HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA GUERRE DE 1870-1871

TOME PREMIER

 

CHAPITRE IX. — LA CAPITULATION DE METZ.

 

 

I. — LA CAPITULATION.

 

Le 7 septembre, on apprit à Metz le désastre de Sedan et la révolution du 4 Septembre. Ce fut un cri d'indignation dans toute l'armée quand elle connut la honteuse capitulation de l'Empereur et de ses troupes. Ah ! nous ne nous doutions pas alors qu'un jour viendrait où il nous faudrait être humbles vis-à-vis de ceux auxquels nous adressions de si sanglants reproches, où notre honneur serait englouti dans une catastrophe mille fois plus déplorable. Qui de nous pouvait prévoir que notre fin soulèverait les flots de l'indignation populaire, et qu'il nous serait donné de voir nos chefs bafoués par les femmes de nos campagnes, et nous-mêmes insultés par nos propres concitoyens ? L'armée de Sedan succombait du moins sous le canon, après neuf heures de combat, tandis que nous devions périr sous le coup d'odieuses négociations, sans que l'ennemi nous fît même l'honneur de brûler sa poudre, de dépenser ses balles ni ses boulets[1].

Aussitôt que le désastre de Sedan lui fut connu, le maréchal en publia la nouvelle, mais en aggravant la situation, afin de jeter le découragement dans l'armée. La révolution du 4 septembre lui parut devoir faciliter l'accomplissement de ses desseins ; il lui parut que l'heure où il allait devenir l'arbitre des destinées du pays avait sonné, et il n'hésita pas à entrer en relations avec l'ennemi. Bazaine ne pensait pas que Paris se défendrait, il croyait au contraire, comme tant d'autres, comme les Prussiens eux-mêmes, que la guerre allait se terminer. Le moment de négocier était donc venu.

Sous prétexte d'avoir des nouvelles, il écrivit, le 16 septembre, au prince Frédéric-Charles. Il savait cependant tout ce qui s'était passé, mais c'était une manière d'entrer en relations, que l'ennemi accepta volontiers[2]. Le colonel Boyer, aide de camp du maréchal, alla donc porter une lettre au prince Frédéric-Charles, en apparence pour lui demander des nouvelles, en réalité pour ouvrir des relations avec le général ennemi. Le prince donna les nouvelles demandées et remit des journaux, dans lesquels Bazaine trouva une décision grave du roi de Prusse.

Dès le 11 septembre, en effet, le gouvernement prussien établi à Reims avait publié dans les journaux de cette ville un communiqué, par lequel on informait la France que les gouvernements allemands n'avaient pas reconnu jusqu'à présent d'autre gouvernement que celui de l'Empereur Napoléon, et qu'à leurs yeux le gouvernement impérial était le seul, jusqu'à nouvel ordre, qui fût autorisé à entrer dans des négociations d'un caractère national. On ajoutait qu'il n'y avait aucune chance de faire la paix, tant qu'il n'y aurait pas en France un gouvernement reconnu par le pays, et qui pût être considéré comme agissant en son nom ; que les gouvernements allemands pourraient entrer en négociation avec L'empereur Napoléon, dont le gouvernement était jusqu'alors le seul reconnu, ou avec la régence instituée par la loi, et qu'ils pourraient entrer en communication avec le maréchal Bazaine, qui tenait son commandement de l'Empereur.

Le prince Frédéric-Charles se déclarait prêt et autorisé[3] à faire toutes les communications que le maréchal pourrait désirer.

Bazaine ne pouvait recevoir une réponse plus conforme à ses désirs ; il se vit appelé à faire la paix et à restaurer l'Empire, et ne s'occupa plus que du nouveau rôle qu'il allait jouer.

Le 16, il avait fait un ordre du jour par lequel il reconnaissait le gouvernement de la Défense nationale ; il avait fait enlever des brevets de la Légion d'honneur les fleurons aux armes impériales et l'en-tête au nom de l'Empereur. Le 19, après avoir lu le communiqué de Reims, il fit rétablir les emblèmes impériaux.

Les relations entre les deux quartiers généraux devinrent suivies et fréquentes. Le fait est certain, mais toutes les pièces de cette correspondance ont été soigneusement détruites, et le maréchal a déclaré qu'il ne se souvenait plus de ce dont il était question. Le général Pourcet, dans son réquisitoire[4], a dit avec raison que de tels faits autorisent toutes les hypothèses. Beaucoup de témoins affirment même que Bazaine a eu des rapports personnels avec le quartier général prussien.

Le 23 septembre, les relations prirent un caractère plus accentué. Un agent de M. de Bismarck, Régnier, arriva au Ban Saint-Martin, où était établi le quartier général de Bazaine. Cet individu était un esprit malsain et vaniteux à l'excès, un intrigant audacieux, dont M. de Bismarck exploita à son profit l'esprit d'aventure[5].

