ÉTUDE BIOGRAPHIQUE SUR SULLY

 

CHAPITRE IX. — LES DIX ANS DU REPOS DE LA FRANCE[1].

Gouvernement et administration de Henri IV et de Sully.

 

 

Comment ces deux hommes, Henri IV et Sully, qui avaient passé une grande partie de leur vie sur les champs de bataille, se trouvèrent-ils tout à coup formés dans l'art de gouverner ? Est-ce que l'habitude des grands dangers accoutume à imaginer les grandes ressources ? Ou bien, est-ce que les motifs brillants, la gloire, les fatigues, les grands spectacles, la destinée des nations que l'on a entre ses mains, élèvent l'humanité et agrandissent l'âme par l'exercice vigoureux de tous ses ressorts ?

N'allons pas confondre la science du gouvernement économique avec la simple administration des finances. Celle-ci n'est qu'un mécanisme d'ordre et d'inspection ; l'autre est la science de l'Etat. Elle pénètre à la source des richesses ; elle les augmente ; elle les dirige ; elle les distribue. Les listes de la vanité sont surchargées de noms de surintendants des finances ; les fastes de la Patrie ne comptent que Sully.

Ces quelques lignes de l'Eloge de Sully par Thomas semblent avoir été écrites pour servir d'épigraphe à ce chapitre : aussi les avons-nous citées textuellement, parce qu'elles caractérisent exactement le gouvernement de Henri IV et de son illustre ministre.

On sait que depuis la guerre de Savoie (1601) Sully fut le ministre principal de Henri IV. Dès lors son autorité et son activité prirent tout leur développement : dès lors aussi l'action de Sully se confond avec celle de Henri IV, et il devient quelquefois difficile de les séparer dans l'histoire du gouvernement et de l'administration de ce règne. Nous apprenons, en effet, par les Mémoires de Sully[2] que le Roi, jusques aux plus petites choses, prenait la peine d'écrire de sa main à Sully, et même voulait que les plus autorisés dans ses affaires passassent par les ordres et avis du surintendant, comme MM. de Bellièvre, de Sancy et de Sillery.

Il y a cependant une chose qui est bien à Sully, et à lui seul : c'est la façon énergique dont il réforma les finances. Michelet a décrit, avec sa verve accoutumée, cette réforme qui indigna les grands seigneurs autant que les financiers. Rien de plus dramatique, dit-il, que l'intrépide percée de cet homme de guerre, jusque là étranger à ces choses, dans l'épaisse forêt des abus, où il entre l'épée à la main. Mais ces abus, entrelacés comme un chaos inextricable de ronces, pour les couper, il fallait avant tout les démêler. Là se place le travail prodigieux du grand homme, sa vie sauvage au milieu de Paris, ses nuits d'écriture et de chiffres, sa rudesse implacable pour les courtisans.

Il se bouchait les oreilles pour ne pas entendre l'attendrissante plainte des abus qu'il fallait trancher. A chaque coup, ils criaient tous, comme ces arbres animés des forêts du Tasse. Mais quoi ! la hache de révolution ne respecte rien.

Au premier abord, cette entrée de Sully l'épée à la main paraît n'être qu'une exagération de l'historien : rien n'est plus vrai cependant. Une des premières et des plus difficiles réformes fut d'interdire aux gouverneurs de provinces de lever des impôts sur le peuple à leur profit. Le duc d'Epernon se faisait, avec ces impôts arbitraires, un revenu de plus de deux millions de francs. Il fut averti du jour où devait passer la déclaration qui lui enlevait le droit qu'il s'était arrogé de lever ces impôts, et il se rendit au Conseil, bien décidé à l'empêcher. Là, au défaut de raisons, il eut recours aux insultes ; et son insolence naturelle, aigrie encore par les réponses fières de Sully, osa s'emporter jusqu'aux menaces. Sully répondit à l'outrage avec le ton d'un homme qui est accoutumé à ne rien craindre ; et tous deux, en même temps, portèrent la main sur la garde de leurs épées[3]. On les sépara, et chacun s'en alla en son logis attendant des nouvelles l'un de l'autre.

Le Roi, dit Sully[4], qui était à Fontainebleau, ayant dans peu d'heures appris cette dispute, m'écrivit une lettre où il me mandait qu'il avait su que j'avais eu querelle pour ses affaires ; que cela ne m'étonnât point, qu'il avait ordonné à tous ceux qui l'affectionnaient de s'aller offrir à moi, et qu'il me servirait de second s'il en était besoin. Quelques jours après, il nous accommoda et nous lit tous deux embrasser.

 

I. — Finances.

 

Quand Henri IV, maître de Paris et de la presque totalité de la France, songea à remettre l'ordre dans son royaume, le trésor de l'Etat, l'Epargne, comme l'on disait alors, était entre les mains du marquis François d'O, capitaine d'une compagnie de cinquante hommes d'armes et, déjà sous Henri III, surintendant des finances. Un Fouq et militaire. Pillard éhonté, livré au jeu et aux plaisirs, il avait conservé la faveur de Henri III en lui donnant toujours l'argent dont il avait besoin, moyennant quoi il pouvait prendre le reste pour lui. M. d'O doubla la taille, et répondit aux Etats de Bourgogne qui se plaignaient, que le Roi étant le maître absolu de la vie et des biens de ses sujets, personne ne devait entrer en compte avec lui. Henri III récompensa un surintendant si précieux en le nommant premier gentilhomme de la Chambre, chevalier du Saint-Esprit, lieutenant général de la Basse-Normandie, gouverneur de Paris et de l'Ile-de-France. A la mort de Henri III, il signifia à Henri IV que les catholiques ne le reconnaîtraient jamais pour roi de France s'il ne se convertissait pas ; ce qui ne l'empêcha pas de devenir aussitôt l'un de ses serviteurs et de rester surintendant. On pourrait reprocher au nouveau roi d'avoir conservé à ce malhonnête homme la direction des finances, et plus tard le gouvernement de Paris, enfin de l'avoir en plusieurs circonstances préféré à Sully, si Henri IV n'avait pas cru avoir besoin de lui et de ses relations avec les financiers pour se procurer l'argent nécessaire[5].

Jusqu'à la mort de M. d'O, le peuple et le Roi avaient été audacieusement et impunément volés par le surintendant, ses agents et tous les financiers ou partisans. A la mort de Mazarin, Louis XIV se trouvera dans une situation identique à celle où se trouva son aïeul en 1594. Il lui faudra, à l'aide de Colbert, enlever la France à Fouquet et à ses bandes de pillards, comme Henri IV s'était servi de Sully pour arracher la France aux complices de M. d'O. Mais la réforme ne se fit pas alors tout d'un coup, comme sous Louis XIV, et Sully ne devint complètement le maître qu'en 1597. Il trouvait les finances livrées au pillage, et le paysan, qui payait presque la totalité de l'impôt, livré à l'arbitraire et aux violences des agents de l'administration, qui avaient trouvé le moyen de rendre l'impôt plus ruineux que la famine et la peste[6].

Les principaux impôts étaient alors : la taille, la gabelle, les aides, les dîmes, les corvées. Le roturier, c'est-à-dire le paysan, l'artisan et le petit bourgeois seuls payaient la taille au Roi : la dîme, au clergé ; divers droits aux seigneurs ; ils devaient les corvées au Roi et au seigneur. Les aides, la gabelle et les douanes, impôts indirects, étaient payés par toutes les classes.

Le mode de perception des impôts était l'affermage. Le Roi, ou par son ordre le surintendant, accordait à des fermiers le bail de tel impôt, moyennant une somme déterminée. Le fermier a le droit de lever sur le contribuable une somme naturellement plus forte que celle qu'il doit remettre à l'Etat, puisqu'elle doit comprendre la somme due à l'Etat, plus ses frais de perception et ses bénéfices. Mais il s'efforcera d'augmenter ses bénéfices légitimes en ne versant pas au Trésor ce qu'il est tenu de lui payer, et en levant sur le peuple beaucoup plus qu'il n'a le droit de le faire. Si le fermier principal vole, il faut qu'il laisse voler tous ses agents, depuis le haut jusqu'au bas de l'échelle, et, pour que ce pillage général soit possible, il faut que le surintendant soit lui-même un voleur : il vole et laisse voler.

Quand Sully voulut établir l'ordre et la probité dans ce chaos, toute la cohue malhonnête des financiers, fermiers et sous-fermiers, intendants, trésoriers, receveurs, officiers de finances, partisans, traitants, banquiers, gouverneurs de provinces, devint aussitôt l'ennemie du surintendant. Il était nécessaire qu'il soutînt la lutte avec énergie contre ces innombrables malfaiteurs, et qu'il fît cesser la misère du Roi, celle du peuple, et le luxe insolent des financiers. Je reproduirai ici quelques phrases de la lettre de Henri IV, adressée à Sully le 15 avril 1596, déjà citées, mais qu'il faut relire maintenant :

Je vous veux bien dire l'état où je me trouve réduit, qui est tel que je suis fort proche des ennemis, et n'ai quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un harnais complet que je puisse endosser ; mes chemises sont toutes déchirées, mes pourpoints troués au coude ; ma marmite est souvent renversée, et depuis deux jours je dîne et soupe chez les uns et les autres, mes pourvoyeurs disant n'avoir plus moyen de rien fournir pour ma table, d'autant qu'il y a plus de six mois qu'ils n'ont reçu d'argent. Partant, jugez si je mérite d'être ainsi traité, et si je dois plus longtemps souffrir que les financiers et trésoriers me fassent mourir de faim, et qu'eux tiennent des tables friandes et bien servies...

On peut juger de la misère du peuple par celle du Roi.

Sully, dit Thomas, porta le flambeau dans toutes ces mines sourdes et profondes, où les receveurs puisaient l'or de la France. Il parcourut tous les registres, compara tous les états, vérifia tous les comptes ; il les rapprocha, il les combina. Je ne craindrai pas de le dire, ce travail obscur est peut-être ce qui fait le plus d'honneur à Sully[7].

Henri IV soutenait son ministre dans ce pénible travail par quelques paroles vives dont il avait le secret. Or sus, mon ami, lui disait-il, pourrons-nous, vous et moi, couper bras et jambes à Madame Grivelée[8], par ce moyen me tirer de nécessité, et assembler armes et trésors à suffisance, pour rendre aux Espagnols ce qu'ils nous ont prêté ?

Devenu surintendant et entièrement le chef de l'administration des finances en 1597, Sully commença les grandes réformes en 1598, d'après les ordres du Roi, ou sur des mémoires donnés par lui et écrits de sa main[9]. La paix intérieure était enfin rétablie après quarante ans de guerres civiles.

Quand Sully fut résolu de mettre les mains aux ouvrages qu'il avait de longtemps projetés, il commença, afin de donner bonne odeur de ses desseins, dit-il, par dispenser les peuples de payer au Roi toutes les tailles encore dues jusqu'en 1597, somme qui s'élevait à vingt millions de livres (120 millions de francs), pour le paiement de laquelle les taillables étaient âprement poursuivis et merveilleusement vexés. Après ce bon œuvre, Sully commença la guerre contre Madame Grivelée, souleva les clameurs les plus violentes de tous ceux qui s'engraissaient des abus, les laissa crier et continua. On le vit successivement : casser les adjudications et les baux faits antérieurement, — faire des adjudications aux enchères publiques, — affermer les impôts à leur valeur réelle, — prendre les mesures nécessaires pour que le produit des impôts entrât tout entier dans le trésor de l'Etat, — établir, dans les recettes générales et à l'épargne[10], une comptabilité régulière, qui permît de vérifier en tout temps ce que les comptables avaient reçu et payé[11].

