HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA GUERRE DE 1870-1871

TOME SECOND

 

CHAPITRE XIV. — LA DÉLÉGATION DE TOURS ET DE BORDEAUX.

 

 

I. — LA DÉLÉGATION.

 

Pendant l'investissement de Paris (du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871), la délégation de Tours gouverna la France. La Délégation fut composée de M. Crémieux, garde des sceaux, de M. Glais-Bizoin, de l'amiral Fourichon, ministre de la marine et de la guerre, puis de M. Gambetta, ministre de l'intérieur. M. Gambetta avait deux voix en cas de partage des quatre membres de la Délégation. L'amiral Fourichon ayant donné sa démission de ministre de la guerre, parce que ses collègues voulaient soumettre l'armée à l'élément civil, M. Crémieux prit ce portefeuille et l'abandonna à M. Gambetta, qui devint ainsi ministre de l'intérieur et de la guerre. Avec ses deux voix et ses deux portefeuilles, M. Gambetta devint le maitre de la Délégation. — La Délégation était assistée par de bons chefs de service venus des divers ministères de Paris ; parmi eux nous citerons : le général Lefort (guerre), le général Loverdo (personnel), MM. Roy et de Roussy (finances), M. de Franqueville (travaux publics), M. de Moustiers (commerce), M. de Chaudordy (affaires étrangères).

Ce n'était qu'un gouvernement révolutionnaire, irrégulier, qui, à défaut d'autre, fut cependant accepté, sinon par tous, du moins par le plus grand nombre, parce que sa mission principale était de soutenir la lutte contre les armées allemandes, et qu'il fallait bien se rallier autour d'un centre quelconque. Les révolutionnaires du Midi seuls essayèrent de constituer un gouvernement opposé à celui de la Défense nationale, au risque d'amoindrir la résistance et de briser l'unité française.

 

II. — L'ANARCHIE DANS LE MIDI.

 

Après le 4 septembre, l'administration départementale se trouva désorganisée par la destitution en bloc des préfets de l'Empire, qui furent remplacés par des avocats de second ordre et par des journalistes de bas étage, ou par des bohêmes, habitués des cafés de Paris, tous inexpérimentés ou incapables. Il y eut alors, comme après toutes nos révolutions, qui n'ont pas d'autre but, une distribution scandaleuse de places, une véritable curée sans vergogne : les amis du nouveau pouvoir se partagèrent les fonctions de préfets, de sous-préfets, de procureurs généraux, de substituts, de juges de pais, de commissaires ordinaires et extraordinaires, etc. Les choix furent souvent déplorables et ne donnèrent presque partout que des fonctionnaires sans intelligence, sans dévouement ni à la France ni à la République, ne faisant rien, ne voulant et ne sachant rien faire, se tenant pour satisfaits d'être en place, et n'ayant qu'un désir, jouir de leur position et la conserver. Quelques personnages investis de fonctions militaires furent encore plus étranges. Nos départements du Nord se souviendront longtemps de l'immoralité de certain ivrogne, devenu général de division, immoralité telle qu'elle s'oppose à tout détail.

C'était avec de pareils agents que la Délégation devait gouverner et administrer le pays. Aussitôt l'anarchie éclata dans les grandes villes du Midi, à Lyon, Marseille, Toulouse, Perpignan, Toulon, Saint-Étienne, Valence, etc.

Le parti communiste s'empara presque partout du pouvoir, destitua et arrêta les magistrats, les fonctionnaires et les généraux de l'Empire, et persécuta le clergé. Les classes populaires, infectées de communisme et travaillées par l'Internationale[1], devinrent maîtresses et donnèrent le pouvoir à leurs chefs ; le drapeau rouge était arboré ; les finances des villes étaient gaspillées ; des émeutes continuelles éclataient partout et souvent étaient ensanglantées par des assassinats. Quant à la guerre, on disait bien haut qu'il fallait la faire à outrance ; on créait des corps francs, on se revêtait de ceintures rouges, on se couvrait de galons et de plumes ; mais, sauf à Lyon, personne ne se rendit aux armées.

Marseille fut le principal foyer de la démagogie : c'est pourquoi nous raconterons son histoire avec quelques détails. Le 4 septembre, la république fut proclamée à Marseille. Aussitôt, sous l'influence de divers affiliés de l'Internationale, on délivra les prisonniers politiques et on forma un comité de salut public, qui supprima le conseil général, installa une commission départementale et donna pour chefs au département les citoyens Delpech et Naquet. Le préfet fut chassé et la préfecture pillée. On supprima la police et on tua le chef des sergents de ville ; le général d'Aurelle de Paladines, commandant la division militaire, fut remplacé par M. Brissy[2], intendant militaire. Le conseil départemental, devenu tout-puissant, se créa une garde appelée la garde civique, composée de gens de l'Internationale ; elle commit toutes sortes de violences : vols, visites domiciliaires, arrestations arbitraires, exactions, etc. Le 7 septembre, arriva enfin à Marseille, avec le titre d'administrateur supérieur du département des Bouches-du-Rhône, M. Alphonse Esquiros, qui était du parti ultra-radical et affilié à l'Internationale. Il nomma préfet M. Delpech, partagea les emplois entre les frères et amis, et créa de nouvelles places pour ceux qui n'avaient pas pu en trouver dans la première distribution. Les nouveaux fonctionnaires vivaient plantureusement et passaient leur temps à fumer à la préfecture.

