CHRONIQUE DE MATTHIEU D’ÉDESSE (962 – 1136)

 

PREMIÈRE PARTIE

 

 

TRADUCTION.[1]

I. En l’année 401 de l’ère arménienne (2 avril 952 - 1er avril 953),[2] une famine terrible désola un grand nombre de pays. Dans les contrées du sud,[3] chez les Dadjigs (musulmans),[4] ce fléau se fit sentir avec une violence extrême, mais nulle part comme dans toute la Mésopotamie. Dans une foule de lieux, et notamment à Édesse (Our’ha),[5] cette célèbre métropole, restaurée par le roi d’Arménie Tigrane (Dikran),[6] les populations furent en proie à toutes sortes de tourments et de calamités. La famine dura sept ans, pendant lesquels elle fit périr une multitude incalculable de personnes. Chez les musulmans, la mortalité fut très grande ; elle emporta aussi un nombre immense de chrétiens. Il y avait cinq ans que ce fléau régnait, lorsque les sauterelles se répandirent du fond de cette province par nuées aussi épaisses que le sable de la mer, et ravageant toutes les campagnes, augmentèrent la rigueur de la famine. Une foule de gens, exaspérés par les angoisses de la faim, se précipitaient avec la cruauté des bêtes féroces, les uns sur les autres, et s’entredévoraient. Les grands et les riches étaient réduits à se nourrir de légumes et de fruits, car la mortalité avait détruit les bestiaux. Beaucoup de villages et de provinces perdirent leurs habitants, et depuis lors ne se sont plus repeuplés.

II. En l’année 407 (1er avril 958 - 31 mars 959), les musulmans se réunirent en corps d’armée à Édesse et dans toute la province qui dépend de cette ville. Ayant traversé en nombre immense l’Euphrate, ils marchèrent contre la place forte de Samosate (Samousad).[7] L’accubiteur,[8] général des Romains, homme vaillant et courageux, s’avança à leur rencontre. L’action s’engagea sous les murs de Samosate ; les musulmans battirent dans cette journée les troupes romaines[9] et en firent un grand carnage. Au bout de quelques jours ils prirent Samosate. Cette ville est dans le voisinage d’Édesse.

III. L’an 408 (1er avril 959 - 30 mars 960), l’empereur[10] Romain (Romanos),[11] ayant rassemblé une année, entreprit une expédition contre les musulmans. Ayant franchi l’Océan[12] sur une flotte, il s’avança contre la grande île de Crète (Grid), et après une lutte acharnée, il l’enleva aux Egyptiens, car toutes les îles et tous les pays situés sur le bord de la mer étaient au pouvoir des musulmans depuis quatre cents ans.[13] Cette même année, les Arméniens défirent Hamdoun,[14] général des musulmans.

IV. En l’année 410 (31 mars 96l - 30 mars 962), les musulmans[15] s’emparèrent d’Anazarbe (Anavarza) et d’Alep (Halab), sur le roi d’Égypte,[16] et exterminèrent les chrétiens, en nombre beaucoup plus considérable que leurs propres coreligionnaires.

V. Cette même année, le général des Arméniens[17] réunit le corps des troupes régulières,[18] qui comptait 5,000 hommes d’une bravoure éprouvée, et l’élite de l’armée royale. Tous les satrapes d’Arménie se rendirent auprès du saint patriarche Ananie,[19] afin de s’entendre avec lui pour donner l’onction royale à Aschod, père de Kakig,[20] comme on l’avait conférée à ses aïeux ; car ce prince ne s’était pas encore assis sur le trône d’Arménie et n’avait pas placé la couronne sur sa tête.

VI. Ils appelèrent, en le pressant par de vives instances, l’éminent seigneur Jean (Ohannès), catholicos des Agh’ouans (Albanie),[21] et quarante évêques avec lui. Ils convoquèrent aussi, avec une pompe digne de son rang, le saint et pieux roi de ce pays, Ph’ilibbê, fils de Kotchazkaz, fils de Vatchakan, ses prédécesseurs sur le trône.[22] Il y eut alors une réunion imposante dans la ville d’Ani, qui est aujourd’hui une résidence royale. Aschod fut sacré comme l’avaient été ses ancêtres, et il monta sur le trône qu’ils avaient possédé. Toute la nation fut dans la joie en contemplant la restauration de cette antique monarchie que nos pères avaient vue fleurir. Mais ce qui charmait tout le monde, c’était la bravoure de Kakig, qui était un saillant guerrier. A cette époque eut lieu le dénombrement de ses troupes, qui se montaient à 100.000 hommes tout équipés, et qui s’étaient illustrés par leurs prouesses ; car, semblables à des lionceaux ou à des aiglons, ils ne respiraient que les combats. Tous les souverains des pays voisins, celui des Aph’khaz,[23] des Grecs,[24] des Babyloniens[25] et des Perses,[26] ayant appris l’élévation d’Aschod, lui envoyèrent, avec des protestations d’amitié, des présents considérables comme un témoignage d’honneur rendu au roi d’Arménie. Après quoi le roi des Agh’ouans, Ph’ilibbê, et le catholicos, le seigneur Jean, les évêques et les troupes qui les avaient accompagnés, se retirèrent chargés de cadeaux et comblés de prévenances dans leur pays, où s’élève le trône de saint Thaddée, qui, avec saint Barthélemy, fut le premier apôtre de la Grande Arménie.[27]

Au bout de deux ans mourut l’empereur Romain l’Ancien,[28] laissant deux fils, Basile et Constantin.[29]

En l’année 412 (31 mars 963-20 mars 964), Nicéphore (Néguiph’or) régna sur les Grecs.[30] C’était un homme de bien, saint, animé de l’amour de Dieu, plein de vertu et de justice, et en même temps brave et heureux dans les combats. Miséricordieux pour tous les Fidèles du Christ, il visitait les veuves et les captifs, et nourrissait les orphelins et les pauvres.[31] Ayant réuni une armée immense, il traversa la mer Océane[32] et marcha contre les musulmans. Rugissant comme un lion, il s’avança avec impétuosité contre la Cilicie, et, après avoir remporté une insigne victoire, il se rendit maître de la célèbre ville de Tarse.[33] De là il vint s’emparer d’Adana, de Mecis (Mopsueste), de la grande cité d’Anazarbe ; il fit un horrible carnage des musulmans (Dadjigs)[34] et les poursuivit jusqu’aux portes d’Antioche.[35] Après ces magnifiques succès, il s’en retourna, traînant après lui une multitude de captifs et chargé de butin, et rentra à Constantinople, sa capitale. Il garda auprès de lui Basile et Constantin, fils de Romain,[36] et leur donna pour habitation son palais, où ils étaient traités avec une haute distinction et les plus grands honneurs.

VII. En l’année 412, un homme digne des derniers châtiments était retenu prisonnier dans une île ; il se nommait Tzimiscès (Tchémèschguig).[37] L’impératrice Théophano, infâme épouse de Nicéphore l’envoya vers lui en secret, et ayant obtenu un ordre de l’empereur, elle le fit sortir de l’île où il était confiné, et venir à Constantinople à l’insu de Nicéphore. Elle se ligua sous main avec lui pour qu’il tuât l’empereur, sous la promesse qu’elle lui fit de devenir sa femme et de lui donnera couronne. Tzimiscès accepta cet le proposition, et un soir que Nicéphore, ce prince pieux, assis sur son trône, lisait à la lueur des flambeaux de cire l’Ecriture sainte, l’impératrice, étant survenue, attacha fortement autour de lui l’épée qu’il avait à son côté. Puis elle alla trouver son complice et lui remit de sa propre main le glaive destiné à trancher la vie du juste. Tzimiscès étant entré furtivement dans la chambre de l’empereur, celui-ci, en le voyant, lui dit : « Chien enragé, que viens-tu faire ici ? » Puis, s’étant levé résolument, il cherchait son épée, mais il s’aperçut qu’elle était liée solidement à sa ceinture. Aussitôt Tzimiscès se précipita sur lui avec la férocité d’une bête sauvage, massacra cet excellent prince et coupa son corps en trois morceaux. Nicéphore, nageant dans le sang, rendit son âme au Christ, victime du plus atroce forfait. On découvrit alors qu’il portait sur la chair nue un cilice que dissimulait la pourpre dont il était revêtu, le sang de l’homme de Dieu rejaillit sur la figure des meurtriers.[38] Il fut enseveli à côté des saints monarques ses prédécesseurs, dans un magnifique sépulcre.[39] L’indigne Tzimiscès, monta sur le trône, s’empara du gouvernement de Constantinople, et soumit tout l’empire a son autorité. Il éloigna en toute hâte d’auprès de l’infâme impératrice les fils de Romain, Basile et Constantin, et les fit conduire à Vaçag-avan (bourg de Vaçag), dans le district de Hantzith,[40] auprès, de Sbramig, la mère du grand Mékhithar, afin de les soustraire au danger d’être empoisonnés. Le crime dont il s’était rendu coupable l’avait plongé dans une grande tristesse, et le livrait sans repos à de cuisants remords.

VIII. Vers le commencement de l’année 420 (29 mars 971 - 27 mars 972), le roi d’Arménie Kakig finit ses jours en paix.[41] Sa mort fut le signal d’une rivalité et de discussions qui s’élevèrent entre ses deux fils, Jean et Aschod.[42] Jean, l’aîné, était un homme savant et ingénieux, mais d’une grande obésité. Aschod avait en partage l’esprit militaire et un courage invincible et toujours heureux dans les combats. Cependant Jean s’arrogea le trône du roi son père, tandis qu’Aschod, parcourant le pays avec des troupes, le ravageait sur un grand nombre de points, et tenait la ville d’Ani investie. Il se rendit auprès de Sénékhérim, roi du Vasbouragan,[43] fils d’Abouçahl, fils d’Aschod, fils de Térénig, fils de Kakig, qui étaient de la race Ardzrouni, et tiraient leur origine d’Adrainélek, roi d’Assyrie.[44]

IX. Aschod reçut de Sénékhérim des troupes ; puis il alla vers Kourkên, roi d’Antzévatsik’ ;[45] de là il vint, à la tête de cette armée, à la montagne de Varak, au couvent de la Sainte-Croix,[46] et se prosterna devant le signe vénéré qui a porté Dieu, et devant l’image de la sainte Vierge. Comme il avait reçu des Arabes de l’or, qu’il avait apporté de Bagdad, et que lui avait donné le khalife, il prit sur ce trésor une valeur de 30.000 tahégans,[47] qu’il offrit à la Sainte Croix, et en fit faire un étui pour renfermer cette sainte relique, qu’il enrichit de pierres précieuses et de perles. Puis il s’avança avec des forces considérables contre la ville royale d’Ani. Jean, apprenant l’arrivée de son frère, ordonna de faire retentir la trompette guerrière, tandis qu’il restait assis sur son trône sans bouger. A ce signal, tous les habitants se levèrent en armes, et au nombre de 110,000 fantassins et de 20,000 cavaliers, s’avancèrent contre Aschod. Sur ces entrefaites, un des chefs de l’armée du roi de Géorgie était venu en ambassade auprès de Jean ; car la mère de ce dernier et d’Aschod, la reine Gadramidtkh, était la fille du roi de Géorgie, Kourkê.[48] Le chef Géorgien dit au roi : « O roi Jean, ordonne que l’on me montre seulement Aschod, et je me charge de le faire captif et de l’amener devant toi chargé de chaines » ; car ce chef était un intrépide et invincible guerrier. Jean lui répondit : « Aschod est un homme vigoureux, comment pourras-tu le conduire en ma présence ? — Je le prendrai vivant avec son cheval, » ajouta le Géorgien. — « Tu ne mépriseras pas le lionceau, » répartit le monarque, lorsque tu l’auras vu. Lorsque l’on en vint aux mains, ce chef, qui était Aph’khaz de naissance, s’élança comme un aigle à la recherche d’Aschod, en criant de toutes ses forces : « — O Aschod, avance ! » Celui-ci ayant entendu ce défi, devint furieux comme un léopard, et les deux adversaires coururent l’un sur l’autre. Le Géorgien ayant présenté sa lance à Aschod, celui-ci, prompt comme la foudre, passa par dessous, et le frappant de son épée sur le casque, le fendit de la tête aux pieds, quoiqu’il fût protégé par une cotte de mailles en fer, et l’étendit à terre tout de son long. Cette journée fut signalée par un combat terrible. Les habitants d’Ani furent mis si complètement en déroute, que les fuyards ne parvinrent pas à rentrer dans la ville, et tombèrent dans le fleuve Akhourian.[49] Aschod se retira après cette insigne victoire. Mais au bout de quelques jours, les Bagratides (Pakradouni) et les Bahlavouni,[50] et tout le reste de la noblesse qui servait dans l’armée, songèrent à rétablir la paix entre Jean et Aschod. Alors le patriarche Pierre[51] et les satrapes se rendirent auprès de ce dernier et firent une convention, qui fut sanctionnée par un serment solennel, et qui stipulait qu’Aschod serait roi des contrées voisines du district de Schirag, et commanderait hors de cette province à tout le reste de l’Arménie, et que Jean régnerait dans la ville d’Ani, et en outre, que si Jean mourait le premier, son frère deviendrait maître de tout le royaume. C’est ainsi que l’Arménie fut pacifiée.

X. Dans ce temps là, Apas[52] fut investi à Gars (Kars) de la puissance souveraine, par la volonté du chef de sa famille, Kakig, roi d’Arménie, ainsi que Kourkên,[53] chez les Agh’ouans. Car l’un et l’autre étaient princes du sang royal, et relevaient de la maison de Schirag. Quant à Aschod, il ne parvint jamais de sa vie à entrer dans la ville d’Ani.

A cette époque, un certain Abirad, fils de Haçan, lequel était un des satrapes les plus considérables de l’Arménie, redoutant le roi Jean, parce qu’il s’était ligué précédemment avec Aschod,[54] cessa de reconnaître l’autorité du roi, et rompant avec lui, se retira dans la ville de Tévïn, auprès d’Abou’lséwar (Abousevar),[55] général perse, avec 12.000 cavaliers. Celui-ci fit pendant longtemps grand cas d’Abirad, mais ensuite il se trouva des gens qui lui tinrent de mauvais propos sur son compte, en lui faisant entendre que si un aussi redoutable guerrier était venu le trouver avec des troupes nombreuses, c’était pour le perdre, lui et toute la nation des musulmans. L’émir ayant alors conçu dans son cœur de la haine contre le prince arménien, le manda en secret de ses troupes, sous prétexte d’avoir un entretien amical avec lui, et le fit périr.

Sari, qui était général en chef d’Abirad, ayant ramené la femme et les enfants de ce prince, ainsi que sa cavalerie, s’en vint à Ani. Jean déplora amèrement la mort si peu méritée d’Abirad, ce héros renommé dans toute l’Arménie, et donna à ses fils Abeldchahab et Vaçag, ainsi qu’à Sari, et à leurs troupes, la province et les dignités dont avait joui Abirad.

XI. A cette époque, le roi des Dilémites (Théloumni),[56] ayant réuni ses troupes, vint fondre inopinément sur le district arménien de Nik, et arriva non loin de la forteresse de Pedchni.[57] Vaçag,[58] généralissime des Arméniens, était assis en ce moment à un grand banquet avec son fils bien-aimé Grégaire (Krikor), et d’autres nobles de haut rang. Comme il jetait les yeux sur les endroits scabreux de la route, il aperçut un homme arrivant en toute hâte par la partie du chemin que suivaient les piétons. Aussitôt il se mit à dire : «Voici un porteur de mauvaises nouvelles. » Et, en effet, cet homme étant parvenu à l’entrée de la forteresse de Pedchni, se mit à crier d’une voix lamentable : «Tout le district de Nik est en proie à l’ennemi ! » Aussitôt le brave Vaçag, rugissant comme un lion, se leva et revêtit sa cotte de mailles, et après lui sept nobles, ainsi que le reste de la cavalerie, au fur et à mesure qu’ils arrivaient. Le corps de la noblesse s’arma à l’imitation de Vaçag, et on vit aussi accourir le vaillant et illustre Ph’ilibbê et Georges (Kork) Tchordouanel, ainsi que d’autres, tous pleins de bravoure et accoutumés à vaincre dans les combats. Vaçag ne put résister à son ardeur et attendre que ses troupes fussent toutes réunies, car il avait 5.000 hommes sous ses ordres. Comme son courage allait jusqu’à l’orgueil, il partit avec 500 hommes seulement, et, comme un lion furieux, se jeta dans le district de Nik. Il avait confié à son fils Grégoire la garde de sa famille et de la forteresse de Pedchni. Vaçag, arrivé à un couvent, communia avec tous ses soldats, après avoir fait tous une sincère et humble confession de leurs péchés. Sur leurs pas, ils rencontrèrent un village dont tous les habitants avaient été exterminés par les infidèles. Ceux-ci ayant cerné l’église, passèrent impitoyablement au fil de l’épée les chrétiens qui s’y trouvaient renfermés. A cette vue, Vaçag fit entendre un cri terrible comme celui du lion, et s’élançant sur les infidèles avec les siens, il en tua 300. Le reste, prenant la fuite, se replia précipitamment sur le corps de l’armée ennemie, qui s’avança aussitôt contre les chrétiens. En voyant se dérouler à leurs yeux ces innombrables bataillons, ceux-ci résolurent tous de mourir, et firent des prodiges de valeur. Tels que des loups au milieu des chèvres, ou des aigles fondant sur une troupe d’oiseaux, ils se précipitèrent avec intrépidité sur les rangs de l’ennemi, et, frappant de tous côtés, firent mordre la poussière à un grand nombre. En ce moment un guerrier sortit du milieu des bataillons des infidèles. C’était un noir,[59] homme redoutable, que l’on nominait Sept-Loups, parce qu’il faisait des ravages, à lui seul, comme sept de ces animaux à la fois au milieu d’un troupeau de moutons, Il était même plus terrible dans les combats. Ce noir marchait pareil à une nuée ténébreuse qui retentit des grondements du tonnerre ; il faisait jaillir le feu de sa cuirasse. Il cherchait et appelait à haute voix Vaçag. Le brave Emran[60] le vit qui s’avançait comme une montagne ébranlée par la tempête. Alors il revint vers Vaçag et lui dit : « Voilà un guerrier dont le pareil pour la force et la valeur n’existe pas sur la terre. — O bon et brave Emran, répondit Vaçag, pourquoi t’épouvanter de la vue de cet homme ? Je vais le combattre et le gratifier du présent que fit David à Goliath, ce blasphémateur du nom de Dieu. » Au moment où le noir arrivait, pareil à un animal féroce, en dirigeant sa lance contre Vaçag, comme s’il eût voulu l’enlever à la pointe de cette arme, aussitôt celui-ci, se glissant sous la lance, lui porta, avec son épée d’acier, un coup sur le casque, et le pourfendit de la tête aux pieds. Les deux parties de son corps, détachées l’une de l’autre, tombèrent à terre. Cet exploit redoubla le courage des chrétiens. Accablé de fatigue, au milieu de la lutte devenue plus acharnée et des coups d’épée qui se multipliaient, le brave Emran succomba ; car, dans cet engagement, les bataillons de la noblesse arménienne, égarés les uns loin des autres, ne purent être témoins de la mort de ceux d’entre eux qu’immolait le fer de l’ennemi.

XII. Vaçag, resté seul, se jeta comme un lion furieux au milieu des rangs des infidèles, et les traversa. Épuisé par la lutte qu’il avait soutenue, il se dirigea vers la montagne de Serguévéli,[61] et voulant se reposer, il s’assit à l’ombre des rochers. Les paysans qui s’étaient enfuis l’ayant aperçu, l’un d’eux, semblable à Caïn le meurtrier, s’approcha, et l’ayant trouvé endormi de lassitude, le poussa vivement et le lança du haut d’un rocher élevé. Telle fut la fin du brave Vaçag le Bahlavouni.

XIII. Voici ce qui arriva en l’année 421 (28 mars 972-27 mars 973). Le général des Romains,[62] le Grand Domestique Mleh,[63] marcha avec des forces considérables contre les musulmans, et, dans une foule de rencontrés, les vainquit par le secours du Christ. S’étant avancé contre la ville de Mélitène, il fit endurer aux habitants un blocus rigoureux qui leur interceptait les vivres et l’eau, et qui les contraignit à se rendre. Fier de ce succès, il vint mettre le siège devant Tigrane (Dikranaguerd), ville nommée aussi Amid, et qui est située sur le Tigre (Otkgh’ad).[64] Les musulmans firent une sortie, et un grand combat s’engagea aux portes de la ville. Les infidèles, avant été mis en fuite et ayant essuyé des pertes considérables, rentrèrent dans la place. L’armée romaine établit son camp sur les bords du fleuve, dans un lieu appelé Auçal, à deux portées de flèche d’Amid. Quelques jours après, un châtiment, signe de la colère divine, tomba du haut du ciel sur les troupes chrétiennes. Il s’éleva un vent si violent que la terre tremblait par le bruit qu’il produisait. La poussière, soulevée par son souffle impétueux, se répandit sur le camp, et, condensée en nuages épais, le rouvrit entièrement, tandis que cet ouragan entraîna les bagages dans le fleuve. Les hommes et les animaux étaient plongés dans les ténèbres, et ne pouvaient ouvrir les veux, aveuglés par les tourbillons de cette effroyable poussière. L’année romaine se trouvait ainsi enveloppée de tous côtés, sans issue pour sortir de cette terrible situation. Cependant les infidèles, témoins de ce châtiment céleste, et voyant que Dieu combattait pour eux, fondirent tous à la fois sur elle et en firent un horrible carnage. La plus grande partie fut exterminée. Le général des Romains et ses principaux officiers furent faits prisonniers et conduits à Amid. Ces officiers, tous d’un haut rang et illustres, étaient au nombre de quarante. Les chefs musulmans, voyant la défaite des chrétiens, conçurent de grandes craintes et se dirent : « Le sang romain que nous avons versé ne nous profitera pas. Cette nation fondra sur nous et détruira la race des musulmans. Eh bien ! faisons amitié et alliance avec le général et les officiers qui sont tombés entre nos mains, el, après avoir reçu leur serment, nous les renverrons en paix chez eux. Tandis qu’ils délibéraient entre eux sur ce sujet, la nouvelle du meurtre de Nicéphore[65] leur parvint. Alors ils envoyèrent ces quarante officiers au khalife,[66] à Bagdad, et tous y moururent. Le Grand Domestique adressa à Constantinople une lettre dans laquelle il avait consigné de terribles malédictions : « Nous n’avons pas été jugés dignes, disait-il, d’être ensevelis, suivant la coutume chrétienne, dans une terre consacrée, et nous n’avons obtenu pour nos ossements d’autre abri qu’une terre maudite et la sépulture des malfaiteurs. Non, nous ne vous reconnaissons pas pour le maître légitime du saint empire romain ; le trépas malheureux de tant de chrétiens, leur sang versé sous les murs d’Amid, et notre mort sur la terre étrangère, sont des griefs dont vous rendrez compte sur votre tête à Jésus-Christ notre Dieu, au jour du jugement, si vous ne tirez pas de cette ville une vengeance éclatante. » Cette lettre étant parvenue à l’empereur Tzimiscès, à Constantinople, il leva des troupes, cette année même, dans tout l’Occident, et, bouillant de colère, pareil à un feu ardent, il marcha contre les musulmans et se prépara à pénétrer dans l’Arménie.

XIV. A cette époque, les princes arméniens du sang royal, les nobles, les satrapes et les principaux seigneurs de la Nation orientale,[67] se réunirent auprès du roi Aschod le Bagratide.[68] Dans le nombre étaient Ph’ilibbê, roi de Gaban[69] le roi des Agh’ouans, Kourkên[70] Apas, seigneur de Gars’,[71] Sénék’érim, seigneur du Vasbouragan[72] Kourkên, seigneur d’Antzévatsik’[73] ainsi que toute la Maison de Saçoun.[74] Ils établirent leur camp dans le district de Hark,[75] au nombre de 80,000 hommes environ. Des envoyés de l’empereur, étant venus vers eux, virent toute la nation arménienne réunie sous les armes, dans un même lien. Ils revinrent en faire part à Tzimiscès, et partirent accompagnés de Léon le Philosophe,[76] du prince Sempad Thornetsi,[77] ainsi que d’autres personnages, évêques ou docteurs, députés par les chefs arméniens. Ces envoyés établirent paix et alliance fcnlre l’empereur et Aschod. Tzimiscès, à la tête d’une armée immense, se mit en marche et arriva en Arménie dans le district de Darôn. Parvenu à Mousch,[78] il s’arrêta devant la forteresse d’Aïdziats.[79] La première nuit, l’armée romaine fut vivement inquiétée par les fantassins de Saçoun. Les chefs et les docteurs arméniens, s’étant rendus auprès de Tzimiscès, lui présentèrent la lettre de Vahan,[80] catholicos d’Arménie. Il reçut ce message et ceux qui en étaient chargés avec bienveillance et une haute distinction, et confirma le traité d’amitié qu’il avait fait avec les Arméniens. Ayant demandé que les troupes d’Aschod se joignissent aux siennes, ce prince lui fournit un corps de dix mille Arméniens des plus braves, tout équipés. Il réclama aussi des vivres et des provisions qu’Aschod lui donna ; après quoi il renvoya vers le roi d’Arménie le docteur Léonce, les évêques et les chefs arméniens, comblés de marque de sa munificence.

XV. Tzimiscès, que l’on nommait aussi Kyr[81] Jean, porta la guerre contre les musulmans, et se signala par d’éclatantes victoires, marquant son passage en tous lieux par l’extermination et l’effusion du sang. Il détruisit jusqu’aux fondements trois cents villes ou forteresses, et arriva jusque sur les limites de Bagdad. Toutefois il épargna Édesse, par considération pour les moines qui habitaient la montagne voisine et le territoire d’alentour, au nombre d’environ dix mille. Puis il s’avança contre Amid, en proie à un violent ressentiment. Cette ville appartenait à une femme qui était la sœur de Hamdan (Hamdoun),[82] finir musulman, et avec laquelle Tzimiscès avait eu autrefois un commerce criminel. Ce souvenir retint les efforts qu’il aurait pu faire pour se rendre maître d’Amid. Cette femme, s’étant présentée sur le rempart, fit entendre à l’empereur ces paroles : « Eh quoi ! tu viens faire la guerre à une femme, sans songer que c’est une honte pour toi ! » Tzimiscès lui répondit : « J’ai fait serment de ruiner les remparts de ta ville ; mais les habitants auront la vie sauve. » — « Puisqu’il en est ainsi, reprit-elle, va détruire le pont qui s’élève sur le Tigre, et de cette manière tu accompliras ton serment. » L’empereur suivit ce conseil. Il emporta d’Amid de grosses sommes d’or et d’argent, mais n’entreprit aucune attaque, à cause de cette femme, et aussi parce qu’il était originaire du district de Khozan,[83] d’un lieu que l’on appelle aujourd’hui Tchemeschgâdzak. Elle était aussi de ce pays, car dans ce temps-là les musulmans avaient soumis un grand nombre de contrées. L’empereur les traversa en faisant coder des torrents de sang, et parvint jusqu’aux confins de Bagdad. Après les avoir parcourues dans tous les sens, en pénétrant jusque dans l’intérieur, il se dirigea vers Jérusalem,[84] et écrivit à Aschod, roi d’Arménie, une lettre ainsi conçue :[85]

XVI. « Aschod, Schahinschah[86] de la Grande Arménie, mon fils spirituel, écoute et apprends les merveilles que Dieu a opérées en notre faveur, et nos miraculeuses victoires, qui montrent qu’il est impossible de sonder la profondeur de la bonté divine. Les éclatantes marques de faveur qu’il a accordées à son héritage, cette année, par l’intermédiaire de Notre Royauté nous voulons les faire connaître à Ta Gloire, ô Aschod, mon fils, et t’en instruire ; car, en ta qualité de chrétien et de fidèle ami de Notre Royauté, tu t’en réjouiras et lu exalteras la grandeur sublime du Christ, notre Seigneur ; tu sauras ainsi que Dieu est le protecteur constant des chrétiens, lui qui a permis que Notre Royauté réduisît sous le joug tout l’Orient des Perses.[87] Tu apprendras comment nous avons emporté de Nisibe,[88] ville des musulmans, les reliques du patriarche saint Jacques ; comment nous leur avons fait payer le tribut qu’ils nous devaient, et leur avons enlevé des captifs. Notre expédition avait aussi pour but de châtier l’orgueil et la présomption de l’Emir el-mouménïn, souverain des Africains nommés Makhér Arabes,[89] lequel s’était avancé contre nous avec des forces considérables. Dans le premier moment elles avaient mis en péril notre année, mais ensuite nous les avons vaincues, grâce à la force irrésistible et au secours de Dieu, et elles se sont retirées ignominieusement, connue nos autres ennemis. Alors nous nous sommes rendus maîtres de l’intérieur de leur pays et nous avons passé au fil de l’épée les populations d’une foule de provinces. Après quoi, opérant promptement notre retraite, nous avons pris nos quartiers d’hiver.

« Au commencement d’avril, mettant sur pied toute notre cavalerie, nous nous sommes mis en campagne, et nous sommes entrés dans la Phénicie et la Palestine, à la poursuite des maudits Africains, accourus dans la contrée de Scham (Syrie). Nous sommes partis d’Antioche avec toute notre armée, et, avançant directement, nous avons traversé le pays qui autrefois nous appartenait, et nous l’avons rangé de nouveau sous nos lois, en lui imposant d’énormes contributions et en y faisant des captifs. Arrivés devant la ville d’Emèse,[90] les habitants de la contrée, qui étaient nos tributaires, sont venus à nous et nous ont reçus avec honneur. De là nous avons passé à Balbek, qui porte aussi le nom d’Héliopolis, c’est-à-dire la Ville du soleil, cité illustre, magnifique, bien approvisionnée, immense et opulente. Les habitants étant sortis dans des dispositions hostiles, nos troupes les mirent en fuite et les firent passer sous le tranchant du glaive. Au bout de quelques jours nous commençâmes le siège et nous leur enlevâmes une multitude de prisonniers, jeunes garçons et jeunes filles. Les nôtres s’emparèrent de beaucoup d’or et d’argent, ainsi que d’une grande quantité de bestiaux. De là, continuant notre marche, nous nous dirigeâmes vers la grande ville de Damas, dans l’intention de l’assiéger ; mais le gouverneur, qui était un vieillard très prudent, envoya à Notre Royauté des députés apportant de riches présents, et chargés de nous supplier de ne pas les réduire en servitude, de ne pas les traîner en esclavage, comme les habitants de Balbek, et de ne pas ruiner le pays, comme chez ces derniers. Ils vinrent nous offrir de magnifiques présents, quantité de chevaux de prix et de beaux mulets, avec de superbes harnais ornés d’or et d’argent.

Les tributs des Arabes, qui s’élevaient en or à 40.000 tahégans,[91] furent distribués par nous à nos soldats. Les habitants nous remirent un écrit par lequel ils promettaient de rester sous notre obéissance de génération en génération, à jamais. Nous établîmes, pour commander à Damas, un homme éminent de Bagdad, nommé Thourk (le Turc), qui était venu, accompagné de cinq cents cavaliers, nous rendre hommage, et qui embrassa la foi chrétienne. Il avait déjà, auparavant, reconnu notre autorité. Ils s’engagèrent aussi, par serment, à nous payer un tribut perpétuel, et ils crièrent : Honneur à Notre Royauté !