Sully n'épargna personne, ni le duc de Florence, ni la reine d'Angleterre, ni le duc de Wurtemberg, ni les riches financiers italiens, ni Madame sœur du Roi, ni les princes et seigneurs, ni le connétable ;

Lesquels ne manquèrent pas, dit-il, d'en venir aussitôt faire leurs plaintes au Roi, avec des crieries accompagnées de très grandes importunités, lesquelles il ne pouvait que trop impatiemment supporter — car c'était quasi le seul défaut de ce prince, que d'être tendre aux contentions d'esprit —, il m'envoya aussitôt querir à demi en colère contre moi, tellement qu'en arrivant il me dit : — Ha ! mon ami, qu'avez-vous fait ? — Je me doute déjà bien que c'est que vous voulez dire, Sire, lui répondis-je ; mais je n'ai rien fait que bien, et m'assure que vous le trouverez ainsi, m'ayant entendu, voire même que ceux qui en crient le plus haut ne diront pas le contraire, après que j'aurai parlé à eux ; et s'il vous plaît d'en envoyer querir quelques-uns, vous verrez qu'ils demeureront contents, et qu'enfin il en ira de ces crieries comme de celles des fermiers généraux, que j'avais tous dépossédés, lesquels enfin se sont accommodés avec moi et ont quasi tous doublé toutes vos fermes, pour ce que je n'entends rien en pots de vin, à entrer en part ni à être associé. Je crois, Sire, que vous entendez bien tous ces termes. — Oui, je les entends bien, me dit-il, et vous aussi ; et si vous pouvez faire taire le petit Edmond, agent de la reine d'Angleterre, un grand gentilhomme allemand du duc de Wurtemberg, Gondi pour le duc de Florence, ma sœur et mon compère[12], je croirai le semblable du reste ; et pour en avoir une preuve, il faut faire venir M. le connétable qui ne fait que de partir pour aller chez ma sœur, car c'est un de ceux qui m'en parlent le plus souvent.

Ce qu'ayant été fait, le Roi lui dit en entrant : — Eh bien, mon compère, de quoi vous plaignez-vous de Rosny ? — Sire, je me plains, répondit-il, de ce qu'il m'a mis au rang du commun, m'ayant ôté une pauvre petite assignation[13] que j'avais en Languedoc, sur une imposition de laquelle vous ne touchâtes jamais rien. — Or bien, Monsieur, lui dis-je, je confesse avoir eu tort, si mon intention a été de vous rien faire perdre ; mais elle a été toute contraire : partant, dites-moi, s'il vous plaît, ce que vous tiriez de cette imposition, et je vous ferai payer pareille somme. — Je trouve cela bon, me dit-il, mais qui m'assurera d'en être payé à point nommé, comme je suis ? — Ce sera moi, lui répondis-je, et vous baillerai le Roi pour caution, qui ne fera point banqueroute, je vous le promets, au moins s'il me laisse ménager ses revenus comme je l'entends, et je lui servirai encore de contre-caution, qui m'attends bien en le faisant riche, qu'il me fera tant de bien que je ne serai jamais réduit au safran[14].

Tout cela le fit rire et rendit si satisfait, qu'il me dit : — Or sus, Monsieur, je m'en fie du tout en vous, à qui je reconnais franchement que je n'affermais cette imposition que 9.000 écus par an 162.000 francs et encore en donnai-je 2.000 tous les ans (36.000 francs) au trésorier des Etats[15], afin de faire faciliter la levée. — Je savais bien tout cela, Monsieur, lui dis-je ; aussi est-ce ma résolution de vous faire payer franchement vos 9.000 écus, et si le Roi me veut laisser tirer le profit de la ferme[16], je lui ferai donner encore 18.000 écus (324.000 francs), et si j'en aurai encore 4.000 (72.000 francs) pour moi[17].

Ce discours apprêta fort à rire au Roi, voyant l'étonnement qu'en faisait M. le connétable ; et tout cela étant ainsi accordé, je fis parler le lendemain au Roi un homme qui, sous le nom des Etats[18], prit la ferme à 50.000 écus (900.000 francs), et je lui dis[19] que je ne voulais point qu'il me fît du bien en prenant rien sur ces fermes, d'autant que c'était une ouverture très dangereuse pour le bien de ses affaires que de souffrir qu'aucun de ceux de son Conseil ni de ses finances fussent jamais intéressés en nul de ces revenus, et que c'était par cette voie-là que s'étaient faites toutes les profusions des finances sous le règne de son devancier. Lequel propos contenta encore le Roi plus que tout le reste ; et parce que je lui fis avancer 12.000 écus (216.000 francs) sur cette ferme, il m'en envoya 4.000 (72.000 francs) par le sieur de Béringhem[20], deux jours après qu'il eut touché son argent.

Et enfin, par ces voies et formes toutes semblables, furent toutes autres plaintes et crieries, dont le Roi avait témoigné tant d'appréhension, entièrement apaisées, et les revenus du Roi sur ce qui leur avait été baillé à jouir, augmentés de près de 600.000 écus (10.800.000 francs)[21].

L'ordre et la probité rétablis dans les finances, on passa, en 1601, à la punition des voleurs, et l'on établit une chambre de justice pour les frapper. C'est encore dans les Mémoires du surintendant que nous prenons la relation de ces faits[22].

Le Roi ayant, par sa valeur et sa prudence, calmé toutes les tempêtes desquelles l'Etat avait été agité par tant d'années, vivait paisiblement dans son royaume, avec la même douceur et familiarité qu'un bon père de famille fait avec ses enfants et domestiques, s'employant soigneusement à trouver les moyens propres pour assoupir toutes haines, animosités et querelles particulières, à faire rendre justice égale à un chacun, sans acception de personnes, à méliorer ses revenus et soulager son peuple ; et surtout, sachant par expérience qu'il n'y a rien qui témoigne davantage la décadence prochaine d'un Etat que l'effrénée multiplicité d'officiers, et la licence que se donnent ceux de justice et de finance de s'enrichir excessivement aux dépens des revenus publics et des biens des particuliers, il fit premièrement un grand retranchement d'officiers ; et pour rompre la coutume qu'avaient prise ceux de finance de faire des profits indus, il fit établir une chambre royale[23] pour la recherche des abus et malversations commises parles trésoriers, receveurs et autres financiers. Laquelle, contre mon avis, contre toutes les autres du passé[24], se termina par les brigues, menées et abondance de présents des plus riches aux courtisans et favoris, tant hommes que femmes, que l'on sait bien sans que je les nomme, en une composition[25] qui fut cause que les pauvres grimelins de larronneaux payèrent pour les grands voleurs et brigands, auxquels seuls je voulais que l'on s'adressât, et leur fît-on rendre gorge tout à fait, voire que l'on les punît par corps, tant, ce disais-je au Roi, pour donner telle appréhension à ceux de l'avenir, qu'ils fussent contraints de vivre en gens de bien, que pour ôter et bannir entièrement le luxe, la superfluité et toutes sortes d'excès en habits, pierreries, festins, bâtiments, dorures, carrosses, chevaux, trains, équipages et mariages de fils et filles, que le seul exemple de telles gens introduisait à la ruine de la vraie et ancienne noblesse acquise parles armes, lesquelles seules peuvent donner le titre de gentilhomme ; la plupart desquels induits à telles vanités et afin de satisfaire à icelles, ne prenaient plus alliance les uns avec les autres, à cause des petits mariages[26] qu'ils avaient moyen de donner à leurs enfants, mais aux fils et filles de ces gens de robe longue, financiers et secrétaires, desquels les pères ne faisaient que de sortir de la chicane, de la marchandise[27], du change, de l'ouvroir[28] et de la boutique, ce qui enfin abâtardirait toute la vraie noblesse, de sorte qu'il ne se trouverait plus de gentilshommes qui ne fussent mestifs[29] et plus propres à faire les marjolets[30], berlandiers et batteurs de pavé, qu'à s'employer à la vraie vertu et aux armes pour bien servir leur Roi et défendre leur patrie[31] : toutes lesquelles raisons le Roi goûtait fort bien et s'y laissait quelquefois entièrement persuader.

Mais il se trouva enfin tellement importuné par la Reine et autres dames qu'il aimait, par M. le connétable, MM. de Bouillon, de Bellegarde, de Conchine, de Roquelaure, Souvray, Frontenac, La Varenne, Zamet, Gondi, Bonneuil et autres personnes qui l'approchaient et pouvaient quelque chose sur son esprit par coutume ou services de complaisance, auxquels tous les présents n'étaient point épargnés, qu'il se laissa emporter à la pire résolution.

C'est dans le savant ouvrage de M. Poirson qu'il faut maintenant aller prendre les résultats obtenus par Sully.

L'ordre rétabli dans la levée des impôts, Sully avait à le mettre dans la dette de l'Etat et les rentes, dans les aliénations du domaine, dans les marchés passés entre l'Etat et les fournisseurs.

La dette de l'Etat était de 150 millions de livres (900 millions de francs). Cette somme était le résultat d'emprunts sérieux, mais surtout de voleries de toutes sortes. Les uns n'avaient pas versé de capital, et cependant touchaient la rente de ce capital fictif ; les autres n'avaient versé que la moitié ou le quart du capital. Toutes ces rentes frauduleuses furent supprimées, excepté dans le cas où le détenteur les avait acquises de bonne foi, par exemple, en héritage : dans ce cas elles lui furent remboursées. Les rentes exagérées furent aussi remboursées, ou leur intérêt réduit de 8 p. 100 à 5 et même à 4. Les autres rentes furent consolidées, et leurs intérêts payés avec exactitude. Cinq millions de livres (30.000.000 de francs) furent le bénéfice de cette opération.

Le domaine avait été littéralement livré au pillage : voici comment. Le Roi, l'Etat ayant besoin d'argent, empruntait et engageait au prêteur un domaine, une terre, dont le revenu payait l'intérêt du capital fourni par le prêteur. Mais dans les temps de désordres antérieurs aux réformes de Sully, très souvent le domaine engagé avait dépassé de beaucoup la valeur du prêt. Dans de nombreux cas, sous prétexte d'un prêt qui n'avait pas eu lieu, le domaine avait été purement et simplement usurpé. Sully reprit la presque totalité des domaines engagés, en remboursant le prêt, quand il avait eu lieu, et fit rentrer leur revenu à l'Epargne, augmentant ainsi les revenus de l'Etat.

Les marchés passés entre l'Etat et les fournisseurs pour vivres, munitions et transports, furent faits au moyen d'adjudications sérieuses, assurant aux soumissionnaires des bénéfices, mais des bénéfices modérés.

En résumé, le vol a disparu ; l'argent fourni par l'impôt rentre complètement au Trésor ; la dette réellement due est consolidée, mais la dette fictive est supprimée ; le domaine est reconstitué. Ce n'est qu'après avoir constaté ces résultats que l'on comprend deux choses : le front négatif du surintendant rébarbatif, et le sens du titre bizarre de ses Mémoires : Les sages et royales œconomies d'Etat de Henri le Grand, et les servitudes utiles, obéissances convenables et administrations loyales de Maximilien de Béthune[32].

Un autre résultat fut que, de 1597 à 1609, le revenu du Roi fut augmenté de 8.262.000 livres (49.572.000 fr.), sans augmentation des impôts, qui au contraire furent diminués, et par une meilleure et loyale administration, par une sévère économie[33], par la suppression du vol, du pillage, par la suppression des privilèges des faux nobles ramenés à la taille, par le développement de la richesse du pays augmentée grâce à la paix, à la sécurité, et à la liberté accordée à l'agriculture.

En 1599, la taille levée pour le Roi était de 16.230.417 livres (97.382.502 francs). Réduite chaque année, elle était, en 1609, de 14.295.000 livres (85.770.000 francs). La taille n'était payée que par le paysan, l'artisan ou ouvrier, et le bourgeois. Beaucoup de bourgeois riches, de marjolets, se faisaient passer pour gentilshommes et arrivaient à se faire exempter de la taille. C'étaient donc les plus riches des taillables qui cessaient de payer cet impôt, au détriment de ceux qui continuaient à le payer, car la part des exemptés était répartie sur les autres taillables, la paroisse devant toujours payer la somme à laquelle elle était taxée. Sully fit rentrer dans le rang ceux qui en étaient sortis, et soulagea ainsi considérablement les taillables pauvres.

Ce fut la préoccupation constante de Henri IV de réduire les impôts qui frappaient sur le paysan, sur l'artisan, sur ses peuples qu'il appelait ses enfants. Il disait : Les rois, mes prédécesseurs, tenaient à déshonneur de savoir ce que valait un teston[34] ; mais, quant à moi, je voudrais savoir ce que vaut une pite[35], et combien de peine ont ces pauvres gens pour l'acquérir, afin qu'ils ne fussent chargés que selon leur portée[36].

La condition du paysan, avant 1598, était en effet lamentable. Il payait l'impôt au Roi, au seigneur, au clergé ; foulé par le fisc, volé par les fermiers et leurs agents, pillé par les gens de guerre, endetté pour vivre, poursuivi par ses créanciers, arrivé enfin à la ruine complète, le paysan en était réduit à abandonner sa chaumière et sa terre, et à se réfugier dans les villes ou à se sauver à l'étranger. La terre restait dès lors sans culture, le pays s'appauvrissait et les ressources du Trésor diminuaient.