La garde nationale avait été organisée et armée. A part quelques bataillons qui tenaient pour l'ordre, les autres obéissaient à l'Internationale. Le 26 septembre, M. Alphonse Esquiros passa la milice citoyenne en revue et lui dit très-sérieusement : Si l'ennemi, du haut de cette colline, pouvait assister au spectacle splendide que nous avons sous les yeux, il pâlirait de terreur, et, abandonnant ses projets insensés, il évacuerait le sol de la France ! Ce même jour, le comité de la Ligue du Midi publiait un manifeste qui révélait son existence. Fondé par l'Internationale, il avait pour but de créer une république particulière, composée de 15 départements du bassin du Rhône et de l'Algérie, et n'hésitait pas, en pleine guerre étrangère, devant l'ennemi victorieux, à jeter dans les masses populaires l'idée criminelle de se séparer du pouvoir central et de porter atteinte à l'unité nationale[3]. Mais l'Internationale n'a pas de patrie ; et ce qui la préoccupe, c'est de fonder sa domination, même aux dépens de la France.

Le comité de la Ligue, le conseil départemental et le club de l'Alhambra formaient trois centres qui dominaient Marseille. Ils violèrent toutes les libertés : la liberté des cultes, en fermant les églises ; la liberté individuelle, en arrêtant arbitrairement un grand nombre de personnes, des prêtres surtout ; la liberté de la défense ; la liberté d'association, en fermant les cercles et toutes les réunions autres que les leurs ; la liberté de la presse, en supprimant les journaux qui leur étaient opposés. Les Jésuites furent chassés ; et quand on changea les noms des rues, comme c'est l'usage à chaque révolution, parmi les noms qu'on lit disparaître, parce qu'il aurait été scandaleux de les conserver, on trouve celui de Belzunce, l'illustre évêque de Marseille, si connu par son dévouement pendant la peste de 1720.

M. Gambetta, ministre de l'intérieur, était décidé à réprimer ces excès : il cassa, par un décret du 16 octobre, plusieurs arrêtés de M. Esquiros, qui donna sa démission ; mais l'Internationale l'obligea à conserver le pouvoir. La lutte éclata alors entre la Délégation et le ministre de l'intérieur, d'un côté, et l'Internationale et M. Esquiros, de l'autre ; à son tour, le conseil départemental cassa les décrets de M. Gambetta.

La nouvelle de la capitulation de Metz vint fournir un prétexte aux factieux pour résister à la Délégation et établir la Commune, qui fut proclamée le 1er novembre. Tous les conseils existant furent supprimés ; le conseil municipal, qui ne voulut pas se dissoudre, fut brisé par la force. M. Esquiros devint le chef de la Commune, et le prétendu général Cluseret, commandant de la garde nationale.

Le lendemain arrivait à Marseille M. Gent, républicain de vieille date et ancien déporté politique, nommé préfet des Bouches-du-Rhône par M. Gambetta. Il se rendit à la préfecture, où les communeux s'étaient réunis autour de leur chef, le citoyen Esquiros. Sommé de reconnaître la Commune, M. Gent refusa, et fut aussitôt blessé d'un coup de pistolet. A cette nouvelle, une vive émotion éclata dans la ville, et la garde civique tira sur des foules inoffensives, dans lesquelles elle tua vingt et une personnes. M. Esquiros essaya de justifier ces assassinats.

Mais la garde nationale honnête résolut de punir ce guet-apens et d'en finir avec la tourbe qui opprimait Marseille. Le 3, elle se réunit, alla délivrer son colonel, qui était prisonnier, obtint des cartouches et des canons de l'autorité militaire, et occupa résolument l'Hôtel-de-Ville et divers postes importants. Le 4 novembre, la garde civique, intimidée par l'énergie des honnêtes gens, évacua la préfecture, dont elle était maîtresse depuis deux mois, et se dispersa. Cluseret cessa d'être le chef de la garde nationale, Esquiros quitta Marseille, la Commune fut dissoute, l'ancien conseil municipal rétabli, et le préfet, M. Gent, fut installé dans ses fonctions. Les honnêtes gens avaient, par leur énergie, rétabli l'ordre, brisé la domination de l'Internationale et donné un bel exemple, que Paris eût dû suivre six mois plus tard.

En même temps que se formait à Marseille la Ligue du Midi, on établissait à Toulouse la Ligue du Sud-Ouest, composée de onze départements situés entre la Méditerranée et l'Océan. La capitale de la Ligue était Toulouse, qui, avec Carcassonne, Narbonne et Perpignan, furent les principaux foyers révolutionnaires de celte région. Les meneurs étaient MM. Duportal, préfet de Toulouse, Marcou, maire de Carcassonne, et Dijon, chef de la Commune à Narbonne ; leur but était de faire revivre le jacobinisme et de le compléter avec quelques-unes des doctrines de l'Internationale et du socialisme. La république fut proclamée, le 4 septembre, au Capitole ; tous les corps électifs furent supprimés et les clubs devinrent les mitres de la ville. Une garde nationale, composée seulement de prétendus républicains, servit au parti à établir sa domination. Le matérialisme le plus grossier étant la doctrine de ces sectaires, il ne faut pas s'étonner si leur patriotisme est nul et si le sentiment du devoir et de la défense de la patrie leur fait défaut. Ils parlaient bien de se battre, puisque la France était en guerre, ils proclamaient bien la guerre à outrance, ils engageaient à grands cris les citoyens à s'armer de faux pour se jeter sur l'ennemi ; mais aucun d'eux ne bougeait, aucun d'eux n'avait le courage de prendre un fusil et surtout de former, comme les Polonais autrefois, de vigoureux bataillons de faucheurs.

