CLXXI. Après avoir rassemblé, jusqu’à l’année 550,[1] la suite chronologique des événements de 150 ans, nous avions terminé nos industrieuses investigations, laissant à d’autres le soin de ces discussions raisonnées, de ces controverses intellectuelles. Après nous être retiré de la carrière, nous avions cédé la place à d’autres plus sagaces, plus savants, plus habiles que nous, suivant cette parole du saint Apôtre : « Le premier se taira ! » Le prodige que nous venons de rapporter arriva sous le pontificat des catholicos d’Arménie, Grégoire Vahram et Basile, époque à laquelle fut instituée l’adoration [de la lumière du saint Sépulcre]. Le patriarche des Romains siégeant à Constantinople, était le seigneur Nicolas,[2] 3e patriarche d’Antioche, Jean[3] le patriarche de Jérusalem, Siméon,[4] le patriarche des Syriens, Athanase. Il y avait 6610 ans écoulés depuis Adam,[5] mais nous n’avons point tenu compte de cet excédant de dix années dans nos calculs chronologiques. Nous avons aussi négligé l’art d’écrire. Cependant en contemplant chaque jour les châtiments dont la colère divine frappait les fidèles, et en voyant tomber et s’écrouler d’année en année la force des armées chrétiennes, nous nous sommes aperçu que personne ne songeait à s’enquérir de ces malheurs et de ces catastrophes, et à les consigner par écrit, afin que la mémoire s’en conservât pour la postérité, lorsque Dieu accordera aux fidèles, devenus plus heureux, de vivre dans un temps qui ne leur fournira que des sujets de joie. Alors nous avons entrepris avec un extrême plaisir, comme si nous exécutions un ordre de Dieu, de mettre par écrit ces souvenirs et de les transmettre aux générations futures, et bien que notre œuvre ne soit pas embellie par une érudition spirituelle, ne brille point par l’artifice du style ou un caractère d’utilité, elle contient néanmoins le récit des punitions que le Seigneur nous a infligées, à cause de nos péchés, lorsque, par des fautes de tout genre, nous avons excité son courroux. Oui, c’est de lui que nous avons reçu ces punitions, c’est lui qui nous a frappés de sa verge. Maintenant donc, il est convenable, il est digne de ne pas oublier cette pensée, nous tous qui vivons dans ce siècle-ci ; il faut, au contraire, annoncer à ceux qui doivent nous suivre dans la carrière de la vie, que ces châtiments sont le fruit des péchés, fruit dont la semence est plantée par nos pères, et qu’ils ont fait produire au septuple. Mû par ces considérations, moi, Matthieu, indigne de la miséricorde divine, j’ai consacré de longues années à ces recherches laborieuses, à un infatigable travail d’esprit, occupé à rassembler à Édesse les matériaux de mon livre, et à le continuer jusqu’au temps actuel. Il me reste encore à retracer l’histoire de trente années[6] et à en réunir les éléments, et cependant ce travail serait le propre des docteurs et des savants consommés, et ne devrait pas être laissé à. notre impuissance et à notre courte érudition. Mais il est dans les vues de Dieu d’exiger des êtres faibles et imparfaits quelque labeur utile. C’est ainsi que les essaims d’abeilles s’offrent à nos regards, pour nous faire admirer leur hiérarchie si bien organisée, et pour nous montrer comment, de leurs frêles corps, elles tirent de quoi rassasier les hommes, en leur fournissant un miel si doux, et de quoi suffire aux besoins des sanctuaires, et donnent des produits qui sont en honneur même à la table des rois. C’est ainsi que le ver qui, une fois mort, renaît à une nouvelle vie, peut, par ses travaux, orner de couleurs variées le costume des monarques et des princes, et enrichir les églises de somptueux ornements. De même, notre faiblesse s’est enhardie, et en présence des lettrés et des savants, des hommes les plus profondément sagaces et des investigateurs exercés, nous avons exprimé notre pensée, et nous leur recommandons notre ouvrage pour qu’il soit jeté par eux dans le creuset de l’examen. Nous ne leur faisons aucune objection, parce que notre histoire n’a pas à lutter contre leur savoir. Ce petit oiseau qui, par son chant, diffère de tant d’autres, et qui est au-dessous deux par l’exiguïté de son corps, je veux parler de l’hirondelle, nous ressemble pour l’admirable structure de son nid ; elle le construit avec des débris sans valeur, et l’élève dans les airs sans lui donner de fondement, en portant dans son bec du limon et des brins de paille, elle supplée à la force par l’adresse, et établit son asile avec solidité, jalouse de le transmettre en héritage à. ses petits ; travail impossible pour des oiseaux énormes, c’est-à-dire l’aigle et autres. Ceux-ci, dans leur vol puissant, exécutent, il est vrai, des choses qui exigent du courage, et y déploient une grande force ; mais l’ouvrage qu’accomplit la faible hirondelle, ils ne l’exécuteront jamais. De la même manière, les hommes ingénieux et savants peuvent bien scruter à fond l’ancien et le nouveau Testament, et mettre au jour les découvertes qu’ils font, à l’aide d’infatigables et lumineuses recherches ; moi, je dirai avec confiance et sans aucune hésitation : « Gloire soit au Christ éternellement ! Amen ; » parce que cet ouvrage a été rédigé après avoir été bien médité, et qu’il est impossible à tout autre de trouver ou de rassembler l’histoire de toutes ces nations, rois, patriarches, princes, et de réunir dans les livres la suite chronologique des temps écoulés. Comme les anciens écrivains, témoins oculaires des faits qui se sont passés dans les siècles antérieurs, ne vont point jusqu’à notre époque, personne n’est en état d’exécuter ce que nous avons fait, parce que nous avons consacré à notre œuvre quinze années d’efforts incessants, discutant ce que nos lectures nous faisaient découvrir dans les ouvrages historiques, et l’enchaînement chronologique des événements. Nous avons aussi consulté les vieillards, et nous avons recueilli avec soin et consigné ici les informations que nous avons pu nous procurer. Donc, moi, Matthieu,[7] j’ai senti, par
toutes ces considérations, naître le désir de revenir par ce même chemin que
j’avais suivi, pareil à l’homme qui, depuis de longues années, parcourant le
vaste Océan et égaré sur les flots, en butte à de fréquentes tempêtes, rentre
après un naufrage, sain et sauf dans sa maison ; puis, se rappelant la
passion qu’excitent les bénéfices du commerce, il oublie les fatigues
passées, et regardant comme rien toutes les richesses englouties dans la mer,
il s’empresse, entraîné par ses désirs ardents, de recommencer ses
pérégrinations maritimes. Tel nous sommes, en parvenant au point de notre
livre que nous avions quitté, et en retrouvant la véritable et ancienne route
que nous avions suivie, lorsque nous sommes arrivés à l’année 550. Nous
avions alors entrepris de raconter les événements d’un intervalle de
vingt-cinq ans ;[8]
une nouvelle période de trente ans complétera notre chronique, parce que les
années de l’ère arménienne ont continué de s’accumuler au milieu des plus
déplorables calamités. Nous sommes donc revenus avec empressement l’époque du
patriarcat du seigneur Grégoire et du règne de l’empereur Alexis, et nous
commençons ici le récit des massacres et des tribulations qui ont signalé ces
temps malheureux. Nous avons écrit, non pour satisfaire un vain orgueil,
ainsi que le penseront quelques personnes, mais pour laisser un souvenir et
une admonition à Nous l’avons commencée par l’invocation de Dieu, d’après la parole du bienheureux Grégoire de Nysse, qui a dit : « Moi qui suis vieux, je reste en arrière dans l’hippodrome, et j’ai laissé à d’autres le travail et aussi les recherches. » Nous avons va chacun renoncer à entreprendre cette histoire, et aussi que le temps s’écoule peu à peu en offrant à nos regards les vicissitudes, la caducité et la disparition de ce qui existe, et en nous révélant l’instabilité de l’humanité sur la terre, et la transition de la vie présente à la vie future ; car les années et les siècles sont passagers, et tout ce qui en découle est transitoire. De même que les choses de la vie future sont éternelles, ainsi tout ce qui en est le produit est infini. Bienheureux ceux qui obtiendront de pareilles allégresses ! Bienheureux ceux qui s’assiéront au banquet du royaume céleste ! CLXXII. Cette même année, 550, le comte de Saint-Gilles
retourna de chez les Francs, parce qu’à l’époque où la sainte cité de
Jérusalem fut enlevée aux infidèles, il prit la lance du Christ et partit ;
et lorsque l’on sut qu’il l’avait emportée, toutes les populations se soulevèrent.
Il revint dans l’intention d’attaquer Tripoli.[9] Il comptait
100.000 guerriers sous ses ordres. Arrivé à Constantinople, il fut comblé de
présents par Alexis, qui lui fournit les moyens de traverser l’Océan. Mais l’empereur
de Grecs renouvela envers les Francs l’œuvre de Judas ; car il fit dévaster
par l’incendie tous les pas qu’ils avaient à parcourir, ordonna de les guider
à travers des plaines désertes, et empêchât qu’ils reçussent des vivres, les
condamna à souffrir les tourments de A la même époque, le grand comte Franc de Poitou,[13] à la tête d’une
armée de 300.000 cavaliers, traversa le pays des Romains et des Grecs, et
parvint avec ces forces devant Constantinople. Il parla avec une souveraine
hauteur à Alexis, lui accordant seulement le titre d’Eparche[14] et non d’Empereur,
quoique le comte ne fût lui-même qu’un jeune homme de vingt ans environ. Il
effraya Alexis et tous les Grecs. L’empereur se rendit au camp du comte de
Poitou avec les grands de sa cour, et, à force d’instances, l’amena dans CLXXIII. Le grand sultan d’Occident, Kilidj Arslan, ayant
appris l’arrivée des Francs, écrivit à Néo-Césarée, pour en prévenir
Danischmend, ainsi que les autres émirs. Puis, à la tête d’une armée
formidable, il s’avança contre les chrétiens. Ceux-ci se rencontrèrent avec
les infidèles dans la plaine d’Autos.[18]
Une lutte acharnée s’ensuivit et dura une bonne partie du jour ; le sang
coula à flots. Les Francs, écrasés et perdus dans un pays étranger pour eux,
ne voyaient aucun moyen de sortir de leur situation désespérée. Dans leur perplexité,
ils se groupèrent et s’arrêtèrent comme des bestiaux effrayés. Ce fut une
journée sanglante et terrible pour eux. Sur ces entrefaites, le général qui
commandait les Grecs prit CLXXIV. Cette même année, l’Egypte entière se mit en mouvement, et, s’étant réunie en une armée formidable, marcha contre Jérusalem. Le roi de la Cité sainte alla à la rencontre des infidèles avec une poignée de troupes qui furent mises en déroute.[19] Baudouin courut se réfugier à Jérusalem. Ce fut dans cette rencontre que fut tué le comte de Delouk’,[20] Guillaume Santzavel.[21] Le roi Baudouin avait d’abord gagné Baalbek, et c’est de là qu’il arriva chez lui ; tandis que les infidèles, fiers de ce triomphe signalé, rentraient à Ascalon, qui leur appartenait.[22] CLXXV. L’année 551 (24 février 1102 - 23 février 1103) fut marquée par une violente perturbation de la foi religieuse, dont la célébration de la Pâque devint l’occasion. Dix nations chrétiennes tombèrent à ce sujet dans l’erreur, à l’exception des Arméniens et des Syriens, qui maintinrent la véritable tradition. Les Romains et les Francs reçurent la mauvaise semence répandue par l’infâme hérétique Irion, qui établissait l’époque de la Pâque au 5 avril, et faisait coïncider la pleine lune avec la fête de saint Lazare, en fixant cette époque au samedi,[23] tandis que pour les Arméniens, les Syriens et les Hébreux, elle tombait au 6 avril. Lui, la fit cadrer avec le dimanche des Rameaux. Ce philosophe Irion, qui était Romain d’origine, avait ainsi faussé l’ordre du comput, parce que, à l’époque où le calendrier fut institué, d’après la forme de la période composée de dix-neuf cycles,[24] les autres savants ne l’avaient pas appelé pour concourir à ce travail. Cet oubli lui inspira une extrême animosité contre eux : il vint, et s’étant saisi furtivement de leurs livres, il fit du 6 un 5, et des premiers nombres les derniers calculs qui déplacent la célébration de la Pâque tous les quatre-vingt-quinze ans. C’est là ce qui produisit l’erreur dans laquelle se trouvent les Grecs et les Romains, à chaque renouvellement de cette période. Tel fut le comput auquel Irion donna cours parmi les Romains, et d’où naquirent de grands débats entre les Grecs et les Arméniens. Les Francs n’avaient aucun souci de disputer avec ces derniers sur ce point de doctrine ; mais il en fut tout autrement des Grecs, qui curent les plus violentes querelles avec les Arméniens. Les habitants d’Antioche, de la Cilicie et d’Édesse eurent des discussions sans fin à soutenir avec eux à ce sujet, parce que les Grecs s’efforçaient d’imposer aux Arméniens leur calendrier vicieux. Par ces luttes, ils suscitèrent des désagréments à notre nation, sans toutefois réussir à l’ébranler. Les Syriens d’Édesse, cédant à la crainte, embrassèrent le parti des Grecs, et renoncèrent à l’alliance qu’ils avaient formée avec les Arméniens. Précédemment les Grecs étaient tombés dans une erreur
semblable, et les lampes [du saint Sépulcre] ne s’allumèrent pas. Dans cette
occasion, les infidèles massacrèrent les pèlerins accourus pour visiter les
Saints-Lieux. C’était sous le règne de [l’empereur] Basile, et dans l’année 455
( Sa lettre était ainsi conçue : « Aux véritables amis du Christ, à ceux qui professent la croyance en la Sainte-Trinité, aux prêtres, aux grands et à tout le peuple fidèle, salut. Que la bénédiction, accompagnée d’une digue affection,
découle sur vous, du siège de notre saint Illuminateur. J’ai lu votre lettre
où éclate l’amour divin, et qui m’apprend ce que vous désirez ; nous avons
parfaitement compris toutes les observations qu’elle contient ; aussi
rendons-nous avec empressement grâces à Dieu, en vous rappelant les paroles
que l’apôtre saint Paul adresse à ses disciples : « Lorsque j’apprends votre
piété et votre foi en notre Seigneur, je m’en réjouis en rendant des actions
de grâce à Dieu. » (Ép. à Philémon, v. 4 et 5.) Car c’est Dieu le Verbe
lui-même, issu du Père, qui a invité les hommes à glorifier l’éclat de sa
grandeur et de sa divinité, lui qui nous a reçus avec clémence, nous, faibles
créatures, et qui a accordé la force à ceux qui cil étaient dépourvus, afin
qu’ils puissent résister aux invisibles suggestions du Tentateur. C’est notre
Seigneur Jésus-Christ qui vous donnera le secours et la force en tout, et qui
vous accordera la sagesse, lorsque vous vous présenterez devant les savants
obéissant ainsi à ses ordres infaillibles. N’ayez aucun souci, a-t-il dit, de
savoir comment ou ce que vous répondrez, parce qu’il vous suggérera en ce
montent les paroles que vous aurez à dire » (S. Luc, XII. 11 et 12) ; en
effet, il connaît tout par sa grâce, qui est omnisciente, et par sa
puissance, dont la pénétration embrasse tout. Il rependant nous péchons
contre lui, qui du néant nous a appelés à l’existence, qui nous a relevés et
exaltés par ses bienfaits, comme il le fit à l’égard d’Israël, dans les temps
anciens. Malgré cela nous péchons sans cesse contre lui, nous et le peuple,
tous à la fois, par pensée, par parole, par savoir, par ignorance, pendant
cette vie passagère. Néanmoins j’existe par la foi, et ma foi existe. Mais aucun
de nous ne pèche contre le roi, contre le chef qui nous gouverne, contre l’armée,
contre les généraux, contre nos supérieurs, ni contre le troupeau qu’il
conduit. Loin de là, nous sommes soumis à tous, et nous nous sommes nus à
leur service, suivant le précepte de l’Apôtre : « Rendant à chacun ce
qui lui est dû, l’impôt à qui nous devons l’impôt, la crainte à qui nous
devons la crainte, l’honneur à qui nous devons l’honneur, le titre de César à
qui il appartient, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (S. Paul, Ep. aux
Romains, XIII, 7 ; S. Matthieu, XX, 21 ; 5. Marc, XII, 17 ; S. Luc. XX, 25.)
Il ne faut être envers personne comme un débiteur en retard, ni rendre le mal
pour le mal. La justice que vous aurez montrée envers les autres, servira de
règle pour vous juger, comme s’il s’agissait de gens inférieurs ou vulgaires.
D’après ces préceptes, qui ne trompent jamais, ce sont des châtiments au lieu
de faveurs que nous méritons. Mais toutefois soyez sans trouble et sans
crainte, car le temps du salut approche, et l’avènement du Seigneur n’est pas
éloigné. Nous avons un grand nombre de paroles consolantes dites par les
Prophètes touchant la vie future, Dieu Notre-Seigneur et les Saints : elles
doivent s’accomplir et s’exécuter, afin que la vérité apparaisse. Certes, je
vous prodigue les exhortations, et je vous encourage en vous enseignant la
patience, et non comme un pasteur au cœur timide qui ne prend aucune part des
peines communes. Je me ferai volontiers votre compagnon dans le trépas, dans
butes les occasions et dans les tourments, quels qu’ils soient. Je ne m’éloigne
pas de mon poste, et je ne renie pas mes devoirs, lors même que ce serait une
tâche trop pénible pour moi, que celle de vous adresser des discours, de me
livrer à des recherches, ou de répondre à des interrogations. Au contraire,
nous sommes prêts à donner sur chaque point une solution à tout ce qui nous
sera demandé, pourvu que ce soit en temps opportun et convenable ; et lors
même qu’on nous ferait souffrir des tourments et la violence, nous ne
renoncerions point à notre foi, et nous rendrions grâces à nos maîtres. Nous
avons été dans la crainte et condamné, et maintenant nous éprouvons un sort
pareil de la part des chrétiens. Mais vous, ne vous découragez pas, car Dieu peut
tout dans les tentations, et nous en faire sortir en nous les faisant
supporter avec patience. Cependant nous devons, autant qu’il est en notre
pouvoir, combattre comme de braves soldats du Christ, en défendant avec courage
En recevant cette lettre, les fidèles d’Édesse furent plus que jamais confirmés dans la véritable doctrine. A la Pâque, les habitants de Jérusalem allumèrent les lampes du saint Sépulcre par supercherie et en fraude ; et trompant leurs nationaux, se servirent pour ces lampes divines d’un feu supposé. Mais elles prirent feu spontanément à la Pâque des Arméniens, comme en furent témoins tous les chrétiens qui se trouvaient à Jérusalem. Alors les Grecs furent couverts de confusion, parce qu’ils avaient célébré cette fête le dimanche des Rameaux.[28] CLXXVI. Cette même année, le roi d’Égypte et celui de Damas firent une nouvelle levée de boucliers, et s’avancèrent avec des forces très considérables contre Jérusalem. Le roi Baudouin se porta à leur rencontre. Les Egyptiens avaient déjà mis les chrétiens en déroute, après une lutte acharnée, lorsque l’on vit débarquer des masses de Francs, qui repoussèrent les infidèles, les mirent en fuite et les taillèrent en pièces, sans faire quartier à aucun.[29] Baudouin étant parti pour retourner à Jérusalem, un
musulman d’Acre, éthiopien de nation, qui se tenait en embuscade sous un
arbre, l’atteignit d’un coup de pique dans les côtes. Le meurtrier fut tué sur
la place même, mais la blessure du roi resta incurable jusqu’à sa mort.
Jérusalem, désolée de ce funeste accident, fut plongée dans le deuil et la
tristesse.[30]
Ce malheur fut la punition de la fausse célébration de CLXXVII. Au commencement de l’année 552 ( CLXXVIII. Cette même année, le comte des Francs. Bohémond, fut racheté des mains de Danischmend, au prix de 100.000 tahégans,[32] par l’intermédiaire et grâce à la générosité du grand chef arménien Kogh-Vasil.[33] C’est lui qui fournit les fonds de cette rançon, tandis que le comte d’Antioche n’y contribua en rien. Vasil réunit tout ce qu’il put d’argent, en employant, pour se le procurer, toutes les ressources et tous les soins imaginables, et fit porter la somme exigée jusqu’aux limites de sa province, il alla au devant de Bohémond devenu libre, le reçut avec hospitalité dans son palais, le traita avec la plus grande distinction, et lui offrit de magnifiques présents. Il ne se montra pas moins généreux envers ceux qui avaient amené le comte : les largesses qu’il leur distribua montaient à 10.000 tahégans. Au bout de quelques jours, Bohémond partit pour Antioche, après être devenu, par la consécration de serments solennels, le fils adoptif de Kogh-Vasil. Quant à Richard, neveu de Bohémond, Danischmend l’offrit en cadeau à l’empereur Alexis, en retour de sommes considérables que celui-ci lui donna. CLXXIX. Cette même année, le comte d’Édesse, Baudouin, rassembla des troupes et entreprit une expédition contre les Turcs, sur le territoire des musulmans, dans le district de Mardin. Il les extermina, et fit prisonnier leur émir Oulough’-Salar.[34] Il s’empara de leurs femmes et de leurs enfants qu’il rendit esclaves ; il prit aussi des troupeaux de brebis par milliers, environ mille chevaux, autant de gros bestiaux et de chameaux. Il rentra à Édesse avec ce butin. CLXXX. Cette même année, le catholicos d’Arménie, le seigneur Basile, étant parti de la ville d’Ani, escorté de tous ses serviteurs, de nobles, d’évêques et de prêtres, se rendit à Édesse. Le comte Franc, Baudouin, l’accueillit avec les égards dus à sa haute dignité ecclésiastique, lui donna des villages, le combla de présents et lui témoigna beaucoup d’amitié. CLXXXI. Cette même année, mourut le catholicos des Agh’ouans, le seigneur Étienne. Alors le catholicos d’Arménie, le seigneur Basile, et les évêques des Agh’ouans tinrent une assemblée, et le frère d’Etienne[35] fut sacré et installé comme son successeur, dans la ville de Kantzag. Mais dans la suite il se montra indigne de ces augustes fonctions : il fut excommunié par le seigneur Basile, puis chassé de son siège et privé de sa dignité. Cette punition lui fut attirée par sa mauvaise vie. CLXXXII. En l’année 553 ( Cependant les Perses marchèrent contre les chrétiens,
ayant à leur tête Djekermisch, émir de Mossoul,[36] et Soukman, fils
d’Artoukh. Les chefs des Francs ayant appris l’approche des infidèles,
partirent tout joyeux pour aller à leur rencontre. Ils étaient déjà à deux
journées de marche de la ville, à un lieu nommé Auzoud (sablonneux. Le
comte d’Édesse et Josselin, pleins de présomption, placèrent Bohémond et
Tancrède dans un poste éloigné, en se disant : « C’est nous qui attaquerons
les premiers, et seuls nous aurons l’honneur de Ce qui affligea surtout les chrétiens d’Édesse, c’est que les habitants de Khar’an, coupant la retraite à ces débris échappés aux mains des infidèles, cernèrent la montagne et la plaine, et massacrèrent tous les fuyards au nombre de dix mille. Ils causèrent plus de mal aux fidèles quo les Turcs eux-mêmes, Une profonde douleur, les plaintes, la tristesse, les pleurs, tel était le spectacle que présentait Édesse. On n’entendait partout que lamentations ci gémissements. Toutes les contrées chrétiennes étaient livrées au désespoir. Le comte Baudouin fut conduit à Mossoul, ville des musulmans, et Josselin à Hisn-Keïfa (Harsenkev),[38] chez Soukman, fils d’Artoukh. Ce fut Djekermisch qui emmena Baudouin. Cependant Bohémond conçut le projet de retourner dans le pays des Francs pour aller chercher du renfort, et laissa le gouvernement d’Édesse et d’Antioche à son neveu (fils de sa sœur) Tancrède. Lorsqu’il fut parvenu chez les Francs, il rencontra une dame fort riche, qui avait été mariée à Etienne Pol (Sdéph’an Bôl), comte Franc d’une illustre origine, Bohémond ayant habité chez cette dame, elle le retint de force, en lui disant : « Prends-moi pour ta femme, car j’ai perdu mon mari, et ma terre ainsi que ma cavalerie qui erre à l’aventure, sont sans maître. » Mais Bohémond rejeta ces propositions : « Je suis venu ici, lui répondit-il, lié par un serment solennel, pour me procurer des troupes, et je désire m’en retourner promptement, pour porter secours aux débris de l’armée chrétienne, entourée en ce moment par les infidèles de la Perse. » Cette femme renouvela ses instances avec une violence extrême, quoique Bohémond lui opposât toujours les mêmes refus. Voyant sa persistance inébranlable, elle le fit charger de chaînes et jeter en prison. Après y avoir demeuré quelques jours, il céda, et l’ayant épousée, il eut d’elle deux fils. Au bout de cinq ans, le grand comte des Francs mourut, sans avoir revu l’Asie.[39] CLXXXIII. Cette même année, Danischmend, grand émir du pays des Romains, et Arménien d’origine, cessa de vivre. C’était un homme bon, bienfaiteur des populations, et très miséricordieux envers les fidèles. Sa perte fut vivement sentie par les chrétiens qui dépendaient de lui.[40] Il laissa douze fils, dont l’aîné, nommé Gazi,[41] lui succéda et se défit secrètement de ses frères. CLXXXIV. Cette même année mourut Soukman, fils d’Artoukh.