Dès 1595, Henri IV et Sully vinrent au secours du paysan. Par sa déclaration du 16 mars de cette année, le Roi fit cesser les contraintes et exécutions que l'on faisait contre les laboureurs, et la crainte qu'ils avaient d'être vexés et tourmentés, tant pour les grandes dettes desquelles la malice et incommodités du temps les avait surchargés, que pour la recherche du payement des tailles et autres levées qu'ils étaient tenus de payer. En même temps il défendit que les agents du fisc et les créanciers employassent contre les paysans en retard la contrainte par corps et la saisie des bestiaux et des instruments aratoires[37].

Nous avons déjà dit que, pour achever de libérer le paysan, et mettre un terme à cette désolation générale, Henri IV et Sully, en 1598, firent remise de l'arriéré des tailles en partant de 1596 et en remontant à sept années au delà. L'arriéré s'élevait à 20 millions de livres, c'est-à-dire à 120 millions d'aujourd'hui. Ce fut un immense soulagement, dont les peuples sont encore reconnaissants envers le Grand Roi, grand par le bien qu'il a fait et non pas par le sang qu'il a versé.

La gabelle était un impôt odieux et vexatoire. On fixait arbitrairement la quantité de sel que chacun, noble ou roturier, devait acheter au fisc. La perception de cet impôt était d'une extrême violence, et entraînait une énorme quantité de fraudes et de châtiments. Sully adoucit la perception de la gabelle autant que possible, et il eût voulu la supprimer, et établir un mode d'impôt sur le sel assez semblable à celui qui existe actuellement. En se retirant, en 1611, il diminua encore la gabelle.

En 1600, les revenus ordinaires du Roi étaient de 30 millions de livres (180.000.000 de francs) ; en 1609, ils n'étaient plus que de 26 millions de livres (156.000.000 de francs). Mais les deniers ou revenus extraordinaires[38], qui s'élevaient à 13 millions de livres (78.000.000 de francs), portaient le total des revenus du Roi à la somme de 39 millions de livres, soit 234 millions de francs.

La dette publique se composait de la dette française et de la dette étrangère, celle-ci due à quelques princes étrangers. En 1610, Sully avait diminué la dette de 100 millions de livres (600.000.000 de francs).

Henri IV avait aussi payé aux chefs de la Ligue, pour acheter leur soumission et rétablir la paix, 13 millions de livres, soit 78 millions de francs[39].

Les rentes, qui en 1589 étaient de 7.000.000 de livres (42.000.000 de francs), étaient réduites en 1610 à 2.000.000 de livres (12.000.000 de francs). — On reprit aux usurpateurs et l'on racheta pour 35.000.000 de livres de domaines (210 millions de francs). — Sully mit en réserve à la Bastille et à l'Epargne 43.138.490 livres (258.830.940 francs), sur lesquelles 17 millions de livres (102.000.000 de francs) étaient déposés, dans les chambres voûtées de la Bastille, dans des coffres et des caques (barriques).

Sully diminua l'intérêt de l'argent. Il comprenait bien, et Henri IV était aussi de cet avis, que si l'on voulait que les finances de l'Etat se rétablissent et que l'Epargne fût riche, il fallait d'abord que les particuliers fussent riches. Il était donc nécessaire de commencer par relever toutes les fortunes particulières. En 1601, l'intérêt de l'argent fut abaissé de 10 et 8 p. 100 à 6 p. 100. Les débiteurs empruntèrent à 6 et remboursèrent leurs créanciers. La noblesse racheta ses propriétés ; l'agriculture, le commerce, l'industrie, empruntèrent plus facilement et se développèrent ; le fisc put lever l'impôt sans fouler le contribuable.

En quelques années la France était devenue la première puissance financière de l'Europe.

Aussi, disgracié en 1611 et obligé de se retirer dans ses châteaux, Sully était-il en droit d'écrire à Marie de Médicis la lettre si pleine de fierté qu'on va lire :

Pour le moins j'aurai cet honneur et cette gloire d'avoir satisfait par mes services le plus grand roi, et le plus grand capitaine, et le plus grand homme d'Etat qui ait fleuri depuis des siècles, et d'avoir été l'un des instruments dont il s'est servi pour remédier aux désolations que les désastres de plusieurs années avaient engendrées, et pour changer toutes les nécessités et misères de l'Etat en abondance et félicités. Lorsqu'il m'appela au maniement de ses finances, la pauvreté se faisait sentir jusque sur sa table, dans sa chambre et son cabinet : les choses les plus ordinaires lui manquaient ; mais en moins de dix ans il s'est servi en partie de mon travail et de ma fidélité pour diminuer les tailles de 5 millions environ et d'autres impositions de moitié, pour acquitter près de 100 millions de dettes de la Couronne, racheter 30 ou 35 millions de dettes ou de domaines, augmenter par des économies ses revenus ordinaires de 3 ou 4 millions, acquérir une province, assembler toutes sortes d'armes et de munitions de guerre, fortifier la plupart des provinces frontières de son royaume, et mettre dans ses coffres plus de 20 millions.

 

II. — Armée.

 

L'organisation militaire de Henri IV a donné à l'armée de nouvelles bases qui ont servi à l'établissement des armées de Richelieu et de Louvois. Sully fut l'un des principaux instruments dont se servit le Roi pour l'organisation de l'armée et la préparation de la guerre contre la Maison d'Autriche, dont l'assassinat de Henri IV recula l'explosion jusqu'en 1635.

Ce fut à la savante école de Maurice de Nassau[40], notre allié, que se forma l'armée de Henri IV. Beaucoup de volontaires avaient été combattre sous ses enseignes ; mais, après la paix de Vervins, Henri IV envoya dix régiments en Hollande servir sous les ordres de Maurice de Nassau. Ils y apprirent à se servir de la pique, dont nos officiers et nos soldats ne voulaient pas[41] ; ils se formèrent aux méthodes, aux exercices de l'armée hollandaise, et s'habituèrent à sa discipline sévère. D'Aubigné dit que Maurice transforma nos soldats, qu'il leur fit oublier tout ce qu'ils savaient et leur apprit tout ce qu'ils devaient savoir, et qu'en place de brigands, pillards, indisciplinés et lâches, il nous renvoya d'excellents soldats.

Dès la paix de Vervins, la réorganisation de l'armée, accomplie par le Roi, Sully et Du Plessis-Mornay[42], marcha rapidement, malgré l'opposition que le duc d'Epernon, colonel général de l'infanterie, et tant d'autres, faisaient aux réformes. D'Epernon, dit d'Aubigné, a longtemps déclamé contre la nouveauté. Biron aussi était opposé à toute innovation, à l'exercice, à la tactique et à la discipline des Hollandais : d'Aubigné nous apprend encore qu'il ne voulait pas que le mot de discipline sortît de la bouche d'un capitaine, et que les Français, sans tout ce manège, savaient bien se battre. L'ignorance et la routine n'eurent jamais de plus dignes défenseurs.

En vertu de la nouvelle organisation, toutes les troupes furent entretenues, c'est-à-dire permanentes et soldées. Les troupes étrangères sont considérablement diminuées. L'infanterie et l'artillerie deviennent les armes prépondérantes. Du Plessis-Mornay estimait que sur les dix parts de la guerre, l'infanterie devait en avoir neuf ; mais Henri IV ne lui donna pas cette proportion. Dans l'armée d'Allemagne, en 1609, l'infanterie comptait 32.000 hommes, la cavalerie, 5.000 : un sixième. L'élément national constitue la plus grande partie de cette armée ; l'élément étranger n'y est plus qu'en minorité : 20.000 Français et 12.000 étrangers[43]. Toutes les garnisons sont exclusivement formées de troupes françaises. — Enfin, la discipline, le respect de la propriété et des personnes sont établis et maintenus. Les désordres des gens de guerre accomplis en grand sont finis, et les désordres particuliers sévèrement punis. Ce que Henri IV veut avoir, c'est ce que nous avons aujourd'hui : Vrais gens de guerre, vivant par ordre et police.

Il veut aussi que ses officiers et ses soldats soient bien recrutés, instruits et très exercés. Pour l'instruction des officiers, il fonda deux établissements destinés à former les jeunes gens de la noblesse et de la haute bourgeoisie qui se destinaient à la profession des armes : le collège de la Flèche et l'Académie militaire de la Cour. Le collège de la Flèche était dirigé par les Jésuites, qui donnaient à leurs élèves une instruction toute littéraire. Le roi payait la pension de plusieurs d'entre eux. — L'Académie militaire, dont Henri IV voulait faire un établissement national, donnait aussi une instruction littéraire sérieuse, et de plus l'éducation militaire. Il en sortit d'excellents officiers de cavalerie et d'infanterie, qui figurèrent avec honneur dans les armées de Louis XIII.

Les soldats furent recrutés le mieux qu'il fut possible avec le système de l'enrôlement volontaire et du racolement à prix d'argent, système conservé jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Les troupes étaient continuellement exercées. Chaque année, on réunissait dans un camp 6.000 fantassins, 1.000 chevaux[44] et une bande d'artillerie de 6 pièces, pour exécuter des manœuvres d'ensemble : se former en bataille, en ordre de marche, en colonne, se loger, camper, combattre et suivre la victoire, battre en retraite, assiéger et défendre une place, etc.

En 1609, Henri IV donna l'ordre de composer un traité complet de l'art de la guerre, à l'aide des ouvrages et règlements traitant de la guerre chez tous les peuples anciens et modernes, dont les divers corps de l'armée suivraient exactement les prescriptions. C'est l'idée de nos règlements militaires actuels, comme tout à l'heure on a vu commencer ce que l'on appelle actuellement les grandes manœuvres.

Les revenus de l'Etat ne permettant pas d'entretenir toute l'armée en temps de paix, Henri IV organisa de bons cadres permanents, dans lesquels on pouvait incorporer au besoin les recrues et les hommes en congé. On vit, en 1600, les résultats de ce système, qui est à peu près le nôtre : l'armée fut assez rapidement portée de 10.000 à 30.000 hommes, pour faire la guerre au duc de Savoie.

En 1610, la France avait 51.000 hommes sur ses frontières d'Allemagne et d'Italie, et elle levait encore 50.000 soldats pour former les deux armées qu'elle destinait à la guerre contre l'Espagne.

L'artillerie et le génie, qui, dans la pensée de Henri IV et de Sully, étaient appelés à jouer un rôle décisif dans les guerres à venir, reçurent de grands développements. Pour reconstituer ces deux corps, alors réunis, Sully n'hésita pas à casser 500 officiers d'artillerie incapables et opposés à toute réforme. Après cette épuration, qui fait honneur à son patriotisme et à son énergie, il réorganisa l'arme et lui donna des chefs dignes d'elle. On fondit ensuite des canons, on rassembla d'immenses approvisionnements de munitions, d'armes, d'outils de guerre, et, pour leur transport, on transforma l'ancien charroi, qui devint une sorte de train d'artillerie.

En 1610, l'infanterie comptait 13 régiments[45] de 3.800 hommes. Elle était toujours armée de la pique et du mousquet. Quelques soldats étaient pourvus de haches et d'outils pour couper le bois et remuer la terre.

La cavalerie formait des compagnies isolées : compagnies d'ordonnance ou de gens d'armes, compagnies de chevau-légers, de carabins ou dragons, armés de carabines ou longues escopettes[46], et compagnies de cuirasses.

Dans les premières années du règne, toute la noblesse venait à l'armée, avec ses armes et ses chevaux, y faire le service de l'arrière-ban, auquel elle était soumise. Mais cette cavalerie non soldée ne pouvait rester longtemps à l'armée, faute de solde et de ressources. Aussi ces volontaires, comme on les appelait, s'en allaient-ils aussitôt qu'ils le pouvaient, et même avant que le Roi eût pu tirer parti de la victoire. Par exemple, après la reprise d'Amiens, sur 5.000 gentilshommes, il n'en resta au camp que 500 : tous les autres partirent. Henri IV, qui voulait profiter de la défaite des Espagnols pour prendre Doullens, et de là menacer Arras, fut obligé de renoncer à ce projet[47]. Cette cavalerie libre était extrêmement bonne ; sa furia était irrésistible ; les Espagnols n'avaient rien à lui opposer ; à l'occasion, elle mettait pied à terre, attaquait l'infanterie retranchée et la battait[48].