Le préfet de Toulouse, le citoyen Duportal, commit de nombreux actes arbitraires, destitua les généraux et les remplaça par des journalistes, laissa piller l'arsenal, et fut enfin destitué par M. Gambetta ; mais il résista et se maintint à la préfecture, appuyé sur les clubs et la garde nationale. Pendant son administration, les fournitures de l'armée furent faites à la suite de marchés véreux et à des prix scandaleux ; elles étaient de mauvaise qualité, mal confectionnées et ne servirent qu'à enrichir d'effrontés spéculateurs. M. Duportal était encore préfet au 18 mars 1871, et le 25, il proclamait la commune à Toulouse. Enfin, ce dictateur subalterne fut renversé le 28 mars par M. de Kératry[4] et par M. de Carbonel, colonel de la garde nationale. Il est un des trop nombreux exemples de ces petits dictateurs de province qui, dans beaucoup de départements, ont sacrifié à leur vulgaire ambition les intérêts généraux de la France.

Non seulement Toulouse, mais tout le Midi révolutionnaire ne prenait aucune part à la guerre ; il se contentait de faire des proclamations et des déclarations enthousiastes. Les hommes de 25 à 35 ans, et plus tard ceux de 20 à 40, appelés à l'armée, restèrent chez eux ; les maires cachaient les réfractaires, et les préfets dictateurs ne faisaient nulle part exécuter la loi. Le Midi offrait le même tableau que Paris : les Rouges ne voulaient pas se battre ; les honnêtes gens seuls, à quelque classe qu'ils appartinssent, faisaient leur devoir.

A Lyon, des émeutiers de bas aloi, appartenant aux sociétés secrètes, jacobines et socialistes, et à l'Internationale, firent un coup de main, le 4 septembre, et s'emparèrent du pouvoir. Ils proclamèrent la république, installèrent un comité de salut public à l'Hôtel-de-Ville, arborèrent le drapeau rouge et établirent la Commune, c'est-à-dire un pouvoir local et indépendant, se gouvernant à son gré. La bande de gens inconnus qui était devenue maîtresse de Lyon par surprise manifesta aussitôt par ses actes comment elle comprenait la République et la Commune : elle supprima la police, afin de n'être pas gênée par elle ; elle pilla les forts et força les caisses de l'État et celles de plusieurs maisons religieuses ; elle gaspilla audacieusement les finances de la ville ; elle persécuta et insulta les prêtres et les religieux, dévasta leurs maisons et détruisit la bibliothèque des Jésuites ; elle incorpora le clergé dans l'armée et supprima tout enseignement religieux ; elle organisa des chantiers nationaux, où 12.000 voyous recevaient 3 francs par jour pour être toujours prêts à soutenir la Commune et à s'opposer au rétablissement de l'ordre ; elle rétablit la garde nationale ; enfin elle déclara un jour que, la machine administrative et gouvernementale de la France étant devenue impuissante, elle était abolie. Le comité de salut public s'efforça d'établir la Ligue du Midi, que devait gouverner une convention révolutionnaire, composée des représentants des comités fédérés des Communes[5]. Dès le 11 septembre, M. Gambetta déclarait au conseil du gouvernement de la Défense nationale qu'il fallait avoir de l'énergie pour empêcher le démembrement de la France[6].

Le gouvernement de Paris avait nommé préfet de Lyon, M. Challemel-Lacour, qui arriva le 6 septembre, et, devant la difficulté de dompter cette Commune rebelle, s'arrêta au parti plus facile de se soumettre à elle. La population honnête, qui, comme toujours, avait laissé faire le coup de main destiné à la mettre sous le joug, sortit enfin de son inertie. Lassée des excès et des menaces de la Commune, elle exigea des élections municipales. Le 16 septembre, un conseil municipal fut élu ; mais la plupart des membres du comité de salut public furent nommés, de sorte que le nom seul du pouvoir révolutionnaire fut changé.

Le 28 septembre, une bande d'émeutiers s'empara de la préfecture, voulant achever de se séparer de Tours et établir l'indépendance complète de la Commune de Lyon par la destruction de toutes les autorités qui représentaient le pouvoir central.

Ils nommèrent Cluseret, ancien officier chassé de l'armée, général en chef des armées révolutionnaires et fédératives du midi de la France. Aussitôt le prétendu général Cluseret prononça la destitution en masse de tous les officiers de l'armée et l'arrestation du général Mazure, qui commandait à Lyon. Enfin, 40.000 gardes nationaux se levèrent pour faire cesser cette scandaleuse dictature ; ils chassèrent les émeutiers et Cluseret de l'Hôtel de Ville, et délivrèrent le préfet, qui était prisonnier. L'ordre avait remporté la victoire, mais M. Challemel-Lacour ne sut ou ne voulut pas en profiter ; il ne prit aucune mesure et laissa les choses aller comme elles allaient auparavant. Cluseret se rendit à Marseille, espérant y trouver un emploi, et la démagogie resta toute-puissante dans sa citadelle de la Croix-Rousse.

Malgré l'anarchie, Lyon avait déployé beaucoup de patriotisme, et toute la jeunesse s'était enrôlée avec ardeur. On avait d'abord levé les bataillons de mobiles qui firent partie de la division Cremer ou de la garnison de Béfort, et qui se battirent bravement. On mit ensuite sur pied huit légions de mobilisés de 3.000 hommes chacune, qui, la première exceptée, ne valaient rien[7] ; elles étaient pourvues d'une bonne artillerie. L'arme ment et l'équipement des mobiles et des mobilisés, ainsi que la mise de Lyon en état de défense, donnèrent lieu à des gaspillages inouïs. De mauvais fusils sans valeur furent achetés, à Turin 30 francs pièce par un menuisier et réparés par un fabricant de tulle ; 45.000 cartouches fabriquées en trois mois furent payées 680.000 francs[8] ; on acheta 875 chevaux en Suisse, parmi lesquels 133 étaient réformés à leur arrivée à Lyon, l'un parce qu'il était aveugle, l'autre parce qu'il avait le bassin fracturé, le troisième parce qu'il était immobile[9].