Ils s’obligèrent en même temps à combattre nos ennemis. A ces conditions, nous consentîmes à les laisser tranquilles. De là, nous nous dirigeâmes vers le lac de Tibériade, là où Notre Seigneur Jésus-Christ, avec deux poissons[92] [et cinq pains d’orge], fit son miracle. Nous résolûmes d’assiéger cette ville ; mais les habitants vinrent nous annoncer leur soumission, et nous apporter, comme ceux de Damas, beaucoup de présents et une somme de 30.000 tahégans, sans compter les autres objets. Ils nous demandèrent de placer à leur tête un commandant à nous, et nous donnèrent un écrit par lequel ils s’engageaient à nous rester fidèles et à nous payer un tribut à perpétuité. Mais nous les avons laissés libres du joug de la servitude, et nous nous sommes abstenus de ruiner leur ville et leur territoire. Nous leur avons épargné le pillage, parce que c’était la pairie des saints apôtres. Il en a été de même de Nazareth, où la mère de Dieu, la sainte Vierge Marie, entendit de la bouche de l’ange la bonne nouvelle. Etant allés au mont Thabor, nous montâmes au lieu où le Christ, notre Dieu, fut transfiguré. Pendant que nous faisions halte, des gens vinrent à nous, de Ramla et de Jérusalem, solliciter Notre Royauté et implorer notre merci. Ils nous demandèrent un chef, se reconnurent nos tributaires et consentirent à accentuer notre domination ; nous leur accordâmes ce qu’ils souhaitaient. Notre désir était d’affranchir le saint tombeau du Christ des outrages des musulmans. Nous établîmes des chefs militaires dans tous des thèmes (provinces) soumis par nous et devenus nos tributaires, à Bethsan,[93] qui se nomme aussi Décapolis, à Génésareth et à Acre, appelée également Ptolémaïs. Les habitants s’engagèrent par écrit à nous payer, chaque année, un tribut perpétuel, et à vivre sous notre autorité. De là, nous nous portâmes vers Césarée, qui est située sur les bords de la mer Océane, et qui fut réduite ; et si ces maudits Africains, qui avaient établi là leur résidence, ne s’étaient pas réfugiés dans les forteresses du littoral, nous serions allés, soutenus par le secours de Dieu, dans la cité sainte de Jérusalem et nous aurions pu prier dans ces lieux vénérés. Les populations des bords de la mer ayant pris la fuite, nous assujettîmes da partie supérieure du pays à la domination romaine, et nous y plaçâmes un commandant. Nous attirions à nous les habitants ; mais ceux qui se montraient réfractaires étaient forcés de se rendre. Nous suivîmes la route qui longe la mer et qui va aboutir en droite ligne à Béryte, cité illustre, renommée, protégée par de forts remparts, et qui porte aujourd’hui le nom de Beyrouth.[94] Nous nous en rendîmes maîtres après une lutte très vive. Nous fîmes mille Africains prisonniers, ainsi que Nouceïry,[95] général de l’Emir el-mouménïn, et d’autres officiers du plus haut rang. Cette ville fut confiée par nous à un chef de notre choix. Puis nous résolûmes de marcher sur Sidon ; dès que les habitants eurent connaissance de notre dessein, ils nous députèrent leurs anciens. Ceux-ci vinrent implorer Notre Royauté et demander à devenir nos tributaires et nos très humbles esclaves à jamais. D’après ces assurances, nous consentîmes à écouter leurs prières et à accomplir leurs volontés. Nous exigeâmes d’eux un tribut et nous leur imposâmes des chefs. Nous étant remis en marche, nous nous dirigeâmes vers Byblos,[96] ancienne et redoutable forteresse que nous prîmes d’assaut, et dont nous réduisîmes la garnison en servitude. Nous suivîmes ainsi toutes les villes du littoral en les mettant à sac et en livrant les habitants à l’esclavage. Nous eûmes à traverser des routes étroites par où n’avait jamais passé la cavalerie, routes affreuses et très pénibles. Nous rencontrâmes des cités populeuses et magnifiques, et des forteresses défendues par de solides murailles et par des garnisons arabes. Nous les avons toutes assiégées et ruinées de fond en comble, et nous en avons emmené les habitants captifs. Avant d’arriver devant Tripoli, nous envoyâmes la cavalerie des Thimatsis[97] et des Daschkhamadatsis[98] au défilé de K’arérès,[99] parce que nous avions appris que les maudits Africains s’étaient postés dans ce passage. Nous commandâmes à nos troupes de s’embusquer, et nous leur préparâmes un piège mortel. Nos ordres furent exécutés. Deux mille de ces Africains, s’étant montres à « découvert, s’élancèrent contre les nôtres, qui en tuèrent un grand nombre et leur « firent beaucoup de prisonniers, qu’ils conduisirent en présence de Notre Royauté. Partout où ils rencontraient des fugitifs, ils s’emparaient d’eux. Nous saccageâmes ! de fond en comble toute la province de Tripoli, détruisant entièrement les vignes, les oliviers et les jardins ; partout nous répandîmes le ravage et la désolation. Les Africains qui stationnaient lu osèrent marcher contre nous ; aussitôt, nous précipitant sur eux, nous les exterminâmes jusqu’au dernier. Nous nous rendîmes maîtres de la grande ville de Djouel, appelée aussi Gabaon,[100] de Balanée,[101] de Séhoun,[102] ainsi que de la célèbre Bourzô,[103] et il ne resta, jusqu’à Ramla et Césarée, ni mer ni terre qui ne se soumît à nous, par la puissance du Dieu incréé.

« Nos conquêtes se sont étendues jusqu’à la grande Babylone,[104] et nous avons dicté des lois aux habitants, et nous les avons faits nos esclaves ; car pendant cinq mois nous avons parcouru le pays avec des forces nombreuses, détruisant les villes, ravageant les provinces, sans que l’Emir el-mouménïn osât sortir de Babylone à notre rencontre, ou envoyer de la cavalerie au secours de ses troupes : et si ce n’eût été la chaleur excessive et les routes, dépourvues d’eau dans les lieux qui avoisinent cette ville, comme Ta Gloire doit le savoir, Notre Royauté serait arrivée jusque-là ; car nous avons poursuivi ce prince jusqu’en Egypte, et nous l’avons complètement vaincu, par la grâce de Dieu, de qui nous tenons notre couronne.

« Maintenant toute la Phénicie, la Palestine et la Syrie sont délivrées de la tyrannie des musulmans, et obéissent aux Romains. En outre, la grande montagne du Liban a reconnu nos lois ; tous les Arabes qui l’occupaient sont tombés captifs entre nos mains en nombre très considérable, et nous les avons distribués » à nos cavaliers. Nous avons gouverné l’Assyrie avec douceur, humanité et bienveillance Nous en avons retiré environ vingt mille personnes, que nous avons établies à Gabaon. Tu sauras que Dieu a accordé aux chrétiens des succès comme jamais nul n’en avait obtenu. Nous avons trouvé, à Gabaon, les saintes sandales du Christ, avec lesquelles il a marché lorsqu’il parut sur la terre,[105] ainsi que l’image du Sauveur qui, dans la suite des temps, avait été transpercée par les Juifs, et d’où coula, à l’instant même, du sang et de l’eau ; mais nous n’y avons pas aperçu le coup de lance. [Nous trouvâmes aussi,] dans cette ville, la précieuse chevelure de saint Jean-Baptiste le Précurseur.[106] Ayant recueilli ces reliques, nous » les avons emportées pour les conserver dans notre ville, que Dieu protège. Au mois de septembre, nous ayons conduit à Antioche notre armée sauvée par sa toute puissante protection. Nous avons fait connaître ces faits à Ta Gloire, afin que tu sois dans l’admiration en lisant ce récit, et que tu glorifies, de ton côté, l’immense bonté de Dieu ; afin que tu saches quelles belles actions ont été accomplies dans ce temps-ci, et combien le nombre en est grand. La domination de la sainte Croix a été étendue plus loin, en tous lieux ; partout, dans ces contrées, le nom de Dieu est loué et exalté ; partout est établi mon empire, avec éclat et majesté. Aussi notre bouche ne cesse de rendre de solennelles actions de grâces à Dieu, qui nous a accordé d’aussi magnifiques triomphes. Que le Seigneur, Dieu d’Israël, soit donc éternellement béni ! »

« A Anaph’ourdên[107] Léon, protospathaire de Terdchan,[108] gouverneur militaire de Darôn, salut et joie en notre Seigneur ! Nous avons appris que tu n’as pas remis la forteresse d’Aïdziats, comme tu l’avais promis. Nous avons écrit à notre commandant de ne pas l’occuper, et de ne pas prendre les mulets que tu étais convenu de livrer, parce que maintenant nous n’en avons plus besoin ; mais les 40.000 oboles[109] que nous avons envoyées, fais les porter à notre commandant, qui les transmettra à Notre Royauté. Tu obtiendras la récompense de tes travaux et une moisson proportionnée à ce que tu auras semé : tous les biens possibles, au fur et à mesure que tu les auras mérités. Tzimiscès écrivit aussi au docteur arménien Léonce, en ces termes : « A notre agréable et bien-aimé philosophe, l’illustre Pantaléon, salut ![110] Nous t’avons invité à te trouver, à notre retour de l’expédition que nous avons entreprise contre les musulmans, dans notre ville saille et bénie. Lorsque tu vins à nous de la part d’Aschod Schahinschah, mon fils spirituel, tu apaisas le ressentiment qu’il nous avait inspiré, et tu amenas Bab, le Bagratide, du district d’Antzévatsik, ainsi que Sempad Thornetsi, le protospathaire. Tu feras tous des efforts pour que nous te trouvions dans notre ville gardée par Dieu, et là nous célébrerons des fêtes solennelles en l’honneur des sandales du Christ, notre Dieu, et de la chevelure de saint Jean-Baptiste. Je serai enchanté, surtout, de te voir entrer en conférence avec nos savants et nos philosophes, et nous nous réjouirons en vous. Que Dieu soit avec nous et avec, vous, et Jésus-Christ avec ses serviteurs ! ».

Lorsque le docteur Léonce eut connu la volonté de l’empereur, il partit pour Constantinople. Des fêtes magnifiques eurent lieu en l’honneur des sandales de Dieu et de la chevelure du saint Précurseur. L’allégresse fut générale dans la cité impériale. Notre docteur arménien soutint des controverses en présence de l’empereur, avec tous les savants de cette ville, et se montra invincible dans son argumentation, car il répondit à toutes les questions d’une manière qui satisfit tout le monde. Il fut comblé d’éloges, ainsi que le maître de qui il tenait ses doctrines, et gratifié, par l’empereur, de cadeaux très précieux ; puis, tout joyeux de cette réception, il s’en retourna en Arménie, vers l’illustre Maison de Schirag.[111]

XVII. Après un grand nombre de combats livrés et de victoires remportées, Tzimiscès fut tout à coup saisi de la crainte de la mort et de la frayeur des terribles jugements de Dieu, lise rappelait, dans ses réflexions, la mort injuste du vertueux Nicéphore, et son sang innocent versé par lui. Plongé dans une douleur profonde, il pleurait et poussait des soupirs. Alors il résolut d’adopter une vie sainte, pour parvenir, si c’était possible, à racheter, à force de repentir, le meurtre qu’il avait commis. Il y avait cinq ans seulement qu’il était sur le trône.

Tandis qu’il était dans ces pensées, il lui vint une bonne inspiration, conforme aux volontés de Dieu. Il envoya à Vaçagavan, dans le district de Hantzith, et en fit ramener Basile et Constantin, fils de l’empereur Romain, ces deux princes qu’il avait envoyés précipitamment auprès de Sbramig, à cause de la crainte que lui inspiraient pour eux la perversité et la cruauté de l’impératrice [Théophano]. Lorsque Basile fut arrivé à Constantinople, Tzimiscès rassembla tous les grands de l’empire, et une réunion imposante eut lieu dans son palais. Ayant pris de ses propres mains la couronne qui était sur sa tête, il la plaça sur celle de Basile, le fit asseoir sur le trône et se prosterna la face contre terre devant lui. Après avoir remis à ce prince les rênes du gouvernement, et lui avoir rendu le trône de ses pères, il se retira dans le désert, et embrassa la vie monastique dans un couvent où il établit sa résidence. Celui donc qui hier encore était revêtu de la pourpre se trouvait maintenant le commensal des pauvres, dont il avait adopté l’humble condition, jaloux de mériter ainsi la béatitude promise par le saint Evangile, et d’acquitter la dette que lui imposait son crime envers l’innocent Nicéphore.[112]

XVIII. Ce fut vers le commencement de l’année 424 (28 mars 975 - 26 mars 976) que monta sur le trône Basile,[113] le père de tous, et fils de Romain l’ancien, petit-fils de l’empereur Constantin Porphyrogénète. Il se montra toujours plein de clémence envers ses peuples, et se rendit ainsi recommandable. Il était frère de Constantin. Pendant son règne il fit rentrer dans le devoir une foule de révoltés, et s’acquit une réputation de suprême bonté. Il était miséricordieux pour les veuves et les captifs, et rendait justice aux opprimés.

XIX. A cette époque, les troupes arméniennes de la province d’Antzévatsik’ éprouvèrent un échec dans le campement qu’elles occupaient. Ce fut la trahison d’un homme, brave d’ailleurs, qui en fut la cause.[114] Le roi d’Antzévatsik’, Térénig, l’ayant dépouillé du commandement de ses troupes, quoique ce fût un militaire plein de courage, le remplaça par un de ses nobles, nommé Sarkis. Abelgh’arib, profondément blessé, se mit d’intelligence avec les infidèles, et leur découvrit les moyens de surprendre les Arméniens, leur promettant en même temps de ne pas s’y opposer. « Fondez sur notre camp, leur dit-il, pendant la nuit. Le signal vous en sera donné par l’apparition d’un vêtement rouge arboré sur ma tente qui sera plantée sur la colline ; et mes soldats seront avec moi. Les infidèles marchèrent contre les Arméniens à l’improviste, tandis que le roi et ses troupes se livraient aux joies d’un festin. S’étant jetés ainsi pendant la nuit sur l’armée arménienne, ils en firent un grand carnage. Là, plus d’un brave, plus d’un illustre et intrépide guerrier trouva la mort. Jamais désastre ne fut plus déplorable ; car ce n’était rien moins qu’un combat livré en temps opportun. Les infidèles firent prisonnier le roi Térénig, mais aucun d’eux n’osa s’avancer vers la tente d’Abelgh’arib, parce qu’il s’y trouvait renfermé, entouré de ses soldats, et qu’il se tenait sur ses gardes. Térénig fut conduit dans la ville de Her.[115]

XX. Ce jour même les moines de Varak et de tous les couvents lancèrent de terribles malédictions contre Abelgh’arib. Les ermites et les cénobites, se soulevant dans leur indignation, l’excommunièrent et le rejetèrent du sein de l’Eglise. Cependant Abelgh’arib, rentrant en lui-même, pleura ; car c’était un homme loyal au fond et craignant Dieu. Il regretta amèrement d’avoir causé l’effusion du sang de tant de braves.

Alors il s’informa de la forteresse dans laquelle était détenu le roi à Her. On lui apprit qu’Abou’lhadji (Abel hadji)[116] avait délivré Térénig de ses chaines, et qu’à toute heure du jour il allait jouer à la paume[117] dans le meïdan (place publique), en dehors de la ville. Abelgh’arib, enchanté d’avoir obtenu ces renseignements, envoya un secret message à Térénig, et lui fit dire que lui, Abelgh’arib, se trouverait à une telle heure dans un endroit qu’il désigna, avec tout ce qu’il pourrait amener de forces, de se tenir prêt, et de monter un cheval excellent, de manière à venir le rejoindre. Un jour Abou’lhadji sortit pour aller jouer à la paume, escorté d’un grand nombre de ses officiers, et de mille hommes tout équipés. Abelgh’arib s’était placé en embuscade avec cinquante hommes. Alors Térénig ayant demandé à l’intendant des écuries son cheval qui était des meilleurs, et lui ayant donné ce qu’il possédait, il poussa devant lui les gens dont il était entouré et les conduisit du côté où Abelgh’arib s’était posté, caché par les arbres touffus des jardins de Her. Ayant frappé vivement son cheval, il s’éloigna et prit la fuite. A cette vue, l’émir Abou’lhadji et ses soldats s’élancèrent après lui, animés de fureur. Mais le roi, plaçant sa confiance en Dieu, courait avec intrépidité et finit par rejoindre Abelgh’arib. Cependant un des infidèles, qui était un noir, homme fort et courageux, arriva dans sa course rapide sur le roi. Celui-ci, poussant un cri comme un lion, se retourna contre son adversaire, et le frappant avec rage, le partagea en deux, depuis le haut du corps jusqu’à l’aine. Témoins de cette prouesse, les infidèles s’enfuirent, et Abelgh’arib, appelant à lui ses braves guerriers, se précipita sur ses ennemis. Etant arrivé jusqu’à l’émir Abou’lhadji, il voulut l’enlever de son cheval. Il le poursuivit jusqu’à la porte de Her. Mais l’émir, prompt comme l’éclair, s’élança par cette issue dans la ville. Aussitôt Abelgh’arib, de sa massue d’acier, frappa cette porte, qui était en fer, et y fit pénétrer son arme de part en part. Elle y est demeurée sans pouvoir en être arrachée jusqu’à présent, et on l’y a consolidée comme un clou. Ce fut de cette manière qu’Abelgh’arib affranchit le roi Térénig de sa captivité. Cet événement arriva dans le district arménien de Djouasch, au village de Pag, dans le Vasbouragan.

Au commencement de l’année 425 (27 mars 976 - 26 mars 977), Dieu appela à lui le saint patriarche des Arméniens, Ananie. A sa place on consacra le meilleur de tous, le bienheureux Vahan,[118] au milieu d’un immense concours de fidèles, présidé par le catholicos des Agh’ouans, le seigneur Jean. Ce fut donc cette année que s’assit sur le trône patriarcal le seigneur Vahan. Il résida dans le bourg d’Arkina.[119] Son élévation à cette dignité eut lieu d’après les ordres d’Ananie, ainsi que de Jean et d’Aschod.

XXI. Un des grands de l’empire grec, homme scélérat, se révolta contre l’empereur Basile. On le nommait Skléros (Sguélaros).[120] Ayant rassemblé une bande de malfaiteurs et de brigands, il leur faisait parcourir, le glaive à la main, les terres de la domination romaine. A la tête d’une nombreuse armée, il pénétra sur le territoire arménien. Cet homme abandonné de Dieu y fit des massacres incalculables. Les Arméniens ayant marché contre lui, le battirent complètement, taillèrent ses troupes en pièces et les mirent en fuite. Dès lors il n’osa plus revenir dans le pays des Romains ; mais se tournant du côté des musulmans, il se rendit à Bagdad. Après y avoir séjourné trois ans, il quitta cette ville et vint mourir sur les terres de l’empire, parmi ses compatriotes.

L’année 432 (26 mars 985 - 24 mars 986), le saint patriarche Vahan termina sa carrière, après avoir occupé cinq ans le trône de saint Grégoire. On lui donna pour successeur, dans les fonctions de catholicos, le seigneur Etienne (Sdéph’anos),[121] homme divin, orné des plus éclatantes vertus dont Jésus-Christ est le modèle. Il devint patriarche des Arméniens par la volonté et la bénédiction du seigneur Vahan. Le chef de la réunion qui eut lieu, lorsqu’il reçut l’onction sainte, fut le catholicos des Agh’ouans, le seigneur Jean. C’était dans le temps de l’empereur Basile, de Jean et d’Aschod, rois d’Arménie, et de Sénékhérim, fils d’Abouçahl, fils d’Aschod, fils de Térénig, fils de Kakig, de la race des Ardzrounis, de la maison de Sarasar.[122]

XXII. Sous le règne de ces princes, le maudit et exécrable tyran des Perses, Mamlan, amirabed des infidèles,[123] se mit à la tête de ses troupes. Dans sa férocité et sa cruauté brutale, s’élançant comme un dragon altéré de sang, il marcha contre les fidèles du Christ, avec la pensée de répandre l’extermination dans le monde. Il s’avança à la tête d’une formidable armée, qui couvrait de ses bataillons innombrables les montagnes et les plaines. En proie à la terreur qu’inspirait ce mécréant, toute la terre tremblait. Il saccagea par le fer et le feu un grand nombre de pays, et brûla les églises, qu’il privait ainsi des bénédictions divines. Il ne cessait de proférer des blasphèmes contre le ciel et contre le Très-haut. Quel spectacle que celui des chrétiens désespérés et anéantis par la terreur que leur causait cette bête cruelle ! car sa fureur atroce se répandait sur eux comme une bile pestilentielle. Il arriva avec cette immense armée dans le district d’Abahounik’, au pays de David (Tavith) le curopalate, prince des Géorgiens.[124] Il écrivit à ce pieux et saint homme une lettre remplie des plus horribles menaces et conçue en ces termes : Que personne ne t’abuse, ô toi, David, homme exécrable, scélérat, et pourri de vieillesse ; car si tu ne nous envoies pas immédiatement le tribut de dix années, et en otage les fils de tes nobles, avec un écrit où tu te reconnaîtras notre esclave, je marche aussitôt contre toi avec toutes mes forces ; et qui pourra alors te sauver de mes mains ? car je te ferai subir les plus cruels châtiments, ô immonde et scélérat vieillard. » C’est ainsi qu’il faisait retentir contre David le tonnerre de ses épouvantables menaces. Lorsque ce prince eut lu cette lettre, frappé des affreuses paroles qu’elle contenait, il la jeta hors de son palais, et fondant en larmes devant Dieu, il lui adressait ces supplications : « Suscite, ô Seigneur, disait-il, suscite tes armées, et rappelle-toi comment tu traitas Rabsacés et Sennachérib, cet impie, souverain de l’Assyrie,[125] car celui-ci profère d’aussi épouvantables blasphèmes. Mon Seigneur, ô Jésus-Christ, ne détourne pas les yeux des fidèles qui croient à ton saint nom. » Alors il ordonna de rassembler ses troupes, sa noblesse et sa cavalerie.

Dans le nombre étaient Vatchê, Devtad, Ph’ers,[126] et les autres troupes de l’Arménie, ainsi que trois mille fantassins armés d’arcs, et deux mille cinq cents cavaliers. L’abominable Mamlan était en ce moment campé dans le pays d’Abahounik’, au village nommé Khôçôns, avec 200.000 hommes. Cependant David s’avança à sa rencontre, après avoir prescrit à tous les siens de se mettre en prières, et d’obtenir le secours de la protection divine à force d’intercessions et de soupirs. Parvenu aux confins de l’Abahounik’, il établit, comme préfet de nuit, un vaillant guerrier nommé Garmeraguel, en lui confiant un corps de 700 cavaliers. De son côté, le prince passa la nuit entière en prières. A la veillée du matin arriva un des infidèles, accompagné de mille chevaux, lequel était le chef de l’armée de Mamlan.

XXIII. Le combat s’engagea entre ces deux troupes, quoique la nuit durât encore. La lune répandait un vif éclat. En ce moment il tomba un peu de pluie sur les montagnes, qui resplendirent comme la flamme d’un incendie. Ce spectacle fit croire aux infidèles que là était campée une année immense de chrétiens, et à l’instant ils prirent tous la fuite. A cette vue, Garmeraguel s’élança sur leurs traces l’épée à la main, et frappant comme sur une forêt touffue, il les exterminait sans pitié. Il s’empara de la femme de Mamlan et de son cheval de bataille, et les envoya à David, en lui annonçant l’heureuse nouvelle de la victoire qu’il venait de remporter. En cet instant le roi était encore en prières cette nouvelle l’étonna profondément. Aussitôt il se mit à la poursuite des infidèles avec toutes ses troupes, acheva leur déroute, et en fit un grand carnage. Une multitude innombrable de captifs, et un butin considérable d’or et d’argent tombèrent entre ses mains. Mamlan regagna ses états, couvert de honte. Mais ce revers n’abattit en rien son orgueil envers Dieu ; ses regards ne s’abaissèrent pas vers la terre, et ses indignes prières ne s’adressèrent point au Seigneur.

XXIV. Quelques années après, un exécrable complot fut ourdi contre David, ce prince vénérable. Les grands de sa cour, devenus les émules de Caïn et des autres meurtriers, poussèrent à l’accomplissement de leurs criminels desseins l’archevêque géorgien Hilarion. Celui-ci crucifia Dieu une seconde fois, car il mêla du poison au corps et au sang vivifiants du Christ, et fit du principe du salut un principe de mort. Après la célébration de sa messe homicide, il mit dans la bouche du saint roi une parcelle du mystère ainsi préparée, et cela en présence de Dieu, au milieu de l’église. David s’aperçut aussitôt de ce crime, mais il garda un silence absolu ; il se contenta de prendre du contrepoison pour calmer les douleurs qui le dévoraient. Le cruel Hilarion, persistant avec rage dans son projet infâme, pénétra dans la chambre de David pendant qu’il était profondément endormi, et ayant retiré le coussin qui soutenait sa tête, il le lui plaça sur la bouche ; puis, se précipitant dessus avec force, il l’étouffa et le fit périr dans d’horribles souffrances. Au bout de quelques années, l’empereur Basile, s’étant saisi d’Hilarion, ordonna de lui attacher une grosse pierre au cou, et le fit jeter dans l’océan : il fit éprouver le même sort à ceux des nobles qui avaient été les instigateurs de ce forfait. Ils périrent chargés des malédictions qu’ils avaient si bien méritées. Comme David portait le nom patronymique de l’empereur Basile,[127] ce monarque tira vengeance de ses meurtriers.

XXV. L’an 434 (26 mars 985 - 24 mars 986) vit mourir le patriarche des Arméniens, Etienne.[128] Il eut pour successeur le bienheureux Khatchig, homme illustre et habile dans la science de la sainte Ecriture. Ayant reçu une lettre du patriarche des Romains, métropolite de Mélitène, qui était un prélat expert et savant dans la connaissance des livres divins, le docteur arménien lui adressa une réponse fondée sur de solides et ingénieuses raisons, et qui plut à tous ceux qui en entendirent la lecture. Cette œuvre inspira une haute estime pour l’auteur au patriarche Théodore. Une étroite amitié se forma à cette occasion entre ce dernier et le seigneur Khatchig.

XXVI. En l’année 435 (25 mars 986 - 24 mars 987), un des grands de l’empire romain, nommé Mauro-Vart,[129] se révolta contre Basile. Il ravagea une grande partie des Etats de ce prince, les parcourant le fer à la main, réduisant les populations en esclavage. Les troupes romaines ayant été rassemblées, le chassèrent sur le territoire musulman. Mais au bout d’un an, ayant voulu franchir ces limites, Basile le fit mourir.

XXVII. Cette même année fut signalée par un tremblement de terre général, et Sainte Sophie s’écroula à Constantinople.[130] A cette époque, l’empereur Basile conçut le projet de ranger les Bulgares sous son obéissance. Il envoya Alusianus,[131] leur souverain, et à tous les chefs qui relevaient de ce dernier, l’ordre de venir se prosterner devant son trône. Mais ils s’y refusèrent.

XXVIII. Basile leva des troupes dans toute l’étendue de ses Etats, et, furieux, s’avança rapidement contre les Bulgares, portant partout dans leur pays la ruine et l’esclavage. Alusianus, de son côté, ayant réuni une armée, marcha à la rencontre de Basile. Une grande bataille fut livrée ; le roi des bulgares eut le dessus, et mit en fuite les troupes de Basile jusqu’à Constantinople. Les Bulgares leur enlevèrent un immense butin et une multitude de captifs. Basile, tout honteux, rentra dans sa capitale. Deux ans plus tard, il réunit de nouvelles forces, et marcha contre le roi des Bulgares, afin d’avoir sa revanche. Ayant rencontré les ennemis, il les mit en déroute et les poursuivit vigoureusement. Il ravagea leur pays par la famine, le glaive et l’esclavage. Puis il rentra à Constantinople, tout joyeux de son triomphe.

L’an 440 (24 mars 991 - 22 mars 992) mourut le catholicos des Arméniens, le seigneur Khatchig, après avoir siégé six ans. Il avait consacré, pour lui succéder, le seigneur Sarkis, homme recommandable par sa profonde intelligence des préceptes divins, agréable aux yeux de Dieu et des hommes par la pratique de toutes les vertus, et qui éclaira l’Eglise par sa doctrine lumineuse.[132]

XXIX. Cette année, les troupes égyptiennes, que l’on appelle Arabes occidentaux, pénétrèrent sur le territoire d’Antioche, et saccagèrent de fond en comble toute cette province. Les troupes romaines accoururent pour s’opposer à cette invasion. Lorsque les deux armées en vinrent aux mains, ces derniers furent mis en fuite, leurs principaux officiers faits prisonniers et conduits en Egypte.[133] Au bout de deux ans, la puissante nation des Romains vint fondre en nombre considérable sur l’Arménie, et se précipitant sur les fidèles du Christ, les livra impitoyablement à l’extermination et à l’esclavage. Elle apportait partout la mort avec elle, comme un serpent venimeux, et remplit dans cette occasion le rôle des infidèles. Mais aussitôt qu’ils furent entrés en Arménie, les troupes de la noblesse de ce pays se rassemblèrent pour les repousser. Les deux armées s’assaillirent avec fureur ; les braves heurtaient les braves, et le combat dura longtemps sans que la victoire se déclarât pour les uns ou pour les autres. On voyait le sang couler à flots des deux côtés. Cependant la lutte étant devenue encore plus acharnée, les Romains plièrent, et, battus par les Arméniens, s’enfuirent directement dans leur pays, couverts de honte, et échappés à grand’peine à ce désastre.

XXX. Cette année, l’émir des musulmans, nommé Longue-Main, vint avec des forces considérables porter la ruine et l’esclavage sur le territoire d’Édesse, et fit un mal immense à cette ville. Ayant traversé le grand fleuve Euphrate, il saccagea, sur la rive orientale, les contrées des Arméniens ; après quoi il s’en revint en triomphe dans le pays des Africains (Aph’riguetsis).[134]

XXXI. En l’année 446 (22 mars 997 - 21 mars 998) apparut une comète d’un aspect terrible et effrayant, et qui jetait un éclat étonnant.

XXXIL En l’année 449 (21 mars 1000 - 20 mars 1001), il y eut paix et alliance solennelle entre l’empereur Baille et Sénékhérim, roi arménien [du Vasbouragan]. Cette même année fut témoin de la mort de Sahag Marzban, seigneur de Varajnounik’.[135]

XXXIII. L’an 455 (20 mars 1006 - 19 mars 1007) Basile rassembla tontes les forces de son empire et marcha contre les Bulgares. Il séjourna longtemps dans leur pays, occupé à leur faire une guerre terrible.

A cette époque, de grands troubles s’élevèrent à Constantinople et dans tout l’empire, par suite de l’erreur dans laquelle tombèrent les Grecs, à Pâques, au sujet de la célébration du saint jour de la Résurrection. Tous les docteurs de cette nation se trompèrent sur le sens exact des préceptes de l’Écriture inspirée par Dieu. Adoptant le faux comput de l’opiniâtre Irion,[136] ils rejetèrent le calcul irréprochable du grand André ; ils portèrent la pleine lune de Pâques au samedi du dimanche précédent, et firent cette fête après un jour d’intervalle, tandis qu’il ne fallait la célébrer qu’au bout de huit jours. Toute la nation grecque erra ainsi complètement. Une grande tristesse régna dans l’église de Constantinople, mais Surtout dans la sainte cité de Jérusalem, parce que, dans leur obstination orgueilleuse, ils avaient fait avancer la Pâque jusqu’au dimanche des Rameaux. ils se mirent en contradiction sur ce point avec tous les autres peuples, et principalement avec le Christ, car la secte des philosophes avait déclaré la guerre à l’Esprit saint. A la Pâque de cette année, les lampes ne s’allumèrent pas au saint tombeau qui a reçu un Dieu, à Jérusalem,[137] à cause de la fausse opinion qu’avaient adoptée les Grecs, et parce qu’ils célébrèrent cette fête en violation de la loi. Cependant, ce jour là, les infidèles qui se trouvaient à Jérusalem, témoins de la célébration de la Pâque des chrétiens, dans l’église de la sainte Résurrection, les passèrent tous au fil de l’épée, au nombre de 10.000 environ, et le sépulcre du Christ fut rempli du sang de ceux qui étaient venus y prier. Leurs ossements sont demeurés jusqu’à présent entassés dans une caverne, à l’occident de Jérusalem, et on les désigne aujourd’hui sous le nom de Reliques des Jeunes gens. Telle fut l’œuvre de ces judicieux savants de la nation grecque.

XXXIV. Basile, après avoir vaincu les Bulgares et s’être rendu maître de leur pays, s’en revint à Constantinople dans la joie du triomphe. Lorsqu’il eut appris les massacres qui avaient eu lieu à l’occasion du saint jour de Pâques, il appela tous les philosophes et leur demanda la cause de ce qui s’était passé. Ceux-ci entreprirent, d’après leurs idées particulières, de tromper l’empereur par différentes raisons, et par une fausse apologie de leur conduite. Mais Basile démêla ce qu’il y avait d’ambigu dans leurs réponses, et comprit qu’ils lui en imposaient, et qu’ils étaient en même temps dans l’erreur. Comme depuis longtemps il avait entendu dire que les docteurs arméniens étaient très versés dans la science des livres saints, et qu’il connaissait de nom Joseph (‘Ovseph’), abbé du couvent d’Endzaïouts,[138] et Jean, surnommé Gozer’n,[139] il écrivit à Jean, roi d’Arménie, de lui envoyer ces deux docteurs à Constantinople, afin qu’il apprit d’eux la véritable doctrine, et l’époque exacte de la Pâque. Mais Joseph et Jean refusèrent de se rendre à cette invitation ; ils se bornèrent à écrire à Bulle, et, pst une suite de raisonnements bien enchaînés, par un examen approfondi de la question, ils le mirent au courant des points controversés. Le clergé de Constantinople ne céda pas toutefois à leurs raisons. Alors Basile expédia un nouveau message en Arménie, pour Jean Schahenschah, et pour le seigneur Sarkis, catholicos, et à force d’instances, il obtint d’eux qu’ils lui envoyassent Samuel, docteur très savant et très profond. L’empereur le mit aux prises, dans une assemblée, avec les docteurs grecs. Ceux-ci opposèrent à Samuel tous leurs livres, mais sans réussir à le faire dévier de la vérité. Le docteur arménien, commençant par le premier jour de la création et poursuivant jusqu’au jour qui était l’objet de la discussion, détermina avec certitude, en leur présence, le point fixe, au milieu de la divergence des calendriers. Tous ses raisonnements plurent à l’empereur. Les savants grecs dirent à Basile : « Seigneur, ordonne de faire venir ici le grand docteur des Hébreux, qui demeure dans l’île de Chypre, lui qui, depuis l’enfance, a acquis une si vaste érudition dans la science du calendrier, et dans toutes les branches des connaissances humaines. » Ayant envoyé à Chypre, il en fit venir ce docteur, qui se nommait Moïse (Mouci). Cet homme éloquent et savant, debout dans l’assemblée, en présence de l’empereur, se mit à discourir sur les principes du calendrier, prouva l’erreur des Grecs et les couvrit de confusion, tandis qu’il prodigua des éloges au docteur arménien, pour sa démonstration. Alors l’empereur, irrité contre les savants de sa nation, destitua un grand nombre d’entre eux de leurs fonctions ecclésiastique, et le dépouilla de leurs honneurs ; puis il renvoya Samuel, comblé de présenta, en Arménie.