Malgré cette bravoure éclatante, on ne pouvait, dans une armée bien constituée, se contenter d'une telle cavalerie. Aussi fut-elle très diminuée, et, en 1610, Henri IV ne voulait avoir que mille de ces gentilshommes pour former sa cornette blanche.

La lourde lance des compagnies d'ordonnance, déjà mise de côté à la bataille d'Ivry[49], fut définitivement supprimée en 1605 et remplacée par le pistolet ou arquebuse courte, et par l'épée. L'armement devient de plus en plus léger ; le cavalier n'a plus que le cabasset ou la salade, et la cuirasse ; le cheval est moins gros, moins lourd que l'ancien cheval de l'homme d'armes ; il n'a plus de défense ; la charge en haie est remplacée par la charge en escadron.

Les compagnies d'ordonnance s'appellent toujours compagnies de cinquante ou cent hommes d'armes ; mais elles n'ont de commun avec les anciennes compagnies que le nom. Pour combattre, elles se forment en escadrons. Les cavaliers doivent charger, le pistolet au poing, lequel ils ne doivent tirer qu'appuyé dans le ventre de l'adversaire au-dessus du bord de la cuirasse. Et quoi qu'il arrive, un homme d'armes français ne doit jamais fuir ; il doit ne point faire perdre l'ancienne réputation des hommes d'armes français[50].

Les chevau-légers forment des compagnies de 100 maîtres[51]. Chacune a 50 carabins ou dragons avec elle. Leurs armes, aux uns et aux autres, sont le pistolet ou arquebuse courte.

Les cuirasses, qui sont les cuirassiers de nos jours, étaient alors une sorte de chevau-légers, qui s'étaient formés pendant les dernières guerres de religion.

Les chevaux de guerre sont généralement beaux. En 1607, le cheval de bataille de Henri IV était un normand appelé le Montgomery[52]. Bon nombre de gentilshommes avaient de magnifiques chevaux d'Espagne valant 600 écus (10.800 francs).

En 1589, les Huguenots et les Ligueurs n'avaient pas 20 canons ; l'artillerie était réduite à rien : à Ivry, on ne tira pas quinze coups de canon. Maurice de Nassau n'avait pas non plus beaucoup d'artillerie. Ce furent Henri IV et Sully qui donnèrent à cette arme la grande proportion qu'elle a toujours eue depuis.

En 1599 Sully devint Grand-Maître de l'artillerie, et, en 1601, sa charge fut érigée en charge de la Couronne. Quand il fut nommé Grand-Maître, l'arsenal de Paris était vide ; mais, dès 1601, à la grande satisfaction du Roi, il commençait à se remplir d'armes. En 1604, il y avait à l'arsenal de Paris 100 canons. En 1605, les divers arsenaux et magasins du royaume[53] renfermaient 400 pièces[54] montées sur leurs affûts et prêtes à entrer en campagne. L'arsenal de Paris contenait alors des armes pour 15.000 hommes de pied, 2 millions de livres de poudre, 100.000 boulets. Il y a déjà à la Bastille 7 millions[55]. Une administration probe et active, dirigée par Sully, était chargée de la création et de la garde de cet immense matériel. Les marchés pour achats de métaux, salpêtre, bois, etc., étaient vérifiés par le Roi et signés par lui. Les voleurs furent impitoyablement punis[56].

Sully était aussi surintendant des fortifications, et il a été le créateur du Génie militaire. Ses règlements pour organiser l'administration du Génie et sa comptabilité, sont la base première de l'administration actuelle des fortifications. Des directeurs, des contrôleurs généraux furent établis. Les ingénieurs étaient des officiers d'infanterie, qui conservaient leur grade dans leur emploi d'ingénieur. Sully fut secondé par Errard et Claude de Châtillon[57], excellents ingénieurs comme lui, et Henri IV était lui-même fort instruit dans l'art d'attaquer et de défendre les places, science qui reçut de grands perfectionnements chez nous à cette époque.

Avec Errard, Châtillon et quelques autres, Sully créa une sorte de comité des fortifications.

Avant Sully, il n'y avait dans nos armées que quelques ingénieurs italiens qui dirigeaient les sièges ou fortifiaient les villes. Sully constitua un corps d'ingénieurs français, dont le plus important fut Errard, qui a donné à la fortification moderne ses principes essentiels[58]. Je n'indiquerai du système d'Errard que ces deux points : le relief doit avoir très peu d'élévation, et il faut des ouvrages avancés pour tenir l'ennemi à distance. Errard a construit plusieurs places nouvelles[59], et réparé ou augmenté de nombreuses places anciennes. — Sully dépensa aux fortifications 7.785.000 livres, soit 46.713.000 francs.

Avant lui, c'étaient les taillables et corvéables, c'est-à-dire les paysans, qui construisaient les fortifications. Henri IV et Sully adoptèrent un autre système ; ils mirent les travaux en adjudication, et les firent exécuter par des entrepreneurs bien surveillés et régulièrement payés. Les 8 millions de livres employés aux forteresses furent fournis par les tailles, divers impôts et certains octrois, que les privilégiés eux-mêmes furent obligés de payer.

Dans chaque province, il y eut des ingénieurs, qui faisaient les projets que le roi et son conseil, auquel assistait Errard, adoptaient après examen et faisaient exécuter par lesdits ingénieurs.

C'est Henri IV qui a commencé à détruire les innombrables châteaux forts qui couvraient la France et ne servaient plus à la défense du pays. Richelieu achèvera cette œuvre de haute police, devenue nécessaire pour maintenir l'ordre et la sécurité.

Le Génie employait alors, pour enlever une place, le pétard. C'était une grande boîte conique, en bois ou en métal, remplie de poudre, que l'on fixait solidement sur une planche carrée, doublée de lames de fer. On attachait cette planche à la porte qu'il s'agissait de pétarder ou faire sauter[60].

Assurer la distribution régulière des vivres aux troupes, pendant la paix et pendant la guerre, a été de tout temps la partie la plus difficile de l'administration militaire. Henri IV et Sully résolurent cette question à force de volonté et de prévoyance. A Amiens, pendant sept mois, on distribua régulièrement 20.000 pains par jour, avec les autres rations de vivres et de vin[61]. La vie fut si douce à ce siège, qu'on l'appela le siège de velours. Une administration spéciale fut organisée pour assurer le service des vivres et parer à l'imprévu.

Sully et Henri IV réprimèrent, avons-nous dit, et firent cesser les violences des gens de guerre qui pillaient et ruinaient le paysan[62]. Une discipline énergique, le payement régulier de la solde, la distribution régulière des vivres, furent les moyens matériels dont on se servit pour obtenir le résultat désiré. Les moyens moraux furent surtout employés. On fit comprendre aux soldats le but élevé et honorable de la profession des armes, on les dirigea avec le sentiment de l'honneur, on les traita avec égard, comme des serviteurs utiles au bien de l'Etat. S'ils étaient blessés ou malades, ils trouvaient des secours dans les ambulances ; quand ils devenaient vieux, estropiés, invalides, l'établissement de la rue de l'Ourcine, dont nous allons parler, leur offrait un asile honorable. S'ils étaient tués, leur femme et leurs enfants étaient exemptés de toutes charges publiques, et ces diverses mesures s'appliquaient aux soldats comme aux officiers.

L'ordre était assuré dans les garnisons, dans les camps ; il le fut aussi dans les marches par le règlement du service des étapes ; des commissaires des vivres devaient toujours accompagner les gens de guerre afin d'assurer la distribution des vivres et fourrages[63].

Autrefois, les soldats et officiers invalides étaient entretenus dans les couvents et portaient le nom de moines lais ou oblats. On les plaçait aussi dans les villes fortes, où ils ne faisaient aucun service, et on les appelait des mortes-payes. En 1575, Henri III avait obligé les couvents à payer une somme destinée à fonder une maison de refuge pour les soldats invalides. Ce projet n'eut pas de suite ; mais Henri IV le reprit et fonda, en 1606, la Maison de la Charité chrétienne, à Paris, rue de l'Ourcine, pour y entretenir des officiers et des soldats, vieux ou estropiés, et sans ressources[64]. On ne voulait plus revoir ce qu'on avait vu après la paix de Vervins, un peuple nouveau de mendiants, les gens de guerre qu'on avait renvoyés chez eux, mais qui n'avaient pas de chez eux. On en voyait tous les jours des bandes dans la cour du Louvre. Capitaines déchirés, mestres de camp morfondus, chevau-légers estropiés, canonniers jambes de bois, tout cela entre en troupes par les degrés de la salle des Suisses, en déclamant contre madame l'Ingratitude. L'officier portant la hotte et le soldat le hoyau exaltent leur fidélité, montrent leurs plaies, racontent leurs combats et leurs campagnes perdues, menacent de se faire croquants[65], et sur la monnaie de leur réputation mendient quelque pauvre repas[66].

Enfin, et pour résumer, disons qu'en 1610, tout le système militaire moderne est créé, dans toutes ses grandes lignes : armée nationale permanente, bien organisée, bien armée, régulièrement payée ; administrations ou services de l'artillerie, des transports, du Génie, des étapes, des vivres, de la solde, de santé ; établissement de la discipline et fin des désordres, l'armée devenue l'instrument de la défense du pays et cessant d'être l'instrument de sa ruine ; les écoles militaires créées ; le sort des vieux soldats assuré ; un commencement de marine[67].

Cet enfantement de l'armée moderne a permis à Richelieu et à Mazarin de faire la guerre de Trente-Ans à l'Autriche et à l'Espagne, de les vaincre, et de signer les traités de Westphalie et des Pyrénées. L'honneur de ces grands résultats revient dans une certaine mesure à Henri IV et à Sully, qui ont commencé à créer l'instrument avec lequel on a vaincu les deux puissances qui jusqu'alors menaçaient notre indépendance. Ces pages de notre histoire sont encore bonnes à étudier aujourd'hui.

 

III. — Sully Grand-Voyer de France[68].

 

En 1599 Sully fut nommé Grand-Voyer de France, c'est-à-dire directeur de la grande voirie ou administration centrale et royale des voies de communication, administration que nous appelons aujourd'hui les ponts et chaussées. Sully était un habile ingénieur militaire ; mais à cette époque le Génie militaire et le Génie civil étaient confondus, et ils ne furent séparés que plus tard. On sait que Vauban était encore, en 1686, chargé de terminer l'œuvre de Riquet.

Henri IV et Sully commencèrent, dès 1598, à s'occuper des routes, des chemins, des ponts et des rivières, que l'on avait cessé d'entretenir depuis une quarantaine d'années, faute d'argent, et qui étaient devenus impraticables. Les transports ne se faisaient qu'avec des peines infinies et une perte de temps considérable. Les ponts étaient dans le même état que les routes, quand ils n'étaient pas écroulés.

Il n'y avait pas d'administration supérieure et centrale chargée de la direction du service des ponts et chaussées. Les baillis et les sénéchaux, agents de la province ; ici, quelques gentilshommes, et là, des religieux, moyennant des péages établis en leur faveur, avaient la mission d'entretenir les ponts et les routes, mais ils n'entretenaient rien. Henri IV nomma Sully Grand-Voyer de France et centralisa entre ses mains tout le service des voies de communication par terre et par eau, et plaça sous ses ordres des voyers particuliers. L'administration des ponts et chaussées fut créée, et ses premières bases furent organisées. Les fonds furent fournis par le Roi, par les provinces et par les paroisses. Sully apporta dans ce grand service le même zèle, la même énergie que dans les autres, et obtint pour résultat le rétablissement des anciennes routes et des anciens chemins, le redressement d'anciennes routes afin de diminuer les distances, et la création de routes nouvelles et de chemins nouveaux[69]. Les routes furent pavées et plantées d'ormeaux, dont l'ombre était utile aux piétons, et qui furent appelés des Rosnis[70]. Sur plusieurs points les paysans arrachèrent ces jeunes arbres ; mais c'est une habitude en France : on plante des arbres, les maraudeurs les arrachent ou les mutilent. En 1683, Louis XIV fit planter des ormes sur les avenues de Versailles ; on les entoura d'épines pour les protéger ; en 1684, les épines étant insuffisantes, on fut obligé d'avoir quatre gardiens armés de pistolets pour défendre les plantations. Sur d'autres points des malveillants abattaient les têtes des Rosnis pour en faire des Birons[71].

Les ponts furent réparés ou relevés. Ceux de la Loire avaient été presque tous emportés lors de la terrible crue de 1608 ; on commença à les reconstruire. On fit aussi de nouveaux ponts qui remplacèrent les bacs en usage.