qui possédait autrefois la sainte cité de Jérusalem. Artoukh y laissa des
traces bien visibles de son passage dans l’église de CLXXXV. Cette même année mourut le roi des Perses. Barkiarok, fils de Mélik Schah, fils d’Alp Arslan. Il eut pour successeur Daph’ar,[42] qui était né d’une femme kiptchak (Kheph’tchakh),[43] la même qui avait empoisonné le puissant monarque Mélik Schah, à Bagdad.[44] CLXXXVI. Cette même année, la ville de Marasch fut perdue
pour les Grecs ; le Prince des princes ayant quitté cette ville, la céda à
Josselin. Il vendit en outre l’image de CLXXXVII. En l’année 554 ( Après avoir siégé pendant quarante ans sur le trône pontifical, il se trouvait au moment de sa mort chez le prince Kogh-Vasil, cet illustre guerrier, auprès duquel s’étaient alors groupés les débris de notre armée nationale. Il y avait là aussi un jeune homme nommé Grégoire,[47] petit-neveu (fils du fils de la sœur) du seigneur Vahram. Le patriarche Grégoire le désigna, dans une assemblée, pour lui succéder comme catholicos d’Arménie, après la mort du seigneur Basile, et plaça l’exécution de ses volontés sous la sauvegarde de Kogh-Vasil, seigneur de Kéçoun et autres lieux. Basile se conforma aux ordres de Grégoire, et, dès ce jour, il prit auprès de lui Grégoire, fils d’Abirad, patriarche désigné. C’est dans le mois de drê, la première semaine du carême de l’été,[48] un samedi, que mourut ce saint patriarche. Il fut enterré avec solennité à Garmir-Vank’ (Couvent Rouge), non loin de Kéçoun. Le seigneur Etienne, supérieur de ce couvent, réunit autour de son tombeau des moines et des prêtres, et l’envoya rejoindre la milice des Saints avec les honneurs dus à sa haute position comme patriarche. Vasil et les autres membres de la noblesse arménienne versèrent des larmes amères sur cette perte, et déplorèrent profondément le vide qu’elle allait produire parmi eux. Les Arméniens pleurèrent au souvenir de cet homme de bien et en se rappelant le sort qui les condamnait à vivre déshérités de leur souveraineté nationale, au milieu des peuples étrangers, et à finir leurs jours loin de leur patrie. CLXXXVIII. Cette année, mourut le thaumaturge éminent, Marc, ermite. Il avait passé soixante-cinq années de sa vie dans la retraite, ne se nourrissant que d’herbages, sens goûter au pain ni à aucun autre aliment. Il possédait l’intuition des Prophètes, et beaucoup de personnes avaient acquis la certitude que tous les jours l’Esprit-Saint se révélait à lui. Il habitait dans la province de Mogk’,[49] sur une montagne aride appelée Gonkanag. Il était Syrien de Kharsina,[50] d’un lieu voisin du territoire de la ville de Marasch. Par ses prières, il fit jaillir de l’eau en deux endroits différents, dans ce pays. Lorsque les Francs conquirent la sainte cité de Jérusalem, il prédit que les Perses reprendraient le dessus et pénétreraient, le glaive à la main, jusqu’aux bords de la Mer océane, prédiction dont nous avons vu, en effet, l’accomplissement. [Voici ses paroles :] — « Nous dirons au sujet des prêtres
et des peuples, qu’ils se relâcheront de la foi, et que le culte de Dieu
cessera parmi eux ; leur croyance s’affaiblira, et les portes de la sainte
Église se fermeront. Ils seront aveuglés par leur perversité ; ils oublieront
de nouveau les préceptes de l’Évangile. Les péchés et le mal inonderont la
surface de la terre, et les fils des hommes seront emportés au milieu du
débordement des crimes, comme au milieu des flots de Ce digne moine fut enterré dans le couvent de Gasdagh’ôn, auprès du château-fort de Vahga’, dans la chaîne du Taurus. CLXXXIX. Cette même année, Djekermisch, émir de Mossoul et
de Nisibe, vint, à la tête de forces considérables, camper aux portes d’Édesse,
au moment de CXC. Cette même année mourut le comte des Francs, Saint-Gilles,[51] pendant qu’il assiégeait Tripoli. Il laissa la ville extérieure qu’il avait bâtie[52] et ses troupes au fils de sa sœur, Bertrand,[53] guerrier illustre. C’est ce Saint-Gilles qui avait emporté la lance du Christ et l’avait donnée l’empereur Alexis, à Constantinople. CXCI. Cette même année la ville d’Ablastha, dans le
district de Dchahan,[54] eut à souffrir
bien des tourments et des calamités de la part des Francs. Elle fut tellement
maltraitée, que les habitants résolurent de s’en venger cruellement. Ils se
tournèrent du côté des infidèles. Leur ayant envoyé un secret message, et
ayant appelé dans leurs murs la cavalerie du district, les Arméniens se
liguèrent avec eux et investirent CXCII. Cette même année l’église de Sainte-Sophie, à Édesse, s’écroula du côté occidental ; une grande partie de cet édifice tomba. CXCIII. Cette même année apparut une comète d’un aspect terrible à la fois et merveilleux, et dont l’orbite immense inspira l’effroi. Elle occupait le sud-ouest. Sa queue couvrait une vaste étendue de la voûte céleste. C’était le 13 février au soir, veille de la fête de la Présentation de Notre-Seigneur dans le Temple, qu’elle se leva sur l’horizon. Elle brilla pendant cinquante jours, jetant la consternation dans tous les cœurs, parce que le mouvement de sa queue ressemblait aux ondulations d’un fleuve. Personne n’avait jamais ouï parler d’un phénomène pareil. Les savants et les gens d’expérience assurèrent que c’était l’astre d’un roi, et que cette année il en naîtrait un qui étendrait son empire d’une mer à l’autre, comme Alexandre le Grand de Macédoine.[56] Cette même année, les Arabes sortirent de leur pays, au nombre de trente mille environ, pour venir s’emparer d’Alep et de tout le territoire musulman.[57] Le vaillant champion de Dieu, Tancrède, comte d’Antioche, s’avança contre eux, et les ayant mis en fuite, rentra dans cette ville avec un riche butin.[58] CXCIV. En l’année 555 ( CXCV. Cette même année, mais antérieurement à ces événements, Kilidj Arslan était venu avec des forces imposantes assiéger Édesse. Il fit pendant quelques jours de grands efforts pour se rendre maître de cette ville, mais il échoua. Ayant opéré sa retraite, il vint s’emparer de Khar’an. Après avoir soumis tout le pays qui en dépend. il regagna ses États. CXCVI. En l’année 556 ( CXCVII. Cette même année, un corps de douze mille Perses franchit le Taurus et pénétra sur les limites d’Anazarbe, semant la désolation dans tout le pays de Thoros, petit-fils de Roupen. Après avoir traversé la plaine de Marasch et avoir fait une multitude de captifs, ils parvinrent sur le territoire de Kogh-Vasil, à un lieu nommé Pertousd, dans les limites consacrées.[61] A la nouvelle de cette invasion, Vasil avant réuni la légion arménienne, ces soldats intrépides comme des aigles, courageux comme de jeunes lions, coururent à l’ennemi, et après une lutte longue et acharnée, remportèrent nue victoire complète. Ayant déconfit les Turcs, ils se mirent tous ensemble à les poursuivre, l’épée dans les reins, et en les massacrant. Ils leur enlevèrent quantité de prisonniers, et leur reprirent le butin et les captifs dont ils s’étaient emparés. Vasil s’en revint avec toute la noblesse arménienne, fier et joyeux de ce beau succès, et rentra dans sa ville de Kéçoun. Il rendit des actions de grâces à Dieu, qui avait confondu les ennemis de la Croix. CXCVIII. Au commencement de l’année 557 ( CXCIX. Cette même année, Josselin racheta à Djâwali le
comte d’Édesse, Baudouin, pour une somme de 30.000 tahégans.[67] Celui-ci et
Josselin se rendirent auprès de Vasil, qui les accueillit de la manière la
plus honorable et les combla de présents. Baudouin étant parti, réunit un
corps de cavalerie à Raban,[68] ville qui appartenait
à Vasil, dans l’intention de faire la guerre au pieux Tancrède. Baudouin et
Josselin commirent une œuvre d’iniquité, et se rendirent coupables au plus
haut point devant Dieu. Ils envoyèrent un message à l’émir perse Djâwali, lui
persuadèrent de venir à leur aide avec cinq mille cavaliers, et attaquèrent
avec acharnement le comte d’Antioche, Tancrède. Cette agression était motivée
sur ce que Tancrède, pendant leur captivité, s’était emparé des districts qui
leur appartenaient, et refusant de les rendre, voulait que ces deux princes
fussent ses vassaux, prétention qu’ils repoussèrent bien loin. Vasil envoya
aux deux chefs Francs un détachement de huit cents hommes, et un corps de
Patzinaces[69]
qui étaient à la solde de l’empereur des Grecs, et cantonnés dans la ville de
Mécis (Mopsueste). Ces renforts réunis formèrent une année considérable. Sur
ces entrefaites, Tancrède, le champion du Christ, arriva avec un millier de
cavaliers et un corps d’infanterie. L’engagement eut lieu sur les limites de
Tellbâscher. Baudouin et Tancrède se combattirent l’un l’autre, avec rage et
avec une valeur héroïque, tandis que les Perses écrasaient l’infanterie de
Tancrède. Cependant celui-ci, tentant un suprême effort, vainquit Baudouin et
le mit en fuite ; puis fondant avec fureur sur Djâwali et frappant à coups
redoublés, il porta la mort dans les rangs de ses soldats. Dans cette
journée, deux mille chrétiens restèrent sur Lorsque les habitants d’Édesse connurent cette défaite,
ils furent dans CC. Cette même année, l’hiver fut si rigoureux, que l’intensité du froid fit périr partout beaucoup d’animaux domestiques et d’oiseaux. En Perse, il tomba de la neige noire, phénomène qui fut interprété par les sages de cette nation, comme un présage funeste pour elle. CCI. Cette même année, il y eut dans la partie de l’Arabie qui se nomme Bosra,[74] et qui est la patrie de Job, de grands combats entre les Turcs et les Arabes. Ceux-ci se défendirent avec la plus grande bravoure, mirent leurs ennemis complètement en déroute et les taillèrent en pièces. Cependant le général perse recruta de nouvelles troupes et se mit derechef en campagne. Après une lutte où il déploya une valeur extraordinaire, il repoussa les Arabes. Cinquante mille de ces derniers passèrent dans la province d’Alep, afin de chercher à se mettre sous la domination de Tancrède. Ayant demeuré là quelques jours, ils s’en retournèrent chez eux. CCII. En l’année 558 ( CCIII. Cette même année, la ville maritime de Tripoli fut prise. Après onze ans de siège, les habitants, fatigués des assauts terribles et du blocus rigoureux qu’ils soutenaient, car Baudouin, roi de Jérusalem, et Bertrand, parent du grand comte de Saint-Gilles, les pressaient vivement, les habitants appelèrent Tancrède, comte d’Antioche, et se donnèrent à lui. Aussitôt le roi de Jérusalem et Bertrand se mirent en guerre avec Tancrède ; en effet, c’étaient eux qui conduisaient les travaux du siège. Le patriarche et les évêques Francs intervinrent, et la paix ayant été rétablie, Tancrède reprit le chemin d’Antioche. Cependant le roi de Jérusalem équipa une flotte pour agir contre Tripoli, et ayant investi cette ville par mer et par terre, l’attaqua avec vigueur. Les Francs l’ayant enfin emportée d’assaut, y mirent Le feu, en exterminèrent la population, et y répandirent le sang à flots. Ils s’emparèrent de riches trésors, et emmenèrent d’innombrables captifs.[75] CCIV. Au commencement de l’année 559 ( L’Orient tout entier était rangé sous ses drapeaux. Toutes
les populations se sauvèrent et quittèrent le pays, qui devint désert, tandis
que les assiégés, en butte à des attaques incessantes, étaient consternés.
Pendant cent jours, ils furent dans la situation la plus critique et dans des
angoisses extrêmes. Déjà accablés par les assauts qu’ils avaient à soutenir,
ils commencèrent à souffrir de Quelque temps après, et grâce à la protection de Dieu, Bérouth était enlevée aux musulmans. Les habitants furent passés au fil de l’épée, et les Francs se rassasièrent de butin. Josselin assista à la prise de cette ville et y déploya la plus grande valeur.[79] De là il partit à la tête de l’armée pour marcher au
secours d’Édesse, avec le roi de Jérusalem et Bertrand, comte de Tripoli. Ils
allèrent trouver Tancrède à Antioche, et à force d’instances le décidèrent à
les accompagner ; puis, continuant leur route, ils arrivèrent chez le prince
arménien Vasil, lequel donna l’ordre aux siens de s’équiper, et se dirigea
vers Samosate. Le chef arménien Abelgh’arib,[80] qui possédait la
ville de Bir,[81]
prit part aussi avec ses troupes à cette expédition. Ces forces, réunies en
un contingent considérable, parvinrent sur le territoire d’Édesse. A cette
nouvelle, le général des Turcs, Maudoud, leva le siège et se porta vers Khar’an,
tandis que les Francs arrivaient sous les murs d’Édesse, où ils établirent
leur camp. Le lendemain, au point du jour, ils se disposèrent au combat.
Arborant Cependant, le sultan, grand émir de l’Orient, s’étant emparé de l’émir Balag,[83] le fit charger de chaînes et renfermer dans la forteresse d’Aïdziats, au pays de Darôn. Les Francs s’en revinrent, la honte dans le cœur, parce qu’au lieu de sauver les fidèles, ils avaient causé leur ruine. Le vaillant champion du Christ, Tancrède, ayant réuni des troupes, vint dans la province d’Alep attaquer la place forte d’Athareb (Théreb).[84] Après un siège prolongé pendant quelque temps, il s’en rendit maître, mais il épargna la garnison.[85] CCV. Cette même année, les Turcs envahirent le territoire d’Anazarbe, et le ravagèrent dans tous les sens, ainsi que celui de Maraba. Le grand chef arménien Thoros, fils de Constantin, fils de Roupen, se tint sur la défensive en présence des forces supérieures des Perses, et ne se risqua pas à aller les combattre. Les Turcs, traînant après eux d’innombrables captifs et chargés de butin, s’en retournèrent chez eux, après avoir dévasté la contrée de fond en comble. Cette même année, un phénomène terrible eut lieu en Arménie, dans la province de Vasbouragan. Un jour, pendant l’hiver, au milieu des ténèbres de la nuit, un feu éclata du plus haut de la voûte céleste, qui s’entrouvrit en lançant des tourbillons de flamme. Ce feu frappa la mer de Vasbouragan,[86] dont les flots retentirent de violents mugissements ; il atteignit aussi le littoral, et la terre et l’onde, agitées avec violence, tremblèrent. La mer prit une couleur de sang, et la flamme enveloppa toute la surface de l’abîme. A l’aurore on aperçut des masses de poissons morts, accumulées sur le rivage comme des piles de bois. Elles répandirent au loin l’infection. La terre, dans le voisinage, s’entrouvrit en crevasses d’une profondeur effrayante. CCVI. En l’année 560 ( CCVII. Cette même année, Dieu vengea l’effusion du sang
innocent par le châtiment qu’il infligea aux meurtriers de Kakig
Schahenschah, fils d’Aschod, le Bagratide, en se servant du bras du valeureux
prince arménien Thoros, fils de Constantin, fils de Roupen. Du temps de
Thoros, les assassins de Kakig, roi d’Arménie, habitaient la forteresse de
Guentrôsgavis. Ce château, entouré de formidables défenses, élevait fièrement
ses murs inexpugnables de tous côtés. Les trois fils de Mandalê étaient
encore vivants. L’un d’eux s’était allié à Thoros, et par suite de la parenté
qui existait entre eux, ceux-ci lui avaient promis de lui livrer la
forteresse ; car elle était située sur les limites des États de Thoros, dans
le voisinage de la contrée nommée Tzeguen-Dchour (Rivière du poisson),
où est une montagne faisant face à Toi, tu es Arménien, et nous, nous sommes des seigneurs romains : quelle réponse vas-tu donner à notre souverain pour avoir maltraité un Romain ? Ces paroles rendirent Thoros furieux, et sa figure changea de couleur. Saisissant un bâton qui servait de massue, il en frappa le Grec avec la rage d’un animal furieux. «Qui êtes-vous, lui criait-il, qui êtes-vous, vous autres qui avez assassiné un héros, le roi d’Arménie, consacré par l’onction sainte, et que répondrez-vous à la nation arménienne ? » Et il continua de l’assommer, en lui arrachant des gémissements, jusqu’à ce qu’il l’eût fait périr de cette mort douloureuse. Thoros rendit grâces à Dieu de ce que sa justice n’avait pas laissé impuni le meurtre de Kakig, car Thoros descendait de ce monarque par son grand-père Roupen. Il enleva tout ce que les fils de Mandalê possédaient de richesses, leurs trésors, qui étaient considérables, des étoffes de brocart, des croix en argent d’une très grande dimension et des statues coulées en or et en argent. Il emporta ce riche butin au château de Vahga’, emmenant avec lui celui des trois frères qui avait survécu, et après avoir confié à ses troupes la garde de la forteresse qui venait de tomber en son pouvoir. CCVIII. En l’année 561 (22 février 1112 - 20 février
1113), Maudoud, cette bête féroce, ce buveur de sang, ayant fait une nouvelle
levée de troupes, marcha contre Édesse, dans un moment où l’on était loin de
l’attendre. Il parut tout à coup devant cette ville, le lendemain de Pâques,
jour de la fête des Morts, au commencement du mois de sahmi.[97] Il arriva devant
Goubïn, et de là aux portes d’Édesse, avec toutes ses forces. Étant resté en
cet endroit huit jours, il se rendit, sur le sommet de la montagne de Saçoun,[98] d’où il
descendit en se dirigeant vers les Saints-Martyrs, non loin du rempart. Le
victorieux champion du Christ, le comte Josselin, à la tête de 300 cavaliers
et de 100 fantassins, se porta vers Sëroudj, où il entra. Aussitôt les Turcs,
au nombre de 1.500 cavaliers, firent une diversion vers cette ville, le
samedi d’Élie.[99]
Josselin tomba sur eux, les battit, fit cinq de leurs chefs prisonniers, et
leur enleva tous leurs bagages. Les infidèles qui échappèrent à cette défaite
coururent auprès de Maudoud, vers Édesse. Celui-ci, en apprenant cette
nouvelle, s’avança contre Josselin, à Sëroudj ; mais Josselin, en étant parti
furtivement, regagna Édesse. Maudoud ayant demeuré sept jours à Sëroudj,
revint sur Édesse. Quelques traîtres, accourus à lui, lui dirent en route :
« Fais-nous miséricorde, et nous livrerons aujourd’hui notre ville entre
tes mains ». Il consentit avec joie à cette proposition. Comme ces
gens-là souffraient beaucoup de la disette, dans l’état de détresse où ils ne
trouvaient, ils ne surent pas ce qu’ils faisaient. Ayant conduit pendant CCIX. Cette même année, le comte d’Antioche, Tancrède, ayant rassemblé des troupes, marcha contre le prince arménien Kogh-Vasil. Il attaqua Raban, et après de vigoureux assauts, lui enleva cette ville, de là, il s’avança sur Kéçoun, et s’arrêta à l’extrémité de la plaine de Nerkiag, à Thil. Vasil, de son côté, réunit 5.000 hommes. Quelques jours s’écoulèrent sans qu’ils en vinssent aux mains ; après quoi ils firent la paix, et Raban fut rendue à Tancrède par Vasil, qui avait pris aux Francs le district d’Hisn-Mançour, ainsi que Thourer[102] et Ouremn.[103] Tancrède s’en revint tranquillement chez lui, à Antioche. CCX. Cette même année, le 24 du mois d’arek (samedi 12 octobre), mourut le grand prince Kogh-Vasil. Cette perte occasionna un deuil universel dans notre nation. Auprès de lui s’étaient réunis les débris de l’armée arménienne, les troupes des Bagratides et des Bahlavounis ; à sa cour résidaient les princes du sang royal et la noblesse militaire d’Arménie, où ils vivaient en paix, et avec les honneurs dus à leur rang. Le siège du patriarcat avait été transféré dans ses États, dont il avait reculé au loin les limites par sa valeur. Les moines, les évêques, les pères et les docteurs s’étaient rassemblés auprès de lui, et ils y passaient leur vie, parfaitement traités. Après sa mort, ce prince fut enterré à Garmir-Vank’. Son père spirituel et son confesseur était le soigneur Basile, catholicos d’Arménie. Pour prix de la sépulture qui fut accordée à Vasil, le couvent reçut mille tahégans. Cent cinquante, ou même plus, furent consacrés à des messes. Il y eut des repas sans fin pour les pauvres. Tancrède reçut en cadeau une foule d’objets précieux, qui lui furent apportés de la maison de Vasil, beaucoup d’argent, des étoffes de brocart, des chevaux et des mulets. Le diadème de l’épouse de Vasil fut envoyé à la femme de Tancrède. Les autres chefs de provinces obtinrent aussi une grande quantité de présents. Les pauvres eurent également une bonne part de ces largesses. La principauté de Vasil fut donnée à Vasil Dgh’a’, comme à un fils dans le sein de son père.[104] C’était un jeune homme de bonne mine, à face de lion, habile, bonne tête, un fier et vaillant guerrier. Il avait vingt-cinq ans. On le fit asseoir sur le trône de Vasil, et toute l’armée se soumit à lui, gagnée par la générosité et la munificence dont il donnait publiquement des marques à ses amis. Le seigneur Basile, ayant réuni une assemblée générale, lui remit les rênes du gouvernement. Ce choix fit éclater l’allégresse parmi la nation arménienne. CCXI. Cette même année, le 18 du mois de maréri (jeudi 5 décembre), périt empoisonné le plus grand de tous les fidèles, Tancrède, comte d’Antioche.[105] C’était un homme pieux et saint, d’un caractère bienveillant et plein de charité ; il avait sans cesse l’attention tournée à faire le bien des chrétiens ; il se montrait plein d’humilité envers tous et ne condamnait à la peine capitale que d’après les lois de Dieu. Il mourut à Antioche et fut inhumé dans la principale église de cette ville, à Saint-Pierre, dont les fondements avaient été posés jadis par les apôtres saint Pierre et saint Paul. Conformément aux volontés de Tancrède, ou lui donna pour successeur le fils de sa sœur, Roger (R’ôdjêr),[106] qui était un intrépide guerrier. Le patriarche et les chefs Francs l’ayant installé sur le trône, le mirent en possession de la principauté d’Antioche. Cette année, deux chefs qui faisaient partie de l’armée de Vasil, le grand Dikran Tigrane) et Ablaçath, furent tués par les Turcs, dans le pays de Léon (Lévon), petit-fils de Roupen.[107] CCXII. En l’année 562 ( Le 20 du mois de sahmi, un dimanche, à l’heure du repas (midi),[109] une horrible calamité tomba sur Édesse : le père méconnut son fils, le fils renia son père ; les plaintes, les lamentations et les gémissements éclataient partout ; chaque maison, plongée dans le deuil, le chagrin et le désespoir, retentissait de cris. Ils expulsèrent les habitants de leurs foyers, les chassèrent hors de la ville, et ordonnèrent de brûler ceux que l’on trouverait renfermés dans les maisons ; il n’en resta pas un seul, à l’exception de quatre-vingts hommes, qui se réfugièrent vers le soir dans l’église de Saint-Thoros, et qui furent placés dans la citadelle, sous la garde de soldats. Ce fut un jour terrible pour Édesse. Chacun de ceux qui en furent témoins déplorait le sort de cette ville. Il n’y eut pas d’atrocités que les Francs ne commissent. Alors s’accomplit la parole des anciens prophètes, qui avaient dit : « Malheur au peuple d’Abgar ! » Ces infortunés proscrits se retirèrent à Samosate ; et Édesse, cette illustre capitale, resta déserte ; elle devint comme une pauvre veuve, celle qui auparavant était la mère de tous, qui groupait autour d’elle les populations dispersées des autres pays et ceux aussi qui accoururent avec la Croix au-devant des Francs, lorsque ces derniers vinrent à eux en mendiants. Et maintenant, pour prix des bienfaits qu’Édesse leur avait prodigués, ils l’ont accablée des plus indignes traitements et ont fait le malheur des fidèles. CCXIII. A cette époque, les Turcs qui stationnaient à Khar’an, ayant franchi l’Euphrate. se portèrent en nombre immense contre Jérusalem, pour attaquer le roi de la Cité sainte et toute la race des Francs. Baudouin, en apprenant cette nouvelle agression de Maudoud, et son arrivée aux portes de Jérusalem, eut honte de la trahison dont il s’était rendu coupable envers les habitants d’Édesse. Il écrivit pour donner l’ordre de les y faire rentrer, et au bout de trois jours, chacun d’eux revit ses foyers. Les infidèles campèrent auprès de la ville de Tibériade
(Dabar), non loin de la mer de ce nom. Le roi de Jérusalem envoya chercher à
Antioche le grand comte des Francs, Roger, toutes les troupes franques ainsi
que le comte de Tripoli, fils de Saint-Gilles,[110] qui tous
répondirent à cet appel. Cependant, les troupes de Jérusalem, enflées d’orgueil,
se hâtèrent de marcher contre les Turcs, afin de prévenir l’arrivée de celles
d’Antioche et de leur enlever l’honneur de Pendant son séjour à Damas, Maudoud conçut la pensée de
faire périr Toghtékïn, émir de cette ville, dans l’intention de s’en emparer.
Cette trahison étant parvenue aux oreilles de l’émir, il tira de prison un
condamné à mort, Perse de nation, lui promit sa grâce et des honneurs, s’il
voulait tuer Maudoud, et lui donna en même temps cinq cents tahégans. Au
moment où Maudoud sortait de la mosquée, où il était allé faire sa prière, et
qu’il était debout au milieu du portique, auprès d’une colonne rouge, le
Perse s’approcha, et, lui plongeant tout à coup son couteau dans le flanc
gauche, lui donna CCXIV. Cette même année, dans le mois de drê, un jeudi,[113] mourut le
catholicos d’Arménie, le seigneur Basile, par un accident qui fut l’œuvre du
démon. Monté sur la terrasse de sa maison, dans le village de Vartahéri,
situé non loin et sur les confins de Béhesni,[114] il était là en
prières avec ses disciples, des prêtres et des évêques, lorsque tout à coup
la maison s’écroula. Personne n’éprouva de mal, si ce n’est Basile, qui se
heurta et se brisa le côté contre CCXV. Cette même année, le seigneur Grégoire, fils d’Abirad, fut élevé sur le siège d’Arménie. Il descendait de Grégoire Magistros, fils de Vaçag, le Bahlavouni. Après que Basile fut mort, des évêques et des pères tinrent une assemblée à Garmir-Vank’, suries limites de la province de Kéçoun ; et, par la volonté de l’Esprit-Saint, ils consacrèrent le seigneur Grégoire, d’abord évêque de la nation arménienne, et ensuite, le même jour, catholicos, et le placèrent sur le trône de saint Grégoire. Il était tout jeune, car la barbe n’avait pas encore commencé à lui pousser ; il était haut de taille, beau de visage et humble de caractère. CCXVI. En l’année 563 de l’ère arménienne ( CCXVII. Cette même année, Dieu fit éclater sa colère
contre ses créatures. Dans sa toute-puissance et son courroux, il jeta ses
regards sur elles. Il était irrité contre les fils des hommes qui s’étaient
égarés, en s’écartant du droit sentier, d’après cette parole du Prophète : Il
n’y a dans ce temps-ci personne, ni prince, ni prophète, ni chef qui pratique
la justice ; il n’y en a pas un seul. (Jérémie, XXXII, 82.) Ce fut ainsi que
tous suivirent avec entraînement la route de la perversité, qu’ils prirent en
haine les commandements et les préceptes de Dieu ; princes, guerriers, hommes
du peuple, chefs, prêtres, moines, aucun ne resta ferme dans la bonne voie.
Tous s’abandonnèrent aux penchants corporels, aux voluptés mondaines, choses
que le Seigneur considère comme le plus haut degré du pêché. On vit alors se
réaliser cette menace du Prophète : « Voici, il regarde la terre et la fait
trembler ; Dieu ayant jeté un regard courroucé sur « ses créatures, elles n’ont
pu s’empêcher d’être abattues par la terreur de ses prodiges. » (Psaume CIII,
32.) C’est précisément ce qui eut lieu ; car le 12 du mois de maréri, un
dimanche, jour de la fête de l’Invention de la Croix,[122] un phénomène
terrible éclata, signe de colère tel que jamais de mémoire d’homme un pareil
n’était survenu dans les siècles passés, ou dans le nôtre, tel que ne fut
jamais aucun de ceux dont l’Écriture fait mention. Tandis que nous étions plongés
dans un profond sommeil, tout à coup on entendit un bruit horrible, dont l’univers
entier retentit. Un tremblement de terre se fit sentir ; les plaines et les
montagnes furent soulevées avec fracas ; les rochers les plus durs se
fendirent et les collines s’entrouvrirent. Les montagnes et les collines, ébranlées
avec violence, retentissaient, et, comme des animaux vivants, s’agitaient en
rendant un souffle. Ce fracas arrivait aux oreilles, comme la voix de la
multitude dans un camp. Semblables à une mer bouleversée, les créatures se
ruaient de tous côtés, éperdues de la terreur que leur inspirait la colère du
Seigneur ; car les plaines et les montagnes résonnaient avec la sonorité du
bronze et s’agitaient en tous sens comme les arbres tourmentés par le vent.