Des aventuriers se firent donner des grades dont ils étaient indignes ; ainsi, Lutz, chargé de former un corps d'éclaireurs républicains, est, au bout de quelques jours, condamné à deux ans de prison pour escroquerie ; Malicki ou Geleski, organisateur et commandant des Vengeurs, se sauve devant l'ennemi, mais se sauve en emportant la caisse du corps, qui contenait 45.000 francs ; le conseil de guerre le condamna à vingt ans de travaux forcés. La bêtise, l'incapacité, la malhonnêteté, paralysèrent le patriotisme des Lyonnais.

La bataille de Nuits, où les mobiles de Lyon se battirent avec vigueur, mais éprouvèrent des pertes sérieuses, fut une occasion de désordre à Lyon. Sous prétexte de venger leurs enfants, les Rouges de la Croix-Rousse voulurent descendre à Lyon et aller changer de chemises chez les riches ; le commandant d'un bataillon de la Croix-Rousse, s'étant opposé à ces projets de pillage, fut assassiné ; mais ces bandes de voleurs et d'assassins, s'étant ruées sur Lyon, y furent dispersées par la garde nationale des quartiers bourgeois, qui avait pris les armes. Pour faire cesser l'anarchie et la guerre civile à Lyon, M. Gambetta nomma préfet M. Valentin, homme énergique, qui donna une meilleure organisation à la garde nationale, ferma les clubs et interdit les manifestations ; mais il ne put faire disparaître le drapeau rouge de l'Hôtel- de-Ville.

L'ordre était rétabli, au moins en apparence, dans le Midi, grâce aux efforts de la Délégation ; et cette tranquillité dura jusqu'au 18 mars, époque à laquelle les communards se révoltèrent de nouveau et essayèrent de venir en aide à leurs frères de Paris.

Toute la France heureusement n'était pas tombée dans cette décomposition où l'Internationale et le communisme avaient jeté le Midi rouge. La plus grande partie du pays était encore prête à faire son devoir, et c'est elle qui fournit à la Délégation les hommes et les ressources dont elle avait besoin pour continuer la guerre.

 

III. — LES ARMÉES.

 

Lorsque la Délégation arriva à Tours, le 10 septembre, composée de MM. Crémieux et Glais-Bizoin, et de l'amiral Fourichon, son inaction frappa tout le monde ; mais cette inaction n'était qu'apparente. Tandis que M. Crémieux perdait son temps à destituer les procureurs généraux et les substituts, et à leur choisir des successeurs, le général Lefort, comme nous allons le voir, s'occupait sérieusement de l'organisation de l'armée de la Loire. Le 10 octobre, M. Gambetta arriva de Paris en ballon ; ce voyage aérien et ses péripéties émurent la population de Tours, qui vint en foule à la préfecture pour voir le nouveau. membre du gouvernement. Il reçut brusquement les curieux et leur déclara qu'il n'avait pas de-temps à perdre, et qu'il avait autre souci que de leur parler. On fut satisfait de cette réponse, qui exprimait la volonté de travailler et de n'être pas, dérangé ; on en conclut que M. Gambetta allait. enfin agir et qu'il ne ressemblait pas à ses collègues.

Cependant la Délégation avait beaucoup travaillé, mais sans bruit : le général Lefort avait, en vingt et un jours, rassemblé 100.000 hommes répartis en deux corps, le 15e et le 16e ; l'armée de la Loire était créée et en état de commencer les hostilités et d'attaquer l'ennemi, le 5 octobre, à Toury. M. Glais-Bizoin, avec beaucoup de sens et de patriotisme, avait accepté les services de MM. de Charette et Cathelineau.

M. Gambetta[10] n'eut qu'à continuer l'œuvre commencée : il l'activa ; il donna, dit le général Trochu[11], une direction énergique à tous les services publics, qui contribua au développement rapide de l'organisation improvisée des armées ; il réveilla le patriotisme, raviva l'espérance, et lit croire à l'utilité et au succès de la défense. Il eut pendant quelque temps, et à cause de cela, une véritable popularité, qu'il conserva tant que son action fut plus militaire que politique. On lui tenait compte aussi de ses efforts pour réprimer l'insurrection communiste du Midi et les tentatives de sécession devant l'ennemi. Jusqu'à la fin de novembre, M. Gambetta a tout obtenu de la France, dit M. de Kératry[12], parce qu'il était l'incarnation du patriotisme français ranimé par son souffle vraiment national, et parce que, jusqu'à Coulmiers, il avait maintenu la défense nationale au-dessus des intérêts de parti. Après Coulmiers, la maladie des époques de décadence, l'infatuation, gagna M. Gambetta ; il se fit dictateur et destitua ceux qui le gênaient ; dominé par M. de Freycinet[13], il se mit à diriger la guerre et à donner des ordres aux généraux ; il envoya des commissaires civils aux armées[14] ; dominé aussi par les amis des fournitures à outrance, il contracta des marchés et ouvrit des crédits sans l'autorisation de la Délégation ; en toutes circonstances, il subordonna l'intérêt de la France à l'intérêt du parti républicain ou. à son ambition ; croyant aux fausses doctrines de l'histoire contemporaine, il s'imaginait que les levées en masse, les francs-tireurs et les volontaires sauveraient le pays, qu'il suffisait d'opposer des hommes à des soldats, et, pour diriger le mouvement et imiter 93, il inonda les départements de ses agents ; il trompa le gouvernement de Paris[15] et le pays par les nouvelles les plus fausses, et s'attirera plus tard, du président de la commission d'enquête, cette verte semonce : On ne peut pas mentir plus complètement, non-seulement mentir, mais tromper[16].