Les rivières sont des chemins qui marchent, et leur utilité est aussi grande que celle des routes pour les transports. Leur entretien ayant été abandonné, les cours d'eau s'étaient ensablés ; les digues ou levées étant détruites, les fleuves se répandaient sur les campagnes riveraines et cessaient d'offrir à la batellerie le tirant d'eau nécessaire. Presque partout il fallut faire d'importants travaux, afin de rétablir la navigation pour le profit du trafic.

La France ne possédait pas un seul canal navigable. Sully reprit les anciens projets de l'illustre Adam de Crappone, qui avait inventé le système des canaux à point de partage. Il voulut, avec l'aide de l'ingénieur Reneau, l'un des élèves de Crappone, faire le canal du Languedoc et établir la conjonction des deux mers, c'est-à-dire unir la Méditerranée à l'Océan, afin d'épargner au commerce l'obligation de passer le détroit de Gibraltar, où les pirates anglais, espagnols et barbaresques guettaient et capturaient les bâtiments. Il est bon de dire aussi qu'alors la navigation de Marseille à Rouen exigeait, si le vent était contraire, huit et neuf mois. Mais la mort de Henri IV recula jusqu'à Colbert et Riquet l'exécution de ce canal, déjà projeté par Adam de Crappone.

On avait aussi formé les projets de réunir la Loire à la Seine, la Loire à la Saône, la Saône à la Meuse. Si l'on regarde une carte, on voit que la Saône et le Rhône forment une longue artère fluviale, et qu'en joignant cette artère à la Loire, à la Seine et à la Meuse, puis la Seine et la Loire, on fait communiquer entre elles toutes les mers qui baignent la France. Dès le temps de Sully on avait donc jeté les bases du système général de la canalisation de la France, existant de nos jours. M. Poirson[72] dit avec raison que Viète, le grand mathématicien, et Louis de Foix, le célèbre ingénieur-architecte, ont dû prendre part à ces divers travaux.

De tous les canaux projetés, le seul commencé fut le canal de Briare, en 1604, dont les travaux furent dirigés par l'ingénieur Hugues Crosnier, et qui a servi de modèle à toute l'Europe pour les canaux à point de partage. Il partait de Briare sur la Loire et allait joindre le Loing rivière qui se jette dans la Seine à Moret[73]. Le canal de Briare fut ouvert à la navigation en 1641, et les premiers bateaux venus de la Loire arrivèrent à Paris le 27 mars 1641. Le Corps de ville et une grande foule allèrent recevoir avec applaudissement cette flottille de dix bateaux[74].

Sully rétablissait toutes les voies de communication ; mais le pays était tellement ruiné, que l'on ne pouvait presque s'en servir faute de chevaux. Henri IV, par un édit de 1597, établit les relais de chevaux. Considérant, dit-il, la pauvreté et la nécessité à laquelle tous nos sujets sont réduits à l'occasion des troubles passés ; considérant que la plupart d'iceux sont destitués de chevaux, non seulement pour le labourage, mais aussi pour voyager et vaquer à leurs négoces accoutumés ; qu'ils n'ont moyen d'en acheter, ni de supporter la dépense nécessaire pour la nourriture et entretènement d'iceux ; que les commerces accoutumés cessent et sont discontinués en beaucoup d'endroits ; que nos sujets ne peuvent librement vaquer à leurs affaires, sinon en prenant la poste qui leur vient à grande cherté et excessive dépense, ou bien les coches[75], lesquels ne sont encore et ne peuvent être établis en la plupart des contrées de notre royaume, et d'ailleurs sont si incommodes que peu de personnes s'en veulent servir. A quoi désirant pourvoir, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit[76].

L'entreprise des relais de chevaux fut livrée par adjudication à l'industrie privée. Les relais fournissaient à ceux qui n'avaient pas de chevaux, des chevaux de louage et le moyen de transporter leurs marchandises, et au paysan ses produits agricoles. Ces relais, établis de 6 en 6 lieues, existaient sur les routes de poste, sur les chemins, et, pour le halage des bateaux et des coches[77], le long des cours d'eau. Une journée de cheval, de 12 à 15 lieues, coûtait 20 sols (6 francs) et la nourriture, 10 sols (3 fr.). Le cheval de halage, ou de courbe, coûtait un peu plus cher, 5 sols (1 fr. 50) de plus. Le vol de l'un de ces chevaux de relais était puni de mort.

En 1602, les relais furent réunis aux postes.

Cet établissement, qui eut un grand succès, rendit, il est presque inutile de le dire, d'immenses services à l'agriculture et au commerce.

 

IV. — Agriculture, industrie et luxe.

 

En 1595, Henri IV disait dans le préambule de l'édit du 16 mars : Nous voyons nos sujets réduits et proches de tomber en une imminente ruine pour[78] la cessation du labour, presque générale en tout notre royaume... Les vexations auxquelles ont été en butte les laboureurs leur ont fait quitter et abandonner non seulement leur labour et vacation ordinaire, mais aussi leurs maisons ; se trouvant maintenant les fermes, censes[79], et quasi tous les villages inhabités et déserts.

L'agriculture, à peu près détruite dans les deux tiers du royaume, la famine menaçante, le paysan ruiné, le plat pays désert, les finances en plein désarroi, parce qu'il n'y avait plus ou trop peu de taillables, la restauration de l'agriculture s'imposait à Henri IV et à Sully.

On a déjà dit que le Roi et le ministre avaient fait la remise des tailles arriérées, réduit la taille autant que faire se pouvait, soustrait le taillable au brigandage des percepteurs de l'impôt, défendu de saisir son bétail et ses instruments de labour, interdit la contrainte par corps, rétabli les routes, les chemins et les ponts, créé les relais de chevaux, réduit l'intérêt de l'argent.

Toutes ces décisions, si utiles au laboureur, furent complétées par la cessation absolue du brigandage des gens de guerre. Au moment où l'armée se rassemblait en Champagne, en 1610, pour l'expédition de Clèves et Juliers, le Roi apprit que quelques compagnies avaient pillé plusieurs maisons de paysans. Il dit aux capitaines, qui étaient encore à Paris : Partez en diligence, donnez y ordre, vous m'en répondrez. Quoi ! si l'on ruine mon peuple, qui me nourrira, qui soutiendra les charges de l'Etat, qui paiera vos pensions, Messieurs ? Vive Dieu ! s'en prendre à mon peuple, c'est s'en prendre à moi.

Henri IV et Sully ajoutèrent à ces mesures de première nécessité : des encouragements pour cultiver le sol d'après de bonnes méthodes destinées à vaincre, si possible, la routine et l'ignorance. Ils s'efforcèrent de développer les prairies artificielles et l'élevage du bétail, qui fournit l'engrais nécessaire à la terre. Ils protégèrent les récoltes par une ordonnance sur la chasse, qui interdisait aux seigneurs de chasser dans les blés et dans les vignes ; et afin de protéger les troupeaux et les basses-cours, cette ordonnance prescrivait auxdits seigneurs de chasser le loup et le renard, au moins une fois tous les trois mois. Enfin ils accordèrent au cultivateur la liberté de vendre ses produits, grains et vins, là où il jugeait à propos de le faire, aux diverses provinces de la France ou à l'étranger.

Ainsi défendu contre la plupart de ses ennemis, le laboureur n'avait plus qu'un ennemi à combattre, la routine ; mais elle est tenace. Pour faire disparaître l'ignorance, qui engendre et conserve la routine et les préjugés, et amener le laboureur à cultiver d'après de meilleures méthodes, il lui fallait des conseils et des exemples. Ce fut Olivier de Serres, seigneur du Pradel en Vivarais[80], qui les lui donna.

Olivier de Serres, dès 1599, entra en relations avec Henri IV ; il avait alors soixante ans et se livrait depuis longtemps à l'étude théorique et pratique de l'agriculture, qu'il appelait avec raison une science. L'excellent livre dans lequel il a consigné les résultats de ses études et de ses expériences a pour titre : Le Théâtre d'agriculture et Ménage des champs. La première édition de cet ouvrage est de 1600. Il est dédié au Roi, et la dédicace mérite d'être lue.

Sire, ces titres excellents et héroïques de Restaurateur et Conservateur de son royaume, que V. M. s'est glorieusement acquis par la paix générale sont les effets de vos saints vœux et souhaits, et des grâces particulières dont Dieu vous a orné et décoré ; qui ayant béni vos laborieux travaux, vous a donné ce contentement, que de venir à bout de si grande œuvre, contre l'attente de tout le monde, à l'honneur de votre fleurissant nom et très grand profit de votre peuple : lequel, par ce moyen, demeure en sûreté publique, sous son figuier, cultivant sa terre comme à vos pieds, à l'abri de V. M., qui a à ses côtés la Justice et la Paix.

Ainsi, votre peuple, Sire, délivré de la fureur et frayeur des cruelles guerres, lorsqu'il était sur le bord de son précipice, et jouissant maintenant par votre moyen de ce tant inestimable bien de la Paix, c'est aussi à V. M. à laquelle, après Dieu, il a à rendre grâces de sa vie, de son bien, de son repos, comme à son père, son bienfaiteur, son libérateur libérateur Etant donc passées ces horribles confusions et désordres, et revenu ce bon temps de paix et de justice par le bon heur de votre règne, lequel, de sa clarté, comme soleil levant a dissous tous ces nuages, de même est arrivée la saison de publier ces miennes observations sur l'agriculture : à ce que servant d'adresse (direction) à votre peuple pour cultiver sa terre, avec tant plus de facilité il se puisse remettre de ses pertes... Plus tôt n'eût été convenable. Car à quel propos vouloir enseigner à cultiver la terre en temps si désordonné, lorsque ses fruits étaient en charge même à ceux qui les recueillaient, par crainte d'en fomenter leur ruine, servant de nourriture à leurs ennemis ?

Une autre considération m'a fait résoudre à ceci : c'est le service que je dois à V. M., comme son naturel sujet. Il est dit en l'Ecriture sainte[81] que le Roi est asservi au champ ; dont s'ensuit que procurant la culture de la terre, je ferai le service de mon prince : ce que rien tant je ne désire, afin qu'en abondance de prospérités V. M. demeure longuement en ce monde.

Et d'autant, Sire, que pour l'établissement du repos de vos sujets avez tant pris de peine et surpassé (surmonté) tant et de si diverses et épineuses difficultés, et qu'en suite de vos louables intentions désirez les voir pourvus de toutes sortes de biens pour commodément vivre, me fait espérer que mes discours, tendant à ce but, vous seront agréables, et qu'il plaira à V. M., à laquelle, avec toute humilité et révérence, je les consacre, les recevoir de son œil favorable.

Ils ne contiennent que terre et labourage ; si (cependant) ne sont-ils pourtant abjects et contemptibles (méprisables), ains (au contraire) de très grande importance : comme tels sont-ils reconnus en les contemplant par leurs effets ; car rien de plus grand ne se peut présenter aux hommes que ce qui les achemine à la conservation de leur vie. Il y a de plus, Sire, que c'est parler à V. M. de ses propres affaires, parce que votre royaume, qui tient le plus signalé rang en la terre universelle, étant terre sujette à culture, mérite d'être cultivée avec art et industrie pour lui faire reprendre son ancien lustre et splendeur que les guerres civiles lui avaient ravis.

Moyennant lequel traitement et la bénédiction céleste, par le bon ordre que jà (déjà) avez établi, tôt reprendra-t-il son ancien bon visage : si (si bien) que tous vos sujets auront matière de prier Dieu pour votre longue et prospère vie ; et vos voisins, occasion d'admirer la grandeur et excellence de votre esprit et la magnanimité invincible de votre courage, d'avoir si bien et si tôt remis et rétabli les choses tant désespérément détraquées. Témoignages évidents de la singulière faveur de Dieu envers vous, qui vous ayant constitué en ce trône royal de vos ancêtres, vous y affermira et les vôtres pour longues années, bénissant votre sage conduite, dont la renommée s'en assurera à la postérité, et en seront vos jours comptés entre les plus heureux de tous les siècles. Ainsi que très humblement le supplie, Sire, votre très humble, etc.[82]

Pendant trois ou quatre mois, Henri IV employa, après son dîner, une demi-heure, chaque jour, à lire le Théâtre d'agriculture. Sully s'intéressait autant que le Roi à ce livre si remarquable, qui ne donnait pas seulement les meilleures leçons sur la culture du blé, de la vigne et l'élevage du bétail, mais qui faisait connaître des plantes nouvelles : le maïs, le houblon, la betterave, dont le jus qu'elle rend en cuisant est semblable au sirop de sucre[83], la garance, le sainfoin, avec lequel on forme de bonnes prairies artificielles, qui permettent d'élever un bétail nombreux ; car il n'y pas d'agriculture florissante si les engrais ne sont pas abondants. C'était aussi l'avis de Sully, qui formulait ainsi sa pensée : Labourage et pâturage sont les deux mamelles qui nourrissent la France, les vraies mines et trésors du Pérou.