XXXV. Sous le règne de ce prince, et en l’année 452 (21 mars 1003 - 19 mars 1004), apparut un astre couleur de feu, dont la présence dans le ciel annonçait des malheurs et la destruction du monde. Des tremblements de terre se firent sentir partout, au point qu’une foule de gens crurent que la fin des siècles allait arriver. Comme au temps du déluge, chacun était dans la consternation. La terreur qu’inspira le fracas occasionné par ce phénomène les empêchait de se confesser et de communier. Les hommes et les animaux périrent, et les bestiaux qui avaient échappé à la destruction erraient abandonnés et sans guide.

XXXVI. En l’année 460 (19 mars 1011 - 17 mars 1012). Basile réunit une armée et marcha contre les Bulgares, qu’il vainquit. Il passa au fil de l’épée, sans miséricorde, les habitants d’un grand nombre de provinces, ravagea tout l’occident, et en ramena les populations en servitude. Il extermina entièrement la nation des Bulgares. Il fit périr par le poison le vaillant Alusianus, leur souverain, et après lui avoir ainsi ôté la vie, il prit sa femme et ses enfants, et les conduisit à Constantinople.[140]

XXXVII. Au commencement de l’année 467 (17 mars 1018 - 16 mars 1019), un fléau annonçant l’accomplissement des menaces divines tomba sur les chrétiens, adorateurs de la sainte Croix. Le dragon au souffle mortel apparut accompagné d’un feu destructeur, et frappa les croyants à la sainte Trinité, Alors tremblèrent les fondements des livres apostoliques et prophétiques, car il arriva des serpents ailés pour vomir des flammes sur les fidèles du Christ. Je veux, par os langage, faite entendre la première irruption des bêtes féroces altérées de sang. A cette époque, se rassembla la sauvage nation des infidèles que l’on nomme Turcs.[141] S’étant mis en marche, ils entrèrent dans la province de Vasbouragan, et firent passer les chrétiens sous le tranchant du glaive.

XXXVIII. La triste nouvelle de ce désastre étant parvenue au roi Sénékhérim, son fils aîné, David, réunit les troupes de la noblesse arménienne, et s’avança contre le camp des Turcs. Un combat terrible s’engagea entre les deux années. Jusque-là on n’avait jamais vu de cavalerie turque. Les Arméniens, en face de l’ennemi, aperçurent ces hommes à l’aspect étrange, armés d’arcs et ayant les cheveux flottants comme des femmes. Ils n’étaient pas habitués à se prémunir contre les flèches de ces infidèles, et cependant ils les chargèrent avec intrépidité, l’épée nue ; ces braves, s’avançant comme des héros, en massacrèrent un grand nombre. Les Turcs, de leur côté, atteignirent avec leurs flèches beaucoup d’Arméniens. A cette vue, Schabouh[142] dit à David « O roi, retire-toi de devant l’ennemi, car une grande partie des nôtres a été blessée à coup de flèches. Partons et allons revêtir nos armures pour résister aux armes que nous voyons entre les mains des infidèles, et nous garantir de leurs traits. » Mais David, ayant la conscience de son haut rang, et plein de fierté, n’écouta pas les conseils de Schabouh, et s’élança de nouveau au combat. Schabouh, irrité, se précipita sur lui, et le frappant rudement du poing sur les épaules, le força à retourner. Ce Schabouh était un valeureux guerrier, et comme il avait élevé David en qualité de gouverneur, il ne le craignait pas. C’est ainsi qu’il fit revenir le prince sur ses pas, avec ses troupes. S’étant rendus à la ville d’Osdan,[143] ils racontèrent au roi Sénékhérim comment étaient équipés les infidèles. Ce récit affligea tellement ce prince, qu’il cessa de prendre de la nourriture, et s’abandonna, tout pensif, à la plus profonde tristesse. Il passait les nuits entières sans sommeil, occupé sans cesse à l’examen des temps et des paroles des Voyants, oracles de Dieu, ainsi que des saints docteurs. Il trouva consignée dans les livres l’époque marquée pour l’irruption des Turcs, et sut que la destruction et la fin du monde étaient imminentes. Voici les lignes qui s’offrirent à lui dans ses recherches

En ce temps-là ils s’enfuiront de l’orient à l’occident, du nord au midi, et ils ne trouveront pas de repos sur la terre, car les plaines et les montagnes seront inondées de sang. Voici ce qu’a dit Isaïe : « Les pieds de leurs chevaux sont fermes. Sans cesse et chaque jour ils s’adonnent à l’intempérance, entraînés par leur amour et leur passion pour de sales voluptés. » Le patriarche et les évêques, les prêtres et les religieux préféreront l’argent à Dieu, « O mes chers enfants, désormais la volonté de Satan sera accomplie parmi les fils des hommes plutôt que celle de Dieu, par ceux-là même qui embrasseront désormais le service de ses autels. Aussi le Seigneur fera éclater sa colère contre ses créatures, mais surtout contre ceux qui l’offrent en sacrifice, car le corps et le sang du Christ, consacrés à la Messe par des ministres indignes, seront distribués à d’indignes chrétiens, et Jésus-Christ sera blessé bien plus cruellement par ces prêtres sacrilèges que lorsqu’il fut torturé et crucifié par les Juifs. Satan a été délivré de ses liens au bout de mille ans depuis que le Christ l’avait enchaîné. O mes enfants, voilà ce que je viens vous annoncer, le cœur oppressé, versant des larmes et gémissant à la pensée qu’un grand nombre de chrétiens renonceront à leur foi et renieront avec ostentation le nom du Sauveur. C’est à cause de ces impiétés que les ténèbres ont enveloppé le monde. » Telles sont les paroles que fit entendre le saint patriarche d’Arménie[144] en prédisant l’accomplissement des vengeances célestes. Il annonça aussi beaucoup d’autres malheurs qui attendaient les fidèles et qui se réalisèrent successivement par suite de l’irruption de ces chiens enragés de Turks, de ces scélérats et immondes fils de Cham.

Cette même année, où se montra le terrible phénomène dont nous avons parlé précédemment, mourut le saint empereur Basile, après avoir porté le sceptre cinquante-huit ans.[145] Il avait auparavant fait venir son frère Constantin, et de son vivant, lui posant la couronne sur la tête, l’avait fait asseoir sur le trône en se prosternant, la face contre terre, devant lui. Il lui confia l’administration du royaume. Par son testament, il lui recommanda l’Arménie, voulant qu’il traitât ce pays avec un amour paternel. Il appela aussi sa sollicitude sur les fils de Sénékhérim, David, Adom, Abouçahl et Constantin, ainsi que sur tous les grands d’Arménie ; il lui prescrivit aussi de témoigner la plus grande bienveillance aux fidèles du Christ. Baille, après avoir passé sa vie dans la sainteté et la virginité, s’endormit en Jésus-Christ. Il fut enterré à côté des saints monarques ses prédécesseurs, avec les regrets dus au souvenir de ses vertus.

XXXIX. Cette même année, mourut Sénékhérim, roi d’Arménie. Son corps fut transporté dans le tombeau de ses pères, au lieu de la sépulture de nos anciens souverains, à Varak, dans le couvent de la Sainte-Croix. C’est là qu’il fut déposé en compagnie de ses ancêtres.[146] La couronne d’Arménie passa à David, son fils aîné, prince glorieux, qui avait rendu son nom redoutable au loin.

XL. Cette année fut aussi marquée par la mort de Kourki, roi de Géorgie.[147] Il eut pour successeur, son fils Pakrad, lequel fut investi de la domination sur tout le pays.

XLI. Constantin, frère de Basile, devenu empereur, se montra bon, pieux, compatissant pour les veuves et les captifs, et enclin à pardonner les offenses des méchants. Aussi fit-il mettre en liberté tous ceux qui avaient été incarcérés ; il ordonna de brûler la prison des condamnés, que Basile avait fait construire, et qu’il avait remplie des grands de l’empire. Car Basile, craignant pour son trône, avait fait étrangler les personnages les plus considérables, et leurs corps étaient pendus là, recouverts de leurs vêtements et attachés par la gorge à des crochets en fer. Ce spectacle arracha des larmes des yeux de Constantin, et il donna l’ordre de les ensevelir, en même temps qu’il fit détruire cette prison. Accusant la cruauté de son frère :

Eh ! quoi, s’écria-t-il, la fin de l’homme est toujours imminente ; pourquoi donc cette mort cruelle, dans le but de préserver une vie corporelle et passagère ? Constantin gouverna avec des dispositions pacifiques, et se montra plein de douceur envers les fidèles. Après un règne de quatre ans,[148] il termina ses jours dans une foi parfaite en Jésus-Christ ; et laissant après lui une mémoire vénérée, il alla rejoindre ses pères. Sa mort causa un deuil universel parmi le peuple, privé d’un si bon prince. Constantin avait donné sa fille, la princesse Zoé, en mariage à Romain, l’un des plus hauts dignitaires de sa cour, et comme il n’avait pas de fils, Romain lui succéda, et l’empire passa tout entier sous son obéissance.

XLII. L’année 479 (14 mars 1030 - 13 mars 1031), Romain rassembla toutes les troupes grecques et marcha contre les musulmans. Il vint camper sous les murs de la forteresse nommée Azaz,[149] dans le voisinage d’Alep.[150] Les musulmans, se réunissant en nombre immense, s’avancèrent contre les Grecs. Romain, effrayé, n’osa pas en venir aux mains, car c’était un prince déminé, incapable, d’un mauvais naturel, et impie blasphémateur de la foi orthodoxe. Aussi ses troupes ne l’aimaient pas, et elles avaient résolu de l’abandonner pendant le combat, au milieu des musulmans, et de prendre la fuite, afin qu’il trouvât la mort dans les rangs ennemis. Cependant un des principaux chefs de son armée, nommé Aboukab, qui avait été précédemment garde de la tente de David, curopalate de Géorgie, lui révéla ce complot. Romain, épouvanté, prit la fuite pendant la nuit, escorté des grands de sa cour. Les musulmans, instruits de son départ précipité, s’élancèrent sur les traces de l’armée romaine, en firent un grand carnage, et tuèrent environ 10.000 hommes. Les Romains se débandèrent, et chacun s’enfuit de son côté, dans toutes les directions.[151] Au bout de quatorze jours, un paysan de la ville de Gouris[152] trouva Romain, qui avait cherché un refuge au milieu des arbres, et tellement engourdi par le froid, qu’il paraissait mort. Cet homme quitta son travail pour transporter l’empereur dans sa maison, et lui ayant prodigué des soins, le rappela à la vie ; mais il ignorait qui il était. Quelques jours après, il le confia à des hommes qui le conduisirent dans la ville de Marasch. Là, les débris de son armée vinrent le rejoindre et l’accompagnèrent jusqu’à Constantinople. Au bout de quelques jours, Romain fit appeler celui qui l’avait recueilli, le nomma gouverneur du district de Gouris, et après l’avoir comblé de présents et de remerciements, le fit reconduire chez lui.

XLIII. Au commencement de l’année 480 (14 mars 1031 - 12 mars 1032), mourut Schebl, émir d’Édesse. Il y avait alors dans cette ville deux émirs, Schebl et Otheïr (Oudaïr).[153] Des trois forteresses qui s’élevaient dans son enceinte, deux, ainsi que les deux tiers de la ville, obéissaient à Schebl ; une forteresse et l’autre tiers reconnaissaient l’autorité d’Otheïr. Ces deux chefs cherchaient réciproquement à se faire périr. Un jour, Schebl invita Otheïr à un festin, et le conduisit hors de la ville, dans un lieu appelé le Couvent d’Ardjédj, là où s’élève une colonne de pierre en face de la forteresse, sans que l’un soupçonnât les intentions de l’autre. Schebl donna à ses soldats un signal pour fondre sur Otheïr, lorsque les troupes de ce dernier, survenant tout à coup, massacrèrent Schebl. Alors Otheïr, à leur tête, dirigea ses efforts contre la principale forteresse de Schebl, et voulut sen emparer. Salman, qui en avait le commandement, était retranché dans la partie supérieure Otheïr r.tta. vivement ; Salman, réduit à l’extrémité, envoya à Nacer-eddaula, qui était un des principaux émirs des musulmans, et résidait à Meïafarékïn (Mouph’argh’in),[154] pour lui dire qu’il lui cédait la forteresse d’Édesse. Nacer-eddaula envoya Bal el raïs[155] à la tête de mille cavaliers, et fit venir Sabnan et sa femme auprès de lui, en lui donnant de riches présents. Otheïr, arrêté dans ses attaques, conclut avec Bal-elraïs une paix simulée, cherchant secrètement les moyens de lui ôter la vie. Bal-elraïs ayant eu vent de ses projets, profita du moment où ils étaient assis ensemble à un banquet, hors des murs d’Édesse, pour tuer Otheïr et se rendre maître de toute la ville. La femme d’Otheïr voyant qu’elle avait perdu son mari, s’opposa héroïquement à Bal-elraïs, et arborant un drapeau noir, elle alla implorer toute la nation des Arabes. Elle leur dit que les Kurdes (Kourt), dans une irruption, venaient de s’emparer de la ville qui était le patrimoine des Arabes, et avaient tué son mari. Par ces paroles, elle souleva une multitude considérable et la guida contre Bal-elraïs. Nacer eddaula, apprenant cette agression, marcha contre les Arabes avec des forces considérables, tandis que la femme d’Otheïr s’avançait contre lui. Elle lui livra un grand combat et le mit en fuite. Après quoi elle attaqua Bal-elraïs et livra à la citadelle de vigoureux assauts. Bal-elraïs, réduit à la situation la plus critique, et se trouvant dans l’impossibilité d’en sortir, fit prévenir Nacer-eddaula du danger qu’il courait, et lui apprit que c’en était fait de lui, Bal-elraïs, et de tout le Kurdistan (Kertasdan). Nacer-eddaula, à bout de ressources lui-même, envoya Salman dans la forteresse d’Édesse, et rappela Bal-elraïs auprès de lui, à Meïafarékïn. Cependant la femme d’Otheïr ne cessait chaque jour d’inquiéter Salman. Celui-ci, épuisé par ces attaques incessantes, expédia à Samosate une lettre pour Maniacès, chef romain, que l’on nommait aussi Georges, et dans laquelle il lui disait que s’il obtenait pour lui de l’empereur des Romains une dignité et un gouvernement de province, il remettrait Édesse entre ses mains. Cette proposition causa un vif plaisir à Maniacès, qui s’engagea par un serment solennel à obtenir pour lui tout ce qu’il demandait, à lui rendre sa principauté héréditaire et ses dignités, et à en assurer la transmission à ses enfants.

Alors Salman appela Maniacès, et lui fit cession de la forteresse. Aussitôt celui-ci partit avec 400 hommes, et pendant la nuit il s’approcha en cachette de la porte de la place. Salman, averti de son arrivée, alla, les clefs à la main, trouver Maniacès. Se prosternant devant lui, il lui remit la forteresse, et se retira cette nuit même, emmenant sa femme et ses enfants, qu’il conduisit à Samosate. Les musulmans, apprenant que Maniacès était dans les murs d’Édesse, attaquèrent vivement cette ville en nombre considérable ; (ceux de leur nation qui l’habitaient) en sortirent. Cependant les Syriens se fortifièrent dans la grande église de Sainte-Sophie, tremblants pour leurs femmes et les trésors d’or et d’argent qu’ils possédaient ; dans la crainte d’en être dépouillés, ils n’osèrent pas se réfugier dans la citadelle. Quelques jours après, une foule d’entre eux périrent par le feu avec leurs richesses, et ceux qui échappèrent à ce funeste sort cherchèrent un asile dans la forteresse auprès de Maniacès, et furent sauvés. Ils évitèrent ainsi les assauts terribles que les musulmans donnèrent à l’église de Sainte-Sophie. Ceux-ci avaient placé du côté nord une machine qui battit fortement en brèche cet édifice, jusqu’à ce qu’il fût écroulé. Puis, ayant jeté du feu dans l’intérieur, l’incendie se déclara, et une grande partie des personnes qui y étaient renfermées, ainsi que des richesses immenses et toutes les provisions des habitants que l’on y avait accumulées, devinrent la proie des flammes. La nation entière des musulmans soulevée vint fondre sur Maniacès. Celui-ci, renfermé dans la forteresse d’Édesse avec 400 hommes seulement, fit des prodiges de valeur.[156] Cependant les émirs les plus considérables accouraient chacun de leurs provinces vers Édesse, de l’Egypte, du pays des Babyloniens, ainsi que Schebl de Khar’an, celui-là même qui fut blessé par un serviteur de Maniacès, nommé Rouzar’n, lequel était venu à lui en qualité de messager, et, à ce litre, à l’abri de tout soupçon.

D’un coup de sa hache d’armes, il l’atteignit à l’épaule ; puis, avec la rapidité d’un aigle, il courut vers le fossé de la ville et y sauta, après avoir perdu son cheval, qui avait été criblé de blessures. On vit arriver en même temps l’émir Saleh[157] d’Alep, Mahmoud (Memod) de Damas (Temeschg), Mohammed (Mahmêd) de Hêms, Aziz de l’Egypte (Mesr), Ali de Menbédj, Abdoullah (Abola) de Bagdad, Koreïsch de Mossoul (Mocel), Nacer-eddaula de Pagh’ésch,[158] Houceïn de Her, Goudan de Salamasd,[159] Ahi d’Arzoun,[160] Ahvarid de Zepon,[161] Ahlou de Bassora (Paçara), Vrêan de Guerguécéra,[162] Schahvarid de Séboun, sans compter quarante autres émirs, lesquels se réunirent contre la forteresse d’Édesse. Tout l’été ils rivalisèrent d’efforts pour s’en emparer. Ce siège traînait en longueur, lorsque les musulmans voulurent brûler la ville et se retirer. Mais les habitants détournèrent les effets de cette résolution, à force de supplications et de présente. Ils firent comprendre aux assiégeants que les Romains, entourés des musulmans, ne pourraient pas conserver cette ville, que dans peu de temps ils l’abandonneraient en prenant la fuite, et regagneraient leur pays. Ces raisons parurent excellentes aux principaux chefs des musulmans, et après des assauts réitérés et des attaques prolongées contre la forteresse, ils rentrèrent chacun chez eux. Cependant Maniacès, cantonné dans la place, continuait toujours à se défendre contre les gens du pays qui ne cessaient de le harceler jour et nuit. Lui et toute sa garnison se trouvaient dans une perplexité extrême, parce que les vivres leur manquaient, et qu’il était impossible d’en introduire dans la ville. L’empereur Romain ayant appris la résistance héroïque de Maniacès, éprouva une très vive joie, qui fut partagée par tous les fidèles du Christ. Il fit venir Salman et ses enfants, et leur conféra de hautes dignités et le commandement de plusieurs provinces. Ils se firent chrétiens. Tous les ans, l’empereur envoyait des renforts de troupes à Édesse ; il fit construire une forteresse qu’il appela de son nom Romanopolis.[163] Cependant les Arabes des pays limitrophes ne cessaient d’inquiéter les Romains sur toute la route qui conduit de Samosate à Édesse, et chaque année ils massacraient une quantité incalculable de chrétiens, dont les ossements restaient gisants, entassés comme des monceaux de pierres. Comme Maniacès était toujours dans la situation la plus fâcheuse, Romain eut l’idée de faire transporter du pain à Édesse dans des sacs, à dos d’homme.[164] Il fit partir pendant la nuit 60.000 soldats[165] romains, qui, traversant l’Euphrate, se dirigèrent vers Édesse, Or, il n’y avait d’autre édifice sur le territoire d’alentour, que Ledar.[166] Lorsqu’ils furent parvenus à Barsour, Schebib fondit sur eux, et les poursuivant jusqu’à Têsnatzor,[167] tailla en pièces ces 60.000 hommes. Édesse resta plongée dans ces tribulations jusqu’au moment où les habitants, reprenant courage, triomphèrent de leurs ennemis. L’empereur fit la paix, et ils recouvrèrent la tranquillité ; dès-lors la persécution contre les chrétiens eut un terme. Ces événements se passèrent sous le règne du roi Aschod le Bagratide,[168] sous le patriarcat du seigneur Pierre, catholicos d’Arménie. Mais plus tard, à l’époque de Thogrul (Doukhril), sultan des Perses,[169] Édesse fut prise par les infidèles. Après avoir enduré tant de peines, tant de fatigues et de tourments, le brave Maniacès fut destitué du commandement d’Édesse par Romain, qui en investit Aboukab, garde de la tente de David le Curopalate.

XLIV. Lorsque la révolution du calendrier arménien amena l’année 480 (11 mars 1031 - 12mars 1032), une famine horrible désola tous les pays, et fit périr une multitude de gens. Il y en eut un grand nombre qui, dans la pénurie qu’ils éprouvaient, vendirent leurs femmes et leurs enfants. L’état de souffrance auquel étaient réduits ces malheureux était tel, qu’en parlant, ils rendaient l’âme. La terre fut dévastée par ce fléau.

XLV. L’année 484 (13 mars 1035 - 11 mars 1036) mourut l’empereur Romain, victime des embûches de sa femme, qui lui servit un breuvage empoisonné, et qui se défit de lui par ce crime. Michel (Mikhaïl) monta sur le trône par la volonté de l’impératrice, fille de Constantin.[170]

XLVI. À cette époque, David, roi d’Arménie, fils de Sénékhérim, termina sa carrière, laissant le royaume de ses pères à son frère Adom. Celui-ci était un prince vertueux et juste, d’une vie sainte en Jésus-Christ, rempli de mansuétude et de bonté, miséricordieux envers les affligés, le soutien des pauvres et le protecteur des religieux, car il bâtit un grand nombre d’églises et de couvents.

XLVII. Cette même année, les musulmans revinrent avec des forces considérables contre Édesse, et passant sur la rive orientale du grand fleuve Euphrate, ils répandirent partout le meurtre, l’esclavage et la ruine. Une foule de chrétiens furent traînés en esclavage. Ils ravagèrent Alar, Sévavérag,[171] teignirent de sang les eaux des fontaines et des ruisseaux, et firent tant de massacres, que la terre fut inondée de celui des chrétiens.[172]

Cette même année, les troupes romaines, se rassemblant, marchèrent contre les musulmans. Elles étaient commandées par le frère de Michel, empereur des Grecs.[173] A la tête d’une nombreuse cavalerie, il arriva à Mélitène ; mais, redoutant les musulmans, il n’osa pas sortir de la ville pour en venir aux mains avec eux. Ceux-ci, ayant connu son arrivée, reprirent le chemin de leur pays. Les Romains en firent autant, et rentrèrent chez eux, craignant de s’aventurer sur le territoire ennemi. Dans leur marche, ils plongèrent les chrétiens dans le deuil, pins même que n’avaient fait les musulmans.

XLVIII. À la date de notre calendrier marquée par l’an 485 (12 mars 1036 - 11 mars 1037), le soleil s’obscurcit et offrit aux regards un aspect terrible et menaçant. Car de la même manière qu’il avait dérobé sa lumière, au moment où Jésus-Christ fut crucifié, il se couvrit alors de ténèbres et se revêtit de deuil. Les astres s’enveloppèrent d’obscurité, et les cieux se tendirent de noir, comme d’une ceinture. Le soleil se voila en plein midi, et les étoiles apparurent comme au milieu de la nuit. Les ténèbres devinrent tellement épaisses, que toutes les créatures se mirent à pousser des cris ; les montagnes et les collines en retentirent ; les rochers tremblaient, agités sur leurs bases, et les flots de l’océan bouillonnaient bouleversés. Les enfants des hommes, plongés dans la douleur, versaient des larmes. A la vue de ce spectacle, ils étaient glacés d’épouvante, comme s’ils eussent été frappés par la mort. Le fils pleurait sur son père, le père sur son fils ; les petits enfants, épouvantés, tombaient dans les bras de leurs parents ; et les mères, en proie à une profonde affliction, pareille à un feu dévorant, se lamentaient sur leur sort. C’est ainsi que tous étaient dans la tristesse, assiégés de terreur, et no voyant aucun remède à leurs maux. En présence de ce désordre de la nature, la stupéfaction et l’épouvante étaient générales. Alors le seigneur Pierre, catholicos des Arméniens, et le roi Jean, députèrent plusieurs personnages considérables au docteur arménien Jean, surnommé Gozer’n, afin d’obtenir de lui l’explication de ce signe céleste si extraordinaire. Car c’était un saint homme, admirable par ses austérités, habile interprète de l’ancien et du nouveau Testament, et rempli des grâces de la doctrine. Ceux qui furent chargés de ce message étaient Grégoire Magistros, fils de Vaçag,[174] et Sarkis le Grand, de la race de Haïg,[175] ainsi que plusieurs nobles et prêtres arméniens. Ils partirent pour aller le consulter sur la seconde apparition de ce phénomène effrayant. En arrivant chez Jean, ils le trouvèrent prosterné la face contre terre et accablé de tristesse ; le sol était arrosé de ses larmes. Témoins de sa douleur et des soupirs amers qui s’échappaient de sa poitrine, aucun d’eux n’osait l’interroger, respectant l’état d’abattement où ils le voyaient. Ses pleurs ne tarissaient pas, et il ne cessait de se frapper la poitrine. Alors les nobles arméniens s’assirent à ses côtés et restèrent jusqu’à la sixième heure du jour,[176] sans se hasarder à lui adresser un mot ou une question sur le sujet qui les amenait. Tous ceux qui étaient venus là pleuraient. Jean, s’en apercevant, ouvrit la bouche et commença à leur parler, entrecoupant son discours de soupirs et de larmes abondantes, Il déplora d’abord le sort de toutes les nations fidèles, celui de l’ordre sacerdotal, la destruction du mystère du Saint des saints, les infortunes de l’Eglise, et l’anéantissement des préceptes divins dont elle est dépositaire. Ce fut dans les termes suivants qu’il s’adressa aux nobles arméniens : « O mes illustres enfants, écoutez les paroles de l’inconsolable et malheureux Jean : aujourd’hui sont accomplis les mille ans des tourments du crucifiement du Christ et de la délivrance du maudit Bélial (Péliar), que le Sauveur avait enchaîné dans le fleuve du Jourdain. C’est ce qui nous avait été prédit par le premier signe, comme je l’ai révélé quatorze ans avant qu’il n’apparût ; et maintenant ce signe s’est montré de nouveau. D’abord les cieux s’étaient entrouverts et la terre avait été enveloppée d’obscurité. Cette année-ci, les astres ont caché leur lumière, annonçant que désormais toutes les nations qui croient au Christ, marcheront dans les ténèbres, et que les institutions de la sainte Eglise seront ternies même par les peuples fidèles. Les chrétiens négligeront le jeûne, la prière ; ils perdront la croyance à la vie future ; la crainte des jugements de Dieu sera méprisée ; la véritable foi disparaîtra. Le culte de Dieu cessera, les hommes prendront en haine ses préceptes ; ils résisteront aux paroles de l’Evangile. Chacun se mettra en opposition avec les commandements de Dieu ; ils mépriseront les discours des saints docteurs, railleront les règles canoniques établies par les saints patriarches. C’est ainsi qu’un grand nombre d’entre eux tomberont du faite de la foi, qu’ils détesteront les portes de la sainte Eglise, et que, dans leur négligence du jeûne et de la prière, ils deviendront aveugles pour le vrai culte. Ils encourront l’anathème, à cause de leur désobéissance aux avis contenus dans les paroles divines des chefs spirituels. Les fils, rebelles envers leurs parents, seront maudits par eux ; les parents seront maltraités par leurs fils. L’amour et l’affection s’éteindront dans le cœur desséché des amis, des pères et des enfants. Désormais une foule d’hérésies envahiront le sein de l’Eglise, par suite de la négligence des patriarches devenus pusillanimes, incapables, peu soucieux de veiller à la pureté du dogme, et tombés dans la démence. L’amour de l’argent leur fera rejeter leur foi, et les chants de bénédiction cesseront de retentir dans la maison du Seigneur. La frayeur du jugement de Dieu, au jour redoutable qui est à venir, sera bannie de tous les esprits ; ils oublieront la rétribution qui attend le juste et le pécheur, parce qu’ils seront amis de l’iniquité et enclins à la mauvaise voie. Leurs penchants les entraîneront au séjour réservé aux méchants. Les rois, les princes et les chefs spirituels causeront la ruine du pays. Les grands seront avides de présents corrupteurs, faux dans leurs discours, et parjures ; gagnés par des cadeaux, ils rendront leurs jugements au mépris du droit qui est dû aux pauvres. Aussi, la colère de Dieu éclatera, surtout contre eux, parce qu’ils auront exercé leur puissance avec partialité, et non suivant la loi divine, parce qu’ils auront régné sur les peuples avec une autorité absolue, sans s’embarrasser de les diriger dans la crainte de Dieu, et de les instruire comme l’a prescrit l’apôtre saint Paul. Les princes et les grands préféreront les courtisanes à Dieu ; ils auront de l’aversion pour les chastes liens du mariage ; ils se vautreront dans l’adultère et la luxure. Ils ne chercheront qu’à faire périr leurs égaux ; ils honoreront les traîtres et les voleurs, spolieront les travailleurs, et seront dans leurs jugements plus rigoureux que n’exige la justice. O mes chers enfants, désormais l’inimitié entre les chefs spirituels sera cause que les portes de l’Eglise seront brisées, et les institutions saintes abolies au sein de toutes les nations. Leur cupidité les poussera à imposer les mains à une foule d’indignes ; ils appelleront à l’honneur du sacerdoce tous les hommes souillés. Alors le Christ sera offert en sacrifice par des mains sacrilèges ; un grand nombre communieront dans de mauvaises dispositions, non pour leur salut, mais pour leur condamnation et la perte de leur âme. Il y aura cependant, en quelques endroits, de véritables sacrificateurs du saint Mystère, parmi les diverses nations ; et c’est grâce à leur intercession que Dieu aura pitié du monde. O mes enfants, ils blesseront l’homme juste et vertueux, ils éloigneront du sacerdoce l’homme pur. A ceux qui n’ont pas d’argent, ils ne conféreront pas l’imposition des mains, et comme nous l’avons annoncé quatorze ans avant que l’autre signe céleste n’apparût, beaucoup de gens perdront leur foi et leur religion, car nombre de prêtres et de moines se relâcheront de leurs devoirs ; ils deviendront avides de plaisirs et de voluptés, et passeront leur temps à méditer des chants diaboliques. Les religieux fuiront le désert, ayant en horreur la vie monastique, de l’aversion et du mépris pour les austérités des anciens anachorètes. Ils se montreront transgresseurs des règles et des saintes institutions, et délaisseront le citant des psaumes. Tout ce que je vous prédis doit arriver un jour, Ô mes enfants. Les chefs spirituels du pays, dominés par leur cupidité, choisiront de préférence les hommes déchus et séparés des grâces du Fils de Dieu, pour les investir des fonctions sacerdotales, et établiront tous les réprouvés comme guides du peuple chrétien. ils perdront même la conscience du mal qu’ils auront fait par ces choix criminels, parce qu’ils seront aveuglés par leur amour de l’argent. J’ai encore à vous dire que désormais le Christ sera percé par les prêtres indignes, de blessures plus cruelles que lorsqu’il fut crucifié et torturé par les Juifs, car ce qui manqua à sa Passion sera complété par eux. Ils entendront ces paroles : — Compagnon, pourquoi es tu entré dans ce banquet ?—Alors ses pieds et ses mains ayant été liés, on le jettera dans les ténèbres extérieures, et ce qu’il aura recueilli sera accumulé sur sa tête pour sa perdition. O mes chers enfants, tous ces malheurs doivent arriver dans les derniers temps, parce que Satan a été délivré des liens qui le retenaient depuis mille ans, lui que le Christ avait enchaîné par sa croix. Dés lors les fidèles du Christ accourront pour le combattre, lui dont la mission est de faire la guerre aux saints, qui, à l’abri des préceptes divins, persistent dans les institutions de la véritable confession en Jésus-Christ, parmi les diverses nations de la terre. En même temps les infidèles, les maudits fils de Cham, les immondes hordes turques, se précipiteront contre les peuples chrétiens. Tout, chez ces derniers, sera abattu par le glaive, tout sera détruit par la famine et l’esclavage. Beaucoup de contrées resteront dépeuplées ; les forces des saints seront anéanties, un grand nombre d’églises renversées jusque dans leurs fondements, et le mystère de la croix du Christ sera aboli. Au milieu de ce débordement croissant d’iniquités, les saintes solennités seront interrompues. Les fils seront en guerre avec leurs pères, ceux-ci prendront en haine leurs enfants ; les frères s’élèveront les uns contre les autres, et chercheront à s’entredétruire par le meurtre et l’effusion du sang. Ils méconnaîtront le lien de l’amour fraternel, et le même sang qui circule dans leurs veines se desséchera. Par ces œuvres abominables, ils se rendront les émules des mécréants. La terre sera bouleversée par les infidèles, et une rosée de sang couvrira les plantes des campagnes. Pendant soixante ans le monde sera ravagé par le fer et l’esclavage ; après quoi arriveront des nations belliqueuses, les Francs, et leurs nombreuses cohortes s’empareront de la cité sainte de Jérusalem, et le tombeau qui a reçu un Dieu sera affranchi. Après ces événements, la terre sera pendant cinquante ans livrée à l’extermination et à l’esclavage par les Perses, et ces maux seront sept fois plus considérables que les précédents. Les fidèles du Christ seront dans la consternation. Les armées romaines, accablées par des revers multipliés, perdront l’espérance ; bien des fois elles seront taillées en pièces et exterminées par les Perses ; leurs plus illustres et plus braves guerriers succomberont par le fer ou dans la servitude. Tant de maux accumulés sur les armées romaines, les jetteront dans un découragement complet. Mais au bout de cinquante années elles commenceront peu à peu à reprendre le dessus, et partout où subsisteront des débris des anciennes troupes, ils se grossiront d’année en année, et étendront au loin leurs conquêtes. Réveillé d’un long sommeil, l’empereur des Romains fondra, rapide comme l’aigle, sur les Perses, à la tête d’une armée formidable, nombreuse comme le sable des bords de la mer. Il s’élancera, pareil à un feu ardent, et la terreur de ses armes fera trembler le monde. Les Perses et tous les bataillons des infidèles prendront la fuite jusqu’au-delà du grand fleuve Djihoun (Dchahoun),[177] l’empereur deviendra pendant longtemps le maître universel. Sur la terre rajeunie s’élèveront les fondements d’un nouvel édifice, et cette rénovation sera pareille à celle qui suivit te déluge. On verra les populations s’accroître, les animaux se multiplier, et les sources, devenues abondantes, enfler les cours d’eau ; une fertilité toujours croissante enrichira les campagnes, tandis que la famine désolera le royaume des Perses, et y durera de longues années. Les habitants, se jetant les uns sur les autres, se dévoreront mutuellement. La crainte de la puissance romaine éloignera une foule de leurs grands personnages des villes et des provinces qu’ils occupent, et sans essayer la moindre résistance, ils se retireront au-delà du Djihoun. Leurs provisions accumulées à la longue, leurs monceaux d’or et d’argent, et leurs trésors, aussi abondants que la poussière de la terre ou des amas de pierres, leur seront enlevés pour être transportés chez les Romains. Leurs jeunes garçons, leurs jeunes filles, leurs femmes, y seront emmenés en esclavage. La Perse sera ruinée et dépeuplée par les Romains, et toute puissance sur la terre sera sous la main de leur souverain. »

Après avoir prononcé ce discours, le saint docteur Jean congédia les nobles arméniens et les renvoya en paix. Aussitôt ceux-ci se mirent en route pour retourner chez eux.