Peu à peu les fautes nombreuses commises par M. Gambetta le dépopularisèrent, et dès la fin de décembre, la Délégation, qui se personnifiait en lui, était l'objet d'un mécontentement général et d'une réaction énergique. La lutte s'engagea surtout à propos des élections et de la paix. Le pays voulait élire une assemblée ; les hommes de Septembre, dans un intérêt de parti, s'y opposaient le pays ne voulait pas de cette guerre à outrance, jusqu'à extinction, que prêchait M. Gambetta ; il était las de l'anarchie et effrayé des menaces de la démagogie. Pour faire la paix, rétablir l'ordre et sauver la France d'une ruine imminente, il fallait élire une assemblée. Comme M. Gambetta était opposé aux élections[17] on mit en avant, l'idée de faire nommer l'assemblée par les conseils généraux ; M. Gambetta les cassa, ainsi que les conseils d'arrondissement, et les remplaça par des commissions départementales nommées par lui et composées de ses partisans. Les conseils municipaux ayant été dissous antérieurement, la France se trouvait, à ce moment, gouvernée et administrée, à tous les degrés, par les agents d'un gouvernement de fait, issu d'un coup de main, dont le but était d'imposer la république à la nation.

Au milieu des protestations qui s'élevèrent da toutes parts contre le dictateur, on remarque celle de M. Lanfrey : Il est inouï, dit-il, il est sans exemple dans notre siècle qu'un peuple placé dans les circonstances critiques où nous nous trouvons n'ait pas été appelé au contrôle et au partage du pouvoir en la personne de ses représentants. Puis, rappelant les fautes de tout genre commises par la Délégation et les odieux mensonges dont elle inondait le pays pour lui faire croire à de fausses victoires, il terminait ainsi : Il est temps d'en finir avec les déclamations, de mettre un terme à ce régime d'arbitraire, d'impéritie, de dissimulation et d'impuissance. Il est temps que la nation, qui a su faire de si grandes choses, soit représentée par les hommes qu'elle aura jugés les plus capables de la conduire. Nous le demandions, il y a trois mois, au nom de la consolidation de la république ; nous le demandons aujourd'hui au nom du salut de la France. Au reste, quel que soit l'accueil réservé à des vœux si légitimes, il n'est pas difficile de prévoir le jour où ils s'imposeront comme une nécessité. La France a subi bien des dictatures ; mais il en est une qu'elle n'a jamais supportée longtemps : c'est la dictature de l'incapacité.

On a beaucoup vanté et trop rabaissé aussi les efforts de la Délégation pour le réveil du patriotisme affaissé, pour la levée des armées, pour la fabrication du matériel et pour le rétablissement de la discipline. Il convient d'examiner avec soin et justice cette question importante[18].

Les premières troupes mises sur pied par le général Lefort, en septembre, étaient celles dont le ministère Palikao avait ordonné la levée : ce sont les hommes de 25 à 35 ans rappelés sous les drapeaux, ce sont les régiments ramenés de Rome et d'Afrique. Les premiers régiments de marche et de mobiles furent créés en effet, par le comte de Palikao, et après le 4 septembre on suivit son exemple.

La composition des nouveaux corps d'armée fut d'abord assez bonne : les premiers[19] furent formés avec des troupes de ligne et des mobiles ; l'artillerie était aussi de la ligne. Plus tard, le 21e corps ne compte plus que des mobiles mal encadrés ; les chasseurs à pied sont remplacés par des fusiliers marins ; l'artillerie est formée de batteries départementales. Plus tard encore, il n'y a plus ou presque plus de mobiles ; les régiments se composent de mobilisés, c'est-à-dire de gardes nationaux, de gens mariés, sans aucune instruction militaire, chefs et soldats, hors d'état de faire la guerre et ne servant à rien devant l'ennemi. Si l'on devait continuer la lutte avec les premiers corps, la composition des derniers indiquait que la paix était devenue une nécessité.

Les premières armes qui vinrent de l'étranger arrivèrent en vertu des marchés signés par le ministère Palikao. L'argent que se procura la Délégation provenait de l'emprunt Morgan, contracté par elle à Londres et aux meilleures conditions qu'on pût obtenir alors ; il lui était fourni principalement par la Banque, qui donnait des billets à la Délégation en vertu d'une loi votée par le Corps législatif. Le matériel d'artillerie fabriqué en France est l'œuvre du général Thoumas et du colonel de Reffye ; la direction pratique donnée aux affaires appartient à ces employés d'élite envoyés à Tours par tous les bureaux des ministères de Paris ; les créateurs des armées qui ont fait campagne sont les généraux Martin des Fallières, d'Aurelle, Chanzy, Boyer, Farre, Lecointe, Faidherbe, etc. ; c'est autour d'eux et du drapeau de la France, qu'ils tiennent dans leurs vaillantes mains, qu'on se rallie bien plus encore qu'autour de la Délégation. La discipline fut rétablie par le bras de fer du général d'Aurelle, et maintenue par Chanzy et ses lieutenants ; elle avait été détruite, il ne faut pas l'oublier, par le parti républicain, dans le but de renverser l'Empire. Les anciens députés de l'opposition, qui avaient alors le pouvoir, cherchaient à rétablir la discipline ; mais ils avaient autrefois encouragé et payé la désertion, patronné la désobéissance et la rébellion. Devenus les maîtres, ils faisaient fusiller quelques malheureux soldats, dont le principal tort était d'avoir pris au sérieux les discours et les écrits des députés et des journalistes de l'opposition.