Le Théâtre d'agriculture a eu cinq éditions tirées à grand nombre d'exemplaires, de 1600 à 1610 Le Roi répandait l'ouvrage d'Olivier de Serres autant qu'il le pouvait. Jusqu'en 1675, il eut encore plusieurs éditions ; mais à partir de cette année on ne le réimprime plus, et le nom d'Olivier de Serres tombe dans l'oubli[84], et, comme le fait observer H. Martin, par une coïncidence remarquable, l'agriculture nationale ne tarda pas à déchoir.

Olivier de Serres recommandait aussi de cultiver le mûrier blanc, dont les feuilles servent à nourrir les vers à soie ou magniaux. Il donnait ainsi à Henri IV le moyen de développer en France l'industrie de la soie. Mais sur ce point Sully était en plein désaccord avec le Roi ; il était absolument opposé aux industries de luxe[85]. Henri IV, au contraire, trouvait, dans le développement des anciennes industries et dans la création de nouvelles, le moyen d'occuper une grande partie des bras qui ne trouvaient pas d'emploi dans le travail des champs. Sully soutenait qu'il était suffisant que la France possédât quelques industries nécessaires, draps, toiles, etc., et que le commerce avec l'étranger lui fournirait les objets dont elle avait besoin. Il disait, et Fénelon le répéta plus tard :

Autant il y a de divers climats, régions et contrées, autant semble-t-il que Dieu les ait voulu diversement faire abonder en certaines propriétés, commodités, denrées, matières, arts et métiers spéciaux et particuliers, qui ne sont pas communes, ou pour le moins de telle bonté aux autres lieux, afin que par le trafic et commerce de ces choses, dont les uns ont abondance et les autres disette, la fréquentation, conservation et société humaine soit entretenue entre les nations, tant éloignées puissent-elles être les unes des autres, comme ces grands voyages aux Indes orientales et occidentales le prouvent[86].

A ces idées élevées et si vraies, Sully ajoutait que la vie sédentaire des fabriques ferait perdre aux Français cette habitude de vivre activement au grand air et de se fatiguer au dur travail de la terre, ce qui faisait (ce qui fait encore) de nos laboureurs d'excellents soldats.

C'était à Henri IV que Sully exposait sa manière de voir à l'endroit des fabriques. Un jour de 1603, le Roi était venu à l'Arsenal et avait dit au Grand-Maître :

Je ne sais pas quelle fantaisie vous a pris de vouloir, comme on me l'a dit, vous opposer à ce que je veux établir pour mon contentement particulier, l'embellissement et enrichissement de mon royaume, et pour ôter l'oisiveté parmi mes peuples.

Sully répondit ce que l'on vient de lire, et compléta son idée en disant qu'il fallait voir si le sol, le climat, la naturelle inclination des peuples, n'étaient pas contraires aux desseins de S. M. Il ajouta (et en cela il se trompait) que le climat de la France, au printemps, n'était pas favorable aux vers à soie, et que l'important était de mettre en valeur, en plein rapport, tous les territoires de la France, si fertiles et qui pouvaient produire tant de bons grains, légumes, vins, pastels[87], huiles, cidres, lins, chanvres, laines, etc. ; que le travail agricole produisait plus de richesse que celui des fabriques de soieries ; que ces fabriques n'enrichiraient pas le royaume, mais le jetteraient dans le luxe, les grandes dépenses, les plaisirs, la fainéantise, et ne produiraient que des marjolets de Cour et de villes revêtus d'or et de pourpre. Après quelques tirades contre le luxe, et la nécessité d'établir des lois somptuaires[88], Henri IV prit enfin la parole et répondit :

Sont-ce là les bonnes raisons et beaux expédients que vous me deviez alléguer ? Ho ! que les miennes sont bien meilleures, qui sont en effet que je veux faire les expériences des propositions que l'on m'a faites, et que j'aimerais mieux combattre le roi d'Espagne en trois batailles rangées que tous ces gens de justice, de finance, d'écritoire et de villes, et surtout leurs femmes et filles que vous me jetteriez sur les bras par tant de bizarres règlements, que je suis d'avis de remettre en une autre saison. — Puisque telle est votre volonté absolue, Sire, répliqua Sully, je n'en parle plus, et le temps et la pratique vous apprendront que la France n'est nullement propre à telles babioles.

Après quoi, le Roi s'en alla dîner chez Zamet.

En présence des populations étiolées et démoralisées qui vivent dans les ateliers de nos jours, des excès de la concurrence, des progrès de la décomposition sociale, des luttes sauvages des ouvriers et des patrons, et du brillant état de nos campagnes, Sully, revenant à la vie, ne trouverait-il pas la justification des objections qu'il faisait à Henri IV ; et la richesse résultant de la grande industrie contemporaine compense-t-elle les désordres sociaux et les plaies morales qu'elle a engendrés ?

Malgré tout, Sully fut battu ; Olivier de Serres planta des mûriers en grand nombre, établit des magnaneries, et l'industrie de la soie prit dès lors de grands développements, surtout à Lyon.

La liberté du commerce des grains, que l'on a eu tant de peine à obtenir au milieu de ce siècle, n'existait pas avant Sully et Henri IV ; en 1601, ils l'accordèrent pleine et entière au paysan. Jusqu'à eux le laboureur devait produire le blé à vil prix pour nourrir à bon marché le peuple des villes et prévenir ses révoltes. Peu importait à la royauté, aux parlements, aux bourgeois, que le paysan mourût de misère : n'était-il pas taillable et corvéable à merci ? C'est une gloire pour Henri IV d'avoir fait cesser cet état de choses injuste, odieux, et d'avoir permis au paysan de vendre ses produits au meilleur prix, d'obtenir pour son travail une juste rémunération, et de se donner une existence moins dure, une nourriture meilleure. Au commencement de l'année 1600, Henri IV disait au duc de Savoie, alors de passage à Paris : Si Dieu me donne encore de la vie, je ferai qu'il n'y aura pas de laboureur en mon royaume qui n'ait moyen d'avoir une poule dans son pot[89].

Aussi, grâce à l'ordonnance de 1601 et à la liberté du commerce des denrées agricoles, la France était, à la fin du règne, dans un état de prospérité réelle. Cette liberté, si féconde en ses résultats, fut maintenue par Louis XIII et Richelieu, et dura jusqu'à la disette de 1661 ; et si les impôts furent écrasants pendant cette longue époque de guerres brillantes et nécessaires, le paysan put les payer grâce à la faculté qu'il avait de vendre librement ses produits.

Il suffira de dire ici que Colbert, en défendant l'exportation des grains, tua la culture, et du même coup, ruina le paysan et les finances[90].

Les forêts étaient au début du règne dans le plus déplorable état ; celles du domaine étaient livrées au pillage. L'influence d'Olivier de Serres fut considérable dans le rétablissement des bois de l'Etat et de leur entretien ; et ceux-ci devinrent un modèle pour les forêts des particuliers. Une série de règlements préserva de la ruine les forêts domaniales et assura au Roi la conservation de revenus importants.

Les marais avaient alors une très grande étendue. Les digues détruites, les eaux avaient transformé en marécages les rives des cours d'eau. En 1599 parut un édit dont nous citons le préambule, qui, une fois de plus, atteste la sagacité du Roi et de son ministre.

Le plus grand et légitime gain et revenu des peuples procède principalement du labour et culture de la terre qui leur rend, selon qu'il plaît à Dieu, à usure, le fruit de leur travail, en produisant grande quantité de blés, vins, grains, légumes et pâturages. De quoi non seulement ils vivent à leur aise, mais en peuvent entretenir le trafic et commerce avec nos voisins et pays lointains, et tirer d'eux or, argent et tout ce qu'ils ont en plus grande abondance que nous. Ce que Nous considérant, nous avons estimé nécessaire de donner moyen à nos sujets de pouvoir augmenter ce trésor.

Joignez que sous ce labour, infinis pauvres gens, détruits par le malheur des guerres, dont la plupart sont contraints de mendier, peuvent travailler et gagner leur vie, et peu à peu se remettre et relever de misère.

Sachant bien qu'en plusieurs de nos provinces et pays, le long des mers de l'un et de l'autre côté[91], des grosses et petites rivières, et autres endroits de notre royaume, il y a grande quantité de palus et marais inondés et entrepris d'eau, presque inutiles et de peu de profit, qui tiennent beaucoup de pays désert et inhabité, et incommodent les habitants voisins, tant à cause de leurs mauvaises vapeurs et exhalaisons, que de ce qu'ils rendent les passages fort difficiles et dangereux, lesquels palus et marais étant desséchés, serviront partie en labour, et partie en prairies et pâturages...

En sa qualité de Grand-Voyer, ce fut Sully qui dirigea les travaux de desséchement des terres inondées. L'entreprise du desséchement des marais fut confiée à un Hollandais nommé Bradley, qui reçut le titre de Grand-Maître des digues.

 

En matière de commerce, ce fut Sully qui négocia, en 1604, avec le cardinal Bufalo, ambassadeur d'Espagne, le traité de commerce avec ce pays.

Sully s'opposa à la fondation de la colonie du Canada ; mais Henri IV tint ferme, et notre grand Samuel de Champlain alla fonder Québec, capitale de la Nouvelle-France (1606).

 

V. — Gouvernement.

 

Sully, dit son panégyriste[92], regardait les grandes villes comme les tombeaux des Etats, parce qu'elles ne se forment jamais qu'aux dépens des campagnes. Il s'attachait donc à repeupler les bourgs et les villages. Il désirait surtout que la noblesse habitât dans ses terres.

Esprit très aristocratique, Sully n'aimait pas la monarchie absolue. La formule dont le Roi exprimait sa volonté depuis François Ier, Car tel est notre bon plaisir, lui déplaisait vivement. Il aurait voulu que les nobles conservassent leurs terres et leur dignité personnelle, au lieu de venir se ruiner à la Cour et y mendier les bienfaits du Roi[93]. Mais il eût désiré aussi que la noblesse aidât le Roi dans le gouvernement, en même temps qu'elle le servait aux armées ; il eût voulu qu'elle occupât les grandes charges de l'Etat et qu'elle prît une part importante, à son exemple, à la haute administration des finances. Il n'avait aucune sympathie pour la bourgeoisie riche ou enrichie, et, pour l'empêcher de posséder de grands domaines en achetant les terres de la noblesse, il fit revivre le droit de franc-fief, impôt fort lourd que payait le roturier qui achetait une terre noble, espérant ainsi s'anoblir.

M. Noël Valois, dans l'introduction qu'il a mise en tête des arrêts du Conseil d'Etat pendant le règne de Henri IV[94], vient d'apporter de curieux détails, fort nouveaux, sur le rôle que Henri IV et Sully auraient voulu voir jouer à la noblesse dans le gouvernement.

Henri IV, dit-il, sur la fin de son règne, se préoccupa du sort de la noblesse, plus peut-être que la noblesse elle-même. Pour l'empêcher de déchoir, pendant la paix, du rang qu'elle avait conquis sur les champs de bataille, il l'eût volontiers associée, dans une certaine mesure, au gouvernement, et lui eût communiqué une partie des secrets que ses prédécesseurs et lui avaient coutume de confier seulement à leurs intimes. Au mois de juin 1609, il mande précipitamment Sully au Louvre, et le prie de lui rédiger à sa mode, c'est-à-dire à peu de langages et beaucoup de substances, un certain nombre de mémoires sur des questions qu'ils avaient, paraît-il, préalablement examinées : notamment un état des divers Conseils qu'il serait à propos d'établir pour donner quelque satisfaction aux personnes qualifiées du royaume et aux chevaliers des Ordres, un abrégé des règlements qu'il faudrait observer en chacun d'iceux, une énumération des affaires dont ils devroient connoître, l'indication des précautions à prendre pour empêcher que cet établissement ne pût apporter préjudice au Roi, à ses affaires, à l'Etat, ni aux particuliers. (Econ roy., éd. Michaud, II, 291). Nul doute que nous n'ayons les réponses de Sully dans les très curieux morceaux publiés par feu P. Clément, d'après les manuscrits originaux appartenant à M. le marquis de Vogué. Quelques notions sur ces pièces seront ici d'autant plus à leur place, que l'éditeur s'est pour ainsi dire abstenu de tout commentaire.