Les gémissements des populations s’échappaient en sourdes rumeurs, comme les
plaintes d’un homme depuis longtemps malade. La frayeur les faisait courir à
leur perte. La terre était comme un fugitif réduit aux abois et tremblant ;
consternée comme un condamné qui pousse des lamentations et des gémissements
accompagnés de larmes. Sa voix se fit entendre encore après le tremblement de
terre, pendant une heure environ, cette même nuit. flans ce désastre, chacun
crut que c’en était fait de sa vie. Tous s’écriaient : « C’est notre dernière
heure ! c’est le jour du jugement dernier ! » Ce jour-là formait, en
effet, une date déterminée et caractéristique ; c’était un dimanche, il était
marqué par le sixième ton de la musique arménienne,[123] et, de plus, la
lune était sur son déclin. Il réunissait ainsi tous les signes du dernier
jour. Chacun était plongé dans le désespoir, comme s’il eût été déjà mort.
Cette nuit vit la ruine de beaucoup de villes et de provinces ; mais ce fut
uniquement dans les pays occupés par les Francs ; dans les autres et dans
ceux des infidèles, rien de fâcheux n’arriva. A Samosate, à Hisn-Mançour, à
Kéçoun, à Raban, le fléau exerça ses ravages. A Marasch, il fut terrible, et
quarante mille personnes perdirent la vie ; car c’était une cité très
populeuse, et personne n’échappa. Il en fuit de même dans la ville de Sis, où
il périt une multitude innombrable d’habitants. Beaucoup de villages et de
couvents furent détruits, et une multitude d’hommes et de femmes, écrasés.
Dans CCXVIII. Cette année, mourut le saint docteur Mégh’rig,[126] homme éminent, religieux admirable. Il avait vécu dans la solitude et dans l’accomplissement des devoirs les plus rigoureux, pendant cinquante ans. Il en avait soixante dix quand il termina sa carrière. Ses jours s’étaient écoulés dans l’abstinence et la pratique continuelle des austérités. Il ne se nourrissait que d’aliments secs. Par ses mœurs et sa piété, il fut l’égal des saints des âges antiques. Pendant toute sa vie il passa le dimanche se tenant debout, en prière. Il était Arménien de naissance, originaire de la province de Vasbouragan, d’un gros village appelé Analiour. S’étant voué dès l’enfance à la vie monastique, il acquit promptement une grande renommée et s’éleva à une haute perfection. Il devint un exemple pour beaucoup de chrétiens et le confesseur de toute l’Arménie. Il rappelait les peuples à la voie lumineuse et les offrait régénérés par la pénitence, à l’adoption du Père céleste.[127] Il expira dans les sentiments d’une foi parfaite, et fut enterré dans la province d’Anazarbe, au grand couvent de Trazarg,[128] qui avait été restauré par l’illustre prince Thoros. CCXIX. Dans l’année 564 ( CCXX. Cette même année, le général des Perses, l’émir Boursoukh, ayant de nouveau rassemblé des troupes, arriva devant Édesse. Après avoir fait une halte de quelques jours, il traversa l’Euphrate et se rendit à Alep.[130] De là, il vint s’emparer de Schéïzar sur les musulmans. Puis il voulut saccager Tellbâscher et la province d’Antioche. Aussitôt les Francs de toutes nations se réunirent à Antioche, auprès du comte Roger. Le roi de Jérusalem et Baudouin, comte d’Édesse, accoururent aussi et se rencontrèrent dans le district de Schéïzar. En même temps arriva au camp des Francs le puissant émir perse, Ilgazi, fils d’Artoukh, qui vint avec des forces considérables trouver Roger ; car Ilgazi était l’ennemi juré de Boursoukh.[131] On vit aussi arriver l’émir de Damas, Toghtékïn. Ils se joignirent aux Francs et contractèrent avec eux une alliance et une amitié cimentées par un serment solennel. De même, l’émir d’Alep[132] se rallia aux Francs. L’armée des infidèles et celle des chrétiens restèrent en présence pendant quatre mois, sans que les Turcs osassent en venir aux mains. Après quoi Boursoukh se retira furtivement et à l’insu des Francs. Ayant appris sa retraite précipitée, le roi de Jérusalem, le comte de Tripoli, l’émir Ilgazi, Toghtékïn et l’émir d’Alep, s’en retournèrent. Boursoukh, instruit du départ des Francs, marcha vers Antioche, dans l’intention de ravager le territoire de cette ville. A cette nouvelle, le comte d’Édesse revint à Antioche, et ayant emmené avec lui Roger et 700 cavaliers, s’avança contre Boursoukh, dans le district d’Alep. L’ayant surpris, il fondit sur lui, remporta une victoire complète et le mit en fuite. Les Francs firent prisonniers des officiers distingués et enlevèrent un butin considérable, que lui fournit le pillage du camp des Turcs. Échappés à cette défaite, les infidèles se sauvèrent honteusement. CCXXI. Cette même année, le comte d’Édesse, Baudouin, entreprit de faire la guerre à Vasil Dgh’a’, le grand prince arménien. CCXXII. Baudouin vint assiéger la place forte de Raban. Il continua ses attaques pendant un temps assez long, sans en venir à bout, quoiqu’il la tint étroitement bloquée. CCXXIII. Vasil Dgh’a’ s’étant rendu auprès du grand prince arménien Léon,[133] fils de Constantin, fils de Roupen, et frère de Thoros, pour épouser sa fille, ce dernier invita Vasil à venir le trouver, s’empara traîtreusement de sa personne et le conduisit à Édesse, auprès de Baudouin, comte de cette ville. Baudouin fit torturer cruellement cet illustre guerrier, lui arracha la cession de ses États, et enleva ainsi tout ce pays à la domination arménienne. Vasil se retira auprès de Léon, son beau-père, et de là s’en vint à Constantinople, où il fut accueilli très honorablement, ainsi que les troupes qui l’accompagnaient, par l’empereur. CCXXIV. En l’année 566 (20 février 1117 - 19 février 1118), le comte Baudouin du Bourg, ayant rassemblé des troupes et s’étant associé le comte de Sëroudj, marcha avec lui contre le chef arménien Abelgh’arib, frère de Ligos et fils de Vaçag. Ces deux frères avaient conquis sur les Perses, par la vigueur de leur bras, un grand nombre de lieux, et entre autres la ville de Bir, qu’ils restaurèrent pour en faire leur résidence ; car c’étaient d’intrépides et illustres guerriers. Ils comptaient mille hommes sous leurs ordres. Le comte ayant porté ses regards sur la province qui leur appartenait, l’envie prit violemment empire sur son cœur ; il ne put résister à ce sentiment criminel et vint, à la tête de ses troupes, attaquer Bir. Il avait plus de haine contre les chrétiens que contre les Turcs. Il tint pendant un an Abelgh’arib assiégé avec une rigueur extrême et en lui faisant endurer des souffrances de tout genre. Dans cette situation critique, Abelgh’arib, voyant qu’il n’y avait plus d’espoir pour lui, livra Bir et tout le district à Baudouin, et se retira auprès de Thoros, petit-fils de Roupen, à Anazarbe. Le comte céda Bir et le territoire qui en dépend à Waléran (Kalaran),[134] prince Franc. Il sévit successivement contre les divers chefs arméniens et les renversa tous, se montrant plus impitoyable envers eux que les Perses eux-mêmes. Il persécuta ces chefs, restes échappés à la férocité des Turcs ; il les proscrivit avec une barbarie inouïe. Il détruisit la principauté de Kogh-Vasil, et força tous les nobles attachés au service de celui-ci à chercher un refuge à Constantinople. Il ruina également le brave chef arménien Pakrad,[135] qui résidait à l’orient de la Cilicie, non loin de Gouris,[136] et le dépouilla de ses États. Il abattit aussi Constantin, seigneur de Gargar’,[137] lequel mourut misérablement dans les fers, renfermé dans la forteresse de Samosate. La nuit du tremblement de terre, on le trouva sur les bords de l’Euphrate, précipité de haut en bas et cloué à un chapiteau de colonne, comme il l’avait été dans sa prison. Ce fut dans cette position et par cette chute qu’il périt. Bohémond, de son côté, avait chassé le Prince des princes,[138] qui gouvernait pour les Romains la ville de Marasch. Une foule d’autres grands personnages, recommandables à divers titres, finirent leur vie en prison, dans les tortures ou dans les fers. Plusieurs eurent les yeux crevés, les mains ou le nez coupés, les parties génitales tranchées, ou expirèrent attachés à une croix ; ils sévissaient contre les enfants innocents, en haine de leurs parents. Ces supplices multipliés et indicibles n’avaient d’autre motif que le désir cupide de s’emparer des trésors que possédaient ces Arméniens. C’est ainsi que par les plus iniques et les plus affreux moyens ils désolèrent ces contrées. C’était là leur occupation de chaque instant ; ils n’avaient autre chose dans l’esprit que la méchanceté et la fraude ; Ils aimaient toutes les œuvres de mal, n’ayant aucun souci de faire le bien ou une noble action. Nous aunons voulu énumérer leurs nombreux forfaits, niais nous n’avons pas osé le faire, parce que nous étions placés sous leur autorité. CCXXV. En l’année 567 (20 février 1118 - 19 février 1109),
Baudouin du Bourg, comte d’Édesse, se rendit en triomphateur à Jérusalem, un
des jours du carême.[139] Le roi de la
Cité sainte, Baudouin, frère de Godefroy, s’était dirigé vers l’Égypte afin
de ranger ces barbares sous son obéissance ; mais il trouva tout le pays
désert et les populations en fuite. Alors il se remit en route pour retourner
directement à Jérusalem ; dans le trajet il tomba malade et mourut. Avant d’expirer,
il avait recommandé d’envoyer à Édesse chercher Baudouin et de rétablir
lieutenant-général du royaume de Jérusalem, jusqu’à ce que son frère [Eustache]
fût arrivé de chez les Francs, et de donner la couronne à ce dernier. Le
corps du roi fut placé dans une litière et transporté à Jérusalem, où il fut
inhumé devant le saint Golgotha. C’était un homme de bien, ami de la sainteté
et humble de cœur. Ceux qui l’avaient accompagné dans cette expédition ayant
trouvé Baudouin Du Bourg à Jérusalem, furent tout étonnés et en même temps
ravin de joie, par la pensée que sa présence était un effet de la bonté
divine. D’après les dernières dispositions du roi, ils lui conférèrent CCXXVI. Cette année fut signalée par la mort du sultan de
Perse, Daph’ar, fils de Mélik Schah. C’était un prince cruel à l’excès ; car,
dans ses derniers moments, il fit une chose horrible et inouïe jusqu’alors.
Lorsqu’il sentit approcher sa fin, songeant à l’intérêt de ses fils, il
ordonna d’appeler dans son palais sa femme Kohar-Khatoun,[141] qui était fille
de l’émir Ismaïl,[142] et de l’égorger
en cachette des troupes, en sa présence, afin qu’elle ne pût se remarier et
frustrer ses enfants de la couronne et de l’héritage qu’il leur laissait. Car
il descendait de puissants monarques, et possédait une armée considérable. Il
avait rassemblé, d’entre toutes les nations, quatre cents jeunes filles qui
se tenaient devant lui debout, parées des plus beaux atours, de pierres
précieuses et de perles enchâssées dans de l’or d’Arabie, ayant un diadème
sur le front, les cheveux tressés et entremêlés d’or ; elles brillaient par
leur magnifique parure, que rehaussait l’éclat de couleurs variées. Son but,
en faisant périr sous ses yeux la grande reine, était d’éviter qu’elle
épousât son frère,[143] qui régnait
avec le titre de sultan dans l’intérieur de la Perse, dans les villes d’Ozkend[144] et de Ghizna,[145] à trois mois de
marche plus avant dans le royaume qu’Ispahan (Asbahan). Après cette
exécution, Daph’ar fit asseoir sur le trône son fils aîné Mahmoud,[146] et lui remit le
gouvernement de Cette même année mourut le khalife des Perses (Arabes),[149] qui occupait le trône de Mahomet (Mahmed) à Bagdad. CCLXVII. Cette même année le grand comte des Francs,
Roger, seigneur d’Antioche, ayant levé des troupes, vint attaquer Azaz,[150] ville qui
appartenait aux musulmans et située non loin d’Alep. Le prince arménien Léon,
fils de Constantin, fils de Roupen, se joignit avec ses forces à cette
expédition. Roger tint Azaz assiégée pendant trente jours, empêchant les
Turcs d’introduire des renforts dans CCXXVIII. Au commencement de l’année 568 (20 février 1119 - 19 février 1120), Ilgazi rassembla une armée formidable ; et comme il était considéré à cette époque comme le chef suprême des musulmans,[151] tous vinrent à lui avec un concours empressé. Il marcha coutre Roger, à la tête de 80.000 hommes. Ce fut avec ces forces imposantes qu’il arriva sous les murs d’Édesse. Il s’arrêta là quatre jours[152] sans rien entreprendre contre cette ville. Puis il se dirigea vers l’Euphrate, qu’il traversa. Il marchait, pareil à un coursier qu’un galop long et rapide met hors d’haleine. Il saccagea un grand nombre de lieux ; car aucune des provinces occupées par les Francs n’était prémunie contre cette subite invasion. Il s’empara de forteresses, de villages, de couvents, massacrant les populations, jusqu’aux vieillards et aux enfants. Parvenu à Bezah,[153] il fit halte. Cependant Roger, dans l’orgueil de sa puissance, n’avait songé à faire aucun préparatif de défense ; plein de confiance en lui-même, il se souvenait de la fierté de la race de laquelle il descendait, et méprisait profondément les Turcs. Il négligea les précautions que réclamait la prudence en cette occasion. Sans s’être entouré de troupes suffisantes, sans avoir appelé les Francs ses alliés,[154] il partit, plein de présomption, à la rencontre des infidèles. Il avait sous ses ordres 600[155] cavaliers Francs, 500 cavaliers arméniens, et 400 fantassins ; il était suivi en outre de 10.000 hommes, tourbe recrutée parmi toute espèce de gens.[156] Les Turcs avaient recouru à tous les moyens possibles pour s’assurer la victoire. ci avaient disposé quantité d’embuscades. Le territoire de la ville d’Athareb fut le théâtre de la lutte terrible qui s’engagea entre les deux armées. La multitude des Perses enveloppa les chrétiens qui se virent cernés de tous côtés sans issue pour s’échapper. Presque tous furent passés au fil de l’épée, et le grand comte des Francs, Roger, avec eux. Quelques-uns à peine parvinrent à se sauver. A partir de l’Euphrate jusqu’à l’Océan, les Turcs étendirent partout leurs ravages, répandirent le sang et firent une foule de captifs. L’armée chrétienne avait été anéantie. Ce désastre eut lieu le 6 du mois de k’agh’ots, le samedi du carnaval qui précède la Transfiguration.[157] Le roi de Jérusalem Baudouin se rendit à Antioche, et ayant réuni le reste des troupes franques, marcha contre les Turcs. Le 25 du mois d’arats, c’est-à-dire le 16 août,[158] un nouveau combat fut livré dans le même lieu que le précédent. Les chrétiens immolèrent nombre de Turcs, puis les deux armées prirent la fuite, chacune de son côté, sans avoir eu l’une ou l’autre l’avantage ou le dessous, car chaque parti avait éprouvé beaucoup de pertes. Celles des infidèles s’élevèrent à 5.000 hommes. Ce ne fut pas seulement le fer qui fit tant de victimes, mais aussi la chaleur ; elle fut meurtrière, surtout pour le roi de Jérusalem. Les Francs se retirèrent dans leurs provinces, et le roi Baudouin rentra dans la Cité sainte.[159] Cette année mourut l’empereur Alexis,[160] prince vertueux et sage, intrépide à la guerre, miséricordieux pour tous les fidèles, excepté pour notre nation qu’il haïssait profondément. Il se rendit illustre, il est vrai, mais il viola les commandements de Dieu ; car il ordonnait de conférer une seconde fois le baptême, réprouvant avec mépris ce sacrement tel qu’il a été institué par le concile de Nicée, et propageant la foi du concile de Chalcédoine.[161] Il faisait sans remords rebaptiser les Arméniens, et sans redouter l’Esprit-Saint qui a fondé avec éclat cet auguste sacrement. Il mit en oubli la prescription de l’apôtre saint Pierre, qui a dit : « Baptiser une seconde fois celui qui l’a été déjà, c’est crucifier de nouveau le Fils de Dieu et débuter par une œuvre de mort.[162] » Cette année, le fils et successeur d’Alexis, Jean Porphyrogénète (Berph’éroujên), monta sur le trône ; prince remarquable par son courage militaire, par sa clémence et sa mansuétude. Il se déclara également contre les Arméniens, et exigea, avec encore plus de rigueur que son père, l’obligation du second baptême, rejetant le baptême spi rituel pour y substituer un sacrement imparfait. CCXXIX. Cette même année, le roi de Jérusalem, Baudouin,
donna Tellbâscher et Édesse au comte Josselin, et le renvoya dans cette
dernière ville.[163] A l’époque de
la mort de Tancrède, il avait arraché Josselin de sa maison et de ses
domaines ; et, après l’avoir ainsi dépouillé, il l’avait jeté dans un cachot,
où il infligea à ce noble guerrier les tortures de la faim et les plus
mauvais traitements. Puis, l’en ayant retiré avec violence, et le traitant
comme un homme souillé de crimes, il le chassa elle contraignit à aller
servir dans les pays étrangers. Le roi précédent de Jérusalem, appelant auprès
de lui Josselin, l’avait reçu avec une haute distinction ; il lui avait cédé
la ville de Tibériade, avec le territoire qui en dépend. Là, Josselin résista
victorieusement aux ennemis de CCXXX. Vers le commencement de l’année 569 ( CCXXXI. En l’année 570 (19 février 1121 - 18 février 1122), un émir de la contrée de Kantzag, nommé Gazi, homme sanguinaire, effronté, pervers et assassin, lequel était voisin des Géorgiens, ami et vassal de leur souverain,[166] conçut un mauvais dessein. Ayant recruté 30.000 Turcs, il pénétra sur le territoire géorgien et trama en captivité une partie des habitants arrachés à leurs foyers ; puis il vint asseoir son camp dans le pays de sa résidence. En apprenant cette agression, David (Tavith), roi de Géorgie,[167] envoya ses troupes pour châtier les Turcs, Celles-ci étant parties à la dérobée, tombèrent sur eux et exterminèrent ces 30.000 hommes ; elles s’emparèrent de leurs femmes, de leurs enfants, de troupeaux de brebis et de moutons, et s’en retournèrent chargées d’un immense butin. Les Turcs qui avaient échappé au glaive des Géorgiens, accablés par ce revers, déchirèrent leurs vêtements et répandirent de la poussière sur leurs têtes. Vêtus de deuil et le front découvert, ils allèrent à Kantzag porter leurs doléances à leur sultan, Mélik, fils de Daph’ar, et implorer, en fondant en larmes, sa pitié dans leur malheur. D’autres se rendirent chez les Arabes, dans la contrée de Garmian, auprès de l’émir Ilgazi, et lui racontèrent, en pleurant amèrement, ce désastre. Celui-ci, dans sa puissance et son orgueil, ordonna de lever une armée considérable et d’appeler tous les Turcs, depuis la contrée des Grecs, jusqu’à l’Orient, ainsi que dans le pays de Garmian. Il fit le dénombrement de ses soldats, dont le chiffre était de 150.000. Il envoya dans les contrées du Midi, chez les Arabes, mander le roi de cette nation, Sadaka (Sagh’a), fils de Doubaïs,[168] qui arriva à la tête de 10.000 hommes. Ce prince était un valeureux guerrier ; il avait saccagé la ville de Bagdad, et trois fois combattu avec succès Daph’ar, sultan des Perses. Il était Rafédhite (Ravadi) d’origine, blasphémateur de Mahomet et de sa religion.[169] Il avait planté ses tentes au milieu de l’Éthiopie et de l’Inde. Il vint alors et épousa la fille de l’émir Ilgazi. Cette année, ce dernier arriva à Kantzag avec des forces considérables, en se dirigeant vers la Géorgie. CCXXXII. En même temps, Mélik, sultan de Kantzag, à la
tête de 400.000, cavaliers aguerris, pénétra en Géorgie du côté de la ville
de Deph’khis (Tiflis), par la montagne de Tégor.[170] Le roi de
Géorgie, David, fils de Bagrat (Pakarad), fils de Giorgi (Korki), instruit de
l’approche des Turcs, s’avança avec un corps de 40.000 guerriers intrépides.
Il avait en outre sous ses drapeaux 15.000 hommes d’élite que lui avait
donnés le roi des Kiptchaks (Kaph’tchakhs) ;[171] 6.000 que lui
avaient fournis les Alans[172] et une centaine
de Francs. Ce fut le 15 août, le jeudi de la semaine du jeûne observé pour la
fête de la Mère de Dieu,[173] qu’eut lieu Cette même année David enleva Deph’khis aux Perses, et y répandit des flots de sang. Il fit enfiler et empaler l’un sur l’autre 500 hommes, qui expirèrent dans cet affreux supplice.[175] CCXXXIII. Cette même année, au mois d’août, la foudre
éclata et brûla la principale mosquée de Bagdad, édifice construit sur un
plan magnifique par le sultan Thogrul, frère d’Alp Arslan, lorsqu’il conquit CCXXXIV. En l’année 571 ( A cette époque mourut le grand émir Ilgazi, fils d’Artoukh, laissant ses États au fils de sa sœur, l’émir Balag. ainsi que le soin de sa maison et de ses enfants, Soliman et Timourtasch (Dêmour-Dasch).[178] Son corps fut transporté dans un litière d’Alep à Khar’an, et de là à sa ville de Meïafarékïn, où il fut enterré. Balag se trouva ainsi maitre d’un grand nombre de contrées. CCXXXV. En l’année 572 ( CCXXXVI. Cette même année, cinq mois plus tard, il se passa
un fait admirable, mais qui occasionna de grands malheurs. Quinze hommes s’étant
associés, partirent de la place forte de Béhesni, méditant une entreprise
héroïque ; ils accomplirent une action immortelle. S’étant rendus dans le
district de Hantzith, ils se mirent en observation devant la forteresse de
Kharpert, où étaient renfermés le roi de Jérusalem, Josselin et Waléran. S’étant
aperçus que la garnison était peu nombreuse et qu’elle ne se tenait pas sur
ses gardes, ils s’approchèrent de la porte, vêtus d’habits misérables et sous
l’apparence de gens en querelle. Ils se ménagèrent des intelligences avec un
homme de l’intérieur. Au bout d’un peu de temps, ils s’élancèrent dans la
forteresse et cherchèrent à se faire jour jusqu’à CCXXXVII. Cette même année, la guerre éclata entre les oiseaux, dans la province de Mélitène. Les cigognes, les grues et les arôs[185] accoururent de toutes parte et se combattirent. Les grues vainquirent les cigognes et les exterminèrent. A peine s’il en resta quelques-unes.[186] CCXXXVIII. Cette année vit mourir le grand philosophe
arménien Paul (Bôgh’os),[187] ce docteur qui
brilla du plus vif éclat, et qui était profondément versé dans la
connaissance de l’ancien et du nouveau Testament. Il atteignit à la
perfection des docteurs des temps primitifs. Il apparut comme le second
Illuminateur[188]
de notre nation ; comme un rocher de diamant contre lequel vinrent se briser
les efforts des hérétiques ; comme le champion de l’orthodoxie. Il fut toute
sa vie d’une sévérité excessive contre les corrupteurs de CCXXXIX. Cette année, David, roi de Géorgie, extermina 60.000 Perses ; voici à quelle occasion. Le sultan de Kantzag vint avec des forces considérables établir sur le fleuve Gour (Cyrus)[189] un pont de bateaux où passèrent ces 60.000 hommes, qu’il conduisait dans le pays des Aph’khaz.[190] A cette nouvelle, le roi de Géorgie fit partir des troupes et détruire le pont, et tailla en pièces l’année des infidèles. Le sultan s’enfuit en Perse, dans la ville d’Ozkend, auprès du frère de son père.[191] Le roi David était un brave ; il déploya un rare courage dans les guerres qu’il soutint contre les Perses. Il remporta sur eux de nombreuses victoires et renversa leur puissance de fond en comble. Il leur enleva de magnifiques provinces à la pointe de l’épée et par la force de son bras. Il s’empara des villes de Deph’khis, Tmanis,[192] Schirvan,[193] Schaki,[194] Schamkar[195] et autres lieux. C’était un saint et vertueux monarque, d’une haute piété et d’une justice accomplie. Il se montra toujours bienveillant pour notre nation, et notre ami. Il avait attiré auprès de lui les restes de l’armée arménienne. Il fonda en Géorgie une ville arménienne qu’il appela Kôra,[196] et y bâtit nombre d’églises et de couvents. Il prodigua à notre nation toute sorte de consolations et de bienfaits. Il avait un fils légitime nommé Dimitri (Témédré),[197] qui lui était né d’une femme arménienne, et un frère nommé Thodormé. CCXL. En l’année 573 (19 février 1124 - 17 février 1125), Balag réunit des troupes et marcha contre les Francs. il se rendit d’abord à Alep, et au bout de quelques jours il vint attaquer Menbêdj,[198] ville des musulmans. Avant dressé ses catapultes contre la forteresse. il les fit jouer vigoureusement et causa beaucoup de mal aux assiégés. L’émir qui défendait la place envoya demander du secours aux comtes Josselin et Geoffroy, leur promettant que, dès qu’ils seraient arrivés, il céderait la ville à Josselin. Ces deux chefs se rendirent à cet appel avec les débris des troupes Franques que Josselin avait réunis. Mahuis (Mahi), comte de Delouk, Aïn-tab (Anthaphi’)[199] et Raban, accourut aussi. Dès que Balag eut connaissance de leur approche, il s’avança à leur rencontre, non loin de Menbêdj. L’action fut terrible car les infidèles étaient aussi nombreux que les Francs l’étaient peu. L’avantage fut d’abord pour ces derniers, et les Turcs furent repoussés. Les chrétiens mirent en fuite une aile de leur armée, tandis que Josselin taillait l’autre aile en pièces. Mais un corps de Turcs enveloppa le comte de Marasch et une foule d’autres guerriers, ainsi que la noblesse de Josselin, et ils périrent de la mort des martyrs. En apprenant ce malheur, Josselin lâcha pied et fut vaincu sur ce même champ de bataille. Le lendemain, Il se réfugia dans sa ville de Tellbâscher. Cette journée désastreuse vit tomber une foule de grands personnages d’entre les Francs ; ce fut le 10 du mois de sahmi, date qui correspond au 4 mai,[200] qu’elle eut lieu. Après cette victoire signalée, Balag se porta contre la ville de Menbêdj, et donna l’ordre à ses troupes d’en commencer l’attaque. Dans la joie que son succès lui inspirait, il se dépouilla de sa cotte de mailles en fer. En même temps, un adorateur du soleil (Arévabaschd)[201] lança de la forteresse une flèche qui l’atteignit à l’aine et le blessa mortellement.[202] Ayant mandé auprès de lui Timourtasch, fils d’Ilgazi, il lui remit ses États, et à l’instant il rendit le dernier soupir. A cette nouvelle, ses troupes se dispersèrent. Sa mort causa une joie universelle parmi les Francs ; mais, dans les contrées qui lui appartenaient, ce fut un deuil général et une tristesse profonde, car il avait toujours témoigné de la bienveillance aux Arméniens qui étaient sous sa domination.[203] CCXLI. Lors de cette bataille, le roi, son neveu et Waléran se trouvaient à Alep. Le comte Josselin et la reine traitèrent avec Timourtasch de la rançon du roi, et lui donnèrent en otage sa fille et le fils de Josselin, avec quinze autres personnes. La rançon fut fixée à 100.000 tahégans. Dans le mois de septembre, le roi Baudouin fut enfui délivré des mains des infidèles. Étant arrivé à Antioche, son retour excita des transports de joie parmi les chrétiens. Mais le comte Waléran et le neveu du roi restèrent au pouvoir de Timourtasch et furent mis à mort. Ainsi, par les soins de Josselin, Baudouin fut affranchi deux fois de la captivité.[204] CCXLII. Cette même année, grâce au secours de Dieu, Gargar’
fut enlevée aux Turcs. Le seigneur de cette ville, Mikhaïl, fils de Constantin,
entreprit de s’en rendre maitre, à la tête de cinquante hommes. Il accabla
par une lutte opiniâtre les Turcs qui étaient renfermés dans CCXLIII. Cette même année, le roi de Géorgie, David, fit de nouveau un horrible massacre des Perses. Il en tua 20.000 environ. Il s’empara d’Ani, et prit dans ses murs les fils de Manoutchê,[207] qu’il emmena à Deph’khis. Ainsi fut affranchie cette cité royale du joug qui avait pesé sur elle pendant soixante ans.[208] L’auguste et vaste cathédrale, que les infidèles avaient convertie en mosquée, réunit dans son enceinte, par les soins de David, des évêques, des prêtres et des moines de l’Arménie, et fut bénie avec une pompe solennelle. Ce fut un grand bonheur pour notre nation de voir ce saint édifice arraché au pouvoir tyrannique des infidèles. CCXLIV. Cette même année, un duc arriva du pays des Francs avec des forces considérables. Il établit son camp devant la ville de Tyr (Sour), située sur les bords de l’Océan. Il la tint investie pendant longtemps et la pressa vigoureusement. Il l’avait bloquée par mer avec une flotte, tandis que du côté du continent il la cernait avec une nombreuse armée, l’environnant ainsi de tous côtés. Il éleva des tours en bois, dressa des catapultes et des balistes pour battre les murailles. Les assiégés eurent à supporter à la fois et la famine et de continuels assauts. Leur position devint si critique qu’ils consentirent à se rendre, et, après avoir obtenu du général Franc le serment d’épargner leur vie, ils lui livrèrent la ville et se retirèrent à Damas. En quelques jours Tyr, le tombeau du Christ, fut évacuée. Le duc s’en retourna avec son armée chez les Francs.[209] CCXLV. Cette même année, le roi de Jérusalem, Baudouin et Josselin, convoquèrent toutes les troupes franques et marchèrent contre Alep. Josselin alla trouver le roi des Arabes, Sadaka (Salê), fils de Doubaïs[210] et gendre d’Ilgazi ; ils firent alliance et amitié ensemble, et le roi des Arabes se joignit avec ses troupes à Josselin. Le petit-fils du sultan Tetousch,[211] ainsi que le sultan de Mélitène, fils de Kilidj Arslan,[212] accoururent aussi. Ces divers contingents formèrent une masse imposante de forces réunies devant Alep. Les habitants, après avoir longtemps et cruellement souffert du manque de vivres et des attaques des assiégeant, envoyèrent à Mossoul demander du secours à Boursouky. Celui-ci réunit des troupes considérables, et, au bout de six mois, arriva en vue d’Alep. Il repoussa les Francs et la ville fut sauvée.[213] Les chrétiens opérèrent leur retraite sans éprouver aucune perte. Le roi des Arabes, en se retirant, vint saccager Mossoul et tout le territoire de Boursouky. Ce dernier, ayant passé quelques jours à Alep, se rendit à Damas, où il fit alliance avec Toghtékïn, émir de cette ville. CCXLVI. Cette même année, Gazi, émir de Sébaste et fils de Danischmend, marcha contre Mélitène. Il attaqua vivement cette ville et lui fit beaucoup de mal. Le siège s’étant prolongé pendant six mois, les habitants furent en proie à une cruelle famine, qui, augmentant chaque jour, les emportait par milliers. Dans la pénurie qui les accablait, ils sortaient des murs et se rendaient au camp des ennemis. Enfin, n’y pouvant plus tenir, ils remirent Mélitène à Gazi ; et la femme de Kilidj Arslan,[214] qui en était la souveraine, se retira à Meschar.[215] CCXLVII. En l’année 574 (18 février 1225 - 17 février
1126), le général perse Boursouky et Toghtékïn se mirent à la tête d’une
armée de 40.000 hommes d’élite, recrutés dans toute la Perse, et avec
lesquels ils avancèrent contre Azaz, forteresse des Francs, et l’attaquèrent
avec vigueur. Boursouky se vantait insolemment de l’emporter d’assaut, et de
fouler aux pieds avec mépris la puissance des chrétiens. Les infidèles
établirent une batterie de douze balistes, et ayant miné deux des murailles
qui flanquaient la forteresse, elles s’écroulèrent. Azaz était en grand
danger, et la garnison avait perdu tout espoir. Cependant le roi de Jérusalem
ayant appris que Boursouky était retourné à Alep, se rendit aussitôt à Antioche,
et, ayant rassemblé les troupes Franques, il fut rejoint par le comte
Josselin, qui accourut en toute hâte, ainsi que par le comte de Tripoli, fils
de Saint-Gilles, et Mahuis, comte de Delouk. L’armée chrétienne se composait
de 1.300 cavaliers Francs, de 500 cavaliers arméniens, et de 4.000
fantassins. Le roi de Jérusalem se porta sur Gouris. A cette nouvelle, le
général perse vint avec un détachement camper auprès d’Alep. Les Francs,
laissant leurs bagages à Gouris, volèrent vers Azaz. Cette cité leur présenta
le spectacle d’un monceau de ruines prêt à tomber entre les mains des infidèles.