Régnier voulait sauver, a-t-il dit[6], l'Empire et la France, et aider à la conclusion de la paix. Dans ce but, il se rendit en Angleterre, où il essaya inutilement d'obtenir une audience de l'Impératrice, qui était alors à Hastings ; il parvint seulement à faire écrire sur une photographie, par le prince impérial, quelques mots insignifiants à l'adresse de l'Empereur. Muni de cette pièce, sans valeur aucune, Régnier arriva à Ferrières le 20 septembre ; aussitôt il fut introduit auprès de M. de Bismarck et lui exposa ses projets. Il voulait, disait-il, faire signer la paix entre le gouvernement impérial restauré et la Prusse, et par là faire cesser la guerre et l'anarchie. M. de Bismarck, voyant à qui il avait affaire, résolut de tenter l'aventure et de se servir de Régnier pour devenir le maître de Metz à l'aide d'une intrigue. Il accorda à Régnier toutes les facilités pour entrer à Metz et en ressortir. Régnier partit donc pour Metz, où il entra, comme nous l'avons dit, le 23 septembre, après avoir eu une entrevue avec le prince Frédéric-Charles. Admis auprès de Bazaine, en qualité d'attaché au cabinet de l'Impératrice, ce qui était faux, Régnier lui fit connaître les propositions de M. de Bismarck : le maréchal conduira son armée sur un territoire neutralisé, et elle ne portera plus les armes contre l'Allemagne jusqu'à la paix. Bazaine accepta. Ainsi, dès le 24 septembre, il consentait à capituler avec 150.000 hommes, et ayant encore un mois de vivres ; il livrait à l'ennemi la seule force régulière dont disposait la France et empêchait ainsi la formation d'une nouvelle armée. C'était livrer la France pieds et poings liés à la Prusse.

On devait réunir sur le territoire neutralisé les Chambres et le conseil d'Etat ; la régence de l'Impératrice sera rétablie, et soutenue par le maréchal et son armée ; les fonctionnaires de l'Empire reprendront leurs fonctions ; puis on traitera de la paix, après quoi l'on soumettra au peuple le choix d'un gouvernement. En attendant, un général de l'armée de Metz, Canrobert ou Bourbaki, sortira de la ville pour aller en Angleterre, auprès de l'Impératrice, lui faire connaître le projet et la presser de l'adopter.

Le maréchal Bazaine tomba d'accord sur tout ; il fit même savoir à Régnier que Metz n'avait de vivres que jusqu'au 18 octobre.

Le général Bourbaki, croyant, d'après Régnier, que l'Impératrice désirait le voir, ce qui n'était pas vrai, consentit à quitter Metz déguisé et partit pour l'Angleterre, avec l'autorisation du maréchal Bazaine[7]. A son arrivée en Angleterre, l'Impératrice lui déclara qu'elle ne l'avait pas fait demander, qu'elle ne l'attendait pas, et qu'elle refusait de prendre part à de pareilles intrigues.

Le général Bourbaki avait été indignement trompé ; il fit tous ses efforts pour rentrer à Metz et y reprendre son commandement ; n'ayant pu y parvenir, il alla mettre son épée au service de la République.

Régnier avait quitté Metz en même temps que le général Bourbaki, et s'était rendu à Ferrières auprès de M. de Bismarck ; il lui fit connaître, le 28, le résultat de son entrevue avec le maréchal ; mais M. de Bismarck lui déclara que, pour traiter de la paix, il lui fallait Metz, et qu'il ne pouvait négocier avec lui que s'il était muni des pouvoirs réguliers donnés par le maréchal. On envoya un télégramme au maréchal Bazaine, qui refusa de céder Metz[8] et de donner à Régnier des pouvoirs pour traiter de la paix. Aussitôt l'infatigable négociateur partit pour l'Angleterre ; mais il ne put parvenir à entraîner l'Impératrice dans cette aventure : elle refusa encore de prendre part à ces négociations ténébreuses.

Le départ du général Bourbaki pour une mission inconnue produisit une grande fermentation dans la ville et dans l'armée. Pour faire taire les plaintes et écarter les soupçons, le maréchal fit une petite sortie, qui était, selon la formule consacrée, le prélude d'opérations plus sérieuses. Le 27 septembre, il y eut donc l'affaire de Peltre ; puis, le 2 octobre, celle de Ladonchamp, et enfin, le 7 octobre, l'affaire des Tapes ou de Saint-Rémy, qui fut le dernier engagement. Les opérations plus sérieuses ne devaient pas être tentées.

Le 4 octobre, après l'affaire de Ladonchamp, le maréchal réunit en conseil tous les généraux. Croyant à la réussite des négociations entamées, il leur annonça le prochain départ de l'armée. Ses instructions ne constituaient pas un ordre de combat, mais un ordre de route. C'était, en effet, avec le consentement de l'ennemi qu'on allait sortir de Metz. Mais les Prussiens n'entendaient pas laisser Bazaine s'en aller sans leur livrer Metz. Leur but était bien évident : négocier, gagner du temps, ne pas combattre, et attendre, en amusant le maréchal, que ses vivres épuisés, il fût obligé de mettre bas les armes.

En effet, la situation empirait chaque jour. Dès le 21 août, on avait été obligé de réduire les rations de pain et de sel, et le 23, il n'y avait déjà plus de foin pour la cavalerie. On donna du blé aux chevaux. Ni le maréchal Bazaine, ni le général Coffinières ne s'étaient jamais occupés de la question des vivres, négligeant sur ce point, comme sur tous les autres, d'exécuter les sages et formelles prescriptions du règlement. Au mois d'octobre, la disette éclatait. On avait gaspillé les vivres à l'origine, et actuellement ils faisaient défaut. On avait donné aux chevaux une quantité de blé qui aurait pu fournir quinze jours de pain à l'armée, c'est-à-dire prolonger de quinze jours la durée de la résistance de Metz. Le scandale de nourrir les chevaux avec du blé souleva l'indignation générale ; Bazaine fut obligé de le faire cesser, et rejeta la responsabilité de la faute sur l'Intendance.