XLIX. Vers cette époque, un chef arménien nommé Kantzi réunit des troupes et vint enlever la ville de Pergri[178] aux Perses ; dans l’Orient il extermina tous les habitants et passa au fil de l’épée les troupes musulmanes. Longtemps il dirigea ses attaques contre la forteresse, et la réduisit à l’extrémité ; nombre d’assiégés succombèrent faute d’eau. Mais comme les troupes arméniennes faisaient cette guerre avec nonchalance et passaient leur temps à boire, Khedrig, émir de Pergri, profitant de l’occasion, écrivit aux habitants, ses sujets, de venir à son secours. Les infidèles se rassemblèrent, et surprirent les Arméniens. A l’aurore ils fondirent sur eux, et en firent un horrible carnage. Ce jour même fut tué le grand prince Kantzi, et Dadjad son fils resta maître de la principauté que Kantzi possédait ; mais toutes ses troupes passèrent dans la ville de Pergri.

Au commencement de l’année 486 (12 mars 1037 - 11 mars 1038), le seigneur Pierre, catholicos d’Arménie, abandonna secrètement son siège et se rendit dans le Vasbouragan. Il prit ce parti à cause de quelques difficultés qu’il éprouvait de la part du roi, des satrapes et de la noblesse militaire, qui fermaient l’oreille aux préceptes divins. Il séjourna pendant quatre ans dans le Vasbouragan, à Tzoravank’,[179] couvent qui avait été bâti par le saint patriarche Nersès. Sa retraite répandit la tristesse dans tout le pays. Le roi Jean, de concert avec les satrapes, lui adressa une lettre dans laquelle ils protestaient de leur désir de suivre ses préceptes et de se conformer à sa doctrine lumineuse. Ils confirmèrent leur déclaration par les serments les plus solennels, et pour mieux réussir à l’attirer, ils employèrent comme médiateurs les chefs romains qui étaient venus en qualité de gouverneurs de provinces. Pierre se laissa persuader par ces serments, et revint occuper son siège. Mais lorsqu’il fit son entrée dans la ville d’Ani, il fut arrêté par l’ordre du roi Jean et mis en prison ; on l’y retint un an et cinq mois. Alors Jean envoya à Sanahïn[180] et en fit venir le grand Dioscore (Têosgoros), supérieur de ce couvent. Celui-ci se rendit aux ordres de ce prince, et se posant en adversaire de Pierre, il accepta la dignité de catholicos. Monté sur le siège patriarcal, il l’occupa un an et deux mois contre la volonté de Dieu.[181] Ce célèbre érudit devint pour tous un objet de dérision. Il avilit les hautes fonctions dont il était revêtu, et personne ne voulait recevoir de lui l’imposition des mains, cette prérogative qui appartient au saint siège. Son nom ne fut pas prononcé en pleine église avec celui des autres patriarches, parce qu’on le regardait comme un intrus. Un deuil universel régnait parmi les enfants de l’Arménie. Lors de la cérémonie de sa consécration, les évêques, les prêtres et les patriarches étaient absents. Mais lui, dans l’orgueil de son cœur, se regardant comme catholicos légitime, conféra l’épiscopat à une foule d’indignes. Ceux qui, pour leur conduite publiquement scandaleuse, avaient été chassés de leur siège par les catholicos précédents, devinrent l’objet de ses préférences et de son choix. Cependant les évêques et les docteurs d’Arménie excommunièrent le roi et les satrapes comme coupables d’avoir troublé la paix de l’Eglise. Ceux-ci, tremblant sous le coup de l’anathème, voulurent faire revenir le seigneur Pierre, mais il résista longtemps à leurs instances. Quoique tous implorassent le pardon de leur faute, il le leur refusa avec fermeté. Alors le roi et les grands écrivirent au catholicos des Agh’ouans, le seigneur Joseph,[182] pour le prier de venir intercéder en leur faveur et rétablir Pierre sur son siège à Ani. Le seigneur Joseph, à la réception de cette lettre, prit avec lui les évêques de son pays, et partit pour remplir la mission que l’on réclamait de lui.

L. En l’année 487 (12 mars 1038 - 11 mars 1039), il y eut dans la ville d’Ani une réunion imposante d’évêques, de moines et de docteurs, de nobles et de satrapes, au nombre d’environ quatre cents. Le chef de cette réunion était le vénérable vieillard Joseph. Ils causèrent une grande douleur à Dioscore en le condamnant sévèrement, en le dépouillant de ses honneurs, et en le chassant du siège patriarcal. Ils excommunièrent tous ceux qu’il avait ordonnés, avec défense à qui que ce fût de les admettre aux fonctions sacrées. Pierre ayant été réintégré, l’Eglise d’Arménie recouvra la paix ; et Dioscore reprenant le chemin de Sanahïn, rentra, couvert de honte, dans son couvent.

LI. En l’année 489 (11 mars 1040 - 10 mars 1041), apparut sur l’horizon une comète qui jetait un vif éclat. Elle se montrait vers l’occident à partir du soir, et, suivant une marche rétrograde, elle rencontra dans sa course les Pléiades et la lune ; puis elle disparut en revenant vers l’occident.

LII. Cette même année les Bulgares se soulevèrent contre les Romains. L’empereur Michel ayant rassemblé toutes les troupes grecques, marcha contre eux. Il saccagea impitoyablement une grande partie de leur territoire, y porta l’esclavage, et le parcourut le fer à la main. Les Bulgares, de leur côté, se réunirent pour résister aux Romains. La guerre s’alluma vivement, et il y eut une bataille qui fut signalée par un terrible carnage. A la fin les Bulgares eurent l’avantage ; ils mirent les Romains en fuite et les poursuivirent avec acharnement l’épée à la main. Dans cette journée, la surface des plaines fut inondée de sang. Michel se sauva comme un fugitif à Constantinople. Les Bulgares, vainqueurs des Grecs, leur reprirent les pays que ceux-ci leur avaient enlevés ; et délivrés du joug qui leur avait été imposé, ils jouirent d’une tranquillité parfaite.[183]

LIII. Cette même année mourut le roi d’Arménie Aschod, le Bagratide, fils de Kakig et frère de Jean, laissant un fils nommé Kakig, qui n’était gé que de quinze ans.[184] Le corps d’Aschod fut transporté à Ani et déposé dans le tombeau des anciens rois arméniens. La raison pour laquelle ce prince n’entra jamais pendant sa vie mais seulement après sa mort, dans Ani, c’est parce que Jean le redoutait extrêmement ; en effet, Aschod était remarquable par sa force et sa bravoure. Après sa mort les troupes se relâchèrent du frein de la discipline, et prirent en aversion le métier des armes ; elles courbèrent leur front sous le joug de la servitude des Romains, s’adonnèrent aux plaisirs de la table, et firent leurs délices de la lyre et de la voix des chanteuses. Renonçant à cette union qui avait été l’élément de leur force, elles ne volèrent plus au secours les unes des autres. Les pays que le fer dévastait n’étaient plus pour elles qu’un sujet de plainte lugubre ; elles se contentaient de pleurer la perte de leurs frères, et s’abandonnaient réciproquement au glaive des Grecs. Ce fut ainsi qu’elles entrainèrent la ruine de leurs compatriotes, et qu’elles méritèrent d’être comptées au rang de leurs ennemis.

LIV. A cette époque le grand émir des Perses, Abou’lséwar, ayant réuni environ 50.000 hommes, vint fondre avec rage sur les chrétiens. Animé d’une colère au souffle mortel, fi entra dans la contrée des Agh’ouans, dans la province de David Anhogh’ïn, et fit souffrir les maux le plus cruels aux habitants.[185] David, effrayé de la multitude des infidèles, ne s’avança pas pour les combattre. Pendant ce temps le scélérat Abou’lséwar s’empara d’un grand nombre de provinces, de forteresses et de localités, au nombre de quatre cents. Ayant séjourné un an dans ce pays, il le soumit en très grande partie ; après quoi Il se prépara à marcher contre David. Ce prince, réduit aux abois, envoya dire à Jean, roi d’Ani, qu’Abou’lséwar, après s’être rendu maître de toutes les provinces arméniennes, était sur le point de l’attaquer. « Si tu ne viens pas à mon secours, ajoutait-il, je me soumettrai à lui, et lui servant de guide, je porterai la désolation dans ton district de Schirag. » Aussitôt Jean envoya à David un corps de 3.000 hommes. David expédia un semblable message au roi de Gaban, qui lui en accorda 2.000.[186] Ayant adressé les mêmes menaces au roi des Aph’khaz, celui-ci lui donna 4.000 hommes.[187] Puis David rassembla ses propres troupes, qui se composaient de 40.000 combattants environ. En même temps il envoya porter ces paroles au catholicos des Agh’ouans « Les infidèles marchent contre nous en haine de la foi chrétienne ; ils veulent détruire le culte de la Croix, et anéantir la religion du Christ. Il est du devoir de tous les fidèles, il est juste de s’avancer au-devant de leurs glaives et de mourir pour notre Dieu. Réunis les évêques arméniens qui résident dans le pays des Agh’ouans, et accourez tous dans notre camp, afin de partager notre trépas. » Le seigneur Joseph, ayant rassemblé deux cents évêques, vint rejoindre David. Il écrivit aussi à tous les supérieurs de couvents d’accourir avec leurs religieux ; il appela pareillement les prêtres et les diacres du pays des Agh’ouans. Ensuite il fit proclamer partout l’avis suivant S’il y a quelqu’un, homme ou femme, qui ambitionne la couronne du martyre, l’occasion de la mériter s’offre à lui. Que celui qui soupire après Jésus-Christ vienne à nous. » Les pères accompagnés de leurs fils, les mères avec leur filles, se hâtèrent de répondre à cette invitation. La plaine était couverte au loin d’une multitude immense, qui offrait l’aspect de troupeaux de brebis. En apprenant la nouvelle de ce concours de peuple, Abou’lséwar en fit l’objet de ses railleries. En même temps il s’avança contre les Arméniens. David fit transmettre aux évêques, aux moines et aux prêtres cette recommandation : « Que chacun prenne en main, comme arme de guerre, la Croix et l’évangile seulement, et marche à l’ennemi. » Cependant les infidèles s’ébranlèrent, et toute la légion des prêtres se mit en mesure de leur résister, tandis que David, à la tête de 10.000 soldats aguerris, se portait en avant pour soutenir le choc. Dès que le combat fut engagé, les prêtres, élevant la voix tous ensemble vers Dieu et versant des larmes, firent retentir cette prière : « Seigneur, lève-toi, viens à notre aide et sauve-nous pour la gloire de ton saint nom. Cependant les chrétiens, se précipitant dans les rangs des infidèles comme dans une mer, furent enveloppés de tous côtés. Alors les prêtres, agitant tous à la fois le signe sacré de la Rédemption, chargèrent l’ennemi avec impétuosité, et un feu ardent sortant du milieu d’eux le frappa. Les infidèles tournèrent le dos, et les Arméniens, les poursuivant l’épée à la main, ne discontinuèrent pas, pendant cinq jours, de les tailler en pièces. Les plaines et les montagnes se couvrirent de sang ; des trésors d’or et d’argent et un butin immense tombèrent entre leurs mains. Les débris de l’armée perse se sauvèrent à grand’peine, nus et sans chaussures, et se réfugièrent dans leur pays. En trois jours David reprit le territoire qui lui avait été enlevé ; après quoi il renvoya, comblées de richesses, les troupes qui étaient accourues à son secours. Il distribua aussi aux évêques, aux prêtres et à tous ceux qui étaient venus à lui, quantité d’objets pris sur le butin. La tranquillité fut ainsi rétablie.

Cette même année, un infâme personnage, qui appartenait au corps de la noblesse de Sénékhérim, alla trouver l’empereur des Grecs, et lui fit entendre les plus odieuses dénonciations contre Adom et Abouçahl, fils de Sénékhérim ; il représenta ces deux princes comme nourrissant le projet de se révolter et de lui susciter des embarras et des dangers. Michel ajouta foi à ces perfides propos, et envoya à Sébaste son Acolyte[188] à la tête de 15.000 hommes, avec la mission de lui amener ces deux princes, de gré ou de force. L’Acolyte étant arrivé à Sébaste, cette nouvelle jeta les fils de Sénékhérim dans une surprise et une frayeur extrêmes. Il se convainquit que personne ne les égalait en prudence ; cependant ils redoutaient de partir.

LV. Alors Schabouh[189] dit à Adom et à Abouçahl : « Voulez-vous que je disperse au loin, que je mette en fuite les Romains ? » En prononçant ces mots, il plaça cinq cuirasses en fer l’une sur l’autre, et les frappant de son épée, il les fit voler en éclats. Les jeunes princes arméniens lui répondirent : « Garde-toi de tout acte de violence ; nous partirons avec les messagers qui sont venus nous chercher. » Et ayant offert de riches présents au général romain, ils se mirent en route avec lui pour Constantinople. En entrant dans cette ville, ils se rendirent en pleurs au tombeau de l’empereur Basile, et jetant sur ce monument l’écrit qui contenait le serment qui leur avait été donné, ils s’écrièrent : « C’est toi qui nous as fait venir dans le pays des Romains, et maintenant on menace notre vie ; rends-nous raison contre nos accusateurs, ô notre père ! » Michel ayant appris ce trait d’habileté, l’admira beaucoup, et ordonna de mettre à mort le faux dénonciateur.

LVI. En l’année 490 (11 mars 1041 - 10 mars 1042) mourut le roi d’Arménie Jean, frère d’Aschod et fils de Kakig, de la famille des Bagratides. Il fut enseveli à Ani dans le tombeau des rois ses prédécesseurs. Dès que les Romains eurent appris cet événement, l’empereur Michel leva des troupes et vint en Arménie. Il saccagea ce pays et y répandit l’extermination et la servitude. Il avait pour motif que Jean, de son vivant, avait donné aux Romains une déclaration écrite, portant qu’après sa mort, Ani leur appartiendrait, et qu’en retour de cet engagement, il avait reçu d’eux des présents et des honneurs pendant quinze ans. Après la mort de Jean, un des satrapes d’Arménie, homme perfide, nommé Azad (le noble) Sarkis,[190] descendant de Haïg, prévint les Romains et leur offrit en don ce royaume. Puis, ayant enlevé le trésor des anciens souverains arméniens, il l’emporta chez les Aph’khaz ; il s’empara de quantité de forteresses et de bourgs, et voulut régner sur l’Arménie. Mais la famille des Bagratides arrêta ses vues ambitieuses, parce qu’il était descendant de Haïg.

LVII. Cette même année, l’Arménie fut affligée de calamités qui eurent pour auteur David Anhogh’ïn, chef de la famille dont faisait partie le roi Jean.[191] David envahit œ royaume, portant dans plusieurs lieux la mort et l’esclavage. Il était venu du pays des Agh’ouans avec des forces considérables. Il fit des ravages immenses, et ses troupes répandirent partout l’incendie. Après quoi il s’en retourna dans ses états, chez les Agh’ouans.

LVIII. Cette même aimée, les Romains tentèrent une nouvelle expédition contre l’Arménie. Comme nos troupes manquaient de chef, beaucoup de provinces se soumirent ; car leur arrivée était le signal de l’extermination. S’étant réunis pour attaquer la ville royale d’Ani, au nombre de 100.000 hommes, ils établirent leur camp sous ses murs. Les débris de l’armée arménienne accoururent vers le généralissime Vahram le Bahlavouni, et demandèrent à marcher contre un ennemi qui venait porter la guerre dans leurs foyers, le blasphème et l’injure à la bouche. Les Arméniens, la rage dans le cœur, pareils à des bêtes féroces rendues furieuses, s’avancèrent au nombre de 30,000, tant fantassins que cavaliers, et se dirigèrent vers la porte nominée Dzagh’gots (du jardin). Se précipitant comme la foudre sur les Romains, dont l’orgueil et la jactance étaient extrêmes, ils les firent reculer, les mirent en fuite et les exterminèrent impitoyablement Le fleuve Akhourian, qui coule tout auprès, ne roula plus que des flots de sang. Les Arméniens, s’animant de plus en plus par les cris qu’ils poussaient dans l’action, terrifiaient les fuyards, qui dans l’impuissance de se sauver, et éperdus, tombaient sous le tranchant du glaive. Cette journée fut fatale aux Romains ; de chaque myriade il n’en resta que cent. Alors le grand et saint généralissime Vahram le Bahlavouni, s’interposant comme médiateur, envoya un message aux Arméniens pour les supplier en faveur des vaincus. Mais ce ne fut qu’avec beaucoup de peine qu’il put obtenir d’eux de laisser ceux-ci se retirer immédiatement. C’est ainsi que furent épargnés les débris de l’armée ennemie ; et depuis lors les Romains ne vinrent plus revendiquer la ville d’Ani. Ils s’en retournèrent honteusement à Constantinople auprès de Michel.

LIX. À cette époque fut suscité un jeune homme de dix-neuf ans, nommé Kakig, de la race des Bagratides, fils du roi Aschod, lequel était fils d’Aschod, fils d’Apas, fils de Sempad, fils d’Ergath.[192] Ce jeune prince était très vertueux, et d’une piété exemplaire. Tous les satrapes se rendirent auprès du patriarche, le seigneur Pierre, et Kakig fut sacré roi d’Arménie, par la grâce de l’Esprit Saint, et d’après l’ordre d’un prince illustre, ordre en vertu duquel notre grand et saint patriarche accomplit cette cérémonie. Ce prince était de la race de Haïg, et par son père descendait de la famille des Bahlavounis. Il portait le nom de Grégoire, comme issu de notre saint Illuminateur. Il brilla comme un second Samuel, émule du premier, qui sacra David roi d’Israël. Ce fut lui qui établit Kakig roi de toute l’Arménie. Pieux et plein d’amour pour Dieu, il se montrait invincible parmi les savants ; ses efforts, dirigés par la sagesse, n’avaient d’autre but que d’affermir notre trône national. Il demandait sans cesse à Dieu, avec instances, sa protection pour lui et pour la famille des Bahlavounis.[193]

LX. Kakig, secondé par ses troupes, s’étant emparé de la personne de Sarkis, lui fit endurer toutes sortes de tourments, jusqu’à ce qu’il lui eût arraché, malgré ses refus obstinés, les forteresses, les provinces, les villes et les trésors, héritage de ses ancêtres, que celui-ci avait enlevés. La bonté divine permit que pendant ce temps les Romains se tinssent tranquilles ; ils ne cherchèrent plus à se rendre maîtres d’Ani, et à faire la guerre aux Arméniens. Deux ans s’écoulèrent, pendant lesquels tout réussit au roi Kakig par l’inspiration de l’Esprit Saint. Dans l’intervalle, ayant rassemblé son armée, il parcourut le royaume qu’il tenait de ses pères, soumettant les rebelles et remportant d’éclatants triomphes sur ses ennemis. A la tête de forces considérables, il vint camper dans la province d’Ararad, afin de tirer vengeance de la nation du midi.[194] De son côté, le puissant prince Grégoire, fils de Vaçag, de la race Bahlavouni, vint établir son camp auprès du fleuve Hourazdan,[195] non loin de la grande forteresse de Pedchni.[196] Aussitôt les infidèles accoururent, et il y eut de terribles rencontres. Mais les Arméniens les vainquirent et en firent un grand carnage sur les bords mêmes du fleuve. Les chefs Turcs furent faits prisonniers, et les débris de leur armée s’en retournèrent en Perse.

LXI. A cette époque, et à l’instigation de l’esprit du mal, les Grecs se déclarèrent de nouveau contre nous, excités par les trames et la fourberie des faux chrétiens, sujets de David Anhogh’ïn. Ce prince, dont le nom devrait être prononcé Ta viht,[197] parce que ce fut lui qui plongea les fidèles dans le gouffre des calamités, tourmenté intérieurement par le démon, tomba dans l’abîme de la perdition et des supplices éternels.

LXII. Cette année, Michel ayant rassemblé des troupes dans tout l’empire grec, ainsi que dans la partie de l’Arménie qui était sous sa domination, à Sébaste, à Darôn, et dans tout le Vasbouragan, marcha vers l’Occident. Il porta l’esclavage dans la contrée des Goths (Kouth),[198] et fit rentrer sous ses lois ceux qui s’étaient révoltés. Après avoir soumis tout leur pays, il revint à Constantinople, et bientôt après il mourut.[199]

LXIII. Il eut pour successeur son neveu (fils de sa sœur), qui était déjà César. Celui-ci régna quatre mois seulement ;[200] car ayant conçu des pensées perverses, il se tendit lui-même le piège où il fut pris, d’après cette parole de l’Écriture : « Celui qui creuse la fosse pour son compagnon, y tombera lui-même ». Il poussa la folie de l’orgueil si loin, qu’il avait perdu la conscience de ses propres actions. En effet, il eut l’audace de faire raser les cheveux à la fille de l’empereur Constantin, et de la reléguer, chargée de fers, dans une île. Il ordonna aussi d’arrêter le patriarche de Constantinople, et le fit enchaîner et jeter dans un cachot.[201] Il voulait par là s’assurer, à lui et à sa famille, la possession permanente du trône mais comme c’étaient des gens scélérats, impies, véritable fléau du pays, Dieu vint en aide au patriarche. Il se travestit, brisa ses fers, et se sauvant de sa prison, courut se réfugier dans Sainte-Sophie. Tout Constantinople se souleva contre le César, et Il y eut de grands combats livrés dans l’enceinte de la ville. Cette journée fut marquée par une lutte longue et acharnée entre les deux partis. Des torrents de sang coulèrent dans tous les quartiers, et Sainte-Sophie en fut inondée. A la fin, le patriarche l’emporta sur l’empereur, qui fut pris et eut les yeux arrachés. On démolit de fond en comble les maisons de ses parents ; après quoi on fit revenir l’impératrice Kyra Zoé, en grande pompe, à Constantinople.

Dans ce temps-là périt le grand prince arménien Khatchig,[202] avec un de ses fils encore tout jeune, nommé Ischkhan,[203] dans la province de Vasbouragan. Les habitants de Her et de Salamasd étant venus en niasse faire une incursion dans le district de Thor’évan, Khatchig apprit que les infidèles avaient pénétré sur son territoire. C’était un brave guerrier, habitué comme ses ancêtres aux succès militaires, un aigle de race ; niais comme il était devenu vieux, il avait abandonné le métier des armes. il déplora amèrement l’impuissance de son bras affaibli par l’âge, d’autant plus que son fils a tué, le vaillant Haçan, et son antre fils Djendjegh’ong (passereau) étaient allés rejoindre avec ses troupes l’empereur Michel. Cependant Khatchig, ne pouvant contenir son ardeur, marcha à la tête de 70 hommes contre les infidèles, après avoir renfermé dans sa maison son troisième fils Ischkhan, qui ne comptait encore que quinze ans. Khatchig, parvenu en présence des ennemis, découvrit leurs bataillons épais. Aussitôt, animant de la voix sa petite troupe, il se jeta sur eux, et les attaquant vivement, il fit mordre la poussière à un bon nombre. Tout à coup il aperçut son fils, qui s’était échappé du lieu où il l’avait laissé, et qui volait au combat. A cette vue, Khatchig eut le cœur brisé, car Ischkhan était un enfant d’une beauté remarquable ; il courait comme un lionceau et se battait avec intrépidité. Khatchig, allant aussitôt à lui, le saisit et le força de rentrer ; mais Ischkhan s’élança de nouveau, revint dans la mêlée, et emporté par son courage, s’y engagea avec témérité. Les infidèles, sachant que c’était le fils d’un illustre guerrier, le cernèrent, s’emparèrent de lui et le tuèrent. Témoin de ce cruel spectacle, Khatchig fut saisi de douleur, et son épée lui tomba des mains. A l’instant, les infidèles, se jetant sur lui, le prirent et le massacrèrent. Ses compagnons d’armes s’enfuirent, et chacun revint chez soi. Au bout de quelque temps, les fils de Khatchig retournèrent des contrées de l’occident, où ils avaient appris la mort de leur père et de leur jeune frère. Ils étaient vêtus de noir, et versèrent d’abondantes larmes. L’aîné, Haçan, ayant appelé un raïs (chef) kurde qui habitait un district voisin, lui donna mille tahégans, en lui recommandant de se rendre à Salamasd, de dire aux habitants que tout le district de Thor’évan était dégarni d’hommes, et de les engager à profiter de cette occasion pour s’emparer des nombreux troupeaux de brebis qui s’y trouvaient, tandis que les bergers étaient dispersés dans les champs. Le rais ayant exécuté ponctuellement ces injonctions, les infidèles accoururent au nombre de 45.000, au lieu qui leur avait été indiqué. Le raïs vint annoncer à Haçan et à Djendjegh’ong le succès de sa mission, et aussitôt Haçan, à la tête de 5.000 hommes, et avec la rage d’une bête féroce blessée, fondit sur les mécréants. En même temps, élevant sa voix, que les larmes entrecoupaient, et s’adressant à eux : « Où est celui, s’écria-t-il, qui a donné la mort à mon père Khatchig ? qu’il paraisse ! » Aussitôt un des infidèles, qui était un noir d’une force athlétique, répondant à ce défi : « C’est moi, dit-il, qui ai tué le brave Khatchig. Voilà son cheval de bataille, son vêtement, son drapeau et son épée, qui maintenant sont ma propriété. » La vue de ces objets arracha de nouvelles larmes des yeux de Haçan. Dégainant son épée, il se précipita comme un lion au milieu des infidèles, et frappant le meurtrier de son père, il le partagea en deux et l’abattit. Puis, s’emparant de son cheval et de son étendard, il s’en retourna sans avoir reçu aucune blessure. D’un autre côté, son frère Djendjegh’oug s’écria : « Quel est celui qui a tué mon frère Ischkhan ? qu’il sorte des rangs à l’instant même, afin que je le connaisse ! » A l’instant un Perse redoutable par sa bravoure parut et dit : « C’est moi qui ai tué Ischkhan, voilà son cheval blanc, voilà sa bannière. » Prompt comme la foudre. Djendjegh’oug fondit sur lui et lui fit mordre la poussière. Puis, saisissant le cheval de cet homme et son étendard, il vint rejoindre Haçan. En même temps, celui-ci, appelant à lui les siens, attaqua avec intrépidité les infidèles, les mit en fuite et en tua 4.000. Tout joyeux de ce succès, les fils de Khatchig s’en retournèrent tranquillement ci quittèrent leurs habits de deuil.