Les Perses, poussant alors en avant contre les Francs, les enveloppèrent, et,
les harcelant, les mirent dans un péril extrême, car toute issue pour se
procurer des vivres leur était fermée. Ceux-ci n’attendaient plus que la
mort, et ne conservaient aucun espoir. Les Turcs les défiaient par des
paroles pleines de menace et d’arrogance, et les tenaient cernés de tous
côtés. Puis, avec des cris terribles et comme un aigle qui fond sur une
troupe de colombes, ils se précipitèrent en masse sur eux. Les Francs,
réduits aux abois et frappés de terreur, ne désiraient plus rien que la mort,
et croyaient toucher à leur dernière heure. Tandis qu’ils étaient dans cette
douloureuse perplexité, le roi eut une excellente inspiration. Il dit au
commandant de ses troupes : « Allons, marchons directement vers Athareb, nous
ferons croire aux Turcs que nous prenons la fuite, et ceux d’entre eux qui
sont en embuscade courront après nous ; alors, nous reviendrons sur eux et
nous verrons ce que le Christ fera pour nous. » En même temps, il
prescrivit à la garnison d’Azaz, lorsque les infidèles se grouperaient pour
les poursuivre, de lui en donner le signal, en élevant une colonne de fumée
sur le sommet de Aussitôt le roi ordonna de faire retentir les trompettes pour
donner le signal de la charge, et les chrétiens fondirent, par un mouvement
simultané, sur les infidèles, en invoquant l’aide du Seigneur, et firent les
plus héroïques efforts. Leurs rites fuirent exaucées. Ils repoussèrent avec
fureur les Turcs, les firent passer sous le tranchant du sabre et les dispersèrent
au loin sur la surface de Au bout d’un an, des gens de sa nation, de ceux que l’on nomme Hadji (Hadchi),[219] pénétrèrent dans son palais sous leurs vêtements de pèlerins, et le tuèrent à coups de couteau. Les meurtriers furent massacrés par ses serviteurs, qui firent subir le même sort à tous ceux qu’ils trouvèrent dans la ville portant un pareil costume, au nombre de quatre-vingts. CCXLVIII. Cette même année, le général des Perses, émir de
l’Orient, Ibrahim (Apréhim), fils de Soukman, ainsi que l’émir de Hantzith,
Davoud (Davouth), fils de Soukman, fils d’Artoukh, firent une levée immense
de troupes. Une foule d’autres émirs leur amenèrent des renforts
considérables, et tous ensemble marchèrent contre CCXLIX. Cette année mourut le saint roi de Géorgie, David. On plaça sur le trône après lui Dimitri (Témédrê), son fils, prince belliqueux, rempli de piété, et qui, par ses belles actions, se montra l’émule de son père. Il renvoya les fils de Manoutchê à Ani, après leur avoir fait jurer d’être ses fidèles vassaux, et de lui rester à jamais soumis. Il leur donna cette ville, qui avait beaucoup souffert de la part des Perses, lorsque David mourut. Il leur fit cette cession, parce que d’autres guerres et l’administration de ses États réclamaient des soins dont il était surchargé. Il était né d’une femme arménienne. Les fils de Manoutchê s’engagèrent en outre, par un serment solennel, à laisser les Arméniens en possession de la cathédrale, et à empêcher tout musulman d’y entrer. CCL. En l’année 575 ( CCLI. En l’année 576 ( CCLII. En l’année 577 ( Cette même année vit mourir le sultan de Perse, Mahmoud, fils de Daph’ar ; il eut pour successeur son frère Mélik,[225] le même qui résidait à Kantzag, et qui fut défait par David, roi de Géorgie, et forcé de s’enfuir en Perse. CCLIII. En l’année 585 (16 février 1136 - 15 février 1137) le sultan Mohammed (Mahmad),[226] fils d’Amer Gazi (Khazi), fils de Danischmend[227] vint avec une armée considérable dans la contrée de Marasch. auprès de Kéçoun, et incendia les villages et les couvents. On était à l’époque des vendanges. Il demeura six jours campé devant la ville, mais sans élever des fortifications, ni dresser des machines, ou lancer des flèches. Il restait tranquille, occupé seulement à couper l’eau du fleuve, à ravager les jardins, à faire des incursions çà et là et à recueillir et entasser le butin qu’il enlevait. Cependant les habitants, qui s’attendaient de jour en jour à un assaut, à l’effusion du sang et au triomphe des ennemis, tombèrent dans un tel excès de découragement, qu’une nuit ils abandonnèrent le rempart extérieur. Mais leurs chefs et les prêtres parvinrent à les ranimer à force d’exhortations. Alors, adressant leurs supplications à Dieu, ils résolurent de mourir plutôt que de tomber entre les mains des infidèles et de devenir un objet de raillerie et d’opprobre pour les païens, en se livrant à eux avec leurs familles. La croix à la main, et les bras étendus, ils passaient la nuit entière en prières, chantant À haute voix les louanges de Dieu. Aussi Celui qui est infiniment bon et miséricordieux ne voulut pas nous abandonner, quoique pécheurs, à nos ennemis ; il eut compassion de nous, qui avons été rachetés par le sang de son fils bien-aimé, Jésus-Christ. Il ne commanda pas aux infidèles d’investir et d’attaquer la ville, et le vendredi, qui est le jour de la Passion de notre Sauveur, Kéçoun fut délivrée. L’ennemi brûla Garmnir-Vank’, la chapelle et les cellules des religieux, brisa les croix de bois et de pierre, et s’empara des croix en fer et en bronze ; et, démolissant les autels où s’offrait le pain du saint Sacrifice, en dispersa les débris. Il enleva la porte, où se dessinaient des enroulements admirables, ainsi que d’autres objets, et les emporta dans son pays pour les montrer à ses concubines et à la populace, comme fit autrefois le Babylonien.[228] C’est ainsi qu’il donna lieu à l’accomplissement de ces paroles : « J’ai abandonné la fille de Sion, comme une tente au milieu des vignes, ou comme la cabane de ceux qui gardent les fruits,[229] ou bien comme une tourterelle plaintive restée seule après avoir été délaissée par sa compagne, ou comme le corbeau à l’aspect hideux qui plane sur des cadavres. Mohammed battit subitement en retraite, un vendredi, comme nous l’avons dit plus haut, en apprenant que l’empereur des Romains[230] accourait au secours de Kéçoun assiégée et de notre comte Baudouin,[231] qui l’en suppliait à genoux. Déjà l’empereur approchait d’Antioche, ravageant les pays musulmans (Dadjgasdan).[232] Après avoir dépouillé notre prince Léon de sa souveraineté, il se rendit maître de ses villes, de ses forteresses, et s’étant assuré de sa personne, l’emmena dans la contrée des Grecs, de l’autre côté de la mer, sur les limites de l’Asie.[233] |
[1] Un de nos mss. porte : « en 500 », un
autre : « en 551 ». Ces deux dates ont été altérées. Matthieu ayant
commencé son récit en 401, atteint ici la 150e année, comme il le
dit lui-même.
[2] Nicolas IV, surnommé Muzalon, qui siégea
de 1097 à 1151.
[3] Jean, patriarche grec d’Antioche, monta sur le
siège en 1090. En 1098, cette ville ayant été prise par le Croisés, ils
nommèrent pour patriarche latin, Bernard Valentin (de Valence, RHC),
évêque d’Arles (Arta, en Epire - Chronique), qui avait suivi à la croisade
l’évêque du Puy, Adhémar, en qualité de chapelain. (Guill. de Tyr, VI, xxiii.)
Siméon monta sur le siège en 1088. Au bout de deux ans, Jean abdiqua, et se
retira à Constantinople.
[4] Siméon monta sur le siège en 1088. Lors de la
prise de Jérusalem par les Croisés, le patriarcat de cette ville fut donné à
Daimbert, ou Dagobert, archevêque de Pise.
[5] C’est l’ère mondaine de Constantinople, qui
compte 5508 ans écoulés, le 1er septembre de l’année qui précède l’ouverture
de l’ère chrétienne. L’année 6610 équivaut à
[6] Il faudrait lire 35, puisque nous sommes en 550
E. A., et que Matthieu termine sa chronique en 585.
[7] L’auteur emploie Indifféremment, en parlant de
lui-même, la première personne du singulier ou du pluriel. Nous avons conservé
scrupuleusement ces formes de style, quoiqu’elles puissent paraître quelquefois
dissonantes.
[8] Il faut lire de 48 ans, puisque la seconde
partie de l’histoire de Matthieu commence en 502 E. A.
[9] Le comte de Toulouse s’était rendu, en 1099,
comme nous l’avons vu, à Constantinople, auprès de l’empereur Alexis. Notre
chroniqueur est d’accord avec Guillaume de Tyr (IX, 13) sur l’époque de ce voyage.
D’après Anne Comnène (liv. XI), ce ne fut qu’après la mort de Godefroy et
pendant la vacance du trône de Jérusalem (1100), que Saint-Gilles alla à
Constantinople : et cette opinion a été suivie par le moderne éditeur de l’Histoire
de Languedoc, de dom Vaissete, M. Al. du Mège (additions et notes du liv.
XV, t. III). Ce savant me paraît avoir soutenu avec raison contre l’auteur de l’Histoire
des Croisades, Michaud, que l’empereur Alexis ne donna pas la ville de
Laodicée à Raymond. Anne Comnène, qui, mieux que personne, aurait pu être
instruite de ce fait, non seulement n’en dit pas un mot, mais elle nous fournit
la preuve du contraire en rapportant une lettre de son père Alexis à Bohémond,
écrite après la mort de Saint-Gilles, et dans laquelle l’empereur réclame au
prince de Tarente Laodicée, que celui-ci retenait encore, au mépris du serment
qu’il avait fait avec les autres chefs de la croisade, de rendre à Alexis les
places qu’ils enlèveraient aux infidèles, et qui avaient appartenu à l’empire.
Guillaume de Tyr. en racontant le voyage de Raymond à Constantinople (ibid., et
X, 12), dit que ce prince passa à Laodicée en Syrie, où il laissa sa femme et
sa famille ; qu’il fut parfaitement accueilli à la cour d’Alexis, et qu’après
cela il revint en Syrie. Mais nulle part il ne donne à entendre que l’empereur
eût fait don de Laodicée au comte de Toulouse. Il y a plus, il affirme
positivement que Laodicée était au pouvoir des Grecs, lorsque Tancrède s’empara
de cette ville. Enfin, l’historien arabe Ibn Khaldoun, en parlant de la mort de
Raymond, survenue pendant qu’il faisait le siège de Tripoli, nous dit que l’empereur
des Grecs avait défendu aux habitants de Laodicée d’apporter par mer des vivres
aux Francs occupés à ce siège. Voir Ibn Khaldoun,
Narratio de expeditionibus
Francorum in terras islamismo subjectas, éd. C. J. Tornberg,
Upsaliae, in
4°, 1840.
[10] Chronique : Albert d’Aix raconte que
Raymond gagna d’abord le château de Pulveral, ensuite Sinope, puis
Constantinople. Suivant le même auteur, le comte de Toulouse fut retenu
prisonnier par Bernard l’Etranger (Extraneus), au port Saint-Siméon, et remis ensuite entre les mains de
Tancrède, qui le garda en prison à Antioche. Il recouvra plus tard la liberté à
la sollicitation des autres chefs de la croisade, qui lui confièrent la défense
de Tortose, dont ils venaient de s’emparer. Guill. de Tyr, X, 18 et 19.
RHC : J’ai déjà fait observer l’erreur de Matthieu
relativement au prétendu voyage de Raymond en Europe. Il y a encore dans ce qu’il
dit au sujet du lieu où Saint-Gilles fut défait dans l’Asie Mineure et des
aventures qui lui arrivèrent après cet échec, quelques inexactitudes qu’Anne
Comnène, Albert d’Aix et Guillaume de Tyr nous permettent de rectifier. Après
avoir laissé à Laodicée sa femme et sa famille, il se rendit à Constantinople
pour demander du secours à Alexis, afin de retourner en Syrie et d’y conquérir
quelques villes ; car il voulait, dit Guillaume de Tyr, consacrer le reste de
sa vie à la croisade et ne plus revenir dans sa patrie. Il resta deux ans
auprès de l’empereur, qui le combla d’honneurs et de bienfaits. Sur ces
entrefaites arriva une armée de croisés de la Lombardie, conduite par Anselme,
évêque de Milan ; Albert, comte de Blandraz ; son frère Guy, Hugues de Montbel
et autres seigneurs italiens. Ils commirent toutes sortes de déprédations sur
les terres de l’empire et dans Constantinople même, et Alexis eut la plus
grande peine a leur faire passer le détroit de Saint Georges. Arrivés à
Nicomédie, aux approches de la Pentecôte (1er juin 1101), ils furent
rejoints par Conrad, connétable de l’empire germanique, à la tête de deux mille
chevaliers teutoniques, Etienne, comte de Blnis, et Etienne, duc de Bourgogne ;
ils formaient une armée de deux cent soixante mille hommes. Alexis leur avait
donné pour guide Saint-Gilles avec cinq cents cavaliers turcopoles. Le comte de
Blois et Raymond leur conseillèrent prudemment de suivre la route qu’avaient
tenue Godefroy et la grande armée : mais les Lombards, confiants en leur nombre
et pleins, de présomption, déclarèrent qu’ils voulaient marcher vers le Corrozan,
et aller délivrer Bohémond, ou détruire de fond en comble la ville de Baldach
(Bagdad). Ils tournèrent donc vers la Paphlagonie, précèdes de Raymond, qui ne
voulut pas les abandonner ; et de ses turcopoles. Mais ils furent battus auprès
de la ville de Marasch, entre Constamnes
(Kastamouni) et Sinope. Le comte de Toulouse, voyant la partie perdue, s’enfuit
du camp pendant la nuit avec ses Provençaux et les Turcopoles, à travers les
montagnes, abandonnant les croisés. Il atteignit le château de Pulveral, qui
appartenait à l’empereur, puis Sinope, et s’embarqua le lendemain pour
Constantinople. A peine l’armée se fut-elle aperçue de son départ, que, saisie
de frayeur, elle prit la fuite vers Sinope, don elle gagna Constantinople.
Alexis, irrité de la défection du comte de Toulouse, lui en fit des reproches ;
mais son mécontentement céda aux explications que lui donna Raymond. Il le
traita parfaitement, ainsi que les autres chefs, leur donna de l’or, de l’argent,
des chevaux, des mulets et des vêtements, en compensation de ce qu’ils avaient
perdu, et les retint pendant l’automne et l’hiver, fournissant largement à tous
leurs besoins. Albert d’Aix rapporte que le bruit avait couru que Raymond,
séduit par les présents et les vivres que lui fournissaient les Turcs, et se
conformant aux instructions secrètes de l’empereur avait égaré les croisés dans
l’Asie Mineure et causé leur perte ; mais un peu plus loin il le justifie
complètement. D’ailleurs le grave et savant archevêque de Tyr affirme que ce
furent leurs désordres et leur désunion qui occasionnèrent leur défaite. En
outre, Anne Comnène en rapportant les mêmes événements, dit positivement que l’année
ayant été mise en déroute par les Turcs, Saint-Gilles, qui n’avait conservé
avec lui qu’une poignée de cavaliers, fut forcé de se sauver. D’après le
témoignage de la fille d’Alexis, c’est sur les limites du
Thema Paphlagonum et du
Thema Armeniacum que cette défaite eut lieu. Le nombre de cent
mille morts énoncé par Matthieu est certainement exagéré ; Guillaume de Tyr n’en
compte que cinquante mille. Au commencement de mars de l’année suivante, .les
chefs qui avaient échappé au désastre de Maresch passèrent par mer à Antioche.
Lorsqu’ils abordèrent au port Saint Siméon, un certain Bernard l’Étranger,
Bernardus Extraneus, qui possédait la ville de Longinach
auprès de Tursolt (Tarse), prévenu contre Raymond, par les bruits qui avaient
couru sur le compte du prince toulousain, le saisit et le livra à Tancrède, qui
le fit mettre en prison à Antioche ; mais, grâce à l’intervention des chefs les
plus influents, il recouvra la liberté, sous la condition qu’il ne tenterait
aucune entreprise contre le territoire qui s’étend depuis Acre jusqu’à
Antioche. Connaissant sa valeur et sa prudence, ils lui confièrent la défense
de Tortose, dont ils venaient de s’emparer, d’après ses conseils.
[11] Dans l’un des manuscrits de la bibliothèque du
couvent de Saint-Lazare, à Venise, on lit
Sarouantoui. Ce doit être la forteresse dont le nom est écrit
ordinairement Sarouantik’ar (le rocher de
Sarouant), en Turc Serfendkiar, à la distance d’une journée de marche et
au sud-ouest d’Anazarbe ; elle est située au sommet d’un rocher. Dans le
voisinage, et au sud, coule le fleuve Djeyhân. — Indjidji, Arm. mod., et
Hadji-Khalfa, Djihan-Numa, de la traduction française manuscrite,
conservée à la Bibliothèque impériale de Paris.
[12] Le Château Pèlerin, que Raymond de Saint-Gilles
fit bâtir sur une colline près de Tripoli, et que Raymond lui donna le nom de
Mont Pèlerin, parce que ce furent des croisés venus pour visiter les Saints
Lieux qui le bâtirent en 1103. Les Arabes appelaient ce château Hisn-Sendjil,
le château de Saint-Gilles. — Cf. Aboulféda,
Ann. t. III, et Guill. de Tyr, X, 17.
[13] Chron. :Il y a dans le texte Bédévin.
On trouve ce mot écrit sous la même forme dans un état des redevances qui
appartenaient à l’église du Saint-Sépulcre. Cf. Cartulaire de l’Eglise du Saint
Sépulcre de Jérusalem, publié par M. E. de Rozière, Paris, in 4°, 1849.
Matthieu veut parler
de Guillaume IX, comte de Poitiers. lly eut à cette époque (1101-1102), à ce qu’il
parait, trois expéditions différentes des Francs, pour la Terre-Sainte, et qui,
parties d’Europe, vinrent échouer complètement dans les plaines de l’Asie Mineure.
La première, celle des Croisés lombards, auxquels s’étaient joints le
connétable Conrad avec deux mille guerriers allemands, le comte de Chartres,
les évêques de Laon et de Soissons, et où figura le comte de Toulouse, fut
anéantie par les Turcs, dans les environs de Nicée, suivant notre chroniqueur.
La seconde année, conduite par les comtes de Nevers et de Bourges, fut écrasée
dans la Galatie, près de Stancon. Le troisième corps, commandé par Guillaume
IX, comte de Poitiers, auquel s’étaient réunis Wolf, duc de Bavière, et la
margrave d’Autriche, Ida, fut exterminé dans la Lycaonie, sur les bords du
fleuve Halys. Matthieu ne mentionne que deux de ces expéditions, la première et
la troisième.
RHC : Guillaume de Nevers, parti avec quinze mille
hommes de cavalerie et d’infanterie, aborda à Civitolyprès de Nicomédie, vers
la fin de juin (post Beati.Ioannis Baptistae nativitatem). Laissant la route suivie par Godefroy et Bohémond, il arriva en
deux jours à Ancras (Ancyre), place qui avait été prise précédemment par les
Lombards ; puis, tandis que ceux-ci continuaient leur marche à gauche vers la
Paphlagonie, les nouveaux venus tournèrent a droite, et, tirant vers le sud,
parvinrent à Stancon et ensuite à Reclei (Héraclée, dans la Lycaonie). C’est
dans ce lieu que les Turcs, réunis sous le commandement de Soliman (Kilidj
Arslan) et de Donisman (Danischmend, émir de Cappadoce), les exterminèrent. Le
comte de Nevers, son frère Robert, et Guillaume de Nonanta s’enfuirent avec
tous leurs cavaliers à Germanicopla (Germanicopolis, dans l’Isaurie). Là, se
confiant à douze Turcopoles, qui avaient la garde de cette place pour l’empereur,
et qu’ils avaient soudoyés, ils partirent pour Antioche ; mais en chemin ils
furent dépouillés par leurs conducteurs et laissés nus et à pied au milieu d’un
désert. Le comte continua son voyage, déguise sous des haillons, et, après
mille traverses, atteignit Antioche, où Tancrède, par sa réception, s’efforça
de lui faire oublier les malheurs qu’il avait éprouvés.
A Guillaume de Poitiers,
s’étaient joints Guelfe IV, duc de Bavière, le comte de Vermandois, l’évêque de
Clermont, et Ida, margrave d’Autriche. Cette expédition comptait plus de cent
soixante mille pèlerins, combattants ou femmes. Elle traversa le détroit de
Saint-Georges, au temps de la moisson, et, après s’être arrêtée à Nicomédie,
parvint à Stancon ; de là à Phiniminum (Philomelim) et Salamia, que l’armée
détruisit. Ayant fait halte à Reclei, au bord d’un torrent où les croisés
élanchèrent leur soif, ils furent mis en déroute et écrasés par Soliman,
Donisman, Carati et Agunich. Le duc Guelfe, après avoir abandonné sa cuirasse
et tout ce qu’il possédait, s’enfuit à travers les montagnes. L’évêque de Clermont
se sauva aussi avec peine ; mais
L’itinéraire de
Guillaume de Nevers et de Guillaume de Poitiers dans l’Asie Mineure, tel qu’il
est retracé par Albert d’Aix, présente des difficultés qui sont loin encore d’avoir
été éclaircies, mais dont je n’essayerai point ici de chercher l’explication,
pour ne pas sortis du cadre, dans lequel je dois me circonscrire.