Le 25 septembre, un grand convoi de vivres était arrivé à Thionville, grâce aux efforts patriotiques de l'intendant Richard et des agents des chemins de fer. C'était le gouvernement de Tours qui envoyait quinze jours de vivres à l'armée de Metz. Un autre convoi, portant aussi quinze jours de vivres était arrivé à Longwy. Le 27 septembre, Bazaine fut averti par un émissaire parvenu à entrer dans Metz. En apprenant la nouvelle de l'arrivée de 2.500.000 rations de biscuit, Bazaine se contenta de hausser les épaules et de donner dix francs au courageux patriote qui avait joué sa tête pour sauver Metz.

L'armée, que les privations avaient affaiblie, était démoralisée par cette longue inaction ; une pluie froide et continuelle avait transformé les camps en véritables cloaques, et les soldats n'avaient que des abris de toile ; on manquait de bois pour se chauffer ; les maladies sévissaient ; la ville et les ambulances comptaient vingt mille blessés et malades[9] ; le maréchal ne faisait rien pour relever le moral de son armée ; il ne paraissait nulle part, ne visitait ni les camps ni les ambulances : sa pensée était ailleurs.

Il s'efforçait, en toutes circonstances, de cacher la vérité, de tromper l'énergique population de Metz, son maire et le conseil municipal. Il répandait toutes les mauvaises nouvelles, en les exagérant ; il cachait toutes celles qui pouvaient entretenir l'espérance ou ranimer les courages ; il exagérait les forces de l'ennemi et cherchait par tous les moyens à détruire l'idée de la résistance dans cette patriotique population qui voulait se défendre sérieusement. C'est pour faire taire les habitants de Metz, qui demandaient qu'on défendît leur ville, que le maréchal ordonna les trois simulacres de sortie dont nous avons parlé.

Les négociations entamées par l'intermédiaire de Régnier avaient échoué. Le maréchal voulut les reprendre, et se servit cette fois de son aide de camp, le colonel Boyer, devenu général. Mais auparavant il jugea à propos d'avoir l'assentiment de ses généraux afin, si besoin en était un jour, de faire retomber sur eux une partie de la responsabilité de ses machinations. Il les réunit donc le 10 octobre. Ce conseil doit être regardé comme le début de la capitulation. Bazaine cacha à ses lieutenants l'arrivée des convois de Thionville et de Longwy ; il leur dit qu'il n'y avait plus que cinq jours de vivres, et leur affirma que la Prusse ne reconnaissait pas d'autre gouvernement que celui de la Régence.

Le conseil adopta l'avis d'entrer en pourparlers avec l'ennemi afin de conclure une convention militaire, et repoussa à la majorité l'idée de tenter le sort des armes avant de négocier. Tristes résolutions qui ne font pas honneur à ceux qui les ont prises. On décida, pour la forme, que si les conditions de l'ennemi portaient atteinte à l'honneur des armes et du drapeau, on essaierait de se frayer un chemin par la force, avant d'être épuisé par la famine et tandis qu'il restait la possibilité d'atteler quelques batteries. Le maréchal avait obtenu du conseil ce qu'il voulait : se faire autoriser à négocier.

Le général Boyer partit de Metz, le 12 octobre, pour aller à Versailles, conférer avec le roi de Prusse.

Ces résolutions, soupçonnées plutôt que connues dans l'armée, produisirent une indignation telle, que le maréchal se crut obligé de déclarer qu'il ne capitulerait pas. Nous savons maintenant que cette formule signifie précisément qu'on va capituler.

Le général Boyer était chargé de négocier la paix au nom de l'Empire. Il devait proposer de neutraliser l'armée de Metz, de restaurer l'Empire, de rétablir l'ordre social en écrasant l'anarchie, de faire la paix, et de garantir à l'aide de la restauration de l'Empire, appuyée sur l'armée de Metz, les clauses du traité à intervenir, c'est-à-dire les conquêtes de la Prusse. Puisque Bazaine est à ce moment un partisan si dévoué de l'Empire, on peut demander pourquoi il a renversé l'Empereur par ses manœuvres perfides du mois d'août et en l'attirant dans le piège de Sedan. La réponse à cette question est que Bazaine rentrant en France avec l'armée de Metz, et ramenant la Régence, sera en réalité le vrai souverain, le maître de la France. Mais si les Prussiens eussent accepté les propositions de Bazaine, la guerre civile éclatait évidemment entre Bazaine soutenant l'Empire, et le gouvernement de la Défense nationale. Peu importait au maréchal qu'au fléau de l'invasion vînt se joindre celui de la guerre civile ; il se hâtait de négocier pour son compte avec la Prusse, parce que les élections pour l'Assemblée nationale, chargée de faire la paix, devaient se faire le 16 octobre, et qu'il voulait prendre les devants[10].

Le 14 octobre, le général Boyer avait à Versailles son premier entretien avec M. de Bismarck. La Prusse exigeait la cession de Metz, le serment de fidélité prêté par l'armée à l'Impératrice, et l'acceptation par l'Impératrice, ou par un de ses délégués, des préliminaires de la paix. Le 17, le général Boyer revint à Metz avec les conditions de l'ennemi. Le 18, Bazaine tint un nouveau conseil.