Aux Conseils existants, Sully propose de joindre un Conseil des Affaires étrangères et un Conseil de la Guerre. Le premier doit jouir d'une autorité purement consultative. Il ne prend aucune décision sans l'assentiment du Roi. Mais il donne son avis sur le choix des ambassadeurs, rédige leurs instructions, en présence du Roi et de la Reine, et en fait transcrire le texte sur un registre secret, qu'il confie à la garde d'un secrétaire des affaires étrangères. Il règle, en présence de Leurs Majestés, le cérémonial des réceptions, assiste aux audiences particulières accordées à des ambassadeurs étrangers, dépouille devant le Roi la correspondance diplomatique, arrête aussitôt le sens général des réponses qu'il convient de faire, puis délègue un de ses membres qui en surveille la rédaction, et entend la lecture du texte définitif. Deux conseillers ont mission de rechercher les plus anciens traités conclus entre la France et les divers pays du monde ; ils les font transcrire, une première fois, dans l'ordre géographique, une seconde fois, dans l'ordre chronologique, afin d'éclairer le Conseil, qui devra désormais, sinon conclure, du moins revoir et enregistrer tous les traités. Le même Conseil connaît des difficultés auxquelles donnent lieu les rapports avec les pays étrangers, tient un compte exact des dettes contractées par la France au dehors et de celles qui sont amorties chaque année, prend, en présence du Roi, toutes les mesures nécessaires au payement des émissaires et des pensionnaires que la France entretient à l'étranger. Quant aux déclarations de guerre, s'il les prépare avec le Roi, il ne les vote qu'en assemblée plénière avec le concours des autres conseils.

Le Conseil de la Guerre, qui ne décide rien non plus hors la présence du Roi, doit prendre connaissance des opérations projetées. Il exerce une influence directe sur la composition de l'armée, en relisant et enregistrant les lettres de provision aux charges militaires, et en procédant à l'examen, puis à la réception des officiers pourvus. Il dresse, en présence du Roi, les états de payement des troupes, statue sur les difficultés soulevées par des officiers au sujet de leur commandement et de leur rang, règle les diverses fonctions des chefs, organise la police militaire, demande compte de leur conduite, non-seulement aux prévôts, vice-baillis et vice-sénéchaux, mais au grand maître de l'artillerie, au colonel général de l'infanterie, à l'amiral, aux maréchaux, au connétable, arrête les projets de fortification, et prononce, en dernier ressort, sur les querelles survenues entre gentilshommes et soldats[95].

 

VI. — La République chrétienne.

 

Les divers projets de Henri IV contre la maison d'Autriche, désignés sous le nom général du Grand-Dessein, doivent se diviser, dit M. Poirson, en deux parties distinctes. L'un de ces projets appartient à Sully, les autres appartiennent au Roi.

Les projets du Roi, dont nous n'avons pas à parler ici, consistent dans les préparatifs diplomatiques et militaires d'une guerre contre l'Autriche et l'Espagne, et dans la formation d'une coalition contre l'ennemi commun, dominateur de l'Europe, coalition formée par la France disposant de 100.000 hommes et d'une artillerie formidable, 400 pièces, par la Hollande, l'Angleterre et leur marine, par les princes protestants de l'Allemagne, par le duché de Bavière, la Bohême, la Hongrie, les Suisses et Grisons[96], Venise et la Savoie, les Morisques d'Espagne. Le Roi de France et ses alliés doivent faire la guerre, et, si la victoire couronne leurs efforts, l'hégémonie de la maison d'Autriche sera détruite, et la France et l'Europe délivrées de ce joug intolérable.

Sully est sans cesse mêlé aux négociations destinées à nouer les alliances, à la préparation des armées ; le Roi et lui ont de continuelles conversations sur ce sujet[97]. A certains moments, Henri IV semble avoir des doutes sur le succès de cette grande entreprise ; alors Sully lutte contre le Roi et cherche à lui élever l'esprit aux choses pleines de gloire. Sully a une part certaine dans les projets et préparatifs de cette terrible lutte, à laquelle il doit prendre part.

En même temps Sully rêvait une réorganisation complète de l'Europe entière. Grande et généreuse rêverie, qui se réalisera un jour et fera disparaître le dernier reste de la vie sauvage des temps primitifs, noble pensée, noble chimère si l'on veut, mais bien digne d'un esprit élevé et de l'ami de Henri IV. N'aurait-elle pas eu pour résultat de fonder les Etats unis de l'Europe, d'y faire cesser la guerre et de mettre un terme à la domination des hommes de sang qui font couler celui des autres pour la satisfaction de leur orgueil et de leurs ambitieuses folies ?

La République chrétienne devait établir la paix religieuse et la paix politique. L'Europe devait être partagée en 15 Etats, la Moscovie et la Turquie, mises à part, cette dernière puissance devant disparaître un jour. Les Etats ont des religions[98] et des gouvernements différents : il y a six monarchies héréditaires, six souverainetés électives et trois républiques.

Les six souverainetés héréditaires sont : la France, l'Espagne, l'Angleterre, le Danemark, la Suède, la Lombardie, composée des Etats du duc de Savoie, auxquels on joignait le Milanais enlevé à l'Espagne.

Les six souverainetés électives sont : les Etats du Pape, la seigneurie de Venise, l'empire d'Allemagne, le royaume de Pologne, le royaume de Bohême et le royaume de Hongrie.

Les trois républiques sont : la république Helvétique, la Belgique, l'Italique.

La république Helvétique, dit M. Poirson[99], devait comprendre, outre les treize cantons suisses, le Tyrol, la Franche-Comté et L'Alsace. — La république Belgique embrassait les dix-sept provinces des Pays-Bas, en réunissant la Hollande, ou les Provinces-Unies, aux provinces belges[100], et en y ajoutant les six pays compris dans la succession de Juliers. — La République ou confédération Italique se composait des républiques de Gênes et Lucques, des duchés de Florence, Mantoue, Modène, Parme et Plaisance, et des petites principautés[101].

Les quinze Etats formaient ensemble une grande confédération nommée République chrétienne. Leurs intérêts généraux, tant dans les rapports des uns avec les autres que dans leurs affaires intérieures les plus importantes, étaient réglés par un Conseil général et par six Conseils particuliers. Le Conseil général se composait de 60 députés renouvelés tous les trois ans, nommés par les quinze Etats, et par chacun d'eux en nombre proportionné à son importance politique. Le Conseil général siégeait dans l'une des 17 villes situées au centre de l'Europe et près de la Moselle ou du Rhin, telles que Metz, Nancy, Cologne, Francfort, etc. Les six Conseils locaux, occupés des affaires particulières des Etats placés dans un certain rayon ou cercle, étaient fixés à Dantzick, Nuremberg, Vienne, Bologne, Constance, et dans l'une des villes choisies par les quatre Etats de France, d'Espagne, d'Angleterre et des Pays-Bas.

Le Conseil général devait connaître des propositions également générales, de tous les desseins, guerres et affaires qui importaient à la République chrétienne ; il devait connaître également des appels interjetés dans les affaires judiciaires d'un intérêt majeur. Les efforts des Conseils réunis devaient avoir pour résultats : 1° de prévenir les guerres entre les Etats voisins ; 2° d'empêcher les empiètements et les conquêtes du plus fort et du plus ambitieux ; 3° de faire des règlements et d'établir dans chaque Etat un ordre propre à prévenir la tyrannie du prince, le mécontentement et les révoltes des sujets, et par suite de couper la racine des guerres civiles ; 4° enfin de tarir la source des guerres religieuses, soit extérieures, en expulsant les Turcs de l'Europe, soit intérieures, en établissant la tolérance la plus complète et l'exercice public du culte pour les trois religions catholique, luthérienne, calviniste.

Deux peuples étaient exclus de la République chrétienne, les Turcs et les Moscovites ou Russes : les premiers, comme trop profondément hostiles ; les seconds, comme trop étrangers à la religion et aux intérêts politiques des autres nations de l'Europe. Les personnes et biens des Turcs étaient respectés : on leur donnait le laps d'une année pour opter entre l'un des deux partis ; ou de se transporter avec leurs biens dans un pays de leur choix, ou d'embrasser la religion du pays qu'ils habitaient.

Quant à la Moscovie ou Russie, en partie païenne, en partie grecque, on remettait à Dieu seul et au temps le soin d'éclairer ses nombreuses nations, comme on attendait que des rapports plus nombreux, des relations plus intimes s'établissent entre elle et les autres peuples de l'Occident, pour la faire rentrer dans le concert de l'Europe.

La paix universelle et perpétuelle, la liberté religieuse pour tous les peuples appartenant aux divers cultes chrétiens, étaient le résultat de l'établissement de la République chrétienne.

Le remaniement général de l'Europe était la condition indispensable pour constituer près de la moitié des Etats confédérés, avec l'étendue de territoire et la nouvelle existence politique qu'on leur destinait.

Les moyens d'action de cette vaste confédération consistaient dans une armée de 273,800 soldats, et dans une flotte de 117 vaisseaux, dont chacun des Etats confédérés fournissait le contingent en raison de son importance.

En présentant à Henri IV, l'an 1607, la première ébauche de ce plan si vaste et si compliqué, Sully y joignait les observations suivantes, qui ne laissent pas le moindre doute, pas la moindre incertitude, sur son véritable auteur.

J'entrerai, dit-il, aux discours qu'il vous a plu quelquefois me tenir touchant l'établissement que vous aviez de longtemps désiré de pouvoir faire, ou à tout le moins tenter, d'une seule forme de république composée de toutes les nations qui réclament le nom de Jésus-Christ dans l'Europe. En la poursuite duquel dessein ayant toujours remarqué de très grandes difficultés, voire impossibilités, j'ai estimé devoir les réduire en quelques chefs principaux, afin d'essayer d'en donner une plus claire intelligence, et par conséquent des expédients propres pour en faire mieux espérer... Quoique tous ces établissements, de prime face (au premier aspect), semblent n'être que pures chimères et imaginations, sans apparences d'aucune solidité en leur subsistance, si oserai-je assurer que si V. M. vit encore dix ans, dans les trois premiers desquels je ne doute point que vous n'ayez réduit toute la Maison d'Autriche dans le seul continent des Espagnes[102]... je n'estime point qu'il puisse y avoir un seul entre vos associés qui ne prît honte de n'imiter pas votre vertu (courage).

Henri IV reconnut la difficulté d'établir cette grande et magnifique République très chrétienne, toujours pacifique en elle-même, et rejeta dans un avenir lointain ce qui se rapportait à ce projet, si bien que depuis 1607 il n'en est plus question dans les entretiens du Roi et du ministre.

 

 

 



[1] SULLY, Mémoires, VIII, 209. — Sully complète sa pensée en ajoutant : ou les derniers des heurs (des bonheurs) de tous les bons Français.

[2] Tome IV, page 101, année 1601 (éd. Petitot).

[3] THOMAS, Eloge de Sully.

[4] Tome III, page 242.

[5] M. d'O mourut à la fin de 1594, laissant une fortune de 4 millions de livres (24.000.000 de fr.).

[6] THOMAS, Eloge de Sully.

[7] Sainte-Beuve, avec sa lucidité parfaite, décrit ainsi ce travail de Sully : Par un examen exact et une application opiniâtre qu'on n'aurait jamais attendue d'un homme d'épée, il se rendit compte de toutes les branches les plus minces et les plus éloignées de recettes et de dépenses ; il allait rechercher chaque nature de denier dans ses sources et origines, et, le suivant dans son cours, ne le perdait point de vue jusqu'à sa destination et son emploi. Dans cette poursuite minutieuse et rigide, il suppléait, à force de travail, de sagacité et d'adresse, à ce que les méthodes de comptabilité avaient alors de compliqué et d'incomplet.

[8] Personnification de la rapine.

[9] SULLY, Mémoires, III, 263.

[10] Trésor de l'Etat.

[11] Voir l'excellent ouvrage de POIRSON, Histoire du règne de Henri IV, III, 100.

[12] Le Roi appelait familièrement le connétable de Montmorency son compère.

[13] Rente établie, assignée sur un fonds, un impôt.

[14] Mal en mes affaires.

[15] Etats provinciaux du Languedoc.