LXIV. Au commencement de l’année 492 (11 mars 1043 - 9 mars 1044), Monomaque, nommé aussi Constantin, monta sur le trône à Constantinople.[204] Cette année, les Romains eurent une guerre considérable à soutenir. Maniacès, le même qui précédemment s’était rendu maître d’Édesse, se déclara contre Monomaque, et se posa la couronne sur la tête. Il réunit sous ses drapeaux tout l’Occident, et appela comme soutiens de sa cause les populations de cette partie de l’empire. La terreur qu’il inspirait les fit ranger dans son parti, car c’était un guerrier heureux dans les combats, et d’un courage éprouvé. A son tour, l’empereur Monomaque rassembla des forces dans toute l’étendue de ses états, ainsi que les Arméniens, et marcha vers l’Occident pour s’opposer à Maniacès, qui se faisait un titre de son habileté militaire pour revendiquer la couronne. Les Romains étaient dans l’épouvante. Mais avant que les deux parus ne se fussent mesurés, la colère de Dieu frappa Maniacès, et ce guerrier tant de fois victorieux mourut subitement. Cet homme pervers ayant cessé d’exister, la paix fut rétablie, et les rebelles prirent la fuite. Monomaque, après en avoir fait rentrer plusieurs dans le devoir, rentra à Constantinople.[205]

LXV. À cette époque, l’infâme Sarkis commença à donner cours à ses trames perfides. Il suggéra à Monomaque l’idée d’inviter le roi d’Arménie Kakig à se rendre auprès de lui à Constantinople, en l’attirant sous un prétexte d’amitié, et de lui enlever ainsi par surprise la ville d’Ani. Ce conseil plut singulièrement à l’empereur, et dans son cœur germa la plante de la malice, et l’envie de devenir possesseur de l’Arménie. Il écrivit à Kakig une lettre qui contenait les serments les plus solennels, et poussa si loin l’oubli de toute pudeur, qu’il accompagna cette lettre de l’envoi de l’Évangile et de la sainte Croix comme gage de sa sincérité. C’est ainsi qu’il engagea le roi d’Arménie à se rendre en ami auprès de lui, et comme pour satisfaire le désir qu’il avait de le voir. Kakig refusa d’abord, car il connaissait la duplicité des Romains. Mais le traître Sarkis et d’autres nobles qui étaient d’intelligence avec lui, se présentèrent à Kakig et le poussèrent à entreprendre ce voyage, « O Roi, lui dirent-ils, pourquoi hésites-tu après de pareils serments, confirmés par l’envoi de l’Évangile et de la sainte Croix ? ne crains rien de notre part ; nous mourrons pour toi, s’il le faut. Ils prirent pour garants de leur véracité le seigneur Pierre, et firent les plus terribles serments. Ils apportèrent le Mystère sacré du corps et du sang du Fils de Dieu, et plongeant la plume dans ce sang vivifiant, eux et le patriarche consignèrent ce serment par écrit. Kakig partit donc pour Constantinople. A son arrivée, toute la ville sortit en foule au-devant de lui, et on le conduisit chez l’empereur en grande pompe et avec les honneurs dus à son rang. Pendant quelque temps, Monomaque le traita avec une haute distinction. Cependant les traîtres renégats, qui avaient scellé leurs serments avec le sang de Jésus-Christ, envoyèrent à Monomaque les quarante clefs d’Ani, avec une lettre dans laquelle se trouvaient ces mots : « Ani et tout l’Orient se sont donnés à toi. » L’empereur ayant mandé Kakig, lui montra les ciels de son palais et de la ville, ainsi que la lettre qui lui avait été adressée, et lui dit : « On m’a donné Ani et tout l’Orient. » Aussitôt Kakig comprit qu’il était victime d’une trahison ; gémissant et fondant en larmes, il s’écria : « Que le Christ soit juge entre moi et ceux qui m’ont trompé ! » Puis il dit à Monomaque : « C’est moi seul qui suis maître et souverain de l’Arménie, et je ne livre pas mon royaume entre tes mains, parce que tu m’as attiré ici. » Pendant trente jours il persista avec fermeté dans son refus ; mais enfin voyant qu’il n’y avait aucun moyen de sortir de cette position difficile, il consentit à cette cession. Monomaque lui donna en retour Galonbegh’ad et Bizou,[206] et ne lui permit plus de revenir à Ani. C’est ainsi qu’il s’arrogea les possessions héréditaires du roi d’Arménie. Celui-ci séjourna comme un exilé au milieu de la cruelle et perfide nation des Grecs. Partout où il allait, sa présence les troublait, par la honte infinie qu’elle leur causait ; car il se montrait à leurs yeux avec la majesté d’un souverain. Il ne cessait de nourrir dans son cœur un profond chagrin né du souvenir du trône de ses pères que lui avaient fait perdre les apostats qui l’avaient trahi, et la race perverse des hérétiques.[207]

LXVI. Au commencement de l’année 493 (10 mars 1044 - 10 mars 1045) Monomaque rassembla des forces considérables dans tout l’empire, et les envoya dans l’Orient pour revendiquer Ani. Il avait mis à leur tête l’Accubiteur,[208] qui arriva avec ses troupes sous les murs de cette ville. Monomaque voulait donner le gouvernement de l’Arménie à cet homme-femme (eunuque), qu’il avait appelé à remplacer le brave Kakig, banni à jamais par lui de l’Orient. Cependant les habitants ne consentirent pas à livrer leur ville : ils réclamaient vivement leur roi, en accablant de malédictions leurs agresseurs. Ils firent une sortie générale, et une grande bataille fut livrée à la porte d’Ani. Ils mirent les Romains en déroute, les poursuivirent en les massacrant, et pillèrent leur camp. Après cette éclatante victoire, ils rentrèrent dans leurs murs, tandis que les Romains, couverts de honte, se retiraient su leur territoire. L’Accubiteur établit ses quartiers d’hiver à Ough’thik’.[209] Les Arméniens ayant appris que leur roi ne devait plus leur être rendu, et comment les satrapes l’avaient livré, toute la nation versa des larmes. Les habitants d’Ani, prosternés autour des tombeaux de leurs anciens souverains, déploraient amèrement la perte qu’ils avaient faite de leur chef, et la destruction de leur trône national ; ils pleuraient sur Kakig et la race des Bagratides, en proférant d’horribles imprécations contre ceux qui avaient abusé ce prince. Cependant à la fin voyant le mal sans remède, les habitants et les troupes consentirent à ce qui leur était demandé. Ils écrivirent à l’Accubiteur de venir, lui prêtèrent serment et se donnèrent à lui. Telle fut la fin de la dynastie des Bagratides.

LXVII. En l’année 494 (10 mars 1045 - 9 mars 1046) la colère céleste éclata d’une manière terrible : Dieu jeta sur ses créatures un regard courroucé. Un effroyable tremblement de terre ébranla l’univers, suivant la parole du prophète, qui dit : « Il regarde la terre et la rait trembler. (Psaume CIII. 32). » C’est ainsi que le monde entier fut agité. Dans le district d’Eguégh’iats, beaucoup d’églises s’écroulèrent jusqu’aux fondements, et la ville d’Erzenga fut ruinée entièrement.[210] La terre s’entrouvrit violemment ; des hommes et des femmes furent engloutis dans les profondeurs, et pendant plusieurs jours du sein de ces abîmes on entendit sortir des cris lamentables. On était alors dans l’été, et chaque jour le fléau se répétait. Il serait impossible de décrire les calamités dont Dieu nous affligea en punition de nos péchés. Ce même été, l’obscurité et les ténèbres devinrent générales et si épaisses, que le soleil et la lune n’apparaissaient plus que couleur de sang. Lorsque ces deux astres montèrent au zénith, on était dans la sainte Cinquantaine.[211]

LXVIII. À l’automne, les Romains marchèrent contre la ville de Tévïn. Lorsque le combat fut engagé, ils éprouvèrent les effets de la vengeance céleste : ils furent vaincus et mis en pièces par les infidèles, qui en firent un horrible carnage. La majeure partie de leur armée fut exterminée ou réduite en esclavage.[212] Parmi ceux qui succombèrent étaient le général en chef des Arméniens Vahram et son fils Grégoire, qui furent tués dans l’action sous les murs mêmes de Tévïn.

LXIX. Cette année, une grande calamité nous vint de la Perse. Trois hommes sortis du divan de Thogrul Sultan, savoir : Baugh’i. Rough’i et Anazougli, s’avancèrent dans le pays des musulmans avec des troupes nombreuses, traînant avec eux une multitude immense de captifs. Ils établirent leur camp sur les bords de la rivière Arian,[213] dans le territoire de Mossoul. Le chef des troupes de Mossoul, nommé Koreïsch (Kourésch),[214] seigneur de cette ville, ayant réuni son armée, se porta à la rencontre des ennemis, à la tête des Arabes. Une grande bataille fut livrée, dans laquelle les Turcs triomphèrent des Arabes, les mirent en fuite, et s’emparèrent de leurs femmes et de leurs enfants. L’émir Koreïsch ayant arboré un drapeau noir, accourut en suppliant chez ses compatriotes, et en revint avec des forces considérables contre les Turcs. Après un combat acharné, il vainquit les Turcs et leur enleva non seulement le butin qu’ils lui avaient pris, mais encore celui qui leur appartenait en propre. Les Turcs s’enfuirent jusqu’à Bagh’ïn,[215] répandant le sang en une foule de lieux. Dans le district de Thelkhoum,[216] le massacre des chrétiens fut très considérable. Après avoir fait une multitude de captifs, reprenant le chemin de la Perse, ils arrivèrent à la ville arménienne d’Ardjèsch.[217] Cette ville relevait d’un chef romain nommé Etienne (Sdéph’ané) qui en était gouverneur avec le titre de Catapan. Les émirs perses lui envoyèrent de riches présents, afin d’obtenir passage pour regagner leur pays. Mais Etienne, plein d’orgueil, étant venu les attaquer, eut le dessous, et éprouva de grandes pertes. Il tomba entre les mains des Turcs, qui le conduisirent dans la ville de Her, où ils le firent périr dans des tourments affreux. Ils l’écorchèrent, et ayant rempli sa peau de foin, la suspendirent au rempart. Les parents d’Etienne qui en furent instruits, rachetèrent son corps et sa peau au prix de 10.000 tahégans.[218]

LXX. En l’année 495 (10 mars 1046 - 9 mars 1047), Monomaque leva des troupes et les plaça sous le commandement de l’un des plus hauts dignitaires de l’empire, l’eunuque [Catacalon le Brûlé], Téléarche (Déliarkh).[219] Celui-ci, à la tête d’une armée formidable, marcha contre Tévïn, et vint camper aux portes de la ville, Comme c’était pendant l’hiver, la rigueur du froid, l’abondance des pluies l’empêchèrent d’en faire le siège ; de cette manière il resta invincible, puis il rentra dans le pays des Romains.

LXXI. Lorsque le renouvellement de l’ère arménienne eut amené l’an 496 (10 mars 1047 - 8 mars 1048), le Téléarche revint avec des forces imposantes coutre Tévïn. Il commit une foule d’actes de cruauté, et répandit la désolation dans cette province, massacrant les musulmans, et les réduisant en esclavage. Après quoi il opéra tranquillement sa retraite.[220]

LXXII. Cette même année, un patrice nommé Thornig,[221] originaire d’Andrinople (Anternabolis), se révolta contre Monomaque. C’était un vaillant et redoutable guerrier ; ayant levé des troupes innombrables dans tout l’Occident et chez les Goths (Kouth), il marcha contre Constantinople. Il plongea cette ville dans le désespoir et la réduisit à la situation la plus critique. L’empereur n’osait pas sortir pour se mesurer avec lui. Les habitants avaient tellement à souffrir des rigueurs de ce siège, qu’ils fermèrent une des portes de la ville avec de la boue et des pierres. La guerre que leur faisait Thornig était si cruelle, qu’il démolit de fond en comble l’église des saints Anargyres, édifice situé hors des murs, et qu’il jeta dans l’Océan toutes les richesses de l’église des saints Martyrs.[222]

Cependant Monomaque et les grands, consternés, et jugeant leur position désespérée et toute résistance impossible, imaginèrent, de concert avec le patriarche, la plus perfide machination contre Thornig. Ils lui écrivirent pour lui promettre, sous la foi des serments les plus solennels, afin de mieux le tromper, de lui donner dès ce moment la dignité de César, et après la mort de Monomaque, la couronne. Cette lettre et ces serments convainquirent Thornig de leur sincérité. Ils lui mandaient qu’ils avaient trouvé consigné dans les livres qu’après la mort de Monomaque il était destiné à s’asseoir sur le trône. Le patriarche, les prêtres et les grands se rendirent auprès de Thornig, et renouvelèrent leurs serments en sa présence. La paix ayant été conclue et l’amitié établie, ils l’amenèrent à Constantinople. Mais au bout de quelques jours, ils violèrent la foi jurée, et renièrent Dieu qu’ils avaient pris à témoin, suivant l’habitude des Romains, qui est de faire périr les grands en les abusant par de faux serments. Le brave Thornig fut privé de la vue.

LXXIII. En l’année 498 (9 mars 1049 - 8 mars 1050) sous le règne de Monomaque César, qui par la fourberie et le parjure dépouilla la dynastie des Bagratides de la souveraineté de l’Arménie, et sous le pontificat du seigneur Pierre, catholicos, une calamité, signe de la colère divine, nous vint de la Perse par ordre de Thogrul Sultan. Deux généraux sortirent de son divan, nommés, l’un Ibrahim (Apréêm) et l’autre Koutoulmisch (Kethelmousch). Ils s’avancèrent à la tête d’une armée formidable contre l’Arménie. Ils avaient appris que, grâce aux Romains, ce pays était sans chef et sans défense, car ceux-ci avaient enlevé de l’Orient tout ce qu’il y avait de guerriers courageux, et n’envoyaient à leur place que des eunuques.[223] Ils se dirigèrent d’abord contre la célèbre et populeuse ville d’Arménie que l’on appelle Ardzen.[224] Ils n’ignoraient pas qu’elle était dégarnie de remparts et qu’elle renfermait une multitude d’hommes et de femmes, ainsi que des trésors immenses d’or et d’argent. A la vue des infidèles, les habitants sortirent pour les repousser. Un combat terrible s’engagea sous les murs mêmes de la ville. Il dura une grande partie de la journée, et les campagnes se couvrirent de sang ; car il n’y avait aucun lieu qui pût servir d’abri, et nul secours à attendre : la mort seule s’offrait aux habitants. Enfin, écrasés par le nombre, ils tournèrent le dos, et les infidèles, pénétrant dans la ville l’épée nue, massacrèrent tous ceux qui s’y trouvaient, au nombre de 150.000. Il serait superflu de mentionner l’or, l’argent, les étoffes de brocart d’or dont ils s’emparèrent ; la plume est impuissante à en retracer la quantité. J’ai entendu raconter souvent et par beaucoup de gens, au sujet du chorévèque Tavthoug,[225] dont Ibrahim enleva les trésors, qu’il fallut quarante chameaux pour les emporter, et que huit cents sixains de bœufs sortirent de ses étables. A cette époque il y avait à Ardzen huit cents églises où l’on célébrait la messe. Ce fut par ce cruel désastre et après un affreux carnage que tomba cette belle et noble cité. Comment raconter ici, d’une voix étouffée par les larmes, le trépas des nobles et des prêtres dont les corps, laissés sans sépulture, devinrent la proie des animaux carnassiers, le sort des dames d’une haute naissance conduites avec leurs enfants comme esclaves en Perse, et condamnées à une éternelle servitude ! Ce fut le commencement des malheurs de l’Arménie. Prêtez donc une oreille attentive à ce récit douloureux. L’extermination de la nation orientale s’opéra successivement d’année en année, et Ardzen est la première ville qui fut prise et disparut dans cette ruine.

Cependant Monomaque, ayant appris cette terrible nouvelle, fit partir pour l’orient des troupes dont il confia le commandement aux généraux Catacalon,[226] Grégoire [Magistros], fils de Vaçag, et Libarid, frère de R’ad le brave.[227] Ils arrivèrent en Arménie à la tête de ces forces qui étaient considérables, pour repousser les Perses.

LXXIV. Cette même année, Monomaque écrivit au catholicos Pierre, pour lui mander de se rendre auprès de lui à Constantinople. Celui-ci s’empressa d’obéir à cet ordre. Mais réfléchissant que les Romains ne le laisseraient peut-être plus jamais retourner en Orient, il désigna comme son successeur un homme digne de tout éloge, le seigneur Khatchig. Il eut la même prévision à l’égard du myron,[228] huile bénite servant à la consécration, dans le rite arménien. Il l’ensevelit dans le fleuve Akhourian, en la renfermant dans des vases : Il y en avait 400 livres pesant. Il voulait éviter que ce précieux dépôt ne tombât entre les mains des Romains ; et il est resté là jusqu’à ce jour. Il l’y cacha pendant la nuit, dans un endroit voisin de la porte d’Ani. Puis il partit escorté des nobles attachés à sa maison, tous gens d’une hante distinction, au nombre de 300, et armés, de docteurs, d’évêques, de moines, de prêtres, au nombre de 110, montés sur des mulets, et de 200 domestiques à pied. A la suite de Pierre venaient le premier et le plus illustre de tous, le vartabed Poulkhar ; l’éminent Khatchadour, chancelier ; Thaddée (Thatéos), homme sans pareil comme littérateur ; Georges (Kêork) K’arnégh’etsi ; Jean (Ohannés) K’arnégh’etsi Matthieu (Madthéos), du couvent de Hagh’pad ; Mékhithar de Knair ; Diranoun Gabanetsi, le philosophe ; Mekhithang ; Vartan, du couvent de Sanahïn ; Basile (Parsegh’) Paschkhadetsi ; l’éminent et vénérable Elisée (Egh’isché) ; Basile (Parsegh’), son frère ; Georges, surnommé Tchoulahag-tzak ; les seigneurs Ephrem, Ananie et Khatchig. Tous ces docteurs, philosophes et savants, versés dans la connaissance de l’ancien et du nouveau Testament, ainsi que l’illustre seigneur Pierre, qu’ils accompagnaient, firent le voyage de Constantinople. En apprenant leur arrivée, les habitants, avec les grands de l’empire, accoururent en foule au devant de Pierre, et le conduisirent en pompe à Sainte-Sophie. Là, l’empereur et le patriarche[229] étant vernis le rejoindre, l’amenèrent à un magnifique palais. Monomaque ordonna de pourvoir à tontes ses dépenses, et le premier jour, on lui donna un centenarium.[230] Le lendemain Pierre alla au palais faire sa visite à l’empereur. Ce prince, instruit de son arrivée, s’avança au-devant de lui, et commanda de le faire asseoir sur un siège d’or, dont le seigneur Elisée se saisit lorsque le patriarche se retira. Comme les gens de service s’efforçaient de le lui arracher, Elisée le retenait avec force. Monomaque ayant demandé le motif de cette résistance, Elisée lui répondit : « O prince, ce siège est devenu un trône patriarcal, et nul n’est digne maintenant de s’y asseoir, si ce n’est le seigneur Pierre. » Monomaque goûta beaucoup cette raison, et dit : « Laissez-lui ce trône patriarcal. » Puis s’adressant à Elisée : « Ce siège, lui dit-il, vaut mille tahégans ; conserve-le pour ton seigneur [le patriarche], afin que nul autre que lui ne s’y place. » Pierre vécut quatre ans à Constantinople au milieu des Romains, traité avec les plus grands égards, et chaque jour il voyait augmenter sa considération et son honneur. Lorsqu’il se rendait chez l’empereur, on portait devant lui la crosse patriarcale, et dès que ce prince l’apercevait, il se prosternait à ses pieds. Il intima aux grands de sa cour l’ordre de ne jamais manquer d’aller au devant du seigneur Pierre. Au bout de ce temps l’empereur et le patriarche [de Constantinople] lui donnèrent de riches présents, des robes de brocart, beaucoup d’or et d’argent. Monomaque accorda aussi divers insignes et des dignités aux nobles de sa maison, et il éleva au rang de syncelle[231] le neveu (fils de la sœur) de Pierre, le seigneur Ananie ; puis ayant fait cadeau au patriarche de vêtements précieux de toutes sortes, il le congédia avec bienveillance, chargé des marques de sa munificence. Pierre, ne pouvant plus retourner à Ani, fixa sa résidence à Sébaste, auprès des fils de Sénékhérim, et il y vécut entouré de respect.

Cependant les troupes grecques étant arrivées dans l’Orient, Catacalon, Aaron (Ar’ôn) Vestès[232] et Grégoire, fils de Vaçag, appelèrent à eux Libarid, prince des Géorgiens. Ils parvinrent auprès du fort de Gaboudrou, dans le district d’Ardchovid.[233] Les Turcs ayant appris qu’ils approchaient, s’arrêtèrent, tandis que les Romains étaient campés en ce lieu. Les infidèles s’étant avancés du côté de Libarid, celui-ci fit venir le préfet de nuit Tchordouanel, son neveu (fils de sa sœur), qui était un intrépide guerrier. Les Turcs commencèrent l’attaque pendant la nuit et le bruit de la mêlée retentit aux oreilles de Libarid. « Accours, lui criait-on, les infidèles nous ont cernés. » Il répondit : « C’est aujourd’hui samedi, et ce n’est pu ce jour-là le tour des Géorgiens de combattre. Cependant Tchordouanel, semblable à un lion, frappait dans les ténèbres les ennemis et les poussait vivement, lorsqu’une flèche vint l’atteindre à la bouche et lui sortit par la nuque ; il expira du coup. Libarid, apprenant sa mort, s’élança furieux et mit les Turcs en déroute sur toute l’étendue de la plaine, qu’il changea en un marais de sang. Témoins de ses prouesses, les Romains le trahirent, l’abandonnant au milieu des infidèles, et prirent la fuite, afin de lui ôter l’occasion de se couvrir de gloire. A cette vue les Turcs revinrent à la charge contre les Géorgiens. Au plus fort de la mêlée, Libarid, pareil à un lion, faisait entendre sa voix, lorsqu’un Géorgien, qui se tenait derrière lui, coupa du tranchant de son épée les jarrets du cheval de Libarid, et ce héros, tombant à terre, se trouva assis sur son bouclier. « C’est moi qui suis Libarid, s’écriait-il. » Aussitôt les infidèles massacrèrent un grand nombre de Géorgiens, et mirent le reste en fuite. Ils firent Libarid prisonnier et l’emmenèrent dans le Khoraçan,[234] auprès de Thogrul Sultan.[235] Car déjà depuis longtemps sa renommée était parvenue jusqu’à ce prince, qui connaissait sa bravoure à toute épreuve. Il demeura à sa cour deux ans, et se distingua par plusieurs traits de courage. Là se trouvait un noir, homme fort et courageux, que l’on mit aux prises avec Libarid en présence du sultan Libarid vainquit son adversaire et le tua. En récompense, Thogrul lui rendit la liberté et le renvoya comblé de présents dans le pays des Romains. Le prince géorgien s’en vint à Constantinople auprès de Monomaque, qui fut enchanté de le revoir, et qui, après lui avoir donné des preuves de sa haute munificence, lui permit de retourner chez lui rejoindre sa femme et ses enfanta. Ce Libarid était frère de R’ad et de Zoïad.[236] Il était géorgien de nation et descendait d’une famille qui avait produit d’illustres guerriers.

LXXV. En l’année 499 (9 mars 1050 - 8 mars 1051), les Romains eurent à soutenir de terribles assauts. Un grand nombre de provinces furent dévastées et livrées au massacre et à la ruine par les Patzinaces (Badzénig),[237] peuple avide de dévorer les cadavres, scélérat et immonde, bêtes cruelles et sanguinaires. Car la nation des Serpents,[238] ayant franchi les limites de son territoire, chassa devant elle les Khardêsch.[239] Les Khardêsch émigrant repoussèrent les Ouzes[240] et les Patzinaces, et tous ces peuples réunis tournèrent leur fureur contre les Romains. Constantinople fut livrée aux plus grandes calamités, et les plus nobles personnages furent tramés en esclavage. Il nous serait impossible de raconter toutes les tribulations qui affligèrent les Romains cette année. Car ces hordes firent des ravages épouvantables. L’empereur consterné n’osait pas sortir de sa ville pour aller les repousser, parce qu’elles étaient innombrables. Après avoir fait sur les terres de l’empire un séjour prolongé, elles regagnèrent leur pays, et la tranquillité fut rétablie.[241]

LXXVI. Sur la fin de l’année 500 (9 mars 1051 - 7 mars 1052), une venimeuse dénonciation fut portée à l’empereur Monomaque. Des langues perfides firent retentir à ses oreilles des calomnies contre de nobles Arméniens qui résidaient dans le district de Bagh’ïn. Comme on lui dit qu’ils s’opposaient à ses ordres et qu’ils avaient l’intention de se révolter, il envoya des troupes à Bagh’ïn ; et aussitôt il commença à répandre le poison de sa malice sur des gens innocents, et à traiter cruellement tout ce district ; et dépouilla ces nobles de leurs honneurs. Monomaque avait envoyé là un homme abominable, nommé Ber’os,[242] véritable général de Satan. Celui-ci voulut s’emparer des quatre princes, fils d’Abel (Hapél), Harbig, guerrier distingué, David, Léon (Lévon) et Constantin, ainsi que des autres chefs. Alors tous se concertèrent secrètement, convenant de se cantonner chacun dans son château-fort, et s’engageant réciproquement par serment à mettre leur projet à exécution le samedi matin. Mais un des confédérés, nommé Thoroçag, seigneur de Thelbagh’d,[243] manquant à la foi jurée, donna avis à Ber’os de la résolution que les chefs avaient prise de ne pas se rendre à son appel. Ignorant cette trahison, les fils d’Abel, ainsi qu’ils en étaient convenus, se renfermèrent au jour fixé dans la grande forteresse d’Argni, située dans le voisinage du district de Thelkhoum, tandis que les autres allaient trouver Ber’os. Lorsque Ber’os sut ce qu’avalent fait les quatre fils d’Abel, il s’avança vers Argni avec des forces considérables. D’abord, l’aspect imposant de cette place le surprit profondément, et il n’osa pas l’attaquer, tant elle était élevée et paraissait imprenable, ni même en approcher. Aussitôt il conçut la plus odieuse pensée et résolut de la mettre à exécution. « Celui, dit-il, qui m’apportera la tête de Harbig, recevra de l’empereur une grosse somme, des dignités et des honneurs. » Cette promesse ayant été connue des compagnons d’enfance et des vieux amis de Harbig, qui se trouvaient avec lui dans la forteresse, ils méditèrent une trahison digne de Judas et de Caïn, le meurtrier de son frère. Non loin de la forteresse et en face était un lieu où Harbig s’était posté avec quelques hommes, et qu’il gardait. Pendant trois jours il n’avait pu prendre un seul instant de sommeil. Les fourbes lui dirent : « Seigneur, pourquoi ne goûtes-tu pas quelques moments de repos ? Nous voici disposés à sacrifier notre vie pour toi. » Harbig les crut et s’en alla dormir, car il succombait sous l’excès de la fatigue. Dès qu’il fut plongé dans le sommeil, ses perfides amis lui coupèrent la tête avec une épée, et vinrent cette nuit même apporter cette tête ensanglantée au gouverneur Ber’os. Mais ce crime ne profita pas aux meurtriers, car ils n’y gagnèrent que des malédictions. Ber’os ordonna de mettre la tête de Harbig au bout d’une perche, qu’il fit planter en face de la forteresse. Lorsque le jour parut, les fils d’Abel l’apercevant, la reconnurent, et aussitôt ils ouvrirent les portes de la place ; répandant de la poussière sur leur tête, et fondant en larmes, ils vinrent tous les trois se prosterner devant cette triste dépouille. Leurs lamentations étaient si déchirantes, que tontes les troupes du camp versaient des pleurs, et faisaient retentir l’air de leurs gémissements. Ce fut par cet acte de perfidie que Ber’os se rendit maître d’Argni. Il emmena les frères de Harbig à Constantinople, auprès de Monomaque. A leur arrivée, l’empereur et tous les Grecs ne pouvaient revenir de l’étonnement quo leur causait l’aspect redoutable de ces jeunes princes. Rien de plus majestueux que leur stature, qui dépassait de toute l’épaule la taille ordinaire des Grecs. La beauté de leur mine leur épargna tout mauvais traitement ; et l’empereur se contenta de les reléguer dans une île. Tel fut le sort de David, Léon et Constantin, tous trois également braves, et des plus nobles entre les grands d’Arménie.

 

 

 



[1] Les pages des auteurs byzantins cités en note sont celles de l’édition de Venise. Pendant le cours de mon travail, j’ai eu cette édition sous les yeux, sans cesser, toutefois, de recourir à celle de Bonn et de profiter de ce qu’elle a pu m’offrir de neuf et d’utile.

[2] En donnant la concordance de l’ère arménienne et de l’ère chrétienne, j’ai indiqué le terme où commence et celui où finit inclusivement l’année arménienne ; ainsi, le 1er du mois de navaçart de l’année 401, ayant correspondu au 2 avril julien 952, le dernier jour de l’année, ou 5e des épagomènes, tomba le 1er avril 953.

[3] C’est-à-dire la Babylonie, et tous les pays au sud de l’Arménie qui formaient l’empire des Khalifes.

[4] Le mot Dadjig fut appliqué anciennement par les Arméniens, comme le mot Scythe par les Grecs et les Romains, à tous les peuples nomades. Dans Matthieu d’Édesse, les Dadjigs sont les musulmans en général, et quelquefois, dans un sens spécial, les Arabes. — On a proposé plusieurs étymologies de ce mot. M. d’Ohsson le fait dériver de Tayoyo, pluriel Tayoyé, par lequel les Syriens désignaient autrefois d’une manière générale les Arabes, et en particulier ceux de la tribu Tay, la plus considérable des tribus qui erraient dans les plaines sablonneuses de la Syrie. M. Neumann (Translations from the chinese and armenian, London, 1831) fait venir ce mot du chinois Ta-yue (Tadjik). Plus tard, les Turcs païens qui vivaient à l’est de l’Iaxarte ou Sihoun, ainsi que les Mongols, donnèrent la dénomination de Tazik ou Tadjik aux musulmans qui habitaient les villes et les campagnes cultivées, et qui étaient d’origine turque, persane ou arabe, et comprenaient sous le nom de Turcs, qu’ils s’appliquaient à eux-mêmes, les peuples nomades de race turque ou tartare. (Cf. d’Ohsson, Hist. des Mongols, t. I) et St-Martin, Hist. des Arsacides, t. I).

[5] Les noms placés entre parenthèses reproduisent, en regard de leur forme usuelle ou vulgaire, l’orthographe et la prononciation qu’ils ont en arménien.

[6] J’ignore sur quel fondement notre auteur attribue au roi d’Arménie Tigrane la fondation d’Édesse. Tout ce que nous savons, c’est que l’origine de cette ville remonte à la plus haute antiquité, et qu’elle fut restaurée par le roi Abgar (Moïse de Khoren). Antérieurement à ce prince, l’Arménie eut deux souverains du nom de Tigrane, l’un de la dynastie de Haïg, l’autre Arsacide, le même qui se rendit si célèbre par sa lutte contre les Romains. Il est probable que Matthieu fait allusion au premier ; car Édesse existait déjà du temps du second, qui est du Ier siècle avant Jésus-Christ.

[7] Le continuateur anonyme de Théophane dit que ce fut l’eunuque Basile, Accubiteur de l’empereur Constantin Porphyrogénète, qui s’empara de Samosate. Cette expédition, qui est de 958, fut suivie presque immédiatement, à ce que nous apprend Matthieu, de celle qui fit rentrer les Arabes en possession de cette ville, et qui eut lieu, à ce qu’il paraît, l’année suivante. Ils étaient commandés par Seïf-eddaula Abou’l Haçan-Aly, fils d’Abdallah Abou’l Heïdja, et petit-fils de Hamdan, fils d’Hamdoun, prince de la famille arabe de Tagleb, fils de Wayel ; il régnait à Alep.

[8] En arménien Bar’agamanos, transcription altérée du grec Paracoemômenos, Accubitor, officier qui couchait auprès de l’empereur. Cf. Codinus, De offic. palat. Cptani, ch. V ; Fabroti, Gloss. ad Cedrenum ; et Du Cange, Gloss. mediae et infimae gracitatis, et Gloss. mediae et infimae latinitatis.

[9] Lorsque le siège de l’empire fut transféré à Byzance, Constantin donna à cette ville, qu’il agrandit et restaura, le nom de Nouvelle Rome. On lit dans un historien syrien dont l’ouvrage ne nous est parvenu que dans la traduction arménienne, le patriarche Michel : « Les empereurs de Byzance continuèrent à être nommés Romains, à cause de la dénomination de Nouvelle Rome que Constantinople avait prise de son fondateur Constantin, et les armées se confondirent les unes avec les autres, sous l’autorité du nom Romain. » (Cf. mon Extrait de la chronique de Michel le Syrien, Journ. Asiat. oct. 1858). Matthieu d’Édesse, comme tous les auteurs arméniens, désigne les Grecs du Bas-Empire sous le nom de Romains, Hr’omk’ ou Hôr’omk’. Le nom de Hr’ovmaïe’tsik ou Hr’omaïetsik’ était appliqué plus particulièrement aux Romains d’Occident, c’est-à-dire aux Latins, et aux Francs.

[10] Les Arméniens qualifient les empereurs d’Orient du titre de Thakavor, roi, qui est la traduction du mot Basileus, employé par les écrivains byzantin ils se servent aussi quelquefois de la dénomination Gaïser, César. Nous avons, dans le cours de notre traduction, adopté le titre plus usuel d’empereur.

[11] Romain II, dit le Jeune, fils de Constantin Porphyrogénète, monta sur le trône le 10 novembre 959, mourut le 15 mars 963, après un règne de 3 ans, 4 mois et 5 jours— De Muralt, Essai de chronographie byzantine. Saint-Pétersbourg, in 8°, 1855.

[12] Par le mot Océan, les Arméniens entendent aussi la Méditerranée, comme on peut le voir déjà dans un de leurs historiens du Ve siècle (Moïse de Khoren ; Cf. Mékhithar abbé, Dict. des noms propres).

[13] Ceci est une erreur évidente, puisque ce calcul nous ferait remonter à 559, date antérieure à l’apparition des Arabes sur la scène du monde, comme peuple conquérant. Le premier des musulmans qui entra dans l’île de Crète est Abou Omeyia-el-Aredi, sous Muawiya (661-680). Si on lisait dans le texte de Matthieu cent quatre ans au lieu de quatre cents, par une interversion quelquefois usitée dans les lettres numérales, on pourrait supposer qu’il entend l’espace écoulé depuis la conquête définitive de l’île de Crète sous le règne du khalife abbasside El-Mamoun (813 - 833) par Abou Hafs Omar, fils de Schoaïb el-Andalouci.

[14] « Un émir nommé Hamdoun, précédemment général des armées du khalife Mothi, s’étant révolté contre ce prince, s’était emparé de la province d’Agh’etznik’. Ayant appris qu’Aschod III, roi d’Arménie, avait acquis une très grande puissance, il lui envoya l’ordre, avec menaces, de lui payer un tribut considérable. Aschod lui ayant opposé un refus, Hamdoun marcha contre lui avec des forces nombreuses. A cette nouvelle, Aschod s’avança à la tête de ses troupes. Il défit Hamdoun et passa au fil de l’épée la plus partie de son armée, et l’ayant fait prisonnier, le tua. Le khalife, instruit de ce succès, lui envoya de riches présents pour lui faire honneur et lui témoigner sa reconnaissance ; parmi ces dons était une double couronne. En même temps il lui conféra le titre de Schahi-Armên (roi des Arméniens), de même qu’Aschod Ergath avait reçu précédemment celui de Schahinschah (roi des rois). » — Tchamitch, t. II.