Le général Boyer fit un exposé mensonger ou exagéré de la situation de la France : il dit qu'une anarchie complète régnait partout, que l'armée de la Loire était anéantie, que la défense nationale ne fonctionnait plus, que M. Gambetta était en fuite, que toutes les places du Nord demandaient à capituler, que Rouen et le Havre appelaient les Prussiens pour se préserver du pillage. Le général Pourcet a eu raison de dire, dans son réquisitoire[11], que le général Boyer avait sciemment caché la vérité aux membres du conseil et que, par son silence et ses assertions trompeuses, il avait volontairement secondé les intrigues de son chef, et avait commis une faute grave. Bazaine savait cependant, d'après les journaux français remis par M. de Bismarck au général Boyer, que tout ce que son aide de camp disait aux membres du conseil était ou exagéré ou absolument faux[12]. Il cacha au conseil que Bourbaki avait échoué dans sa mission auprès de l'Impératrice et qu'il servait la Défense nationale ; il ne lui fit pas connaître que M. de Bismarck exigeait que l'Impératrice acceptât les conditions des préliminaires, quelque exorbitantes qu'elles pussent lui paraître, ce qui aurait ouvert les yeux de ses généraux, sur les exigences de la Prusse ; il leur cacha qu'il fallait céder Metz avant toutes négociations. Il leur fit connaître seulement les conduiras suivantes : l'armée de Metz déclarera qu'elle est toujours l'armée de l'Empire, et qu'elle est décidée à soutenir la Régence ; que l'Impératrice fera de son côté un manifeste par lequel au besoin elle en appellerait à la nation, pour l'inviter à se prononcer sur la forme de gouvernement à adopter ; que le délégué de la Régence, c'est-à-dire le maréchal Bazaine, acceptera les bases du traité à intervenir.

Bazaine espérait que le conseil, incomplètement et faussement renseigné, prendrait la résolution, que lui Bazaine ferait ensuite exécuter ; mais le conseil n'accepta pas les conditions proposées, et le maréchal Le Bœuf demanda même qu'on cessât les négociations, et qu'on fît une tentative suprême à main armée.

Le 19, Bazaine envoya le général Boyer à Hastings pour faire connaître à l'Impératrice les conditions de la paix et la décider à les accepter. En même temps, pour se mettre en règle avec la Délégation de Tours, contre laquelle il cherchait à s'allier avec les Prussiens, il lui faisait parvenir une dépêche pleine de mensonges. Il lui avait adressé, disait-il, plusieurs dépêches et n'en avait jamais reçu d'elle ; il allait être obligé de traiter avec l'ennemi.

On sait ce qui s'est passé à Londres entre le général Boyer et l'Impératrice, par la déposition de M. Rouher devant le conseil de guerre de Trianon.

J'ai vu, a-t-il dit, le général Boyer à Londres le lendemain ou peut-être le jour même de son arrivée. J'ai participé à des délibérations dirigées par Sa Majesté l'Impératrice, et dans lesquelles on a examiné les questions que soulevait la démarche du maréchal Bazaine.

Les questions qui se posaient pour nous étaient celles-ci : Sa Majesté l'Impératrice pouvait-elle faire quelque chose pour l'armée de Metz et faciliter les négociations qui auraient pu assurer les honneurs militaires à cette armée ? Y avait-il lieu, pour elle, d'accepter les propositions de paix qui étaient présentées au nom de M. de Bismarck ? Et, enfin, quelle pouvait être l'influence de ces négociations ainsi tentées sur la défense que poursuivait le gouvernement d'alors ?

Sa Majesté n'a point hésité à faire les efforts les plus multipliés pour assurer des conditions favorables à l'armée de Metz, au moment où elle était obligée de se rendre ; l'Impératrice a écrit directement au roi de Prusse, à Versailles, par télégramme, elle s'est adressée à M. de Bernstorff, elle s'est adressée aussi indirectement, ou directement, je ne sais, à M. le comte de Bismarck ; toutes ces démarches se sont formulées ainsi :

M. le général Boyer nous annonçait que la capitulation était imminente, que les vivres manquaient à toute l'armée.

Sa Majesté l'Impératrice a fait tous ses efforts pour obtenir un délai, en proposant un armistice avec ravitaillement.

La réponse s'est fait attendre vingt-quatre heures, et elle a été négative.

Quant au traité préliminaire de paix proposé au nom du comte de Bismarck, nous avons rencontré chez Sa Majesté une résistance absolue et invincible à apposer sa signature sur un acte entraînant une mutilation de territoire.

Je n'ajoute pas que nous avons fait des efforts pour la décider à entrer dans cette voie.

Nous ne connaissions pas, d'ailleurs, d'une manière précise las propositions qui pourraient être faites.

Je reviens à ce qui concerne les préliminaires de paix. Sa Majesté l'Impératrice était absolument opposée à toute question relative à la modification des frontières de la France.

A l'aide de ces négociations, l'ennemi gagnait du temps. C'était son principal but, et Bazaine ne le soupçonna pas. Les vivres s'épuisaient, on ne combattait pas, et bientôt, sans brûler une amorce, le prince Frédéric-Charles allait devenir le maître de Metz.