Le pays avait applaudi à la déclaration de guerre, à la condition que l'armée combattrait seule ; il avait pris l'habitude, sous l'Empire, de se regarder comme dispensé de toute obligation militaire. Quand il fallut, après Gravelotte.et Sedan, se lever et se battre soi-même, et non plus à l'aide d'un remplaçant, l'enthousiasme diminua beaucoup. De trop nombreuses défaillances indiquent l'affaiblissement du patriotisme dans la bourgeoisie, dans les populations rurales et dans les classes ouvrières : les uns fuient à l'étranger ; les autres trouvent un prétexte pour ne pas répondre à l'appel de la patrie et de la loi ; d'aucuns s'enrôlent dans les francs-tireurs pour échapper à l'armée et aux balles des Prussiens. La noblesse fit preuve de patriotisme et de courage, soit dans les bataillons de zouaves pontificaux, soit à la tête des mobiles. Le clergé fit partout son devoir.

L'affaiblissement du patriotisme est le résultat de nos révolutions et de nos perpétuels changements de gouvernement, et de l'absence d'une dynastie ou d'un principe autour duquel on se rallie, parce qu'il symbolise la patrie ; il eût fallu au moins une assemblée toute-puissante, pour faire appel à la nation, pour réveiller ses sentiments patriotiques et faire respecter la loi. La Délégation et les hommes de Septembre ne pouvaient remplir une pareille mission : leur origine et leur caractère d'hommes de parti portaient une trop grande atteinte à leur autorité morale.

Le gaspillage des finances a été prodigieux durant la guerre, à Paris et en province surtout, sous l'Empire et pendant la République. On ne saurait protester trop hautement contre les marchés véreux, les spéculations honteuses et les dilapidations scandaleuses qui ont été signalées par les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale. Comme on n'était pas prêt pour faire la guerre, comme tout manquait, le ministère Palikao et le gouvernement du 4 Septembre furent obligés par la nécessité de contracter des marchés onéreux, pour fournir aux armées ce dont elles avaient indispensablement besoin. Trop souvent les traitants profitèrent de la situation pour s'enrichir avec une impudeur sans pareille, et trouvèrent dans les agents du pouvoir la complicité ou l'incapacité dont ils avaient besoin pour réaliser leurs criminels bénéfices.

Cependant, au milieu du désarroi général, la Délégation activa les levées et les armements ; elle envoya au feu douze corps d'armée, 32.000 cavaliers et un millier de pièces de canon ; elle créa le corps du génie civil des armées, une intendance habile, un nouveau service des transports militaires, le service médical, la télégraphie militaire, une capsulerie à Bayonne ; elle accepta tous les combattants qui se présentèrent : Charette, Cathelineau et Bourbaki ; les zouaves pontificaux, les Vendéens, les officiers des armées impériales échappés de Metz et de Sedan. Il y aurait une suprême injustice à ne pas reconnaître, dans le rôle de la Délégation et dans la dictature de M. Gambetta, cette partie très-honorable et vraiment française[20], de même qu'il faut hautement condamner les fautes nombreuses de son administration : on devra toujours lui reprocher d'être intervenu dans la direction des opérations militaires, d'avoir destitué sans raison des généraux, d'avoir trompé le pays par ses dépêches, et surtout de s'être obstiné à vouloir continuer la guerre, dans un intérêt exclusivement personnel, quand le salut de la France exigeait impérieusement la fin des hostilités.

A la fin de janvier, la mesure était comble ; les fautes politiques et militaires de la Délégation avaient soulevé l'opinion, et les élections allaient montrer aux dictateurs de Bordeaux[21] ce que la France pensait d'eux.

L'armistice signé à Versailles le 28 janvier, entre M. Jules Favre et le comte de Bismarck, devait durer vingt et un jours et stipulait que l'on procéderait sans délai à la libre élection d'une assemblée nationale[22], qui se réunirait à Bordeaux, pour décider si la guerre devait être continuée ou à quelles conditions la paix devait être faite. Le décret de convocation des électeurs parut le 31 janvier ; il reprenait la loi électorale de 1849, qui ordonnait le vote au canton, le scrutin de liste, le chiffre de la population du département comme base du nombre des députés à élire par chaque électeur ; le nombre des députés à nommer était de 759. Le gouvernement de la Défense nationale comptait sur les dispositions de cette loi pour donner la majorité aux républicains : par le vote au canton, on cherchait à diminuer le nombre des électeurs ruraux ; par le scrutin de liste, ou espérait faire passer les listes des comités du parti ; par le nombre variable des députés à élire, accordé à chaque électeur d'après le chiffre de la population du département où il votait, on donnait aux électeurs des grands centres révolutionnaires une prépondérance injustifiable et contraire à l'égalité devant la loi, mais favorable aux intérêts du parti ; un rural de province votait pour deux députés, tandis qu'un ouvrier de Paris en nommait quarante-trois.

A ce moment, la Délégation de Bordeaux se sépara du gouvernement de Paris et entra en lutte avec lui. Déjà, le 20 janvier, M. Crémieux avait rendu un décret par lequel il destituait de nombreux magistrats qui avaient fait partie des commissions politiques après le coup d'État du Deux-Décembre. La Délégation allait de violence en violence et ne devait pas s'arrêter dans cette voie. Le 31 janvier, M. Gambetta déclara inéligibles tous les anciens ministres, sénateurs, conseillers d'État, préfets et candidats officiels de l'Empire.