[15] Il y a ici une confusion. Ce furent, non point les Arabes, mais les Grecs, qui, sous la conduite de Nicéphore Phocas, enlevèrent cette même année Anazarbe et Alep à Seïf eddaula. Dhalim el-Okaïli, gouverneur de Damas pour les émirs d’Egypte Ikhschidites, vint à son secours avec 10.000 hommes, et Nicéphore, instruit de son arrivée, prit le parti de se retirer. Cf. Cedrenus, Zonaras, Léon le Diacre, éd. Hase, Paris 1819, in fol ; Elmakïn, trad. d’Erpénius ; Deguignes, Hist. des Huns, t. III.

[16] Abou’l Haçan Ali, fils d’Ikhschid.

[17] Kor’, fils de Georges (Kêork), de la famille satrapale Marzbédouni. Tchamitch, t. II.

[18] J’ai traduit par un équivalent, plutôt que littéralement, l’expression marzbédagan kouni, dont se sert ici Matthieu, et qui signifie proprement corps employé au service et à la garde du marzban ou marzbed (gouverneur perse de l’Arménie), et destiné à agir sous ses ordres immédiats. Ce corps, et le titre qu’il portait, s’étaient conservés, à ce qu’il paraît, jusqu’au temps des rois bagratides. Je pense que c’étaient des troupes qui faisaient un service permanent, à la différence de celles qui appartenaient aux divers princes et chefs de l’Arménie, et qui étaient convoquées en cas de guerre. Le R. P. Dchakhdchakh, dans son Dictionnaire arménien-italien, traduit cette expression par troppa del prefctto, soldati pretoriani. Peut-être cette dénomination de marzbédagan vient-elle du surnom patronymique de Kor’, commandant en chef de l’armée arménienne. Voir la note précédente.

[19] Ananie, de la province de Mogk’, précédemment supérieur du couvent de Varak, monta sur le siège patriarcal en 943, et termina sa carrière, suivant l’historien Açogh’ig, en 414 de l’ère arménienne (30 mars 965 - 29 mars 966).

[20] Aschod III, dit le Miséricordieux, à cause de sa charité inépuisable envers les pauvres, fils du roi Apas, eut deux fils, Sempad II et Kakig Ier, qui lui succédèrent l’un après l’autre. Samuel d’Ani le fait régner depuis 955 de l’ère de la Nativité (953-954 E. Ch.) jusqu’en 973 (971-972), et Tchamitch de 952 à 977 E. Ch. Il est certain qu’il vivait encore vers la fin de 974, comme le prouve la lettre que lui adressa Tzimiscès pour lui apprendre les succès qu’il avait obtenus contre les Arabes dans le cours du printemps de cette même année (ch. XVI).

Il faut remarquer que Matthieu a singulièrement brouillé la chronologie des souverains bagratides d’Ani, dont il anticipe de beaucoup l’avènement. C’est ainsi qu’après avoir parlé d’Aschod III, il passe sans aucune transition à Kakig Ier, en omettant le règne intermédiaire de Sernpad II. Nous le rectifierons toutes les fois que nous pourrons non appuyer sur des synchronismes certains.

[21] Jean IV, successeur de Kakig Ier, qui mourut en 407 E. A. (1er avril 958 - 31 mars 959). Comme il assista à l’élection de Vahan ou Vahanig, catholicos d’Arménie, en 965, nous savons par là qu’il était encore sur le siège à cette époque. —Cf. Schahkhathouni, Description d’Edchmiadzïn et des cinq districts de l’Ararad, imprimerie du couvent patriarcal d’Edchmiadzïn, 1852, 2 vols, in 8°.

[22] Ph’ilibbê appartenait à la seconde dynastie des rois de Gaban ou de Ph’ar’isos, qui descendaient de Haïg. Notre chroniqueur donne plus loin (ch. CXXVI) la généalogie de ces princes.

[23] Il est impossible de déterminer exactement quel était le souverain qui régnait alors sur l’Aphkhasie. L’Histoire de la Géorgie (traduite par M. Brosset, Saint-Pétersbourg, 1849, in 4°) offre pour cette période une très grande confusion. Les Aphkhases, peuple chrétien, occupaient le pays situé entre la Géorgie au sud, et la Circassie au nord. Cette contrée porta aussi le nom d’Ecretice, l’Eker des Arméniens, Egris ou Imérêth des Géorgiens, et fut réunie parfois au royaume de Karthli ou Géorgie.

[24] L’empereur Romain II.

[25] L’auteur désigne, par le nom de Babylone, tantôt Bagdad, qui avait remplacé comme métropole de l’Orient l’antique cité des Chaldéens, et tantôt (chap. XVI) le Caire, qui fut bâti sur les ruines de la Babylone d’Egypte, en 958, par Djeuhar, général du khalife Mo’ezz.

[26] La Perse était alors sous la domination des Samanides, qui s’étaient rendus indépendants des khalifes, et qui formèrent deux dynasties, l’une à Boukhara, l’autre à Samarcande.

[27] Cf. sur l’apostolat de S. Thaddée et de S. Barthélemy, Moïse de Khoren, et Vies des Saints, par J. B. Aucher, t. IV et IX.

[28] Dans l’histoire byzantine, il est appelé au contraire Romain le Jeune, ainsi que nous l’avons vu, ch. III.

[29] Matthieu d’Édesse compte ces événements à partir du couronnement d’Aschod III, qu’il rapporte (ch. V) à 410, et nous place par conséquent en 412 (31 mars 963 - 29 mars 964), année de l’avènement de Nicéphore, qui monta sur le trône quelques mois après la mort de Romain, arrivée le 15 mars 963.

[30] Nicéphore, fils aîné du Domestique d’Orient Bardas Phocas, fut couronné dans l’église de Sainte-Sophie, par le patriarche Polyeucte, le dimanche 16 août, après avoir été proclamé empereur par l’armée d’Orient, campée devant Césarée de Cappadoce, le jeudi 2 juillet de l’an du monde 6471, induction vi = 963. (Cedrenus ; cf. Léon le Diacre, éd. Hase, in folio et M. Éd. de Muralt, Essai de chronographie byzantine ; Saint-Pétersbourg, 1855). — Cf. Léon le Diacre et De Muralt, Essai de chronographie byzantine.

[31] Ce bel éloge que fait Matthieu d’Édesse de Nicéphore contraste avec ce que disent Cedrenus, Zonaras, Glycas, de son avarice et de sa cruauté. Cependant le témoignage de Matthieu n’est pas sans importance ; il a d’autant plus de poids que ce chroniqueur est ordinairement d’une partialité extrême contre les Grecs. Cependant Lebeau (LXXV, 27) a tracé un portrait odieux de Nicéphore ; mais Gibbon, dont les appréciations sont si justes et si profondes, toutes les fois qu’il n’est pas égaré par ses préjugés antireligieux, l’a justifié au moins sur le chef de l’avarice inhumaine dont l’accuse l’historien français.

[32] Le mot Océan, chez les Arméniens, désigne aussi la Méditerranée, et cette appellation se retrouve déjà dans Moïse de Khoren, qui écrivait au ve siècle. (Histoire d’Arménie, I ; cf. Mékhithar abbé, Dictionnaire des noms propres.)

[33] La seconde année de son règne, au mois de juillet, indiction vii = 964, Nicéphore partit pour la Cilicie, à la tête d’une armée considérable, composée d’impériaux et d’auxiliaires ibères et arméniens ; il soumit les villes d’Anazarbe, Rhossus et Adana, et quantité d’autres places. Comme l’hiver était déjà prochain, il n’osa point attaquer Tarse et Mopsueste, et alla hiverner en Cappadoce. Au retour du printemps, il rentra en Cilicie, et, ayant divisé son armée en deux corps, il confia l’un à son frère Léon, en l’envoyant contre Tarse, tandis qu’avec l’autre corps il s’avançait lui -même contre Mopsueste. Après un siège rigoureux, cette ville, qui souffrait en même temps de la famine, fut emportée de vive force. Mais Léon ne fut pas d’abord aussi heureux ; ayant fait partir un détachement, sous la conduite de Monastériotés, pour aller fourrager et chercher des vivres, ce détachement fut battu dans une sortie des habitants de Tarse. Ces derniers, pressés par la famine et par l’armée grecque, députèrent a Léon pour le prier d’intercéder en leur faveur auprès de l’empereur, et se rendirent. Nicéphore, après avoir incendié les autres villes de la Cilicie, reprit le chemin de Constantinople, au mois d’octobre, indiction ix = 965. (Cedrenus ; Zonaras). Lebeau, Hist. du B. E. LXXV.)

[34] Le mot Dadjig fut appliqué anciennement par les Arméniens, comme le mot Scythe par les Grecs et les Romains, à tous les peuples nomades. Dans Matthieu d’Édesse, les Dadjigs sont les musulmans en général, et quelquefois, dans unions spécial, les Arabes. Aujourd’hui les Arméniens comprennent sous cette dénomination tous les peuples qui professent l’islamisme, et principalement les Turcs Ottomans.

[35] Nicéphore entreprit contre la Cilicie, et ensuite contre la Syrie, deux expéditions, qui semblent noir été confondues en une seule par Matthieu, cette seconde expédition est placée par Cedrenus au printemps de la troisième année de Nicéphore, c’est à dire en 966. L’empereur, étant passé devant Antioche sans l’attaquer, alla s’emparer des places situées dans le Liban et depuis les cotes de la Phénicie jusqu’à Édesse, au delà de l’Euphrate. Laodicée et Menbêdj, l’ancienne Hiérapolis, firent peu de résistance. Alep se soumit à un tribut annuel, ainsi que Tripoli et Damas. Arka fut prise en neuf jours. Emèse, que Nicéphore trouva déserte, fut brûlée. Au mois de décembre, il revint vers Antioche : mais le manque de vivres au milieu d’un pays dévasté et les mauvais chemins l’obligèrent a battre en retraite, et il retourna à Constantinople. Apres son départ, le patrice Michel Bourtzès et l’eunuque Pierre Phocas réussirent par un coup de main à se mettre en possession d’Antioche, qui rentra ainsi entre les mains des Grecs, après avoir été pendant plus de trois siècles au pouvoir des Arabes. Lebeau et M. de Muralt ont suivi Cedrenus en fixant à 966 l’expédition de Nicéphore en Syrie, mais M. Hase (In Leonis Diaconi historiam notae) pense qu’elle doit être retardée jusqu’en 968, d’après le texte de Léon le Diacre et le calcul de Pagi (Critica in Annales Baronii).

[36] Romain II, dit le Jeune (10 novembre 959- 5 mars 963).

[37] Tzimiscès vivait alors, non point exilé dans une île, comme le prétend Matthieu, mais relégué chez lui en Asie. L’empereur, cédant aux suggestions de son frère Léon, l’avait dépouillé de la charge de Domestique et lui avait intimé l’ordre de se retirer dans sa maison, avec défense d’en sortir. L’impératrice Théophano, qui haïssait Nicéphore et qui s’était éprise de Tzimiscès, avait su obtenir de son mari une lettre qui le rappelait à Constantinople. Le messager qui en était porteur le ramena à Chalcédoine, où Nicéphore lui fit dire d’attendre encore un peu de temps. Tzimiscès, traversant le Bosphore en secret pendant la nuit se rendait au palais et entretenait des relations criminelles avec Théophano. —Suivant les auteurs arméniens, Tzimiscès était de leur nation et originaire d’Hiérapolis, dans le district de Khôzan, qui fait partie de la province de la Quatrième Arménie, cette ville fut appelée Tchémèschgadzak, Naissance de Tzimiscès, du nom de cet empereur. (Cf. ch. XV). Ce nom, Tchemeschguig, ne se rapporte à aucune racine arménienne connue. On remarque seulement qu’il se termine par la syllabe qui, dans cette langue, indique les diminutifs. Léon le Diacre le traduit par mouzakitzès « parce que, dit-il, Tzimiscès était de très petite taille. » Les efforts de M. Brosset (notes sur Lebeau, t. XIV) sont loin d’avoir réussi à éclaircir l’étymologie de ce mot. Une conjecture non moins incertaine est celle qu’a proposée Cirbied (Cf. notes sur le 5e livre de Léon le Diacre). Suivant lui, Tchemeschgadzak signifierait la sandale brillante que portent à leurs pieds les femmes d’Orient, et Tchemeschguig serait le diminutif de ce mot avec l’acception de petite sandale étincelante. Cette dérivation est contraire à toutes les lois de l’analogie

[38] Suivant Cedrenus, Glycas et Léon le Diacre fut dans la nuit du 10 au 11 décembre, indiction xiii, l’an du monde 6478 = 969, que périt Nicéphore ; Matthieu est donc en avance, pour cette date, de prés de six ans. — Tzimiscès fut introduit par l’impératrice Théophano, au moyen d’une corbeille, dans le palais. Il était accompagné de ses amis le patrice Michel Bourtzès, le Taxiarque Léon Valentius et Atzypothéodore. Ayant surpris Nicéphore pendant son sommeil, ils le massacrèrent, et, après lui avoir coupé, la tête, ils la montrèrent par la fenêtre, à la lueur des flambeaux, aux gardes et au peuple accourus, Tzimiscès fut aussitôt proclamé empereur.

[39] D’après Léon le Diacre, Nicéphore fut enterré auprès de Constantin le Grand, dans l’Eglise des Saints Apôtres, où était la sépulture des empereurs, à Constantinople. — Cf. sur les tombeaux des empereurs byzantins, M. Brunet de Presles, Mémoire lu à la séance annuelle de l’Acad. des Inscript. et Belles-Lettres.

[40] District de la Quatrième Arménie, Anziténê de Ptolémée ; Chanzit des Byzantins.

[41] Cette date est un anachronisme évident. Suivant Vartan, Kakig Ier occupa le trône de 434 E. A. (25 mars 985 - 24 mars 986) à 444 (23 mars 995 - 21 mars 996), ce qui lui donne un règne d’environ dix ans. Mais Açogh’ig, écrivain contemporain, justement estimé pour l’exactitude de ses dates, fait correspondre la 15e année de Kakig à 453 E. A. (20 mars 1004 - 19 mars 1005) ; par conséquent, sa première année est 439 (24 mars 990 - 23 mars 991). S’il a régné 29 ans, comme l’indique Tchamitch, sa dernière année est donc 1018.

[42] Jean, appelé aussi Sempad, et Aschod surnommé le Brave.

[43] Sénékhérim Jean, le dernier des princes Ardzrouni qui régnèrent sur le Vasbouragan, ne devint maître de ce pays en entier qu’en 1003, comme l’atteste Tchamitch (t. II). D’après Açogh’ig (III, 46), son autorité était circonscrite auparavant à une portion de cette province, le district de Peschdounik’. Plus tard, en 1021, Sénékhérim, inquiété par les Turcs Seldjoukides, céda ses Etats à l’empereur Basile II, qui lui donna en échange Sébaste, dans la Cappadoce. Il eut pour successeur, dans la possession de cette ville, son fils ainé David (Tavith), et ensuite ses deux autres fils Adom et Abouçahl. Ces deux derniers furent tués par les Grecs en 1080, sous le règne de Nicéphore Botaniate, qui réunit leur souveraineté à l’empire.

[44] Les princes Ardzrouni faisaient remonter leur origine aux deux fils de Sennachérib, roi d’Assyrie, Adramélech et Sarasar, qui, après avoir tué leur père, se sauvèrent en Arménie (IV Rois, XIX, 37 ; Isaïe, XXXVII, 38 ; Tobie, I, 24.) Les descendants de Sarasar peuplèrent le district qui de leur nom, dit-on, fut appelé Sanaçounk’, et en vulgaire Saçounk’. Adramélech s’établit à l’est des possessions de son frère, et sa postérité occupa la province de Vasbouragan. — Cf. Moïse de Khoren, 1, 23, et mes Recherches sur la chronologie armén. t. I.

[45] Le district d’Antzévatslk’ était compris dans la province de Vasbouragan. Kourkên-Khatchig, souverain de ce district, était frère d’Aschod-Sahag, qui régnait sur la plus grande partie de cette province, et de Sénékhérim Jean, roi du pays de R’eschdounik’. Ces trois princes étaient fils d’Abouçahl Hamazasb. Kourkên-Khatchig eut trois fils, Térénig, Kakig et Aschod. Comme ils étaient encore en bas âge à la mort de leur père, arrivée en 1003, Sénékhérim Jean, leur oncle, s’empara de leurs possessions, et devint ainsi maître de tout le Vasbouragan.

[46] Le mont Varak est au sud de la ville de Van, dans le district de Dosb, province de Vasbouragan. Au pied de cette montagne s’élevait un monastère célèbre par le fragment de la vraie Croix que l’on y conservait. J’ai donné des détails sur l’histoire de cette relique, célèbre parmi les Arméniens, dans ma Chronologie armén. T. 1, Anthologie chronologique, n° XXXIII.

[47] L’on ne connaît point aujourd’hui la valeur exacte du tahégan, en persan dehgani ; il parait qu’il équivalait au dinar des Arabes. Au-dessous du tahégan, les Arméniens avaient le tram, la drachme ou dirhem, et ensuite le ph’ogh’, l’obole ou folous. Il y avait des tahégans d’or et des tahégans d’argent. Dans la Bible arménienne, ce mot a le sens vague du grec nomisma et du latin nummus. Traité des poids et mesures des anciens, (en arménien), par le R. P. Pascal Aucher, Venise, 1821.

[48] Nos deux mss. 9 et 99, lisent ainsi le nom de la reine, femme de Kakig Ier. Tchamitch écrit Gadramidê. Suivant l’historien Vartan, elle était fille de Vaçag, prince de Siounik’, de la famille Siçagan, tandis que Matthieu d’Édesse lui donne pour père Giorgi Ier, roi bagratide de Géorgie.

[49] Akhourian ou Akhouran, appelé aussi rivière de Gars, l’Arpatchaï des modernes. C’est un des affluents de l’Araxe.

[50] Les Bagratides s’étaient partagés en quatre branches principales, qui régnèrent, dans l’Arménie, à Ani, à Gars et à Lor’ê, et dans la Géorgie. Les Bahlavouni, dont le nom dérive de celui de la ville de Bahl, dans la Bactriane, leur primitive résidence, descendaient de la famille royale des Arsacides. Cette famille s’était conservée encore en Arménie, dans la branche Souren Bahlav, et était représentée, à l’époque où nous place ici Matthieu, par Vaçag, père du célèbre prince Grégoire Magistros, duc de la Mésopotamie, aussi célèbre par ses talents militaires que par son érudition, dont il sera question plus loin (chap. XI). Cette famille se perpétuait encore avec éclat et avait produit saint Grégoire l’Illuminateur. Elle donna naissance à plusieurs hommes remarquables ainsi qu’à plusieurs patriarches, parmi lesquels fut le savant et éloquent saint Nersès Schnorhali (le Gracieux).

[51] Samuel d’Ani et Vartan attestent formellement, comme Matthieu, que le catholicos Pierre Ier fut contemporain du roi Jean ; mais, par suite des anachronismes que notre auteur a faits dans le commencement de son histoire, il avance outre mesure le pontificat de Pierre. Suivant Samuel d’Ani, il siégea de 465 E. A. (17 mars 1016 - 16 mars 1017) à 507 (7 mars 1058 - 6 mars 1059) ; et, suivant Tchamitch, de 1019 à 1028. Matthieu (ch. LXXXI) fixe sa mort en 504 E. A. (8 mars 1055 - 6 mars 1056). En sorte qu’il aurait siégé plus de 80 ans, ce qui est évidemment impossible.

[52] . Apas était fils de Mouschegh’, fils d’Apas, roi bagratide d’Ani, et frère d’Aschod III, dit le Miséricordieux. Mouschegh’ avait reçu d’Aschod en apanage la ville de Gars et le pays de Vanant. La dynastie de ces princes fut de courte durée, car Kakig, fils d’Apas, céda en 1064 ses Etats à l’empereur Constantin Ducas, qui lui donna en échange Dzamentav, ville située sur les confins de la seconde Arménie, à l’est d’Amasia.

[53] Kourkên ou Goriguê, troisième fils d’Aschod III, et par conséquent cousin-germain d’Apas, roi de Gars. C’est de son frère Sempad II qu’il reçut en apanage les contrées de Daschir, Davou’ch, Sévortik’, dans le Tzoro’ked. Gaiian, Gaïdzon, Khor’aguerd, Pazguerd, et autres districts ou places fortes dans l’Arménie orientale, sur les bords du Gour ou Cyrus. Il est la tige des rois Goriguians, dans l’Agh’ouanie Arménienne.

[54] Aschod, voulant se défaire de son frère le roi Jean, feignit une grave maladie, et s’étant mis au lit, fit creuser tout auprès un trou, afin que Jean y tombât lorsqu’il accourrait. En même temps il recommanda à Abirad de saisir Jean aussitôt qu’il se serait pris à ce piège, de l’emmener et de le tuer. Aschod envoya donc un de ses serviteurs, sur lequel il pouvait compter, au roi Jean, pour l’inviter à venir recevoir ses derniers adieux. Jean se hâta d’arriver, et étant tombé dans le trou, Abirad accourut et le chargea de chaînes. Puis il l’entraîna hors de la chambre où était Aschod, le remit en liberté, et le conduisit à Ani, où il le replaça sur le trône. Pensant qu’Aschod ne lui pardonnerait point de l’avoir ainsi joué, il se réfugia auprès d’Abou’lséwar. — Tchamitch, t. 2.

[55] Abou’lséwar, émir de la famille des Beni-Scheddad, qui se rattachaient à la tribu kurde des Réwadis. Cette famille se rendit indépendante des khalifes, dans le Karabagh, ou plutôt dans l’Ar’an, entre 951 et 1076. Elle posséda Kantzag jusqu’à la prise de cette ville par Bouzân, général au service du sultan de Perse Mélik Schah, en 1088, et Ani jusque vers la fin du douzième siècle. — cf. Tchamitch, t. III ; Fraehn, Mém. de l’Acad. impériale de St-Pétersbourg ; M. Brosset, Hist. de la Géorgie. — Abou’lséwar avait épousé la sœur de David Anhogh’ïn (Sans-Terre), roi bagratide des Agh’ouans. —Cf. l’historien Arisdaguès Lasdiverdtsi, ch. X. — C’est l’Aplèsphares des auteurs byzantins.

[56] Sous le nom de Théloumnis, Dilémites, ou Elyméens, les tours arméniens entendent les Turcs Seldjoukides de la Perse. L’expédition dont parle Matthieu eut lieu en 1021. En la plaçant en 972-973, il commet une erreur qui provient de la perturbation qu’il a introduite dans la chronologie des souverains bagratides. — Les Turcs, ayant envahi le Vasbouragan, se répandirent de là dans différentes directions, et s’emparèrent de plusieurs provinces arméniennes. Un détachement, sous les ordres de Thogrul-Beg, se porta sur Nakhdchavan, en 470 E. A. (16 mars 1021 - 15 mars 1022), comme le raconte Vartan. Le général des Géorgiens Libarid marcha contre lui la tête de 5.000 cavaliers ; mais, effrayé du nombre des Turcs, il se retira. Thogrul se dirigea rapidement vers Tévïn, puis entra dans le district de Nik. Tchamitch, t. II.

[57] Le district de Nik, où était la forteresse de Pedchni, faisait partie de la province d’Ararad. Cette forteresse s’est transformée aujourd’hui en un village situé sur la rivière Zengui ou Zangou, à 5 milles à l’E. du village d’Egh’ivart ou Egh’vart, dans la partie du territoire arménien que la Perse a cédée à la Russie, par le traité de Tourkman-Tchaï, en 1828.

[58] Vaçag appartenait à l’une des plus illustres familles de l’Arménie, puisqu’il était du sang royal des Arsacides. Il descendait de la fille du patriarche saint Sahag le Parthe (cf. ch. CXI), qui lui-même comptait parmi ses aïeux saint Grégoire l’Illuminateur. Le fils de Vaçag est le célèbre Grégoire, qui fut plus tard décoré du titre de Magistros par l’empereur Constantin Monomaque, et créé duc d’une partie de la Mésopotamie. Il s’illustra autant par sa valeur militaire que par son érudition et les nombreux ouvrages qu’il a composés. Il eut quatre fils, Vahram, l’aîné, qui devint plus tard catholicos, Vaçag, Vasil et Ph’ilibbê, ainsi que plusieurs filles.

[59] Khaph’tchig, originaire du Habesch, ou Abyssin. Les Arméniens désignent par ce mot d’une manière générique tous les peuples de couleur noire, les Ethiopiens, les Maures, et même les Indiens.

[60] Emran était un chef arménien qui marchait avec Ph’ilibbê et Georges Tchordouanèl sous les ordres de Vaçag.

[61] Serguévéli ou Serguevli signifie en arménien cognassier ; on doit donc traduire la montagne du cognassier. Indjidj (Arm. anc.) la comprend dans la liste des localités dont la position est aujourd’hui inconnue ; mais il est évident, par le récit de Matthieu, qu’elle était située ou dans le district de Nik, ou dans le voisinage.

[62] Les historiens arméniens, comme les byzantins, appellent du nom de Romains les sujets de l’empire grec. On sait, en effet, que Byzance avait reçu de Constantin le Grand le nom de Nouvelle Rome. Il semble cependant que, dans le langage habituel des Arméniens, la dénomination de Hor’omk ou Hromk, soit réservée aux grecs, qu’ils appellent aussi les Romains orientaux. Celle de matetsik est attribuée plus particulièrement aux Romains d’Occident, et d’une manière générale aux Latins, ainsi qu’à tous les peuples de l’Europe. Nous en verrons des exemples plus loin dans le texte de Matthieu. L’expression, la Nation orientale ou l’Orient, signifie la Grande Arménie. Elle leur a été suggérée par la situation du pays qu’ils habitent, par opposition à l’empire grec, qui est à l’ouest pour eux. Elle ne paraît pas remonter plus haut que le XIIe siècle, au temps de la domination des princes roupéniens en Cilicie.

[63] Le Domestique d’Orient dont il est ici question et sur lequel se taisent les historiens byzantins, était sans doute Arménien, comme ce nom de Mleh semble l’indiquer. En effet, pendant toute la durée du Bas Empire, une foule d’Arméniens furent au service de la cour de Byzance, et quelques-uns même parvinrent aux plus hautes dignités. Tchamitch (t. II), d’après les mss. qu’il a eus entre les mains, a lu Mleh témesligos. Nos deux mss. de la Bibl. impér. portent : le Témaligos appelé Mleh. C’est le titre grec Domesticos tôn scholon, Domesticus scholarum attribué au général en chef des armées d’Orient.

[64] Habituellement les Arméniens désignent le Tigre par son nom grec Tigris (Dikris), quelquefois aussi par son nom oriental Teglath, diversement transcrit, suivant les manuscrits.

[65] Lors de cette expédition de Mleh en Mésopotamie, il y avait trois ans que Nicéphore était mort.

[66] Le khalife Mothi’-lillah (946-974).

[67] Dans le langage des Arméniens, cette expression, « Maison », c’est-à-dire Nation orientale, « Orient », désigne la portion de territoire qui s’étend à l’est de l’Euphrate jusqu’à la mer Caspienne, et qui formait la Grande Arménie. Elle leur fut probablement suggérée par la situation de ce pays par opposition à l’empire grec, qui était à l’ouest pour eux. Elle ne parait pas remonter plus haut que le xif siècle, au temps de la domination des princes roupéniens dans la Cilicie. (Cf. Matthieu d’Édesse et Encyclique et lettres familières de saint Nersès Schnorhali, texte de l’édition de Saint-Pétersbourg, 1788, in 4° et trad. latine de M. l’abbé Cappelletti, Venise, typogr. des RR. PP. Mékhitharistes de Saint Lazare, 1833, 2 vols in 8°, passim.)

[68] Le désordre que notre auteur a introduit dans sa chronologie fait reparaître Aschod III après les règnes de Sempad II et de Kakig Ier, ses successeurs. Il semble qu’il l’ait confondu avec le frère de Jean Sempad, Aschod le Brave. Mais ce dernier n’est pas compté dans la liste des souverains bagratides, parce qu’il ne régna pas à Ani ; de plus, il est postérieur de beaucoup à Tzimiscès, qui fut contemporain d’Aschod III. Aschod III, le cinquième souverain de la dynastie des Bagratides d’Am, dit le Miséricordieux, à cause de sa charité inépuisable envers les pauvres, régna, suivant le chronographe arménien Samuel d’Ani (trad. de J. Zohrab à la suite de la Chronique d’Eusèbe, Milan, 1818) 402 de l’ère arménienne (2 avril 953 - 1er avril 954) à 419 (29 mars 970-28 mars 971). Cependant il est constant qu’il vivait encore vers la fin de 974, comme le prouve la lettre que lui adressa Tzimiscès pour lui annoncer les succès qu’il avait obtenus contre les Arabes dans le cours du printemps de cette même année. (Voir ci-après, ch. vi.) Tchamitch (Histoire d’Arménie, t. II) prolonge son règne jusqu’en 977.

[69] Ph’ilibbê appartenait à la seconde dynastie des rois de Gaban ou Ph’ar’iços, petit état de la province de Siounik’, dans l’Arménie orientale. Ph’ilibbê eut pour fils et successeur Taguin Sévata, et celui-ci Sinak’érem ou Sénékhérim, qui fut père de Grégoire, contemporain de Matthieu d’Édesse. Les historiens arméniens Etienne Açogh’ig, Vartan et Etienne Orbélian s’expriment d’une manière confuse et contradictoire sur la durée et la fin des princes de Gaban, et il est impossible de les concilier. Suivant Açogh’ig (liv. III, ch. xlviii), Kakig Ier, roi d’Arménie, et Ph’adloun, émir kurde de Tévïn, se seraient disputé et auraient ensuite partagé les Etats de ces princes, après la mort de Sinak’érem et de Grégoire. D’un autre côté, Matthieu d’Édesse (ch. cxxvi, t. I de ma bibliothèque historique arménienne) dit formellement que ce Grégoire était encore vivant de son temps, quoique lui-même soit postérieur d’un siècle environ à Açogh’ig. Pour expliquer cette contradiction, Tchamitch (t. II) a imaginé une restauration de cette dynastie par de nouveaux souverains, dont les deux derniers auraient également porté les noms de Sinak’érem et de Grégoire.

[70] Apas était fils de Mouschegh, frère d’Aschod le Miséricordieux. Celui-ci avait donné en apanage à Mouschegh la ville de Gars et le district appelé le Petit Vanant, dans lequel cette ville était située. Par suite de la confusion que notre historien a introduite dans la chronologie des Bagratides, il avance le règne d’Apas, qui ne monta sur le trône qu’en 984, après la mort de son père Mouschegh. Ce royaume n’eut qu’une existence éphémère ; il finit en 1064, par l’abandon qu’en fit Kakig, fils d’Apas, à l’empereur Constantin Ducas.

[71] Kourkên ou Goriguê Ier, troisième fils d’Aschod le Miséricordieux, reçut en apanage de son frère aîné Sempad II l’Agh’ouanie ou Albanie arménienne. Il mourut en 989. Il fut la tige de la branche des rois bagratides dits Goriguians, qui avaient pour résidence Lore, ville principale du district de Daschir, dans la province de Koukark’. Cette dynastie s’éteignit vers le milieu du xiiie siècle.

[72] Sénékhérim Jean, roi du Vasbouragan, de la puissante famille des Ardzrouni, qui possédait toute cette province et qui faisait remonter son origine à Adramélech, fils de Sennachérib, roi d’Assyrie. Matthieu anticipe son avènement comme roi du Vasbouragan ; il ne le devint qu’en 1003. Plus tard, en 1021, il céda ses Etats à l’empereur Basile II.

[73] Khatchig Kourkên, frère aîné de Sénékhérim Jean, fut son prédécesseur dans la souveraineté du Vasbouragan. Après la mort de Kourkên, Sénékhérim s’empara de tout le pays, au préjudice des fils de ce dernier, Térénig, Kakig et Aschod. Les deux districts d’Antzévatsik et de R’éschdounik, dans cette province, étaient dévolus comme apanage aux puînés de la famille des Ardzrouni. C’est donc par erreur que Matthieu nomme comme roi du Vasbouragan Sénékhérim Jean avant son frère Kourkên. Sénékhérim n’était encore que prince de R’eschdounik. (Voir ce que j’ai dit sur la famille des Ardzrouni, dans mes Recherches sur la chronologie arménienne, t. Ier, 2e partie, Anthologie chronolologique).

[74] Par l’expression « Maison de Saçoun » qui est une locution élégante dans la langue arménienne, Matthieu entend les seigneurs de ce district, l’un des plus considérables de la province d’Agh’etznik (l’Arzanène des écrivains byzantins), et limitrophe, vers l’ouest, de la Mésopotamie arménienne. (Cf. Saint-Martin, Mémoires sur l’Arménie, t. I.)