Ce que les Prussiens appellent le moment psychologique était venu. Le 24 octobre, M. de Bismarck envoya une dépêche à Bazaine, lui déclarant qu'il était impossible au roi de Prusse de se prêter à de nouveaux pourparlers. La dépêche faisait savoir en même temps au maréchal que l'Impératrice refusait de prendre part à toute négociation et de signer un traité ayant pour base une cession de territoire. M. de Bismarck ajoutait que d'ailleurs le pays ne donnerait aucun appui au gouvernement impérial ; que le roi de Prusse ne voulait pas, en traitant avec l'Empereur, sembler l'imposer à la France et se mêler de ses affaires intérieures ; que le maréchal n'avait pas fait remettre par le général Boyer les garanties qu'on lui avait demandées, c'est-à-dire la cession de Metz et l'engagement de tous les généraux à rétablir la régence ; que dès lors il n'y avait plus lieu de continuer les négociations politiques, et que, la question se posant militairement, c'était aux événements de - la guerre seuls qu'il appartenait de la résoudre.

M. de Bismarck parait avoir aimé à donner, à l'occasion, une leçon de conduite ou de tenue aux généraux et aux hommes d'Etat incapables que le hasard des événements mettait en rapport avec lui. Il était impossible de rappeler plus cruellement à un maréchal de France qu'il devait, qu'il aurait dû combattre.

Bazaine était joué ; il perdait tous les bénéfices de sa trahison et de ses longues intrigues ; tous ses rêves ambitieux s'évanouissaient. La famine allait résoudre la question.

On n'avait pris aucune des mesures prescrites par le règlement pour organiser et assurer le service des vivres, et les Prussiens étaient si bien informés de la chute certaine et prochaine de Metz, que, dès le 23, ils envoyaient une partie de leurs troupes sur la Loire.

Le conseil des généraux fut encore réuni le 24. Tous rejetèrent l'idée de faire une tentative pour percer les lignes de l'ennemi. On décida que le général Changarnier[13] irait encore auprès du prince Frédéric-Charles lui demander la neutralisation de l'armée sur un point quelconque du territoire ou de l'Algérie, et obtenir du prince que Metz ne suivît pas le sort de l'armée. En cas de refus, refus dont on était certain d'avance, le général Changarnier devait demander les conditions d'une capitulation imposée par la famine. Frédéric-Charles refusa. Bazaine renvoya le soir même le général de Cissey demander que Metz ne fût pas compris dans la capitulation. Frédéric-Charles refusa encore. Eût-il accordé cette condition, elle n'eût retardé la chute de Metz que de quelques jours : il n'y avait pas assez de vivres dans la ville pour que sa résistance pût se prolonger d'une manière utile au pays.

Ce que Bazaine devait faire, à ce moment, c'était de détruire l'immense matériel, armes, canons, poudre, munitions, dont Metz regorgeait dans ses deux arsenaux de l'artillerie et du génie, et dont l'ennemi allait se servir contre nous. Il ne fit rien. Il semble, dit le général Pourcet, par les déclarations du colonel de Villenoisy et du général de Coffinières, que Bazaine était lié par des engagements antérieurs, et que les exigences de l'ennemi relativement à la remise du matériel étaient connues à Metz avant le 25 octobre, jour où les généraux Changarnier et de Cissey allèrent demander les conditions de la capitulation.

Le 26 octobre, le conseil fut convoqué. Le général Soleille proposa de capituler sans délai pour abréger les souffrances du soldat. La défaillance est générale, et aucune résolution vigoureuse ne paraît avoir été proposée. On décida, comme la chose la plus naturelle, qu'on capitulerait. En conséquence, le général Jarras, chef d'état-major, alla au château de Frescaty, quartier général du prince Frédéric-Charles, et signa, le 27 octobre, la capitulation de Metz, qui fut approuvée le 28 par le maréchal et ses lieutenants.

L'excellent historien[14] qui a raconté la campagne et les négociations de Metz se demande, en homme de cœur, ce qu'on devait faire, et répond : Tout, excepté ce qui a été fait ; et il a raison. En effet, il y avait autre chose à faire qu'à remettre intacts à l'ennemi les forts de Metz, un immense matériel, les drapeaux, et à faire déposer les armes, avant qu'ils aient combattu, à 153.000 hommes[15], dont 3 maréchaux, 50 généraux et 6.000 officiers, dont un grand nombre, il faut le dire à l'honneur de l'armée, firent tous leurs efforts pour empêcher l'acte exécrable de s'accomplir.

Il est inutile de faire des réflexions sur de pareilles hontes ; il vaut mieux en abréger le récit et se hâter d'arriver à la fin de ce douloureux chapitre.

Les honneurs de la guerre que l'ennemi accordait à l'armée de Metz furent refusés par le maréchal, parce qu'il eut peur d'être insulté pendant le défilé de l'armée, et parce qu'il craignit, non sans raison, qu'au moment de déposer leurs armes, ses soldats exaspérés, au lieu de les rendre, n'en vinssent aux mains avec l'ennemi.

Le 28, Bazaine fit connaître la capitulation à l'armée et osa se comparer, dans sa proclamation, à Masséna, l'héroïque défenseur de Gênes !

En vertu de cette odieuse capitulation, l'armée était prisonnière de guerre. C'était un fait sans précédent dans l'histoire. — Metz et ses forts étaient livrés à l'ennemi, sans avoir été assiégés, ni bombardés. — Les armes, le matériel, les canons, les drapeaux sont également cédés. C'est-à-dire qu'on livre à l'ennemi :

1.665 bouches à feu, de siège et de campagne,

3 millions de projectiles,

23 millions de cartouches,

124.000 chassepots,

150.000 fusils d'anciens modèles,

9.000 voitures et affûts,

les poudres et approvisionnements ;

Le tout valant 36 millions de francs, et allant être employé contre nous. — Les généraux et officiers qui s'engageront à ne pas porter les armes contre l'Allemagne ne seront pas prisonniers de guerre. Cet article était une violation flagrante du règlement, qui veut qu'en pareil cas les officiers ne se séparent pas de leurs troupes.