[14] C’est-à-dire commandant, préfet ou gouverneur.
[15] RHC : La contrée de Kamir est le nom que
les Arméniens donnent à la Cappadoce, et qu’ils font dériver de Gomer (Kamer),
fils de Japhet. Ils comprennent souvent, sous cette dénomination, la plus
grande partie de l’Asie Mineure. (Cf. Moïse de Khoren. II, et Vartan,
Géographie, apud Saint-Martin, Mémoires
sur l’Arménie, t. II).
[16] Cette description des solitudes que parcourut l’armée
du comte de Poitiers rappelle les vastes et arides plaines de la Lycaonie, et
les lacs de cette partie de l’Asie Mineure, aux eaux saumâtres et saturées de
sulfate de soude et de magnésie. (Cf. Asie Mineure, de M. Pierre de
Tchihatcheff, 1re partie Géographie physique comparée, chap.
iii).
[17] C’est la troisième armée franque dont Matthieu
veut parler, celle qui était sous les ordres de Guillaume de Poitiers ; elle
pénétra sur le continent asiatique par la province de Nicomédie.
[18] Aulos, en grec, vallon, ravin.
— Il faut chercher la position de la plaine d’Aulos aux environs de Reclei ou
Héraclée, dans
[19] Ce combat eut lieu aux environs de Ramis. Les
Egyptiens étaient commandés par le fils du vizir El Mélik el-Afdhal, Schéref el
Mé’âli Ibn Alathir, ad annum
496 ; Schems el- Mé’âli, dans Ibn Djouzi).
[20] Dêlouk, château fort de la Comagène, situé non
loin d’Aïn-tab, sur la croupe d’une chaîne de montagnes qui, en se détachant de
l’Amanus, se prolonge vers l’Euphrate.
Tulupa de Guillaume de Tyr.
[21] Le mot Sandzavel parait être une
corruption des deux vieux mots français, Sens avehor ou Sans aveir,
qui formaient le surnom de tous ceux qui, n’ayant pas de fief, étaient
considérés comme sans avoir dans le système féodal. Ce surnom était aussi celui
de Gauthier, qui guidait l’avant-garde de l’armée de Pierre l’Hermite.
[22] Déjà Mélik el Afdhal avait envoyé en Syrie Saïd
eddaula el-Thouci, mamelouk de son père, qui ren contra les Francs entre Ramla
et Jaffa ; il fut battu, et dans sa fuite, son cheval s’étant abattu, il fut
tué. Alors Afdhal fit partir son fils, Schéref ei-Mé’àli à la tête d’une
nombreuse armée, qui attaqua les Francs près d’Yazour, au nord-ouest de
Rarnla.. Cette fois les chrétiens eurent le dessous. Dans cette bataille
périrent Etienne, comte de Blois, et Etienne duc de Bourgogne. Quelques
circonstances du récit de Matthieu sont entachées d’erreur ; Baudouin, d’Anne
Comnène, après la bataille, ne se dirigea point vers Baalbek ni Jérusalem ; il
se réfugia à Ramla, où les infidèles vinrent l’assiéger. Il était dans le plus
grand danger et dans une anxiété extrême, lorsqu’un émir musulman, dont il
avait sauvé la femme du déshonneur et de la mort, vint lui proposer de le conduire
secrètement hors des murs. Sous la protection de ce guide fidèle, il gagna les
montagnes, et de là, à travers les embûches des ennemis, la ville d’Arsur, d’où
il passa par mer à Joppé. Son retour inattendu répandit la joie la plus vive
parmi les chrétiens. (Guillaume de Tyr, X, xx-xxii).
[23] La mémoire de la résurrection de Lazare est fixée
dans l’Eglise arménienne au samedi qui précède le dimanche des Rameaux. — Ce
chapitre est rapporté tout entier dans mes Recherches sur la chronologie
arménienne (t. Ier, 1re part.) J’y ai expliqué le
comput particulier d’Irion, et en quoi il diffère de celui que suivaient les
Arméniens.
[24] C’est-à-dire la période pascale de 532 ans, qui
est formée du cycle solaire de 28 ans multiplié par le cycle lunaire de 19 ans.
Après chacune de ses révolutions, les dates de la Pâque reviennent dans le même
ordre qu’auparavant, aux mêmes quantièmes mensuels et aux mêmes fériés. C’est
la période connue en Occident sous le nom de Victorienne ou Dionysienne.
[25] Matthieu d’Édesse prétend que les chrétiens qui
furent massacrés dans l’église de la Résurrection étaient au nombre de dix
mille, et que leurs ossements se voyaient
encore, de son temps, conservés dans une caverne à l’occident de Jérusalem, et
étaient vénérés sous la dénomination de Reliques des jeunes gens.
[26] La Chronique de Matthieu d’Édesse est
effectivement divisée en trois parties, dont la première s’étend depuis 952
jusqu’en 1051 : la seconde jusqu’en 1161, et la troisième jusqu’en 1136.
[27] Le patriarche Grégoire Vahram fait allusion
principalement par ces dernières paroles, avec la réserve que lui prescrivaient
son caractère sacerdotal et sa haute position comme catholicos, aux Francs, qui
occupaient le comté d’Édesse, le nord de la Comagène et la partie orientale de
la Cilicie, pays peuplés d’Arméniens. Il rappelle en termes indirects, dans sa
lettre, les accusations dirigées par les Grecs contre la croyance arménienne,
et celles aussi auxquelles elle donnait lieu de la part des Latins.
[28] Dans mes Recherches sur la Chronologie
arménienne, j’ai retracé l’histoire de ces contestations souvent sanglantes
auxquelles donna lieu le comput pascal entre les Arméniens et les Grecs ; elles
se reproduisirent encore en 1728.
[29] Chron. : C’est le combat livré auprès de
Jaffa, et dans lequel les Sarrasins, qui étaient venus pour attaquer cette
ville, furent défaits par Baudouin. La flotte qui débarqua en ce moment, et qui
décida la victoire, comptait deux cents navires montés par des pèlerins parmi
lesquels étaient d’illustres guerriers venus d’Angleterre et de Germanie.
(Michaud, Hist. des Croisades, I. V.) — Par ces mots, le roi d’Egypte
et celui de Damas, Matthieu désigne Schéref el-Mé’âli et Toghtékïn.
RHC : Baudouin, parvenu à Joppé, ne tarda pas à y
être assiégé par les musulmans ; mais bientôt arrivèrent devant le port de
cette ville deux cents navires montas par des pèlerins anglais et allemands.
Les vaisseaux des musulmans, qui la bloquaient, les attaquèrent et furent
repoussés ; ce combat fut livré un mardi du mois de juillet 1102. Les croisés
purent ainsi entrer dans la ville, et trois jours après ils firent une sortie,
avec Baudouin à leur tête, et mirent en fuite les musulmans, dont une partie se
réfugia dans Ascalon, et l’autre, qui crut pouvoir échapper sur mer, fut
engloutie par
[30] Baudouin partit de Jérusalem pour aller assiéger
Ptolémaïs ; mais, n’ayant point de flotte, il fut oblige d’abandonner son entreprise,
après avoir tué quelques habitants et enlevé des troupeaux et du butin. Voulant
revenir par Césarée, il rencontra des brigands à Pierre-Incise (Petra Incisa) dans le lieu appelé Distrutam, auprès de Tyr,
entre Capharnaüm et Dora ; les uns furent tués, les autres mis en fuite ; mais
l’un d’eux atteignit par hasard le roi d’un trait dans la région du cœur. L’art
des médecins conserva la vie à Baudouin ; mais cette blessure lui causa jusqu’à
sa mort de cruelles souffrances (Guillaume de Tyr, X, xxvi).
[31] L’explication de l’expression Petite Semaine
ne nous étant fournie par aucun auteur, nous allons essayer d’en déterminer
Cette inondation n’est
pas la seule qu’ait produite
[32] Vartan dit, comme Matthieu, que la rançon de Bohémond
fut de 100.000 tahégans, et que Kogh-Vasil y contribua pour 10.000. On lit dans
Raoul de Caen (Gesta Tancredi, apud Muratori, Rerum italicarum scriptores, t. V, p. 286).
Boamundus revertitur decem
myriadibus michelatorum vix redemptus. Les Chroniqueurs arabes portent cette rançon à
100.000 dinars, et ajoutent que Bohémond s’engagea à remettre en liberté la
fille de Bàghi-Siân, qui était retenue captive à Antioche. D’après Albert d’Aix
(IX, xxxiii-xxxviii), l’empereur Alexis offrit à
Danischmend, qui avait en son pouvoir le prince d’Antioche, une somme de
260.000 besants pour le racheter ; il espérait, en se rendant maître de sa
personne, se délivrer des craintes que Bohémond lui inspirait. Mais Soliman
(Kilidj Arslan), apprenant cette proposition, écrivit à Danischmend pour fui
réclamer la moitié de la rançon : Danischmend, qui désirait garder le tout,
demanda conseil à Bohémond, dont il connaissait l’habileté et l’esprit fertile
en expédients. Celui-ci lui offrit 10.000 besants, que fourniraient ses amis et
ses parents, en échange de sa liberté. Le prince turcoman accepta. et la somme
convenue fut bientôt réunie, tant à Antioche qu’à Édesse et en Sicile. Bohémond
revint à Antioche l’année de la prise de Ptolémaïs.
[33] C’est-à-dire Basile le Voleur : on lui
avait donné ce surnom parce qu’il tombait toujours à l’improviste sur l’ennemi.
Il faisait sa résidence à Kéçoun, ville de la Comagène, au nord-est de Marasch
; il possédait en 1112, à sa mort, tout le district de Hisn Mansour, qu’il
avait enlevé aux Francs. Il avait reçu de l’empereur Alexis le titre de
sébaste. Sa cour était le séjour de tout ce que l’Arménie avait alors de chefs
illustres, et le siège patriarcal avait été transféré dans ses Etats. (Cf.
chap. lx.) Il était le frère de Pakrad, ou Pancrace, seigneur d’Arévêntan.
Albert d’Aix l’appelle Corouassilius,
Guillaume de Tyr Covasilius.
[34] Ces deux mots sont plutôt un titre qu’un nom
propre ; oulough en Turc signifie grand,
magnifique, et salar,
comme nous l’avons vu déjà, général d’armée. — On lit dans un de nos
mss. Sarkh-salar. — Cet émir était sans doute un des officiers du prince
Ortokide Nedjm ed-din Ilgazi, qui d’abord avait été gouverneur de Bagdad pour
les sultans seldjoukides de Perse, et qui, après la mort de son frère Soukman,
occupa Mardin. Ilgazi devint un des princes les plus puissants de la Syrie
(1117) et soutint de nombreux combats contre les Croisés. Il mourut dans le
mois de ramadan 516 hég. = novembre 1122, suivant Abou’l Méhacen, Ibn Alathir,
Aboulféda et Ibn Djouzi, date qui se rapporte à celle donnée par Matthieu. Ibn
Djouzi ajoute que d’autres fixaient la mort d’Ilgazi en 515 hég. (1121 - 1122)
; et qui s’accorderait avec l’époque marquée par Guillaume de Tyr (XII, 14),
qui indique l’année 1121 de l’incarnation. — En 511 de l’hégire (1117 - 1118),
les habitants d’Alep, fatigués des perturbations qu’occasionnait dans le
gouvernement la minorité de Sultan Schah, fils de Radhouân, tour à tour livré à
des tuteurs (atabeks) différents, et craignant les Francs, remirent leur ville
à Ilgazi, qui en confia la défense à son fils Houçam ed-din Timourtasch.
(Aboulféda, Ann. t. III).
[35] Jean V, dans la liste de Schahkhathouni.
[36] Schems eddaula Djekermisch, émir de Djézireh Ibn ‘Omar,
avait succédé en 495 hég. (
[37] Les habitants de Khar’an, pressés par la famine,
vinrent au camp des croisés faire leur soumission. Une contestation s’éleva
alors entre Bohémond et Baudouin, pour décider auquel des deux se rendrait la
ville, et quel étendard y flotterait le premier. Ils résolurent de retarder au
lendemain pour avoir le temps de vider leur différend. Mais avant l’aurore
arrivèrent en nombre considérable les Turcs, qui, après un court engagement,
mirent en déroute les chrétiens. Baudouin et Josselin furent faits prisonniers,
ainsi que Benoît, archevêque latin d’Édesse, qui, avec Bernard, patriarche d’Antioche,
et Humbert, patriarche de Jérusalem, avait accompagné l’expédition. Les Turcs
le mirent sous la garde d’un chrétien, qui eut pitié de lui et le laissa s’échapper,
l’archevêque rentra quelques jours après à Édesse. Guill. de Tyr. X, xxiv et
xxx.) Soukman et Djekermisch, qui avaient réuni leurs forces, comptaient sous
leurs ordres : le premier, sept mille cavaliers Turcomans ; et le second, trois
mille cavaliers Turcs, arabes ou kurdes. Ils rencontrèrent les chrétiens sur
les bords de
[38] C’est-à-dire château de Keïfa, bourg sur
la rive orientale du Tigre, au sud d’Amid. Indjidji (Arm. mod.) pense
que c’est peut-être l’ancienne forteresse de Kentzi, dans
[39] Ce récit sur le voyage et la fin de Bohémond en
Europe est évidemment apocryphe. Ce récit du voyage et de la fin de Bohémond en
Europe est évidemment un roman qui avait cours parmi les populations orientales
et que Matthieu a reproduit. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce prince, se
voyant à bout de ressources et dans l’impossibilité de résister aux Grecs et
aux musulmans, imagina, pour sortir d’embarras, un stratagème dont les détails
singuliers sont racontés par Anne Comnène (liv.
XI, in fine ; cf. Guillaume
de Tyr, XI, i et vi). Il se fit
passer pour mort et se renferma dans un cercueil qui fut placé, avec un grand
appareil funèbre, sur un navire tendu de noir. Il sortit ainsi sans accident du
port Saint-Siméon. Lorsque le navire fut parvenu à Korypho (Corfou) Bohémond
ressuscita tout à coup et apparut aux regards étonnés des habitants qui étaient
accourus. Il se rendit à Rome, où le pape l’accueillit comme un héros et un
martyr, et ensuite à la cour de Philippe Ier, roi de France, qui le
traita magnifiquement et lui donna en mariage sa fille Constance, épouse
séparée d’Hugues, comte de Champagne. Ayant réussi à rassembler une armée, dans
le but avoué d’aller au secours des Saints-Lieux, il se jeta sur les terres de
l’empire grec et attaqua la ville de Dyrrachium (Durazzo), en Illyrie. Mais il
échoua et se retira dans sa petite principauté de Tarente où il mourut au
commencement de mars 1111, ne laissant qu’un fils encore enfant, qui plus tard
lui succéda en Palestine. Il avait eu un autre fils nommé Jean, mort en bas
âge. —Voir Romuald de Salerne, apud
Muratori, Rerum italicarum scriptores,
t. VIII. Cf. Guill. de Tyr, XI, 1 et 6.
[40] Mohammed ou Ismaël-ibn-el Danischmend mourut,
suivant Aboulfaradj (Chron. syr.), en 1417 des Grecs = 1106 ère chr.
[41] Voir la généalogie des princes Turcomans de
Cappadoce, à la fin du volume.
[42] Ainsi que l’a fait observer Silvestre de Sacy (Notices
et extraits des manuscrits, t. IX), Daph’ar est très probablement le nom
turc d’Abou Schodja Mohammed Ghiâth ed-din, frère et successeur de Barkiarok.
Anne Comnène le fait fils de Barkiarok. Du Cange, dans ses Notes sur l’Alexiade,
s’est également mépris sur l’identité de ce prince, en le confondant avec son
père Mélik Schah.
[43] Suivant Matthieu d’Édesse (t. Ier de
la Bibl. hist. arm. chap. cxxxix),
la femme de Mélik Schah, Turcan Khatoun, était fille du sultan de Samarcande,
de la rare des Tartares du kiptchak. D’après Hamdallah Mustaufy (Tarikh i
Guzideh, apud M. Defrémery, Journ. asiat.). elle était fille
de Thogmadj khan, fils de Boghra khan, fils de Nasr, fils d’Ilek khan, fils de
Boghra khan l’Ancien, souverains de la race des Tartares Hoei-ke, dans le
Mâwarâ-el-Nahar.
[44] Il existe sur la mort de Mélik Schah une autre
version, que nous fournit Aboulfaradj (Chron. syr.). Il dit qu’en l’année
485 hég. (1093) un différend s’éleva entre Mélik Schah et le khalife. Celui-ci
avait épousé la fille du sultan ; Mélik Schah voulait que le fils qui naîtrait
de cette union fût déclaré khalife et successeur de ce dernier. Sur le refus de
son gendre, le sultan lui envoya dire de sortir de Bagdad. Le khalife répondit
: « Je ferai ce que tu m’ordonnes ; mais laisse-moi dix jours seulement
pour faire mes préparatifs de départ. » Le septième jour, le sultan fut
pris d’une fièvre ardente à laquelle il succomba. Le bruit courut qu’un esclave
kurde l’avait empoisonné. Après sa mort, sa femme Turcan Khatoun, qui était d’une
prudence consommée, prit les rênes de l’administration, et le fils de Mélik
Schah, Mahmoud, âgé seulement de cinq ans, fut proclamé sultan à Bagdad.
[45] Thoros Ier est le troisième des
princes roupéniens de Cilicie, et le successeur de Constantin Ier.
Il régna de 1100 à 1129.
[46] Moïse de Khoren et David le Philosophe, surnommé l’Invincible,
auteurs du Ve siècle ; le premier, célèbre surtout par son Histoire
d’Arménie, écrite avec une grande érudition et une admirable élégance de
style ; le second, par ses travaux sur Aristote. Les Arméniens les comprennent
dans cette pléiade d’écrivains et de savants que produisit leur pays au ve siècle, et qui s’appliquèrent
à faire passer dans leur langue les chefs-d’œuvre de la littérature grecque.
Comme un de leurs travaux les plus estimés est la traduction de la Bible sur le
texte des Septante, ils sont désignés et honorés dans l’Église arménienne sous
le titre de saints traducteurs.
[47] Grégoire III, dit le Bahlavouni, c’est-à-dire
issu de la race royale des Arsacides, était fils du prince Abirad, fils d’une
sœur de Grégoire II. C’est lui qui acheta à la veuve et au fils de Josselin le
jeune la forteresse de Hr’om-gla’. où il établit la résidence patriarcale, et
qu’il transmit à ses successeurs. Il occupa le siège de 1113 à 1166. Il assista
au concile que tint à Jérusalem le légat du pape, Albéric, évêque d’Ostie, en
1136, le troisième jour après Pâques, 25 mars, quelques points de dogme, controversés
entre les Arméniens et les Latins y furent discutés et réglés, et le catholicos
promit d’opérer plusieurs réformes dans le rite et la discipline, (Guillaume de
Tyr, XV, xviii. Cf. mon ouvrage intitulé : Histoire, dogmes, traditions et
liturgie de l’Eglise arménienne orientale)
[48] Le 12 juin. — Cf. mes Recherches sur la
chronologie arménienne. —On peut consulter le même ouvrage pour la
discussion des quantièmes mensuels dont la concordance est donnée dans la suite
de la chronique du Matthieu.
[49] Mogk’, l’une des quinze provinces de
[50] Kharsina. Suivant le dictionnaire des noms
ethniques arabes, intitulé Lobb el-lobâb (éd. Veth). C’était une localité de
Syrie ; l’auteur du Merâcid el-itthila dit que c’était une ville du pays
de Kouni, dans le voisinage de Mélitène. D’après Aboulfaradj (Chron. syr.),
elle était située près du château d’Abdabar non loin de l’Euphrate et ce
chroniqueur en montre clairement la position, lorsqu’il nous apprend qu’une partie
de la montagne voisine, s’étant écroulée dans là vallée qui est entre le
château d’Abdabar et la ville de Kharschéna, arrêta le cours de l’Euphrate
pendant trois heures. On fit dans Assetnani (Bibliotheca orientalis, t. II,
Dissertatio de Monophysitis) : « Urbs Cyrrhesticae » apud Mabugum (Menbêdj)
seu Hierapolim, armenis
Cilicia régibus subjecta. »
Toutes ces indications, rapprochées de celles que fournit Matthieu, qui place
Kharsina dans le voisinage du territoire de Marasch, fixent la position de
cette ville dans la partie de la Syrie appelée Euphratèse, vers le nord. Il
paraît donc certain que notre Kharsina ou Kharschéna ne saurait être
identifiée, comme on a voulu l’établir, avec une localité aussi éloignée que le
Charsianum
castrum. En effet, le Thema Charsianum, où s’élevait le château fort du même nom, était
traversé par le fleuve Halys et formait le centre de là Cappadoce, en y
comprenant Césarée. C’était l’une des trois divisions que la Cappadoce avait reçues
sous Justinien ou l’un de ses successeurs immédiats (Cf. Constantin Porphyrogénète,
De
Thematibus, lib. I, et
De admin. imper, cap. l),
et elle était séparée de l’Euphrate par le
Thema Sebastea. Je n’ai point à m’occuper ici de savoir si
quelquefois les auteurs arabes ont confondu la Kharsina de l’Euphratèse avec le
Charsianum castrum
de la Cappadoce, en prolongeant le territoire du
Thema Charsianum jusqu’à l’Euphrate ; il me suffit d’avoir prouvé
par les passages que j’ai rassemblés et notamment par ceux de Matthieu d’Édesse
et d’Aboulfaradj, dont l’autorité est sur ce point d’autant plus grande qu’ils
vivaient dans des pays voisins de la localité susmentionnée, que cette localité
était située sur la rive orientale de l’Euphrate.
[51] La mort de Raymond de Saint Gilles arriva le
[52] C’est-à-dire le Château Pèlerin.
[53] Matthieu se trompe : Bertrand était fils de
Raymond de Saint-Gilles. Son erreur vient de ce qu’il a confondu Bertrand avec
le petit-cousin de Raymond, Guillaume Jourdain, comte de Cerdagne, qui prenait
part avec ce dernier au siège de Tripoli, et qui, après sa mort, le continua
pendant quatre ans. Au bout de ce temps, Bertrand arriva en Palestine avec une
flotte génoise pour réclamer les conquêtes de son père Raymond. Guillaume
Jourdain refusa d’abord de les lui rendre, mais par suite d’une entrevue qui
eut lieu entre eux, et grâce à l’intervention d’amis communs, il fut convenu
que Guillaume aurait les villes d’Arka et Tortose, et Bertrand, Tripoli, Byblos
et le Mont-Pèlerin. Guillaume Jourdain étant mort quelque temps après, Bertrand
resta seul maître des possessions de son père. Guill. de Tyr, XI, 2 et 9.
[54] Ablastha, ville appelée aujourd’hui par les
Arméniens Albesthan ou Elbisthan, et située auprès de la source du Seyhan, dans le
nord de la Cilicie.
[55] Ces récriminations amères des Arméniens contre
les Francs, reproduites par Matthieu ici et en une foule d’autres endroits,
sont des aveux très curieux à noter, parce qu’elles forment la contrepartie des
accusations que les Occidentaux faisaient entendre à leur tour contre les
chrétiens indigènes, et que l’on trouve consignées dans les historiens latins.
Ce mécontentement réciproque explique l’attitude, hostile des chefs Francs, et
principalement des comtes d’Édesse, a l’égard des Arméniens, leurs sujets, et
les mesures rigoureuses dont ils usèrent quelquefois contre eux.
[56] C’est la même comète dont l’apparition est
mentionnée par Ibn Alathir à l’année 499 hég. (
[57] Matthieu d’Édesse entend ici la partie
septentrionale de la Syrie.
[58] L’auteur veut parler sans doute de l’expédition
commandée par le prince d’Alep Radhouân, et dans laquelle il fut battu par Tancrède
auprès de Schéïzar, et forcé de prendre
[59] Djâwali Sakâwa ou Ben Sakâwa fut d’abord
gouverneur de Mossoul, puis vice-roi de la province de Fars en Perse, en
qualité d’atabek ou tuteur d’un enfant de deux ans, nommé Djaghry, fils du
sultan Mohammed. Il mourut en 510 hég. (1116 - 1117) suivant Aboulféda.
[60] Voici le récit abrégé de la mort de Djekermisch
et de Kilidj Arslan dans Aboulféda (ad annum 500) : « Le sultan de Perse Mohammed ayant donné à Djâwali le
gouvernement de Mossoul, que possédait déjà Djekermisch, celui-ci s’avança à la
tête de ses troupes pour repousser son compétiteur ; mais il fut défait et
tomba entre les mains de Djâwali. Djekermisch, sexagénaire et paralytique, s’était
fait porter au combat dans une litière. Djâwali le fit promener chargé de fers
tout autour de Mossoul, exhortant les habitants à se rendre ; mais ils s’y
refusèrent. Djekermisch succomba au milieu de ces indignes traitements.
Cependant les habitants de Mossoul appelèrent à leur secours Kilidj Arslan,
fils de Soleïman, fils de Koutoulmisch, sultan de Roum. A la nouvelle de son
arrivée à Nisibe, Djâwali se sauva et se dirigea vers Rahabah. Kilidj Arslan s’empara
alors de Mossoul, puis se mit à la poursuite de Djâwali. Sur ces entrefaites,
celui-ci ayant grossi ses forces de celles de Radhouân, prince d’Alep, et d’autres
émirs, en vint aux mains avec Kilidj Arslan auprès du fleuve Khabour. Le sultan
fut vaincu, et, voulant se sauver, se jeta dans le fleuve, où il se noya. Alors
Djâwali revint sur Mossoul, qui se rendit à lui. »
[61] Ou bien
Pertous,
Pertounk’ et
Pertouk’, château fort situé dans le voisinage de la forteresse de Gaban, et
comme le texte nous porte à le croire, sur le territoire de quelque église ou
couvent.
[62] Forteresse sur les limites du district de
Dchahan, au sud-est, non loin de Haçan Méçour. — Tchamitch, t. iii, Index, et Mékhithar abbé, Dict.
des noms propres. Haçan-Méçour, ville de
[63] Harthan, forteresse située sur les limites du
district de Dchahan, au sud-est, non loin de Haçan Méçour.
[64] Ablaçath était de l’illustre famille des
Mamigoniens, laquelle tirait son origine du pays des Djên ou la Chine, et était
venue s’établir en Arménie sous les règnes de Tiridate II et de Saper Ier,
fils d’Ardeschir, roi de Perse. — Cf. Moïse de Khoren, II, 81. — Ablaçath fut
tué en 1112 dans un combat contre les Turcs.
[65] Le mot Dgh’a’, surnom du jeune Vasil, signifie en
arménien enfant. Vasil Dgh’a’ était de
[66] La qualification de sultan d’Arménie, que l’on
lit dans tous nos manuscrits, pourrait peut-être conduire à penser qu’il s’agit
ici de Soukman el-Kothby, roi de Khélath, ville située au nord ouest du lac de
Van. Après avoir été comme mamelouk au service de Kothb ed-din-Ismaïl prince
seldjoukide de l’Azerbaïdjan. Il devint maître de Khélath et de plusieurs
villes voisines, avec le titre de Schah-Armên (roi d’Arménie), qu’il transmit à
ses descendants. Il régna depuis 593 hég. (1090) jusqu’en 606 (1112).
