère
du Lac. En 1125, le catholicos Grégoire III, son arrière-petit-fils, y fixa
sa résidence. Son frère Nersès Schnorhali vint le suppléer pendant le voyage
que Grégoire fit à Jérusalem, en 1136, en compagnie du légat du pape, Albéric,
évêque d’Ostie. Grégoire transporta ensuite le siège du patriarcat dans le
château fort de Hr’om-gla’. — Tchamitch, t. III.
[109] J’ai rendu par cette phrase : et autres gens
de guerre, les mots arméniens dzoulag et kharouantar, dont la
signification m’est inconnue.
[110] Un de nos mss. transcrit ce nom Medjmedin,
un second Djmedin, et un troisième Maïn, altérations du nom de
Medjd ed-din Ibn Daïé, l’un des principaux émirs attachés au service de Nour
ed-din, et gouverneur d’Alep. Suivant Guillaume de Tyr (XVIII, 28), il fit
prisonnier Renaud dans un lieu appelé Commi, entre Cressum (Kéçoun) et
Mares (Marasch), le 9 des calendes de décembre (
[111] Un de nos manuscrits porte : trois cents hommes.
[112] Harem, forteresse de la principauté d’Antioche,
au sud-est et à une journée de marche de cette ville ; Harenc de
Guillaume de Tyr.
[113] J’ignore quelle est la forteresse que l’auteur
mentionne sous le nom d’Ardzkhan ; peut-être ce mot a-t-il été altéré. Les troupes
de Nour ed-din, après la prise de Harem, se répandirent dans tous les environs
jusqu’à Laodicée et Soueïdlé (le port Saint Siméon) ; ensuite il vint attaquer
Paneas ou Césarée de Philippe, qui se rendit.
[114] On peut voir dans Cinnamus (V, 6) le récit de la
réception brillante qui fut faite au sultan par Manuel Comnène. L’historien byzantin
ajoute que l’empereur, jaloux de montrer à ce prince les magnificences de sa
capitale, voulut le conduire en procession depuis l’Acropole jusqu’à
Sainte-Sophie ; mais que le patriarche Luc s’y opposa, et qu’un tremblement de
terre, qui survint la nuit suivante, confirma les habitants de Constantinople
dans l’idée que Luc s’était opposé avec raison à ce qu’il présentait comme une
profanation. Kilidj Arslan fut magnifiquement reçu à Constantinople. Au-dessus
d’une tribune splendidement décorée s’elevait un trône d’or massif rehaussé de
diamants et d’hyacinthes, avec d’autres pierres précieuses entourées de perles
d’une blancheur éclatante. Des lumières répandues à profusion faisaient jaillir
de tous les joyaux des rayons éblouissants. Sur le trône était assis, dans
toute sa majesté, l’empereur, revêtu d’un manteau de pourpre ou des diamants et
des perles réunis avec art formaient des dessins admirables. Sur sa poitrine
pendait, retenue par des chaînettes d’or, une pierre qui avait la couleur de la
rose et la grosseur d’une pomme. Des deux côtés étaient rangés les membres du
sénat, chacun à la place que lui assignaient ses fonctions dans l’Etat. Kilidj
Arslan, introduit, fut frappé de tant de magnificence, et refusa d’abord de s’asseoir,
malgré les instances de l’empereur, en fin il alla occuper un siège inférieur.
Pendant son séjour à la cour de Manuel, il eut pour demeure un des palais qui s’élevaient
dans la partie sud de Constantinople. Tous les plaisirs de la ville impériale,
combats équestres, jeux du cirque, spectacle du feu grégeois, lui furent
offerts. (Cinnamus) Aboulfaradj raconte, à l’année 1473 des Grecs (1er
oct. 1161 - 1162), que Kilidj Arslan, avant appris le projet de Yakoub Arslan
et des autres émirs de le renverser et de lui substituer son frère, se rendit à
Constantinople, où il fut traité somptueusement ; il y demeura près de trois
mois. Deux fois par jour, on lui apportait des mets servis dans des plats d’or
et d’argent, qu’on lui laissait en cadeau. Dans une occasion, mangeant avec l’empereur,
ce prince lui offrit toute la vaisselle et les ornements qui garnissaient la
table, sans compter d’autres présents qui lui furent donnés, ainsi qu’aux
Turcs, au nombre de mille, qui formaient son escorte. Le sultan, à son retour,
reçut la soumission de Yakoub Arslan, effrayé de l’alliance de Kilidj Arslan et
de Manuel. (Cf. Nicétas Choniatès, Manuel Comnène, III, v.)
[115] C’est le docteur Basile de Marasch, prêtre
distingué par sa science et sa haute piété, le même qui avait été le confesseur
de Baudouin de Marasch, et qui composa l’Oraison funèbre de ce prince. Cf. ch.
CCLVIII.
[116] Ce duc ou gouverneur de la Cilicie était
Andronic, sans doute le même dont il a été question précédemment (ch. CCLXIII).
Dans sa Chronique rimée, Vahram raconte ainsi la fin tragique de Sdéph’ané :
Cependant Sdéph’ané.
Le frère du grand Thoros,
S’étant arrêté dans la Montagne Noire,
S’en rendit maître vaillamment.
Kermanig (Germanicia on Marasch) reconnut ses lois
Avec le territoire d’alentour.
Mais plus tard les Grecs se saisirent de lui,
Et le précipitèrent dans une chaudière bouillante.
(C’est là évidemment un conte populaire, expression de la haine des
Arméniens contre les Grecs)
Il mourut dans ces tourments,
Et rendit son âme Dieu.
Son corps fut enterré
Dans le couvent d’Ark’a-gagh’in.
Le récit d’Aboulfaradj, sous la même date, est beaucoup plus vraisemblable :
« Sdéph’ané ayant été invité à un repas chez Andronic, gouverneur de
Tarse, fut trouvé sans vie et gisant auprès de la porte de cette ville, et que
son frère Thoros, pour venger sa mort, tua plus de 10.000 Grecs, jusqu’à ce que
le roi de Jérusalem eut réconcilié les Grecs et les Arméniens. »
[117] Le nombre des prisonniers qu’emmena Korkè (Giorgi
III) se montait à 70.000, suivant Samuel d’Ani. A la nouvelle de la prise de
Tévïn, Ildiguiz (Eldigouz), Atabek de l’Azerbaïdjan, qui avait des prétentions
sur cette ville, accourut, mais sans pouvoir atteindre le roi de Géorgie. A la
vue de cette cité dépeuplée et réduite en cendres, furieux, il alla attaquer la
place forte de Merian, au nord de Tévïn. Il y répandit le sang à flots, et y
mit le feu. Quatre mille chrétiens, Arméniens on Géorgiens, périrent dans cet
incendie. Il traita de la même manière le grand bourg d’Aschnag, dans la
province d’Artsakh, où 7.000 personnes trouvèrent la mort dans les flammes. De
là étant entré dans la province de Koukark’, il s’arrêta dans la plaine de Kak,
et voulut mettre aussi le feu au célèbre couvent de la Sainte-Croix ; mais, au
dire de l’historien Vartan, il arriva, par un effet de la Providence, que des
serpents venimeux, en quantité innombrable, envahirent le camp des infidèles.
Ce fait est d’autant plus croyable que, dans la plaine de Mough’an contigüe.
vers l’est, à la province d’A’rtsakh et riveraine de