LE CARDINAL DE RICHELIEU - ÉTUDE BIOGRAPHIQUE

 

CHAPITRE IV. — LE SECOND MINISTÈRE.

 

 

(1624-1642)

 

Nous ne voulons pas entreprendre ici de raconter en détail l'histoire du ministère de Richelieu ; nous nous contenterons d'indiquer les principaux faits et d'en donner une rapide analyse, destinée à servir de base à l'étude du caractère, des goûts et de la vie privée du Cardinal, qui fait l'objet de ce livre.

1624. Devenu ministre, Richelieu changea brusquement les allures de la politique extérieure : revenant à la tradition de Henri IV, il soutint la Hollande contre l'Espagne, et prit Mansfeld et ses bandes à la solde de la France ; il les envoya au secours des princes protestants allemands vaincus par l'Autriche, et résolut de terminer l'affaire de la Valteline au profit de la France et de ses alliés.

On a prétendu qu'aussitôt arrivé aux affaires, le cardinal de Richelieu avait écrit à l'ambassadeur de France à Rome une lettre ainsi conçue : Le Roi a changé de Conseil, et le ministère de maxime ; on enverra une armée dans la Valteline, qui rendra le Pape moins incertain et les Espagnols plus traitables. Cette lettre est fausse. C'est Saint-Évremond qui a publié le premier ce document, en disant cependant que ces quelques lignes étaient le sens et non pas le texte même de la lettre du Cardinal. Voltaire, dans son Essai sur les mœurs, publia à son tour ces quatre lignes, mais comme étant le texte de la lettre de Richelieu, qui n'a jamais écrit, en parlant du Pape, de cette façon impertinente[1].

1625-1626. Dès son entrée au ministère, Richelieu eut en effet à s'occuper de la Valteline, vallée supérieure de l'Adda, qui sépare le Tyrol du Milanais. Elle appartenait alors aux Grisons, alliés de la France à laquelle ils fournissaient de nombreux et bons soldats. Depuis longtemps l'Espagne, qui possédait le Milanais, et l'Autriche, qui était maîtresse du Tyrol, cherchaient à s'emparer de la Valteline, afin de joindre leurs possessions et d'ouvrir ainsi une entrée aux Autrichiens en Italie. Richelieu, comprenant toute la gravité de l'occupation de la Valteline par l'Autriche, s'y opposa, envoya des troupes qui traversèrent la Suisse et allèrent occuper la Valteline. Les Autrichiens furent forcés de se retirer, et, en 1626, le traité de Monçon assura les droits des Grisons.

En même temps que le Cardinal envoyait des troupes dans la Valteline, d'accord avec la Savoie, il faisait attaquer la république de Gênes, dont le gouvernement était aux ordres de l'Espagne. La Savoie devait obtenir une partie du territoire génois et nous secondait à ce prix. Lesdiguières battit les Génois ; mais la révolte des huguenots força le Cardinal à renoncer à tous ses projets contre l'Espagne, et Lesdiguières, qui allait commencer le siège de Gênes, fut rappelé en France.

Le but de Richelieu était d'affranchir du joug de l'Espagne l'Italie entière, duchés et papauté, mais en conservant les petits États. Ce n'est pas lui qui aurait eu l'idée antifrançaise d'établir un grand État ennemi de la France sur notre frontière des Alpes et sur la Méditerranée.

En 1625, pour commencer la guerre de la Valteline et agir contre l'Espagne et le Pape, le cardinal de Richelieu avait convoqué, à Fontainebleau, une assemblée de Notables, qui avaient approuvé ses projets. En 1626, pour terminer cette guerre, il réunit de nouveau les Notables, à Paris, afin d'avoir l'appui de l'opinion pour résister aux attaques du parti espagnol, qui trouvait encore dans Marie de Médicis et sa cabale, et dans les restes de la Ligue, des alliés puissants, dont la haine se manifestait par de nombreux pamphlets et par des provocations adressées aux huguenots pour les engager à se soulever contre Louis XIII et son ministre.

On ne saurait passer sous silence cette partie des lettres de convocation adressées aux Notables : Richelieu faisait dire au Roi :

Nous protestons devant le Dieu vivant que nous n'avons d'autre but et intention que son honneur et le bien de nos sujets : nous conjurons, en son nom, ceux que nous convoquons et très expressément leur commandons, que, sans crainte ou désir de déplaire ou complaire à personne, ils nous donnent, en toute franchise et sincérité, les conseils qu'ils jugeront, en leur conscience, les plus salutaires et convenables au bien de la chose publique.....

Le mécontentement de Marie de Médicis contre Richelieu date de l'affaire de la Valteline, c'est-à-dire de l'adoption par le gouvernement de la politique anti-espagnole. Le Cardinal calma pour un moment l'irritation de la Reine-Mère en mariant Henriette de France avec le prince de Galles, qui devait être Charles Ier, roi d'Angleterre. Toutes les filles de Marie de Médicis étaient royalement mariées : Élisabeth était reine d'Espagne ; Christine, duchesse de Savoie ; Henriette devait être reine d'Angleterre.

Au moment où Richelieu attaquait l'Espagne en Italie, les protestants, toujours prêts à la révolte, se soulevèrent (1625) sous la conduite de Rohan et de Soubise, à la Rochelle et en Languedoc, faisant ainsi une puissante diversion en faveur de l'Espagne. Richelieu, n'étant pas assez fort pour mener ces deux guerres de front, renonça à assiéger Gênes et fit la paix avec MM. de Rohan et de Soubise, attendant que le moment d'agir avec vigueur fût venu. La faction espagnole se déchaîna contre cette paix, qu'on déclarait être une trahison envers l'Église : les pamphlets appelaient Richelieu un cardinal d'État, le cardinal de la Rochelle, le patriarche des athées, etc. Il les laissa dire et se prépara à la lutte.

Déjà en 1614 les États-Généraux avaient demandé que le Roi fît démolir les fortifications des villes et les châteaux-forts inutiles à la défense de la France. Les États de Bretagne renouvelèrent en 1626 cette demande, qui reçut une satisfaction immédiate. Presque toujours, dans ses commencements, nous voyons Richelieu agir sous l'impulsion de l'opinion publique, manifestée par les États-Généraux, par les Notables ou par les États provinciaux ; c'est encore sur la demande des États-Généraux qu'il supprimera la charge de connétable et l'amirauté, suppressions nécessaires pour réorganiser l'armée et créer la marine. Une ordonnance royale déclara que l'on raserait toutes fortifications de villes et châteaux-forts inutiles à la défense des frontières et propres seulement à servir de retraites aux perturbateurs de la paix publique, non seulement dans la Bretagne, mais par toute la France. Cette mesure allait ruiner l'autorité des grands seigneurs toujours prêts à la révolte, comme aux temps féodaux, et permettre enfin à l'ordre de s'établir. Les campagnes ne s'y trompèrent pas et accueillirent avec joie l'ordonnance de Louis XIII.

Les finances, à l'arrivée de Richelieu aux affaires, étaient dans le plus déplorable état : il fallait faire cesser les voleries de toutes sortes qui se commettaient.

Dès 1624, Richelieu s'était montré rigoureux envers les financiers, dont la malhonnêteté était d'autant plus grande que l'impunité leur était assurée depuis la mort de Henri IV et la retraite de Sully. Cependant les États-Généraux de 1614, dans lesquels Richelieu avait joué un rôle important, avaient demandé la création d'une chambre de justice destinée à faire rendre gorge aux traitants et à mettre un terme à leur rapacité. Le nouveau ministre établit cette chambre de justice, qui fit payer aux financiers environ 11 millions de livres ; plusieurs furent sévèrement punis, l'un d'eux fut exécuté pour crime de péculat. Tous les dix ans une pareille chambre de justice devait être rassemblée.

En 1626, le Cardinal remit au Roi un mémoire[2] destiné à lui faire connaître que le revenu, qui était seulement de 15 millions de livres[3] à son arrivée au ministère, s'élevait alors à 20 millions[4], par l'augmentation des fermes et par la manière sévère dont on forçait les fermiers à rendre leurs comptes, tous réclamant de l'argent au Trésor quand c'étaient eux qui en devaient. Le Cardinal assurait le Roi que dans cinq ans il aurait encore plus de 10 millions de livres de revenu qu'il n'avait alors, si S. M. lui conservait sa protection et le défendait contre les cabales de la Cour et contre ceux qui profitaient des abus.