Quant aux vingt mille blessés ou malades, Bazaine ne stipula rien pour eux. Terminons en disant que des 150.000 prisonniers de Metz, 11.000 moururent de misère et de maladie en Allemagne, pendant la captivité.

Le 29, Bazaine et la plupart des généraux, qui ne s'intéressaient guère à leurs pauvres soldats, ne leur donnèrent pas à manger, et cependant les magasins renfermaient encore beaucoup de vivres qui tombèrent entre les mains de l'ennemi.

Enfin, Bazaine trompa une dernière fois son armée pour lui enlever ses drapeaux et les livrer aux Prussiens. Il ordonna de porter les drapeaux à l'arsenal, où ils devaient être brûlés. Quelques colonels et généraux, plus méfiants que les autres, n'obéirent pas à cet ordre. Le colonel du 1er régiment de grenadiers détruisit son drapeau et fut approuvé par le général Jeanningros, qui ordonna au colonel des zouaves de brûler aussi le sien. Les drapeaux de ma brigade, dit le brave soldat, n'iront pas à Berlin. Le général Lapasset imita l'exemple du général Jeanningros et fit aussi détruire les drapeaux de sa brigade ; le général Laveaucoupet fit brûler ceux de sa division. Le 1er régiment du génie, sans en demander permission à son colonel, détruisit le sien ; le 17e régiment d'artillerie fit de même. A cette nouvelle, Bazaine fit écrire aux commandants de corps qu'ils eussent à faire porter leurs drapeaux à l'arsenal, assurant qu'ils y seraient brûlés. Quelques-uns y furent détruits en effet, mais Bazaine donna bientôt l'ordre de cesser de détruire les drapeaux et en fit remettre 53 au prince Frédéric-Charles, qui voulait absolument avoir ces trophées.

Soustraire sournoisement les drapeaux, a dit justement le général Pourcet, par une manœuvre déloyale, à des soldats trompés, et les déposer humblement aux pieds du vainqueur, c'est descendre autant qu'on peut descendre par le mépris du devoir et l'oubli de l'honneur.

Non content d'avoir commis l'acte, le maréchal a essayé de le justifier. A quoi bon, dit-il dans son rapport, se préoccuper de ces lambeaux d'étoffe qui n'ont de valeur morale que quand ils sont pris sur le champ de bataille ? Ils n'en n'ont aucune quand ils sont déposés dans un arsenal.

Le 29 octobre, la capitulation fut exécutée. Si Bazaine avait recueilli les ressources des environs, quand on pouvait le faire, si depuis le 1er septembre, jour où il se décida à ne plus bouger, il avait réduit les consommations, il aurait pu prolonger de deux mois encore la résistance de Metz. Ces deux mois donnaient à la guerre une autre tournure : l'armée de la Loire n'aurait pas eu à combattre toutes les forces du prince Frédéric-Charles et pouvait probablement débloquer Paris.

Bazaine s'en alla le premier, seul, abandonnant l'armée et ses lieutenants. Quand il quitta Ars-sur-Moselle, le 29 octobre, la population, avertie de son passage, se précipita à sa rencontre, brisa les glaces de sa voiture, le hua, et il ne put continuer sa route vers le quartier général du prince Frédéric-Charles que sous la protection des gendarmes prussiens[16].

Ce fut le 29 octobre, au milieu de la consternation et de la douleur de la ville et de l'armée que les Prussiens prirent possession de Metz, des forts, des armes et des drapeaux, et que nos 173.000 soldats devinrent les prisonniers d'un ennemi indigne de ces prodigieuses et inespérées faveurs de la fortune.

Les Prussiens se montrèrent, en effet, d'une dureté révoltante envers les hommes que Bazaine leur avait livrés, et qu'ils laissèrent mourir en grand nombre de froid, de faim et de misère, dans la boue de leurs avant-postes.

Le général prussien[17], auteur de la Guerre sous Metz, déclare que capituler dans une position presque inexpugnable, avant d'avoir fait une tentative désespérée, est un fait inouï. Aussi la France refusa-t-elle de croire à la reddition de Metz sans combat, et quand M. Gambetta eut poussé le cri de trahison, tout le monde le répéta après lui.

Quand les Prussiens entrèrent à Metz, la population voila la statue de Fabert et la couronna d'immortelles. L'illustre maréchal avait vendu son bien pour nourrir ses soldats, tandis que Bazaine laissait les siens mourir de faim et les livrait à l'ennemi. Le voile qui couvrait l'héroïque figure de Fabert cachait les nobles paroles qu'il avait dites et qu'on lisait sur le socle de sa statue :

Si pour empêcher qu'une place que le Roi m'a confiée ne tombât au pouvoir de l'ennemi, il fallait mettre à la brèche ma personne, ma famille et tout mon bien, je ne balancerais pas un moment à le faire.