Aboulféda, t. III. — Tchamitch (t. III) prétend que cette seconde expédition
des Perses contre la Cilicie, entreprise en 1407, était commandée par le sultan
de Perse Mohammed (Daph’ar) en personne. Mais Matthieu d’Édesse, qu’il cite
comme garant de cette assertion, ne donne pas le nom du sultan chef de cette
expédition. — Telle, est l’opinion que j’ai émise dans ma traduction de
Matthieu d’Édesse (Biblioth. Histor. armén. t. I) sur la possibilité d’identifier
le sultan d’Arménie, dont parle ici notre auteur, avec Soukman el-Kothby. Mais,
en y regardant de plus près, je crois que cette opinion n’est pas exacte ; si l’on
tient compte de la direction que suit l’année des Turcs, de la plaine d’Anazarbe
vers Marasch et delà vers Pertousd, sur le territoire de Kogh-Vasil, c’est-à-dire
de l’ouest a l’est, on a lieu de croire qu’il s’agit d’une expédition partie
des Etats du sultan d’Iconium ; et cette induction est corroborée par le titre
même de sultan d’Arménie. En effet, nous savons, par plusieurs monnaies
présentant des légendes bilingues, en arménien et en arabe, où figurent les
noms du roi Héthoum Ier et des sultans Ala ed-din Keï-Kobad, et
Ghiâth ed-din Keï-Khosrou ben Keï-Kobad, que les princes d’Iconium se
considéraient comme suzerains de l’Arménie et furent reconnus quelquefois comme
tels par les Arméniens eux-mêmes. (Cf. Numismatique de l’Arménie au moyen
âge, par M. V. Langlois, p. 55-57, et planches I, n° 11 et 12 ; II, n° 1,
et IV, n° 4). En même temps je dois faire remarquer que M. Langlois s’est
trompé en donnant à ces sultans, le père et le fils, le même prénom, Ghiâth
ed-din, tandis que le père, Keï-Kobad, portait celui de Ala ed-din, comme nous
le savons par les historiens et comme on le fit distinctement sur la médaille
de ce prince (ibid. planche IV, n° 4).C’est en vertu de cette prétention que
les souverains d’Iconium durent prendre le titre de sultan d’Arménie. Du reste,
aucun auteur, que je sache, autre que Matthieu, ne mentionne ces deux
expéditions des Turcs d’Iconium contre la Cilicie.
[67] « En l’année 502 hég. (
[68] Raban, ville et district de l’Euphratèse, entre
Marasch et Kéçoun, et au sud-ouest de cette dernière ville. — Mékhithar abbé, Dictionnaire
précité, et Tchamitch, t. III, Index.
[69] Les Patzinaces ou Petchénègues, peuple de race
turque, étaient fixés originairement entre l’Atel ou Volga et le Geech ou Yaïk
(Oural), suivant Constantin Porphyrogénète (De admin. imper. ch. xxxvii).
Sur la fin du xe
siècle, les Ouzes, s’étant ligués avec les Khazars, qui habitaient
[70] Aréventan, forteresse de l’Euphratèse, à l’ouest,
et près de la ville de Gouris ou Kouris ; à cette époque, elle appartenait,
avec le district environnant, à un chef arménien, nommé Pakrad. —Tchamitch, t.
III. Les Arabes
[71] Voici comment Aboulfaradj rend compte de ce
combat et des causes qui le provoquèrent : « Radhouân, irrité contre
Djâwali, qui dévastait ses possessions, demanda du secours à Tancrède, et
obtint de lui 1.500 cavaliers francs auxquels Radhouân joignit 500 cavaliers
Turcs. Baudouin et Josselin accoururent au secours de Djâwali. L’action s’engagea
auprès de Tellbâscher. L’avantage resta aux Francs et aux Turcs qui étaient du
parti de Radhouân ; un grand nombre de Turcs périrent. Les Francs ne
combattaient pas les uns contre les autres corps à corps ; montés sur leurs chevaux,
ils se bornaient à se lancer des flèches. Baudouin et Josselin se réfugièrent à
Tellbâscher, ainsi qu’une partie des Turcs de Djâwali, qui lui furent renvoyés
après qu’ils eurent été guéris de leurs blessures. Ibn Alathir (ad annum 502) rapporte ces faits à peu près de la même
manière. Il dit que Djâwali plaça à l’aile, droite de son armée les émirs
Aksiân, Altoun Tasch et autres ; à la gauche, l’émir Bedrân ben Sadaka, l’isbahbed
Sabâwah et Sonkor Daraz ; et au centre, Baudouin et Josselin. (Cf. le récit de
Kemal ed-din, apud M. Defrémery, Récit de la première croisade,
dans ses Mémoires d’histoire orientale.)
[72] Cette forteresse, qui servait de citadelle à
répandait Baudouin, et dont Édesse faisait les frais, Édesse, avait reçu le nom
de Maniacès, en souvenir du protospathaire Georges Maniacès, qui, sous le règne
de Romain Argyre ; s’en était emparé et s’y était maintenu, pendant longtemps,
contre tous les efforts des émirs les plus puissants du voisinage (Cf. Matthieu
d’Édesse, t. I de la Bibl. hist. arm. chap. XLIII.)
[73] On a déjà vu que les princes latins ne vivaient
point en bonne intelligence avec leurs sujets arméniens ; l’impartialité exige
de dire que les torts furent réciproques. Si ces princes accablaient d’exactions
les populations qui s’étaient données volontairement à eux, et les traitaient
en conquérants, à leur tour elles se montraient prêtes, au moindre nié-
contentement, à pactiser avec les infidèles et à les attirer. Cette désunion
entre Baudouin et les Edesséniens avait éclaté déjà peu de temps après qu’ils l’eurent
choisi pour maître. Comme leur ville était inondée de Francs, attirés par les
libéralités que répandait Baudouin et dont Édesse faisait les frais et
empressés de prendre du service chez lui, douze des principaux habitants,
mécontents d’ailleurs de voir leurs conseils négligés, et la direction des
affaires remise aux mains des Francs, formèrent un complot. Ils envoyèrent
secrètement vers les Turcs pour les engager à leur venir en aide pour tuer
Baudouin et les siens, ou les chasser. Le comte, instruit par la révélation d’un
des conjurés, qu’Albert d’Aix nomme
Enxha,
et confirmé dans le rap- port que cet homme lui avait fait par la contenance de
ses complices, dont l’espérance avait ranimé la physionomie, fit saisir les
conjurés par une bande de Français,
manu Gallorum, a sa dévotion, et les fit jeter en prison. Puis il ordonna de
transporter dans son palais ce qu’on put trouver de leurs richesses, qu’il
distribua à ses officiers. Les coupables, qui avaient caché la majeure partie
de leurs trésors et leurs effets les plus précieux dans les forteresses du
voisinage, offrirent de se racheter pour une somme considérable. Baudouin,
épuisé par ses prodigalités, finit par y consentir et reçut de chacun d’eux une
somme de 20.000, 30.000 ou 60.000 besants, des mulets et des chevaux, des vases
d’argent et autres objets de valeur. Deux seulement des conjurés furent privés
de la vue ; d’autres, parmi les gens du vulgaire, eurent les jambes ou les bras
coupés, et furent expulsés de
[74] Bosra ou Bostra, ville de l’Idumée orientale, dans
le pays de Theman. C’est la capitale de la partie de l’Arabie située au
[75] Ibn Alathir, Aboulféda et Noveïri fixent la date
de la prise de Tripoli au 11 de dsou’lhiddjé 503 (
[76] Schéref-eddaula Maudoud, fils d’Altoun-Tékïn ou
Altoun-Tasch, général des armées de Mohammed Daph’ar. Il fut envoyé par ce
prince contre Djâwali pour lui enlever Mossoul. Maudoud prit cette ville dans
le mois de fer 502 hég. (sept. - oct. 1108). — Aboulféda,
Ann. t. III, p. 378 et 382. — Guillaume de Tyr le
nomme Menduc, et Albert d’Aix
Malducus. Il avait le titre d’Isfaçalar ou Asbaçalar,
que M. de Slane dans sa traduction d’Ibn Khallican rend d’une manière un peu
vague par commander of the troops, et qui signifie littéralement général
de la cavalerie. — Voir ch. CXLV.
[77] Notre ms. 95 lit
ph’akiav, il s’enfuit, en parlant du comte d’Édesse,
qui cherchait à éviter la présence de Maudoud. Les mss. de Venise portent
khaph’etsav, il fut trompé en appliquant ce mot à Maudoud,
qui se serait alors regardé comme ayant été la dupe de Baudouin. Ces deux
leçons donnent l’une et l’autre un sens également admissible.
[78] Matthieu veut désigner ici le sultan Mohammed
(Daph’ar).
[79] Guillaume de Tyr (XIII, xi) fixe la date de la
prise de Bérouth au 27 (20, trad. franc.) avril 1111, deux ans après celle de
Tripoli ; Foulcher Chartres (chap. xxxvi)
en 1110. Suivant ce dernier historien, le siège, commencé en février, dura
soixante quinze jours, ce qui nous porte vers la fin d’avril. Ibn Alathir, Ibn
Djouzi et Elmakïn marquent à très peu près la même date, l’année 503 (
[80] Abelgh’arib ou Abelkharib était fils de Vaçag, et
arrière petit-fils du prince Grégoire Magistros, de la famille arsacide des
Bahlavouni. Il avait un frère nommé Ligos, dont il est parlé au ch. ccxxiv. (Cf. le Tableau généalogique de
la famille de Grégoire Magistros, à la fin de Matthieu d’Édesse, tome 1er
de la Biblioth. histor. arménienne).
[81] Bir, en arabe Birah, place forte de la
Mésopotamie, située sur la rive orientale de l’Euphrate, à quelque distance et
au nord-ouest de Khar’an.
[82] Schênav, place forte au nord-est et à trots
heures de marche de Khar’an. On voit, au chap. CCVI, que l’émir arabe qui était
alors maître de cette place s’appelait Mani’, nom que Matthieu a transcrit sous
[83] Nour eddaula Balag, fils de Behram, fils d’Artoukh
(Ortok), occupa d’abord la place forte de Sëroudj, qui lui fut enlevée par
Baudouin ; il vint plus tard, en 517 (1er mars 1123 -
[84] Athareb, château fort à environ deux parasanges
et au nord d’Alep, suivant le Merâcid-el-itthiha’ ;
Cerepum de Guill. de Tyr (XII, 9, 10, 11, et XIII, 15).
[85] Ibn Alathir (ad annum 503) affirme, au contraire, que deux mille hommes
de la garnison furent passés au fil de l’épée par les Francs, et le reste fait
prisonnier. Tancrède avait intercepté les vivres aux assiégés, qui bientôt se
trouvèrent dans une position très difficile. Alors ils pratiquèrent une
ouverture au mur du château pour faire une sortie vers le camp de Tancrède.
Lorsqu’ils en furent près, un jeune homme Arménien de nation, vint lui demander
l’aman et lui fit connaître ce qui se passait. Tancrède, se mettant en
défense, les combattit si vigoureusement qu’il se rendit maître de
[86] La mer de Vasbouragan, ainsi appelée de la
province de ce nom qui la borde à l’est. Elle est nommée aussi lac de Van, mer
d’Agh’thamar ou de Peznounik’, Arsissa palus
des anciens.
[87] Thelgouran ou Thoulkouran, en arabe Tellkouran,
bourg fortifié de la Mésopotamie, situé à deux journées au sud d’Amid.
[88] Kaudêthil, bourg au sud-est et à six heures de
marche de Bir, dans
[89] Dchoulman ou Dchôlman, village situé au sud-est d’Édesse,
et habité par des Arabes.
[90] Ahmed-Yel (le brave) ben Ibrahim ben
Wahsoudan, de la tribu kurde des Réwadis, émir de la ville de Méraga, dans l’Azerbaïdjan.
D’après l’historien arabe Ibn Férat, cité par Et. Quatremère, dans son Mémoire
sur les Ismaéliens, inséré au tome IV des Mines de l’Orient, il
périt en 509 ou 510 hég. (1115 ou 1116), de la main des Bathéniens ou
Assassins. Ibn Djouzi et Abou’l Méhacen placent sa mort en 508 (1114 - 1115 de
J.-C.)
[91] Dans le nombre de nos manuscrits, les uns portent
le sultan, les autres Soliman ; mais ce sont de mauvaises leçons.
Il faut lire Soukman ; car nous savons positivement que Soukman el-Kothby (Cf.
ch. CXCVIII) prit part à l’expédition dont il est ici question.
[92] Boursoukh, ou suivant la transcription arabe,
Boursoukh était l’un des fils de Boursoukh, qui avait été compagnon de Thogrul
beg, et le premier schihneh ou représentant de ce sultan, à Bagdad.
[93] Schéïzar, ville de Syrie, sur l’Oronte, dans le
voisinage et au nord-ouest de Rama, anciennement Larisse ;
Casara de Guillaume de Tyr, et Sézer de Nicétas
Choniatès ; aujourd’hui Kala’-Séïdjar.
[94] Albert d’Aix, en racontant cette expédition,
donne la liste des vassaux de la principauté d’Antioche qui accoururent au
secours de Tancrède, et dans le nombre il énumère les chefs arméniens de
[95] Ibn Alathir raconte à l’année 505 hég. (
[96] Matthieu donne à l’un des assassina de Kakig l’épithète
de déicide, en assimilant le meurtre d’un roi, qui avait reçu l’onction du
sacre, au crime des Juifs qui crucifièrent Jésus-Christ.
[97] Le lundi 22 avril. Dans l’Eglise arménienne, le
lendemain de Pâques, ainsi que des autres grandes fêtes, Epiphanie. Transfiguration,
Assomption, Exaltation de la Croix, est consacré à prier pour les morts. En
[98] Saçoun ou Saçounk, forme vulgaire du mot Sanaçounk’,
nom d’un district montagneux et considérable de la Mésopotamie arménienne, compris
dans la province d’Agh’êtznik’.—La partie nord de ce district était habitée par
des populations sauvages qui, suivant la tradition, descendaient des Assyriens
de basse extraction émigrés dans ces lieux à la suite d’Adramélech et de
Saraiar. fils de Sennachérib, roi d’Assyrie, lorsque ceux-ci, après avoir tué
leur père, cherchèrent un refuge en Arménie. (Cf. Moïse de Khoren, Histoire d’Arménie,
I, xxiii.) Thomas Ardzrouni. historien de la fin du ive siècle, a donné, sur les mœurs et la manière
de vivre de ces montagnards, de très curieux détails que j’ai reproduits dans
mes Recherches sur la chronologie arménienne. Voir aussi la note 44.
[99] Le 16 juin. Le samedi d’Elie est celui de la
semaine qui suit la Pentecôte, et pendant laquelle les Arméniens observent le
jeûne. Ils la nomment la Semaine du prophète Elie.
[100] Un autre ms. porte 10 hommes.
[101] Thelmouzen, ville ancienne et en ruines, située
entre Ras-’aïn et Sëroudj, à une distance de dix milles environ de Ras-’aïn. — Merâcid
el-itthila’, éd. Juynboll, t. Ier.
[102] Thourer, ville située dans le voisinage et à l’ouest
de Hisn-Mansour.
[103] Ouremn, ville du nord de l’Euphratèse.
[104] Phrase biblique, empruntée à l’évangile de saint
Jean, 1, 18, et dont le sens est ici : comme à un fils vénérable et légitime.
Vasil-Dgh’a’ avait été en effet adopté par Kogh-Vasil.
[105] Le chronographe arménien Samuel d’Ani (trad. de
Zohrab), auteur du douzième siècle et Guiragos, historien du xiiie siècle, affirment que
Tancrède mourut empoisonné par le patriarche d’Antioche. Ce patriarche était
Rodolphe, qui fut exclu de son siège dans un concile tenu à Antioche en 1141,
sous la présidence du légat du pape, Albéric, évêque d’Ostie. Tchamitch dit que
peut-être ce crime fut un des chefs d’accusation portés contre Rodolphe.
Guillaume de Tyr n’en fait pas mention parmi ceux qui furent produits et qu’il
rapporte. XV, 15-17 — Aboulféda, ad annum 506 hég. (1112 - 1113), dit que Vasil l’Arménien étant mort, le
seigneur d’Antioche partit pour aller s’emparer des Etats de ce dernier, et qu’ayant
succombé en chemin, sire Roger (Sirodjâl) s’en rendit maître. Foulcher
de Chartres (chap. xxxviii) donne
la date du 26 novembre :
Jam bis tredecies sol viserat Arcitenentem.
Cum subiit quod erat, ut quodi fuit id foret ipse.
RHC : Le siège était alors occupé par Bernard de
Valence, ancien évêque d’Arta, en Epire, qui le conserva jus qu’en 1129. Il
avait suivi à la croisade, en qualité de chapelain, le légat Adhémar de
Monteil, évêque du Puy. Aboulféda, ad annum 506 (1112 -1113
[106] Roger était fils de Richard du Principat,
cousin-germain de Tancrède. Il gouverna la principauté d’Antioche, pendant la
minorité du fils de Bohémond. Cf. Guillaume de Tyr, XI, 18, 22 ; et Du Cange,
dans l’Alexiade, Stemma ducum Apuliae et regum Siciliae ex familia
nornamnica.
[107] Léon Ier était frère de Thoros et fils
de Constantin, fils de Roupen. Thoros étant mort sans laisser d’enfants, Léon
lui succéda vers 1120. Par ces mots, le pays de Léon, Matthieu entend la
Cilicie, qui était appelée quelquefois, au temps des croisades, pays du fils
de Léon, ou bien royaume de Léon. —Cf. Ibn Alathir,
ad annum 505, et d’Anville, Géogr. anc. t. II.
[108]
Paganus de Sororgia, dans Albert d’Aix.
[109] Cette année, le 20 de sahmi vague tomba le 11 mai
julien. — L’expression office du repas désigne la quatrième heure
canonique de l’Eglise arménienne, sexte du bréviaire latin. Cette heure
correspond à peu près à
[110] Le comte de Tripoli dont parle ici Matthieu est
Pons, fils de Bertrand et petit-fils de Raymond de Saint-Gilles. C’est donc à
tort qu’il le nomme fils de Saint-Gilles. Bertrand était mort en 1112. Pons
avait épousé Cécile, veuve de Tancrède, fille de Philippe Ier, roi de France, d’après
le désir exprimé par Tancrède lui même, dans ses derniers moments. Guill. de
Tyr, XI, 18.
[111] D’après Aboulfaradj (Chron. syr.), Maudoud
avait sous ses ordres 7000 cavaliers ; Baudouin et Josselin n’avaient que 2.000
fantassins et un petit nombre de cavaliers. Maudoud les attaqua auprès du lac
de Tibériade et leur tua 130 fantassins. Alors arrivèrent au secours des
chrétiens le petit-fils de Saint-Gilles, qui vint de Tripoli, et Roger, d’Antioche.
Les Francs gagnèrent la montagne qui était en face des Arabes. Les deux armées
restèrent pendant 26 jours sans bouger ; puis les Francs descendirent vers le
Jourdain, et les Arabes, qui se trouvaient éloignés des villes qui leur
appartenaient, furent forcés par le manque de vivres de se retirer, et se portèrent
vers Damas. — Suivant Ibn Alathir et Aboulféda (ad annum 507), l’armée musulmane qui vint cette année
attaquer les Francs avait pour chefs Maudoud, seigneur de Mossoul, Témirak,
seigneur de Sindjar, Ayaz, fils d’Ilgazi, et Toghtékïn, seigneur de Damas. Les
chrétiens étaient sous les ordres de Baudouin, roi de Jérusalem, de Josselin et
autres chefs. Le combat fut livré auprès de Tibériade le 13 de moharrem (30
juin 1123). Les musulmans victorieux rentrèrent à Damas dans le mois de rabi’
premier (sept.-oct.) — Guillaume de Tyr (XI, 19), affirme comme Matthieu que la
défaite des chrétiens fut occasionnée par l’impatience du roi de Jérusalem, qui
ne voulut pas attendre l’arrivée de ses alliés.
[112] On lit dans Ibn Alathir, Aboulféda et Ibn
Khallican que Maudoud fut tué par un Bathénien au moment où il sortait de la
grande mosquée de Damas. C’était le vendredi 12 de rabi’ second (21 sept. 1113).
Cet homme fut massacré à l’instant même. Afin de constater son identité, on
prit sa tête après l’avoir coupée, mais personne ne le reconnut. Matthieu est d’accord
avec Guillaume de Tyr (XI, 19) peur imputer le meurtre de Maudoud à des
sicaires apostés par Toghtékïn.
[113] Le mois de drê correspondit cette année à l’intervalle
compris entre le 22 mai et le 20 juin inclusivement. Cette année ayant eu pour
lettre dominicale E, le jeudi tomba le 22 et le 29 mai le 5, le 12 et le 19
juin. Il est impossible de préciser lequel de ces cinq quantièmes auquel mourut
Basile.
[114] Béhesni ou Béhesdin, place forte de l’Euphratèse,
à deux journée de marche et nord-ouest d’Aïn-tab, entre Raban et Hisn-Mansour,
non loin de Marasch et Samosate. Tchamitch, en rapportant (t. III) l’accident
qui fit périr le patriarche Basile, dit qu’il se brisa la colonne vertébrale.
[115] Schough’r, couvent de la Montagne Noire, sur une
élévation très boisée, citée entre Marasch et Sis, à deux journées de distance
de la première de ces deux villes. L’ancienne église de Schougr, bâtie en
pierres, subsiste encore aujourd’hui. Indjidji, Arm. mod. Ce monastère
est appelé aussi couvent des Basiliens, parce qu’il était sous la règle de
saint Basile.
[116] L’un des insignes des patriarches arméniens est
le voile, dont l’usage est passé aussi aux évêques et aux vartabeds (docteurs
en théologie). Il est en étoffe noire, et recouvre la tête en forme de capuchon
conique, en retombant sur les épaules.
[117] Grégoire III. C’est lui qui acquit de la veuve et
du fils de Josselin le Jeune, le château de Hr’om-gla’, où il fixa sa
résidence, et qui fut celle de ses successeurs jusqu’en 1293, époque où ce
château fort fut pris par les Egyptiens. Il mourut, suiv. Vartan, en 617 E. A.
(8 fév. 1168 – 6 fév. 1169).
[118] Abou Saïd Ak-Sonkor el-Boursouky el-Gâzi,
surnommé Kacim-eddaula Seïf ed-din, affranchi de l’un des deux Boursoukh, dont
il est parlé ch. CCVI. Le sultan Mohammed le fit émir de Mossoul, à la place de
Maudoud et après la mort de ce dernier. Boursouky conserva ce gouvernement
jusqu’en 509 (1115 - 1116), où il fut remplacé par l’émir Djoïousch-Beg, et il
se retira dans la ville de Rahaba, qui lui fut assignée comme fief. En 512
(1118 - 1119) le sultan le nomma préfet ou schikneh de Bagdad ; plus
tard, en 515 (1121 - 1122), ce même souverain lui rendit la principauté de
Mossoul avec ses dépendances, comme Djézireh Ibn ‘Orner et Sindjar (Aboulféda,
t. III). — Albert d’Aix le nomme Burgoldus, et Guillaume de Tyr
Borsequinus (trad. fr. Borsses ou Borssequin).
[119] C’était Ghiâth ed-din Maç’oud qui régna plus
tard. Ibn Alathir et Ibn-Djouzi disent, comme Matthieu, qu’il accompagna Boursouky
dans cette expédition avec des forces considérables.
[120] Le 15 mai. Cette date concorde avec celle que
donne Ibn Alathir, qui indique le mois de dsou’lhidjé 508 = mai 1114.
[121] Cf. note 550.
[122] Le 13 de maréri vague concorda cette année avec
le 29 novembre julien, veille de la fête de Saint André. C’est par erreur que
Matthieu rappelle ici celle de l’Invention de la Croix, fête mobile de l’Eglise
arménienne, variant dans l’intervalle du 23 au 29 octobre inclusivement. La
date de la veille de Saint André. c’est à-dire la nuit du 28 au 29 novembre,
est confirmée par Gauthier le Chancelier. Seulement ce chroniqueur s’est trompé
d’une année en écrivant 1115 pour 1115. Ibn Alathir et Kemal ed-din mentionnent
le même événement en 508 dans le mois de djoumada second (novembre 1114).
[123] Ce ton, qui est un des huit tons de la musique
arménienne, est appelé var’.
Chacun sert tour à tour à régler le mode d’après lequel doit être chanté l’office
du jour, à l’église. Le ton var’ a un caractère plaintif, et cette
circonstance, jointe à la coïncidence du dimanche et du déclin de la lune,
explique les Idées superstitieuses que les populations se formaient du
phénomène physique raconté par notre chroniqueur. La nuit du samedi au
dimanche, consacrée à la mémoire de la Résurrection de Notre-Seigneur, doit
être témoin, suivant l’antique croyance arménienne, de la résurrection générale
et du jugement dernier. — Voir le discours synodal du patriarche Jean Otznetsi,
de ses Œuvres complètes, Venise, in-8°, 1833.
[124] Dans la liste des prélats et des barons qui
assistèrent au couronnement du roi d’Arménie Léon II, l’historien Sempad de
Cilicie (éd. de Moscou), mentionne Joseph, archevêque d’Antioche et abbé du
couvent des Jésuéens.
[125]
Maschguévor
ou Maschgouor, couvent de Cilicie, ainsi nommé, sans doute,
parce que les religieux étaient vêtus de peaux d’animaux dépouillées de leurs
poils.
[126] Il s’appelait Kêork (Georges), et il avait été
surnommé Mégh’rig (mielleux) à cause de la bonté et de la douceur de son
caractère. On lui donnait communément aussi le surnom de
Sévanetsi, parce qu’il était moine du couvent de l’île de
Sévan, dans le lac de Kégh’am. — Tchamitch, t. III.
[127] C’est une phrase empruntée au
Scharagan, ou Recueil des hymnes de l’Eglise arménienne.
[128] Le couvent de Trazarg était situé près de Sis, et
placé sous la juridiction immédiate du catholicos d’Arménie. Dans les chartes latines
des rois de Cilicie, ce nom a été transcrit par un jeu de mots sous la forme
tres arcus ou
tres arces. Les ruines de ce couvent n’existent plus aujourd’hui.
[129] Tigrane Ier, de la dynastie des
Haïceins, ou première dynastie arménienne, lequel régna, suivant Tchamitch.
dans le vie siècle
avant J.-C. D’après le témoignage de Moïse de Khoren (I, xxx), Dikranaguerd
était un bourg, que Tigrane agrandit et embellit, et qu’il donna à sa sœur Dikranouhi,
femme d’Astyage, roi des Mèdes. Il l’appela de son nom,
Dikranaguerd, mot dans lequel entre la racine du verbe
arménien faire, bâtir, construire, c’est la célèbre ville
d’Amida des écrivains grecs et latins. Il paraît que déjà,
dès le ive siècle,
elle portait aussi le nom d’Amid ou Amith, puisqu’un historien
arménien de cette époque, Faustus de Byzance (III, x), l’appelle la nomme. C’est
aujourd’hui Diarbékir, chef lieu du pachalik de ce nom. (Cf. Indjidji, Arm.
anc. et Arm. mod.)
[130] Cette expédition et la précédente paraissent
avoir été réunies en une seule par Ibn Alathir.