Déjà, en effet, cabales et complots se formaient contre Richelieu. Soutenir les intérêts de la France contre la maison d'Espagne à l'extérieur, détruire les abus à l'intérieur, étaient des actes intolérables pour la faction espagnole. Marie de Médicis, Gaston et leurs partisans commencèrent à conspirer contre le  Cardinal dès 1626. Le maréchal d'Ornano fut arrêté et enfermé à Vincennes ; le comte de Chalais fut décapité pour avoir voulu assassiner Richelieu, qui reçut alors du Roi la permission d'avoir des gardes afin de protéger sa personne.

En 1626, Richelieu fut nommé grand-maître et surintendant général de la navigation et du commerce. Cette charge, créée pour lui, remplaçait celle d'amiral. Comme le connétable, l'amiral avait des pouvoirs très étendus ; il était à la fois le ministre de la marine et le chef des armées navales. Le grand-maître fut ministre seulement, et le Roi donna à qui il voulut le commandement de la flotte. Plus tard (1631), Richelieu fut nommé gouverneur de Bretagne. Le gouverneur de cette province avait divers droits qui entravaient l'autorité du ministre. Richelieu, à la fois grand-maître et gouverneur de Bretagne, fit disparaître ces droits et régla la question[5]. En 1635, il devint général des galères et lieutenant-général du Roi ès-mers du Levant, en forçant Pierre de Gondi à lui vendre cette charge 500.000 livres. Toute l'autorité sur la marine se trouva ainsi entre les mains du Cardinal.

Il est remarquable que l'homme dont nous écrivons la biographie, et qui passe pour le ministre le plus despote qui ait gouverné la France, n'a jamais agi, dans les grandes affaires, que d'après le vœu de la nation, d'après le désir ou le consentement formellement exprimés des États-Généraux ou des assemblées des Notables. Tous ses projets sur la marine furent soumis aux Notables de 1626 et approuvés par eux.

Il n'y avait plus de marine, et, depuis longtemps, tout manquait, tout était à créer.

Ç'a été, jusqu'à présent, dit-il[6], une grande honte que le Roi, qui est l'aîné de tous les rois chrétiens, ait été, en ce qui est de la puissance de la mer, inférieur aux moindres princes de la chrétienté. S. M., voyant le mal qui en arrivait à son royaume et à ses sujets, s'est résolue d'y mettre ordre, en se rendant aussi puissante en mer comme elle l'est en terre. Sans cette résolution, il ne fallait plus faire état d'aucun trafic. Les sujets du Roi étaient tous les jours non seulement privés de leurs biens, mais de liberté. Nos voisins pensaient avoir droit de nous vendre leurs denrées à leur mot et prendre les nôtres pour ce que bon leur semblait. Maintenant ces misères cesseront, S. M. s'étant résolue d'entretenir 30 bons vaisseaux de guerre pour tenir les côtes nettes, ses sujets dans les bornes où ils doivent demeurer, et ses voisins en la considération qu'ils doivent avoir d'un si grand État.

Nous n'avons aucune idée de nos jours de ce qui se passait jadis sur nos côtes, des ravages des pirates et des corsaires. Les mers de Chine seules en donnent encore aujourd'hui le spectacle. Tous les jours, dans la Méditerranée, les Barbaresques débarquaient, pillaient, tuaient, incendiaient et emmenaient des prisonniers qu'ils réduisaient en esclavage.

Ce royaume, étant destitué comme il est de toutes forces de mer, en est impunément offensé par nos voisins, qui, tous les jours, font des lois et ordonnances nouvelles contre nos marchands, les assujettissant de jour en jour à des impositions et à des conditions inouïes et injustes ; pillent nos vaisseaux et prennent nos hommes sous divers vains prétextes : l'Angleterre, sous celui qu'ils portent du blé en Espagne ; les Dunkerquois, qu'ils en portent en Hollande ; les Hollandais, plus audacieusement encore, s'entendent avec les infidèles, et souvent, après nous avoir volés, prennent des turbans pour feindre qu'ils sont Turcs ; outre que nos voisins, qui sont forts sur mer, peuvent quand ils voudront porter la guerre en quelque partie qu'il leur plaira de cet État ; qu'il n'y a royaume si bien situé que la France, et si riche de tous les moyens nécessaires pour se rendre maître de la mer ; que pour y parvenir il faut voir comme nos voisins s'y gouvernent, faire de grandes compagnies, obliger les marchands d'y entrer, leur donner de grands privilèges comme ils font[7].

Dès 1629, le Cardinal écrivait qu'il ne souffrirait plus que les Anglais visitassent les bâtiments français[8].

Mais sa pensée est tout entière dans les belles pages de son Testament politique que nous mettons sous les yeux du lecteur : il veut que le Roi soit en mesure de se défendre contre l'Angleterre, l'ennemie permanente.

Jamais, écrit-il, un grand État ne doit être au hasard de recevoir une injure sans pouvoir en prendre revanche. Et partant, l'Angleterre étant située comme elle est, si la France n'était puissante en vaisseaux, elle pourrait entreprendre à son préjudice ce que bon lui semblerait, sans crainte de retour. Elle pourrait empêcher nos pêches, troubler notre commerce, et faire, en gardant les embouchures de nos grandes rivières, payer tel droit que bon lui semblerait à nos marchands. Elle pourrait descendre impunément dans nos îles et même sur nos côtes. Enfin, la situation du pays natal de cette nation orgueilleuse, lui ôtant tout lieu de craindre les plus grandes puissances de la terre, à ne point traverser la mer ; et l'ancienne envie qu'elle a contre ce royaume lui donnerait apparemment lieu de tout oser, lorsque notre faiblesse nous ôterait tout moyen de rien entreprendre à son préjudice.

L'insolence qu'elle fit, du temps du feu Roi, au duc de Sully oblige à se mettre en état de n'en plus souffrir de pareille. — Ce duc, choisi par Henri le Grand pour faire une ambassade extraordinaire en Angleterre, s'étant embarqué à Calais, dans un vaisseau français, qui portait le pavillon de France au grand mât, ne fut pas plus tôt à mi-canal, que rencontrant une roberge qui venait pour le recevoir, celui qui la commandait fit commandement au vaisseau français de mettre le pavillon bas. Ce duc, croyant que sa qualité le garantirait d'un tel affront, le refusa avec audace ; mais ce refus étant suivi de trois coups de canon tirés à boulets, qui, perçant le vaisseau, percèrent le cœur aux bons Français, la force le contraignit à ce dont la raison le devait défendre, et quelque plainte qu'il pût faire, il n'eut jamais d'autre raison du capitaine anglais, sinon que comme son devoir l'obligeait à honorer sa qualité d'ambassadeur, il l'obligeait aussi à faire rendre au pavillon de son maître l'honneur qui était dû au Souverain de la mer...

L'utilité que les Espagnols, qui font gloire d'être nos ennemis présents, tirent des Indes, les obligeant d'être forts à la mer Océane, la raison d'une bonne politique ne nous permet pas d'y être faibles ; mais elle veut que nous soyons en état de nous opposer aux desseins qu'ils pourraient avoir contre nous, et de traverser leurs entreprises. Si V. M. est puissante à la mer, la juste appréhension qu'aura l'Espagne de voir attaquer ses flottes, unique source de sa subsistance, qu'on ne descende sur ses côtes, qui ont plus de 600 lieues d'étendue, qu'on ne surprenne quelques-unes de ses places maritimes, toutes faibles et qui sont en grand nombre ; cette appréhension, dis-je, l'obligera à être si puissante sur la mer, et à tenir ses garnisons si fortes, que la plus grande partie du revenu des Indes se consommera en frais pour conserver le tout ; et si ce qui lui restera suffit pour conserver ses États, au moins aura-t-on cet avantage qu'il ne lui donnera plus moyen de troubler ceux de ses voisins, comme elle a fait jusqu'à présent...

Il semble que la nature ait voulu offrir l'empire de la mer à la France, pour l'avantageuse situation de ses deux côtes, également pourvue d'excellents ports aux deux mers, Océane et Méditerranée...