Aussitôt cette inutile violence commise, M. de Bismarck écrivit (3 février) une lettre à M. Jules Favre, dans laquelle il lui demandait s'il croyait que l'exclusion de catégories entières de candidats était compatible avec la liberté des élections garanties par l'article 2 de la convention du 28 janvier ; il espérait, ajoutait-il, que ce décret serait immédiatement révoqué. En même temps, M. de Bismarck adressait à M. Gambetta un télégramme ainsi conçu : Au nom de la liberté des élections stipulée par la convention d'armistice, je protesté contre les dispositions émises en votre nom pour priver du droit d'être élues à l'assemblée des catégories nombreuses de citoyens français. Des élections faites sous un régime d'oppression arbitraire ne pourront pas conférer les droits que la convention d'armistice reconnaît aux députés librement élus. M. de Bismarck paraissant défendre[23] en France la liberté des électeurs contre les dictateurs de Bordeaux, tel était le nouvel affront que se faisaient infliger les hommes de Septembre. Heureusement la presse de province protestait hautement, et prouvait que les ministres prussiens n'étaient pas les seuls qui fussent indignés de cet acte de violence. Le 4 février, le gouvernement de Paris annula le décret de M. Gambetta comme attentatoire à la liberté des élections, et décida qu'il n'y aurait d'autres inéligibles que les préfets et les sous-préfets de la République, disposition qui fut éludée autant que faire se put par ces messieurs.

M. Gambetta refusa de se soumettre. Il ne voulait ni élections, ni assemblée, ni armistice ; il affirmait la nécessité de continuer la guerre à outrance, sans indiquer toutefois les moyens de la faire, se contentant de déclarer que si les Prussiens restaient encore trois mois en France, ils étaient perdus, et quo, par tous les sacrifices possibles, il fallait les y maintenir pour les perdre plus sûrement. En même temps, il envoyait à M. de Bismarck une dépêche très-violente par laquelle il maintenait son droit et protestait contre l'ingérence étrangère, sans se préoccuper si i la guerre civile n'allait pas résulter de sa conduite.

La politique de M. Gambetta et sa prédilection pour la guerre à outrance, que mieux que personne il savait impossible et contraire aux intérêts de la France, lui étaient, comme nous l'avons dit plus haut, inspirées par son intérêt personnel. Les Rouges avaient rayé de leurs listes le nom de M. Gambetta et ceux de tous les membres du gouvernement de la Défense nationale ; en demandant la guerre à outrance et en se séparant de ses collègues, il espérait rentrer en grâce auprès des meneurs du parti[24].

M. Jules Simon, envoyé de Paris, ne put le décider à se soumettre. Après trois jours de lutte, M. Jules Simon faisait insérer (4 février) dans un journal de Bordeaux une lettre qui maintenait le décret du gouvernement de Paris. Dans la soirée, tous les journaux qui avaient publié le prétendu décret de Jules Simon étaient saisis en vertu d'un ordre signé du préfet de la Gironde, M. Allain-Targé, et du directeur de la sûreté générale, M. Ranc. Il fallut envoyer au secours de M. Jules Simon MM. Garnier-Pagès, Pelletan et Emmanuel Arago, pour forcer M. Gambetta à céder. Le G février, il donna enfin sa démission de ministre de la guerre et de l'intérieur, et se retira en Espagne.

La presse de province résistait énergiquement à la démagogie et à la dictature ; elle avait constamment rendu de grands services par sa courageuse attitude, et, à ce moment, elle publia un manifeste qui invitait les électeurs à condamner par leurs votes les doctrines sauvages qui tuent. la société sous prétexte de la sauver, et les ambitieux qui ne s'occupent que d'eux-mêmes sur les ruines de leur pays. Les élections faites le 8 février furent en général une éclatante protestation contre la république radicale, qu'on avait voulu imposer à la France, et contre la guerre à outrance. Paris et quelques autres centres révolutionnaires nommèrent, comme toujours, des députés représentant les opinions les plus violentes.

 

IV. — LES ÉLECTIONS

 

Les élections de Paris, faites par Blanqui et l'Internationale, furent détestables et présageaient la révolution du 18 Mars. Toute la classe ouvrière et la petite bourgeoisie, dirigées par l'Internationale et par les comités révolutionnaires, votèrent pour les candidats qui leur furent désignés, et dont un assez grand nombre plus tard firent partie de la Commune. Quant aux électeurs du parti de l'ordre, 60.000 avaient quitté Paris après la levée du siège ; les autres ne s'entendirent pas et perdirent leurs voix en votant pour une foule de candidats qui n'avaient aucune chance d'are élus. Les élections de Paris firent un effet déplorable et constatèrent que la capitale, après avoir perdu tout bon sens politique, n'était plus qu'un foyer de révolutions, dont la France depuis longtemps est lasse et ne veut plus. A ce n'ornent, en effet, tout annonçait une prochaine insurrection : l'aberration des idées de toutes les classes de la population parisienne, la démagogie disposant de la seule force armée qui se trouvât dans Paris, l'armée désorganisée, sans discipline, livrée à l'oisiveté et à l'ivrognerie, rôdant débraillée dans les rues et pratiquée par les meneurs révolutionnaires, qui attendaient, pour agir, que la paix fût signée.

 

 

 



[1] Société ouvrière qui s'est constituée dans toute l'Europe pour détruire la religion, le capital et l'organisation actuelle du travail, de l'industrie, de la propriété et de la famille.

[2] Depuis condamné à mort par un conseil de guerre.

[3] Les Allemands ont publié une carte de la France divisée en plusieurs ligues et républiques.

[4] Nommé préfet de Toulouse par M. Thiers.

[5] C'est M. Ferrouillat qui a fait avorter à Lyon cette proposition criminelle et insensée. (Discours de M. le comte Rampon, dans l'Officiel du 2 février 1873).