[131] Matthieu a ici confondu Boursoukh ibn-Boursoukh
avec Ak Sonkor el-Boursouky. C’est ce dernier auquel Ilgazi en voulait particulièrement.
D’après Ibn Alathir et Ibn Djouzi, le sultan Mohammed ayant confié à Ak-Sonkor
el-Boursouky le gouvernement de Mossoul, lui ordonna de marcher contre les
Francs. Ak-Sonkor appela à lui les émirs du voisinage, et Ilgazi lui envoya son
fils Ayaz avec une petite troupe. Ak-Sonkor, mécontent, pilla les gens d’Ilgazi
et s’empara de son fils. Alors Ilgazi s’étant adjoint l’émir Rokn-eddaula
Daoud, fils de son frère Soukman, et un parti nombreux de Turcomans, marcha
contre Ak-Sonkor. et l’ayant rencontré auprès du fleuve Khabour, le défit et le
força à prendre la fuite, et Ayaz fut délivré. Le sultan Mohammed, instruit de
l’échec qu’avait éprouvé son lieutenant, fit partir Boursoukh Ibn Boursoukh
contre Ilgazi. Celui-ci, effrayé, courut à Damas implorer le secours de
Toghtékïn, qui était fort mal avec le sultan, comme accusé par la voix publique
d’avoir machiné le meurtre de Maudoud. C’est dans ces conjectures que ces deux
émirs firent cause commune ensemble, et s’aillèrent aux Francs.
[132] Cet émir se nommait Loulou. C’était un eunuque
qui, après la mort de Radhouân, arrivée en 508 hég. (1113 - 1114), fut chargé
du gouvernement de cette ville au nom du fils de Radhouân, nommé Tadj-eddaula
Alp Arslan el-Akhras ou le Muet, qui n’avait encore que 16 ans, et qui était né
d’une fille de Baghician, émir d’Antioche. L’année suivante, le jeune prince
fut tué par ses propres officiers dans la forteresse d’Alep, et Loulou mit à sa
place Sultan-Schah, autre fils de Radhouân. Lorsque Loulou apprit que le sultan
de Perse Mohammed allait envoyer une armée en Syrie, sous les ordres de
Boursoukh-ibn-Boursoukh, craignant qu’on ne voulût lui ôter Alep, il se jeta
dans le parti de Toghtékïn. — Aboulféda,
Ann. t. III ; Aboulfaradj, Chron. syr.
[133] Léon Ier fut l’un des princes plus
distingués d’entre les Roupéniens, et aussi des plus malheureux par la manière
dont finirent son règne et sa vie. S’étant emparé de la ville de Mécis sur les
Grecs, il s’avança jusqu’à Tarse, parcourut, les armes à la main, la Cilicie,
et reprit les villes que ceux-ci avaient enlevées à son père Constantin. Les
exploits qu’il fit dans ces expéditions répandirent partout le bruit de son
nom, et lui valurent de nombreuses marques d’estime de la part des Croisés.
Après la mort de Roger, comte d’Antioche, dont il était l’ami, Raymond de
Poitiers, qui succéda à Roger, jaloux de Léon, conçut le projet de lui enlever
ses États. Mais, n’osant pas recourir à la force ouverte, il s’entendit avec
Baudouin, comte de Kéçoun et de Marasch, qui invita Léon à venir faire une
visite à Raymond. Ce dernier s’empara du chef arménien et le renferma dans une
forteresse. Après y être resté deux mois, Léon consentit à livrer à Raymond
deux villes, Mécis et Adana, à lui payer une rançon de 80.000 tahégans, et lui
donner un de ses fils en otage. A ces conditions, il recouvra la liberté. A
peine dégagé de ses fers, Léon conquit de nouveau les villes qu’il avait
cédées, et battit si complètement les princes latins ses voisins, qu’ils furent
obligés d’appeler à leur secours Foulques, roi de Jérusalem. On en vint aux
mains sur les frontières de la Cilicie. Mais tous les efforts des Croisés
contre Léon étant restés impuissants, ils lui renvoyèrent son fils et lui
donnèrent à leur tour des otages. Les Francs ayant imploré la médiation de
Josselin le Vieux, dont la femme était sœur de Léon, il rétablit la paix. Léon
battit encore les Grecs dans plusieurs rencontres, et leur enleva d’antres
forteresses. — Tchamitch, t. III. On peut voir, ch. CCLIV comment Léon Ier
fut fait prisonnier par l’empereur Jean Comnène, et conduit à Constantinople,
où il mourut dans les fers.
[134] Waléran ou Galéran était cousin (consanguineus) de Josselin de Courtenay. Guill. de Tyr, XII.
17. Foulcher de Chartres (ch. liii)
l’appelle neveu (nepos) de
Baudouin du Bourg. Mais c’est probablement une erreur et cet historien, qui
parle de Waléran à l’occasion de la captivité de Baudouin, de son neveu et de
Waléran, à Kharpert, où les retenait l’émir Balag, aura sans doute confondu ces
deux derniers.
[135] Pakrad, seigneur d’Aréventan. Cf. ch. CXCIX.
[136] Gouris ou Kouris, l’ancienne
Cyrrhus, capitale de la Cyrrhestique, place forte de la
Syrie, située dans la montagne au nord d’Alep. (Tchamitch, t. III)
Coricium,
Corice, de
Guillaume de Tyr) ; aujourd’hui Khoros.
[137] Le chef arménien Constantin dont il est question
ne doit pas être confondu avec Constantin, fils de Roupen. Cf. ch. CLIV.
[138] Sur le titre de Prince des princes, cf.
ch. CLXVI.
[139] En 1118, Pâques étant tombé le 14 avril, le
dimanche de la Quadragésime fut le 24 février ; par conséquent, c’est dans cet
intervalle que Baudouin du Bourg se rendit à Jérusalem. Guillaume de Tyr. (XII,
iii et xii) dit que ce fut le dimanche des Rameaux, 7 avril. Il
était venu pour visiter les Saints Lieux et y faire ses dévotions. Les chefs du
clergé et les principaux de la ville, ayant tenu un conseil pour donner un
successeur au frère de Godefroy, Josselin de Courtenay, à qui sans doute
Baudouin du Bourg avait promis d’avance le comté d’Édesse, fit un pompeux éloge
des qualités de ce prince, et entraîna tous les suffrages. Le dimanche suivant,
jour de Pâques, le nouveau souverain fut proclamé et reçut l’onction sainte
dans l’église de la Résurrection. Deux ans après, en 1120, il fut couronné
solennellement, avec sa femme Morfia, le jour de Noël, dans l’église de
Bethléem.
[140] Le 7 avril. Suivant Guillaume de Tyr (XII. 3-4),
Baudouin étant arrivé à Jérusalem le dimanche des Rameaux, reçut l’onction
royale et fut couronné le dimanche suivant, 14 avril, jour de Pâques.
[141] Kohar en arménien, Gueuher en
persan, signifie perle, pierre précieuse, et Khatoun, en
Turc oriental, a le sens de dame noble, princesse, reine.
[142] Kothb ed-din Ismaïl, fils d’Yakoub, frère de
Zobeïdé-Khatoun, première femme de Mélik Schah. Il avait été envoyé par ce
prince, en 1090, à Marand dans l’Azerbaïdjan, en qualité d’ôsdigan ou
gouvemeur. Il fut tué par deux de ses officiers en 1091, comme le raconte
Vartan, dans son Histoire universelle, encore inédite. Il était cousin
et en même temps beau-frère de Mélik Schah.
[143] Ce frère de Daph’ar (Mohammed) était Sindjar, auquel
Barkiarok avait donné, en 1097, la royauté du Khoraçan. Daph’ar redoutait avec
raison son ambition, car, lorsque ce dernier fut mort, Sindjar attaqua son
neveu Mahmoud, dans l’Irak Persique et le défit entre Reï et Saveh. Après quoi
il lui accorda la paix, mais à condition que son nom serait prononcé le premier
comme sultan dans la Khothba ou prière publique, le vendredi, et le nom de
Mahmoud le second. Aboulféda, Ann.,
ad annum 513
[144] Ozkend, ville du Ma-wara-ennahr, près de
Ferghana, sur la rive méridionale de l’Iaxarte ou Seihoun, au nord-est de Samarcande.
[145] Cf. ch. CXXXIX.
[146] Mougbith ed-din Abou’l Kacem Mahmoud régna de
1118 à 1131.
[147] Mélik ou roi est le titre de ce prince,
qui se nommait Thogrul. C’est à tort que Matthieu le qualifie ici de sultan,
titre au-dessus de celui de Mélik. Il monta plus tard sur le trône de Perse, et
régna de 1132 à 1134.
[148] Le sultan Mohammed mourut le 24 de dsou’lhiddjé
de l’année 511 (17 avril 1118), à l’âge de trente-six ans lunaires. quatre
mois, six jours. Aboulféda, Annal., t. III), c’est-à-dire trente-cinq
années solaires, un mois et quelques jours.
[149] La qualification de khalife des Perses,
donnée par notre auteur au khalife de Bagdad, Mostadhhir billah Abou’l Abbas Ahmed,
fils de Moktadi biamr allah, s’explique par le fait que cette ville était alors
au pouvoir des sultans seldjoukides qui s’y faisaient représenter par un schihneh
ou préfet, et que le souverain pontife de l’islamisme n’y exerçait l’autorité
temporelle que d’une manière nominale. Mostadhhir mourut le 16 de rabi second
512 (6 août 1118), suivant Ibn Alathir et Aboulféda.
[150] Azaz ou Ezaz, place forte au nord ouest et à une
journée de marche d’Alep. (Merâcid-el-itthila t. II) ; Hasarth de Guillaume
de Tyr.
[151] “Gazi veno major
vocabatur eorum.” (Fulcherii Carnotensis
Gesta peregrinantium Francorum, ch.
xlvi)
[152] Dans un de nos mss. on lit : trois jours.
[153] Bezah, Biza ou Boza, ville située à
une journée de distance au nord-est d’Alep et dépendante du territoire de cette
dernière. ville. (Aboulfaradj, Géographie).
[154] Matthieu est ici en contradiction avec Guillaume
de Tyr (XII, ix), qui raconte que lorsque Roger eut appris qu’Ilgazi,
accompagné de Toghtékïn et de Doubaïs, roi des Arabes, s’avançait vers le
territoire d’Antioche, à lu tête de six mille hommes, et était déjà campé
auprès d’Alep, il appela aussitôt à son secours, avec de grandes instances,
Josselin, comte d’Édesse ; Pons, comte de Tripoli ; Baudouin, roi de Jérusalem
; et que ce n’est qu’après avoir longtemps attendu ces deux derniers qu’il se
porta à la rencontre des infidèles. Suivant Ibn Alathir ad annum 513, l’armée
d’Ilgazi, composée de ses troupes et de volontaires, était forte de vingt mille
hommes. Il avait avec lui Oussama ben-Elmobarek ben Schebl le Kélabite, l’émir
Schems eddaula Thoghan Arslan, seigneur de Bitlis et d’Arzen. Kémal ed-din fixe
le chiffre de l’armée d’Ilgazi à un peu plus de quarante mille hommes. Les
Francs comptaient trois mille cavaliers et neuf mille fantassins. Le combat fut
livré auprès d’Athareb, dans un lieu appelé Tell-Ifrin (dans Guillaume
de Tyr Campus sanguinaris), au milieu des montagnes, dans une position
inaccessible d’un côté, le 15 de rabi premier, 513 (26 juin 1119). Suivant
Kemal ed-din, ce fut le 17 de rabi premier (28 juin) qu’il eut lieu près de
Belat, non loin des gorges de Sarméda, au nord est d’Antioche. (Cf. Gauthier le
Chancelier ; Foulcher de Chartres, chap. xlv).
Aboulfaradj (ad annum graec. 1430 = 1er
oct. 1118 – 30 sept. 1119) dit que ceux d’Alep avaient obtenu de Roger une
trêve de quatre mois pour faire la moisson et la récolte des fruits, et qu’aussitôt
après ce délai il vint mettre le siège devant leur ville ; ils appelèrent
Ilgazi, qui accourut à la tête de sept mille Turcs, et qui livra à Roger le
combat dans lequel celui-ci perdit la vie. Les Turcs se répandirent dans le
territoire d’Antioche, et massacrèrent un grand nombre de moines de la Montagne
Noire, jusqu’au moment où survint le roi Baudouin.
[155] Un autre ms. porte 100.
[156] Notre auteur fait allusion par ces paroles à
cette multitude de marchands qui avaient suivi Roger et que mentionne Guillaume
de Tyr (XII, ii). Ce dernier
raconte effectivement que l’armée d’Antioche se composait de sept cents
chevaliers et trois mille fantassins tout équipés, sans compter les marchands
qui avaient coutume d’accompagner l’armée pour vendre et acheter.
[157] Il faut lire 9 de k’agh’ots au lieu de 6 ; c’est-à-dire
le 28 juin.
[158] Il faut 14 août au lieu de 16 : et ce qui le
prouve, c’est que Guillaume de Tyr (XII, 12) indique la veille de l’Assomption
seulement l’historien latin est en retard d’une année sur le chroniqueur
arménien.
[159] Suivant Ibn Alathir et Kemal ed-din, Ilgazi défit
les Francs dans cette seconde rencontre ; tandis que d’après Guillaume de Tyr
(XII, 12), d’accord avec Matthieu et Aboulfaradj (Chron. syr.), ce
furent ceux-ci qui remportèrent la victoire.
Le roi et le comte
de Tripoli, partis pour venger la défaite et la mort de Roger, arrivèrent à un
lieu appelé Mons Nigronis ; aussitôt Ilgazi
envoya contre eux dix mille cavaliers d’élite, qui se divisèrent en trois
corps, se dirigeant, l’un vers le port Saint Siméon, les deux autres, par des
chemins différents, vers l’endroit où rampaient les chrétiens. Un de ces deux
derniers détachements, ayant atteint le roi de Jérusalem, fut repoussé, entièrement
défait et mis en fuite. De là Baudouin se rendit à Antioche, tandis qu’Ilgazi s’emparait
d’Athareb {Cerepum) et de Zerdanâ (Sardonas). Le roi, pensant le rencontrer à Athareb, se
dirigea sur Rugia ; puis, traversant la ville de Hab, sur le territoire d’Alep,
il assit son camp sur la montagne de Danim. Le lendemain Ilgazi vint l’attaquer
avec une armée considérable. Baudouin avait sept cents chevaliers ; il divisa
les siens en neuf corps. L’effort des infidèles porta principalement sur l’infanterie
des Francs, dont ils connaissaient la bravoure et l’impétuosité ; ils en mirent
une grande partie hors de combat. Le roi, tombant alors sur eux avec quatre
corps qu’il tenait en réserve, les mit en déroute et décida la victoire ; mais
elle lui coûta sept cents hommes de pied et cent chevaliers, Ilgazi, Toghtékïn
et Doubaïs (Debeis) s’enfuirent, abandonnant les leurs ; Baudouin rentra à
Antioche au bout de deux jours. Ce triomphe fut remporté la veille de l’Assomption.
(Guillaume de Tyr, XII, xi et xii, et Foulcher de Chartres, chap. xlv.) — La date du 16 août indiquée par
Matthieu exige une explication et une rectification. En l’année 568 de l’ère
arménienne (20 février 1119 - 19 février 1120), l’Assomption, qui est une des
fêtes mobiles des Arméniens, variant dans les limites inclusives du 12 au 18
août, tomba en effet pour eux le 17 août. Mais notre historien n’a pas fait
attention que le renseignement dont il fait ici usage est calculé sur le rite
des Eglises grecque et latine, où l’Assomption est invariablement fixée au 15
août ; il aurait donc dû dire en réalité 14 et non 16, et ce qui achève de le
prouver, c’est qu’en 1119, le 25 du mois d’arats-vague coïncida avec le 14
août. D’ailleurs Foulcher de Chartres énonce positivement la même date, 19 des
calendes de septembre. Il faut remarquer en même temps que Guillaume de Tyr est
en retard d’une année sur Matthieu d’Édesse et Foulcher de Chartres, en marquant
1120 au lieu de 1119.
[160] Matthieu est ici en retard d’un an. D’après
Zonaras et Nicétas Choniatès, Alexis Comnène mourut le 15 août, indiction 11 =
1118. Son fils Jean, appelé aussi Kaloioannès, c’est-à-dire le beau Jean, lui
succéda immédiatement.
[161] Au moment où fut tenu le concile de Chalcédoine
(451), les Arméniens, occupés à soutenir la guerre contre Azguerd (Yezdedjerd
II), roi de Perse, furent empêchés d’assister à cette assemblée, et fiaient
sans communication avec les Crées. Des partisans d’Eutychès et de Dioscore, patriarche
: d’Alexandrie, dont les doctrines avaient été con damnées par ce concile, se
répandirent en Arménie, et représentèrent les Pères de. Chalcédoine comme ayant
renouvelé l’erreur de Nestorius. Les Arméniens, abusés par ces faux rapports,
rejetèrent ce concile, tout en reconnaissant le dogme de la coexistence des
deux natures en Jésus-Christ, tel que l’avait défini saint Cyrille d’Alexandrie.
Ils comptent même Eutychès au nombre des hérétiques, et prononcent anathème
contre lui. Leur position mal définie entre l’Eglise grecque et l’Eglise latine
subsiste encore aujourd’hui. (Voir l’ouvrage intitulé Exercice de la foi
chrétienne, par M. Msérian, professeur de théologie à l’institut Lazareff
des langues orientales de Moscou, in-12, 1850 ; ouvrage qui a paru avec l’approbation
et le sceau de feu Mar Nersès, précédent catholicos d’Arménie.)
[162] Cette citation est apocryphe.
[163] Précédemment, en 1102, Baudouin du Bourg, alors
comte d’Édesse, avait commencé la fortune de Josselin de Courtenay, son cousin,
vir
nobilis de Frauda, de regione quae dicitur Gastineis. Il lui donna la partie de son comté située sur l’Euphrate,
et qui comprenait les villes de Gouris (Coricium) et de Dolouk (Tulupa), et les places fortes de Tellbâscher, Aïn-tab et
Rawendan, avec quelques autres ; il ne garda pour lui que le pays au delà de l’Euphrate,
dans le voisinage immédiat des infidèles, et Samosate, quoique englobée dans le
territoire qu’il cédait à Josselin. (Guillaume de Tyr, X, xxiv.) Plus tard, Josselin se montra
ingrat envers son bienfaiteur, au milieu de l’abondance où il nageait. Il ne
vint point au secours de Baudouin, quoiqu’il sût d’une manière certaine que ce
dernier et les siens étaient dans la détresse. L’historien latin raconte (XI, xxii), dans le» mêmes termes que
Matthieu d’Édesse, comment Baudouin punit Josselin, et comment celui-ci. chassé
de ses domaines, se rendit auprès du roi de Jérusalem, qui lui donna Tibériade.
Nous avons vu que Josselin, usant de son influence sur les barons de la Syrie,
fit prévaloir l’élection de Baudouin comme roi de Jérusalem. Le nouveau
souverain, en récompense de ce service, et désirant lui faire oublier la
violence avec laquelle il l’avait traité, lui donna le comté d’Édesse. Josselin
connaissait parfaitement ce pays. Baudouin, après avoir reçu son serment de
fidélité, lui conféra l’investiture par l’étendard, et Josselin prit possession
de son fief. (Guillaume de Tyr, XII, iv).
[164] La dénomination de Garmian ou Guermian,
donnée à une partie du territoire de Mélitène, date probablement de l’époque
des Seldjoukides, et vient de quelque émir Turcoman de ce nom. Le savant
orientaliste M. Defrémery (Athenaeum français, 1852) a proposé de lire Garsian, et pense qu’il
s’agit de la contrée appelée par les Grecs Charsianos, et Kharschénoun
par les Arabes, à laquelle Il suppose qu’appartenait la ville de Kharschéna
(ch. CLXXXVIII). Mais cette correction est inadmissible ; car le nom de Garmian
revient trois fois écrit très distinctement dans le texte de Matthieu, et cette
leçon est confirmée par l’autorité de cinq manuscrits. D’ailleurs la
transformation du grec Charsianos en Garsian choque les règles
fondamentales de l’orthographe arménienne.
[165] Cette agression d’Ilgazi contre les Francs doit
être la même que celle qui est racontée par Aboulféda et Ibn Alathir à l’année
514 hég. (2 avril 1120 - 21 mars 1121). Mais Josselin ne tarda pas à prendre sa
revanche sur les Infidèles, comme on le voit dans les nièmes auteurs, d’accord
avec Matthieu.
[166] Les détails par lesquels Matthieu d’Édesse
caractérise l’émir Gazi (khazi), vassal du roi de Géorgie, montrant
suffisamment que ce personnage ne doit pas être confondu avec le célèbre prince
de Mardin, Ilgazi, quoique le nom de l’un et de l’autre soit écrit, dans le
texte arménien, de la même manière ; en effet, notre auteur appelle toujours
Ilgazi Gazi. comme Aboulfaradj et Guillaume de Tyr ; Gauthier le chancelier
écrit Algazi.
[167] David II, dit le Réparateur, monta sur le trône
en 1089 et l’occupa jusqu’en 1125.
[168] Matthieu est dans l’erreur : il s’agit ici d’Abou’l
Azz Doubaïs, fils de Sadaka, d’après le témoignage de tous les auteurs musulmans,
et de l’historien chrétien Aboulfaradj. Il appartenait par son origine à la
tribu arabe des Beni-Açad, et était souverain de Hillah, sur l’Euphrate. Son
père était mort en 1108. En 517 14. (1123) le khalife Mostarsched ayant vaincu
Doubaïs, celui-ci se sauva dans la tribu arabe de Ghaziah, qui ne voulut pas l’accueillir,
et de là dans celle de Montafek, avec laquelle Il vint saccager Basra ; delà Il
passa en Syrie, chez les Francs, auxquels Ils s’efforça de persuader de s’emparer
d’Alep. En 523 (1129) il pilla une seconde fois Basra. — Aboulféda, Ann.
t. III. — Il fut mis à mort par l’ordre du sultan Maç’oud, auprès de la ville
de Khoï, par un esclave arménien, le 14 de dsou’lhidjé 529 hég. = 12 août 1135.
[169] Rafédhite, c’est-à-dire hérétique de la secte de
ceux qui maudissent Abou Bekr, Omar et Othman, et leur refusent la qualité de
légitimes califes ou vicaires de Mahomet, tout en soutenant au Contraire, avec
une partialité poussée jusqu’à l’excès, qu’Au et ses descendants en ligne
directe sont les seuls et véritables successeurs du Prophète. Cette secte, à laquelle
se rattachent les musulmans Shiites de la Perse, donna naissance à celle des
Bathéniens, Ismaéliens ou Assassins, dont le chef est connu par les récits de
nos chroniqueurs occidentaux et de Marco Polo sous le nom de Vieux de la
Montagne. La secte des Ismaéliens sapait dans ses fondements la doctrine du
Coran, et en général toute religion révélée. — Cf. S. de Sacy, Exposé de la
religion des Druzes. — Ce qui explique encore la qualification de
blasphémateur de Mahomet que notre auteur attribue à Doubaïs, c’est que
celui-ci fut en guerre continuelle avec le khalife Mostarsched, qui le
dépouilla de ses Etats. Mostarsched périt dans le mois de dsou’lka’dé 529 hég.
juillet 1135, sous le poignard de quelques Ismaéliens, envoyés, comme l’affirment
Noveïri et Aboulfaradj, par le sultan Sindjar.
[170] Le mont Tégor ou Didgor est au S.-O. de Tiflis.
[171] Les Kiptchak (Khaph’tchakh, Kheph’tchakh
ou Kheph’tchikh en arménien), peuples habitant au nord de la Géorgie,
depuis le Tanais, en s’étendant vers l’est, tout le long du bord septentrional
de la mer Caspienne, jusqu’au delà du Iaïk.
[172] Les Alans ou Alains avaient leur demeure au nord
de la Grande-Arménie, et étaient bornés à l’ouest par la Géorgie, au nord par
le pays des Massagètes, et à l’est par la mer Caspienne. Une colonie d’Alains
vint s’établir sur les bords du Danube, d’où, vers 406, ces peuples allèrent
avec les Suèves et les Vandales ravager la Germanie. Ils se répandirent dans
les Gaules et dans la péninsule Hispanique.
[173] Il faut lire le 14 août. Cf. pour la
rectification de cette date mes Recherches sur la chronologie arménienne.
[174] Dans le récit de cette expédition contre la
Géorgie, il est facile de reconnaître combien notre auteur a exagéré le chiffre
de» infidèles et les circonstances de leur défaite. Le témoignage d’Ibn-Alathir.
d’Ibn-Khaldoun et d’Ibn Djouzi (apud
M. Defrémery, Fragments de géographes et d’historiens arabes inédits relatifs
aux anciens peuples du Caucase et de la Russie méridionale, Journal asiatique,
1849), ainsi que celui d’Aboulfaradj (Chron. arabe), doivent être mis en
contraste avec celui de Matthieu. —En 514 hég. (1120-1121). les Géorgiens, unis
aux Kiptchaks, s’étant avancés suite territoire musulman, Ilgazi, Doubaïs ben
Sadaka et Mélik Thogrul, auquel appartenait l’Arran et Nakhdjavan jusqu’à l’Araxe,
marchèrent à leur rencontre avec trente mille hommes. Les deux armées se
rencontrèrent près de Tiflis. Elles se préparaient au combat, lorsque s’avancèrent
deux cents Kiptchaks ; les musulmans, pensant qu’ils venaient demander merci, n’eurent
aucune défiance ; tout à coup ces Kiptchaks font une décharge de flèches et
jettent le désordre dans leurs rangs ; ceux qui étaient par derrière, croyant à
une déroute, prirent la fuite. Les Géorgiens les poursuivirent l’espace de dix
parasanges, en en faisant un grand carnage : quatre mille musulmans furent
faits prisonniers. Mélik Thogrul, Ilgazi et Doubaïs parvinrent à s’échapper.
[175] Les chroniqueurs musulmans varient sur la date de
la prise de Tiflis par le roi David II. Aboulféda et Hadjil-Khalfa la placent
en 514 de l’hégire (1120 - 1121) ; Yakout et Elaïny en 515 (1121-2) ; Déhéby et
Haméky en 516 (1122-3) ; et Ibn Késir en 517 (1123-6). Cf. Brosset, Histoire
de la Géorgie, ce savant pense que la durée de deux ans, assignée au siège
de Tiflis par Déhéby, peut servir à concilier ces différentes dates. Mais l’ordre
de la narration de Matthieu semble impliquer un temps moins long, et Ibn
Alathir atteste que le siège dura de 514 à 515.
[176] Balag n’était point fils de la sœur d’Ilgazi,
comme le prétend Matthieu, mais de Behram, frère de ce dernier.
[177] Palou, place forte sur la rive septentrionale de
l’Euphrate, et chef-lieu du district de Palakovid ou Palahovid (vallée de
Palou), dans le district de Khozan, qui fait partie de la quatrième Arménie.
Palou est à trois journées ait nord d’Amid. Indjidji, Arm. Anc. et Arm.
mod.
[178] Houçam ed-din Timourtasch succéda à son père
Ilgazi à Mardin, et Schems eddaula Soleïman à Meïafarékïn.