Richelieu créa une marine avec ce qu'il trouva en France et ce qu'il acheta à l'étranger, en Hollande, en Moscovie. Il eut de bons amiraux : le cardinal de Sourdis[9], homme d'exécution en toutes choses, et son petit-neveu, M. de Brézé. Duquesne était déjà l'un des meilleurs officiers de la flotte et fort apprécié du Cardinal. Les Espagnols furent battus en toutes rencontres. Malheureusement Mazarin laissa périr cette belle marine, et il fallut plus tard que Colbert recommençât l'œuvre de Richelieu.

En même temps qu'il créait la marine, il créait aussi de grandes compagnies de commerce, à l'exemple des Hollandais ; il fondait nos colonies. En 1632, il forçait les Anglais à nous restituer le Canada dont ils s'étaient emparés en 1628. Il déclarait que tout Indien de cette colonie qui se convertirait au christianisme serait considéré comme citoyen français et, comme tel, pourrait venir en France et y être traité comme Français. — Il donna toute son attention à nos anciens établissements sur la côte de l'Algérie, le Bastion de France, la Calle, le Cap Nègre, où l'on pêchait le corail : on les fortifia, et il fut même question de fonder un établissement en Tunisie[10].

Les premiers comptoirs français dans l'Inde remontent à 1624. On s'établit, dans la Guyane, à Sinamary en 1624, à Cayenne dix ans plus tard ; — à Saint-Louis du Sénégal, en 1626 ; — dans les Petites-Antilles (Saint-Christophe, la Martinique, la Guadeloupe), en 1635[11] ; — dans l'île de la Tortue, sur la côte septentrionale de Saint-Domingue, en 1636 ; — en 1642, dans l'île Bourbon et à Madagascar (fort Dauphin).

Les colons étaient, comme au XIVe siècle, des Dieppois et des Rouennais. Saint-Malo se joignit à ce mouvement de colonisation, que Richelieu encourageait et provoquait à l'aide de la Gazette[12] ; mais il faut reprendre la suite des événements et terminer cette digression en disant que la nouvelle marine servit fort utilement dans la guerre de la Rochelle.

1627. Cette année, un nouveau soulèvement des protestants amena le siège de la Rochelle, centre de leur puissance. C'était alors une très grande place forte, la plus importante peut-être de l'Europe et le foyer d'un riche commerce maritime. Le Cardinal dirigea les opérations. L'armée, de 25.000 hommes, abondamment pourvue de vivres et de vêtements, fut soumise à une telle discipline qu'elle ressemblait, dit Richelieu, à un couvent bien réglé. Lui-même était secondé par les évêques de Maillezais[13], de Mende et de Nîmes, par l'abbé de Marcillac, le P. Joseph et quelques capucins. Ces prêtres, hommes de guerre et administrateurs, surveillaient les trésoriers et les fournisseurs, payaient directement les soldats, enlevant aux capitaines le maniement des fonds de la solde et le moyen de voler leurs hommes et l'État[14].

Les Anglais, qui étaient venus au secours des Rochellois, furent battus dans l'île de Ré par le maréchal de Schomberg, qui annonça ainsi sa victoire : Sire, j'ai fait en un même jour la descente en Ré, vu lever le siège[15], et défait et chassé l'armée anglaise. Le port de la Rochelle fut fermé aux flottes anglaises par une digue que le Cardinal fit construire en pleine mer ; la ville fut entourée de lignes de circonvallation de 16 kilomètres d'étendue. La place était imprenable autrement que par la famine et se défendit longtemps. Louis XIII, fatigué et ennuyé de ce long blocus[16], laissa le commandement à Richelieu en lui donnant les pouvoirs les plus étendus, avec le titre de général de l'armée du Roi devant la Rochelle et provinces circonvoisines.

Excepté ses aides de camp tirés du clergé, quelques rares généraux et quelques officiers, tout le monde n'avait dans le service qu'une mollesse et une lenteur qui étonnaient et irritaient le Cardinal ; il avait beau les presser, les exciter, beaucoup n'apportaient pas plus d'activité à l'accomplissement du devoir. C'était alors comme de nos jours : aller ferme de l'avant et sans relâche est le privilège de quelques généreux esprits, intelligents et dévoués ; le reste est toujours disposé à prendre la moindre difficulté pour une impossibilité.

Pendant toute sa vie, Richelieu ne trouva pas de plus grande difficulté à vaincre que de faire marcher les généraux, de les décider à agir et à accomplir entièrement leur lourde tâche. Pour réussir, il faut que Louis XIII soit présent et ordonne. Le Cardinal l'accompagne, veillant sur tout, pressant tout le monde, et sans cesse, ne craignant pas de dépenser ce qui est nécessaire, et ordonnant une fois de faire une chose à graisse d'argent[17].

Au siège de Corbie (1636), il écrit qu'il a été chasse-avant, c'est-à-dire, ajoute-t-il, capable de faire en un jour, par diligence, ce qui d'ordinaire ne se fait qu'en deux ou trois. Au siège du Câtelet, il déploie la même activité. Quand la maladie l'empêche d'aller aux armées surveiller les opérations, il y envoie des hommes sur qui il peut absolument compter : M. de Marcillac, évêque de Mende, général des munitions du Roi, homme très actif[18] ; M. de Beauvau, évêque de Nantes, chargé surtout des approvisionnements[19] ; l'évêque d'Auxerre, avec mission de hâter les travaux du siège de Hesdin[20]. Un autre évêque est envoyé auprès du vieux maréchal de Châtillon devenu immobile[21].

Richelieu avait le génie de la guerre ; à coup sûr il eût fait un grand général. En 1639, il écrit au cardinal de la Valette, qui commandait avec beaucoup de succès l'une de nos armées : Souvenez-vous, je vous supplie, que la diligence, la fermeté aux résolutions et la hardiesse à exécuter sont l'âme des affaires de la guerre[22]. Toute l'essence de l'art de la guerre est dans ces quelques mots. Le Cardinal complète sa pensée dans un mémoire écrit en 1639[23]. Il examine toutes choses, prévoit tout, afin d'éviter d'être surpris par l'imprévu : c'est une excellente leçon pour l'exécution des détails du métier.

Son indignation éclate contre les chefs qui servent mal l'État, c'est-à-dire la France. En 1635, il écrit : Si M. d'Angoulême continue à faire ce qu'il fait, il se retirera enfin dans la France, et y lairra prendre les quartiers d'hiver à Galas ; auquel cas je ne saurais penser sans être hors de moi. Je voudrais de bon cœur que ceux qui en ont si peu, ou d'affection, comme il en fait paraître, fussent dans l'armée de Galas ; le Roi y gagnerait beaucoup[24].

En 1638, à propos de l'échec de Fontarabie, causé par les fautes graves commises par le duc de la Valette : Je prie Dieu de tout mon cœur que tous les mauvais Français puissent être connus et châtiés comme ils le méritent[25].

En 1641, M. de Saint-Preuil, gouverneur de l'Artois, fut décapité à Amiens, le 9 novembre. Il avait commis, dans cette province nouvellement conquise, des violences et des excès de toutes sortes, qui rendaient la domination française intolérable. Richelieu ne fit pas grâce à Saint-Preuil, qui était cependant l'un de ses amis. Il se contenta de faire mettre dans la Gazette les lignes suivantes :

Ce gentilhomme a eu cet avantage qu'il a été regretté du Roi et de Son Éminence, qui eût fait grande instance pour sa grâce, si les considérations de l'État ne prévalaient toujours en lui à ses affections particulières.

Il faut s'arrêter : d'ailleurs il nous semble que ce que l'on vient de lire suffit pour prouver la réelle valeur militaire du Cardinal. Il n'en est pas moins curieux cependant de voir notre armée moderne créée, organisée, disciplinée et commandée par des cardinaux, des évêques et des capucins.

Richelieu savait se faire obéir et n'entendait pas raillerie sur la discipline. Pendant le siège de la Rochelle, le 24 juin 1628, il écrivait au maréchal de Bassompierre :

Monsieur, cette lettre est pour savoir si vous prétendez que j'aie commandement en cette armée, ou non. Si vous le prétendez, vous obéirez, s'il vous plaît, à l'ordre que j'ai donné à M. de Rothelin[26], de prendre des chevaux qui sont en votre quartier pour aller querir des poudres à Saumur. Si votre prétention n'est pas telle, puisque celle du Roi est autre, vos pensées n'empêcheront pas que je sois obéi, ne désirant pas que la patience que j'ai eue en plusieurs occasions empêche en celle-ci que le service du Roi ne soit fait selon que le bien de ses affaires le requiert.