[16] Le profit que fait le fermier.

[17] Ainsi sur une imposition de 558.000 fr. payés par le taillable, les fermiers en prenaient 396.000. Elle va être portée à 900.000 fr., soit 342.000 fr. de plus.

[18] De Languedoc.

[19] Au Roi.

[20] Premier valet de chambre du Roi.

[21] SULLY, Mémoires, III, 229. — Année 1598.

[22] SULLY, Mémoires, IV, 61. — Année 1601.

[23] Ou chambre de justice, composée d'un président du Parlement de Paris et de deux conseillers, de deux maîtres des requêtes, d'un président et de quatre conseillers de la chambre des Comptes, d'un président et de trois conseillers de la Cour des Aides, de l'un des avocats généraux du Parlement, etc. — Il y eut encore sous Henri IV une chambre de justice en 1607, aussi peu utile que celle de 1601. En revanche Sully faisait arrêter à Milan et pendre un receveur général qui s'était enfui après avoir volé les deniers du Roi et fait banqueroute à ses créditeurs. — Quatre autres receveurs généraux furent obligés par Sully à restituer 1.600.000 livres (9.600.000 fr.). — Les recherches faites sur la fortune des financiers amenèrent une restitution de 3.600.000 livres (21.600.000 fr.), etc.

[24] Et des temps qui suivirent.

[25] Comme qui dirait aujourd'hui une popote.

[26] Dots.

[27] Commerce.

[28] Atelier.

[29] Métis.

[30] Sobriquet injurieux que l'on donnait aux bourgeois qui cherchaient à se faire passer pour gentilshommes.

[31] Il nous semble que les craintes de Sully se sont malheureusement réalisées.

[32] POIRSON, III, 112.

[33] L'économie ! dit Thomas. A ce nom sacré, tout Etat appauvri et accablé sous le poids de ses dettes doit tressaillir, comme un malheureux tressaille au nom d'une divinité bienfaisante... Rendons grâce à Sully, au nom de tous les peuples de l'univers, de ce qu'il a donné aux ministres cet exemple d'une économie courageuse ; et si cela nous est permis, faisons des vœux pour qu'un si grand exemple ne demeure pas inutile à la terre. — Ceci était dit en 1763, au moment de la honteuse paix de Paris, résultat du désordre financier de ce temps.

[34] Pièce d'argent sur laquelle était gravée la teste du Roi.

[35] Petite pièce de cuivre, valant le quart d'un denier. Le sou (6 sous d'aujourd'hui) se divisait en 12 deniers ; la pite valait donc un peu plus d'un demi-centime d'aujourd'hui.

[36] MATHIEU, Histoire de Henri IV, cité par Poirson.

[37] POIRSON, III, 123.

[38] Ces deniers extraordinaires provenaient du produit du domaine, des droits perçus sur les titulaires lors de la création de nouvelles charges ; des droits de scel et d'enregistrement, auxquels étaient soumis tous les actes passés devant notaire ; des amendes, etc.

En résumé, en treize ans (de 1597 à 1610), le surintendant rébarbatif avait acquitté pour 100 millions de livres de dettes, 600.000.000 fr.

Remboursé 5.000.000 de livres de rentes (30.000.000 de fr.), représentant un autre capital de 100.000.000 de livres, 600.000.000 fr.

Racheté ou repris pour 35.000.000 de livres de domaines, 210.000.000 fr.

Mis en réserve 43.138.490 livres d'argent comptant, 258.830.940 fr.

Soit 278.000.000 de livres ou 1.668.830.940 fr.,

à force d'ordre, de probité, d'économie, de sage administration et de fermeté envers les courtisans et les quémandeurs, et encore en diminuant les impôts.

[39] Claude Groulard, dans ses Mémoires, dit que le Roi paya 6.477.596 écus (116.595.528) aux chefs de la Ligue. Il en donne le détail : nous citerons quelques paiements :

Au maréchal de Brissac, pour la ville de Paris, 492.000 écus (8,856.000 fr.) ;

A l'amiral de Villars, pour les villes de Rouen et du Havre, 715,400 écus (12,877.200 fr.), somme que Sully ne voulait pas payer (voir page 63) ;

Au duc de Guise et à sa mère, 629.500 écus (11,331.000 fr.) ;

Au duc de Mayenne, 820.000 écus (14.760.000 fr.) ;

A monsieur d'Elbeuf, 209.833 écus (3.776.994 fr.) ;

A monsieur de Nemours, 220.000 écus (3.960.000 fr.) ;

Au maréchal de Joyeuse, 372.000 écus (6.696.000 fr.) ;

A monsieur d'Epernon, 125.000 écus (2.250.000 fr.) ;

Au maréchal de la Châtre, pour Orléans et Bourges, 250.000 écus (4.500.000 fr.) ;

Au duc de Lorraine, 900.000 écus (16.200.000 fr.), etc.

[40] Maurice était lui-même l'élève de Coligny et de nos meilleurs capitaines français du XVIe siècle.

[41] On appelait chez nous les piquiers des abatteurs de noix.

[42] Voir l'Avis sur une milice française, dans le t. II, p. 884, des Mémoires de Du Plessis-Mornay, édit. 1625, in-4°. Une grande partie de ce qu'a établi Henri IV est indiquée dans ce remarquable Mémoire, dont la date est 1597.

[43] Suisses (6.000), Lansquenets, Corses, Wallons.

[44] La cavalerie n'est encore, dans les camps de manœuvres, que le sixième de l'effectif des troupes.

[45] Gardes françaises, Picardie, Champagne, Piémont, Navarre, Corse, Auvergne (qui n'a pris ce nom qu'en 1635) et six autres qui portaient le nom de leur colonel.

[46] Les carabins forment quelques compagnies, telle que les carabins de la garde. Ils sont généralement répartis dans les compagnies de chevau-légers et mêlés avec eux.

[47] Lettres de Henri IV, dans les Mémoires de Sully, IV, 855 et 858.

[48] Au siège de Laon, en 1594, elle fit merveille.

[49] Les ligueurs qui l'avaient conservée s'en trouvèrent fort mal.

[50] L. DE MONTGOMMERY, la Milice française.

[51] Cavaliers d'élite.

[52] HÉROARD, I, 270.

[53] L'arsenal de Lyon était l'un des principaux.

[54] SULLY, Mémoires, VI, 381.

[55] SULLY, Mémoires, V, 213 ; IV, 94, 162, 219.

[56] Parmi les voleurs, on peut citer, je crois, certains capitaines de galères qui avaient vendu leurs canons.

[57] En 1608, Châtillon levait la carte de la frontière de Champagne. (SULLY, Mémoires, VII, 401.)

[58] Son livre, la Fortification démontrée et réduite en art, est de 1594.

[59] La citadelle d'Amiens, Calais, Grenoble, Toulon, Marseille.

[60] Voir la planche qui se trouve dans les Travaux de Mars.

[61] La solde, les montre, se payèrent aussi avec une régularité parfaite (Lettres de Henri IV, IV, 828, 849).

[62] SULLY, Mémoires, III, 195.

[63] Lettre de Henri IV au connétable, du 19 avril 1598.

[64] Traité de la Police, liv. IV, titre 12, ch. 2. — SULLY, Mémoires, V, 412.

[65] Paysans révoltés.

[66] MICHELET.

[67] Sully fit construire et armer plusieurs galères sur la Méditerranée, et quelques vaisseaux sur l'Océan, pour protéger nos côtes et notre commerce contre les pirateries des Anglais, des Espagnols et des Barbaresques.

[68] La source principale de ce chapitre est l'Histoire de Henri IV par POIRSON.

[69] Une carte de l'Atlas de Sanson d'Abbeville donne l'état des routes de poste en 1632. Le réseau est à peu près semblable à notre premier réseau de chemins de fer. Il y a trois grands centres : Paris, Lyon, Bordeaux : 1° De Paris partent 8 routes allant : à Amiens et Calais ; — à Péronne et Bruxelles ; — à Châlons, Nancy et Bâle ; — à Dijon et Lyon ; — à Briare, Nevers et Lyon ; — à Orléans, Limoges et Bordeaux, avec embranchements d'Orléans à Bourges et Clermont, et de Limoges à Toulouse ; — à Chartres, Blois et Bordeaux avec embranchement sur la Rochelle ; — d'Orléans une route suit la Loire jusqu'à Nantes. — 2° De Lyon partent 6 routes allant : à Genève ; — à Turin ; — à Grenoble et Embrun ; — à Valence, Avignon, Aix et Antibes, avec embranchement sur Narbonne et Salces, alors place forte frontière importante ; — à Toulouse ; — à Limoges ; — 3° de Bordeaux partent deux routes allant l'une à Saint-Jean-de-Luz, l'autre à Toulouse et Narbonne.

[70] J'ai encore vu quelques Rosnis, en 1831 et 1832, à Vermanton près d'Auxerre, sur la route de Paris à Lyon. On les appelait toujours des Rosnis.

[71] TALLEMANT DES RÉAUX, I, 115.

[72] Histoire du règne de Henri IV.

[73] Le Loing a été canalisé depuis.

[74] Gazette de France, 1641, page 176.

[75] Grande voiture attelée de six chevaux. Les coches ont été remplacés depuis par les diligences.

[76] Cité par M. Poirson, III, 465.

[77] Il y avait aussi des coches sur les rivières.

[78] A cause de.

[79] Métairies.

[80] Département de l'Ardèche.

[81] Ecclésiaste, V, 8.

[82] Honoré d'Urfé, dans sa dédicace de l'Astrée à Henri IV, tient le même langage, en 1610.

[83] On a attendu deux siècles avant de mettre l'observation d'Olivier de Serres à profit, et de fabriquer du sucre de betterave.

[84] En 1804, la Société d'agriculture du département de la Seine publia une belle et bonne édition du Théâtre d'agriculture en 2 vol in-4°. — On a élevé à Olivier de Serres une statue, en 1858, à Villeneuve-de-Berg. — Voir sur Olivier de Serres l'ouvrage de M. H. Vaschalde, 1886, in-8°.

[85] L'achat des soieries italiennes et de la soie brute destinée aux fabriques de Tours et de Lyon faisait sortir du royaume pour 12 millions de livres (72 millions de francs) par an.

[86] Mémoires, édit. Petitot, V, 65-66.

[87] Pour la teinture.

[88] Sur les habillements, les maisons et l'ameublement.

[89] MATHIEU, Histoire des années de paix.

[90] Le prix du setier de blé qui était de 9 livres 16 sols (57 fr. 80), avant 1601, monta à 17 livres (102 fr.) pendant le régime de la liberté ; il retomba ensuite à 10, 9, 8 et 7 livres.

[91] Océan et Méditerranée.

[92] THOMAS, Eloge, p. 342-343, note.

[93] Et il avait bien raison : on sait ce que devint la noblesse à Versailles, sous Louis XIV et Louis XV ; on sait aussi quelles désastreuses conséquences eut, pendant ce temps, l'absentéisme pour nos campagnes.

[94] Page XLV.

[95] PIERRE CLÉMENT, Portraits historiques, Paris, 1855, in-8°, p. 495, 496, 500.

[96] C'est en 1604 que commence l'affaire de la Valteline, qui prendra tant d'importance pendant le règne de Louis XIII. Dès lors le comte de Fuentès, gouverneur du Milanais, essayait de forcer les Grisons à rompre leur alliance avec la France et Venise, afin de pouvoir disposer librement de la communication que la Valteline établissait entre le Milanais et le Tyrol, et permettre aux armées espagnoles d'entrer facilement en Allemagne. Bien renseigné par nos agents près les Grisons et la seigneurie de Venise, Sully comprit dès l'origine l'importance de la Valteline et soutint les Grisons. (Mémoires, V, 416.)

[97] SULLY, Mémoires, V, 65, 131, 139 ; VI, 163 ; VII, 32, 33, 87, 293, 326 ; VIII, 183, 317 (édit. Petitot.)

[98] Les trois religions admises en Europe sont : le catholicisme, le protestantisme et le calvinisme.

[99] Tome IV, p. 107-109.

[100] C'est-à-dire aux Pays-Bas espagnols, qui comprenaient la Belgique d'aujourd'hui avec nos départements du Nord et du Pas-de-Calais.

[101] Voir l'ouvrage de BERGER DE XIVREY, Tradition française d'une confédération de l'Italie, Rapprochement historique (1609-1859). In-8°, 1860.

[102] Réduit la maison d'Autriche à ne posséder que l'Espagne.