[6] Rapport de M. Chaper. — Petermann publiait dans son journal géographique de Gotha la carte de la France démembrée en ligues diverses.

[7] Les trois premières légions furent seules envoyées à l'ennemi.

[8] Le fabricant réclamait encore 350.000 fr. en février 1873. — Voir l'Officiel du 2 février 1873, p. 764.

[9] Rapport de M. de Ségur.

[10] M. Gambetta n'eut rien de plus pressé que de congédier le général Lefort ; il le remplaça par M. de Freycinet, habile ingénieur, homme actif et intelligent, qui rendit de grands services comme organisateur, mais qui eut le tort.de se croire un tacticien et de vouloir diriger les armées du. fond de son cabinet. — M. de Serres, inspecteur général des chemins de fer autrichiens, devenu l'un des principaux attachés du ministre de la guerre, était un nomme très-intelligent et qui a rendu d s services rée !s pour les transports en chemin de fer. Mais les autres personnages de l'entourage, anciens habitués du café de Madrid, exerçaient une influence détestable sur M. Gambetta, qui livré à lui-même, dit le général Borel, avait du bon sens.

[11] Déposition devant la commission d'enquête.

[12] Déposition devant la commission d'enquête.

[13] C'était surtout M. de Freycinet qui faisait les plans et les imposait aux généraux d'une façon absolue ; M. Gambetta entendait raison volontiers. (Déposition du général Chanzy, p. 216-217.)

[14] M. Lissagaray, transformé en chef d'escadron, fut envoyé auprès du général Chanzy, qui refusa de l'admettre dans son état-major.

[15] On aura remarqué, dans les chapitres relatifs aux armées de province, que Paris et la Délégation n'ont pas marché d'accord ; il y a eu défaut d'entente et d'idées communes et coordonnées. C'est là une des causes principales de l'insuccès de nos efforts en province.

[16] Déposition de M. Jules Ferry, p. 416.

[17] MM. Crémieux et Glais-Bizoin voulaient qu'on fît les élections ; M. Gambetta avait été envoyé de Paris, avec deux voix, pour s'y opposer.

[18] La Délégation, dit le général Borel (Déposition, p. 489), a été souvent pour nous sévère et même injuste ; mais ce n'est pas une raison pour que nous ne lui rendions pas justice : je doute qu'aucune administration ait pu faire plus que ce qu'elle a fait. Tout ce qui était matériellement possible de faire, elle l'a fait... Il y a eu un homme qui, sous le titre modeste de délégué à la guerre, a rendu d'immenses services, dont on ne lui est pas reconnaissant, parce qu'il n'a pas réussi (M. de Freycinet). Depuis, cet homme s'est effacé ; c'est à lui que nous devons l'improvisation de nos armées, auxquelles manquaient la force morale, la discipline, l'instruction militaire, la confiance en soi et l'organisation que la tradition seule peut leur donner. Créer et organiser, prendre la direction des affaires militaires dans une certaine mesure, inspirer l'énergie, l'activité, la foi dans le salut : voilà ce qui mérite l'éloge et la reconnaissance ; mais diriger les armées et faire de la stratégie sans la savoir, est mauvais et blâmable.

[19] Les 15e et 16e corps : ces deux corps ont été crées par les généraux Lefort, Martin des Fallières et Pourcet.

[20] Voici ce que les Allemands pensent sur ce point : Bien que nous rendions justice à la surprenante activité, aux efforts si féconds en résultats du gouvernement de Septembre, les armées de la République ne valaient pas celles de l'Empire. (Wartensleben.) — Nous sommes loin, d'ailleurs, de nous refuser à reconnaître l'énergie qui mettait sur pied des masses armées toujours nouvelles. La France a accompli, sous ce rapport, ce que nul autre pays n'eût été en état de faire. Mais l'erreur du principe même (faire la guerre avec des masses armées) n'en ressortait que plus vivement. (Blume.) — Le patriotisme français, nous l'avouons en toute impartialité, a fait, après Sedan, bien plus que nous ne l'avions d'abord cru ; il a armé des masses bien plus nombreuses que nous ne le supposions, et fait durer la guerre bien au delà du terme que nous lui avions assigné alors. Officiers et soldats, nous pensions, le 1er septembre, qu'au bout d'un mois tout serait terminé ; il en a fallu quatre. (Wickède.)

[21] La Délégation avait été transférée à Bordeaux le 9 décembre.

[22] Par une ruse peu digne, le gouvernement de la Défense nationale donna à la nouvelle assemblée le titre de nationale ; il évita de dire si elle serait constituante ou non, se réservant de la reconnaître pour constituante, si elle était républicaine, ce dont il doutait avec raison, ou de lui contester sa qualité de constituante, si elle était monarchique, et d'affirmer alors qu'elle n'avait été élue que pour traiter de la paix. On se demande sur quoi s'appuyaient le général Trochu et les avocats du gouvernement de la Défense nationale pour oser contester à la France le droit de décider elle-même de son sort.

[23] En réalité, M. de Bismarck intervenait dans les élections parce qu'il voulait éviter une assemblée composée artificiellement de tous les partisans de la guerre à outrance. M. J. Favre, qui disait ceci au conseil du gouvernement, le 5 février, ajoutait que M. de Bismarck n'avait pas eu tout à fait tort (Rapport de M. Chaper).

[24] Le 5 février, M. E. Picard disait an conseil du gouvernement que M. Gambetta exploitait la situation au profit de sa popularité, qu'il savait très-bien que la guerre n'était pins possible, mais qu'il voulait sauver sa position vis-à-vis de l'opinion. (Rapport de M. Chaper.)