C'est celui qui a toujours été et veut être votre, etc.

Nous venons de montrer les qualités militaires du Cardinal ; il reste à faire connaître ce qu'il a fait pour l'armée. Disons tout d'abord qu'il a créé l'armée française moderne, qu'il l'a formée, à partir de 1635, par sept années de guerres sérieuses, et qu'il a la gloire, grande par-dessus toutes, d'en avoir fait l'armée de Rocroi.

C'est pendant son ministère qu'on a établi les unités tactiques modernes : le bataillon, l'escadron, la brigade. — Il lutta contre la vénalité des grades, cette plaie de l'armée, sans pouvoir l'abolir. — Il développa l'infanterie à ce point, qu'à sa mort il laissait 139 régiments. — Il créa la levée de la milice, cherchant ainsi à remplacer le racolage par un meilleur mode de recrutement. — Il organisa une excellente cavalerie, mais avec beaucoup de peine et après de longues luttes avec la noblesse indisciplinée qui composait surtout les régiments de cette arme. — En 1642, Louis XIII avait 140.000 hommes sous les armes.

La haute administration militaire est l'œuvre de Richelieu ; il créa le ministère de la guerre et les intendants généraux, chargés de la surveillance de tous les services, et les intendants d'armée, dont les principaux agents étaient les commissaires des guerres. Tous ces fonctionnaires étaient des civils, appartenant à la haute bourgeoisie, alors si instruite et si dévouée aux intérêts de l'État ; ils furent les instruments dont Richelieu se servit pour assurer l'exécution de ses ordres et l'accomplissement de ses réformes.

Il supprima la charge de connétable et fit rentrer les pouvoirs de ce personnage presque indépendant dans les attributions du ministre de la guerre.

Il organisa le service de la solde, — le service des vivres, — le service des étapes, — le service de santé. Il assura un asile aux soldats estropiés en établissant la commanderie de Saint-Louis, véritable hôtel des Invalides. — Il fonda les premières écoles militaires : l'une pour les jeunes gentilshommes, l'autre (l'académie de guerre), pour y envoyer des soldats, sans doute afin de les préparer à devenir de bons instructeurs dans les régiments[27]. — Louis XIII et le Cardinal ont des cartes, des plans, et en envoient aux généraux. Richelieu fait lui-même, à l'occasion, des plans de fortifications, de passages de rivières, de campements, des ordres de bataille, assez médiocres comme dessin, il est vrai[28].

Richelieu établit et maintint avec une main de fer la discipline dans l'armée : il força les officiers à obéir, à rester à leur compagnie ou à leur régiment, et à ne pas quitter leur poste devant l'ennemi. Il réprima sévèrement les excès des gens de guerre et leurs ravages dans les campagnes, sans parvenir cependant à détruire le mal, tant il était invétéré depuis deux siècles qu'il durait.

En un mot, Richelieu a fait, établi, organisé toutes ces belles institutions militaires dont on attribue ordinairement la création à Louvois, qui a trouvé toutes choses déjà faites, qui les a réorganisées, perfectionnées ; mais le véritable créateur est Richelieu.

Le Cardinal eut d'habiles généraux : le maréchal de Guébriant, le comte Henri d'Harcourt, le maréchal de Rantzau, le duc de Rohan, les deux maréchaux de Schomberg, le baron de Sirot, le maréchal de Toiras, et déjà Fabert, Turenne et Condé commençaient à se signaler. Sur ce point, comme sur tous les autres, les illustrations du règne de Louis XIV datent de l'époque de Louis XIII et de Richelieu et se forment dans ce milieu sévère, intelligent et d'une haute distinction.

Après la capitulation de la Rochelle, on rasa les fortifications de cette grande place et celles de Saint-Martin de Ré, autre place maritime, dont la citadelle, située en mer, passait pour être imprenable, mais qui, un jour, pouvait tomber au pouvoir des Anglais et devenir un second Calais. Vint ensuite le procès de M. de Rohan, qui fut condamné par contumace à être tiré à quatre chevaux. A ce propos Richelieu écrivit :

Il est bon que les grands sachent que tout ce qu'ils ont de grâce et de dignité et de prérogatives des rois ne leur sert de rien contre les rois, et ne les rend nullement considérables quand ils offensent les rois en la désobéissance et en la rébellion[29].

1629. Il restait, pour achever la défaite des protestants, à soumettre les Cévennes et le Languedoc ; mais une autre affaire était plus pressante, et Richelieu s'en occupa d'abord. A la fin de 1627 la succession du duché de Mantoue et du marquisat de Montferrat s'était ouverte par la mort du duc Vincent de Gonzague. Ces deux petits pays renfermaient les deux plus fortes positions militaires de la Haute-Italie, Mantoue et Casal, et il était essentiel qu'elles ne tombassent pas entre les mains d'un vassal de l'Espagne, c'est-à-dire au pouvoir de l'Espagne. La succession de Mantoue devait revenir incontestablement au duc de Nevers, Charles de Gonzague, qui prit possession du duché ; mais aussitôt l'Espagne suscita un compétiteur, le duc de Guastalla, qui fut soutenu par le duc de Savoie, auquel on promit de donner le Montferrat avec Casal.

Mais, pour s'emparer de ce pays, il fallait d'abord prendre Casal, qui fut bien défendu par des volontaires français commandés par M. de Guron. Une armée de 25.000 hommes, destinée à agir contre le duc de Savoie, fut rassemblée à Grenoble ; elle fut dirigée par Richelieu, qui déploya son activité habituelle et traversa les Alpes (le 1er mars 1629) au col du mont Genèvre, encore couvert des neiges de l'hiver. L'extrémité orientale du défilé, le pas de Suze, long d'un kilomètre et à peine large de vingt pas, était barricadé, coupé de fossés et défendu par 4.000 hommes. Créqui, Henri de Schomberg et Bassompierre, à la tête de la noblesse, les gardes françaises et suisses se jetèrent sur les barricades avec un admirable élan, pendant que les mousquetaires du Roi, gravissant les hauteurs et tournant la position, firent un feu plongeant sur ses défenseurs, qui prirent la fuite. Le duc de Savoie fut obligé de renoncer à ses prétentions sur le Montferrat, et Toiras fut envoyé à Casal avec 3.000 hommes.

Richelieu revint aussitôt d'Italie dans le Languedoc, et après avoir achevé la soumission des protestants, parla prise de Privas, il leur fit accorder l'édit d'Alais. Ils perdaient tous les privilèges politiques et militaires que leur avait accordés Henri IV et dont ils avaient fait un si mauvais usage ; l'État dans l'État était supprimé ; mais ils conservèrent toutes les libertés religieuses que leur assurait l'édit de Nantes.

Toutes les villes des Cévennes et du Languedoc furent démantelées, et le parti calviniste perdit ainsi le moyen de faire la guerre[30].

La question protestante réglée, Richelieu fut investi, par lettres patentes du Roi, en date du 21 novembre 1629, du titre de principal ministre de son État[31].

1630. A peine délivré de la présence des Français, le duc de Savoie rompit ses engagements et appela les Espagnols. Richelieu, en avril, marcha contre lui, avec le titre de général des armées du Roi : il commandait l'armée, monté sur un magnifique cheval, chapeau à plumes sur la tête, cuirasse sur la poitrine, épée au côté[32]. Il s'empara de Pignerol, qui donnait à la France une des portes de l'Italie, et, peu de temps après, le duc de Montmorency gagnait la brillante victoire de Veillane sur les Piémontais, les Espagnols et les Impériaux. Enfin, la succession de Mantoue fut réglée en 1630 : le duché de Mantoue et le Montferrat furent donnés au duc de Nevers, c'est-à-dire à un prince ami de la France.

L'année finit par un nouveau triomphe pour le Cardinal. Ce fut en vain que Marie de Médicis et la faction espagnole s'efforcèrent d'obtenir de Louis XIII le renvoi de son ministre. Le roi fut inflexible et le garda. Après sa défaite à la journée des Dupes, Marie de Médicis ne put se résigner à n'avoir plus d'autorité à la Cour et au Conseil, et, l'année suivante, elle quitta la France et se retira à Bruxelles, chez les Espagnols. Gaston se sauva en Lorraine, cherchant à soulever le souverain de ce pays contre Louis XIII.