[179] Le Schendjé ou Sindja, en arabe Nahr Elazrak
(fleuve bleu), le Singas de Ptolémée, est une
rivière considérable qui coule au sud de Samosate et se jette dans l’Euphrate
du côté occidental. Le pont du Sindja est de construction romaine, et les
écrivains arabes le citent comme une des merveilles du monde. Voir M. Reinaud, Géographie
d’Aboulféda, et Schultens, Index geographicus in vitam Saladini, au mot
Fluvius Sensja.
[180] Cette année le mois de hor’i vague correspondit
au 22 mars - 20 avril ; Pâques tomba le 15 avril, et, par conséquent, le mercredi
suivant fut le 18 avril 1123 (Cf. mes Recherches sur la Chronol. armén.)
[181] Le roi, voulant connaître par lui-même l’état des
affaires dans les possessions chrétiennes au delà de l’Euphrate, cheminait de
Tellbâscher vers Édesse, lorsqu’il fut pris, pendant la nuit, à l’insu des gens
de son cortège, par Balag, embusqué sur son passage. Ce malheureux événement
avant été connu, les grands du royaume et le clergé se réunirent près de Saint
Jean d’Acre, et donnèrent la régence à Eustache Grenier, connétable du royaume,
seigneur de Sidon et de Césarée. Mais Grenier mourut bientôt après, dans l’année,
et fut remplacé par Guillaume de Bures, seigneur de Tibériade, qui administra
avec le concours de Païen le chancelier. (Guillaume de Tyr, XII, xvii, xxi,
xxiv, xxv.) Kemal ed-din (ad annum 517) raconte que Baudouin.
étant parti le mercredi 17 de séfer (16 avril 1123) pour combattre Balag, qui
assiégeait la forteresse du Kerker (Gargar), le rencontra dans un lieu appelé
Aurasch, (Urasch, apud
Wilken, t. II), non loin du pont du Sendja. Le roi fut battu et fait
prisonnier, et la plus grande partie de son année et de ses officiers périrent,
quoique son armée fut supérieure en nombre à celle des infidèles. Balag pilla
la tente du roi, et, au bout d’une semaine, réduisit Kerker. Après quoi, il
alla renfermer Baudouin à Kharpert avec Josselin et Waléran.
[182] Ce coup de main si hardi entrepris par quelques
Arméniens, contre la forteresse de Kharpert, pour délivrer les prisonniers
chrétiens que Balag y tenait renfermés, et la fatale issue qu’il eut, sont
racontés par Guillaume de Tyr (XII, 8) qui dit que les libérateurs étaient au
nombre de cinquante.
[183] Suivant Guillaume de Tyr (XII, 17 et 21), le
royaume de Jérusalem fut administré pendant la captivité du roi Baudouin, d’abord
par le connétable Eustache Grenier (Grener ou Guernier), seigneur
de Sidon et de Césarée, lequel mourut en 1122, et ensuite par Guillaume de
Bures (Wilelmus de Duris), seigneur
de Tibériade.
[184] Suivant Kémal ed-din, Balag prit la forteresse de
Kharpert le 23 de redjeb 517 hég. =16 sept. H23. Il fit mettre à mort tous ceux
de ses guerriers, dans la garnison, qui l’avalent trahi, et les Francs qui se
trouvaient dans la place. Il ne fit grâce qu’à Baudouin, à Waléran et au fils
de la sœur de Baudouin. Après quoi il les fit conduire à Harrân (Khar’an), où
ils furent mis en prison.
[185] Les arôs sont une sorte d’oiseau que nous ne
connaissons que très imparfaitement. Le dictionnaire arménien vulgaire de Mékhithar
abbé rend ce mot par tchig, thôïl. Tchig me parait être l’arabe
schik, sorte d’oiseau aquatique du genre anas ; thôïl est
sans doute l’arabe thouwel, qui désigne un oiseau aquatique, à longs
pieds, ayant la queue noire et le plumage cendré.
[186] Ce fait si singulier est rapporté pareillement
par Michel le Syrien, Guiragos, Vartan et plusieurs autres historiens
arméniens. Il a quelque ressemblance avec celui que raconte Théodulphe, évêque
d’Orléans (viiie
siècle) dans ses Œuvres poétiques, ap. Sirmond,
Bibliotheca Patrum. (Voir d’Aldéguier, Histoire de Toulouse, t.
1er)
[187] Paul, surnommé Darônatsi, habitait le couvent de
Saint-Lazare, appelé aussi des Saints-Apôtres, à Mousch., dans le district de
Darôn, non loin de la ville d’Aschdischad. Il se montra un des plus ardents
adversaires de l’Eglise grecque.
[188] Matthieu fait allusion à saint Grégoire, premier
patriarche de l’Arménie, et surnommé par les Arméniens Louçavoritch ou l’Illuminateur,
comme ayant éclairé de la lumière de l’Evangile leur pays, couvert des ténèbres
de l’idolâtrie.
[189] Le Gour ou Cyrus, l’un des plus grands fleuves de
l’Arménie, prend sa source au mont Barkhar, le Paryadrés des anciens, dans la
province de Daïk’, qui est dans le nord-ouest de la Grande-Arménie, pénètre en
Géorgie, où il passe à Kôri et à Tiflis ; descendant ensuite vers le sud-est, il
rentre sur le territoire arménien, et, grossi par l’Araxe, va se jeter par
plusieurs embouchures dans la mer Caspienne.
[190] Les Aph’khaz, ou Abkhazes et Abazes, Abasgi ou
Avasgi, peuple chrétien, occupant de toute antiquité une portion du pourtour
oriental de la Mer Noire, entre la Circassie au nord et la Mingrélie au Sud,
sur le versant occidental du Caucase. Une fraction assez considérable de ce
peuple, désignée sous le nom d’Abadza, habite les hauteurs de la chaîne
vers le nord, où elle s’est mêlée aux tribus Tcherkesses. Les Aphkhases du littoral, convertis au christianisme
par Justinien au VIe siècle, furent depuis lors sous la dépendance,
tantôt des empereurs de Constantinople, tantôt des rois de Géorgie ; ils sont
aujourd’hui soumis au protectorat de la Russie et gouvernés par un des membres
de l’ancienne famille régnante des Scherwaschidzé, le prince Mikhaïl.
[191] Le sultan Sindjar.
[192] Tmanis ou Toumanis, ville de l’Arménie, sur les
confins de la Géorgie, à l’extrémité de la province de Koukark’, vers le
nord-est.
[193] Schirvan, ancienne capitale de la province de ce
nom, aujourd’hui en ruines. La province de Schirvan s’étend au nord-est de l’Arménie,
entre le fleuve Cour et la mer Caspienne. Indjidj, Arm. mod. Elle est
appelée aussi Agh’ouank’ ou Albanie. Voir ch. LXXXVIII.
[194] Schaki ou Schakê, ville arménienne qui a donné
son nom à une contrée située sur la rive gauche du Cour. Cette ville est
mentionnée par Guiragos et Etienne Orbélian, historiens du treizième siècle,
apud Indjidji, Arm. anc.
[195] Schamkar ou Schamkor, ville de la province
arménienne d’Oudi, à l’ouest et sur les bords du Cour. Guiragos en attribue la
fondation à Schath le khazir, fils de Dchapoukh, sous le règne de Khosrov, roi
de Perse, au sixième siècle. « Il bâtit, dit-il, cinq villes au nom de
Schath, savoir : Schathar, Schamkor, Schaki, Schirvan, Schamaki, ainsi que
Schabôran. » apud
Indjidji. Arm. anc. Jean Catholicos, historien du ixe siècle, mentionne aussi
la ville de Schamkar.
[196] Kôra, et en arménien vulgaire Kôri, ville de
Géorgie, au nord du Gour et à l’ouest de Tiflis. Mékhithar abbé, Dictionnaire
des noms propres. Voir la description de cette ville dans la Géographie
de Wakhoucht, trad. de M. Brosset.
[197] Dimitri Ier, fils de David II, régna
sur la Géorgie vingt-huit ou vingt neuf ans, de 1125 à 1154 ou 1155.
[198] Menbêdj appartenait à Haçan ben-Kumuschtékin
el-Ba’lbéky. Suivant Kémal ed-din (ad annum 518), Balag ayant passé auprès de cette place, invita Haçan à se
joindre à lui pour marcher ensemble contre Tellbâscher. Mais aussitôt Balag,
qui avait quelque sujet de mécontentement contre Haçan, le voyant en son
pouvoir, se saisit de lui et entra dans Menbêdj. Alors le frère de Haçan, nommé
‘Iça, se réfugia dans la forteresse pour tenir tête à Balag. C’est dans ces
conjonctures qu’il écrivit à Josselin. — D’après Ibn Djouzi, Haçan se trouvait
en ce moment à Alep, et ce fut là que Balag s’empara de lui.
[199] Aïn-tab, place forte de la Syrie, au nord d’Alep
; Hamtap ou Hatab de Guillaume de Tyr.
[200] Cette correspondance, établie par notre auteur
entre le 10 de sahmi et le 4 mai, est fausse. En cette année 573 le 10 de
sahmi, dans le calendrier vague arménien, coïncida avec le 28 avril. (Voir mes Recherches
sur la chronologie arménienne).
[201] On appelait Arévabaschd, adorateur du
soleil, ou Arévorti, fils du soleil, les Arméniens qui avaient conservé
l’ancien culte du feu, professé par cette nation avant qu’elle se convertit au
christianisme, vers le commencement du quatrième siècle. Les Arévorti se
maintinrent dans la Mésopotamie, principalement dans la ville de Samosate. Ils
y vivaient mêlés avec les Musulmans. Grégoire Magistros, qui écrivait au
onzième siècle, fait mention de ces sectaires dans une lettre adressée au
patriarche des Syriens. Ceux de Samosate voulurent embrasser le christianisme
dans le siècle suivant, comme on le voit dans une des lettres du patriarche
saint Nersès Schnorhali. Thomas de Medzoph’, historien du quinzième siècle,
dit, en racontant l’invasion de Timour (Tamerlan) en Mésopotamie : « Il
vint à Mardin et saccagea cette ville ; il détruisit de fond en comble quatre
villages habités par les adorateurs du feu, savoir : Schôl, Schmerschakh,
Safari et Maragh’i. Mais ensuite, par les instigations de Satan, ces sectaires
se multiplièrent à Mardin et Amid. » Ils subsistent encore dans la Mésopotamie.
Indjidji, Arm. anc., et Tchamitch, t. I et t. III.
[202] Kémal ed-din dit que la flèche qui frappa Balag
venait, comme le bruit courait, de la main même de ‘Iça, et qu’elle l’atteignit
à la clavicule gauche. Ibn Alathir et Aboulféda affirment que l’on ignorait de
qui ce coup était parti. Guillaume de Tyr (XIII, ii) donne une version tout à fait différente ; il dit que
Balag périt dans le combat qu’il livra contre les chrétiens, et que c’est
Josselin lui-même qui le tua, puis lui coupa la tête, sans le connaître. Cf.
Reiske, Adnot. histor. ad Abulfeda Annal.
t. III.
[203] Thomas de Metzoph, historien du xve siècle, (ms. de la
Bibliothèque impériale de Paris, supplémeut arménien, 11°, f°, 16), en
racontant l’invasion de Timour (Tamerlan) en Mésopotamie, dit : « Il vint à
Mardin, et saccagea cette ville... Il détruisit de fond en comble quatre
villages habités par les Arévorti, Schôl, Shêmrakh, Schmerschakh,
apud Indjidji, Archéol. armén. t. III). Mais
ensuite, par les artifices de Satan, ces sectaires se multiplièrent à Mardin et
à Amith. La croyance des Arévorti se rattachait au sabéisme, qui avait son
foyer dans la Mésopotamie, son principal sanctuaire et une école, devenue
célèbre, dans la ville de Harran.
[204] Le roi Baudouin, cette fois, était resté dix-huit
mois et un peu plus au pouvoir des infidèles. Sa rançon fut de cent mille
michaelitae, « quae moneta, ajoute Guillaume de Tyr (XIII, xv),
in regionibus illis, in
publicis commerciis et rerum venalium foro principatum tenebat. » Kémal ed-din (ad annum 518) affirme que le roi sortit de prison de
Schéïzar, le vendredi 17 de redjeb (30 août 1114).
[205] Bébou, forteresse de l’Euphratèse.
[206] Tchamitch raconte, t. III, que la forteresse de
Gargar’ avait été d’abord enlevée à Mikhaïl par Baudouin, auquel les Turcs la
prirent ensuite. Plus tard, les Turcs rentrèrent en possession de Bébou et de
Gargar’, et enfin il en furent chassés par les Latins, qui en confièrent le
commandement à Vasil, frère du patriarche saint Nersès Schnorhali. On lit dans
Aboulfaradj (Chron. syr.) que Mikhaïl s’empara de Gargar’, qui avait été
vendue aux Francs par Balag, qu’il céda cette place en échange de Souprous
à Josselin le jeune, lequel la revendit à Vasil. Plus tard, Mikhaïl étant allé
saccager le territoire de Kéçoun, tomba dans une embuscade que lui dressèrent
les Francs, et fut tué.
[207] Manoutchê, émir de la famille des Beni-Scheddad,
de la tribu kurde des Réwadis. — Cf. ch. X.
[208] Les habitants du district de Schirag, et
particulièrement ceux d’Ani, exposés aux incursions continuelles des Turcs,
étaient fatigués de cet état de choses. Ils avaient alors à leur tête Abou’lséwar,
fils de Manoutchê, homme sans courage et incapable de les protéger. Il résolut
d’abandonner cette ville, et proposa à l’émir de Gars de la lui vendre pour une
somme de 60.000dinars, suivant le témoignage de Vartan. Les habitants, informés
de ce projet, furent dans le trouble, et donnèrent avis de ce qui se passait au
roi de Géorgie, David II. Ce prince étant arrivé aussitôt, ils lui livrèrent
Ani, en 573 E. A.(19 fév. 1124 - 17 fév. 1125). Il y avait 60 ans que cette
ville était au pouvoir de infidèles. Après en avoir confié le commandement à un
chef géorgien appelé Abelhêth, et à Ivanê, fils de ce dernier, il s’en retourna
à Tiflis, emmenant avec lui Abou’lséwar. Tchamitch, t. III.
[209] Suivant Guillaume de Tyr (XIII, 14-3), la ville
de Tyr fut prise le 3 des calendes de juillet (28 juin) 1124, et Baudouin du
Bourg recouvra sa liberté deux mois après, le 4 des calendes de septembre (28
août). Matthieu s’est donc trompé en plaçant la délivrance de ce prince à une
date antérieure à cette conquête. Le duc franc dont parle ce chroniqueur est le
doge de Venise, Dominique Michieli, qui prit une part active au siège, en
bloquant avec sa flotte le port de Tyr. Les opérations militaires du côté du
continent furent dirigées par Pons, comte de Tripoli, petit-fils de Raymond de
Saint-Gilles, lequel était régent du royaume de Jérusalem pendant la captivité
de Baudouin. Les Croisés avaient tait venir d’Antioche un ingénieur arménien
nommé Avédik’. — Aboulféda (ad annum 518) dit que la ville se rendit à
composition, et que les habitants en sortirent, le 20 de djoumada premier 518 (5
juillet 1124), emportant tout ce qu’ils purent sauver de leurs richesses.
[210] Il faut lire Doubaïs fils de Sadaka. Notre auteur
commet la même erreur que nous avons signalée précédemment, ch. CCXXXI.
[211] Sultan-Schah, fils de Radhouân.
[212] Aboulfaradj nomme quatre fils de Kilidj Arslan à
savoir : Maç’oud, Mélik Schah, ‘Arab et Thogrul Arslan. Le premier, en succédant
à son père, fixa sa résidence à Iconium et laissa à Mélitène ses deux frères ‘Arab
et Thogrul Arslan. Mélik Schah avait été fait prisonnier par Gazi, fils d’Ibn
el-Danischmend, et aveuglé. C’est donc ou Thogrul Arslan ou ‘Arab que Matthieu
désigne sous le nom de sultan de Mélitène ; mais je crois qu’il s’agit du
dernier, comme semble l’indiquer le récit de l’historien syrien.
[213] Ak-Sonkor el-Boursouky prit possession d’Alep
dans le mois de dsoul’hiddjé 518 (janvier 1125), suivant Ibn Alathir.
[214] La veuve de Kilidj Arslan se nommait Isabelle, et
était sans doute chrétienne, comme on peut l’inférer de son nom. — Cf.
Aboulfaradj, Chron. Syr.
[215] Je crois que Meschar est la même ville dont le
nom est écrit quelquefois Masr, et dans Aboulfaradj, Maçara, et
que Ptolémée mentionne dans la description de la Petite Arménie (V, vii). Elle
semble répondre aujourd’hui à une position appelée Maschiré, (Méséré
dans la carte de l’Asie Mineure de Kiepert), village à huit lieues au sud-est de
Malathia (Mélitène), sur la route de Samosate, et chef-lieu d’un lieu du même
nom, dépendant du pachalik de Malathia.
[216] Le 11 juin. — Kémal ed-din donne la date du 6 de
rabi’ second 519 hég. = 12 mal 1225. Ce chroniqueur et Ibn Alathir ajoutent que
les musulmans éprouvèrent un terrible échec. Toutefois il parait que Matthieu
est tombé dans l’exagération ; car Guillaume de Tyr porte à deux mille le
nombre des musulmans qui furent tués, et Ibn Alathir dit seulement qu’il y en
eut plus d’un millier. Kemal ed-din assure qu’aucun des émirs et des principaux
officiers ne perdit la vie. Il est probable que ces deux auteurs ont dissimulé
la gravité du désastre que subirent leurs coreligionnaires.
[217] Kala’-Dja’bar, c’est-à-dire le château de Dja’bar,
forteresse de la Mésopotamie, sur l’Euphrate, non loin de Rakka. Calogenbar
de Guillaume de Tyr.
[218] Après avoir parlé du retour de Boursouky à
Mossoul. Guillaume de Tyr ajoute, (XIII, vi) que le roi, ayant réuni une somme
considérable, soit par les dépouilles des infidèles, soit par la libéralité de
ses amis, racheta sa fille, âgée de cinq ans, qu’il avait donnée en otage en
garantie de sa propre rançon.
[219] Hadji, en arabe, pèlerin, celui qui a fait le
pèlerinage de La Mecque, prescrit par la religion musulmane. — Au rapport de
Kémal ed-din, Boursouky fut tué par huit Bathéniens déguisés en derviches, qui
se jetèrent sur lui le vendredi après son retour à Mossoul, dans la mosquée où
il était ailé faire sa prière, et tandis qu’il s’avançait vers la chaire.
Suivant Ibn Alathir, c’était au moment où il priait dans la Djami’, placé au
premier rang des assistants, que dix hommes l’assaillirent à coups de couteau,
et il succomba après en avoir tué lui-même trois. Il expira le même jour, 8 de
dsou’lka’dé 520 hég., ou suivant Ibn Khallican, le lendemain 9 = 17 ou 18 nov.
1126 ; en 519, suivant Abou’l Méhacen. Aboulfaradj remarque que le seigneur d’Antioche
fit parvenir à ce jeune prince la première nouvelle de la mort de son père ;
les Francs, dit-il, l’avaient connue avant tous le» autres, à cause de l’extrême
diligence qu’ils apportaient à s’informer tout ce qui concernait les musulmans.
[220] Bohémond, le père du jeune Bohémond, après une
malheureuse expédition contre l’empereur Alexis, et avoir reçu un échec devant
Durazzo, était revenu dans sa petite principauté de Tarente, où il mourut au
commencement de mars 1111. Son fils, né en 1107, avait 22 ans, lorsqu’il arriva
en Palestine pour lui succéder à Antioche ; il épousa Aalis, seconde fille de
Baudouin du Bourg. Il eut de violents démêlés avec Josselin, comte d’Édesse,
qui, s’alliant aux Turcs, était entré sur les terres de Bohémond. Mais Baudouin
rétablit la paix entre eux. En 1130. Radhouân, prince d’Alep, étant venu
ravager le territoire d’Antioche, Bohémond accourut pour le repousser, et s’étant
avancé jusque dans la Cilicie, fut tué auprès d’Anazarbe, dans la plaine
appelée Pratum palliorum. Guill. de
Tyr, XIII, 21-27.
[221] C’est-à-dire du pays des Francs. Rome ayant été
la capitale politique de l’Occident sous les empereurs romains, et plus tard sa
métropole religieuse, est la ville de cette partie du monde que les Arméniens
connurent le mieux et dont le nom leur servait quelquefois à désigner l’Europe
d’une manière générale.
[222] Emâd ed-din Zangui n’avait que dix ans lorsqu’il
perdit son père, Kacim eddaula Ak-Sonkor, émir d’Alep. Il apprit le métier des
armes sous les plus grands généraux de son temps, Kerbogâ, Djekermisch, Maudoud
et Boursouky. Apres avoir été préfet de Bagdad, il fut créé émir de Mossoul en
521 hég. (16 janv. 1127 - 5 janv. 1128) par le sultan Mahmoud. Zangui étendit
son pouvoir sur Nisibe, Sindjar, Harrân, Djézireh, et ensuite sur Alep, Hama,
Emesse, Baalbek et autres places de la Syrie, qu’il posséda tout entière, à l’exception
de Damas (Aboulféda, Ann. t. III. Cf. M. Reinaud, Extraits des
historiens arabes relatifs aux Croisades). Il fut la tige des princes
atabeks de Syrie. Nos chroniqueurs latins le connaissent sous le nom de
Sanguinus. Il laissa un fils qui devint encore plus célèbre
que lui, Nour ed-din.
[223] En l’année 522 hég. (6 janv. - 24 déc. 1128).
Zangui occupa Alep. Les habitants de cette ville, redoutant précédemment les
Francs, l’avaient livrée à Ak-Sonkor el-Boursouky, qui, en s’en retournant à
Mossoul, laissa son fils Maç’oud à Alep. Après que Boursouky eut péri de la
main des Bathéniens, Maç’oud vint s’établir à Mossoul, siège du gouvernement de
son père. Alep passa entre les mains de plusieurs maîtres successifs. Au milieu
des troubles que ces changements occasionnèrent, les Francs songeaient à s’emparer
de cette ville. Josselin tenta d’y entrer, mais les habitants obtinrent son
éloignement à prix d’argent. Sur ces entrefaites Zangui ayant été investi du
commandement de Mossoul, envoya à Alep des forces considérables sous la
conduite des émirs Ak-Sonkor Daraz et Haçan Karakousch, avec un ordre du sultan
Mahmoud qui soumettait Mossoul, la Mésopotamie et la Syrie à Zangui. Celui-ci s’étant
mis lui-même en route pour Alep, prit en chemin Menbêdj et Bezah ; lorsqu’ils
fut près d’Alep, les habitants accoururent au-devant de lui et le reçurent avec
joie. Une fois en possession de cette ville, dans le mois de moharrem (janvier)
de cette année, il y rétablit l’ordre et la tranquillité. — Ibn Alathir et
Aboulféda, ad annum 522.
[224] Ce fils de Toghtékïn, émir de Damas, se nommait
Tadj el-Molouk Bouri. Après la mort de son père, arrivée en 522 hég. (1128), il
lui succéda dans sa principauté. Il mourut le 20 de redjeb de l’an 526 (17 mai
1132), après un règne de 4 ans 5 mois et quelques jours. (Aboulféda, t. III).
[225] Mélik-Thogrul fut placé sur le trône de Perse par
son oncle Sindjar en 526 hég. (1132). Il l’occupa pendant 3 ans et 2 mois, et
mourut à Hamadan dans le mois de moharrem 529 hég. = (21 oct. - 19 nov. 1134).
— Aboulféda, t. III.
[226] Nicétas Choniatès et Cinnamus le font succéder
immédiatement à Danischmend, tandis qu’il ne devint prince de Cappadoce qu’après
son père Gazi, fils de ce dernier. Gazi s’était emparé de Castamon (Kastemouni)
dans le thema Paphlagonum, et c’est
ce qui détermina l’empereur Jean Comnène, avec d’autres raisons dont il sera
question plus loin, à faire alliance avec le sultan d’Iconium contre Mohammed
et à passer en Asie : Après avoir pris Castamon et Gangra, il revint à
Constantinople, d’où l’année suivante (1137) il entreprit son expédition de
Syrie.
[227] La généalogie dynastique des émirs Turcomans de
Cappadoce présente, dans Matthieu, Grégoire le Prêtre, Vartan et Michel le
Syrien, de notables différences avec celle qui est donnée par Deguignes, Hist.
des Huns, t. I. En combinant les données que fournissent ces quatre
historiens avec les indications d’Aboulfaradj, de Nicétas Choniatès et
Cinnamus, d’Ibn Alathir et Aboulféda, j’ai essayé de rétablir d’une manière
aussi complète que je l’ai pu, la série des princes de cette dynastie. — Voir à
la fin du volume.
[228] L’auteur fait allusion au roi de Babylone,
Balthasar, qui, dans le splendide festin qu’il donna et que décrit Daniel (V,
6), se fit apporter les vases sacrés du temple de Jérusalem, et y but, avec ses
grands officiers et ses concubines.
[229] Isaïe, 1, 8. — Les paroles qui suivent sont une
imitation plutôt qu’une citation de l’Ecriture Sainte.
[230] C’est Jean Comnène.
[231] Baudouin, comte de Kéçoun et de Marasch,
mentionné par Guillaume de Tyr, XVI, III et 17, sous le nom de
Balduinus de Mares.
Le continuateur de Matthieu, Grégoire le Prêtre, nous apprend (ch. CCLIX) que
Baudouin était frère de Raymond de Poitiers, prince d’Antioche, et par
conséquent fils de Guillaume IX, duc d’Aquitaine. Jusqu’à présent on ne
connaissait que trois fils de Guillaume IX, savoir : Guillaume X, qui lui
succéda dans le comté de Poitou et dans les duchés d’Aquitaine et de Gascogne,
Raymond, qui devint prince d’Antioche, et Henri, dont fait mention Guillaume de
Tyr (XIV, 20), et qui fut religieux de Cluny (Dom Vaissete, Hist. de
Languedoc, XVI, 83). Les deux premiers étalent nés à Toulouse, l’un vers le
commencement de 1099, et l’autre dix mois après, comme semble l’indiquer l’auteur
de la Chronique de Maillesais, pendant que Guillaume IX faisait son séjour dans
cette ville, dont il s’était emparé en l’absence de Raymond de Saint-Gilles,
alors en Terre-Sainte. (Dom Vaissete, XV).
L’assertion de l’auteur
arménien sur le degré de parenté qui unissait Baudouin à Raymond de Poitiers
concorde parfaitement avec les paroles du docteur Huile, dans son Oraison
funèbre du comte Baudouin, et mérite d’autant plus de confiance, que Basile
habitait la ville de Kéçoun et était le confesseur de ce dernier. Les relations
intimes qui existaient entre Raymond et Baudouin viennent à l’appui de cette
assertion. Nous avons vu (ch. CCXXIII) Baudouin s’associer à la trahison dont
Raymond se rendit coupable envers le prince arménien Léon Ier. Les
deux villes de Kéçoun et de Marasch, dont Baudouin était seigneur, se
trouvaient dans la partie du territoire de la Cilicie sur laquelle s’étendait
la puissance des princes d’Antioche
[232] Les pays musulmans (Dadjgasdan) dont
Matthieu veut parler dans ce passage sont la partie de l’Asie Mineure qui se
trouvait sur la route de Jean Comnène vers la Syrie, et qui formait les Etats
des sultans d’Iconium.
[233] Cf. sur cette expédition, ch. CCXXIII.