[75] C’est la contrée appelée  (Charka) par Constantin Porphyrogénète (De admin. Imper.). Elle formait un des seize districts de la province de Douroupéran, et avait pour capitale l’ancienne ville de Manavazaguerd, Managuerd ou Mandzguerd, aujourd’hui Melazguerd, dans le pachalik d’Erzeroum. (Cf. Luc Indjidji, Arménie ancienne, Venise, 1822 et Arménie moderne,Venise, i8oG, in 8° ; et le R.P. Léonce Alischan, Topographie de la Grande Arménie, Venise, 1853)

[76] Tchamitch (t. II) écrit ce nom Gh’évont, Léonce ou Pantaléon, comme ce nom est écrit dans la suscription de la lettre que lui adressa Tzimiscès. (Voir ci-après, ch. xvi.)

[77] Sempad Thor’netsi, prince du district de Dchahan, dans la Troisième Arménie. Lorsque lui et Léon furent députés par les confédérés arméniens vers Tzimiscès, ils se rendirent à Constantinople, l’empereur leur fit le plus honorable accueil. Léon reçut les titres de rabounabed, ou chef des docteurs, et de philosophe, et Sempad ceux de magistros et de hyperspathaire. (Cf. sur ces deux mots Du Cange). Sempad est le premier Arménien qui soit mentionné comme ayant été décoré de la dignité de magistros, ainsi que l’on peut l’inférer du témoignage des historiens Açogh’ig, Guiragos et Vartan. (Cf. Indjidji, Archéologie arménienne, 3 vol. in-4°, Venise, 1835, t. II, et Tchamitch, t. II). Le mot Makisdros ou Madjisdros, est le grec Magistros, en latin Magister ; c’est le titre d’une dignité considérable, Magister officiorum, à la cour de empereurs grecs, et qui répond à peu près à celle de conseiller aulique ou de conseiller d’Etat. Il n’y eut d’abord qu’un Magistros ; plus tard on en compta jusqu’à quatorze. Des généraux d’armée reçurent aussi ce titre, qui était dans ce cas l’équivalent de celui de Magister militiae. —Le titre de Protospathaire, Protospatharios, était donné au chef des gardes du corps ou porte-épées, attachés à la personne du prince. C’était une des premières dignités de l’empire, et ils ne pouvaient être forcés à venir prêter témoignage en justice. (Du Cange, Gloss. med. et infimae gracitatis).

[78] Mousçh, capitale du district de Darôn, le plus considérable des districts de la province de Douroupéran, situé sur les deux rives de l’Euphrate ou Mouradtchaï, à l’orient de la 4e Arménie ; elle porte aujourd’hui le même nom et est comprise dans le pachalik de Van.

[79] La forteresse d’Aïdziats, ou Aïdzits, (des chèvres), nommée d’abord Ardzèvis existait déjà comme une très forte place au commencement du viie siècle, d’après le témoignage de l’historien Jean Mamigonien (édit. de Venise, in 8°, 1832).

[80] Vahan ou Vahanig, d’abord évêque de Siounik’ et ensuite catholicos. On n’est pas d’accord sur l’époque et la durée de son pontificat. Tchamitch, dans ses Tables (t. III) en fixe le commencement en l’année 965, et lui attribue 5 ou 10 ans d’exercice : après quoi il fut déposé.

[81] Kyrios, en arménien Gur’ ou Guir’.

[82] Cette princesse était probablement la sœur de Seïf eddaula Aboul Haçan Aly, fils d’Abd Allah Abou’l Heïdja et petit-fils de Hamdan, fils de Hamdoun, prince de la famille arabe de Tagleb ; fils de Wayel. Il régna à Alep, où ses successeurs se maintinrent jusqu’en 1014. Une autre branche de cette famille posséda Mossoul jusqu’en 979.

[83] L’historien Etienne Açogh’ig, qui vivait sur la fin du xe siècle et au commencement du xie, donne à Khozan la qualification de gros bourg, et le place dans le district de Dzoph’k’, qui était compris dan la 4e Arménie (Indjidji, Arm. anc.). Voir ch. VII. Le témoignage de Matthieu montre que Khozan était aussi le nom du territoire qui comprenait cette ville. On croit que Khozan s’appelait primitivement Palakhohovid ou Palahovid.

[84] Tzimiscès n’atteignit pas Jérusalem, ainsi que le prouve un passage de la lettre de ce prince, qu’on lira un peu plus loin.

[85] Cette lettre paraît avoir été écrite par Tzimiscès lorsqu’il revenait de son expédition de Syrie, par conséquent dans l’automne de 974. C’est dans l’année précédente qu’il avait pénétré dans l’Assyrie jusqu’au delà du Tigre et dans le nord de la Syrie. Dans l’intervalle de ces deux campagnes, il était retourné passer l’hiver à Constantinople.

[86] Schahinschah, Schahenschah, en Persan, « roi des rois », titre que nous trouvons transcrit Segansaa dans Agathias. Plus tard, il fut conféré par les khalifes de Bagdad aux souverains bagratides Aschod II et Kakig Ier. Celui d’Aschod III était Schahi-Armên roi d’Arménie. On voit, dans la lettre que lui adressa Tzimiscès, qu’il était aussi qualifié de Schahinschah. Le titre de Sempad il était Schahinschah-Armên, « roi des rois d’Arménie ». Nous lirons plus loin que les rois bagratides de Gars étalent appelés aussi Schahinschah, ou simplement Schah.

[87] Dans cette expédition, Tzimiscès ne s’avança pas plus loin que le district de Darôn, au nord-est de la Mésopotamie et l’entrée de la Grande Arménie. Ce sont ces contrées qu’il désigne par l’expression l’Orient des Perses. Elles formaient en effet la limite de la domination des Parthes et des Perses, à l’extrémité orientale de l’empire grec.

[88] Saint Jacques de Nisibe était de la race royale des Arsacides, de la branche Sourên Bahlav, et fils de Khosrovouhi, sœur d’Anag, père de saint Grégoire l’Illuminateur. Il assista, en 325, au concile de Nicée (cf. J. B. Aucher, Vies des saints, t. X). Il a composé une suite d’homélies, publiées en arménien, avec une traduction latine, par le cardinal Antonelli (Borne, 1756, in fol.).

[89] Il y a dans le texte Makhr Arabes, c’est-à-dire les Arabes Magrébins. Ce mot, d’où les Arméniens ont tiré l’adjectif mokhragan, employé par S. Nersès Schnorhali dans son Elégie sur la prise d’Édesse, ainsi que mough’ri, est une altération de l’arabe maghrébi, occidental, dénomination qui s’applique aux Arabes de l’Afrique occidentale, et en particulier à ceux du Maroc. Un peu plus loin, et ailleurs dans la chronique de Matthieu, ils sont nommés Aph’riguetsik’, Africains. Par cette double appellation, il entend ici les Égyptiens. L’Émir el-moumenïn auquel Tzimiscès fait allusion est le khalife fatimide Mo’ezz lidin-illah, qui s’était rendu maître de l’Égypte en 362 de l’Hégire (972 de J.-C.) Les khalifes fatimides, sortis du Maroc, dominèrent sur toute la côte septentrionale d’Afrique, et furent fréquemment en guerre avec les Grecs. Déjà, en 970, tous les peuples musulmans, parmi lesquels étaient ceux d’Afrique, étant venus mettre le siège devant Antioche au nombre d’environ 100.000, Tzimiscès fit marcher contre eux un de ses eunuques, le patrice Nicolas, dont il connaissait les talents militaires. Ce général auquel s’étaient jointes les troupes de la Mésopotamie, défit entièrement les Sarrasins, quoique son armée fût très inférieure en nombre (Cedrenus, Zonaras). Il paraît, d’après les expressions de la lettre de Tzimiscès, que dans cette seconde campagne les Arabes d’Afrique ou Egyptiens avaient dû se porter vers le nord de la Syrie, et que c’est en sortant de la Mésopotamie que l’empereur les rencontra.

[90] La ville d’Emèse était en la possession des princes Hamdanites d’Alep ; celui qui régnait alors était Sa’d eddaula, fils de Seïf eddaula.

[91] Il paraît que le tahégan équivalait au dinar des Arabes ; quelquefois il est mis en rapport avec le besant. L’étymologie du mot en persan prouve que cette monnaie avait le même principe de division (dix) que le dinarion. Il y avait des tahégans de deux sortes, d’or et d’argent. (Cf. Matthieu d’Édesse, t. 1er de la Biblioth. histor. armén. ch. ix, note 2, et Pascal Aucher, Traité des poids et mesures, Venise, in 4°, 1821 (en arménien)). Dans un passage de Matthieu d’Édesse, il est parlé du tahégan (ch. xci) ; Guillaume de Tyr (XIII, xv), en racontant le même fait, cite l’espèce de monnaie appelée, du nom de l’empereur Michel Ducas, michaclita.

[92] S. Matthieu, XII, 13-24 ; S. Marc, VI, 32-43 ; S. Luc, X, 17-23 ; S. Jean, VI, 1-13. — Le texte arménien porte cent trois poissons, ce qui est certainement une faute. Cette leçon est donnée cependant par nos deux mss. 95 et 99.

[93] Le mot Béniata est une altération évidente. D’après la marche suivie par Tzimiscès vers le sud, de Nazareth au mont Thabor, nous sommes conduits à la ville de Bethsan ou Scythopolis, située à l’ouest du Jourdain et au sud du lac de Tibériade. C’était la principale ville de la Décapole, et de là vient sans doute la synonymie donnée par Tzimiscès.

[94] Vridoun est sans aucun doute le mot Berytos transcrit d’après la prononciation byzantine, et que l’original grec de la lettre de Tzimiscès devait offrir dans ce passage à l’accusatif, Beryton, d’où il sera passé sous cette forme dans la traduction arménienne.

[95] Je n’ai pas hésité à lire Nacer ; peut-être est-ce aussi Nacery, affranchi de Nacer.

[96] Il y a dans le texte Pipogh’on. Je soupçonne que ce doit être Biblos, sous la forme arménienne un peu altérée de Pipogh’on ou Bibolon. En effet Tzimiscès dut passer inévitablement par cette ville en longeant le littoral de la Phénicie pour se rendre de Béryte à Tripoli.

[97] Le mot arménien Thimatsik’ est, si je ne me trompe, un adjectif ethnique dérivé du grec théma, mot qui désignait les divisions territoriales de l’empire grec, et aussi les légions auxquelles la garde en était ronflée. Ici la cavalerie des Thimatsik’ est peut-ètre le corps cantonné en Phénicie, ou bien les milices provinciales à cheval qui faisaient partie de l’armée de Tzimiscès.

[98] C’est sans doute quelque mot grec altéré ; on pourrait y reconnaître l’expression taxatiôn ou taxidion, garnison. Les Daschkhamadatsik’ seraient ainsi les taxati, « milites praesidiarii » d’Anastase le Bibliothécaire. Cf. Fabroti, Gloss. in Cedrenum.

[99] Dans le texte, Gabanen or gotchi K’aréres, le Défilé nommé K’arérès. Ce passage doit se trouver dans les gorges du Liban, non loin de Tripoli. K’arérès, en arménien, face de pierre ou de rocher.

[100] Djouel ou Djevel est la transcription arménienne du nom de Gibelet ou Gabala, ville située sur la côte de la Phénicie, entre Laodicée au nord et Balanée au sud. Tzimiscès, ou peut-être le traducteur arménien, en affirmant qu’elle a aussi le nom de Gabaon, a été entraîné probablement cette synonymie par la ressemblance éloignée du nom de Gabala avec celui de Gabaon ; mais Gabaon, cité de la tribu de Benjamin, au nord de Jérusalem. ne peut se rencontrer dans l’itinéraire que nous fait parcourir Tzimiscès, le long des côtes de la Syrie.

[101] Il y a dans le texte K’agh’ak’ Vagh’aniatsen, c’est-à-dire la ville des Vagh’aniens, qui ne peut-ètre que Balanée, sur la côte de Syrie, entre Gabala et Antaradus.

[102] Séhoun, en arabe Seyhoun, petite ville et château très fort du territoire d’Antioche. Ce château s’élève sur le haut d’une montagne protégée par de profondes et larges vallées en guise de fossés. Aboulféda place Seyhoun au sud-est de Laodicée. Cf. Schultens, Index geographicus in vitam Saladini, et Aboulféda, Géogr. éd. de MM. Reinaud et De Slane. On lit dans le dictionnaire géographique arabe intitulé Merâcid-el-ittila (t. II, éd. Juynboll : « C’est une place très forte de l’un des districts du Sahel, dépendante de Hems. Elle ne domine pas la mer, mais elle est située sur le sommet d’une montagne. Ses fossés sont des vallées larges et profondes : d’un côté seulement elle a un fossé qui a été taillé dans le roc et dont la largeur est de soixante coudées environ. Elle est défendue par trois murailles, dont deux sont devant le faubourg et une devant la forteresse. (Saoua d’Ansbert, Historia de expeditione Friderici imperatoris, éd. Jos. Dobrowsky, Prague. 1827, in-8°).

[103] Léon le Diacre écrit ce nom Bortzô, et dit que c’est une ville très forte assise sur un des sommets les plus élevés de la chaîne du Liban. Dans la Chronique du connétable Sempad, on lit Bourzau. C’était une ville très forte, assise sur un des sommets les plus élevés de la chaîne du Liban. Les auteurs arabes l’appellent Berzoia, et la placent au nord-ouest et à une journée de marche d’Apamée, et à l’est et à la même distance de Séhioun. (Aboulféda. Géogr. ; Merâcid el-itthila. t. I.).

[104] Par le nom de Babylone l’auteur entend tantôt Bagdad, tantôt Le Caire. Ou sait que nos chroniqueurs du moyen âge emploient habituellement la même expression dans ce double sens. On voit, par la suite du récit, qu’il est ici question du Caire ou Babylone d’Égypte : « Babylonia quam ipsi appellant le Cahaire, » dit Jacques de Vitry, 2e lettre au pape Honorius III, dans le tome III du Thésaurus anecdotorum de Martène et Durand.

[105] Suivant Léon le Diacre, Tzimiscès, ayant pris la place forte de Menbêdj, « qui, dit-il, s’appelle Mempeze en syriaque ». Ce fut dans cette ville qu’il trouva les sandales du Sauveur et la chevelure de S. Jean Baptiste. Il déposa la première de ces reliques dans le temple de la Mère de Dieu, qui s’élevait dans le palais impérial, et la seconde dans l’église du Sauveur, qu’il avait lui-même bâtie. Le même auteur affirme que c’est à Béryte que Tzimiscès obtint l’image du Christ. C’était un tableau représentant le crucifiement. Il l’envoya à Constantinople, pour être déposée aussi dans l’église du Sauveur. Léon le Diacre rapporte la tradition du miracle auquel cette image donna lieu, et que rappellent les paroles de la lettre de Tzimiscès. — « On raconte, dit-il, qu’un chrétien, qui habitait une maison de Béryte, y avait placé cette image. Ayant changé de demeure, il oublia de l’emporter. Un juif étant venu occuper cette maison, invita le lendemain plusieurs de ses coreligionnaires à souper. Ceux-ci, ayant aperçu l’image du Christ appendue à la muraille, accablèrent le juif d’outrages, comme ayant abandonné sa foi pour celle des chrétiens. A leur instigation et pour se justifier, il porta un coup de lance dans le tableau, au côté du Christ, de la même manière que ses pères avaient percé le corps du Sauveur, lors de sa Passion. Aussitôt il en coula du sang et de l’eau. A cette vue, les juifs furent saisis d’horreur ; et comme le bruit de ce miracle s’était répandu, les chrétiens accoururent, envahirent la maison, et enlevant l’image tout ensanglantée, l’apportèrent dans l’église. »

[106] Suivant Léon le Diacre, ce fut à Menbêdj que Tzimiscès trouva les sandales du Christ et la chevelure de saint Jean-Baptiste. Il déposa la première de ces reliques dans le temple de la Mère de-Dieu, qui s’élevait dans le Grand Palais, et la seconde dans l’église du Sauveur, qu’il avait bâtie dans le Vestibule de ce même palais. (Cf. Codinus, De originibus Constantinopolitanis ; Du Cange, Constantinopolis christiana).

[107] Anaph’ourdén, dans le ms. 95, et Anamioudén dans le ms. 99.

[108] District de la Haute Arménie, situé à l’ouest de Garïn ou Théodosiopolis (Erzeroum).

[109] Le traducteur arménien a conservé dans sa version ce mot grec au génitif, obolôn, qui existait sans doute dans l’original.

[110] Cette variante se rencontre dans tous nos manuscrits, et il est impossible de savoir si elle provient de l’auteur de la lettre de Tzimiscès, de notre historien, ou de quelque ancien copiste, qui l’aura fait prévaloir dans les temps postérieurs.

[111] C’est-à-dire vers le roi Aschod III, à Ani. L’expression maison de Schirag désigne par une locution arménienne élégante le district de ce nom, où s’élevait la ville d’Ani, et qui était l’apanage de la principale branche des Bagratides arméniens. Ani, ruinée successivement par les Turcs seldjoukides et les Mongols, et par un tremblement de terre, en 1317, fut abandonnée définitivement par ses habitants, en 1319 elle ne subsiste plus aujourd’hui que par ses magnifiques ruines.

[112] Il est curieux de comparer ce récit de la fin de Tzimiscès avec celui que donnent les auteurs byzantins. Une version de la fin de Tzimiscès est toute différente de celle que donnent Cedrenus et Léon le Diacre. Suivant le récit plus explicite de ce dernier, Tzimiscès, à son retour de la Syrie, remarqua, en franchissant le Taurus cilicien, que les châteaux de Longias et de Drizes, au milieu d’un pays très fertile, récemment conquis par son armée, avaient été occupés par l’accubiteur Basile ; il lui en fit de très vifs reproches, mais celui-ci dissimula son mécontentement. L’empereur étant arrivé dans la plaine d’Atrôa, au pied du mont Olympe, chez le patrice et sébastophore Romain, petit fils de Lécapène, un eunuque, échanson de ce dernier, gagné par l’accubiteur, versa à Tzimiscès un breuvage empoisonné. Le prince rentra mourant à Constantinople, et ne tarda pas à succomber, le 10 janvier 6485 (lisez 6484), indict. iv = 976.

[113] Matthieu compte comme successifs les règnes de Basile et de Constantin, tandis qu’au contraire ils occupèrent le trône simultanément ; le premier était alors âgé de 20 ans, et le second de 17. L’avènement de Basile est avancé de 9 à 10 mois dans notre historien, puisque l’année arménienne 424 commença le 28 mars 975, et que la mort de Tzimiscès est, suivant Cedrenus, de décembre 6484, Indict. 4 = 975 E. Ch. ; suivant Skylitzès, du 4 du même mois. C’est le quantième qu’ont adopté Baronius, Petau et Riccioli ; Lebeau et M. de Muralt disent le 10 janvier 976.

[114] Ce chef, dont le nom se lit plus bas, était Abelgh’arib, de la famille satrapale des Havnouni. Il était depuis longtemps au service des princes Ardzrouni comme chef de leurs armées. Il est à remarquer que Tchamitch, qui rapporte l’événement dont parle Matthieu dans ce chapitre, l’a anticipé de 35 ans, en le plaçant sous le règne de Térénig-Aschod, frère d’Abouçahl-Hamazasb, père de Khatchig-Kourkên, père de notre Térénig.

Le nom d’Abelgh’arib est arabe, et signifie Père de l’étranger. On rencontre dans l’histoire arménienne d’autres personnages qui portent des noms empruntés la même langue, et introduits à l’époque où les Arabes devinrent maîtres de l’Arménie ; de même certains noms Turcs et mongols furent adoptés par les Arméniens, lorsque ceux-ci passèrent sous la domination de ces peuples.

[115] Her, ville et district de la Persarménie.

[116] Émir kurde des districts limitrophes de Her et Zarévant.

[117] Cf. Quatremère (Hist. des sultans mamlouks, t. 1). Par une singulière distraction, le savant orientaliste a qualifié de Géorgien le roi Ardzrouni Térénig. Dans une chanson inspirée par le triste sort de Léon, fils du roi Héthoum Ier, retenu prisonnier auprès du sultan d’Egypte Beïbars Bondokdary, on voit que le vainqueur charmait les loisirs de la captivité du jeune prince arménien en l’invitant à jouer à la paume, comme l’émir de lier le faisait à l’égard de Térénig. Un poète populaire s’exprime ainsi :

Le sultan s’est rendu dans le meïdan,

Il joue avec sa paume d’or.

Ma lumière, ma lumière et la Sainte-Vierge !

Que b sainte Croix Soit en aide à Léon et à nous tons !

Le sultan joue, et donnant la paume à Léon,

Prends, lui dit-il, joue, et donne-la à ton dada (gouverneur).

Ma lumière, ma lumière, etc.

(Armenian popular songs, translated into english by father Leon Alishan. Venise, in 8°, 1852).

[118] Nous avons lu précédemment (ch. XIV), à l’année 972-973, que les chefs et les docteurs arméniens étaient venus remettre à Tzimiscès, lorsqu’il se rendit en Arménie, une lettre du catholicos Vahan. Il est surprenant de retrouver ce patriarche montant sur le siège en 976, quatre ans après la date précitée. Mais nous avons déjà fait remarquer la confusion chronologique qui existe dans les premiers chapitres de Matthieu.

[119] Bourg du district de Schirag, non loin d’Ani, sur les bords de l’Akhourian. C’est là que les catholicos d’Arménie avaient leur résidence et leur sépulture au temps des rois bagratides.

[120] Bardas, de l’illustre famille des Skléros ; sa sœur Marie avait épousé Tzimiscès. Il se révolta contre Basile et Constantin, et leur fit longtemps la guerre avec des alternatives de succès et de revers. Enfin, défait par Bardas Phocas, auquel s’était joint David, Curopalate de Daïk’, avec un corps de Géorgiens et d’Arméniens, il se réfugia à Bagdad, où il fut retenu en prison. Ayant réussi à s’évader, il se rendit vers Bardas Phocas, qui avait levé de son côté l’étendard de la révolte, afin de lui proposer de joindre sa fortune à la sienne ; celui-ci se saisit de lui et le renferma dans son château-fort de Tyropée. Mais Phocas étant mort sur ces entrefaites, sa femme relâcha Skléros, qui vint faire sa soumission à Basile. Il fut bien reçu par l’empereur Basile, qui, en lui pardonnant, lui conféra la dignité de curopalate. Peu de temps après. il termina son existence agitée et aventureuse. On peut en lire les faits dans Schlumberger, qui a résumé les récits des auteurs byzantins et dans Lebeau (LXXV).

[121] Etienne III, précédemment supérieur du couvent des Douze Apôtres, dans l’île de Sévan. Tchamitch a placé sen avènement en 970, et notre auteur 13 ans plus tard, mais il est inutile de revenir sur ses erreurs chronologiques.

[122] Cf. ch. VIII.

[123] Mamlan ou Mamloun était émir de l’Aderbadagan. Le turc d’Amirabed ou chef des émirs, que lui donne Matthieu d’Édesse, indique suffisamment qu’il était le plus puissant de tous les chefs de cette contrée. Cf. Açogh’ig, III. — Ce dernier historien nomme aussi comme émir du même pays Abou’l Hadji, qu’il faut distinguer de l’Aboul’ Hadji dont il est question au ch. XX.

[124] David, prince arménien, Curopalate de la province de Daïk’, joue un grand rôle dans l’histoire du Bas-Empire. Il était venu au secours de hardas Phocas, et avait contribué puissamment à la défaite de Bardas Skléros. Ayant appris que Bad, émir du district d’Abahounik’, était mort, il envahit cette contrée et mit le siège devant la ville de Manazguerd, qu’il pressa vivement et qu’if finit par réduire. Il en chassa tous les infidèles, et les remplaça par des Arméniens et des Géorgiens qu’il prit parmi ceux qui vivaient sous sa domination. Les émirs du voisinage, furieux du succès de David, se coalisèrent et marchèrent contre lui. Arrivés dans le district de Dzagh’g-oden (province d’Ararad) au village appelé Gosdiank’, ils campèrent à cet endroit. Parmi eux se trouvait Mamloun. David, arrivé avec ses troupes à Valarsaguerd, fut rejoint par Kakig, roi d’Arménie, et Apas, roi de Gars, ainsi que par le roi de Géorgie Bagrat III (Pakarad). Les infidèles, effrayés, se contentèrent de briller pendant la nuit plusieurs villages des environs, et battirent en retraite. —Ce récit, qui nous est fourni par Açogh’ig (III), explique pourquoi le district d’Abahounik’ est appelé ici le pays de David.

[125] Rabsacès, général de Sennachérib, roi d’Assyrie, député par ce prince sers Ezéchias et les habitants de Jérusalem pour les engager à se rendre, parla du ton le plus arrogant aux envoyés qu’Ezéchias avait chargés d’aller conférer avec lui. — Isaïe, XXX, 27-33, XXXIII, XXXVI et XXXVII.

[126] Ces officiers passèrent au service de Basic lorsqu’il eut hérité des États de David. Cedrenus nomme Pukourianos, Phevdatos et Phersès, tous trois frères.

[127] Matthieu veut sans doute dire que l’empereur Basile et David, Curopalate de Daïk’, s’attribuaient une commune descendance. On sait que Basile II comptait parmi ses aïeux Basile le Macédonien, d’origine arsacide ; et il parait que David se regardait comme issu de cette illustre et antique famille. En mourant, il laissa par testament ses Etats et son armée à Basile.

[128] Le patriarche Etienne III mourut en 972, suivant Tchamitch. Vartan lui donne deux années de pontificat. Açogh’ig fait monter sur le siège Khatchig Ier, successeur d’Etienne, en 421 E. A. (28 mars 972 - 27 mars 973). Khatchig était précédemment évêque du district d’Arscharounik’. Il prit pour résidence le bourg d’Arkina, comme ses trois prédécesseurs Ananie, Vahan et Étienne III.

[129] Mauro-Vart, ou Vart le noir, est le même que Bardas Phocas, qui se révolta contre Basile et prit le titre d’empereur en 987. Vers 989, Basile et son frère Constantin, marchant contre lui, abordèrent en Asie près de Lampsaque. Bardas Phocas, qui assiégeait Abydos, s’avança à leur rencontre, et une bataille, qui devait décider du sort de l’empire, allait être livrée, lorsque Bardas Phocas tomba mort subitement. Plusieurs versions circulèrent sur cette fin extraordinaire ; dans le nombre, Matthieu parait avoir adopté celle suivant laquelle Phocas aurait été empoisonné par son domestique Syméon, corrompu par l’argent de l’empereur.

[130] Ce tremblement de terre est mentionné par Cedrenus et Glycas au mois d’octobre 6494 (lis. 6495), indict. 15= 986. Léon le Diacre dit que ce fut la veille de Saint-Démétrius, ou le 2 octobre.

[131] Le règne de Basile fut signalé par de nombreuses expéditions contre les Bulgares ; elles durèrent de 981 à 1019, époque à laquelle cette nation fut entièrement soumise. Pendant cette période, trois souverains régnèrent sur elle, Samuel, Radomir et Jean Vladosthlav. Matthieu d’Édesse n’en mentionne qu’un, qu’il nomme Alôsianos, nom que les copistes ont écrit quelquefois Aléôsman, ou Aliôsman. Ce prince, qui était frère de Jean Vladosthlav et de Délian, ne monta point sur le trône. Açogh’ig (t. III) nous apprend qu’en l’année 437 E. A. (24 mars 988 - 23 mars 989) l’empereur Basile fit transporter un grand nombre d’Arméniens en Macédoine, et que ceux-ci, mécontents, se révoltèrent et se joignirent aux Bulgares. Il ajoute que parmi ces Arméniens se trouvaient les deux fils d’un personnage de haut rang, appelés Samuel et Manuel, originaires du district de Terdchan, et que Basile ayant fait prisonnier Gourd, roi des Bulgares, Samuel fut appelé à le remplacer.

[132] Vartan et Açogh’ig donnent à Khatchig Ier 19 ou 20 ans de pontificat. D’après ce dernier auteur (III, 32), le successeur de Khatchig, Sarkis, fut sacré catholicos par la volonté de Kakig Ier, roi d’Ani, le mardi de Pâques 441 E. A. (23 mars 992 - 22 mars 993). Tchamitch fixe la même date de 992 E. Ch. Cette année Pâques étant tombé le 27 mars, le mardi fut par conséquent le 29.

[133] Cette expédition est rappelée brièvement, à la date de 992, par Lebeau (XXVI). L’émir d’Alep, Loulou el-Kharâdji, assiégé par Mangoutékïn, général d’Aziz-billah, khalife d’Egypte, ayant imploré l’aide des Grecs, on lui envoya quelques troupes qui furent vaincues. Dans les rangs des Grecs combattaient Thoros, seigneur du district de Haschdiank’, et plusieurs autres nobles Arméniens, qui furent tués (Açogh’ig, III). L’année suivante, comme le siège durait encore, l’émir ayant réclamé de nouveaux secours, Basile marcha en personne avec une nombreuse armée, fit lever le siège d’Alep, et se dirigea ensuite sur Schéïzar (1L1’il prit d’assaut, et sur Tripoli, dont il ne put s’emparer. Après être resté quarante jours devant cette place, il retourna à Constantinople en traversant l’Asie mineure.

Açogh’ig (ibid.) rapporte que les Arabes marchèrent de nouveau contre les Grecs dans le voisinage d’Antioche, et que Basile donna l’ordre au patrice Damien Dalassène (Talanos) d’aller à leur rencontre avec des troupes arméniennes. Les Arabes furent d’abord battus ; mais tandis que les Arméniens et les Grecs étaient occupés à piller le camp des infidèles, ceux-ci, revenant sur leurs pas, firent pleuvoir de loin une grêle de flèches ; après quoi, fondant sur les chrétiens, ils les exterminèrent. Damien périt, ainsi que son frère et son fils. Le prince Patrice (Badrig), frère de Tchordouanel, Géorgien de nation, fut fait prisonnier. Quelques années après. Basile étant revenu en Syrie, fit rassembler les ossements de ceux qui avaient péri, et bâtir une église sur remplacement de leur sépulture.

[134] On peut conclure de ces derniers mots que cet émir était au service du khalife d’Egypte, Aziz-billah.

[135] Il y avait en Arménie trois districts du nom de Varajnounik’ : l’un, situé sur les bords du Hraztan, non loin de la contrée d’Aschots, dans la province d’Ararad ; c’est celui que possédait Sahag ; Il faisait partie du domaine des Bagratides. dans les armées desquels servait Sahag avec l’ancien titre de marzban ou gouverneur dos frontières ; le second district de Varajnounik’ était dans le Vasbouragan, et le troisième dans Douroupéran.

[136] L’explication de la dissidence qui sépara cette année les Arméniens et les Grecs, au sujet de l’époque où devait tomber la Pâque, se trouve dans mes Recherches sur la Chronologie arménienne, t. 1, 1re partie, p. 90-92. Suivant le calendrier des Grecs, la Pâque pouvait être célébrée canoniquement le 6 avril, tandis que le comput arménien reculait cette fête jusqu’au 13. Irion, qui était un prêtre attaché à la cour de Justinien Ier, avait voulu introduire une légère correction dans le calendrier pascal d’André de Byzance, usité chez les Arméniens depuis le milieu du ive siècle, et qui n’était autre que celui des Alexandrins. Quatre fois dans le cours de la période pascale de cinq cent trente deux ans, la fête de Pâques tombe, pour les Arméniens, le 13 avril, tandis que les Grecs et toutes les nations chrétiennes la célèbrent le 6, dimanche précédent. Cette différence a occasionné dans tous les temps des querelles pareilles à celles dont parle ici Matthieu. J’ai discuté longuement ces questions et expliqué le calendrier d’Irion dans mes Recherches sur la chronologie arménienne, t. 1er.

[137] Ces paroles font allusion au feu sacré, que la multitude des fidèles qui visitaient Jérusalem croyaient descendre du ciel sur les lampes du Saint-Sépulcre, le samedi-saint. Cf. Michaud, Hist. des Croisades. On peut voir dans la Bibliothèque des Croisades, t. I, p. 93 et 526, les récits de Foulcher de Chartres et de l’annaliste génois Caffaro, témoins oculaires de ce miracle, ainsi que la dissertation de Mosheim, intitulée : De lumine sancti sepulchri commentatio, dans ses Dissertationes, t. II, Lubeck, 1727. Cf. ch. CLXX de notre chronique. —On lit dans Aboulfaradj un trait fort curieux à ce sujet. Le khalife d’Egypte, Hakem biamr-allah, donna l’ordre, en l’année 400 hég. (25 août 1009 - 14 août 1010), de détruire l’église de la Résurrection à Jérusalem ; ce qui lui en suggéra l’idée, ce furent les propos d’un homme qui haïssait les chrétiens, et qui lui rapporta qu’au moment où ils étalent rassemblés dans l’église pour célébrer la fête de Pâques, leurs prêtres usaient d’artifice ; qu’ils oignaient de baume la chaine de fer à laquelle était suspendue la lampe du Saint-Sépulcre, et que quand le gouverneur musulman avait scellé la porte de l’église, les prêtres mettaient le feu par-dessus le toit à l’extrémité de la chaîne, et que le feu atteignant ainsi jusqu’à la mèche l’allumait ; qu’alors ils chantaient kyrie eleison, et pleuraient, comme si cette lumière fût descendue du ciel, et que par ce stratagème. Ils confirmaient les chrétiens dans leur croyance. (Chron. syr.). — Cf. De Sacy, Exposé de la religion des Druzes, t. Ier, Introd. p. cccxxxvii.