1631. Débarrassés de la présence des amis de l'Espagne au sein même de la Cour, Louis XIII et Richelieu terminèrent les affaires d'Italie et firent alliance avec le roi de Suède, Gustave-Adolphe, contre l'Empereur.

En Italie, on signa les traités de Cherasco[33] : les Impériaux étaient chassés de la Valteline ; Mantoue et Casal étaient définitivement adjugés au duc de Nevers, notre allié ; le duc de Savoie cédait à Louis XIII Pignerol, une des portes de l'Italie, ce qui suffisait à la France, dont le Roi, disait Richelieu[34], ne veut en Italie que des portes.

Louis XIII, afin de pouvoir prendre part à la guerre de Trente-Ans, venait de s'allier avec Gustave-Adolphe. Vainqueur des Bohémiens et du roi de Danemark, l'empereur Ferdinand II était le maître de l'Allemagne, et la puissance de Charles-Quint se rétablissait. Richelieu résolut de s'y opposer, donna des subsides au roi de Suède, et lança sa redoutable armée sur l'Allemagne. Victorieux des Impériaux à Leipsick, sur le Lech et à Lutzen, Gustave fut tué à cette dernière bataille, et son meilleur général, Bernard de Weimar, fut battu à Nordlingen, en 1634. Nous verrons ce que fit Richelieu à ce moment décisif.

Cette même année 1631, le Cardinal fondait la Gazette de France, afin d'avoir un instrument de publicité à lui, et de pouvoir lutter contre les gazettes italiennes, les nouvelles à la main, les libelles et les calomnies lancées chaque jour contre lui et le gouvernement par les étrangers, par la faction espagnole et ses nombreux pamphlétaires.

Le 4 septembre 1631, le Roi accordait au Cardinal le titre de duc : sa terre de Richelieu était érigée en duché-pairie. Le lendemain, Richelieu était reçu comme duc et pair par le Parlement, toutes les Chambres assemblées. Le Cardinal y était venu en grand cortège, accompagné de Monsieur le Prince, des ducs de Chevreuse, Montmorency, Retz, Créqui, Ventadour et Montbazon, des maréchaux d'Estrées, Vitry et Effiat, et d'une foule de seigneurs[35].

La même année, la République de Venise, heureuse de l'affaiblissement de la puissance espagnole en Italie, décernait à Richelieu le titre fort recherché de Noble Vénitien[36].

1632. L'année est marquée par le commencement de la guerre avec le duc de Lorraine, guerre causée par les intrigues de Gaston, et qui valut à la France de précieuses acquisitions de territoires dans la Lorraine allemande, que nous avons perdues de nos jours.

On a aussi à mentionner l'exécution du maréchal de Marillac et celle du maréchal duc de Montmorency. Le premier, victime de la journée des Dupes, fut condamné comme concussionnaire ; le second, pour s'être soulevé, avec Gaston, contre l'autorité royale et s'être allié avec les Espagnols.

1633-1634. Après la défaite des Suédois à Nordlingen, Richelieu renouvela l'alliance avec Bernard de Weimar, qui passa avec son armée au service de Louis XIII. La France entrait directement en guerre contre l'Autriche et se préparait à la déclarer bientôt à l'Espagne.

Cette année, le Cardinal maria trois de ses cousines. Le duc de la Valette épousa mademoiselle de Pontchâteau ; Puylaurens, le favori du duc d'Orléans, épousa une sœur de la duchesse de la Valette, fut créé duc et reçut du Roi 100.000 livres comptant. On espérait gagner le favori et son maître, mais on se trompa[37]. Le comte de Guiche, depuis maréchal de France, épousa la troisième cousine du Cardinal, mademoiselle du Plessis-Chivray. Les fiançailles eurent lieu dans la chambre de la Reine, et les mariages furent célébrés, le 26 novembre, dans la chapelle du Petit-Luxembourg, par l'archevêque de Paris.

1635. Après s'être allié avec la Hollande et quelques petits princes italiens, Louis XIII déclara solennellement la guerre à l'Espagne. Le vieux cérémonial usité pour une déclaration de guerre fut employé pour la dernière fois en cette circonstance.

Un héraut d'armes fut envoyé à Bruxelles auprès du cardinal-infant, gouverneur des Pays-Bas, et se présenta, avec le trompette ordinaire du Roi, à la porte de la ville. On lui fit mille difficultés pour lui permettre de voir le cardinal-infant ; enfin, voyant qu'il ne pouvait obtenir l'audience qu'il demandait, notre héraut se décida à jeter sa déclaration sur la place publique, couverte de peuple. La déclaration de guerre était ainsi conçue :

Le héraut d'armes de France au titre d'Alençon soussigné, certifie à tous qu'il appartiendra, être venu aux Pays-Bas pour trouver le cardinal-infant d'Espagne de la part du Roi son maître, son unique et souverain seigneur, pour lui dire : Puisque vous n'avez pas voulu rendre la liberté à M. l'archevêque de Trèves, électeur de l'empire, qui s'était mis sous la protection de S. M., lorsqu'il ne la pouvait recevoir de l'Empereur ni d'aucun autre prince, et que, contre la dignité de l'empire et le droit des gens, vous retenez prisonnier un prince souverain qui n'avait point de guerre contre vous, S. M. vous déclare qu'elle est résolue de tirer raison par les armes de cette offense qui intéresse tous les princes de la chrétienté.

Les hérauts du cardinal-infant défendirent à la foule de toucher au papier, et le héraut d'armes de France s'en alla. Arrivé sur la frontière des Pays-Bas, au village de Rouilly, il y planta un poteau, y attacha sa déclaration et signifia à un paysan d'aller chercher le mayeur du village. Celui-ci étant venu, le héraut lui dit ce que contenait le placard attaché au poteau, et l'ayant vu aller, avec d'autres personnes, lire la déclaration de guerre, il fit faire au trompette les chamades accoutumées et rentra en France[38].

Richelieu mit sur pied huit armées et eut sous les armes 154.880 hommes, dont 30.000 pour les garnisons. On comptait 134.000 fantassins, 16.680 cavaliers et 4.200 dragons[39] : jamais la France n'avait eu de pareilles forces militaires et n'avait fait un pareil effort ; mais le but à obtenir en valait la peine, et il y avait dix ans que le Cardinal se préparait à l'œuvre qu'il entreprenait : Le but de mon ministère, dit -il, a été de rendre à la Gaule les frontières que lui a destinées la nature, d'identifier la Gaule à la France et de rétablir la nouvelle Gaule partout où a été l'ancienne, c'est-à-dire donner à la France ses limites naturelles du Rhin, des Alpes et des Pyrénées.

Pour y arriver, Richelieu s'allia avec les Hollandais, devant partager avec eux les Pays-Bas espagnols[40]. S'il ne réussit pas complètement sur ce point[41], il réunit au moins à la France l'Artois, la forte place d'Arras et quelques villes du Hainaut (Landrecies, Maubeuge), qui couvrirent notre vieille frontière de la Somme ; — à l'Est, avec les guerres de Lorraine, il s'empara de la Lorraine dite allemande, la réunit aux trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, et relia le tout à l'Alsace, qui amena la France jusqu'au Rhin ; — sur les Alpes, il nous donna Pignerol et avec cette ville une bonne entrée en Italie ; — au Sud, il s'empara du Roussillon et compléta ainsi notre frontière des Pyrénées.

Quand on commença cette longue guerre qui ne devait finir qu'en 1659, l'armée était mal organisée et indisciplinée. Louis XIII et Richelieu, à force de volonté et de sévérité, la transformèrent et en firent l'armée de Rocroi, qui enfin écrasa l'armée espagnole et mit la nôtre au premier rang. Les sept années de guerre contre l'Espagne, pendant le ministère de Richelieu, sont peu connues. Guerres de sièges et d'opérations sans importance stratégique, elles n'intéressent pas l'art militaire et ne figurent pas dans l'enseignement des écoles militaires ; on les laisse de côté et on arrive à Rocroi, comme si Rocroi eût été possible sans ces dures années de préparation, sans ces sièges et ces nombreuses batailles, dans lesquels l'armée a acquis les qualités qui font les bonnes troupes ; — comme si ces armées n'avaient pas été commandées par de grands généraux : Gassion, Guébriant, Rantzau, Fabert, Turenne, Sirot, le cardinal de la Valette, Rohan, La Meilleraye, le comte d'Harcourt.