Après son facile triomphe[18], le prince Frédéric-Charles et la plus grande partie de son armée furent envoyés contre l'armée de la Loire. On verra plus loin les conséquences de son arrivée. D'autres troupes, sous le commandement du général de Manteuffel, furent dirigées sur Amiens et Rouen ; d'autres enfin vinrent renforcer l'armée qui assiégeait Paris, et qui s'était dégarnie pour opposer quelques forces à notre armée de la Loire.

 

II. — LE PROCÈS ET LA CONDAMNATION.

 

Un crime pareil ne pouvait rester impuni, et cependant le coupable ne fut poursuivi qu'en 1873. L'évidence de la trahison frappait tout le monde, excepté le gouvernement. Par une aberration inexplicable, M. Thiers, qui refusait aux défenseurs de Belfort le moindre témoignage de satisfaction, prenait fait et cause pour l'homme de Metz. Une pétition énergique fut adressée à l'Assemblée nationale par le colonel du génie, M. de Villenoisy, pour demander que l'on fit une enquête sur les causes de la capitulation de Metz et sur la conduite des généraux qui y avaient pris part. Le 27 mai, le comte Rampon déposa son rapport sur la pétition, et la discussion s'engagea le 29. Ceux qui étaient un peu au courant de l'affaire eurent la douleur d'entendre le chef de l'Etat, M. Thiers, prendre hautement la défense de Bazaine, dire qu'il était convaincu que le maréchal avait été cruellement calomnié et qu'il avait commandé glorieusement une de nos armées, placer le traître au nombre de nos grands hommes de guerre et s'efforcer de donner le change à l'opinion. Le maréchal Bazaine, ajoutait M. Thiers, demande une enquête ; on doit en faire une, afin de lui permettre d'établir sa justification. Après de longs retards, un conseil d'enquête, chargé d'examiner les diverses capitulations consenties avec l'ennemi pendant la guerre de 1870-71, fut institué le 30 septembre 1871. Ce conseil était présidé par le maréchal Baraguey d'Hilliers, ancien officier du premier empire, vaillant soldat et homme énergique qui sut faire son devoir.

Le 12 avril 1872, le conseil d'enquête déclara le maréchal Bazaine responsable en grande partie des revers de l'armée de Châlons, et responsable entièrement de la perte de l'armée du Rhin et de la place de Metz sans avoir fait ce que lui prescrivait le devoir militaire. Le conseil blâmait sévèrement le maréchal : pour n'avoir pas détruit son matériel de guerre ; pour avoir accepté la clause qui permettait aux officiers de rentrer dans leurs foyers en donnant par écrit leur parole d'honneur de ne pas servir contre l'Allemagne pendant la guerre ; pour n'avoir rien stipulé en faveur des soldats, des blessés et des malades ; enfin, pour avoir livré à l'ennemi les drapeaux qu'il devait détruire.

L'avis motivé du conseil d'enquête ne fut pas, par exception, rendu public. Cependant le gouvernement ordonna le 7 mai 1872, d'informer contre le maréchal Bazaine. Le général de Rivière, du corps du Génie, fut chargé de l'instruction.

Le maréchal Bazaine s'était constitué prisonnier à Versailles. Espérait-il que l'intervention de M. Thiers ferait avorter l'affaire, je l'ignore ; mais ce qu'il y a de certain, c'est que le 24 mai 1873, M. Thiers fut renversé du pouvoir et que dès lors l'affaire du maréchal prit une tournure tout à fait sérieuse. Conformément aux conclusions du rapport du général de Rivière, le maréchal Bazaine fut mis en jugement par un décret présidentiel du 25 juillet 1873.

Le 6 octobre 1873, les débats commencèrent devant le conseil de guerre réuni au palais de Trianon et présidé par le duc d'Aumale ; ils ne finirent que le 10 décembre. Le maréchal Bazaine fut, à l'unanimité, condamné à la peine de mort avec dégradation militaire, pour avoir, comme commandant en chef l'armée du Rhin, capitulé en rase campagne, pour avoir rendu la place de Metz sans avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait et sans avoir fait tout ce que lui prescrivaient le devoir et l'honneur, crimes prévus par les articles 210 et 209 du code de justice militaire.

Le lendemain de ce jugement solennellement rendu, on lut avec stupéfaction les documents suivants insérés dans les journaux :

Immédiatement après le prononcé du jugement, MM. le président et les membres du Conseil de guerre ont adressé à M. le ministre de la guerre un recours en grâce dont voici la teneur :

Monsieur le ministre,

Le Conseil de guerre vient de rendre son jugement contre M. le maréchal Bazaine.

Jurés, nous avons résolu les questions qui nous étaient posées en n'écoutant que la voix de notre conscience.

Nous n'avons pas à revenir sur le long débat qui nous a éclairés. A Dieu seul nous devons compte des motifs de notre décision.

Juges, nous avons dû appliquer une loi inflexible et qui n'admet pas qu'aucune circonstance puisse atténuer un crime contre le devoir militaire.

Mais ces circonstances que la loi nous défendait d'invoquer en rendant notre verdict, nous avons le droit de vous les indiquer.

Nous vous rappellerons que le maréchal Bazaine a pris et exercé le commandement de l'armée du Rhin au milieu de difficultés inouïes, qu'il n'est responsable ni du désastreux début de la campagne, ni du choix des lignes d'opérations.

Nous vous rappellerons qu'au feu il s'est toujours retrouvé lui-même ; qu'à Borny, à Gravelotte, à Noisseville, nul ne l'a surpassé en vaillance, et que le 16 août il a, par la fermeté de son attitude, maintenu le centre de sa ligne de bataille.