[138] Ou mieux Hentzouts. Ce couvent était dans le district de Garin, qui fait partie de la province appelée Haute Arménie. Il fut fondé dans le xe siècle par des moines arméniens, expulsés du territoire grec à cause de leur attachement aux doctrines particulières de leur Eglise, en dissidence avec celle de Constantinople. Joseph, supérieur de ce couvent, est cité avec de grands éloges par Açogh’ig (III, 7), et Arisdaguès Lasdiverdtsi (ch. ii). — Indjidj, Arm. anc. et Arm. mod.

[139] Jean Gozer’n de Darôn, l’un des docteurs les plus distingués de cette époque parmi les Arméniens, par sa piété et par ses connaissances en mathématiques et en astronomie. Il avait composé, à la prière d’Ananie, évêque de Valarsaguerd, un Traité du calendrier dont il existe encore quelque fragments.

[140] La fin du roi des Bulgares est rapportée d’une manière différente par Cedrenus, Zonaras (t. II) et Glycas. Suivant ces auteurs, ce prince, qu’ils appellent Samuel, mourut de la douleur qu’il éprouva en voyant revenir 15.000 de ses soldats auxquels Basile avait fait crever les yeux. Matthieu anticipe de 3 ans cette expédition, qui est placée au plus tard en 1014 ; ce ne fut que quatre ans après cette dernière date que Basile soumit entièrement les Bulgares.

[141] Ce sont les Turcs Seldjoukides, les Ouzes des écrivains byzantins, Ghozz des Arabes. Voir ch. LXXV.

[142] Schabouh était général des armées du roi Sénékhérim, qui résidait alors à Osdan, capitale du district de R’eschdounik’, ou, suivant le Ménologe arménien (1er juin) à Van, ville principale du Vasbouragan.

[143] Le mot osdan signifie une cité libre d’impôts, la résidence privilégiée d’un souverain ou d’un prince, sa capitale, quelque chose comme le municipium des Romains. Il y avait en Arménie plusieurs autres villes qui avaient ce titre d’osdan, comme Nakhdchavan, l’osdan du Vasbouragan ; Tarouïns, l’osdan des Bagratides ; et Hatamaguerd, l’osdan des Ardzrouni. Cf. Thomas Ardzrouni, apud Indjidji, Arm. anc.

[144] L’auteur fait allusion au patriarche S. Nersès le Grand, de la famille de S. Grégoire l’Illuminateur, et son cinquième successeur, et le discours qu’il rapporte ici parait être un fragment de la prophétie que les Arméniens attribuent ce pontife au moment de sa mort. On la trouve dans sa Biographie, Petite Bibliothèque arménienne, Soph’erk’ haïgagank’, t. VI, p. 89-104, Venise, 1853, in 12.

[145] L’empereur Basile, d’après Cedrenus, mourut en décembre Indiction 9 = 1025 E. Ch. Par conséquent Matthieu est en avance pour cette date de 7 ans. La durée du règne de Basile, comme l’atteste Zonaras, est d’un peu plus de 50 ans, et non point de 58, comme le prétend Matthieu.

[146] Ce prince résidait alors avec ses quatre fils, David, Adom, Abouçahl et Constantin, à Sébaste, qui lui avait été cédée par l’empereur Bulle en échange du Vasbouragan. Sa mort est Indiquée par Tchamitch (t. II, p. 909) à l’année 475 E. A. (15 mars 1020 - 14 mars 1027). Il ordonna en mourant à ses fils, en même temps qu’ils iraient l’ensevelir à Varak, d’y rapporter la célèbre croix de ce monastère, qu’il avait prise avec lui en émigrant à Sébaste.

[147] Suivant l’Histoire de la Géorgie, p. 300-311, Giorgi Ier, fils de Bagrat III, et père de Bagrat IV, régna de 1014 à 1027. Bagrat IV lui succéda immédiatement et mourut en 1072.

[148] Nous avons vu (ch. xviii) que Basile et Constantin régnèrent simultanément, et non point l’un après l’autre. Ce dernier survécut à son frère 2 ans, 11 mois et 5 jours, et non point quatre ans comme le dit Matthieu. Sa mort arriva indiction 12 = 1028, et suivant Lupus Protospatha, la veille de la fête de Saint-Martin, ou le 9 novembre.

[149] Azaz ou Ezaz, place forte au nord-ouest d’Alep ; Hasarth de Guillaume de Tyr.

[150] Romain Argyre succéda immédiatement à son beau-père Constantin.

[151] Cette expédition malheureuse de Romain en Syrie est racontée en détail par Cedrenus (p. 568), Zonaras (t. II, p. 181), et Glycas (p. 242), sauf quelques circonstances assez curieuses qu’ajoute l’écrivain arménien.

[152] Gouris ou Kouris, l’ancienne Cyrrhus, ville forte de Syrie, située dans la montagne au nord d’Alep, et dans le voisinage château d’Aréventan (Ravendan). Tchamitch, T. III, p. 110.

[153] Ibn Schebl appartenait à la tribu des Arabes Kélabites, d’où vint la dynastie des Mardaschides, qui après les Hamdanites dominèrent à Alep. Otheïr était de la tribu des Beni-Nomaïr, et Nacer-eddaula de la dynastie des Merwanides. — Cf. chap. LXXXII.

[154] Abou Nasr Ahmed Nacer eddaula, fils de Merwan. La dynastie des Merwanides avait enlevé aux Hamdanites les villes de Diarbékir, Amid, Meïafarékïn, Hisn-Keïfa, et plusieurs autres dans les contrées environnantes. Elle possédait aussi Manazguerd, Khélath et Ardjèsch, ainsi que tous le pays au N. O. du lac de Van.

[155] En arabe, chef, préfet. Ce titre désignait spécialement un chef de tribu kurde, comme nous le verrons plus loin (ch. LXIII).

[156] Ce récit de l’occupation d’Édesse par les Grecs se retrouve, mais d’une manière beaucoup plus abrégée, dans Cedrenus, Aboulfaradj (Chron. syr.), Aboulféda (Annal. muslem. t. III) et Noveïri (t. II, f° 52, ms. arabe n° 655 de la bibl. imp. de Paris). Cedrenus, qui indique l’année 6540, ind. 15 (1er septembre 1031 - 1032), et Aboulféda, l’année 422 hég. (29 déc. 1030 - 18 déc. 1031), sont d’accord pour la date avec Matthieu ; Aboulfaradj donne l’an des Grecs 1341 (1er octobre 1029 - 1030).

[157] Saleh, fils de Mardas, émir des Arabes Kélabites. —Aboulféda, Ann. t. III.

[158] Pagh’êsch, ville du district de Peznounik’, dan la province de Douroupéran ; c’est la Bitlis moderne, dans le pachalik de Van.

[159] Salamasd, ville de la province de Gordjaïk’, très ancienne puisqu’elle est déjà mentionnée au IVe siècle par Faustus de Byzance (IV, 58). Cette province était à l’est de celle de Mogk’, et à l’ouest de la Persarménie. Nous ignorons aujourd’hui le district dans lequel était située Salamasd. — Indjidji, Arm. anc.

[160] Arzoun, d’après la Prononciation syrienne, ou Arzen suivant les Arméniens, ville et district de la province d’Agh’etznik’ ; c’est l’Arzanene des auteurs grecs et latins, nom sous lequel ils comprenaient toute cette province.

[161] Peut-être faut-il lire Dispon, c’est-à-dire Ctésiphon.

[162] Guerguécéra doit être Djerdjeraïa, petite ville de l’Irak Araby, située auprès du Tigre, entre Bagdad et Wacith, à une distance de 40 milles de Madaïn.

[163] Romanopolis, ville de la 4e Arménie, qui avait été rattachée au thème de la Mésopotamie. — Romanopolis étant mentionnée par Constantin Porphyrogénète (De adm. imp. ch. 50), il est évident que Matthieu se trompe en attribuant sa fondation à Romain Argyre. Il faut la rapporter à Romain Ier, dit Lécapène, collègue de Constantin Porphyrogénète.

[164] J’ai rendu ainsi le mot arménien schalgov, qui est la forme vulgaire du cas Instrumental de schalag, dos, épaule, et tout ce qu’on porte sur cette partie du corps, comme sac, besace, litière.

[165] Il y a dans le texte gontor’adzk’ ; je pense que c’est quelque mot grec, comme komoratzès, c’est-à-dire « soldat armé du kontos ou kontarios, » javelot ou lance ; ou peut-être du kontaroxipharon, flèche.

[166] Ledar était, comme nous le verrons ch. CXXI, une forteresse ; elle devait se trouver à l’ouest d’Édesse, entre cette ville et l’Euphrate. Il en est de même de Barsour.

[167] Vallée dont j’ignore la position exacte, mais qui devait être située entre Édesse et l’Euphrate.

[168] Aschod le Brave, qui régna conjointement avec son frère Jean Sempad, mais hors du district de Schirag. Cf. ch. XIV.

[169] Thogrul-beg, premier souverain de la dynastie des sultans seldjoukides de Perse. Cf. ch. LXXIII.

[170] Comme Romain Argyre ne mourait pas assez vite au gré de sa femme Zoé, qui lui avait fait donner un poison lent par Jean Orphanotrophe, elle le fit étouffer dans un bain par Michel, frère de Jean, et autres conjurés, l’an du monde 6542, indict. 2 = 1034 E. Ch., 11 avril, jeudi-saint (Cedrenus et Jean Skylitzès). Michel le Paphlagonien, qui entretenait un commerce adultère avec Zoé, l’épousa et s’assit sur le trône.

[171] Sévavérag ou Sévarag, ville de la Mésopotamie arménienne, située au nord d’Édesse ; aujourd’hui Sévérêk, dans le pachalik de Diarbékir. — Quant à la localité appelée Alar, elle devait être dans le voisinage de Sévavérag.

[172] Cette expédition des Arabes dans la Mésopotamie est mentionnée par Cedrenus en l’an du monde 6665, indiction 5 (1er septembre 1036 - 1037), et par Aboulfaradj à l’année 427 hég. (5 nov. 1035- 24 octobre 1036) ; il dit qu’elle était commandée par Ibn Wathab le Nomeïrite, gouverneur de Haran.

[173] Ce frère de Michel se nommait Constantin, et commandait Antioche. Il avait envoyé à Édesse un puissant secours, qui sauva cette ville. En récompense, Michel le fit général des armées d’Orient.

[174] Cf. sur Grégoire Magistros, ch. XI.

[175] Ce Sarkis était prince de Siounik’. A la mort du roi Jean Sempad et de son frère Aschod le Brave, lorsque l’empereur Michel tenta de s’emparer d’Ani, Sarkis trahit la cause de ses compatriotes, leur fit beaucoup de mal, et se rangea du côté des Grecs. Il avait le titre de Vestès. Comme il aspirait à la royauté, les grands du royaume, parmi lesquels étaient Grégoire Magistros et son oncle paternel Vahram, généralissime des Arméniens, choisirent Kakig II, fils d’Aschod et neveu de Jean. — Tchamitch, t. II.

[176] Les Arméniens, comme tous les peuples de l’antiquité qui ont employé l’année solaire, commençaient le jour au lever du soleil et partageaient l’intervalle pendant lequel cet astre est sur l’horizon en 12 divisions de longueur inégale suivant les saisons. En temps moyen, la première heure du jour répondait à 6 heures du matin et la douzième à 6 heures du soir. La sixième est donc midi elle est appelée quelquefois djaschou jam, heure du repas, parce que c’était le moment du diner dans les communautés religieuses.

[177] L’Oxus, qui se jette dans le lac d’Aral, et qui formait la limite de la Perse et du Turkestan, de l’Iran et du Touran, des nations civilisées et des peuples barbares.

[178] Pergri, place forte du district d’Ar’pérani, dans le Vasbouragan. Elle était située au nord-est du lac de Van, à l’est d’Ardjèsch. C’est aujourd’hui Barkiry, dans le pachalik de Van.

[179] Tzoravank’, monastère du district de Dosb. La construction de ce couvent est attribuée par Matthieu d’Édesse au patriarche S. Herse III, et par Thomas Ardzrouni à S. Grégoire l’Illuminateur. Indjidji (Arm. anc.) explique cette contradiction en supposant que c’est l’église de ce monastère qui fut bâtie par S. Grégoire, et le monastère lui-même par S. Nersès.

[180] Sanahïn, l’un des plus célèbres couvents de l’Arménie, situé en face du monastère non moins fameux de Hagh’pad, dans le pays de Sévortik’, province d’Oudi, d’après Açogh’ig (III, 8), apud Indjidji, Arm. anc. — Tchamitch place Hagh’pad dans le district de Tzoraph’or, province de Koukark’.

[181] Vartan dit un an seulement. Pendant que l’intrus Dioscore occupait le siège, Pierre resta renfermé par ordre du roi Jean dans la forteresse de Pedchni auprès de Vahram, l’oncle paternel de Grégoire Magistros. — Tchamitch, t. II.

[182] Joseph III est compté comme le 51e catholicos des Agh’ouans dans la liste de Schah khathouni. Ce savant religieux montre que Joseph tint le patriarcat pendant de longues années, puisque, d’après le chronographe Mékhithar d’Aïrivank’, il était encore en exercice dans l’intervalle écoulé entre 530 et 534 E. A. (1081- 1085.)

[183] Cette expédition de Michel contre les Bulgares est longuement racontée par Cedrenus, et en abrégé par Zonaras et Glycas, mais dans un sens tout à fait différent du récit de Matthieu d’Édesse. Suivant les trois historiens grecs, c’est Michel qui triompha des Bulgares. Cette campagne se prolongea jusqu’en juin de l’année suivante, 1041.

[184] Le ms. 95 porte 12 ans ; Tchamitch, 14 ans.

[185] Abou’lséwar, jaloux de la puissance chaque jour croissante de son beau-frère David Anhogh’ïn, se ligua secrètement avec le sultan Thogrul, et, aidé par lui, leva une armée considérable et marcha contre David. Il s’empara d’une partie des contrées appartenant à David, situées au sud du Gour, et que les Agh’ouans avaient enlevées aux Arméniens. Abou’lséwar fit d’affreux ravages, brûlant les églises, brisant les croix, contraignant les chrétiens à embrasser l’islamisme, et les faisant circoncire par force. — Tchamitch, t. II.

[186] Ce souverain devait être alors Taguïn-Sévata, fils de Ph’ilibbê (Cf. ch. VI et ch. CXXVI), ou peut-être Sinakérem, fils de Taguïn-Sévata, autant qu’il est permis de le conjecturer dans l’incertitude où nous sommes sur la succession des rois de Gaban.

[187] Bagrat IV, roi de Karthli et d’Aph’khazêth, fils de Giorgi Ier, Bagratide ; il régna de 1027 à 1072.

[188] C’était le chef des Varangues, qui formaient la garde particulière de l’empereur ; il marchait derrière lui, à la tête de ce corps. —Codiaus, De offic. palat. Cptani, chap. II, et Goar, ibid.

[189] Voir ch. XXXVIII.

[190] Voir ch. XLVIII.

[191] Matthieu veut dire sans doute que David Anhogh’ïn était alors le doyen d’âge de la famille des Bagratides.

[192] Cette généalogie des Bagratides n’est pas exacte. La voici rectifiée : Kakig II, fils d’Aschod le Brave, fils de Kakig Ier, fils d’Aschod III, fils d’Apas, frère d’Aschod II, dit Ergath.

[193] L’auteur veut parler de Grégoire Magistros, qui, avec le généralissime Vahram, contribua le plus à placer Kakig II sur le trône.

[194] Par cette expression, la nation du midi, Matthieu entend ici les Turcs Seldjoukides, qui occupaient la Perse, et qui pénétraient en Arménie du côté du sud-est, c’est-à-dire par la Grande-Médie et l’Aderbadagan.

[195] La rivière Hourazdan ou Hraztan sort du lac de Sévan ou mer de Kég’ham, et passant auprès d’Erivan, va se jeter dans l’Araxe. On l’appelle aujourd’hui Zangou-ked ou fleuve de Zangui.

[196] Cf. ch. XI. — Lazare de Ph’arbe, historien de la fin du Ve siècle, fait déjà mention de Pedchni, qu’il écrit Pedjni, et qu’il qualifie de village considérable. Jean Catholicos l’appelle forteresse, et Vartan place forte. — Indjidji, Arm. anc.

[197] L’auteur joue sur le nom de David, prononcé à la manière arménienne Tavith et décomposé en deux mots, ta, qui est le pronom démonstratif celui-ci, celle-ci, ceci, et le substantif vih, gouffre ou précipice, suivi de la lettre suffixe t. Ces deux mots réunis signifient : celui-ci est le gouffre ou le précipice.

[198] Deux historiens arméniens du IVe siècle, Agathange et Faustus de Byzance, paraissent avoir très bien connu les Goths ou Gètes, Kouth, et les Massagètes, Maskouth, peuples dont la puissance était alors à son apogée. Ils s’étendaient du sud au nord dans l’espace qui va depuis l’embouchure du Danube jusques et y compris la Scandinavie, et de l’ouest à l’est depuis la Pannonie jusqu’à l’extrémité septentrionale du Pont-Euxin. Vaincus par les Huns, les Goths passèrent dans la Thrace et de là en Italie, dans la Gaule méridionale et en Espagne. Ils étaient divisés, comme on sait, en deux grandes fractions, les Ostrogoths ou Goths de l’est, et les Wisigoths ou Goths de l’ouest. Ils ne furent connus des Romains que vers le commencement du IIIe siècle de notre ère, lorsque ceux-ci eurent à repousser leurs invasions ; mais ils étaient déjà établis dès la plus haute antiquité, avec les Daces qui étaient de la même souche qu’eux, au nord du Danube, dans la contrée qui, du nom de ce dernier peuple, fut appelée Dacie. A l’époque où nous transporte Matthieu, peut-être existait-il encore quelques restes des Goths sur le Danube, ou, ce qui est plus probable, cet auteur a entendu par le nom de pays des Goths une contrée où ils avaient séjourné longtemps, mais qui était alors occupée par d’antres nations.

[199] Michel le Paphlagonien mourut, suivant Cedrenus, le 10 décembre de l’an du monde 6550, indict. 10=1041. Michel Calafate, qui lui succéda, était son neveu ; la sœur de Michel le Paphlagonien avait épousé Etienne, calfateur de navires, d’où le surnom de Calafate qui passa à ce prince.

[200] Cedrenus dit à peu près comme Matthieu, que le règne de Michel Calafate fut de quatre mois et cinq jours. Il ajoute qu’il fut aveuglé et relégué dans le monastère des Elegmes, le 21 avril indiction 10 = 1042.

[201] C’est dans l’une des îles des Princes que fut exilée l’impératrice Zoé, et le patriarche Alexis fut confiné dans un monastère.

[202] Ce Khatchig était de la famille des Ardzrouni et surnommé le Sourd.

[203] Ce nom est écrit ailleurs, sous une forme diminutive, Ischkkanig, Petit prince.

[204] Matthieu retarde de 9 mois l’avènement de Constantin Monomaque, qui épousa l’impératrice Zoé le 11juin, indict. 10, l’an du monde 6550 =1042, et fut couronné le lendemain par le patriarche Alexis. (Cedrenus).

[205] Le Protospathaire Georges Maniacès avait été envoyé dans le sud de l’Italie par l’impératrice Zoé pour s’opposer aux progrès des Lombards et des Normands. Il se révolta et marcha sur Constantinople. Parvenu dans la Bulgarie, Il rencontra auprès d’Ostrov l’eunuque Etienne, Sébastophore, que Constantin Monomaque envoyait contre lui. Le combat s’engagea, et Etienne avait été mis en déroute, lorsque Maniacès fut atteint tout à coup d’une flèche qui lui traversa la poitrine. Les fuyards revinrent à la charge, battirent les soldats de Maniacès, et Etienne retourna à Constantinople où Il fit son entrée triomphale avec la tête du rebelle portée au bout d’une pique.

[206] Galonbegh’ad et Bizou, villes de la Cappadoce, dont la position nous est inconnue. Cedrenus, qui a rapporté différemment la manière dont Monomaque dépouilla Kakig de son royaume, dit que l’empereur lui céda de grandes propriétés dans la Cappadoce, dit côté de Charsianum Castrum et Lycandrus.

[207] C’est ainsi que Matthieu qualifie les Grecs, dont les Arméniens s’étaient séparés, à l’occasion du concile de Chalcédoine, tenu en 451. — Voir chap. LXXXV et mon ouvrage intitulé Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l’Eglise arménienne orientale, Paris, 1857

[208] Nicolas, envoyé par Monomaque, avec le titre de général des armées d’Orient, pour soutenir le vestarque Michel Iasitas, préfet de l’Ibérie, qui n’avait pu réussir à se rendre maitre d’Ani. C’était en 6553, indict. 13 (1er sept. 1045 – 1046), suivant Cedrenus).

[209] Ough’thik, Oukhthik’ ou Okhthis, ville de la province de Daïk’. — Indjidji, Arm. anc. — Tchamitch la place sur les limites du district de Vanant, dans le voisinage du Daïk’.

[210] Le district d’Eguégh’iats, l’Acilisène de Strabon et de Ptolémée, était compris dans la quatrième Arménie, et Erzenga ou Ezenga en était la ville principale. Elle a donné aujourd’hui son nom à tout le district. Celui qu’elle avait primitivement, Eriza, parait être le génitif de la forme Erêz, qui se retrouve dans Agathange, historien du ive siècle (éd. de Venise, in 18, 1835). Elle fut appelée par les Grecs Justinianopolis.

[211] C’est-à-dire dans le temps qui sépare Pâques de la Pentecôte ; par conséquent dans l’intervalle du 7 avril, où tomba la Pâque, au 26 mai, jour de la Pentecôte, en 1045.

[212] Monomaque s’était brouillé avec Abou’lséwar, Aplèspharès, au sujet du partage des possessions du roi Kakig. Les Grecs, commandés par Iasitas et le Magistros Constantin, ayant investi Tévïn, furent complètement battus. Alors l’empereur destitua Iasitas et Nicolas, créa duc d’Ibérie à la place d’Iasitas, Catacalon le Brûlé, et substitua à Nicolas l’eunuque Constantin, sarrasin d’origine, dans la charge de commandant en chef. Ces derniers s’emparèrent de plusieurs places fortes appartenant à Abou’lséwar. Sur ces entrefaites, la révolte de Léon Thornig ayant éclaté en Occident, l’empereur rappela en toute hâte Constantin, qui partit après avoir fait la paix avec l’émir. —Cedrenus.

[213] Le fleuve Arian est sans doute l’un des affluents de la rive orientale du Tigre.

[214] Koreïsch, qui régnait à Mossoul, était de la tribu des Arabes Okaïlites, dont le chef, Abou’l Daoud, s’était emparé de cette ville vers 990. Lui et Nour-eddaula Doubaïs, roi de Hillah, étaient les deux princes arabes les plus puissants à cette époque ; ils tenaient le khalife dans l’oppression, et tentèrent de s’opposer aux Turcs Seldjoukides.

[215] Forteresse du district de Bagh’ïn ou Bagh’nadoun, dans la 4e Arménie. C’est aujourd’hui un village du sandjak de Palou, dans le pachalik de Diarbékir. — Indjidji, Arm. anc. et Arm. mod.

[216] Indjidji, dans son Arménie ancienne, place le district de Thelkhoum dans la liste des localités dont la position ne peut être aujourd’hui déterminée exactement. Tout ce qu’on sait, c’est que ce district était compris dans celui de Bagh’in ou situé sur ses limites.

[217] Ardjèsch, ville du district d’Agh’iovid, dans la province de Douroupéran, sur le bord septentrional de la mer d’Agh’thamar, ou lac de Van. — Indjidji, Arm. anc. — Aisés ou Ardzès de Constantin Porphyrogénète.

[218] Cedrenus et Zonaras (t. II) racontent que Thogrul-beg ayant envoyé son cousin Koutoulmisch contre les Arabes, celui-ci, vaincu par Koreïsch et Doubaïs, prit la fuite et demanda passage au patrice Etienne, fils de Constantin, qui était gouverneur du Vasbouragan. Etienne ayant refusé, Koutoulmisch l’attaqua, le battit, et l’ayant fait prisonnier, alla le vendre à Tauriz.

[219] Il y a dans le texte déliarkh, ou déliarkhi, suivant quelques mss. ; c’est le grec télarchès, commandant d’une légion ou d’un corps d’armée.

[220] Matthieu indique deux expéditions contre Tévïn, tandis que Cedrenus n’en mentionne qu’une seule, celle qui a été racontée dans le chapitre LXX.

[221] Cedrenus, Zonaras et Glycas rappellent aussi cette révolte du patrice Léon Thornig, parent de Monomaque du côté maternel. Il était précédemment gouverneur de l’Ibérie ; accusé d’aspirer à l’empire, il fut révoqué, eut la tête rasée, et fut revêtu du froc monastique. Irrité de cet outrage, il se retira à Andrinople, où il rallia tous les mécontents. Proclamé empereur, il arriva devant Constantinople au mois de septembre, indict. 1re = 1047.

[222] L’église des SS. Anargyres (S. Côme et S. Damien), était située dans la partie de Constantinople comprise entre le Tzycanisterium et les Blachernes. — Anonymi Antiquit. Cptanarum lib. II. — L’église des SS. Martyrs, ou des SS. Quarante (martyrs de Sébaste) se trouvait dans le même quartier, près des Thermes de Constantin.

[223] Saint-Martin, qui a traduit ce chapitre dans ses Mémoires sur l’Arménie (t. II), a fait ici une étrange méprise ; il a rendu le mot gourd, châtré, eunuque, comme s’il y avait K’ourt, Kurde.

[224] La ville d’Ardzen-erroum (Ardzen des Romains) ou Erzeroum était comprise dans le district de Garin, province de la Haute Arménie. L’historien Arisdaguès Lasdiverdtsi décrit (chap. XII), en termes lamentables, la prise de cette cité par les Turcs. — Cf. ch. LXXXVII.

[225] Tavthoug, diminutif arménien de Tavith (David).

[226] Il y a dans le texte Gamen, altération du surnom grec Kékauménos ou Brûlé que portait Catacalon.

[227] Libarid ou Liparit, de l’illustre famille des Orbélians, était, suivant Cedrenus, fils de R’ad, nom que l’historien byzantin transcrit Horatios, tandis qu’il serait son frère, suivant Matthieu. Horace était mort en 1022, dans la guerre de l’empereur Basile contre Georges, roi de l’Ibérie septentrionale et des Abasges. — Cf. St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. II.

[228] Le myron ou huile bénite est employé dans l’Église arménienne pour le sacre des rois, la consécration du catholicos des évêques et des prêtres, et pour les sacrements du baptême et de la confirmation ; ce dernier se donne avec l’Eucharistie, immédiatement après le baptême.

[229] Michel Cérulaire.

[230] Il y a dans le texte centinar, qui est le mot latin centenarium, dont les Byzantins ont fait kentenarion. Suivant Anania de Schirag, mathématicien et computiste arménien du VIIe siècle, le centinar se divisait en cent livres pesant, lidr. — Cf. Pascal Aucher, Explication des poids et mesures des anciens (en arménien), Venise, 1821. — Matthieu veut sans doute dire que Monomaque fit cadeau au catholicos Pierre de cent livres d’or.

[231] Ce titre était dans l’Eglise grecque celui d’une dignité importante. Le syncelle était le coadjuteur et le successeur désigné du patriarche en fonctions. — Cf. Codinus, De off. cap. XX.

[232] Aaron Vestès, bulgare de nation, fils de Vladosthlav et frère de Prusianus et d’Ibatzès, était gouverneur du Vasbouragan pour les Grecs. Cedrenus. — Cf. Stritter, Memoriae populorum olim ad Danubium incolentium, etc. t. II, 2e part. Bulgarica.

[233] D’après Arisdaguès Lasdiverdtsi, qui parle (ch. XIII) de cette bataille, et qui dit qu’elle eut pour théâtre la plaine de Pacên, dans l’Ararad, on peut conjecturer que le district d’Ardchovid et la forteresse de Gaboudrou étaient dans le voisinage. — Cf. Indjidji, Arm. anc. — Cedrenus dit que les Romains, après l’arrivée de Libarid, étaient descendus dans la plaine, au pied d’une colline sur laquelle s’élevait le château fort de Capetrum, Kapetrou phrourion.

[234] Par le nom de Khoraçan, les historiens arméniens entendent, non seulement la province de ce nom, comme ici Matthieu d’Édesse, mais encore la Perse entière, et en général tous les pays l’ouest, qui relevaient de l’empire des Seldjoukides de Perse, comme l’Azerbaïdjan, l’Arménie et même la Mésopotamie.

[235] Suivant Etienne Orbélian, métropolite de Siounik’, qui écrivit au XIIIe siècle l’histoire de sa famille, les grands de Géorgie, jaloux de Libarid, coupèrent les jarrets de son cheval, et après qu’il fut tombé à terre, le tuèrent sur le lieu même. — Cf. l’Histoire de la maison satrapale de Siounik’, ch. LXV, et St-Martin, Mém. sur l’Arménie, t. II)

[236] Samuel d’Ani, dans sa Chronographie, écrit ce nom Zevad.

[237] La demeure primitive des Patzinaces est fixée par Constantin Porphyrogénète (De admin. imp., ch. XXXVII) entre l’Atel ou Volga et le Geech ou Iaïk. Il rapporte que sur la fin du xe siècle, les Ouzes s’étant ligués avec les Khazars, qui habitaient la Chersonèse Taurique, attaquèrent les Patzinaces et les obligèrent à leur céder le territoire qu’ils occupaient. Les Patzinaces, repoussés de chez eux, tombèrent sur les Ouzes, les chassèrent de leur pays, et se répandirent jusqu’au delà du Danube. A l’époque où nous sommes parvenus dans le récit de Matthieu, les Patzinaces habitaient le pays compris entre le Tanaïs et le bas Danube.

[238] Il y a dans le texte arménien ôtzits, génitif pluriel du mot ôtz, serpent. J’avais cru d’abord que Matthieu voulait entendre par ce mot la nation des Ouzes ou Ghozz. Mais d’après la série des peuples barbares qu’il énumère comme se précipitant l’un sur l’autre, j’ai dû rejeter cette interprétation, puisqu’il dit que la nation des Serpents repousse les Khardêsch, qui à leur tour refoulèrent les Ouzes et les Patzinaces. C’était sans doute quelque tribu d’origine tartare ou hunnique, dont l’émigration avait suivi celle des Khardêsch et des Patzinaces.

[239] En arménien, khardêsch signifie blond, qui a les cheveux d’as, blond ardent. Cotte épithète rappelle la tribu des Xanthii, qui faisait partie de la puissante nation des Daœ, et qui était de race scythique (Strabon, XI, 8). Mais nous savons que ce sont les Magyares qui furent refoulés par les Ouzes dans les vastes plaines de la Hongrie, et la conformation physique des Hongrois, que l’on rattache à la source finnoise, semble exclure l’épithète précitée. Il est certain que Matthieu a voulu désigner une de ces nombreuses tribus nomades qui étaient disséminées sur le bord septentrional de la mer Caspienne et de la mer Noire, jusqu’au Danube.

[240] Les Ouzes ou Ghozz sont une fraction des Turcs qui, sous la conduite des fils de Seldjouk, émigrèrent, vers le commencement du xie siècle, du Turkestan, et envahirent la Perse, l’Arménie, la Mésopotamie, la Syrie et l’Asie mineure. Une partie de cette nation s’était fixée au nord de la mer Caspienne, entre le Volga et l’Iaïk. — Cf. d’Ohsson, Voyage d’Abou el-Cassim.

[241] Cedrenus et Zonaras (t. II) racontent tout au long cette guerre contre les Patzinaces, dont on peut lire le récit résumé par Lebeau (LXXVIII), et qui dura jusqu’à l’année suivante, 1051.

[242] Ce général était Grec d’origine, comme on peut le conjecturer par son titre de Catépan. Il fut remplacé, en 1055, par Mélissène, auquel l’impératrice Théodora confia le gouvernement du district de Bagh’ïn, et le soin des princes arméniens, fils d’Abel. Tchamitch, t. II. — Cf. ch. LXXIX.

[243] Forteresse du district de Bagh’ïn. — Cf. ch. LXIX.