La victoire d'Avein, dans le Luxembourg, due aux maréchaux de Châtillon et de Brézé, inaugura brillamment la guerre, et les contemporains se rendirent bien compte de la gravité et du caractère de la lutte qui s'engageait. Renaudot, dans sa Gazette[42], écrivait : Bref, tout s'apprête par mer et par terre pour décider de l'esclavage ou de la liberté de l'Europe.

Pendant qu'on se battait dans les Pays-Bas, les Espagnols recommencèrent leurs attaques contre la Valteline. Richelieu voulait être le maître de ces passages, qui rendaient la France l'arbitre de l'Italie, dit-il dans ses Mémoires ; il envoya le prince de Rohan occuper et défendre ce pays. Le prince y fit de belles campagnes, restées des modèles de la guerre en pays de montagnes, et battit plusieurs fois les Impériaux et les Espagnols ; mais la peste et le manque d'argent le forcèrent ensuite à l'inaction. Les Grisons se soulevèrent contre nous et signèrent avec les Impériaux un traité par lequel ceux-ci s'engageaient à laisser les Grisons maîtres de la Valteline à la condition d'en chasser les Français.

1636. Les Espagnols, profitant de la retraite des maréchaux de Châtillon et de Brézé en Hollande, avaient assiégé et pris Corbie, et, la Somme franchie, notre seule défense au Nord, Paris se trouvait menacé. Louis XIII et le Cardinal, aidés par le patriotisme des Parisiens, formèrent rapidement une armée et allèrent reprendre Corbie. Quoique malade, Richelieu se rendit au siège, et y déploya une prodigieuse activité.

Le gouverneur de Corbie avait lâchement capitulé, malgré la garnison qui voulait se défendre[43]. En même temps, les commandants de la Capelle et du Câtelet avaient aussi honteusement rendu leurs places. Le Cardinal résolut de punir ces officiers et de faire un nouvel exemple[44] ; ils furent condamnés à mort et écartelés en effigie[45]. Après la fuite hors du royaume des trois coupables, qui étaient parvenus à s'échapper, on rasa leurs châteaux ou leurs maisons. Les capitulations honteuses cessèrent à partir de ce jour[46].

Richelieu se montra toujours inexorable envers les capitulards : Ce sont, disait-il, des sentinelles qui ne font pas leur devoir[47]. Il alla jusqu'à dire, avec raison, que si quelqu'un dans une ville assiégée, ne veut pas faire son devoir, on doit le tuer[48].

Quelques faits achèveront de mettre en évidence le misérable état de l'armée à ce moment, et la grandeur du service que Richelieu a rendu à la France en lui créant, par sa fermeté, une armée digne de ce nom. En 1635, deux régiments de l'armée d'Allemagne avaient fait une infâme capitulation ; ils avaient rendu leurs armes et leurs enseignes pour conserver leur bagage. Il est nécessaire, écrivit le Cardinal[49], que le Roi mande à M. de la Force de les juger en conseil de guerre. La même année, à l'armée d'Allemagne, commandée par le maréchal de la Force, cent onze officiers ayant quitté leur régiment devant l'ennemi, sans permission, furent : les nobles, dégradés de noblesse et inscrits parmi les taillables ; les roturiers, envoyés aux galères.

Mais, en cette année 1636, Rantzau défendait glorieusement Saint-Jean de Losne contre Galas, le battait et le chassait après lui avoir tué 20.000 hommes et pris tous ses canons.

1637. Le cardinal de la Valette s'empara, dans le Hainaut, des places de Landrecies et de Maubeuge. — Le comte d'Harcourt reprenait aux Espagnols les îles de Lérins sur notre littoral de Provence. — Le maréchal de Schomberg gagnait l'importante bataille de Leucate sur les Espagnols.

1638. Notre allié, Bernard de Weimar, battit les Impériaux commandés par Jean de Verth à Rhinfeld, et, après un siège célèbre, pendant lequel il défit trois armées allemandes, il s'empara de Brisach, clef de l'Alsace et de la Souabe. — Pendant ce temps, le cardinal de Sourdis, brave et habile amiral, battait la flotte espagnole. — Mais, aux Pyrénées, le duc de la Valette qui, avec le prince de Condé, assiégeait Fontarabie, ayant par sa faute amené la levée du siège, fut accusé de trahison, jugé et condamné à mort. Heureusement pour lui, il put se sauver en Angleterre.

Cette année, au premier de l'an, madame de Combalet, nièce du Cardinal, qui venait de lui acheter la terre d'Aiguillon[50], fut saluée par Louis XIII du nom de duchesse d'Aiguillon et reçut du Roi le brevet qui lui conférait ce titre exceptionnel[51]. On a tant dit et tant répété que Louis XIII ne subissait qu'en maugréant le joug de Richelieu, qu'il est bon de reproduire le début des Lettres du Roi : Les grands et signalés services que nous a rendus, à nous et à cette couronne, notre cher et bien-aimé cousin le cardinal de Richelieu, nous donnent une telle satisfaction que nous nous sentons conviés non seulement à la lui faire connaître par toutes sortes de témoignages, mais encore à les étendre aux personnes qui lui appartiennent...

Madame d'Aiguillon, par son caractère, son intelligence, ses vertus, sa grande charité et l'amabilité de son esprit, était la nièce préférée du Cardinal et parfaitement digne de l'honneur insigne que le Roi lui faisait, sûr, par ce cadeau de jour de l'an, de satisfaire complètement son ministre si dévoué.

1639. Bernard de Weimar étant mort cette année, ses colonels entrèrent directement au service de la France, vendirent l'Alsace à Louis XIII et passèrent, en prenant le nom d'armée weimarienne, sous le commandement du maréchal de Guébriant. Richelieu donnait enfin le Rhin à la France.

A la fin de cette année, le Trésor était vide ; le surintendant des finances, M. de Bullion, disait : On est au fond du pot[52]. Le peuple, les taillables, le paysan surtout, étaient écrasés d'impôts ; de mauvaises mesures, iniques et intolérables, avaient fait éclater en Normandie la révolte des Nu-Pieds. Tout en blâmant les fautes qui avaient provoqué ce soulèvement[53], le Cardinal le réprima avec sa sévérité accoutumée.

Richelieu avait peu de pitié pour le peuple.

Tous les politiques, dit-il[54], sont d'accord que, si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir. Leur fondement est, qu'ayant moins de connaissance que les autres ordres de l'État beaucoup plus cultivés et plus instruits, s'ils n'étaient retenus par quelque nécessité, difficilement demeureraient-ils dans les règles qui leur sont prescrites par la raison et par les lois. La raison ne permet pas de les exempter de toutes charges ; parce qu'en perdant en tel cas la marque de leur sujétion, ils perdraient aussi la mémoire de leur condition, et que s'ils étaient libres de tributs, ils penseraient l'être de l'obéissance.

Il les faut comparer aux mulets qui, étant accoutumés à la charge, se gâtent par un long repos plus que par le travail. Mais, ainsi que ce travail doit être modéré, et qu'il faut que la charge de ces animaux soit proportionnée à leurs forces, il en est de même des subsides à l'égard des peuples : s'ils n'étaient modérés, lors même qu'ils seraient utiles au public, ils ne laisseraient pas d'être injustes.

La comparaison du peuple avec le mulet est bizarre et heurte toutes nos idées modernes ; mais Richelieu ne veut pas qu'on foule le mulet. Constamment il chercha à soulager le peuple, en diminuant les tailles et la gabelle, en réprimant les voleries des traitants, en supprimant beaucoup de dépenses inutiles et en autorisant la libre exportation des blés, ce qui permettait au paysan de vendre avantageusement son grain en ouvrant les marchés étrangers à ce commerce.

1640. La guerre se généralisa : on se battit dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Italie, sur mer ; le Portugal allait s'affranchir de la domination espagnole ; la Catalogne se souleva ; partout nos armes et celles de nos alliés allaient être victorieuses.