Considérez l'état des services de l'engagé volontaire de 1831 ; comptez les campagnes, les blessures, les actions d'éclat qui lui ont mérité le bâton de maréchal de France.

Songez à la longue détention qu'il vient de subir ; songez à ce supplice de deux mois pendant lesquels il a entendu chaque jour discuter son honneur devant lui, et vous vous unirez à nous pour prier le Président de la République de ne pas laisser exécuter la sentence que nous venons de prononcer.

Recevez, monsieur le ministre, l'assurance de notre respect.

Le Président, H. D'ORLÉANS.

Les Juges, Général DE LA MOTTEROUGE, Général baron DE CHABAUD LA TOUR, Général J. TRIPIER, Général PRINCETEAU, Général RESSAYRE, Général DE MALROY.

Puis cette note officielle :

Sur la proposition de M. le ministre de la guerre, M. le Président de la République a commué la peine de mort prononcée contre le maréchal Bazaine en vingt années de détention, à partir de ce jour, avec dispense des formalités de la dégradation militaire, mais sous la réserve de tous ses effets.

Enfin cette lettre de Bazaine au maréchal de Mac-Mahon :

Trianon-sous-bois, le 12 décembre 1873.

Monsieur le maréchal,

Vous vous êtes rappelé le temps où nous servions la patrie l'un à côté de l'autre : je crains que votre cœur n'ait dominé la raison d'Etat.

Je serais mort sans regret, car la demande en grâce que vous ont adressée mes juges venge mon honneur.

Agréez, Monsieur le maréchal, l'assurance mon respect.

BAZAINE.

Il était donc constant une fois de plus qu'aujourd'hui un grand coupable échappe toujours à la justice et que la responsabilité n'existe plus.

Bazaine fut enfermé à l'île Sainte-Marguerite, mais dans la nuit du 9 au 10 août 1874 le prisonnier s'échappa. On crut généralement qu'on lui avait simplement rendu la liberté.

 

 

 



[1] Metz, campagne et négociations, p. 190.

[2] Il faut dire dès à présent que le maréchal a brûlé toute sa correspondance avec le général prussien, que ces pièces essentielles ont manqué au procès, et qu'un profond mystère couvre toutes ces négociations criminelles.

[3] Ce mot autorisé semble impliquer des relations antérieures. A une démarche imprévue, inattendue, on ne peut se dire autorisé à faire toutes les communications qu'on demandera. Le communiqué de Reims semble aussi établir qu'une correspondance antérieure à sa date (11 septembre) a existé entre Bazaine et le prince Frédéric-Charles, et un mot de M. de Bismarck à M. Jules Favre permet de croire que ce soupçon est fondé. Le 18 septembre, pendant l'entrevue de Ferrières, M. de Bismarck dit à M. Jules Favre : Il n'est pas hors de propos de vous faire remarquer que Bazaine ne vous appartient pas. J'ai de fortes raisons de croire qu'il demeure fidèle à l'Empereur, et par là même qu'il refuserait de vous obéir.

[4] Page 716, 3e colonne.

[5] Arrêté à Versailles, en 1871, pour ses relations avec les Prussiens, Régnier fut mis en liberté après une assez longue détention. Mais le 17 septembre 1874, le conseil de guerre de Paris le condamna à mort par contumace, pour avoir entretenu des intelligences avec l'ennemi dans le but de favoriser ses entreprises, pour avoir commis le crime d'espionnage en s'introduisant dans une place de guerre pour s'y procurer des documents et des renseignements dans l'intérêt de l'ennemi, pour avoir entretenu des intelligences avec l'ennemi à l'effet de lui livrer la place de Metz.

[6] Voir sa brochure intitulée : Quel est votre nom ? N ou M ? Une étrange histoire dévoilée.

[7] On cacha au général Bourbaki qui ne lui serait pas permis de rentrer dans Metz.

[8] Bazaine ne pouvait pas livrer Metz sans le consentement du général Coffinières, gouverneur de la ville, et qui n'était pas le complice du maréchal.

[9] Les habitants de Metz recueillirent 5.000 blessés et malades dans la ville. Le dévouement des femmes de Metz fut au-dessus de tout éloge ; elles prodiguèrent leurs soins aux malades avec un zèle infatigable.

[10] Bazaine ignorait que les élections fussent ajournées.

[11] Page 728, 3e colonne.

[12] Le Courrier de la Moselle ayant protesté contre ces nouvelles, fut obligé de supprimer l'article.

[13] Le vieux général Changarnier avait obtenu de l'Empereur l'autorisation d'être attaché à l'armée du Rhin.

[14] Le colonel d'Andlau, qui a eu le patriotisme et le courage de dire le premier la vérité sur cette douloureuse affaire.

[15] Avec 20.000 blessés et malades, le chiffre des prisonniers de Metz est de 173.000 hommes.

[16] Le maréchal Bazaine a publié, sous le titre de : l'Armée du Rhin (1 vol. in-8°, 1872), un mémoire justificatif de sa conduite. Après avoir lu cet ouvrage avec beaucoup d'attention, nous n'y avons absolument rien trouvé qui justifie le maréchal.

[17] Von Kameke.

[18] L'investissement de Metz n'a coûté aux Prussiens que 5.482 hommes. Ils en ont perdu 11.563 sous Paris.