Aux Pays-Bas, le maréchal de la Meilleraye assiégea et prit Arras : le Roi et Richelieu avaient assisté aux opérations du siège. A son retour à Paris, le Cardinal avait célébré la messe à Notre-Dame, à l'autel de la Vierge, au milieu d'une incroyable concours de peuple venant admirer le prince de l'Église remerciant humblement Dieu des prospérités qu'il accordait aux armes de la France, après avoir montré tant de courage et de vigueur pour les obtenir[55].

L'illustre général suédois Baner venait de gagner sur les Impériaux la bataille de Chemnitz. Guébriant résolut de le joindre, traversa le Rhin à Bacharach, passage demeuré célèbre, et alla opérer sa jonction avec les Suédois à Erfurt. L'armée franco-suédoise faillit surprendre, à Ratisbonne, l'Empereur et la diète, qui eurent la chance de s'échapper.

En Italie, les Espagnols s'étaient emparés de plusieurs villes du Piémont, devenu notre allié ; ils avaient pris Turin, mais les Français avaient conservé la citadelle de la ville : le comte d'Harcourt arriva à leur secours. Il commença par battre l'armée espagnole qui assiégeait Casal et à délivrer cette ville, puis il se porta sur Turin qu'il attaqua. Bientôt il fut bloqué dans son camp par une nouvelle armée espagnole commandée par Leganez, gouverneur du Milanais. D'Harcourt était donc assiégeant et assiégé à la fois. L'habile capitaine sut se dégager : il battit Leganez, s'empara de Turin et délivra la garnison qui avait vigoureusement défendu la citadelle. Nos généraux commençaient à savoir leur métier, et les troupes devenaient de plus en plus solides. Le sentiment du devoir et de l'honneur se généralisait.

Pendant ce temps, l'amiral de Brézé gagnait, près de Cadix, une grande bataille sur la flotte espagnole. Les maréchaux de Châtillon, de Chaulnes et de la Meilleraye, après avoir pris Arras, commencèrent la conquête de l'Artois, qu'ils achevèrent dans la campagne suivante.

C'est aussi en 1640 que le Portugal, soumis à l'Espagne depuis Philippe II, reprit son indépendance, et que la Catalogne, province turbulente et toujours disposée à l'insurrection, se révolta. En 1642, elle se donna à Louis XIII, qu'elle reconnut comme comte de Barcelone et du Roussillon. On commençait à connaître, dit Fontenay-Mareuil dans ses Mémoires, que la puissance du roi d'Espagne, jusque-là si formidable et qui devait le porter à la monarchie universelle, n'était pas telle qu'elle paraissait, et que la France avait, tout au contraire, des ressources inépuisables et qu'on ne croyait point, provenant de l'union de toutes ses parties, de sa grande fertilité et du nombre infini de soldats qui s'y trouvent toujours ; de sorte qu'on peut dire sans exagération que la France, bien gouvernée, peut faire de plus grandes choses que tout autre royaume du monde.

Une armée aux ordres du maréchal de la Mothe-Houdancourt fut envoyée en Catalogne afin d'en chasser les garnisons espagnoles. Tarragone fut assiégé ; mais le cardinal de Sourdis ayant laissé entrer un secours dans la place, La Mothe fut obligé d'en lever le siège. Sourdis n'avait été vaincu que par le nombre ; cependant l'inexorable Richelieu disgracia son amiral favori. Il voulait forcer amiraux et généraux à vaincre quand même, et il le fallait, car l'enjeu était le salut ou la perte de la France.

1641. Guébriant battit Piccolomini à Wolfenbuttel, et l'année suivante remporta une grande victoire sur le fameux Mercy. — Cette année, le duc de Lorraine fut contraint de signer la paix de Saint-Germain et de céder à la France une partie de la Lorraine allemande[56]. Richelieu, sur tout le pourtour du royaume, acquérait un à un de nombreux territoires, avec lesquels il reculait les frontières, les rendait meilleures, plus fortes, en attendant qu'il pût les porter jusqu'aux limites naturelles.

Dès le mois d'août 1641, Richelieu commença les négociations du traité de Westphalie, qui ne devait être signé qu'en 1648. Mazarin, dont Richelieu avait fait son collaborateur, qui lui succéda au ministère et continua sa politique, partit avec quatre-vingts personnes pour Munster où les négociations allaient s'ouvrir.

En 1641, Richelieu maria[57] sa petite nièce, mademoiselle Brézé, avec un prince du sang, le duc d'Enghien, qu'on allait bientôt appeler le grand Condé ; il lui donna en dot quatre terres valant 600.000 livres.

1642. Louis XIII et le Cardinal concentrèrent tous leurs efforts sur le Roussillon et la Catalogne, convaincus que le moyen de forcer l'Espagne à faire la paix était de menacer la route de Madrid. Avec le maréchal de Schomberg, Louis XIII assiégea Perpignan, qui se défendit longtemps. Dès le début des opérations, Richelieu était tombé gravement malade à Narbonne : un de ses bras était couvert d'abcès qui se rouvraient sans cesse. Il fit son testament, et, en attendant la mort qu'il sentait proche, il déjoua la conspiration de Cinq-Mars et de Gaston, qui s'étaient alliés avec l'Espagne. Les traîtres punis, le Roi, malade aussi, quitta l'armée et se retira à Fontainebleau, donnant à Richelieu les pouvoirs les plus étendus sur les provinces du Midi ; il lui écrivit :

De Bagnols, ce dernier juin 1642.

Mon cousin, étant contraint par la considération de mes affaires et par l'état auquel est votre santé de vous laisser en ce pays avec très grand regret, je vous écris cette lettre pour vous dire que, ayant une confiance entière en vous, mon intention est que vous y fassiez les choses qui regarderont mon service, avec la même autorité que si j'y étais ; que les ordres que vous enverrez soit dans les provinces de deçà, soit au dehors du royaume, à mes lieutenants généraux d'armée ou à mes ministres, soient aussi ponctuellement exécutés que les miens propres, et que vous pourvoyiez aux choses pressées sans m'en donner avis. Je suis assuré que je ne saurais jamais mettre mes affaires en meilleures mains et qu'elles ne vous sont pas moins à cœur qu'à moi. Je vous conjure seulement de les faire sans altérer votre santé qui m'est chère au dernier point. Je finirai en priant Dieu qu'il vous la redonne telle que je le désire.

Sur ces entrefaites, Marie de Médicis mourait à Cologne, en exil, le 3 juillet. La Gazette inséra quelques jours après les lignes suivantes, dont Richelieu seul a été l'inspirateur ou le rédacteur. Ce fut le seul éloge funèbre de cette reine de France[58].

Le troisième de ce mois, sur le midi, mourut à Cologne la Reine-Mère de la très illustre maison de Médicis, qui a produit dans le siècle dernier huit cardinaux et quatre papes. Elle était fille du grand-duc de Toscane, François de Médicis, et de Jeanne d'Autriche, née reine de Hongrie et de Bohême, nièce, fille, sœur et tante de quatre empereurs ; elle était veuve de Henri le Grand et mère des rois et reines qui possèdent les principales couronnes de l'Europe. Le regret de sa mort a été accru en cette cour par celui de l'absence qu'elle s'était causée suivant le conseil de quelques esprits brouillons, auxquels la facilité du sien avait laissé prendre trop de créance.

La prise de Perpignan ne fut pas le seul succès de la campagne de 1642 ; on a encore à mentionner : la victoire de Lérida, en Catalogne, gagnée par le maréchal de la Mothe, — les victoires du général suédois Tortenson à Schweidnitz et à Leipsick ; Guébriant avait pris une part importante à cette dernière bataille. — Le maréchal de Guiche seul s'était fait battre à Honnecourt.

De Narbonne, le Cardinal avait été s'établir à Tarascon, où sa maladie continuait ; il en partit enfin en bateau et remonta le Rhône pour aller prendre les eaux de Bourbon-Lancy. Il quitta cette dernière ville le 3 octobre et vint, soit en bateau, soit porté en litière jusqu'à Fontainebleau, où Louis XIII le reçut avec une grande joie (13 octobre).

Il avait fallu trouver un expédient pour pouvoir ramener à Paris, des extrémités du Languedoc, le Cardinal, qui ne pouvait se tenir autrement que couché, ni souffrir le moindre mouvement sans incommodité.

L'on s'avisa, dit Aubery, d'une nouvelle façon de litière qui fut portée par des hommes et de faire faire pour cela une machine d'ais (planches) en forme de chambre, couverte de damas et d'une toile cirée par-dessus en temps de pluie, où l'on mit un lit, une table et un siège pour une personne qui le pût entretenir. Il avait résolu d'abord de faire un choix de paysans et d'autres personnes endurcies au travail du corps pour le porter : mais ses gardes crurent que ce serait douter de leur affection et de leur gratitude, et s'offrirent avec empressement pour lui rendre eux-mêmes ce service, ne pouvant souffrir qu'autres qu'eux eussent l'honneur d'approcher sa personne qui leur était confiée. De sorte que leurs offres ayant été acceptées, on les mit dix-huit à la fois, avec ordre de se relayer les uns les autres, afin qu'ils fussent plus soulagés et qu'ils eussent d'autant moins de peine qu'ils témoignaient plus de bonne volonté et de respect même, ayant toujours marché tête nue, quel que temps qu'il fît. Entrant dans les villes et dans les autres lieux fermés, l'on abattait un pan de muraille et l'on couvrait le fossé d'un pont, afin de faire passer plus à l'aise sa machine, dans laquelle il fit ainsi près de 200 lieues, sans ressentir d'autre incommodité que ses maux ordinaires[59].

Le Cardinal resta trois jours à Fontainebleau auprès du Roi ; il en partit le 16 octobre et arriva, par eau, à Paris le 17. Il quitta son bateau au port Saint-Paul et fut porté dans son lit jusqu'au Palais-Cardinal[60]. Il alla passer quelque temps à Rueil et revint à Paris, où il mourut le 4 décembre 1642.

Il avait dit, quelque temps avant de mourir : Il faut que l'Italie sente, aussi bien que tous les autres États de la Maison d'Autriche, que le chapelet de l'Espagne est défilé. Quelques mois après, la victoire de Rocroi justifiait ces paroles.

 

 

 



[1] Lettres et papiers d'État, VII, 552.

[2] Lettres et papiers d'État, II, 207.

[3] Environ 75 millions de francs d'aujourd'hui.

[4] Environ 100 millions de francs.

[5] Lettres et papiers d'État, II, 349-352 ; IV, 286.

[6] Dans un mémoire envoyé au Garde des sceaux pour la composition du discours que celui-ci devait faire aux Notables (Lettres et papiers d'État, II, 290).

[7] Mémoires du cardinal de Richelieu.

[8] Lettres et papiers d'État, III, 447.

[9] Ancien évêque de Maillezais.

[10] Lettres et papiers d'État, IV, 282. — Voyez à la table des noms propres de cet ouvrage (t. VIII) au nom de SANSON NAPOLON, qui était l'agent chargé de nos établissements algériens.

[11] Le fondateur de ces colonies est d'Esnambuc.

[12] Gazette, 1632, p. 24.

[13] Depuis cardinal de Sourdis et amiral.

[14] Les soldats étaient payés tous les neuf jours avec un fort bon ordre (Lettres et papiers d'État, II, 751).

[15] De la grande place de Saint-Martin de Ré, qu'avait défendue si vaillamment le maréchal de Toiras.

[16] Voir plus loin la mercuriale que Richelieu adresse à son maître sur ce départ malencontreux.

[17] Lettres et papiers d'État, VI, 389.

[18] Lettres et papiers d'État, VI, 123 (année 1638).

[19] Lettres et papiers d'État, V, 523 (années 1633 et 1636).

[20] Lettres et papiers d'État, VI, 381 (année 1639).

[21] Lettres et papiers d'État, VIII, 333.

[22] Lettres et papiers d'État, VI, 471.

[23] Lettres et papiers d'État, VI, 392.

[24] Lettres et papiers d'État, V, 301.

[25] Lettres et papiers d'État, VI, 181.

[26] Officier d'artillerie qui remplaçait le Grand-Maître absent.

[27] Gazette, 1639, p. 852.

[28] Lettres et papiers d'État, V, 264. — M. Avenel donne le facsimilé de l'armée de Piémont, dessin à la plume fait par le Cardinal.

[29] Lettres et papiers d'État, III, 176.

[30] Il est remarquable que dans la révolte de Gaston et du duc de Montmorency dans le Languedoc, en 1632, les protestants ne bougèrent pas et restèrent fidèles à Louis XIII, qui dut être satisfait de l'habile politique de son ministre (Lettres et papiers d'État, III, 622).

[31] Après la journée des Dupes, Richelieu obtint le gouvernement et l'amirauté de Bretagne ; il avait déjà les gouvernements du Havre, de Honfleur, Brest, La Rochelle et Pontoise.

[32] Un portrait gravé par David le représente ainsi.

[33] 6 avril, 19 juin et 19 octobre 1631.

[34] Lettres et papiers d'État, III, 585.

[35] Gazette, 1631. — Le 5 juillet 1634, eut lieu au Parlement la vérification des lettres du Roi portant la continuation du duché et pairie à la terre de Fronsac appartenant au Cardinal-Duc (Gazette de France, 1634, p. 280).

[36] Lettres et papiers d'État, IV, 226.

[37] Trois mois après il fallut mettre Puylaurens à Vincennes.

[38] Gazette de 1635, p. 285. — Voir aussi, dans le même volume, p. 355, la déclaration du Roi sur l'ouverture de la guerre contre le roi d'Espagne, vérifiée en Parlement le 18 juin.

[39] Lettres et papiers d'État, V, 3.

[40] La France devait avoir l'Artois, le Hainaut, le Tournésis, la Flandre française (Lille), la Flandre flamande (Dunkerque, Ostende), le Namurois et le Luxembourg (Lettres et papiers d'État, IV, 424).

[41] A la paix des Pyrénées (1659), Mazarin rendit à l'Espagne une si grande quantité de villes dans les Pays-Bas que les contemporains en furent indignés.

[42] 1636, p. 324.

[43] Gazette, p. 524.

[44] En 1635, le gouverneur de Sierck, Des Chapelles, avait mal défendu la place ; il avait été condamné à mort et exécuté à Mézières, devant l'armée. Je suis très aise, écrivit Richelieu, que Des Chapelles ait été puni comme méritait sa lâcheté : il servira d'exemple à d'autres. (Lettres et papiers d'État, IV, 759).

[45] Lettres et papiers d'État, V, 987.

[46] Je ne trouve plus que la capitulation de Lens, en 1642, qui ait mérité d'être flétrie. — En 1638, le gouverneur du fort du Bac fut puni pour avoir négligé de rien stipuler en faveur de ses 2.000 soldats qu'on avait traînés en divers pays sans leur donner de pain (Lettres et papiers d'État, VI, 153).

[47] Lettres et papiers d'État, V, 526.

[48] Lettres et papiers d'État, V, 560. — L'exemple de Metz, en 1870, prouve combien le Cardinal était dans le vrai.

[49] Lettres et papiers d'État, VIII, 284.

[50] Richelieu avait racheté à la veuve du duc de Puylaurens les diverses terres qui formèrent le duché d'Aiguillon, et les avait données à sa nièce, madame de Combalet.

[51] Les lettres du Roi furent enregistrées au Parlement le 19 mai.

[52] Lettres et papiers d'État, VI, 608.

[53] Lettres et papiers d'État, VI, 495, 501.

[54] Testament politique, I, 225.

[55] Gazette de France, 1640, p. 744.

[56] Ce traité fut complété par les traités de Vincennes (1661) et de Ryswick (1697).

[57] Par contrat du 7 février.

[58] On a dit et répété que Louis XIII avait laissé mourir sa mère dans la misère. Ce n'est pas exact : quelque temps avant sa mort Marie de Médicis avait reçu 300.000 écus. Quant à sa chambre nue et sans meubles, c'est une autre erreur. Marie de Médicis avait les plus belles tapisseries et les plus beaux meubles dans sa résidence de Cologne.

[59] Le voyage se fit par eau de Tarascon à Lyon ; en litière, de Lyon à Bourbon et de Bourbon à Roanne ; par eau, sur la Loire, de Roanne à Briare ; par eau, sur le canal, de Briare à Montargis ; sur le Loing, de Montargis à Nemours ; en litière, de Nemours à Fontainebleau ; en bateau, de Valvin à Paris. Une flottille, montée par les parents et les amis du Cardinal, suivait le malade : le tout escorté par deux compagnies de cavalerie marchant sur les rives.

[60] Aujourd'hui le Palais-Royal.